III Pars (Drioux 1852) 1583

ARTICLE III. — l'effet de l'eucharistie est-il la rémission du péché mortel (1)?

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1 Il semble que l'eucharistie ait pour effet la rémission du péché mortel. Car il est dit dans une oraison : Que ce sacrement efface vos fautes. Or, on appelle ainsi (scelera) les péchés mortels. Ce sacrement les efface donc.

2
Ce sacrement agit en vertu de la passion du Christ, comme le baptême. Or, le baptême remet les péchés mortels, ainsi que nous l'avons dit ( quest. lxix, art. 1 ). L'eucharistie les remet donc aussi, surtout puisqu'il est dit dans la forme de ce sacrement : Qui sera répandu pour beaucoup pour la\ rémission des péchés.

3
La grâce est conférée par ce sacrement, comme nous l'avons dit (art. 4 huj. quaest.). Or, l'homme est justifié des péchés mortels par la grâce, d'après ces paroles de saint Paul (Rm 3, 2i) : Nous avons été gratuitement justifiés par sa grâce. Ce sacrement remet donc les péchés mortels.

20 Mais c'est le contraire. Sur ces paroles de saint Paul (1Co 11,29): Celui qui mange et boit indignement, mange et boit son jugement, la glose dit (Pet. Lombard.) : qu'il mange et boit indignement, celui qui est dans le péché mortel ou qui traite les choses saintes sans respect, et qu'il mange et boit son jugement, c'est-à-dire sa damnation. Par conséquent, celui qui est dans le péché mortel, s'il reçoit ce sacrement, ajoute donc à ses fautes, plutôt qu'il n'obtient la rémission de ses péchés.


CONCLUSION. — Puisque l'eucharistie est une nourriture spirituelle qui ne convient qu'aux vivants, elle charge donc l'âme de celui qui est dans le péché plus qu'elle ne la purifie, quoique du côté de la passion, d'où elle tire sa force, elle puisse remettre tous les péchés et qu'elle remette réellement le péché mortel dans celui qui la reçoit avec dévotion et respect sans avoir la conscience de son péché et sans avoir de l'affection pour lui.

biberit calicem Domini indigné, reus erit corporis et sanguinis Domini. Probet autem seipsum homo... qui enim manducat et bibit indigné, iudicium sibi manducat et bibit (I. Cor. xi, 27 et seq.).

21 Il faut répondre que la vertu de ee sacrement peut se considérer de deux manières: 1° En elle-même. De la sorte, l'eucharistie a la vertu de remettre toutes les fautes, et elle tire cette vertu de la passion du Christ, qui est la source et la cause de la rémission des péchés. 2° On peut la considérer par rapport à celui qui reçoit ce sacrement, suivant qu'il y a ou qu'il n'y a pas en lui d'obstacle qui l'empêche d'en recevoir les effets. Or, quiconque a la conscience d'être dans le péché mortel, a en lui même un obstacle qui l'empêche de recevoir les effets de ce sacrement, parce que ses dispositions ne sont pas convenables, soit parce qu'il ne vit pas spirituellement et que par conséquent il ne doit pas recevoir une nourriture spirituelle, qui n'appartient qu'à ceux qui sont vivants ; soit parce qu'il ne peut ôtre uni au Christ (ce que produit ce sacrement), tant qu'il est dans la disposition de pécher mortellement. C'est pour cela que, comme le dit Gennade (Lib* de ecdes. dogm. cap. 53): Si l'âme est dans l'affection du péché, la réception de l'eucharistie la charge plus qu'elle ne la purifie. Par conséquent, ce sacrement n'opère pas la rémission des fautes dans celui qui le reçoit avec la conscience qu'il est dans le péché mortel. — Cependant, il peut remettre le péché de deux manières : 1 ° Quand on ne le reçoit pas en acte, mais par désir, comme quand on est auparavant purifié de ses fautes. 2° Quand on le reçoit étant dans le péché mortel, mais sans avoir la conscience de cet état et sans avoir d'affection pour le péché. Car il peut se faire qu'on n'ait pas été d'abord suffisamment contrit; mais en s'approchant de l'eucharistie avec dévotion et révérence on obtiendra par ce sacrement la grâce de la charité, qui perfectionnera la contrition et produira la rémission des péchés (1).

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Il faut répondre au premier argument, que nous demandons que ce sacrement (2) efface les péchés mortels dont nous n'avons pas la conscience, d'après ces paroles (Ps. xviii, 13): Purifiez-moi, Seigneur, de mes péchés cachés, ou qu'elle perfectionne en nous la contrition pour la rémission de nos péchés, ou encore qu'elle nous donne la force d'éviter les fautes graves.

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Il faut répondre au second, que le baptême est la génération spirituelle qui est un mouvement du non-être spirituel à l'être spirituel, et il est donné par manière d'ablution. C'est pourquoi, sous ces deux rapports, il ne répugne pas que celui qui a la conscience d'être dans le péché mortel, approche du baptême. Mais par l'eucharistie l'homme reçoit en lui le Christ à la manière d'un aliment spirituel, ce qui ne convient pas à celui qui est mort dans le péché. Il n'y a donc pas de parité.

