III Pars (Drioux 1852) 1640

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Nous avons maintenant à nous occuper du ministre de l'eucharistie. — A ce sujet dix questions se présentent : 1" Est-ce le propre du prêtre que de consacrer l'eucharistie? — 2" Plusieurs prêtres peuvent-ils ensemble consacrer la même hostie? — 3" La dispensation de ce sacrement n'appartient-elle qu'au prêtre? — 4° Est-il permis à un prêtre qui consacre de s'abstenir de la communion? — 5" Un prêtre qui est dans le péché peut-il confectionner ce sacrement ? — 6° La messe d'un mauvais prêtre vaut- elle moins que celle d'un bon? — 7" Les hérétiques, les schismatiques ou les excommuniés peuvent-ils confectionner ce sacrement? — 8" Les dégradés le peuvent-ils? — 9° Ceux qui reçoivent la communion de pareils prêtres pèchent-ils? — 10° Est-il permis à un prêtre de s'abstenir absolument de célébrer ?



ARTICLE I. — la consécration de l'eucharistie est-elle propre au prêtre (3) ?

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1 Il semble que la consécration de l'eucharistie ne soit pas propre au prêtre. Car nous avons dit (quest. lxxviii, art. 4) que ce sacrement est consacré par la vertu des paroles qui sont la forme de ce sacrement. Or, ces paroles ne sont pas changées, soit qu'elles soient prononcées par un prêtre, soit par tout autre. Il semble donc qu'il n'y ait pas que le prêtre, mais que toute autre personne puisse consacrer ce sacrement.

(i) Ce sentiment est celui de Scot (in iv, dist. IO, quest. vi), de Richard de Saint-Victor (dist. IO, quest. v, art. 2), de saint Bonaventure (dist. 2) et de la plupart des scolastiques.
(2) Cette concomitance n'existe qu'en vertu de leur connexion naturelle qui n'existait pas alors.
(5) Les vaudois ont reconnu à tout laïque qui est en état de grâce le pouvoir de consacrer. Lu-

2
Le prêtre consacre ce sacrement dans la personne du Christ. Or, un saint laïc est uni au Christ par la charité. Il semble donc qu'un laïc puisse consacrer ce sacrement. D'où saint Chrysostome dit (Hom. xliii in Matth, in opere imper f.) : Que tout saint est prêtre.

3
Comme le baptême a pour but le salut des hommes, de même aussi l'eucharistie, comme on le voit d'après ce que nous avons dit (quest. lxxix, art. 1). Or, un laïc peut baptiser aussi, ainsi que nous l'avons vu (quest. lxvii, art. 3). La confection de ce sacrement n'est donc pas une chose propre au prêtre.

4
Ce sacrement est rendu parfait dans la consécration de la matière. Or, il n'appartient qu'à l'évêque de consacrer les autres matières, comme le chrême, l'huile sainte, et l'huile bénite. Cependant leur consécration n'est pas une aussi grande chose que la consécration de l'eucharistie, dans laquelle le Christ est tout entier. Ce n'est donc pas une chose propre au prêtre, mais il n'appartient qu'à l'évêque de confectionner ce sacrement.

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Mais c'est le contraire. Saint Isidore dit, dans une de ses épîtres (adLau- defred. quae hab. post concile. Tolet. viii, et hab. in Decret. dist. 25, cap. Perlectis) : Il appartient au prêtre de consacrer sur l'autel de Dieu le sacrement du corps et du sang du Seigneur.     ,



CONCLUSION. — Le sacrement de l'eucharistie n'étant consacré que dans la personne du Christ, cette consécration est la fonction propre des prêtres auxquels cette puissance a été accordée.

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Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (quest. lxxviii, art. 1 et 4), ce sacrement est si noble, qu'il n'est confectionné que dans la personne du Christ. Or, quiconque fait une chose au nom d'un autre, doit nécessairement la faire par la puissance qu'il en a reçue. Or, comme le Christ accorde à celui qui est baptisé la puissance de recevoir l'eucharistie, de même il accorde au prêtre, dans son ordination, le pouvoir de la consacrer en son nom. Car par là le prêtre se trouve placé au rang de ceux auxquels le Seigneur a dit (Luc. xxii, 19) : Faites cela en mémoire de moi. C'est pour ce motif qu'on doit dire qu'il appartient en propre aux prêtres de consacrer ce sacrement.

