III Pars (Drioux 1852) 1564

ARTICLE IV. — DANS LES PAROLES DE CES DEUX FORMULES Y A-T-IL UNE VERTU CRÉÉE QUI SOIT LA CAUSE EFFICIENTE DE LA CONSÉCRATION (2) ?

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1 Il semble qu'il n'y ait pas dans les paroles de ces deux formules une puissance créée qui soit la cause efficiente de la consécration. Car saint Jean Damascène dit (Orth. fid. lib. iv, cap. 14): que c'est par la seule vertu de l'Esprit-Saint que s'opère la conversion du pain au corps du Christ. Or, la vertu de l'Esprit-Saint est la vertu incréée. Donc ce sacrement n'est point produit par la vertu créée de ces paroles.

2
Les oeuvres miraculeuses ne sont pas produites par une vertu créée, mais par la seule vertu divine, comme nous l'avons vu (part. I, quest. ex, art. 4). Or, la conversion du pain et du vin au corps et au sang du Christ est une oeuvre qui n'est pas moins miraculeuse que la création du monde, ou la formation du corps du Christ dans le sein d'une vierge; ce qui ne peut être produit par aucune vertu créée. Ce sacrement n'est donc pas consacré par la vertu créée de ces paroles.

3
Ces formules ne sont pas simples, mais composées de beaucoup de mots; on ne les prononce pas simultanément, mais successivement. La conversion qui s'opère étant instantanée, comme nous l'avons dit (quest. lxxv, art. 7), il faut donc qu'elle soit produite par une vertu simple et par conséquent qu'elle ne le soit pas par la vertu de ces paroles.

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Mais c'est le contraire. Saint Ambroise dit (De sacr. lib. iv, cap. 4) : Si les paroles de Jésus-Christ ont tant de force qu'elles donnent l'être à ce- qui n'existait pas, à plus forte raison doivent-elles faire que les choses qui étaient existent et qu'elles soient changées en une autre. Par conséquent ce qui était du pain avant la consécration est le corps du Christ après, parce que la parole du Christ change une créature en autre ehose.

(i) Ce serait une Lien grande faute, dit Mgr Gousset, que de substituer une autre forme eucharistique à celle du missel romain, sous prétexte que celle-ci n'est pas entièrement tirée de l'Ecriture sainte, de supprimer, par exemple, les mots oeterni et mysterium fidei, que nous tenons de la tradition.
(2) Cette question revient à ce que nous avons dit sur la manière dont les sacrements produisent la grâce, s'ils la produisent physiquement ou moralement (Vov. tom. Vi, pag. 502 et b03).


CONCLUSION. — Le sacrement de l'eucharistie étant plus noble que les autres, il est nécessaire que les paroles formelles de ce sacrement aient une vertu créée qui produise la consécration.

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Il faut répondre qu'il y en a qui ont prétendu qu'il n'y avait aucune vertu créée, ni dans les formes que nous avons citées (art. 2 et 3), pour produire la transsubstantiation, ni dans les autres formes des sacrements, et qu'il n'y en avait même pas dans les sacrements eux-mêmes pour produire leurs effets; ce qui est contraire, comme nous l'avons vu (quest. lxii, art. \, 3 et 4), aux sentiments des Pères et ce qui déroge à la dignité des sacrements de la loi nouvelle. — Par conséquent, puisque l'eucharistie est un sacrement plus noble que les autres, comme nous l'avons dit (quest. lxv, art. 3), il s'ensuit que dans les paroles formelles de ce sacrement, il y a une vertu créée pour produire la conversion qui s'y opère; mais cette vertu est instrumentale, comme dans les autres sacrements, ainsi que nous l'avons vu (quest. lxii, art. i, 3 et 4). Car, puisque ces paroles sont prononcées en la personne du Christ, c'est par son ordre qu'elles reçoivent de lui une vertu instrumentale ; comme toutes ses autres actions ou toutes ses autres paroles ont instrumentalement une vertu salutaire, ainsi que nous l'avons dit (ibid.).

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Il faut répondre au -premier argument, que quand on dit que c'est par la seule vertu de l'Esprit-Saint que le pain est converti au corps du Christ, on n'exclut pas la vertu instrumentale qui est dans la forme de ce sacrement ; comme quand on dit qu'il n'y a qu'un coutelier qui fasse des couteaux, on n'exclut pas la vertu du marteau.

