III Pars (Drioux 1852) 1740

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Après avoir parlé de la rémission des péchés mortels, nous devons nous occuper de la rémission des péchés véniels. — A ce sujet quatre questions se présentent : r Le péché véniel peut-il être remis sans la pénitence ? — 2° Peut-il être remis sans l'infusion de la grâce ? — 3° Les péchés véniels sont-ils remis par l'aspersion de l'eau bénite, la bénédiction épiscopale, en se frappant la poitrine, par l'oraison dominicale et par d'autres moyens semblables? — 4° Le péché véniel peut-il être remis sans le péché mortel ?



ARTICLE I. — le péché véniel peut-il être remis sans la pénitence (3) ?

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1 Il semble qu'un péché véniel puisse ôtre remis sans la pénitence. Car il appartient, comme nous l'avons dit (quest. lxxxiv, art. 10 ad 4), à l'essence de la véritable pénitence que l'homme ne se repente pas seulement du péché passé, mais qu'il se propose encore de l'éviter à l'avenir. Or, le péché véniel est remis sans ce dessein, puisqu'il est certain que l'homme ne peut vivre ici-bas sans faire aucun péché véniel. Ces péchés peuvent donc être remis sans la pénitence.

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La pénitence n'existe pas sans la détestation actuelle  des péchés. Or, les péchés véniels peuvent être pardonnés sans leur détestation actuelle, comme on le voit évidemment à l'égard de celui qui serait égorgé pour le Christ pendant son sommeil : son âme s'envolerait immédiatement au ciel ; ce qui n'a pas lieu tant que les péchés véniels existent. Ces péchés peuvent donc être remis sans la pénitence.

Les péchés véniels sont opposés à la ferveur de la charité, comme nous l'avons dit (2* 2% quest. xxiv, art. 10). Or, l'un des opposés est détruit par l'autre. Donc les péchés véniels sont remis par la ferveur de la charité, qui peut exister sans la détestation actuelle du péché véniel.

péché véniel ne lui déplaît. Durand prétend au contraire que la pénitence formelle est nécessaire, mais le plus grand nombre des théologiens suivent avec saint Thomas une opinion intermédiaire. Ils reconnaissent qu'aucun péché véniel n'est remis sans une certaine pénitence, que la pénitence habituelle ne suffit pas, que" la pénitence formelle n'est pas nécessaire, mais que la pénitence virtuelle est requise et qu'elle suffit.

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Mais c'est le contraire. Saint Augustin dit (alius auctor, De ver. et fais, poenit. cap. 8, et August. hom. xxvii, int. l, cap. 11, et hom. ult.) : Qu'il y a une pénitence que l'on fait tous les jours dans l'Eglise pour les péchés véniels. Or, cette pénitence serait vaine, s'ils pouvaient être pardonnés sans cela. Il semble donc qu'ils ne puissent pas l'être.


CONCLUSION. — Puisque le péché véniel empêche la volonté de l'homme de se porter promptement vers Dieu, aucun péché véniel ne peut être remis sans la vertu de pénitence.

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Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (quest. préc. art. 2), la rémission de la faute est produite par l'union de l'homme avec Dieu, dont la faute le sépare d'une certaine manière. Cette séparation est produite parfaitement par le péché mortel, et imparfaitement par le péché véniel. Car par le péché mortel l'âme est entièrement détournée de Dieu, selon qu'elle agit contrairement à la charité; au lieu que par le péché véniel la volonté de l'homme est ralentie et empêchée de se porter vivement vers lui. C'est pourquoi ces deux sortes de péchés sont remis l'un et l'autre par la pénitence, parce que l'un et l'autre sont un dérèglement de la volonté qui se porte d'une manière immodérée vers le bien créé. Car comme le péché mortel ne peut être remis tant que la volonté adhère au péché, de même le péché véniel ne peut pas être remis non plus, parce que, tant que la cause subsiste, l'effet subsiste aussi. — Mais on exige pour la rémission du péché mortel une pénitence plus parfaite. Ainsi on veut que l'homme déteste en acte, autant qu'il est en lui, le péché mortel qu'il a commis, c'est-à-dire qu'il mette tous ses soins à se rappeler chacun de ses péchés mortels, pour détester chacun d'eux en particulier (1). Mais cela n'est pas nécessaire pour la rémission des péchés véniels. Cependant ce n'est pas assez de la détestation habituelle qui résulte de l'habitude de la charité ou de la vertu de pénitence; parce qu'alors la charité ne serait pas compatible avec le péché véniel, ce qui est évidemment faux. D'où il suit qu'il faut une certaine détestation virtuelle, comme quand on se porte d'une certaine manière par le coeur vers Dieu et vers les choses divines, de telle sorte que tout ce qui se présente comme étant de nature à refroidir ce mouvement déplaît, et qu'on se repent de l'avoir commis (2), quand même on ne penserait pas en acte à ces fautes légères. Mais cela ne suffît pas pour obtenir la rémission du péché mortel, à moins qu'il ne s'agisse des péchés qu'on aurait oubliés après un examen suffisant.

