III Pars (Drioux 1852) 1560

QUESTION 78: de la forme du sacrement de l'eucharistie.

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Nous devons nous occuper ensuite de la forme de ce sacrement. — A cet égard il y a six questions à examiner : 1° Quelle est la forme de ce sacrement? — T La forme de la consécration du pain est-elle convenable? — 3° La forme de fa consécration du sang est-elle convenable ? — 4° De la vertu de ces deux formes. — 5° De la vérité de leurs expressions. — 6° De la comparaison d'une forme avec une autre.


ARTICLE I. — la forme de l'eucharistie est-elle celle-ci : Ceci est mon corps et Ceci est te calice de mon sang (3)?

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1 Il semble que la forme de l'eucharistie ne soit pas celle-ci : Ceci est

(I) Cependant, même quand il s'agit de l'eau bénite, le sentiment de ceux qui croient que l'eau qu'on ajoute doit être en moindre quantité nous parait plus probable, parce que autrement, comme l'observe Laymann (lib. V, tract, ix, cap. 15, niim. Io), il suffirait d'une goutte d'eau bénite jetée dans un puits ou une fontaine, pour que tonte l'eau de ce puits ou de cette fontaine fût bénite; ce qui répugne.
(2) C'est-à-dire ils changent la quantité selon le degré de plus ou de moins, mais non selon l'essence.
(5) Uuoer a prétendu que l'on ne devait point prononcer de paroles, Calvin disait que les paroles qu'on prononçait n’étaient que pour exciter la foi des fidèles ; Luther voulait qu'il n'y eut pas de forme précise pour l'eucharistie.

mon corps et ceci est le calice de mon sang. Car il semble que la forme de ce sacrement doive comprendre les paroles par lesquelles le Christ a consacré son corps et son sang. Or, le Christ a auparavant béni le pain qu'il avait reçu et puis il a dit : recevez et mangez, ceci est mon corps, comme on le voit (
Mt 26,26), et il a fait de même pour le calice. Les paroles citées ne sont donc pas la forme de ce sacrement.

2 Eusèbe d'Emèse dit (Hom. v de Pasch.) que le prêtre invisible change en son corps les créatures visibles en disant : Recevez et mangez, ceci est mon corps. Toutes ces paroles paraissent donc appartenir à la forme de l'eucharistie, et il en esf de même des paroles qui se rapportent au sang.

3
Dans la forme du baptême on exprime la personne du ministre et son acte, quand on dit : Je te baptise. Or, dans les paroles citées précédemment, il n'est fait mention ni de la personne du ministre, ni de son acte. Cette forme de l'eucharistie n'est donc pas convenable.

4
La forme d'un sacrement suffit pour la perfection de ce sacrement; par conséquent, le sacrement de baptême peut être parfaitement conféré en prononçant seulement les paroles de la forme, et en omettant toutes les autres choses. Si donc les paroles préalablement citées sont la forme de ce sacrement, il semble que ce sacrement puisse quelquefois être produit par là même que l'on prononce ces seules paroles-, et en omettant toutes les autres choses que l'on dit à la messe; ce qui cependant paraît être faux; parce que du moment que l'on omettrait les autres paroles, celles-ci s'entendraient de la personne du prêtre qui les prononce, et ce n'est pas en son corps et en son sang que le pain et le vin sont changés. Ces paroles ne sont donc pas la forme de ce sacrement.

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Mais c'est le contraire. Saint Ambroise dit (De sacram, lib. iv, cap. 4) : La consécration est produite par les expressions et les paroles de Jésus-Christ; car par toutes les autres choses que l'on dit on loue Dieu, on lui adresse des prières pour le peuple, pour les rois et pour tout le reste; tandis qu'au moment de la consécration, le prêtre ne fait plus usage de ses propres paroles, mais il se sert des paroles du Christ. C'est donc la parole du Christ qui produit ce sacrement.


CONCLUSION. — La forme du sacrement de l'eucharistie doit être celle que le Christ a exprimée en disant : Ceci est mon corps et ceci est le calice de mon sang.