32
Il faut répondre au second, qu'aucune créature ne peut faire des oeuvres miraculeuses, comme agent principal, mais elle peut en faire instrumentalement. C'est ainsi que le contact de la main du Christ a guéri le lépreux. Les paroles du Christ changent de cette manière le pain au corps du Christ ; ce qui n'a pu avoir lieu dans la conception du corps du Christ, car il ne pouvait rien alors sortir de son corps qui eût une vertu instrumentale capable de le former (1). Dans la création, il n'y a rien eu non plus sur lequel l'action instrumentale de la créature pût s'appuyer et qu'elle put avoir pour terme. Par conséquent, il n'y a pas de parité.

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Il faut répondre au troisième, que ces paroles par lesquelles se fait la consécration opèrent sacramentellement. Par conséquent, la puissance de conversion qui existe dans ces formules résulte de la signification qui est complète quand la dernière parole est prononcée. C'est pourquoi, au dernier instant où l'on prononce les paroles, ces formules obtiennent cette vertu, mais par rapport à ce qui précède; et cette vertu est simple en raison de la chose signifiée qui est simple, quoiqu'il y ait quelque chose de composé dans les paroles qu'on prononce extérieurement.



ARTICLE V. — les paroles consécratoires sont-elles vraies ?

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1 Il semble que les paroles consécratoires ne soient pas véritables. Car, quand on dit : Ceci est mon corps, le mot ceci est déterminatif de la substance. Or, d'après ce que nous avons dit (art. 2), quand on prononce ce

(i) Car il n'r a rien qui se produise soi-même.

pronom hoc, la substance du pain est encore là; parce que la transsubstantiation se fait au dernier instant où l'on prononce les paroles. Et comme il est faux de dire : Le pain est le corps du Christ, il est donc faux aussi de dire : Ceci est mon corps.

2
Le pronom ceci fait une démonstration qui se rapporte aux sens. Or, les espèces sensibles qui sont dans l'eucharistie ne sont pas le corps lui- même du Christ, ni les accidents du corps du Christ. Cette manière de parler ne peut donc pas être vraie : Ceci est mon corps.

3
Ces paroles, comme nous l'avons dit (art. préc.), produisent, par leur signification, la conversion du pain au corps du Christ. Or, la cause efficiente se conçoit avant l'effet. La signification de ces paroles se conçoit donc avant la conversion du pain au corps du Christ. Et comme avant la conversion cette proposition est fausse : Ceci est mon corps, on doit donc juger absolument qu'elle est fausse, et il en est de même de cette formule : Ceci est le calice de mon sang, etc.

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Mais c'est le contraire. Ces paroles sont prononcées par le prêtre en la personne du Christ, qui dit de lui-même (Jn 14,6) : Je suis la vérité.


CONCLUSION. — Puisque les paroles de la consécration ont la vertu de produire ce qu'elles signifient, et que le mot ceci démontre la substance sans déterminer sa nature propre, on doit croire qu'elles sont très-véritables.

ti) Comme on -pourrait par exemple rapporter les paroles par lesquelles Dieu a créé la lumière. Ces paroles ne produiraient pas la lumière, mais elles donneraient à entendre que la lumière a été produite par elles.