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Il faut répondre au premier argument, que l'homme qui est en état de grâce peut éviter tous les péchés mortels et chacun d'eux en particulier; il peut aussi éviter chaque péché véniel, mais il ne peut les éviter tous, comme on le voit d'après ce que nous avons dit (I-II quest. lxxiv, art. 3 ad 2, et quest. cix, art. 8). C'est pourquoi la pénitence qui a pour objet les péchés mortels requiert que l'homme se propose de s'abstenir de tous ces péchés en général et de chacun d'eux en particulier. Mais il est requis pour la pénitence des péchés véniels qu'on se propose de s'abstenir de chacun d'eux, mais non de tous; parce que notre faiblesse ici-bas ne nous le permet pas. Cependant chacun doit avoir la résolution de travailler à diminuer ses fautes vénielles; autrement il serait exposé au péril d'une chute, lorsqu'il n'aurait plus le désir de progresser, ou d'enlever ce qui fait obstade à ses progrès spirituels, c'est-à-dire les péchés véniels.

bon mouvement qui nous porte vers Dieu, mais seulement tout mouvement qui se rapporte au péché véniel en nous faisant détester tout ce qui refroidit notre amour pour Dieu, et en nous faisant déplorer tous les actes de cette nature quo nous avons commis, quoique nous n'y pensions pas formellement.

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Il faut répondre au second, que la mort que l'on endure pour le Christ a la vertu du baptême, comme nous l'avons dit (quest. lxvi, art. 11). C'est pourquoi elle purge de toutes les fautes vénielles et mortelles, à moins qu'elle ne trouve la volonté actuellement attachée au péché.

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Il faut répondre au troisième, que la ferveur de la charité (1 ) implique virtuellement la détestation des péchés véniels, comme nous l'avons dit (quest. lxxix, art. 4).

Comme vertu et comme sacrement c'est toujours à la passion du Christ qu'elle doit son efficacité.



ARTICLE II. — l'infusion de la grâce est-elle requise pour la rémission des péchés véniels?

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1 Il semble que l'infusion de la grâce soit requise pour la rémission des péchés véniels. Car l'effet n'existe pas sans sa propre cause. Or, la propre cause de la rémission des péchés est la grâce, puisque les péchés de l'homme ne sont pas remis par ses propres mérites. D'où l'Apôtre dit (
Ep 2,4) : Dieu qui est riche en miséricorde, poussé par l'amour extrême dont il nous a aimés lorsque nous étions morts par nos péchés, nous a rendu la vie dans le Christ, par la grâce duquel vous avez été sauvés. Les péchés véniels ne sont donc pas remis sans l'infusion de la grâce.

2 Les péchés véniels ne sont pas remis sans la pénitence. Or, la grâce est infuse dans la pénitence comme dans les autres sacrements de la loi nouvelle. Les péchés véniels ne sont donc pas remis sans l'infusion de la grâce.

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Le péché véniel imprime une tache à l'âme. Or, la tâche n'est enlevée que par la grâce, qui est la beauté spirituelle de l'âme. Il semble donc que les péchés véniels ne soient pas remis sans l'infusion de la grâce.

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Mais c'est le contraire. Le péché véniel qui advient n'enlève ni ne diminue la grâce, comme nous l'avons dit (2' 2", quest. xxiv, art. 10). Donc, pour la même raison, pour que le péché véniel soit remis il n'est pas nécessaire que l'infusion d'une grâce nouvelle ait lieu.