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Il faut répondre au troisième, que la grâce est une cause suffisante de la rémission du péché mortel. Cependant elle ne le remet pas en acte, si elle n'est donnée au pécheur, comme grâce première; et ce n'est pas de la sorte qu'elle est donnée dans l'eucharistie. Cette raison n'est donc pas concluante.



ARTICLE IV. — les péchés véniels sont-ils remis par l'eucharistie (3)?

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1 Il semble que l'eucharistie ne remette pas les péchés véniels. Car ce

la conversion et le pardon des pécheurs.

(3) Le concile de Trente exprime ainsi cet effet du sacrement (sess, xiii, cap. 2) : Salvator noster sumi voluit sacramentum hoc, tanquam antidotum, quo liberemur à culpis quotidianis et à peccatis mortalibus proeservemur. Ces fautes journalières sont évidemment les péchés véniels.

sacrement, comme le dit saint Augustin (Tract, xxvi in ), est le sacrement de la charité. Or, les péchés véniels ne sont pas contraires à la charité, comme nous l'avons vu (1*2", quest. lxxxviii, art. 1 et 2, et 2a 2", quest. xxiv, art. 10). Par conséquent, puisque le contraire est détruit par son contraire, il semble que ce sacrement ne remette pas les péchés véniels.

2
Si les péchés véniels sont remis par l'eucharistie, parla raison qu'elle en remet un elle les remet aussi tous. Or, il ne semble pas qu'elle les remette tous, parce qu'alors on se trouverait souvent absolument sans péché véniel, contrairement à ces paroles de saint Jean (1. Jean,1, 8) : Si nous disons que nous n’avons pas de péché, nous nous abusons. Ce sacrement ne remet donc aucun péché véniel.

3
Les contraires se repoussent mutuellement. Or, les péchés véniels n'empêchent pas de recevoir l'eucharistie. Car, sur ces paroles de saint Jean (6) : Vos pères ont mangé la manne dans le désert et sont morts, saint Augustin dit (Tract, xxvi, par. ant. med.) : Présentez-vous à l'autel avec innocence, et que vos péchés, quoiqu'ils soient quotidiens, ne vous donnent pas la mort. Les péchés véniels ne sont donc pas effacés par ce sacrement.

20
Mais c'est le contraire. Innocent III dit (De myst. Mis. lib. iv, cap. 44) que l'eucharistie efface les péchés véniels et prémunit contre les péchés mortels.



CONCLUSION. — Puisque l'eucharistie est une nourriture spirituelle par laquelle on répare ce que la chaleur de la concupiscence fait perdre au moyen des péchés véniels, il est évident que les péchés véniels sont remis par sa vertu.

21
Il faut répondre que dans l'eucharistie on peut considérer deux choses, le sacrement lui-même et la chose du sacrement. Sous ces deux rapports il est évident que ce sacrement a la vertu de remettre les péchés véniels. Car on le reçoit sous l'espèce d'un aliment qui nourrit. Or, la nourriture est nécessaire au corps pour réparer ce que l'on perd chaque jour par l'action de la chaleur naturelle. Sous le rapport spirituel, il y a chaque jour en nous une déperdition qui résulte de la chaleur de la concupiscence, au moyen des péchés véniels qui diminuent la ferveur de la charité, comme nous l'avons vu (II-II, quest. xxiv, art. 10). C'est pourquoi il convient à ce sacrement de remettre les péchés véniels. D'où saint Ambroise dit (De sacr. lib. v, cap. 4) que l'on prend ce pain quotidien pour remédier à l'infirmité de chaque jour. La chose de ce sacrement est la charité, qu'il excite en nous non-seulement quant à l'habitude, mais encore quant à l'acte qui efface les péchés véniels. Il est donc évident que les péchés véniels sont remis par la vertu de ce sacrement (1).

Ce sentiment est celui de saint Liguori, de saint Antonin, de Bellarmin, de Snarcz, de Syl- vius, de Noël Alexandre, deBilluart, et il est le plus communément suivi par les théologiens.

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Il faut répondre au premier argument, que les péchés véniels, quoiqu'ils ne soient pas contraires à la charité, quant à l'habitude, lui sont cependant contraires quant à la ferveur de l'acte que l'eucharistie excite, et c'est en raison de cet acte qu'ils sont effacés.

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Il faut répondre au second, que ces paroles ne signifient pas que l'homme ne puisse être en aucun temps sans péché véniel, mais que les saints ne passent pas leur vie sans commettre de péchés véniels (2).

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Il faut répondre au troisième, que la vertu de la charité, dont ce sacrement porte le nom, est plus grande que la vertu des péchés véniels. Car la charité enlève par ses actes les péchés véniels, tandis qu'ils ne peuvent pas totalement l'empêcher d'agir, et il en est de même de l'eucharistie

tière au moins sans faire des péchés véniels, sans un privilège spécial de Dieu : Si quis hominem semel iustificatum dixerit... posse in tota vita ¦ peccata omnia, etiam venialia, vitare, nisi ex speciali Dei privilegio... anathema sit.