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Il faut répondre au premier argument, que la vertu sacramentelle consiste dans plusieurs choses et qu'elle ne consiste pas seulement dans une seule; ainsi, la vertu du baptême consiste dans les paroles elles-mêmes et dans l'eau. Par conséquent, la vertu consécratoire ne consiste pas seulement dans les paroles elles-mêmes, mais encore dans la puissance que le prêtre a reçue dans sa consécration et son ordi nation, lorsque l'évêque lui a dit : Recevez la puissance d'offrir dans I 'Eglise le sacrifice aussi bien pour les vivants que pour les morts. Car la vertu instrumentale consiste aussi dans plusieurs instruments par lesquels l'agent principal agit.

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Il  faut répondre au second, qu'un laïc qui est juste est uni au Christ d'une union spirituelle, par la foi et la charité, mais non par la puissance sacramentelle. C'est pourquoi il a le sacerdoce spirituel pour offrir les victimes spirituelles dont le Psalmiste dit (Ps 50,17): L'esprit affligé est un sacrifice agréable à Dieu (Rm 12,1) : Offrez vos corps comme une hostie vivante. Et saint Pierre dit (1. Pet. it, o) : Fous êtes un ordre de saints prêtres destinés à offrir des victimes spirituelles.

tlier leur accordait la même faculté (De civ. fíabyl. lib. i) ainsi que Grotms, tout en soumettant l'usage de ce pouvoir à la délégation de l'Eglise ; mais il est de foi que ce pouvoir n'appartient qu'aux évêques et aux prêtres : line sacramentum nemo potest conficere, dit le concile de Latran, nisi sacerdos qui ritè fuerit ordinatus. Si quis dixerit illis verbis, dit le concile de Trente, Hoc facite in meamcomme- morationem, Christum non instituisse apostolos sacerdotes, aut non ordinasse, ut ipsi aliique sacerdotes offerrent coi-pus et sanguinem sacrum; anathema sit (sess, xxii, can. 2).

33 Il faut répondre au troisième, que la réception de l'eucharistie n'est pas aussi nécessaire que celle du baptême, comme on le voit d'après ce que nous avons dit (quest. lxxiii, art. 3, et quest. lxxx, art. 11 ad 2). C'est pour cela que quoique dans le cas de nécessité un laïc puisse baptiser, il ne peut cependant pas consacrer le sacrement de l'eucharistie.

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Il faut répondre au quatrième, que T'évêque reçoit le pouvoir d'agir au nom du Christ sur son corps mystique, c'est-à-dire sur l'Eglise; le prêtre ne reçoit pas cette puissance dans son ordination, quoiqu'il puisse la recevoir de l'évêque par délégation. C'est pourquoi les choses qui n'appartiennent pas à la disposition du corps mystique, comme la consécration de l'eucharistie, ne sont pas réservées à l'évêque. Mais il lui appartient de transmettre non-seulement au peuple, mais encore aux prêtres, les choses d'après lesquelles ils peuvent remplir leurs propres charges. Et parce que la bénédiction du chrême et de l'huile sainte et de l'huile des infirmes et des autres choses que l'on consacre, comme l'autel, l'église, les vêtements et les vases, rend apte d'une certaine manière à la confection des sacrements qui appartiennent à l'office des prêtres, il s'ensuit que ces consécrations sont réservées à l'évêque, comme au prince de l'ordre ecclésiastique tout entier.



ARTICLE II. — plusieurs prêtres peuvent-ils consacrer une seule et même hostie (1) ?

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1 Il semble que plusieurs prêtres ne puissent pas consacrer une seule et même hostie. Car nous avons dit (quest. lxvii, art. 6) que plusieurs prêtres ne peuvent pas simultanément baptiser une seule personne. Or, la puissance du prêtre qui consacre n'est pas moindre que celle de l'homme qui baptise. Plusieurs prêtres ne peuvent donc pas non plus consacrer ensemble une seule hostie.

2
Ce que l'on peut faire par un seul, il est inutile de le faire par plusieurs. Or, dans les sacrements il ne doit rien y avoir de superflu. Par conséquent, puisqu'il suffit d'un prêtre pour consacrer, il semble que plusieurs ne puissent consacrer une seule et même hostie.