CONCLUSION. — Puisque par le péché véniel la ferveur de la charité est refroidie plutôt que la grâce habituelle ou la charité n'est détruite, l'infusion de la grâce habituelle v'est pas nécessairement requise pour la rémission de cette faute, quoique l'infusion de la grâce et de la charité soit unie à la rémission de tous les péchés véniels dans un adulte quel qu'il soit.

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Il faut répondre que chaque chose est détruite par son contraire. Or, le péché véniel n'est pas contraire à la grâce ou à la charité habituelle, mais il refroidit son acte, dans le sens que l'homme s'attache trop au bien créé, quoiqu'il n'agisse pas contre Dieu, comme nous l'avons vu (1" 2", quest. Lxxxvm, art. 1, et 2" 2X, quest. xxiv, art. 10). C'est pourquoi, pour que le péché véniel soit effacé, il n'est pas nécessaire qu'une grâce habituelle soit infuse de nouveau ; mais il suffit d'un mouvement de la grâce ou de la charité (2) pour en obtenir la rémission. — Mais parce que dans ceux qui ont l'usage du libre arbitre, et qui seuls peuvent faire des péchés véniels, il n'arrive pas que l'infusion de la grâce ait lieu sans un mouvement actuel (1) du libre arbitre vers Dieu et contre le péché; pour ce motif, toutes les fois que la grâce est infuse de nouveau dans quelqu'un, les péchés véniels sont remis (2).

(1) La ferveur de la charité se considère ici non-seulement d'après son intensité, mais encore d'après son extension qui fait qu'elle embrasse tout ce qui peut refroidir l'amour de l'homme pour Dieu.
(2) Ce mouvement de la grâce et delà charité doit toujours être accompagné au moins delà détestation virtuelle du péché, comme nous l'avons vu dans l'article précédent.

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Il faut répondre au premier argument, que la rémission des péchés véniels est l'effet de la grâce, c'est-à-dire qu'elle est produite par un acte nouveau qui émane d'elle (3), mais non par quelque chose d'habituel qui serait de nouveau infus dans l'âme.

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Il faut répondre au second, que le péché véniel n'est jamais remis sans un acte quelconque de la vertu de pénitence, explicite ou implicite, comme nous l'avons dit (art. préc.). Cependant le péché véniel peut être remis sans le sacrement de pénitence, qui reçoit sa dernière forme dans l'absolution du prêtre, comme nous l'avons vu (quest. préc. art. 2). C'est pourquoi il ne s'ensuit pas que pour la rémission du péché véniel l'infusion de la grâce soit requise; car quoique cette infusion existe dans tout sacrement, elle n'existe cependant pas dans tout acte de vertu.

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Il faut répondre au troisième, que comme un corps peut être taché de deux manières : 1° par la privation de ce qui est requis pour la beauté, par exemple, de la couleur qu'il doit avoir ou de la proportion que doivent avoir les membres entre eux; 2° par l'avènement d'une chose qui empêche sa beauté, comme la boue ou la poussière; de même l'âme peut être tachée de deux manières : 1° par la privation de la beauté delà grâce qui est produite par le péché mortel; 2° par l'inclination déréglée de la volonté vers quelque chose de temporel, et c'est ce que produit le péché véniel. C'est pourquoi, pour enlever la tâche du péché mortel, l'infusion de la grâce est requise ; au lieu que pour enlever la tâche du péché véniel il faut un acte qui procède de la grâce, par laquelle se trouve détruit l'attachement déréglé que l'on avait pour une chose temporelle.



ARTICLE III. — les péchés véniels sont-ils remis par l'aspersion de l'eau bénite et par d'autres moyens (4)?

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1 Il semble que les péchés véniels ne soient pas remis par l'aspersion de l'eau bénite, par la bénédiction épiscopale et par d'autres choses semblables. Car les péchés véniels ne sont pas remis sans la pénitence, comme nous l'avons dit (art. 1 huj. quaest.). Or, la pénitence suffit par elle-même pour la rémission des péchés véniels. Ces moyens n'opèrent donc rien pour la rémission de ces mêmes fautes.

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Chacune de ces choses se rapporte à un seul péché véniel comme elle se rapporte à tous. Si donc un péché véniel est remis par l'une de ces choses, il s'ensuit que pour la même raison ils sont tous remis. Ainsi, en se frappant la poitrine une fois, ou en recevant une fois de l'eau bénite, l'homme se trouverait exempt de tous les péchés véniels; ce qui paraît répugner. .