ARTICLE V. — toute la peine du péché est-elle remise par ce sacrement?

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1 Il  semble que toute la peine du péché soit remise par l'eucharistie. Car l'homme reçoit en lui-même par ce sacrement l'effet de la passion du Christ, comme nous l'avons dit (art. 1 et 2), comme il le reçoit par le baptême. Or, par le baptême il reçoit la rémission de toute la peine en vertu de la passion du Christ, qui a suffisamment satisfait pour tous les péchés, comme on le voit d'après ce que nous avons dit (quest. lxix , art. 2). Il semble donc que ce sacrement remette à l'homme toute la peine due au péché.

2
Le pape Alexandre Ier dit (Epist, ad omnes orth. post med. et hab. De consecrat, cap. 8,dist. 2) qu'il ne peut rien y avoir de plus grand dans les sacrifices que le corps et le sang du Christ. Or, l'homme satisfaisait pour ses péchés par les sacrifices de l'ancienne loi. Car il est dit (Lev. iv et v) : Si l'homme a péché et qu'il fasse tel ou tel sacrifice, ses péchés lui seront remis. Donc, à plus forte raison, l'eucharistie est-elle plus efficace pour remettre toute la peine du péché.

3
Il est constant que l'eucharistie remet quelque chose de la peine due au péché. Ainsi, on enjoint à certaines personnes de faire célébrer pour elles des messes à titre de satisfaction. Or, la raison qui fait qu'on obtient la remise d'une partie de la peine, fait qu'on peut en obtenir une autre partie; et puisque la vertu du Christ qui est contenue dans ce sacrement est infinie, il semble donc qu'il remette la peine tout entière.

20
Mais c'est le contraire. Car, d'après cela, on ne devrait pas enjoindre à l'homme une autre peine, comme on n'en impose pas à celui qui est baptisé.


CONCLUSION. — Toute la peine due au péché n'est pas effacée par le sacrement de l'eucharistie, mais, selon l'étendue de la dévotion de ceux qui le reçoivent, il diminue ou il remet une certaine partie de la peine due à leurs péchés.

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Il faut répondre que l'eucharistie est tout à la fois un sacrifice et un sacrement. Elle est un sacrifice en tant qu'on l'offre, et elle est un sacrement en tant qu'on la reçoit. C'est pourquoi elle produit l'effet du sacrement dans celui qui la reçoit, et l'effet du sacrifice dans celui qui l'offre ou dans ceux pour lesquels elle est offerte. Si donc on la considère comme sacrement, elle produit deux sortes d'effets : l'un direct par la force du sacrement; l'autre comme par concomitance, ainsi que nous l'avons dit à l'égard de ce que le sacrement contient (quest. lxxvi, art. 1 et 2). Par la force du sacrement, elle produit directement l'effet pour lequel elle a été instituée. Or, elle n'a pas été établie pour satisfaire, mais pour nourrir spirituellement ceux qui la reçoivent, par l'union du Christ avec ses membres ; comme la nourriture s'unit à celui qu'elle nourrit. Mais parce que cette unité est produite par la charité, dont la ferveur fait obtenir non-seulement la rémission de la faute, mais encore de la peine, il s'ensuit que par concomitance avec son effet principal l'homme obtient la remise, non de la peine entière, mais d'une partie proportionnée à sa dévotion et à sa ferveur. — Comme sacrifice, l'eucharistie a une puissance satisfactoire. Mais dans la satisfaction on considère plutôt l'affection de celui qui offre que l'étendue de son oblation. C'est pour cela que le Seigneur dit (Lc 21) de la veuve qui offrit deux oboles, qu'elle a donné plus que tous les autres. Ainsi, quoique cette oblation suffise par elle-même pour satisfaire pour toute peine, néanmoins elle n'est satisfactoire que pour ceux pour lesquels elle est offerte ou pour ceux qui l'offrent en raison de l'étendue de leur dévotion, et elle ne leur remet pas leur peine tout entière.

31 Il faut répondre au premier argument, que le sacrement de baptême a directement pour but la rémission delà peine et de la faute, mais il n'en est pas de même de l’eucharistie, parce qu'on donne le baptême à l'homme qui meurt pour ainsi dire avec le Christ; au lieu que l'eucharistie lui est donnée comme une nourriture qui le perfectionne par le Christ. Il n'y a donc pas de parité.

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Il faut répondre au second, que ces sacrifices et ces oblations n'opéraient pas la remise de toute la peine, ni par rapport à la valeur de la chose offerte (comme le fait ce sacrifice), ni par rapport à la dévotion de l'individu, qui est cause que maintenant encore la peine n'est pas remise tout entière.

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Il faut répondre au troisième, que si la peine n'est pas remise tout entière par l'eucharistie et si elle n'en remet qu'une partie, on ne doit pas l'attribuer à l'impuissance de la vertu du Christ, mais au défaut de dévotion de la part de l'homme.