3
Comme le dit saint Augustin (Sup. Jean, tract, xxvi) : L'eucharistie est le sacrement de l'unité. Or, le contraire de l'unité paraît être la multiplicité. Il ne semble donc pas convenable pour l'eucharistie que plusieurs prêtres consacrent la même hostie.

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Mais c'est le contraire. D'après la coutume de certaines Eglises, les prêtres que l'on vient d'ordonner célèbrent avec l'évêque qui a fait l'ordination.



CONCLUSION. — Plusieurs prêtres peuvent simultanément consacrer la même hostie, pourvu qu'ils prononcent en même temps les mêmes paroles.

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Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (art. préc.), le prêtre, quand il est ordonné, est élevé au rang de ceux qui ont reçu du Seigneur le pouvoir de consacrer dans la cène. C'est pourquoi, d'après la coutume de certaines Eglises, comme les apôtres ont fait la cène avec le Christ, de même les nouveaux ordinants célèbrent avec l'évêque qui les a ordonnés. — Cependant on ne réitère pas pour cela la consécration à l'égard de la même hostie; parce que, comme le dit Innocent III (De myst. Miss. lib. iv, cap. 25), tous doivent diriger leur intention au même instant de la consécration (i).

(I) Cet ARTICLE a pour objet de justifier la coutume qui existe dans l'Eglise latine, où les prêtres qui viennent d'être ordonnés consacrent avec l'évêque, et celle qui existe chez les grecs dont les prêtres qui accompagnent l'évêque consacrent avec lui dans les lieux où il n'y a qu'un temple.

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Il faut répondre au premier argument, qu'on ne voit pas que le Christ ait baptisé simultanément avec les apôtres, quand il leur a enjoint l'office de baptiser ; c'est pour cela que la raison n'est pas la même.

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Il faut répondre au second, que si tous les prêtres opéraient par leur vertu propre, il serait inutile qu'il y eût d'autres célébrants, du moment qu'un seul suffirait. Mais parce que le prêtre ne consacre qu'au nom du Christ, et que plusieurs sont un dans le Christ, il importe peu que ce sacrement soit consacré par un seul ou par plusieurs, sinon qu'il faut observer le rite de l'Eglise.

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Il faut répondre au troisième, que l'eucharistie est le sacrement de l'unité de l'Eglise, qui consiste en ce que la multitude des chrétiens sont un dans le Christ.



ARTICLE III. — la dispensation de l'eucharistie n'appartient-elle qu'au prêtre (2)?

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1 Il semble que la dispensation de l'eucharistie n'appartienne qu'au prêtre. Car le sang du Christ n'appartient pas moins à ce sacrement que son corps. Or, le sang du Christ est dispensé par les diacres. D'où saint Laurent dit à saint Sixte : Essayez si vous avez choisi un digne ministre en celui auquel vous avez confié la dispensation du sang du Seigneur. Donc, pour la même raison, la dispensation du corps du Christ n'appartient pas qu'aux prêtres.

2
Les prêtres sont établis les ministres des sacrements. Or, l'eucharistie se perfectionne dans la consécration de la matière et non dans l'usage auquel la dispensation appartient. Il semble donc qu'il n'appartienne pas au prêtre de dispenser le corps du Seigneur.

3
Saint Denis dit(>e ecdes. hier. cap. 3 àprinc. et cap. 4) que l'eucharistie a une vertu perfective aussi bien que le saint chrême. Or, il n'appartient pas au prêtre, mais à l'évêque, de marquer du saint chrême ceux tjui ont été baptisés. Il appartient donc aussi à l'évêque et non au prêtre de dispenser ce sacrement.

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Mais c'est le contraire. Le droit dit (De consecrat, dist. 12, cap. 27) : Il est arrivé à notre connaissance que des prêtres laissent aux laïcs ou aux femmes le soin de donner le corps du Seigneur aux infirmes; le concile défend de faire désormais un acte aussi présomptueux, mais il ordonne aux prêtres de communier par eux-mêmes les malades.



CONCLUSION. — Puisque les prêtres consacrent l'eucharistie au nom du Christ et qu'ils sont des intermédiaires entre Dieu et le peuple, c'est à eux surtout qu'appartient la dispensation d'un aussi grand sacrement.