(1) Ce mouvement existe présentement, ou il a existé auparavant, et il subsiste virtuellement.
(2) Toujours dans la supposition que ce mouvement du libre arbitre renferme la pénitence virtuelle de ces péchés.
(3) Il y a quelques auteurs qui ont cru que le péché véniel pouvait être remis sansla grâce, mais ce sentiment est contraire à cette décision du concile d'Orange (can. 14) : Nullus miser de quantacumque miseria liberatur nisi qui Dei misericordia proevenitur, à la pratique des fideles qui demandent tous les jours dans l'oraison dominicale le pardon de leurs fautes vénielles, et à ces paroles de saint Jean (I. Jean, i) : Sanguis Christi emundat nos ab omni peccato.
(4) Saint Thomas désigne ainsi d'une manière générale les sacranicntaux que l'on compte ordinairement au nombre de six, etqu'on a exprimés dans ce vers technique : Orans, tinclus, edcns, confessus, dans, benedicens.

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Les péchés véniels font qu'on mérite une peine, quoiqu'elle soit temporelle. Car il est dit (1Co 3,45) : Que celui qui bâtit avec du bois, du foin et de la paille, sera sauvé, mais comme-par le feu. Or, ces choses par lesquelles on dit que le péché véniel est pardonné n'ont en elles rien ou presque rien de pénible. Elles ne suffisent donc pas pour la rémission pleine et entière des péchés véniels.

20 Mais c'est le contraire. Saint Augustin dit (hom. ùlt. inter l) que c'est pour des fautes légères que nous nous frappons la poitrine et que nous disons : Pardonnez-nous nos offenses. Il semble donc qu'en se frappant la poitrine et en récitant l'oraison dominicale on obtienne la rémission des péchés véniels, et il semble qu'on doive raisonner de même à l'égard des autres choses.


CONCLUSION. — Puisque pour la rémission du péché véniel il suffit d'un acte de détestation du péché ou d'un mouvement de respect envers Dieu, il est évident qu'en faisant une confession générale de ses fautes, en se frappant la poitrine ou en récitant l'oraison, dominicale on obtient la rémission de ses péchés véniels en tant que ces choses sont accompagnées d'une détestation du péché, et on l'obtient aussi par la bénédiction épiscopale, l'aspersion de l'eau bénite et les autres actions semblables;, selon qu'on les fait pour témoigner à Dieu son respect.

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Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (art. préc.), l'infusion d'une grâce nouvelle n'est pas requise pour la rémission du péché véniel, mais il suffit d'un acte qui procède de la grâce et par lequel on déteste le péché véniel soit explicitement, soit au moins implicitement; comme quand on a se porte avec ferveur vers Dieu. — C'est pourquoi il y a trois sortes de choses qui produisent la rémission des péchés véniels : 4° Il y en a qui la produisent selon que la grâce est infuse en elles, parce que les péchés véniels sont effacés par l'infusion de la grâce, comme nous l'avons dit (art. préc.). C'est de la sorte qu'ils sont effacés par l'eucharistie, l'extrême- onction et en général par tous les sacrements de la loi nouvelle qui confèrent la grâce (4). 2° Il y en a qui la produisent selon qu'elles sont accompagnées d'un mouvement de détestation à l'égard du péché. C'est ainsi qu'en faisant la confession générale de ses fautes, en se frappant la poitrine, en récitant l'oraison dominicale (2), on obtient la rémission de ses péchés véniels. Car nous disons dans l'oraison dominicale : Pardonnez-nous nos offenses. 3° Il y en a qui la produisent selon qu'elles sont accompagnées d'un mouvement de respect pour Dieu et pour les choses divines (3). C'est de cette manière que la bénédiction épiscopale, l'aspersion de l'eau bénite, toute onction sacramentelle, une prière dans une église dédiée et toutes les autres choses semblables opèrent pour la rémission de ces fautes.

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Il faut répondre au premier argument, que toutes ces choses produisent la rémission des péchés véniels, dans le sens qu'elles portent l'âme au mouvement de la pénitence qui est la détestation des péchés, soit implicitement, soit explicitement.

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Il faut répondre au second, que toutes ces choses opèrent, autant qu'il est en elles, pour la rémission de tous les péchés véniels : cette rémission peut cependant être empêchée relativement à quelques péchés véniels (1) auxquels l'âme reste actuellement attachée ; comme par la fiction on empêche aussi quelquefois l'effet du baptême.