ARTICLE VI. —l'homme est-il préservé par l'eucharistie des péchés à venir (1)?

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1 Il semble que l'homme ne soit pas préservé par l'eucharistie des péchés à venir. Car il y en a beaucoup qui reçoivent dignement ce sacrement et qui tombent ensuite dans le péché; ce qui n'arriverait pas si ce sacrement préservait des péchés à venir. Il n'a donc pas pour effet de préserver de ces péchés.

2
L'eucharistie est le sacrement de la charité, comme nous l'avons dit (art. 4 huj. quaest. ad 3). Or, la charité ne paraît pas préserver des péchés futurs, parce qu'une fois qu'on la possède on peut la perdre par une faute, comme nous l'avons vu (2* 2", quest. xxiv, art. 2). Il semble donc que ce sacrement ne préserve pas l'homme du péché.

3
L'origine du péché en nous est la loi du péché qui est dans nos membres, comme le dit saint Paul ( ltom. vu). Or, ce n'est pas l'eucharistie, mais c'est plutôt le baptême qui a pour effet de calmer le foyer de la concupiscence qui est la loi du péché. Elle n'a donc pas pour effet de préserver des péchés à venir.

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Mais c'est le contraire. Le Seigneur dit (Jn 6,50) : Voici le pain qui est descendu du ciel, afin que celui qui en mange ne meure point. Il est évident que ces paroles ne s'entendent pas de la mort corporelle. Il faut donc comprendre que l'eucharistie préserve de la mort spirituelle qui est produite par le péché.



CONCLUSION. — Puisque par le sacrement de l'eucharistie qui nous unit à Dieu et qui signifie la passion elle-même du Christ, les hommes sont intérieurement fortifiés dans leur âme et qu'on écarte extérieurement toutes les attaques des démons, il est certain qu'il préserve l'homme des fautes à venir.

21 Il faut répondre que le péché est la mort spirituelle de l'âme. Par conséquent, on est préservé des péchés futurs de la même manière que le corps est préservé de la mort à venir : ce qui se fait de deux manières. 1° Selon que la nature de l'homme est intérieurement fortifiée contre ses principes intérieurs de corruption ; elle est sous ce rapport préservée de la mort par les aliments et les remèdes. 2° Selon qu'elle est fortifiée contre les attaques extérieures; à ce point de vue elle est préservée par les armes dont le corps est muni. L'eucharistie préserve du péché de ces deux manières.

(1) Le concile de Trente exprime positivement cet effet dans le passage que nous avons cité (pag. 105).

En effet, 1° par cela même qu'elle unit au Christ par la grâce, elle fortifie la vie spirituelle de l'homme, comme une nourriture et une médecine spirituelle, d'après ces paroles du Psalmiste (
Ps 103,2) : Le pain affermit le coeur de l'homme, et d'après cette pensée de saint Augustin Tract, xxvi, à med.) : Approchez avec confiance, c'est du pain et non du poison. 2° Selon qu'elle est un signe de la passion du Christ par laquelle les démons ont été vaincus, elle repousse toutes leurs attaques. C'est ce qui fait dire à saint Chrysostome (Hom. xlv in ): Comme des lions qui respirent la flamme, de même nous nous éloignons de la table sainte étant devenus terribles pour le démon.

31 Il faut répondre au premier argument, que l'effet de ce sacrement est produit dans l'homme selon la condition de celui-ci, comme il arrive que l'effet de toute cause active se produit dans la matière, selon la manière d'être de cette dernière. Or, l'homme ici-bas est dans une condition telle que son libre arbitre peut se tourner au bien et au mal. Par conséquent, quoique ce sacrement ait, autant qu'il est en lui, la vertu de préserver du péché, cependant il n'enlève pas à l'homme la faculté de pécher.

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Il faut répondre au second, que la charité préserve aussi, autant qu'il est en elle, l'homme du péché, d'après ces paroles de saint Paul (Rm 13,10) : L'amour du prochain n'opère pas le mal. Mais par suite de la versatilité du libre arbitre il arrive qu'après avoir eu la charité on pèche (1), comme on le fait après avoir reçu ce sacrement.

33 Il faut répondre au troisième, que quoique l'eucharistie n'ait pas directement pour but d'affaiblir le foyer de la concupiscence, cependant elle l'affaiblit par voie de conséquence selon qu'elle augmente la charité ; parce que, comme le dit saint Augustin (Quaest. lib. lxxxiii, quaest. 36),la charité n'augmente qu'autant que la cupidité diminue. D'ailleurs, elle affermit directement le coeur de l'homme dans le bien, et par là elle le préserve aussi du péché.



ARTICLE VII. — l'eucharistie profite-t-elle à d'autres qu'a ceux qui la reçoivent (2)?

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1 Il  semble que l'eucharistie ne serve qu'à celui qui la reçoit. Car ce sacrement est du même genre que les autres, puisqu'il fait partie de la même division. Or, les autres sacrements ne servent qu'à ceux qui les reçoivent; ainsi il n'y a que celui qui est baptisé qui reçoive l'effet du baptême. L'eucharistie ne sert donc pas non plus à d'autres qu'à celui qui la reçoit.