21 Il faut répondre qu'à cet égard il y a eu beaucoup d'opinions différentes. En effet, il y en a qui ont dit que dans cette formule : Ceci est mon corps, le mot ceci implique la démonstration selon qu'elle est conçue dans l'entendement et non selon qu'elle est appliquée ; parce que toute cette formule se prend matériellement, puisqu'on la prononce à la manière d'une chose qu'on raconte (1). Car le prêtre rapporte que le Christ a dit : Ceci est mon corps. Mais ce sentiment n'est pas soutenable, parce que, d'après cela, ces paroles ne seraient pas appliquées à la matière corporelle qui est présente, et par conséquent le sacrement ne serait pas produit. Car saint Augustin dit (Sup. Jean, tract, lxxx) : La parole s'ajoute à l'élément et le sacrement est produit. En outre, on n'évite pas totalement par là la difficulté de cette question; parce que les mêmes raisons subsistent à l'égard de la première fois où le Christ a prononcé ces paroles. C'est pourquoi il est évident qu'elles n'ont pas été prises matériellement, mais significativement. Par conséquent on doit dire aussi que quand le prêtre les prononce, elles sont prises significativement et qu'elles ne le sont pas seulement d'une manière matérielle. Peu importe d'ailleurs que le prêtre les prononce à la façon d'une chose qu'on rapporte, comme ayant été dites par le Christ; parce qu'en raison de la vertu infinie du Christ, comme le contact de sa chair a communiqué une puissance régénératrice, non-seulement à ces eaux qui ont touché le Christ, mais encore à toutes les eaux qui sont sur la terre et qui existeront dans tous les sièges futurs, de même de ce que le Christ a prononcé ces paroles, elles ont acquis une puissance consécratoire qu'exerce tout prêtre qui les prononce, absolument comme si le Christ était présent et qu'il les prononçât lui-même. — C'est pourquoi d'autres ont dit que dans cette formule, le mot ceci fait une démonstration non pour les sens, mais pour l'entendement, de telle sorte que le sens de ces paroles : Ceci est mon corps, est celui-ci : ce qui est signifié par cela est mon corps. Mais ce sentiment est également insoutenable. Car, puisque dans les sacrements ce qui est signifié est produit, cette formule ne ferait pas que le corps du Christ existât véritablement dans l'eucharistie, mais qu'il y fût seulement comme dans un signe, ce qui est hérétique (1), comme nous l'avons dit (quest. lxxv, art. 4). — C'est ce qui a fait dire à d'autres que le mot ceci fait une démonstration qui se rapporte aux sens. Mais cette démonstration s'entend, non de l'instant où l'on prononce cette parole, mais du dernier instant où la parole est proférée -, comme quand on dit : maintenant je me tais; l'adverbe maintenant fait une démonstration pour l'instant qui suit immédiatement cette parole. Car cette proposition signifie : immédiatement après avoir dit ces mots, je me tais. Mais ce sentiment n'est pas non plus solide; parce que dans cette hypothèse le sens de cette formule serait celui-ci : Mon corps est mon corps (2), et ce n'est pas là ce que produit la formule dont nous parlons, parce que ce corps a été le corps du Christ avant que ces paroles fussent prononcées, et par conséquent ce n'est pas là ce qu'elles signifient. — Il faut donc dire, comme nous l'avons fait (art. préc.), que cette formule a une vertu qui produit la conversion du pain au corps du Christ. C'est pourquoi elle est aux autres formules qui n'ont qu'une puissance significative et non opérative, ce que la conception de l'intellect pratique qui opère les choses est à la conception de notre intellect spéculatif qui vient des choses elles- mêmes. Car les mots sont les signes des pensées, d'après Aristote (Periherm. lib. i, in princ.). C'est pour cette raison que, comme la conception de l'intellect pratique ne présuppose pas la chose conçue, mais la fait; de même la vérité de cette formule ne présuppose pas la chose signifiée, mais elle la produit. Car c'est ainsi que le Verbe de Dieu se rapporte aux choses faites par lui. Toutefois cette conversion ne se faisant pas successivement, mais instantanément,
comme nous l'avons dit (quest.. lxxv, art. 7), il s'ensuit qu'on doit comprendre que cette formule opère ce qu'elle signifie au dernier instant où les paroles sont prononcées, non pas cependant de telle sorte qu'on présuppose de la part du sujet ce qui est le terme de la conversion, c'est-à-dire que le corps du Christ est le corps du Christ, ni ce qui a été avant la conversion, c'est-à-dire le pain; mais ce qui se rapporte d'une manière commune à l'un et à l'autre, c'est-à- dire ce qui est contenu en général sous ces espèces. Car ces paroles ne font pas que le corps du Christ soit le corps du Christ, ni que le pain soit le corps du Christ, mais que ce qui est contenu sous ces espèces et qui était auparavant du pain, soit le corps du Christ. C'est pourquoi le Seigneur ne dit pas expressément : Ce pain est mon corps, ce qui reviendrait au sens de la seconde opinion; ni : Ce corps qui est te mien est mon corps, ce qui retomberait dans la troisième: mais il dit en général : Ceci est mon corps, sans ajouter aucun nom du côté du sujet, mais en employant seulement le pronom qui signifie la substance en général; sans qualité, c'est- à-dire sans forme déterminée (3).