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Il faut répondre que ce sacrement diffère des autres en deux points :l° En ce que ce sacrement est rendu parfait par la consécration de la matière, tandis que les autres ne sont consommés que par l'usage de la matière, consacrée. 2° En ce que dans les autres sacrements la consécration de la matière ne consiste que dans une bénédiction, de laquelle la matière consacrée reçoit instrumentalement une vertu spirituelle qui, par le ministre qui est un instrument animé, peut s'étendre à des instruments inanimés; au lieu que dans l'eucharistie la consécration de la matière consiste dans une conversion miraculeuse de la substance qui ne peut être produite que par Dieu. Par conséquent, le ministre en produisant ce sacrement ne fait pas autre chose que de prononcer des paroles. — Et comme la forme doit convenir à la chose, il s'ensuit que la forme de ce sacrement diffère des formes des autres sacrements de deux manières : 4° Parce que les formes des autres sacrements impliquent l'usage de la matière, comme le baptême ou la confirmation ; tandis que la forme de ce sacrement n'implique que la consécration de la matière qui consiste dans la transsubstantiation, comme quand on dit : Ceci est mon corps ou ceci est le calice de mon sang. 2° Parce que les formes des autres sacrements sont mises dans la bouche du ministre, soit à la manière de celui qui exerce un acte, comme quand on dit : Je te baptise ou Je te confirme, soit à la manière de celui qui commande, comme quand on dit dans le sacrement de l'ordre : Recevez la puissance, etc., soit d'une manière déprécatoire, comme quand on dit dans le sacrement de l'extrême-onction : Par cette onction et par notre intercession, etc. ; au lieu que la forme de l'eucharistie est mise en quelque sorte dans la bouche du Christ lui-même (I), pour nous faire comprendre que le ministre dans la confection de ce sacrement ne fait rien autre chose que de prononcer les paroles du Christ.

'l'ouïes ces erreurs se trouvent condamnées par le concile de Trente et le concile de Florenre qui dit : Formoe hujus sacramenti sunt verba Salvatoris quibus hoc conficit sacramentum. Sacerdos enim in persona Christi loquens, hoc conficit sacramentum.

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Il faut répondre au premier argument, qu'à cet égard il y a beaucoup d'opinions différentes. En effet, les uns ont dit que le Christ qui avait une puissance d'excellence dans les sacrements, a produit l'eucharistie sans aucune forme de paroles et qu'ensuite il a prononcé les mots sous lesquels les autres devraient consacrer. C'est ce que paraissent signifier ces paroles d'Innocent III (De myst. Mis. lib. iv, cap. 6) : On peut dire certainement que le Christ a fait ce sacrement par sa vertu divine et qu'ensuite il a exprimé la forme sous laquelle ceux qui viendraient après lui consacreraient. Mais ce sentiment a expressément contre lui les paroles de l'Evangile où il est dit que le Christ a béni ; et cette bénédiction s'est faite sans doute avec des paroles. Par conséquent ce passage d'Innocent III exprime plutôt une opinion (2) qu'une décision. — D'autres ont prétendu que cette bénédiction s'est faite par d'autres paroles qui nous sont inconnues. Mais cette hypothèse n'est pas soutenable, parce que la bénédiction de la consécration se fait maintenant en récitant ce qui a été fait alors ; par conséquent, si la consécration n'avait pas été faite alors par ces paroles, elle ne le serait pas non plus maintenant. — C'est pour cela que d'autres ont avancé que cette bénédiction s'est faite avec les mêmes expressions qu'elle se fait maintenant; mais que le Christ les a prononcées deux fois, d'abord secrètement pour consacrer et ensuite manifestement pour instruire. Mais cette opinion ne vaut pas mieux que les autres, parce que le prêtre consacre en prononçant ces paroles, non comme ayant été dites par le Christ dans une bénédiction secrète, mais comme ayant été prononcées publiquement ; et puisque ces paroles n'ont de force que parce que le Christ les a prononcées, il semble que le Christ ait consacré en les prononçant manifestement. — C'est pour ce motif que d'autres ont dit que les évangélistes n'ont pas toujours conservé le même ordre en racontant la manière dont les choses se sont passées, comme on le voit dans saint Augustin (De consensu Evang. lib. ii, cap. 30,31 et 4 i), et que par conséquent on doit comprendre que l'ordre de la chose qui s'est passée peut s'exprimer ainsi : Recevant le pain il le bénit en disant : Ceci est mon corps, et ensuite il le rompit et le donna à ses disciples. Mais on peut obtenir le même sens sans changer les paroles de l'Evangile. Car le participe disant implique la concomitance des mots que l'on prononce avec les choses qui précèdent. Or, il ne faut pas que cette concomitance s'entende seulement par rapport à la dernière parole qui a été prononcée, comme si le Christ eût prononcé ces paroles seulement quand il donna les espèces consacrées à ses disciples ; mais on peut l'entendre par rapport à tout ce qui précède, de manière que le sens de cette phrase est celui-ci : Pendant qu'il bénissait le pain, qu'il le rompait et le donnait à ses disciples, il dit ces paroles : Recevez-, etc. (I).