2
L'effet de l'eucharistie est l'acquisition de la grâce et de la gloire et la rémission du péché, au moins du péché véniel. Si donc ce sacrement produisait un effet dans d'autres que dans ceux qui s'en approchent, il pourrait arriver qu'on acquît la grâce et la gloire et la rémission de ses péchés, sans rien faire et sans rien souffrir d'une manière propre, pourvu qu'un autre reçût ou offrît ce sacrement.

3
En multipliant la cause, on multiplie l'effet. Si donc l'eucharistie était utile à d'autres qu'à ceux qui la reçoivent, il s'ensuivrait qu'il serait plus utile à quelqu'un que beaucoup la reçussent, et qu'une grande multitude d'hosties fussent consacrées à la messe; ce que n'admet pas la coutume de l'Eglise qui ne veut pas que beaucoup de personnes communient pour le salut d'un autre. Il ne semble donc pas que ce sacrement soit utile à d'autres qu'à celui qui le reçoit.

(M) L'amissibilité de la charité a été ainsi définie par le concile de Trente contre Calvin qui l'avait niée (sess, vi, can. 23) : Si quis hominem semel iustificatum dixerit ampliiis peccare non posse, neque gratiam amittere, atque ideo eum, qui labitur et peccat, nunquam verè fuisse iustificatum... anathema sit.
(2) Saint Thomas répond que l'eucharistie n'est utile qu'à ceux qui la reçoivent comme sacrement, cependant il ne s'ensuit pas que les communions que l'on fait pour les autres ne leur soient pas profitables. La proposition contraire a été condamnée. Mais elles ne leur sont utiles que ex opere operantis , c'est-à-dire en raison de la ferveur de la personne qui a communié et prié pour eux.

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Mais c'est le contraire. Dans la célébration de ce sacrement on prie pour beaucoup d'autres personnes; ce que l'on ferait en vain, s'il ne leur était pas utile. Ce sacrement n'est donc pas seulement utile à ceux qui le reçoivent.



CONCLUSION. — Quoique l'eucharistie soit utile à ceux qui la reçoivent, non-seulement comme sacrifice, mais encore comme sacrement, cependant elle ne sert aux autres qui ne la reçoivent pas que comme sacrifice.

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Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (art. 5 huj. quaest.), l'eucharistie n'est pas seulement un sacrement, mais elle est encore un sacrifice. Car, selon qu'elle représente la passion du Christ par laquelle il s'est offert à Dieu comme victime, selon l'expression de saint Paul (Ep 5), elle est un sacrifice; tandis que selon qu'elle confère la grâce invisible sous une espèce visible, elle est un sacrement. Par conséquent, elle est utile à ceux qui la reçoivent comme sacrement et comme sacrifice ; parce qu'on l'offre pour tous ceux qui la reçoivent. Car il est dit dans le canon de la messe: Nous vous supplions, afin que tous tant que nous sommes qui, participant à cet autel, aurons reçu le saint et sacré corps et sang de votre Fils, nous soyons remplis de toutes les bénédictions et grâces célestes.—Pour les autres qui ne la reçoivent pas, elle leur est utile comme sacrifice, en tant qu'on l'offre pour leur salut (1). C'est pourquoi on dit encore dans le canon de la messe : Souvenez-vous, Seigneur, de vos serviteurs et de vos servantes, pour qui nous vous offrons ou qui vous offrent ce sacrifice de louange, pour eux- mêmes et pour tous les leurs, pour la rédemption de leurs âmes, pour l'espérance de leur salut et de leur conservation. Le Seigneur a exprimé ces deux sortes d'utilité en disant (Matth, 26et Lc 22) : Qui sera répandu pour vous, c'est-à-dire pour ceux qui le prennent, et pour beaucoup, c'est-à- dire pour les autres, pour la rémission des péchés.

31 Il faut répondre au premier argument, que ce sacrement a plus que les autres la vertu d'être un sacrifice, et c'est pour cela qu'il n'y a pas de parité.

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il faut répondre au second, que comme la passion du Christ sert à tout le monde en ce sens qu'elle est suffisante pour remettre les péchés et faire obtenir la grâce et la gloire, mais qu'elle ne produit son effet que dans ceux qui lui sont unis par la foi et la charité : de même ce sacrifice qui est le mémorial de la passion du Seigneur ne produit son effet que dans ceux qui sont unis à ce sacrement par la foi et la charité. C'est ce qui fait dire à saint Augustin (Lib. de anim. et ejus orig. lib. i, cap. 9) : Qui offrirait le corps du Christ, si on ne l'offrait pour ceux qui sont ses membres? C'est pour cela que dans le canon de la messe, on ne prie pas pour ceux qui sont hors de l'église (2). Cependant il leur sert, plus ou moins, en raison de leur dévotion.