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Il faut répondre au premier argument, que le mot ceci désigne la substance, mais sans déterminer sa nature propre, comme nous l'avons dit (in corp. art.).

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Il faut répondre au second, que le pronom ceci ne désigne pas les accidents, mais la substance contenue sous les accidents, qui fut d'abord du pain, et qui est ensuite le corps du Christ, lequel, quoique ces accidents ne lui appartiennent pas, est cependant contenu sous eux.

(I) Cette erreur a été renouvelée par les réformateurs modernes, qui ont nié la présence réelle du Christ dans l'eucharistie et qui ont voulu faire de cc sacrement un signe ou une ligure.

i (2) Cela reviendrait à cette tautologie : Le corps du Christ est le corps du Christ.

(3) Ainsi le mot hoc est pris substantivement et il démontre d'une manière indéterminée la substance contenue sous les espèces du pain.

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Il faut répondre au troisième, que la signification de cette formule est conçue avant la chose signifiée (1) dans l'ordre de la nature, comme la cause est naturellement avant l'effet. Mais il n'en est pas de même dans l'ordre du temps, parce que cette cause se produit simultanément avec son effet, et cela suffit pour que la formule soit vraie.



ARTICLE VI. — la forme de la consécration dit pain produit-elle son effet, avant que la forme de la consécration du vin soit prononcée?

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1 Il semble que la forme de la consécration du pain ne produise pas son effet tant que la forme de la consécration du vin n'est pas prononcée. Car, comme le corps du Christ commence à être dans l'eucharistie par la consécration du pain; de même son sang commence à y être par la consécration du vin. Si donc les paroles de la consécration du pain produisaient leur effet avant la consécration du vin, il s'ensuivrait que le corps du Christ commencerait à être dans ce sacrement sans le sang; ce qui répugne.

2
Un sacrement qui est un n'a qu'un seul complément. Par conséquent, quoique dans le baptême il y ait trois immersions, la première cependant n'obtient pas son effet avant que la troisième soit terminée. Or, ce sacrement tout entier est un, comme nous l'avons dit (quest. lxxiii, art. 2). Les paroles par lesquelles on consacre le pain n'obtiennent donc pas leur effet sans les paroles sacramentelles par lesquelles on consacre le vin.

3
Dans la forme même de la consécration du pain, il y a plusieurs paroles dont les premières ne produisent leur effet que quand la dernière est prononcée, comme nous l'avons dit (art. 4 huj. quaest. ad 3). Pour la même raison les paroles par lesquelles on consacre le corps du Christ, ne produisent leur effet qu'autant qu'on a prononcé les paroles par lesquelles le sang est consacré.

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Mais c'est le contraire. Immédiatement après avoir prononcé les paroles de la consécration du pain, on présente l'hostie consacrée à l'adoration du peuple; ce qu'on ne ferait pas, si le corps du Christ n'y était pas, parce que ce serait un acte d'idolâtrie. Les paroles de la consécration du pain produisent donc leur effet, avant qu'on ne prononce celles de la consécration du vin.


CONCLUSION.— Les paroles de la consécration du pain produisent leur effet, avant que celles de la consécration du vin soient prononcées.

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Il faut répondre qu'il y a des anciens docteurs qui ont dit que ces deux formes, celles de la consécration du pain et du vin, s'attendent réciproquement pour agir; de telle sorte que la première ne produit pas son effet, avant que la seconde soit prononcée. Mais cette opinion ne peut se soutenir parce que, comme nous l'avons dit (art. 2 et 5 huj. quaest.), pour que cette formule : Ceci est mon corps soit vraie, il est nécessaire, à cause que le verbe est au présent, que la chose signifiée existe simultanément dans le temps avec la signification même de la formule : autrement, si la chose signifiée était attendue pour l'avenir, on devrait mettre le verbe au futur, mais non au présent, de telle sorte qu'au lieu de dire : Ceci est mon corps, il faudrait : Ceci sera mon corps. Mais comme la signification de cette formule est complète, aussitôt qu'on a achevé ces paroles, il s'ensuit qu'il faut que la chose signifiée soit présente immédiatement ; ce qui est l'effet de ce sacrement ; autrement la formule ne serait pas vraie. Cette hypothèse est aussi contraire au rite de l'Eglise qui adore le corps du Christ, immédiatement après que l'on a prononcé les paroles. D'où il faut dire que la première forme n'attend pas la seconde pour agir, mais qu'elle produit immédiatement son effet.