(I) Il importe que l'on prononce ensemble les paroles de la consécration de manière que l'on ne fass > qu'un, et c'est pour ce motif que dans le pontifical romain il est dit : Ut bene advertat quod sécrétas morose dicat et aliquantulum allé, ita ut ordinati sacerdotes possint secum omnia dicere, et praesertim verba consecrationis quae dici debent eodem momento per ordinatos quo dicuntur per pontificem.
(2) Le prêtre est le ministro ordinaire de la dispensation de l'eucharistie. C'est ce qu'exprime ainsi le concile de Trente (sess. xlii, cap. 8; . Semper in Ecdesia Dei hunc morem fuisse , tanquam ex apostolica traditione descendentem, ut laici eucharistiam à sacerdotibus acciperent.

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Il faut répondre que la dispensation du corps du Christ appartient au prêtre pour trois motifs : 1° Parce que, comme nous l'avons dit (art. 1 huj. quaest.), il consacre au nom du Christ. Or, comme c'est le Christ qui a consacré son corps dans la cène, c'est aussi lui qui l'a donné à prendre aux autres. Par conséquent, comme la consécration du corps du Christ appartient au prêtre, de même aussi sa dispensation. 2° Parce que le prêtre est établi médiateur entre Dieu et le peuple. Ainsi, comme il lui appartient d'offrir les dons du peuple à Dieu, de même il lui appartient de transmettre au peuple les dons qui ont été divinement sanctifiés. 3° Parce que, par respect pour ce sacrement, il n'est touché par aucune chose, à moins qu'elle n'ait été consacrée. Ainsi, on consacre le corporal et le calice, aussi bien -que les mains du prêtre qui doivent toucher ce sacrement. Il n'est donc permis à aucun autre de le toucher, sinon dans le cas de nécessité, comme s'il tombait à terre, ou dans une autre circonstance semblable (4).

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Il faut répondre au premier argument, que le diacre étant très-proche de l'ordre sacerdotal participe en quelque chose à son office, de manière qu'il dispense le sang, mais non le corps, si ce n'est dans le cas de nécessité, lorsque le prêtre ou l'évêque le lui ordonne: 1° Parce que le sang du Christ est contenu dans un vase, et par conséquent il n'est pas nécessaire que celui qui le dispense le touche, comme on est obligé de toucher le corps du Christ. 2° Parce que le sang désigne la rédemption qui a découlé du Christ sur le peuple. C'est pour cela qu'on mêle au sang l'eau qui signifie le peuple. Et comme les diacres sont entre le prêtre et le peuple, la dispensation du sang leur convient mieux que la dispensation du corps (2).

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Il faut répondre au second, qu'il appartient au même de dispenser l'eucharistie et de la consacrer pour la raison que nous avons donnée (in corp. art.).

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Il faut répondre au troisième, que, comme le diacre participe sous un rapport à la vertu illuminative du prêtre et qu'à ce titre il dispense le sang, de même le prêtre participe à la dispensation perfective de l'évêque, et à ce titre il dispense l'eucharistie par laquelle l'homme est perfectionné en lui-même par rapport au Christ. Quant aux autres perfections par lesquelles l'homme est perfectionné relativement aux autres, elles sont réservées à l'évêque.



ARTICLE IV. — le prêtre qui consacre est-il tenu de communier (3) ?

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1 Il semble que le prêtre qui consacre ne soit pas tenu de communier. Car dans les autres consécrations, celui qui consacre la matière ne s'en sert pas. Ainsi l'évêque qui consacre le saint chrême n'est pas oint avec le chrême qu'il a consacré. Or, l'eucharistie consiste dans la consécration de la matière. Le prêtre qui consacre n'est donc pas obligé de faire usage de ce même sacrement, mais il peut licitement s'abstenir de le prendre.

Dans les autres sacrements, le ministre ne s'administre pas le sacre ment à lui-même. Car personne ne peut se baptiser (quest. lxvi, art. 5 ad 4). Or, comme le baptême se dispense d'après un certain ordre, de même aussi l'eucharistie. Le prêtre qui consacre ne doit donc pas se communier lui-même.

(1) Autrefois le diacre administrait assez généralement la communion, dont il est le ministre extraordinaire. Il le faisait sur la délégation du prêtre ou de l'évêque, mais maintenant cet usage n'existe plus, Il n'y a que le cas de nécessité, où le diacre à défaut d'un prêtre peut et doit même administrer le viatique à un mourant. Omnes conveniunt, dit saint Liguori, quod in necessitate extrema, absente sacerdote, poterit et tenebitur viaticum minis- vii.