33
Il faut répondre au troisième, que la réception de l'eucharistie lui appartient comme sacrement, tandis que l'oblation lui appartient comme sacrifice (I). C'est pourquoi <le ce qu'une personne reçoit le corps du Christ ou de ce que plusieurs le reçoivent, les autres n'en obtiennent pas pour cela un plus grand secours (2). De même de ce qu'un prêtre consacre plusieurs hosties dans une même messe, l'effet du Sacrement n'est pas multiplié, parce qu'il n'y a qu'un seul sacrifice. Car il n'y a pas plus de vertu dans plusieurs hosties consacrées que dans une seule, puisque sous toutes les hosties aussi bien que sous une seule il n'y a pas autre chose que le Christ tout entier. Par conséquent, quand même on prendrait dans une même messe plusieurs hosties consacrées, on ne participerait pas à un effet plus grand du sacrement. Mais quand on dit plusieurs messes on multiplie l'oblation du sacrifice, et c'est pour ce motif qu'on multiplie aussi l'effet du sacrifice et du sacrement.

(1) C'est ce qu'a défiai le concile de Trente .sess, xxii, can. 5).
(2) A la vérité ce sacrifice n'obtient la rémission des péchés que pour ceux qui sont de quelque manière membres de l'Eglise. Mais autrefois on l'offrait aussi pour les païens, pour les catéchumènes et les idolâtres, comme on le voit (Tertui. ad Scap. cap. 2, et saint Augustin,
Ep 107). Et maintenant encore le prêtre dit en offrant le calice : Ut pro nostra et totius mundi salute eum odore suavitatis ascendat (Conf. Lavman, lib. v, tract. v, cap. 2, quaest. 6).



ARTICLE VIII — le péché véniel empêche-t-il l'effet de l'eucharistie?

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1 Il semble que le péché véniel n'empêche pas l'effet de ce sacrement. Car sur ces paroles de saint Jean (
Jn 6) : nos pères ont mangé la manne, saint Augustin dit (Tract, xxvi) : Mangez spirituellement le pain céleste, présentez-vous à l'autel avec innocence, et que vos péchés, quoiqu'ils soient quotidiens, ne soient pas mortels. D'où il est évident que les péchés véniels, qu'on appelle des péchés quotidiens, n'empêchent pas la manducation spirituelle. Et comme ceux qui mangent spirituellement reçoivent l'effet de l'eucharistie, il s'ensuit que les péchés véniels n'empêchent pas l'effet de ce sacrement.

2 L'eucharistie n'a pas moins de vertu que le baptême. Or, il n'y a que la fiction qui empêche l'effet du baptême, comme nous l'avons dit (quest. lxix, art. 9), et les péchés véniels n'appartiennent pas à la fiction, parce que, comme l'a dit le Sage (S ap. i, S) : V Esprit-Saint qui est le maître de la science fuit le dégidsement, et cependant les péchés véniels ne l'éloignent pas. Ils n'empêchent donc pas l'eucharistie de produire son effet.

3
Rien de ce qui est éloigné par l'action d'une cause ne peut empêcher son effet. Or, les péchés véniels sont effacés par l'eucharistie. Ils n'empêchent donc pas son effet.

20
Mais c'est le contraire. Saint Jean Damascène dit (Orth. fid.Yib. iv, cap. 44) : Que le feu de la charité qui est en nous, s'enflammantà ce foyer sacré, c'est- à-dire dans ce sacrement, brûle nos péchés et éclaire nos coeurs, afin qu'en participant au feu divin nous soyons embrasés et déifiés. Or, le feu de nos désirs ou de notre amour est arrêté par les péchés véniels qui empêchent la ferveur de la charité, comme nous l'avons vu (la 2', quest. lxxxi, art. 4, et 2a 2% quest. xxiv, art. 10). Les péchés véniels empêchent donc les effets de ce sacrement.


CONCLUSION. — Quoique les péchés véniels passés n'empêchent point du tout l'effet de l'eucharistie, cependant ceux que l'on fait en acte peuvent l'empêcher en partie.

21
Il faut répondre qu'on peut considérer les péchés véniels de deux manières : 4° selon qu'ils sont passés -, 2" selon qu'on les commet actuellement. De la première manière les péchés véniels n'empêchent d'aucune façon l'effet de l'eucharistie. Car il peut se faire qu'après avoir commis beaucoup de péchés véniels on s'approche avec dévotion de ce sacrement (3) et qu'il produise pleinement son effet. — De la seconde façon les péchés véniels n'empêchent pas totalement l'effet de ce sacrement, mais seulement en partie. Car nous avons dit (art. 1 et 2 huj. quaest.) qu'il a pour effet, non-seulement l'acquisition de la grâce habituelle ou de la charité, mais encore la réfection actuelle de la douceur spirituelle. Elle est empêchée, si on s'approche de la table sainte l'âme distraite par des péchés véniels -, mais l'accroissement de la grâce habituelle ou de la charité n'est pas détruit (1).