(t) Ou opérée.

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Il faut répondre au premier argument, que ceux qui ont fait cette supposition paraissent avoir été induits en erreur par ce raisonnement. Par conséquent on doit comprendre qu'après la consécration du pain, le corps du Christ est là par la force du sacrement et son sang par la concomitance réelle ; tandis qu'au contraire, par la consécration du vin le sang du Christ est là par la force du sacrement et son corps par la concomitance réelle : de telle sorte que le Christ est tout entier sous l'une et l'autre espèce, comme nous l'avons dit (quest. lxxvi, art. 2).

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Il faut répondre au second, que ce sacrement est un de l'unité de perfection, comme nous l'avons vu (quest. lxxiii, art. 2), en tant qu'il est formé de deux choses, de l'aliment et de la boisson, dont l'une et l'autre a par elle- même sa perfection (4) : au lieu que les trois immersions du baptême se rapportent à un seul et simple effet. C'est pourquoi il n'y a pas de parité.

33
Il faut répondre au troisième, que les différentes paroles qui sont dans la forme de la consécration du pain constituent la vérité d'une seule et même formule (2) -, mais il n'en est pas de même des paroles qui appartiennent à des formules diverses. C'est pour cela qu'il n'y a pas de parité.




QUESTION 79: DES EFFETS DU SACREMENT DE L'EUCHARISTIE.

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Nous devons ensuite nous occuper des effets de l'eucharistie. — A cet égard il y a huit questions à examiner: 1° Ce sacrement confère-t-il la grâce? — 2° L'effet de ce sacrement est-il l'acquisition de la gloire? — 3° Ce sacrement a-t-il pour effet la rémission du péché mortel? —4° Remet-il le péché véniel? — 5" Remet-il toute la peine du péché? — 6° Préserve-t-il les hommes des péchés à venir? — 7° Ce sacrement sert-il à d'autres qu'à ceux qui le prennent? — 8° De ce qui empêche l'effet de ce sacrement.



ARTICLE I. — l'eucharistie confère-t-elle la grâce (3)?

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1 Il semble que l'eucharistie ne confère pas la grâce. Car ce sacrement est une nourriture spirituelle, et une nourriture ne se donne qu'à celui qui est vivant. Par conséquent, puisque la vie spirituelle existe par la grâce, ce sacrement ne convient qu'à celui qui a déjà la grâce. Il ne la confère donc pas pour qu'on commence à l'avoir (4), et il n'a pas non plus pour but de l'augmenter, parce que l'accroissement spirituel appartient au sacrement de confirmation, comme nous l'avons dit (quest. lxxii, art. 1). La grâce n'est donc pas conférée par ce sacrement.

2
L'eucharistie est considérée comme une réfection spirituelle. Or, la réfection spirituelle paraît plus appartenir à l'usage de la grâce qu'à sa collation. Il semble donc que la grâce ne soit pas conférée par ce sacrement.

n'est ni utile, ni inutile, et des arméniens qui pré- tendaient qu'elle n’était utile qu'au salut du corps; ce qui est condamné par le concile de Trente, qui a défini que l'eucharistie était ni le sacrement de la loi nouvelle, et que tous les sacrements de la loi nouvelle produisent la grâce (sess, vii, can. 1 et6)."

(•i) C'est ce qu'on appelle la première grâce sanctifiante.

3
Comme nous l'avons dit (quest. lxxiv, art. 2, et quest. lxxvi, art. 1 ad 2), dans l'eucharistie le corps du Christ est offert pour le salut du corps et le sang pour le salut de l'âme. Or, ce n'est pas le corps qui est le sujet de la grâce, mais l'âme, ainsi que nous l'avons vu(l* 2", quest. ex, art. 4). Par conséquent, ce sacrement ne confère pas la grâce, du moins quant au corps.

20
Mais c'est le contraire. Le Seigneur dit (Jn 6,52) : Le pain que je donnerai, c'est ma chair pour la vie du monde. Or, la vie spirituelle existe par la grâce. La grâce est donc conférée par ce sacrement.