(2) Cette opinion a été soutenue par Ambroise Catherine dans deux opuscules qu'il a adressés au concile de Trente, mais elle n'a jamais compté beaucoup de partisans.

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Il faut répondre au second, que par ces paroles buvez et mangez on entend l'usage de la matière consacrée; cet usage n'est pas nécessaire pour le sacrement, comme nous l'avons vu (quest. lxxiv, art. 7). C'est pourquoi ces paroles ne sont pas de l'essence de la forme. Mais parce que l'usage de la matière consacrée appartient à une certaine perfection du sacrement, comme l'opération n'est pas la perfection première, mais la perfection seconde d'une chose; il s'ensuit que toutes ces paroles expriment la perfection entière de l'eucharistie (2). C'est ainsi qu'Eusèbe a compris (loc. cit. ) que le sacrement est confectionné par ces paroles, relativement à sa perfection première et à sa perfection seconde (3).

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Il faut répondre au troisième, que dans le sacrement de baptême le ministre exerce un acte relativement à l'usage de la matière, qui est de l'essence du sacrement, ce qui n'a pas lieu dans l'eucharistie. C'est pourquoi la raison n'est pas la même.

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Il faut répondre au quatrième, qu'il y en a qui ont prétendu que la consécration eucharistique ne peut être parfaite (4), quand on ne prononce que les paroles qui sont citées et qu'on omet les autres, surtout celles qui sont dans le canon de la messe. Mais cette opinion est évidemment fausse, soit d'après le passage de saint Ambroise (in arg. Sed contra), soit parce que le canon de la messe n'a pas été le même dans toutes les Eglises, ni dans tous les temps, et qu'il y a différentes choses qui y ont été ajoutées par différentes personnes. — Par conséquent, il faut dire que si le prêtre ne prononçait que ces paroles avec l'intention de consacrer, le sacrement serait valide, parce que l'intention ferait que ces paroles auraient le même sens que si elles étaient prononcées dans la personne du Christ, quand même on ne réciterait pas les paroles précédentes. Cependant le prêtre qui consacrerait ainsi pécherait très-grièvement (5), comme n'observant pas le rite de l'Eglise. D'ailleurs il n'en est pas de l'eucharistie comme du baptême qui est un sacrement nécessaire ; tandis qu'on peut suppléer au défaut de l'eucharistie par la manducation spirituelle, selon la remarque de saint Augustin (Tract, xxvi in ).



ARTICLE II. — CETTE FORME DE LA CONSÉCRATION DU PAIN : Ceci est mon corps, EST-ELLE CONVENABLE (6)?

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1 Il semble que celte forme de la consécration du pain : Ceci est mon corps, ne soit pas convenable. Car par la forme d'un sacrement on doit en exprimer l'effet. Or, l'effet qui est produit dans la consécration du pain est la conversion de la substance du pain au corps du Christ, qui est plutôt exprimée par le verbe est fait (fit) que par le verbe est. On devrait donc dire dans la forme de la consécration : Ceci est fait (fit) mon corps