írare, adhuc sine commissione (lib. vi, n' 2371.

(2) Du temps de saint Thomas il parait que l'on avait généralement restreint la fonction du diacre, pour les raisons qu'il donne, à distribuer la communion sous l'espèce du vin.
(3) La communion n'est pas considérée généralement comme étant de l'essence du sacrifice, mais elle en est une partie intégrante, comme la disent saint Thomas et ses disciples.

3
Il arrive quelquefois que par miracle le corps du Christ se montre sur l'autel sous l'apparence de la chair et le sang sous l'apparence du sang; et ces choses ne peuvent être ni mangées, ni bues. C'est pour cela, comme nous l'avons observé (quest. lxxv, art. 5), qu'ils nous sont offerts sous une autre espèce, pour qu'ils n'inspirent pas d'horreur à ceux qui les reçoivent. Le prêtre qui consacre n'est donc pas toujours tenu de recevoir ce sacrement.

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Mais c'est le contraire. On lit dans un concile de Tolède (xii, can. o) et le droit dit (De consecrat, dist. 2, cap. Relatum) : On doit tenir de toutes les manières à ce qu'on participe au corps et au sang du Christ par la communion, toutes les fois qu'on offre le sacrifice de son corps et de son sang- sur l'autel.



CONCLUSION. — Puisque le prêtre qui consacre offre à Dieu le sacrifice et qu'il le dispense au peuple, il doit recevoir ce sacrement.

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Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (quest. lxxix, art. 5 et 7), l'eucharistie n'est pas seulement un sacrement, mais elle est encore un sacrifice. Or, quiconque offre un sacrifice doit y participer; parce que le sacrifice extérieur que l'on offre est le signe du sacrifice intérieur par lequel on s'offre soi-même à Dieu, comme le dit saint Augustin ( De civ. Dei, lib. x, cap. 5). Ainsi en participant au sacrifice, le prêtre montre que le sacrifice intérieur lui appartient. De même en dispensant le sacrifice au peuple, il montre qu'il est le dispensateur des choses divines, auxquelles il doit d'abord participer, comme le dit saint Denis (De lib. ecdes. hier. cap. 3). C'est pourquoi il doit lui-même prendre ce sacrement avant de le dispenser au peuple. C'est pour cela qu'il est dit dans le même canon du concile de Tolède : Quel est ce sacrifice auquel celui qui l'offre ne participe pas ? Or, on y participe par là même qu'on reçoit le sacrement qui en est l'objet, d'après ces paroles de saint Paul (1Co 10,18) : Ceux qui mangent de la victime ne participent-ils pas à l'autel? C'est pourquoi il est nécessaire que le prêtre reçoive ce sacrement dans toute son intégrité toutes les fois qu'il le consacre).

31 Il faut répondre au premier argument, que la consécration du chrême ou de toute autre matière n'est pas un sacrifice, comme la consécration de l'eucharistie; et c'est pour cela qu'il n'y a pas de parité.

32
Il faut répondre au second, que le sacrement de baptême se perfectionne dans l'usage même de la matière. C'est pourquoi personne ne peut se baptiser soi-même (2), parce que dans un sacrement le même ne peut être agent et patient. Mais dans l'eucharistie le prêtre ne se consacre pas lui- même, mais il consacre le pain et le vin, et c'est dans cette consécration que le sacrement se perfectionne. L'usage de l'eucharistie ne se rapporte à ce sacrement que par voie de conséquence, et c'est pour cela qu'il n'y a pas de parité.

(I) On ne pourrait sans péché grave réserver l'hostie qu'on a consacrée pour une procession, par exemple, et prendre à la communion une autre hostie consacrée auparavant et qu'on aurait prise dans le ciboire (V05. à ce sujet Lay- mann, lib. V, text. 1, cap. o, n" Ii).
(2) On admet généralement aussi qu'un prêtre peut se communier lui-même lorsqu'il est dans l'impossibilité de dire la messe, et qu'il n'y a pas là d'autre prêtre qui puisse lui donner la communion.