CONCLUSION.— Il est nécessaire que le sacrement de l'eucharistie confère la grâce, puisqu'il contient le Christ qui est la source et l'origine de toute grâce.

21 Il faut répondre que l'effet du sacrement de l'eucharistie doit se considérer premièrement et principalement en raison de ce qu'il renferme le Christ. Comme en venant visiblement dans le monde, il a conféré au monde la vie de la grâce, d'après ces paroles (Jn 1,17) : C'est Jésus-Christ qui a apporté la grâce et la vérité ; de même en venant dans l'homme sacramentellement il v opère la vie de la grâce, suivant ces autres paroles (Jn 6,58) : Celui qui me mange, vivra à cause de moi. C'est ce qui fait dire à saint Cyrille (similis multa hab. lib* iv, in Jean. cap. 2 et 3, et hab. expres. in Cat. aur. D. Th. super hunc locum) : Le Verbe vivifiant de Dieu en s'unissant à notre propre chair l'a rendue vivifiante elle-même. Car il convenait qu'il s'unît d'une certaine manière à nos corps par sa chair sacrée et son sang précieux, que nous recevons dans le pain et le vin comme une bénédiction qui nous vivifie. 2° On le considère selon que ce sacrement représente ce qu'est la passion du Christ, comme nous l'avons dit (quest. lxxiv, art. 1, et quest. lxxvi, art. 2 adi). C'est pourquoi il produit dans l'homme l'effet que la passion du Christ a produit dans le monde. C'est ce qui fait dire à saint Chrysostome (Hom. lxxxiv in ), à l'occasion de ces paroles (Jean, xix): Continuo exivit sanguis et aqua : Puisque c'est de là que les sacrés mystères tirent leur origine, quand vous vous approchez de ce redoutable calice, approchez-vous-en comme si vous deviez boire au côté du Christ. D'où le Seigneur dit lui-même (Mt 26,28) : Ceci est mon sang, qui sera répandu pour vous pour la rémission des péchés. 3° On considère l'effet de ce sacrement d'après la manière dont il nous est donné, et il l'est à la façon d'un aliment et d'un breuvage. C'est pourquoi, tout l'effet que produisent la nourriture et le breuvage matériels quant à la vie du corps, en le sustentant, en lui donnant l'accroissement, en le réparant et en le délectant, l'eucharistie le produit tout entier relativement à la vie spirituelle (1). D'où saint Ambroise dit (De sacr. lib. v, cap. 4) : Ce pain est celui de la vie éternelle et il soutient la substance de notre âme. Et saint Chrysostome ajoute (Sup. Jean. hom.xLv):Il se donne à nous qui le désirons pour être palpé, mangé et embrassé. D'où le Seigneur dit lui-même (Jn 6,56) : Ma chair est véritablement une nourriture, et mon sang est véritablement un breuvage. 4° On considère son effet d'après les espèces sous lesquelles ce sacrement est conféré. C'est ce qui fait dire à saint Augustin (Tract, xxvi in fin. ) : Notre- Seigneur a mis son corps et son sang sous ces choses (2), qui de multiples

(2) Le concile de Trente rend ainsi la même pensée : Adeo symbolum unius illius corporis, cujus ipse caput existit, cuique nos tanquam arctissimae fidei, spei et cliaritatis connexione adstrictos esse voluit : ut idipsum omnes diceremus et non essent in nobis schismata (sess, xiii, cap. 2).

qu'elles étaient sont ramenées à quelque chose d'un; car l'une, c'est-à-dire le pain, est formée de plusieurs grains dont on n'a fait qu'une seule chose, et l'autre, c'est-à-dire le vin, est produit par plusieurs raisins qui n'ont donné qu'une seule liqueur. C'est pourquoi il dit ailleurs ( Sup. Jean, tract, xxvi, int. fin. et med. ) : O sacrement d'amour, ô .signe de l'unité, ô lien de la charité. — Et comme le Christ et sa passion sont cause de la grâce, et que la réfection spirituelle et la charité ne peuvent exister sans elle, il est évident d'après tout ce que nous venons de dire que ce sacrement la confère.