(3) La perfection première est la substance même de la chose, et la perfection seconde est son opération.
(4) Les grecs schismatiques disent que la consécration n'est pas produite par ces paroles ; Hoc est corpus meum, hic est calix sanguinis mei. Cabasilas, Mare d'Ephèse et Siméon de Thessanonique ont été les principaux défenseurs de cetto erreur. Ils ont été réfutés par le cardinal Bessa- rion(Opusc. de Eucharistia) et par Allatius (De cons. Orient, et Occid. Ecdes. lib. iii, cap. 15).
(5) C'est aussi ce que disent les rubriques da missel romain (De defectibus).
(6) Cet ARTICLE est une explication de la forme Iloc est enim corpus meum, dont saint Thomas rend compte de chaque expression.
(7) D'après saint Thomas la bénédiction aurait été la consécration elle-même, mais saint Bonaventure (iv d. 8 Dom. d. I I) et plusieurs autres théologiens pensent que la bénédiction a précédé la consécration ; ce qui nous parait plus probable. Ainsi la consécration n'aurait eu lieu que quand il dit : Accipite et manducate, hoc est corpus meum.

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Saint Ambroise dit (De sacram, lib. iv, cap. 4) : La parole du Christ produit ce sacrement. Quelle est la parole du Christ? celle par laquelle tout a été fait. Le Seigneur a ordonné : et les cieux et la terre ont été faits. La forme du sacrement serait donc plus convenable si l'on mettait le verbe à l'impératif en disant : Que ce soit (sit) mon corps.

3
Par le sujet de cette formule on implique ce qui est converti, comme par le prédicat on implique le terme de la conversion. Or, comme on a déterminé ce en quoi la conversion se fait (car elle ne se fait qu'au corps du Christ), de même on a aussi déterminé ce qui est converti, car il n'y a que le pain qui soit converti au corps du Christ. Par conséquent, comme par rapport au prédicat on met le nom; de même, par rapport au sujet, on doit le mettre aussi, de telle sorte qu'on dise : Ce pain est mon corps.

4
Comme ce qui est le terme de la conversion est d'une nature déterminée (parce que c'est un corps), de même il appartient aussi à une personne déterminée. Par conséquent, comme on emploie le mot corps pour déterminer la nature, de même on devrait dire pour déterminer la personne : Ceci est le corps du Christ.

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Dans les paroles de la forme il ne doit rien y avoir qui ne soit pas de sa substance. C'est donc à tort que dans certains livres on ajoute la conjonction car qui n'est pas de la substance de la forme.

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Mais c'est le contraire. Le Seigneur s'est servi de cette forme en consacrant, comme on le voit (Mt 26).



CONCLUSION. — Puisque la forme sacramentelle doit signifier ce qui est produit dans le sacrement, la forme de consécration dont te Christ s'est servi et qui consiste dans ces paroles : Ceci est mon corps, est très-convenable.

21 Il faut répondre que cette forme de la consécration du pain est convenable. Car nous avons dit (art. préc.) que cette consécration consiste dans la conversion de la substance du pain au corps du Christ. Or, il faut que la forme du sacrement signifie ce qui se fait dans le sacrement. Par conséquent la forme de la consécration du pain doit signifier la conversion elle-même du pain au corps du Christ, dans le laquelle on considère trois choses : la conversion elle-même, le terme à quo et le terme ad quem. On peut considérer la conversion de deux manières : selon qu'elle est en voie d'être produite et selon qu'elle Test. Or, dans la forme sacramentelle la conversion n'a pas dû être signifiée comme en voie d'être produite, mais comme étant consommée : 4° Parce que cette conversion n'est pas successive, comme nous l'avons dit (quest. lxxv, art. 7), mais instantanée. Dans ces sortes de changements, le devenir et l'avoir été fait sont une seule et même chose. 2° Parce que les formes sacramentelles sont à la signification de l'effet du sacrement ce que sont les formes artificielles à la représentation d'un effet de l'art. Or, la forme artificielle est la ressemblance du dernier effet vers lequel se porte l'intention de l'artiste ; comme la forme de l'art dans l'esprit de l'architecte est la forme de la maison bâtie principalement et se rapporte conséquemment à sa construction. C'est pour cela que dans la forme sacramentelle on doit exprimer la conversion comme la chose faite à laquelle l'intention se porte. Et parce que la conversion est exprimée dans cette forme comme une chose faite, il est nécessaire que les parties extrêmes de la conversion soient signifiées telles qu'elles sont après que la conversion est opérée. Alors le terme ad quem a la nature propre de sa substance, tandis que le terme à quo ne subsiste pas selon sa substance, mais seulement selon les accidents par lesquels il est soumis aux sens et peut être déterminé à leur égard. Par conséquent il est convenable que le terme à quo de la conversion soit exprimé parle pronom démonstratif (1) qui se rapporte aux accidents sensibles qui restent ; et que le terme ad quem soit exprimé par un nom qui signifie la nature de la chose en laquelle la conversion s'est faite, et qui est le corps du Christ tout entier et non pas seulement sa chair, comme nous l'avons vu ( quest. lxxvi, art. 4 ad 2, et art. 2). Cette forme : Ceci est mon corps, est donc très-convenable.