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Il faut répondre au troisième, que si le corps du Christ se montrait par miracle sur l'autel sous l'espèce de la chair, ou le sang sous l'espèce du sang, on ne devrait pas les prendre. Car Origène dit (Sup. Levit. implic. Hom. vu in Lev. à med. et hab. De consecrat, cap. 76, dist. 2) : Il est permis de manger de cette hostie que l'on consacre en mémoire du Christ, mais il n'est permis à personne de manger de celle que le Christ a offerte sur la croix. Le prêtre ne ferait pas de transgression pour cela, parce que ce qui se fait miraculeusement n'est pas soumis aux lois. Cependant on devrait dans ce cas conseiller au prêtre de consacrer de nouveau le corps et le sang du Seigneur et de le prendre.



ARTICLE V. — un mauvais prêtre peut-il consacrer l'eucharistie (1)?

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1 Il semble qu'un mauvais prêtre ne puisse consacrer l'eucharistie. Car saint Jérôme dit (Sup. Sophon. cap. 3 : Sacerdotes polluerunt) que les prêtres qui administrent l'eucharistie et qui distribuent le sang du Seigneur aux peuples, agissent d'une manière impie et contraire à la loi de Dieu, en pensant que les paroles d'un pécheur consacrent l'eucharistie, que la pureté de la vie et les mérites du prêtre ne sont point nécessaires, mais que l'oraison solennelle est seule requise, quoiqu'il soit dit : Que le prêtre, de quelque tache qu'il soit souillé, ne s'approche pas pour offrir au Seigneur des oblations. Or, le prêtre qui est pécheur n'a ni la vie, ni les mérites qui conviennent à ce sacrement, puisqu'il est couvert de souillures. Il ne peut donc consacrer l'eucharistie.

2
Saint Jean Damascène dit (Orth. fid. lib. iv, cap. 14) que le pain et le vin par l'arrivée de l'Esprit-Saint passent surnaturellement au corps et au sang du Seigneur. Or, le pape Gélase dit, comme on le voit (Decret. i, quaest. i, cap. Sacrosancta) : Comment l'Esprit céleste que l'on invoque pour la consécration du mystère divin arrivera-t-il, si le prêtre qui le prie de venir se trouve rempli d'actions criminelles? L'eucharistie ne peut donc être consacrée par un mauvais prêtre.

3
L'eucharistie est consacrée par la bénédiction du prêtre. Or, la bénédiction d'un prêtre pécheur n'est pas efficace pour la consécration de ce sacrement; puisqu'il est écrit (Ml 2,2) : Je maudirai vos bénédictions, et saint Denis dit dans sa lettre au moine Démophile (viii, circ. med.) : Il est absolument déchu de l'ordre sacerdotal celui qui n'est pas illuminé; et il me paraît excessivement audacieux celui qui, étant dans cet état, ose mettre la main aux choses saintes et prononcer, je ne dirai pas des prières, mais d'infâmes paroles sur les symboles divins, en cherchant à imiter le Christ.

20 Mais c'est le contraire. Saint Augustin dit(Paschasius, Lib. de corp. Dom. cap. 42. "Vid. cap. lxxviii, 4, quaest. 4 ) : Dans l'Eglise catholique, à l'égard du mystère du corps et du sang du Seigneur, un bon prêtre ne fait rien de plus, et un mauvais prêtre rien de moins, parce que ce sacrement n'est pas produit par le mérite de celui qui le consacre, mais par la parole du Créateur et la vertu de l'Esprit-Saint.


CONCLUSION. — Puisque les prêtres ne consacrent pas en leur propre nom, mais au nom du Christ, ils peuvent, s'ils sont mauvais, consacrer néanmoins l'eucharistie.

(I) Les hussites, les wideffistes, condamnés par le concile de Constance, les vaudois et les donatistes, ont dit que les sacrements conférés par des ministres dans l'état de péché mortel sont nuls ; ce qui a été ainsi anatliématisé par le concile de Trente (sess, vu, can. 12) : Si quif dixerit ministrum in peccato mortali existentem, modo omnia essentialia quae ad sacramentum conficiendum aut conferendum pertinent, servaverit, non conficere, aut conferre sacramentum; anathema sit.