(I) Saint Thomas ne veut pas dire que la réception de l'eucharistie soit de l'essence du sacrement, puisqu'il répète plusieurs fois le contraire (quest. l xxiii, art. \ ado, et quest. lxxiv, art. 2 ad 5, et quest. i.xxx, art. I ad 1), mais il veut dire qu'il est nécessaire de la recevoir, pour qu'elle soit utile comme sacrement.
(2) Cependant comme la communion d'une personne peut profiter à une autre, ex opere operantis, il est plus avantageux que beaucoup de personnes communient dans l'intérêt d'une autre que s'il n'y avait que l'une d'elles.
(5) Dans ce cas l'eucharistie remet elle-même les péchés véniels.

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Il faut répondre au premier argument, que celui qui s'approche de l'eucharistie avec l'acte du péché véniel, mange spirituellement le pain céleste d'une manière habituelle, mais non d'une manière actuelle. C'est pour céda qu'il reçoit l'effet habituel de ce sacrement et non l'effet actuel.

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Il faut répondre au second, que le baptême n'a pas pour but l'effet actuel, c'est-à-dire la ferveur de la charité, comme l'eucharistie. Car le baptême est la régénération spirituelle par laquelle on acquiert la perfection première qui est l'habitude ou la forme; tandis que l'eucharistie est la manducation spirituelle qui a une délectation actuelle.

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Il faut répondre au troisième, que ce raisonnement porte sur les péchés véniels passés qui sont effacés par ce sacrement.




QUESTION 80: DE L'USAGE DE L'EUCHARISTIE EN GÉNÉRAL.

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Nous devons nous occuper ensuite de l'usage ou de la réception de l'eucharistie. — Nous parlerons : 1° de l'usage de ce sacrement en général ; 2° de l'usage que le Christ en a fait. — Sur le premier point il y a douze questions à examiner : i" Y a-t-il deux manières de recevoir ce sacrement, sacramentellement et spirituellement ? — 2° Ne convient-il qu'à l'homme de recevoir spirituellement ce sacrement? — 3" N'appartient-il qu'à l'homme juste de le recevoir sacramentellement ? — 4° Le pécheur qui le reçoit sacramentellement pèche-t-il? — 5° De la gravité de ce péché. — 6° Le pécheur qui s'approche de ce sacrement doit-il être repoussé ? — 7" La pollution nocturne empêche-t-elle de recevoir ce sacrement? — 8° Ne doit-on le recevoir qu'à jeun? — 9° Doit-on le conférer à ceux qui n'ont pas l'usage de raison ?—10° Doit-on le recevoir tous les jours? — 11° Est-il permis de s'en abstenir absolument? — 12° Est-il permis de recevoir le corps sans le sang?



ARTICLE I. — doit-on distinguer deux manières de recevoir le corps du christ (2)?

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1 Il semble qu'on ne doive pas distinguer deux manières de recevoir le corps du Christ, sacramentellement et spirituellement. Car, comme le baptême est la régénération spirituelle, d'après ces paroles de l'Evangile (
Jn 3,5) : Sion ne renaît de Veau et de l'Esprit Saint, etc., de même l'eucharistie est la nourriture spirituelle. D'où le Seigneur dit en parlant de ce sacrement (Jn 6, Gi) : Les paroles que je vous dis sont esprit et vie. Or, comme à l'égard du baptême on ne distingue pas deux manières de le recevoir, 1 une sacramentelle et l'autre spirituelle, on ne doit donc pas non plus faire cette distinction à l'égard de l'eucharistie.

2 Les choses dont l'une existe à cause de l'autre ne doivent pas se diviser par opposition, parce que l'une tire de l'autre son espèce. Or, la man éducation sacramentelle se rapporte à la manducation spirituelle, comme à sa fin On ne doit donc pas diviser la manducation sacramentelle par oppositio^ à la manducation spirituelle.

et ) Contcnson, Cajétan et quelques autres théologiens prétendent que pour qu'il y ait un accroissement de grâce habituelle il faut une dévotion et une ferveur actuelle ; mais Soto, Jean de Saint- Thomas, Serra, Billuart, Svlvius et la plupart des thomistes et des autres théologiens considèrent le sentiment de saint Thomas comme plus probable.

(2) Il est de foi que l'on reçoit le Christ réellement et sacramentellement dans l'eucharistie, d'après ce canon du concile de Trente (sess, xiii, can. 8) : Si quis dixerit Christum in eucharistia exhibitum spiritualiter lantiimmanducar i et non etiam sacramentaliter et realiter, anathema sit.

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Les choses dont l'une peut exister sans l'autre ne doivent pas être divises par opposition entre elles. Or, il semble que personne ne puisse recevoir spirituellement ce sacrement sans le recevoir sacramentellement; autrement les anciens pères l'auraient reçu spirituellement, et la manducation sacramentelle serait inutile, si la manducation spirituelle pouvait exister sans elle. Il n'est donc pas convenable de distinguer à l'égard de ce sacrement deux sortes de manducation, l'une sacramentelle et l'autre spirituelle.