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Il faut répondre au premier argument, que la conversion qui est en voie d'être faite n'est pas le dernier effet de la consécration, mais c'est la conversion consommée, comme nous l'avons dit (in corp. art.). C'est pourquoi on doit plutôt exprimer celle-ci dans la forme.

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Il faut répondre au second, que la parole de Dieu, qui a opéré dans la création de l'univers, est celle qui opère aussi dans la consécration, mais d'une manière différente. Car, dans l'eucharistie, elle opère d'une manière efficiente et sacramentelle, c'est-à-dire selon la force de sa signification (2). C'est pourquoi il faut que dans cette parole on signifie le dernier effet de la consécration par le verbe substantif mis à l'indicatif et au présent. Mais dans la création elle a opéré seulement d'une manière efficiente et cette efficacité a été réglée par l'ordre de sa sagesse. C'est pour cela que dans la création la parole de Dieu est exprimée par le verbe à l'impératif, d'après ce passage de la Genèse (Gn 1,3) : Que la lumière soit faite, et la lumière fut faite.

33 Il faut répondre au troisième, que le terme à quo quand la conversion est consommée ne conserve pas la nature de sa substance, comme le terme ad quem; et c'est pour cela qu'il n'y a pas de parité.

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Il faut répondre au quatrième, que par le pronom meum (3), qui implique la démonstration de la première personne qui est la personne de celui qui parle, on exprime suffisamment la personne du Christ, puisque c'est en son nom qu'on prononce ces paroles, comme nous l'avons dit (art. préc.).

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Il faut répondre au cinquième, que la conjonction car est ajoutée à cette forme selon la coutume de l'Eglise romaine, qui vient de l'apôtre saint Pierre, et on l'ajoute pour faire suite aux paroles qui précèdent. C'est pourquoi elle n'appartient pas à la forme (4), pas plus que les autres paroles qui la précèdent.



ARTICLE III. — cette forme de la consécration du vin : Ceci est le calice de mon sang, est-elle convenable (5)?

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1 Il semble que la forme convenable de la consécration du vin ne soit pas celle-ci : Ceci est te calice de mon sang, de la nouvelle et de V éternelle alliance, mystère de la foi, qui sera répandu pour vous et pour beaucoup pour la rémission des péchés. Car, comme le pain est converti au corps du Christ par la force de la consécration, de même le vin est converti en son sang, comme on le voit d'après ce que nous avons dit (quest. lxxvi, art. 1, 2 et 3). Or, dans la forme de la consécration on met directement le corps du Christ, sans rien ajouter autre chose. C'est donc à tort que dans cette forme on met le sang du Christ indirectement et qu'on ajoute le calice directement, en disant : Ceci est le calice de mon sang.

(3) Ce pronom ne signifie pas l'union, mais l'identité du corps du Christ.
(4) Cette particule n'est pas essentielle à la forme, cependant il y aurait faute grave si on l'omettait de propos délibéré. Revera, dit saint Liguori, in re tam gravi non videtur levis materia quaecumque levis mutatio deliberate opposita (lib. Vi, n° 220).
(5) Cet ARTICLE a pour objet l'explication de la formule de consécration du vin : Hic est enim calix sanguinis mei, novi et oeterni Testamenti; mysterium fidei, qui pro vobis et pro multis effundetur in remissionem peccatorum.

2
Les paroles qu'on prononce dans la consécration du pain ne sont pas plus efficaces que celles qu'on prononce dans la consécration du vin, puisqu'elles sont les unes et les autres les paroles du Christ. Or, immédiatement après qu'on a dit: Ceci est mon corps, la consécration du pain est parfaite. Par conséquent, aussitôt qu'on a dit : Ceci est le calice de mon sang, la consécration du sang est parfaite aussi. Ainsi, ce qui suit ne parait pas être de la substance de la forme, puisqu'il appartient aux propriétés de ce sacrement.