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Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (art. 1 et 3 huj. quaest.), le prêtre consacre l'eucharistie non par sa vertu propre, mais comme ministre du Christ, en la personne duquel il consacre ce sacrement. Or, de ce qu'un homme est méchant, il ne cesse pas d'être le ministre du Christ; car le Seigneur a de bons et de mauvais ministres ou serviteurs. D'où il dit lui- même (Mt 24,45):Çwe/ est, à votre avis, le serviteur fidèle et prudent ? Et puis il ajoute : Mais si ce serviteur est méchant et qu'il dise dans son coeur. Saint Paul dit aussi (1Co 4,1): Que les hommes nous considèrent comme les ministres du Christ, ce qui ne l'empêche pas d'ajouter : Ma conscience ne me reproche rien, mais je ne suis pas pour cela justifié. Il était donc certain qu'il était le ministre du Christ, quoiqu'il ne fût pas certain qu'il était juste. Par conséquent on peut être le ministre du Christ, quoiqu'on ne soit pas juste (1). — Et ceci appartient à l'excellence du Christ qui est servi, comme le vrai Dieu, non-seulement par les bonnes choses, mais encore par les mauvaises qu'au moyen de sa providence il tourne à sa gloire. D'où il est évident que les prêtres, quoiqu'ils ne soient pas justes, mais pécheurs, peuvent consacrer l'eucharistie.

31 Il faut répondre au premier argument, que par ces paroles saint Jérôme improuve Terreur des prêtres qui croyaient qu'ils pouvaient dignement consacrer l'eucharistie, par cela seul qu'ils sont prêtres, quoiqu'ils soient pécheurs; ce que ce docteur condamne, parce qu'il est défendu à ce qui est souillé de s'approcher de l'autel; mais il ne nie pas que dans le cas où ils s'approchent de l'autel le sacrifice qu'ils offrent soit véritable (2).

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Il faut répondre au second, qu'avant ces paroles le pape Gélase dit : La religion sainte qui renferme la doctrine catholique revendique pour elle un si grand respect afin que personne n'ose s'en approcher, sans avoir la conscience pure. D'où il est manifestement évident qu'il a voulu dire qu'un prêtre qui est dans le péché ne doit pas s'approcher de ce sacrement. Par conséquent, quand il ajoute : Comment l’Esprit céleste viendra-t-il lorsqu'il sera appelé? on doit entendre qu'il ne vient pas à cause du mérite du prêtre, mais d'après la vertu du Christ, dont le prêtre prononce les paroles.

33
Il faut répondre au troisième, que, comme la même action selon qu'elle procède de l'intention dépravée d'un ministre peut ôtre mauvaise, tandis qu'elle est bonne selon qu'elle vient de la bonne intention du Seigneur; de même la bénédiction d'un prêtre qui est pécheur, selon qu'elle vient de lui indignement, mérite la malédiction; elle est une sorte d'infamie ou de blasphème et n'est pas regardée comme une prière; mais selon qu'elle est donnée d'après la personne du Christ, elle est sainte et efficace pour la sanctification. D'où il est dit expressément: Je maudirai vos bénédictions (3).



ARTICLE VI. — la messe d'un mauvais prêtre vaut-elle celle d'un bon prêtre ?

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(3) Dans son sens propre le mot benedictio ne désigne dans le prophète que les biens temporels. Souvent ce mot est employé en ce sens dans l'Ecriture (l.Reg. xxv, 27, et xxx,22, et II. Cor. ix).
(4) Voyez sur cette question ce que nous avons dit (tom. vi, quest. LXIV, art. 5).
(2) En distinguant entre la licite et la validité du sacrement on trouve une réponse à tous les passages semblables qu'on peut trouver dans les Pères.

1 Il semble que la messe d'un mauvais prêtre ne vaille pas moins que celle d'un bon prêtre. Car saint Grégoire dit (in Regist. hab. cap. Multi saecularem, i, quaest. 1) : Hélas, dans quel piège immense tombent ceux qui croient que les divins et secrets mystères ont plus de puissance lorsqu'ils sont offerts par d'autres; tandis que c'est un seul et même Esprit-Saint qui les voile, et qui les sanctifie par son opération invisible. Or, ces mystères secrets se célèbrent à la messe. La messe d'un mauvais prêtre ne vaut donc pas moins que celle d'un bon.

2
Comme le baptême est conféré par le ministre en la vertu du Christ qui baptise, de même l'eucharistie est consacrée aussi dans la personne du Christ. Or, le baptême donné par un ministre meilleur ne vaut pas mieux, comme nous l'avons dit (quest. lxiv, art. 5, et quest. lxvii, art. 5). Par conséquent la messe qui est célébrée par un prêtre plus parfait ne vaut pas mieux non plus.