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Mais c'est le contraire. Sur ces paroles (I. Cor. xi) : Celui qui mange et qui boit indignement, la glose dit (glos. ord.) : Nous reconnaissons qu'il y a deux manières de recevoir le corps du Christ, l'une sacramentelle et l'autre spirituelle.



CONCLUSION. — Il y a deux manières de recevoir l'eucharistie : l'une sacramentelle, par laquelle on ne reçoit que le sacrement, et l'autre spirituelle, par laquelle on reçoit l'effet du sacrement qui consiste à être spirituellement uni avec le Christ.

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Il faut répondre que dans la réception de l'eucharistie il y a deux choses à considérer, le sacrement lui-même et son effet-, nous avons déjà parlé de ces deux choses (quest. préc.). La manière parfaite de la recevoir, c'est quand on reçoit le sacrement de telle sorte qu'on reçoit aussi son effet. Mais ii arrive quelquefois, comme nous l'avons observé (quest. préc. art. 3 et S ), qu'on est empêché d'en recevoir l'effet, et alors on ne reçoit qu'imparfaitement ce sacrement. Par conséquent, comme le parfait se divise par opposition à l'imparfait; de même la manducation sacramentelle par laquelle on ne reçoit que le sacrement sans son effet, se divise par opposition à la manducation spirituelle (I) par laquelle on reçoit l'effet de ce sacrement, qui consiste en ce que l'homme est spirituellement uni au Christ par la foi et la charité (2).

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Il faut répondre au premier argument, qu'à l'égard du baptême et des autres sacrements on admet une distinction semblable. Car les uns ne reçoivent que le sacrement et les autres le sacrement et la chose du sacrement. Cependant ils diffèrent en ceci, c'est que les autres sacrements se perfectionnant dans l'usage même de la matière, la réception du sacrement est sa perfection elle-même; tandis que l'eucharistie se perfectionne dans la consécration même de sa matière. C'est pour cela que les deux espèces d'usage qu'on en fait sont une conséquence de ce sacrement. De plus, dans le baptême et les autres sacrements qui impriment un caractère, ceux qui reçoivent le sacrement, reçoivent un effet spirituel qui est le caractère; ce qui n'a pas lieu dans l'eucharistie. C'est pour ce motif qu'on distingue l'usage sacramentel de l'usage spirituel dans ce sacrement plutôt que dans le baptême.

(f) La manducation spirituelle se subdivise ainsi en deux : la manducation spirituelle seule et la manducation spirituelle unie à la manducation sacramentelle. De là trois manières de recevoir le Christ, comme saint Thomas le dit lui-même dans un opuscule qu'on lui attribue (De sacram- ult.cap. 17, n'20j : Primus sacramentalistantum, secundus spiritualis tantum, tertius sacramentalis et spiritualis simul. Primo manducant maii christiani, secundo omnes salvandi, tertio soli boni christiani. Cette triple distinction a été reproduite par le concile de Trente (sess. iiii, cap. 8).
(2) Ainsi pour la manducation spirituelle il faut que le désir de recevoir le Christ soit joint à une foi vive et à la charité ; par conséquent ceux qui sont dans l'état du péché mortel ne peuvent arriver à cette manducation. Aussi Bossuet dit : La communion spirituelle ne se fait que par une foi vive et un désir ardent qui renferme la volonté de toutes les dispositions que Dieu veut et que l'Evangile commande ( Lettres de pieté et de direction, t. xxxviii, p. 075, édit. de Versailles).

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Il faut répondre au second, que la manducation sacramentelle qu’est jointe à la manducation spirituelle ne se distingue pas par opposition! de la manducation spirituelle; mais celle-ci la renferme. On ne distingue ainsi de la manducation spirituelle que la manducation sacramentelle qui n'obtient pas son effet; comme on distingue du parfait l'imparfait qui n'étaient pas à la perfection de l'espèce.

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II faut répondre au troisième, que, comme nous l'avons dit (quest. lxxiii, art. 3), on peut percevoir l'effet de l'eucharistie, si on a le désir de recevoir ce sacrement, quoiqu'on ne le reçoive pas réellement. Et c'est pour cela que comme on est baptisé par le baptême de feu, à cause du désir qu'on a du baptême avant de recevoir le baptême d'eau; de même il y en a qui reçoivent spirituellement l'eucharistie, avant de la recevoir sacramentellement. Ceci arrive de deux manières: 1° A cause du désir que l'on a de recevoir ce sacrement. C'est en ce sens qu'on dit qu'ils sont baptisés et qu'ils mangent spirituellement et non sacramentellement, ceux qui désirent recevoir ces sacrements depuis qu'ils sont établis. 2° Figurativement. C'est de la sorte que saint Paul dit (1Co 10,2), que les anciens pères ont été baptisés dans la nuée et la mer et qu'ils ont mangé la nourriture spirituelle et bu le breuvage spirituel. Néanmoins la manducation sacramentelle n'est point inutile, parce que par la réception véritable du sacrement on obtient plus pleinement son effet que par son seul désir, comme nous l'avons dit à l'égard du baptême (quest. lxix, art. 4 ad 2).




III Pars (Drioux 1852) 1583