(1) Ainsi les sacrements produisent la rémission des péchés véniels ex opere operato, comme ils produisent la grâce elle-même, tandis que les sacramentaux ne produisent cette rémission que ex opere operantis.
(2) Ces sacramentaux sont d'après leur genre et leur mode accompagnés d'une certaine détestation da péché, et c'est pour ce motif que saint Thomas les distingue des autres.
(3) Indépendamment de ce mouvement de respect qu'elles excitent, elles sont en outre revêtues de la bénédiction et de la consécration de l'Eglise, ce qui leur donne une puissance impétratoire toute particulière.

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Il faut répondre au troisième, que par les moyens dont nous avons parlé les péchés véniels sont effacés à la vérité quant à la faute, par la vertu d'une satisfaction quelconque aussi bien que par la vertu de la charité dont le mouvement est parla même excité. Mais toute la peine due au péché n'est pas toujours enlevée par chacun de ces moyens; parce qu'alors celui qui serait absolument exempt de péché mortel, entrerait immédiatement dans le ciel, après avoir reçu de l'eau bénite. La peine n'est remise par ces moyens qu'en proportion de la ferveur qu'on a pour Dieu, et cette ferveur est excitée par ces moyens tantôt plus et tantôt moins.



ARTICLE IV. — le péché véniel peut-il être remis sans le péché mortel (2)?

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1 Il semble que le péché véniel puisse être remis sans le péché mortel. Car, sur ces paroles (
Jn 8) : Que celui d'entre vous qui est sans péché lin jette le premier la pierre, la glose dit (ex lib. De ver. et fais, poenit. cap. ult.), qu'ils étaient tous dans le péché mortel; puisque les péchés véniels leur étaient pardonnés par les cérémonies. Le péché véniel peut donc être remis sans le péché mortel.

2 L'infusion de la grâce n'est pas requise pour la rémission du péché véniel, tandis qu'elle est requise pour celle du péché mortel. Le péché véniel peut donc être remis sans le péché mortel.

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Le péché véniel est plus éloigné du péché mortel que d'un autre péché véniel. Or, un péché véniel peut être remis sans un autre, comme nous l'avons dit (art. préc. ad 2, et quest. préc. art. 3). Le péché véniel peut donc être remis sans le péché mortel.

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Mais c'est le contraire. Il est dit (Mt 5,26) : En vérité je vous le dis, vous ne sortirez pas d'ici, c'est-à-dire de la prison dans laquelle l'homme est enfermé pour tout péché mortel, que vous n'ayez payé la dernière obole; ce qui désigne le péché véniel. Le péché véniel n'est donc pas remis sans le péché mortel.



CONCLUSION. — Puisque la rémission des fautes est produite par la grâce qui n'existe pas dans celui qui est en état de péché mortel, il s'ensuit que l'un des péchés véniels ne peut être remis sans le péché mortel.

21 Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (quest. préc. art. 3), la rémission d'une faute quelconque n'est jamais produite que par la vertu de la grâce, parce que, selon la pensée de l'Apôtre (Rm 4), il appartient à la grâce de Dieu que Dieu n'impute pas un péché à quelqu'un ; ce que la glose (interi, sup. illud : Beatus vir cui non imputavit) entend du péché véniel. Celui qui est dans le péché mortel n'ayant pas la grâce de Dieu, il s'ensuit qu'aucun péché véniel ne lui est remis. "

31 Il faut répondre au premier argument, que par péchés véniels on entend en cet endroit les irrégularités ou les impuretés qu'ils contractaient selon la loi.

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Il faut répondre au second, que quoique pour la rémission du péché véniel on ne requière pas une infusion nouvelle de la grâce habituelle, cependant on requiert un acte de la grâce (1) qui ne peut exister dans celui qui est soumis au péché mortel.

(1) Ainsi la plénitude de l'effet se trouve empêchée, non par l'insuffisance de la cause, mais par le défaut de disposition de la part du sujet.
(2) Il est certain que le péché véniel ne peut être remis sans la rémission du péché mortel selon la puissance ordinaire de Dieu ; mais il y a des théologiens qui enseignent qu'il pourrait être remis d'après sa puissance absolue.