3
Comme les mérites des prêtres diffèrent par le bien et le mieux, de même ils diffèrent aussi par le bien et le mal. Si donc la messe d'un prêtre meilleur vaut mieux, il s'ensuit que celle d'un mauvais prêtre est mauvaise; ce qui répugne ; parce que la malice des ministres ne peut rejaillir sur les mystères du Christ, comme le dit saint Augustin (De bapt. lib. iv, scilicet cont. Donat. cap. 12, ad fin. et Lib. ii cont, epist. Parmen. cap. 11, et Lib. ii cont, lit. Petit, cap. 47). La messe d'un meilleur prêtre ne vaut donc pas mieux.

20
Mais c'est le contraire. On lit (Decret. i, quaest. i, cap. 91) : Plus les prêtres sont dignes, et plus ils sont facilement exaucés dans les nécessités pour lesquelles ils prient.


CONCLUSION. — Quant au sacrement, la messe d'un mauvais prêtre ne vaut pas moins que celle d'un bon, mais quant aux prières, celle d'un prêtre meilleur est plus fructueuse, quoique les prières que fait un mauvais prêtre au nom de l'Eglise ne soient pas sans fruit.

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Il faut répondre que dans la messe il y a deux choses à considérer : le sacrement lui-même qui est la chose principale, et les prières que l'on fait à la messe pour les vivants et pour les morts. — Quant au sacrement, la messe d'un mauvais prêtre ne vaut pas moins que celle d'un bon ; parce que de part et d'autre c'est le même sacrement qui est produit. — On peut aussi considérer la prière que l'on fait à la messe de deux manières : 1° Selon qu'elle tire son efficacité de la dévotion du prêtre qui l'adresse. A cet égard il n'est pas douteux que la messe d'un prêtre meilleur soit plus fructueuse. 2° On peut la considérer comme étant faite par le prêtre en la personne de toute l'Eglise, dont il est le ministre. Ce ministère subsiste aussi dans les pécheurs, comme nous l'avons dit (art. préc.) au sujet du ministère du Christ. Sous ce rapport, non-seulement la prière que le prêtre pécheur fait à la messe est fructueuse (1), mais encore toutes les prières qu'il fait dans les offices de l'Eglise où il représente l'Eglise elle-même ; quoique ses prières particulières ne portent pas de fruit, d'après ces paroles (Pr 28,9) : Celui qui détourne les oreilles pour ne pas entendre la loi, sa prière sera exécrable.

31 Il faut répondre au premier argument, que saint Grégoire parle en cet endroit par rapport à la sainteté du divin sacrement (2).

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Il faut répondre au second, que dans le sacrement de baptême on ne fait pas de prières solennelles pour tous les fidèles, comme à la messe. C'est pour cela que sous ce rapport il n'y a pas de ressemblance, mais il y en a quant à l'effet du sacrement.

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Il faut répondre au troisième, que, par la vertu de l'Esprit-Saint qui par l'unité de la charité communique de l'un à l'autre les biens des membres du Christ, il arrive que le bien particulier qui résulte de la messe d'un bon prêtre est fructueux pour d'autres. Mais le mal particulier d'un homme ne peut nuire à un autre qu'autant que ce dernier y consent, comme l'observe saint Augustin (Lib. n cont. Parmen. seu cont, epist. Parmen. cap. 12).

(1) Sous ce point de rue, d'après saint Thomas, la messe d'un mauvais prêtre est aussi fructueuse que celle d'un bon, parce que son efficacité ne dépend pas du prêtre, mais du mérite de l'Eglise. Cependant, comme on doit juger d'une chose d'après toutes ses circonstances, on doit dire absolument que la messe d'un bon prêtre vaut mieux que celle d'un autre, comme le dit saint Thomas lui-même (iv, dist. 13, quest. i, art. 1, quest. v).
(2) Quoique l'effet du sacrement et du sacrifice soit le même, cependant on peut obtenir par la dévotion d'un saint prêtre des grâces particulières, comme l'a dit saint Thomas (quest. Lxiv art. \ ad 2), et comme on le voit d'après cette décrétale du pape Alexandre (Sacerdotes I quest. i. c.) qui dit: Quanto digniores fuerint sacerdotes, tanto facilius pro necessitatibus, pro quibus clamant, exaudiuntur.




III Pars (Drioux 1852) 1640