31 Il faut répondre au premier argument, que l'eucharistie a par elle-même la vertu de conférer la grâce, et on n'a la grâce, avant de recevoir ce sacrement, qu'autant qu'on a le désir de le recevoir, soit par soi-même, comme les adultes, soit par l'intermédiaire de l'Eglise, comme les petits enfants, ainsi que nous l'avons dit (quest. lxxiii, art. 3). Par conséquent c'est déjà une preuve de l'efficacité de sa vertu, qu'il faille le désirer pour obtenir la grâce par laquelle on est vivifié spirituellement. De plus il arrive que quand on le reçoit réellement, la grâce est augmentée et la vie spirituelle perfectionnée. Mais ceci se fait autrement que par le sacrement de confirmation, dans lequel la grâce est augmentée et perfectionnée pour résister aux attaques extérieures des ennemis du Christ, au lieu que par l'eucharistie la grâce est augmentée et la vie spirituelle perfectionnée pour que l'homme soit parfait en lui-même par son union avec Dieu.

32
Il faut répondre au second, que l'eucharistie confère la grâce spirituellement avec la vertu de la charité. D'où saint Jean Damascène (Orth. fid. lib- iv, cap. i 4) compare ce sacrement au charbon qu'Isaïe a vu (Is 6). Car un charbon n'est pas simplement du bois, mais du bois uni au feu, de telle sorte que le pain de la communion n'est pas simplement du pain, mais qu'il est uni à la divinité. Or, selon la pensée de saint Grégoire (Hom. xxx in Evang.), l'amour de Dieu n'est pas oisif; car il opère de grandes choses quand il existe. C'est pour ce motif que, relativement à ce qui est de sa puissance, ce sacrement produit non-seulement l'habitude de la grâce et de la vertu, mais encore il excite à agir, d'après cette parole de saint Paul (2Co 5,14) : La charité du Christ nous presse. Et il résulte de là, que d'après la vertu de ce sacrement, l'âme est spirituellement fortifiée, par là même qu'elle est spirituellement délectée et en quelque sorte enivrée de la douceur de la bonté divine (1), suivant ces paroles (Ct 5,1): Mangez, mes amis, et buvez, et enivrez-vous, mes très-chers.

33 il faut répondre au troisième, que les sacrements opérant le salut qu'ils signifient, il s'ensuit que par analogie on dit que dans l'eucharistie le corps est offert pour le salut du corps, et le sang pour le salut de l'âme ; quoique l'un et l'autre opèrent pour le salut du corps et de l'âme, puisque le Christ est tout entier sous l'un et l'autre, comme nous l'avons dit (quest. lxxvi, art. 2). Et quoique le corps ne soit pas le sujet immédiat de la grâce, cependant l'effet de la grâce reflue de l'âme sur le corps (2), puisqu'ici- bas nous faisons de nos membres les armes de la justice de Dieu, selon l'expression de saint Paul (Rm 6), et que dans la vie future notre corps obtiendra l'incorruptibilité et la gloire de l'âme.

(2) l'eucharistie agit sur le corps en adoucissant l'ardeur de la concupiscence, et en excitant dans l'appétit sensitif de bonnes inclinations.



ARTICLE II — l'eucharistie a-t-elle pour effet l'acquisition de la gloire (1)?

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1 Il semble que l'effet de ce sacrement ne soit pas l'acquisition de la gloire. Car l'effet est proportionné à sa cause. Or, ce sacrement convient à ceux qui sont à l'état de voyageur; et c'est pour cela qu'on lui donne aussi le nom de viatique. Par conséquent, puisque ceux qui sont voyageurs ne sont pas encore capables de la gloire, il semble que ce sacrement n'ait pas pour effet l'acquisition de la gloire.

2
Quand on pose une cause suffisante, on pose l'effet. Or, il y en a beaucoup qui reçoivent ce sacrement et qui ne parviendront jamais à la gloire, comme le prouve saint Augustin (De civ. lib. xxi, cap. 25). Ce sacrement n'est donc pas la cause de l'acquisition de la gloire.

3
Le plus n'est pas produit par le moins, parce que rien n'agit au-delà de son espèce. Or, recevoir le Christ sous une espèce étrangère, comme on le fait dans l'eucharistie, c'est moins que d'en jouir dans son espèce propre, ce qui appartient à la gloire. Ce sacrement ne produit donc pas l'acquisition de la gloire.