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Il faut répondre au troisième, que le péché véniel n'exclut pas tout acte de la grâce par lequel tous les péchés véniels peuvent être pardonnés; au lieu que le péché mortel exclut totalement l'habitude de la grâce, sans laquelle aucun péché ni mortel, ni véniel n'est remis. C'est pourquoi il n'y a pas de parité.




QUESTION 88: DU RETOUR DES PÉCHÉS REMIS PAR LA PÉNITENCE.

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Nous devons ensuite considérer le retour des péchés remis par la pénitence. A cet égard quatre questions se présentent : 1° Les péchés remis par la pénitence reviennent- ils par le péché subséquent? — 2° Reviennent-ils d'une certaine manière par l'ingratitude plus spécialement d'après certains péchés? — 3" Les péchés reviennent-ils en méritant une peine égale? — 4e Cette ingratitude par laquelle ils reviennent est-elle un péché spécial ?



ARTICLE I. — les péchés qui ont été remis reviennent-ils par un péché subséquent ?

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1 Il semble que les péchés qui ont été remis reviennent par un péché subséquent. Car saint Augustin dit (De bapt. cont. Donat. lib. i, cap. 42) : que les péchés pardonnés reviennent dès que la charité fraternelle n'existe plus, ce que le Seigneur enseigne très-clairement dans l'Evangile, à l'égard de ce serviteur auquel le Seigneur a redemandé la dette qu'il lui avait remise, parce qu'il ne voulait pas remettre à son semblable ce qui lui était dû. Or, la charité fraternelle est détruite par tout péché mortel. Donc les péchés qui ont été auparavant remis par la pénitence reviennent une fois qu'on commet de nouveau un péché mortel.

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Sur ces paroles (Lc 11) : Je retournerai dans ma maison, d'où je suis sorti, le vénérable Bède dit (cap. 48 in ) : Ce verset n'a pas besoin d'être expliqué, mais il doit être redouté dans la crainte que le péché que nous croyions éteint en nous ne nous accable, par suite de notre négligence ou de notre incurie. Or, il n'en serait pas ainsi s'il ne revenait pas. La faute remise par la pénitence revient donc.

3 Le Seigneur dit (Ez 18,24) : Si le juste se détourne de sa justice et qu'il commette l'iniquité, je ne me souviendrai plus de tous les actes de justice qu'il aura faits. Or, parmi les autres actes de justice qu'il a faits, se trouve comprise la pénitence antérieure, puisque nous avons dit (quest. lxxxv, art. 3) que la pénitence était une partie de la justice. Donc, quand le pénitent pèche, on ne lui impute pas la pénitence antérieure par laquelle il a obtenu le pardon de ses péchés, et par conséquent ces péchés reviennent.

4 Les péchés passés sont couverts par la grâce, comme on le voit dans saint Paul (Iiom. iv, 4), qui cite ces paroles du Psalmiste (Ps 31) : Bienheureux ceux dont les iniquités ont été remises et dont les péchés sont couverts. Or, la grâce subséquente est enlevée par le péché mortel. Donc les péchés qui avaient été commis auparavant restent découverts, et par conséquent il semble qu'ils reviennent.

20 Mais c'est le contraire. L'Apôtre dit (Rm 11,29) : Les dons et la vocation de Dieu sont sans repentir. Or, les péchés du pénitent ont été pardonnés par le don de Dieu. Donc les péchés pardonnés ne reviennent pas (1) par l'effet d'un péché subséquent, comme si Dieu se repentait du don de leur rémission.

(I) Un acte de la grâce habituelle qui est incompatible avec le péché mortel.

Saint Augustin dit dans son livre des Réponses de saint Prosper (Prosp. ad object. Gallorum, object. 2) : Celui qui s'éloigne du Christ et qui termine sa carrière sans avoir la grâce fait-il autre chose que de courir à sa perdition ? Cependant il ne retombe pas dans les fautes qui lui ont été par- données, et il ne sera pas damné pour le péché originel.



CONCLUSION. — Puisque l'oeuvre de Dieu ne peut être anéantie par l'oeuvre de l'homme, la tâche et la peine 'éternelle que le péché mérite ne reviennent pas absolument comme étant le fruit des autres péchés qui ont été auparavant pardonnés, sinon en tant que l'homme, par le nouveau péché qu'il commet, revient à son ancien état dans lequel il était privé de la grâce et de la charité, et que ces effets sont contenus virtuellement dans le péché qu'il a commis ensuite.