3
Le Nouveau Testament paraît appartenir à l'inspiration intérieure, comme on le voit d'après la citation que fait saint Paul (He 8,8) de ces paroles de Jérémie (Jr 31,31) : Je consommerai avec la maison d'Israël une nouvelle alliance en donnant ma loi dans leur coeur. Or, le sacrement extérieur se produit visiblement. C'est donc à tort que dans la forme du sacrement on dit : le sang de la nouvelle alliance.

4 On dit qu'une chose est nouvelle parce qu'elle est près du commencement de son être. Or, ce qui est éternel n'a pas de commencement à l'égard de son être. C'est donc à tort qu'on dit : nouvelle et éternelle, parce que ces mots semblent impliquer une contradiction.

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On doit écarter tout ce qui peut être pour les hommes une occasion d'erreur, d'après ces paroles du prophète (Is 57,14) : Enlevez du chemin de mon peuple tout ce qui peut être une pierre d'achoppement. Or, il y en a qui se sont trompés en pensant qu'il n'y avait dans l'eucharistie que le corps et le sang mystique du Christ. C'est donc à tort qu'on met dans cette forme : Mystère de foi.

6 Nous avons dit (quest. lxxiii, art. 3 ad 3) que, comme le baptême est le sacrement de la foi, de même l'eucharistie est le sacrement de la charité. On doit donc mettre dans cette forme la charité plutôt que la foi.

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Ce sacrement tout entier, par rapport au corps aussi bien que par rapport au sang, est le mémorial de la passion du Seigneur ; d'après ces paroles de saint Paul (1Co 11,26): Toutes les fois que vous mangerez ce pain et que vous boirez ce calice, vous annoncerez la mort du Seigneur. On n'aurait donc pas dû faire mention de la passion du Christ et de son fruit dans la forme de la consécration du sang plutôt que dans la forme de la consécration du corps, surtout puisque le Seigneur a dit (Lc 22,19): Ceci est mon corps, qui sera livré pour vous.

8 La passion du Christ, comme nous l'avons vu (quest. xlviii, et xlix, art. 2), a été suffisante pour tous et efficace pour un grand nombre. On eût donc dû dire : qui sera répandu pour tous ou pour un grand nombre, sans ajouter pour vous.

9
Les paroles par lesquelles on consacre tirent leur efficacité de l'institution du Christ. Or, aucun évangéliste ne rapporte que le Christ ait dit toutes ces paroles. Cette forme de la consécration du vin n'est donc pas convenable.

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Mais c'est le contraire. L'Eglise, instruite par les apôtres, se sert de cette forme dans la consécration du vin.


CONCLUSION. — La forme de la consécration du vin est convenable, car elle est celle dont le Christ s'est servi, et elle consiste dans ces paroles : Ceci est le calice de mon sang, de la nouvelle et de l'éternelle alliance, mystère de foi, qui sera répandu pour vous et pour un grand nombre, pour la rémission des péchés.