20
Mais c'est le contraire. Saint Jean dit (6, 52) : Si quelqu'un mange de ce pain il vivra éternellement (2). Or, la vie éternelle est la vie de la gloire. L'effet de ce sacrement est donc l'acquisition de la gloire.



CONCLUSION. — Soit que l'on considère dans l'eucharistie le principe d'où elle tire son effet, c'est-à-dire le Christ et sa passion, soit que l'on considère l'usage du sacrement, elfe a pour effet l'acquisition de la vie éternelle.

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Il faut répondre que dans l'eucharistie on peut considérer le principe d'où elle tire son effet, c'est-à-dire le Christ qu'elle contient et sa passion qu'elle représente, et le moyen par lequel elle produit son effet, c'est-à- dire l'usage du sacrement et son espèce. Sous ce double rapport, il lui convient d'avoir pour effet l'obtention de la vie éternelle. Car le Christ nous a ouvert lui-même, par sa passion, l'entrée de la vie éternelle, d'après ces paroles (He 9,15) : Il est le médiateur du Testament nouveau, afin que la mort intervenant, ceux qui ont été appelés reçoivent l'héritage éternel qui leur a été promis. D'où il est dit dans la forme de ce sacrement : Ceci est le calice de mon sang, du nouveau et de l'éternel Testament. De même la réfection de l'aliment spirituel et l'unité signifiée par les espèces du pain et du vin existent ici-bas à la vérité, mais d'une manière imparfaite; tan- dis qu'elles existeront parfaitement dans l'état de la gloire. D'où saint Augustin dit (tract, xxvi ), sur ces paroles de saint Jean (vi) : Caro mea verè est cibus : Puisque les hommes n'usent du boire et du manger que pour n'avoir plus ni faim, ni soif, cet effet ne peut être véritablement obtenu que par cette nourriture et cette boisson qui rendent ceux qui les prennent immortels et incorruptibles dans la société des saints où il y aura une paix et une unité pleine et parfaite.

31 Il faut répondre au premier argument, que comme la passion du Christ, en vertu de laquelle l'eucharistie opère, est cause suffisante de la gloire, sans qu'elle nous y introduise immédiatement, mais qu'elle nous oblige néanmoins à souffrir d'abord avec le Christ pour être ensuite glorifiés avec lui, selon la pensée de saint Paul (Rom. viii); de même ce sacrement ne nous introduit pas immédiatement dans la gloire, mais il nous donne la vertu d'y parvenir, et c'est pour cela qu'on lui donne le nom de viatique. C'était pour figurer cet effet qu'il est dit ( III. Reg. xix, 8) : qu'Elie mangea et but, et qu'il marcha fortifié par cette nour- ?iture pendant quarante jours et quarante nuits jusqu'à Horeb, la montagne de Dieu.

(t) Le concile de Trente a également indiqué cet effet de l'eucharistie par ces paroles (sess, xiii, cap. 2) : Pignus praeterea ici esse voluit futurae nostrae gloriae et perpetuoe felicitatis.
(2) Et plus loin : Qui manducat meam carnem et bibit meum sanguinem, habet vitam aeternam, et ego ressuscitabo eum in novissimo die (ibid, do); Qui manducat meam carnem et bibit meum sanguinem, in me manet et ego in illo (ibid. o7).

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Il faut répondre au second, que de même que la passion du Christ n'a pas son effet dans ceux qui ne sont pas en rapport avec elle comme ils le doivent; ainsi ceux qui reçoivent mal l'eucharistie, n'obtiennent pas la gloire par ce sacrement. D'où saint Augustin expliquant ces paroles de saint Jean (loc. cit.), dit: Autre chose est le sacrement et autre chose la vertu du sacrement. Beaucoup reçoivent de l'autel et meurent en y participant. Mangez, donc spirituellement le pain céleste et apportez l'innocence à l'autel. Il n'est donc pas étonnant que ceux qui ne conservent pas leur innocence, ne reçoivent pas les effets de ce sacrement.

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Il faut répondre au troisième, que si le Christ est reçu sous une espèce étrangère, ceci appartient à la nature du sacrement qui agit instrumentalement. Mais rien n'empêche qu'une cause instrumentale produise un effet supérieur à elle, comme on le voit d'après ce que nous avons dit (quest. Lxxvn, art. 3 ad 3).




III Pars (Drioux 1852) 1564