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Il faut répondre qu'à l'égard de cette forme il y a deux sortes d'opinion. Car il y en a qui ont dit que ces paroles seules : Ceci est le calice de mon sang, sont de l'essence de la forme et que celles qui suivent n'en sont pas. Mais il semble que ce sentiment ne soit pas convenable; parce que les paroles qui suivent sont une détermination du prédicat, c'est-à-dire du sang du Christ; par conséquent elles appartiennent à l'intégrité de cette formule (1).— C'est pourquoi d'autres disent avec plus de raison, que toutes les paroles qui suivent sont de la substance de la formule, jusqu'à ce qui vient ensuite : Toutes les fois que vous ferez cela, ce qui appartient à l'usage de ce sacrement; ces dernières ne sont donc pas de la substance de la forme. De là il arrive que le prêtre prononce toutes ces paroles sous le même rite et de la même manière, c'est-à-dire en tenant le calice dans ses mains. D'ailleurs dans saint Luc (22, 20) les paroles qui suivent sont mêlées à celles qui précèdent en disant : Ce calice est la nouvelle alliance en mon sang. On doit donc dire que toutes les paroles citées (in arg. 4) sont de la substance de la forme, mais que par les premières, quand on dit : Ceci est le calice de mon sang, on signifie le changement du vin dans le sang de la manière que nous avons dite (art. préc.), dans la forme de la consécration du pain ; et par les paroles qui suivent on désigne la vertu du sang répandu dans la passion, qui opère dans ce sacrement, et qui se rapporte à trois choses. 1° Elle a principalement pour but de nous faire obtenir l'héritage éternel, d'après ces paroles de saint Paul (He 10,19) : Nous avons par le sang de Jésus la liberté d'entrer avec confiance dans le sanctuaire. C'est pour désigner cette chose qu'on dit : Le sang de la nouvelle et de l'éternelle alliance. 2° La justice de la grâce qui existe par la foi, suivant ces autres paroles du même apôtre (Rom. iii, 25) : Dieu a destiné le Christ pour être la victime de propitiation par la foi qu'on aurait en son sang, pour qu'il soit évident qu'il est juste et qu'il justifie celui qui tend à la justice par la foi en Jésus-Christ. Et c'est pour cela qu'on ajoute : Mystère de foi. 3° L'éloignement de ce qui était un obstade à ses deux effets, c'est-à- dire l'anéantissement du péché, d'après ces paroles de saint Paul (He 9,14) : Le sang du Christ purifiera notre conscience des oeuvres mortes, c'est-à- dire des péchés, et c'est par rapport à cela qu'on ajoute : qui sera répandu pour vous et pour beaucoup, pour la rémission des péchés (2).

31 Il faut répondre au premier argument, que, quand on dit : Ceci est le calice de mon sang, il y a là une expression figurée qu'on peut entendre de deux manières : 1° Par métonymie qui est une figure par laquelle on prend le contenant pour le contenu, de sorte que le sens est celui-ci : Ceci est mon sang contenu dans le calice dont il est fait ici mention; parce que le sang du Christ est consacré dans l'eucharistie pour être le breuvage des fidèles, ce que n'implique pas la nature du sang, et c'est pour cela qu'il a fallu le désigner par un vase qui fût en rapport avec cet usage. 2° On peut l'entendre métaphoriquement, selon que par le calice on comprend par analogie la passion du Christ qui enivre à la façon d'un calice, d'après ces paroles du prophète (Lm 3,15) : Il m'a rempli d'amertume et m'a enivré d'absinthe. C'est pourquoi le Seigneur appelle lui-même sa passion un calice quand il dit (Mt 26,39): Que ce calice s'éloigne de moi, de telle sorte que cette expression signifie : Ceci est le calice de ma passion, dont il est fait mention par le sang que l'on consacre séparément du corps; parce que dans la passion le sang a été séparé du corps.

nécessaires qu'à l'intégrité de la formule. Ils pensent qu'il n'y a d'essentiel que ces mots : Hic est calix sanguinis mei ; ce qui est le sentiment le plus commun et le plus probable.

(2) Dans le cas où un prêtre n'aurait prononcé que les mots : Hic est enim calix sanguinis mei, et omis le reste, saint Liguori pense qu'il devrait consacrer de nouveau, en prononçant la forme en entier (lib. vi, n° 225).

32 Il faut répondre au second, que, comme nous l'avons dit (in solut. praec. et quest. lxxvi, art. 2 adi), le sang consacré à part représente expressément la passion du Christ. C'est pourquoi dans la consécration du sang il est fait mention de l'effet de la passion plutôt que dans la consécration du corps, qui est le sujet de la passion ; ce qui est désigné par ces paroles du Seigneur : qui sera livré pour vous, comme s'il eût dit : qui sera pour vous assujetti à la passion.

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Il faut répondre au troisième, qu'un testament est la disposition d'un héritage. Or, Dieu a disposé l'héritage céleste pour être donné aux hommes par la vertu du sang de Jésus-Christ, parce que, comme le dit saint Paul (He 9,16) : Où il y a un testament, il est nécessaire que la mort du testateur intervienne. Or, le sang du Christ a été donné aux hommes de deux manières. 1° En figure, ce qui appartient à l'Ancien Testament. C'est pour cela que l'Apôtre conclut (ibid.) : Le premier testament ne fut confirmé qu'avec le sang. Ce qui est évident d'après le livre de la loi où il est rapporté (Ex 29), que Moïse ayant récité toutes les ordonnances de la loi, il aspersa tout le peuple en disant : Ceci est le sang du testament que Dieu a fait en votre faveur. 2° Il a été versé en réalité, ce qui se rapporte au Nouveau Testament. C'est ce qu'exprime auparavant l'Apôtre en disant : C'est pour ce motif que le médiateur du Testament nouveau est le Christ, afin que par la mort qu'il a soufferte, ceux qui sont appelés de Dieu reçoivent l'héritage éternel qu'il a promis. On dit donc : Ce sang du Nouveau Testament, parce qu'il n'est plus donné en figure, mais en vérité, et c'est pour cela qu'on ajoute : qui sera répandu pour vous. Quant à l'inspiration intérieure, elle procède de la vertu de ce sang, selon que nous sommes justifiés par la passion du Christ.

34 Il faut répondre au quatrième, que ce testament est nouveau en raison de ce qu'il nous a été donné nouvellement (1) ; et on dit qu'il est éternel en raison du décret éternel de Dieu qui l'a pré-ordonné, aussi bien qu'en raison de l'héritage éternel dont ce testament dispose. D'ailleurs la personne du Christ, par le sang duquel ce testament est disposé, est elle-même éternelle.

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Il faut répondre au cinquième, que le mot mystère est mis là, non pour exclure la vérité de la chose, mais pour montrer ce qu'il y a en elle de caché; parce que le sang du Christ est dans l'eucharistie d'une manière voilée et que la passion elle-même du Christ a été figurée aussi de la sorte dans l'Ancien Testament.

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Il faut répondre au sixième, qu'il est dit : Mystère de la foi, comme étant l'objet de la foi ; parce qu'il n'y a que la foi seule qui sache que le sang du Christ est véritablement dans l'eucharistie, et parce que c'est aussi par la foi que la passion du Christ justifie. On appelle le baptême le sacrement de la foi, parce qu'il est une protestation de la foi; mais on dit que l'eucharistie est le sacrement de la charité, en raison de ce qu'elle figure et de ce qu'elle produit.

(1) Par opposition à l'Ancien Testament qui avait été donné auparavant et qui ne délivrait pas l'homme de son ancien état de péché.

37
Il faut répondre au septième, que, comme nous l'avons dit (in respons. ad 2), le sang consacré séparément du corps représente plus expressément la passion du Christ. Et c'est pour ce motif que dans la consécration du sang il est fait mention de la passion du Christ et de ses fruits plutôt que dans la consécration du pain.

38
Il faut répondre au huitième, que le sang de la passion du Christ a été efficace non-seulement pour les Juifs choisis auxquels a été donné le sang de l'Ancien Testament, mais encore pour les gentils-, non-seulement pour les prêtres qui consacrent ce sacrement ou pour les autres qui le reçoivent, mais encore pour ceux pour lesquels il est offert. C'est pourquoi il est dit expressément : Pour vous, Juifs, et pour beaucoup, c'est-à-dire pour les gentils ; ou bien pour vous qui le mangez, et pour beaucoup pour lesquels il est offert.

39
Il faut répondre au neuvième, que les évangélistes n'ont pas eu l'intention de donner les formes des sacrements qui dans la primitive Eglise devaient rester secrètes, comme le dit saint Denis (De eccies. hierarch. cap. 7), mais ils ont voulu raconter l'histoire du Christ. Cependant on peut retrouver presque toutes ces expressions dans les divers endroits de l'Ecriture. Car ces paroles: Ceci est le calice, se trouvent (Lc 22 et 1Co 21). Dans saint Matthieu (26) il est dit : Ceci est mon sang, le sang du Nouveau Testament qui va être répandu pour beaucoup, pour la rémission des péchés. Quant aux mots éternel et mystère de foi, ils viennent delà tradition (1) du Seigneur, qui est parvenue à l'Eglise par les apôtres, d'après ces paroles de saint Paul (1Co 11,23) : C'est du Seigneur que j’ai reçu ce que je vous ai transmis.




III Pars (Drioux 1852) 1560