21 Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (quest. lxxxvi, art. 4), dans le péché mortel il y a deux choses : le mouvement par lequel on se détourne de Dieu et celui par lequel on se porte vers le bien créé. Tout ce qui se rapporte au premier de ces mouvements, considéré en lui-même, est commun à tous les péchés mortels, parce que l'homme est détourné de Dieu par tout péché mortel. Ainsi la tâche qui est produite par la privation de la grâce et de la peine éternelle que l'on mérite sont conséquemment des choses communes à tous les péchés mortels. C'est dans ce sens qu'il faut comprendre ces paroles de saint Jacques (Ep 2,10) : Celui qui viole la loi en un point est coupable, comme s'il V eût violée tout entière. Par rapport à l'autre mouvement, les péchés mortels sont divers et quelquefois contraires; d'où il est évident que, par rapport à ce mouvement, le péché mortel subséquent ne fait pas revenir les péchés mortels qui ont été auparavant effacés. Autrement il s'ensuivrait que l'homme serait ramené par un péché de prodigalité à l'habitude ou à la disposition de l'avarice qui a été auparavant détruite. Alors le contraire serait la cause de son contraire, ce qui est impossible. Mais, si Ton considère dans les péchés mortels ce qui se rapporte au mouvement qui détourne de Dieu absolument, le péché mortel qui suit fait revenir ce qui avait existé dans les péchés antérieurs avant leur pardon, en ce sens que, par le péché mortel qui suit, l'homme est privé de la grâce et mérite la peine éternelle, comme il la méritait auparavant. —Mais, parce que, dans le péché mortel, le mouvement qui détourne de Dieu résulte d'une certaine manière du mouvement qui porte vers le bien créé, les choses qui se rapportent au premier de ces mouvements deviennent diverses d'une certaine façon, par suite du rapport qu'elles ont avec les divers objets vers lesquels on se porte, comme vers autant de causes diverses; de telle sorte que le mouvement par lequel on se détourne de Dieu, la tâche, et la peine qu'on mérite, varient selon que tous ces effets proviennent de tel ou tel acte de péché mortel. Et c'est dans ce sens qu'on demande si la tâche et la peine éternelle qu'on a méritée, considérées comme des effets des péchés qui ont été auparavant pardonnés, reviennent par suite d'un péché mortel commis subséquemment.—Il a donc paru à quelques-uns que ces effets reviennent de la sorte absolument. Mais cela est impossible; parce que l'oeuvre de Dieu ne peut être anéantie par l'oeuvre de l'homme. Et, comme la rémission des péchés antérieurs a été l'oeuvre de la miséricorde divine, eUe ne peut être annulée par un péché subséquent que l'homme commet, d'après ces paroles do-saint Paul (Rm 2,3) : Leur incrédulité anéantir a-t-elle la foi de Dieu?— C'est pourquoi d'autres qui supposaient aussi que les péchés reviennent ont dit que Dieu ne remet pas, d'après sa prescience, les péchés au pénitent qu'il sait devoir pécher ensuite, mais qu'il ne les lui remet que selon sa justice présente. Car il sait à l'avance qu'il le punira éternellement pour ces péchés, et il le rend juste pour le moment présent par sa grâce. Mais cette opinion est insoutenable ; parce que si l'on pose la cause d'une manière absolue, on pose aussi l'effet de la même manière. Si donc la rémission des péchés n'était pas absolument produite par la grâce et par les sacrements de la grâce, mais qu'elle fût soumise à une condition qui dépendît de l'avenir, il s'ensuivrait que la grâce et les sacrements de la grâce ne seraient pas une cause suffisante de la rémission des péchés, ce qui est erroné, parce que cela déroge à la grâce de Dieu (i). —c'est pourquoi il ne peut se faire d'aucune manière que la tâche et la peine méritée par les péchés antérieurs reviennent (2), selon que ces effets étaient produits par ces actes. Mais il arrive que le péché que l'on fait ensuite contient virtuellement la peine méritée par le péché antérieur, dans le sens que celui qui pèche une seconde fois paraît par là même pécher plus grièvement qu'il n'avait péché auparavant (3), d'après cette pensée de saint Paul
(Rm 2,5) : Par votre dureté et votre coeur impénitent, vous vous amassez un trésor de colère pour le jour de la vengeance, par cela seul qu'on méprise la bonté de Dieu qui attend qu'on se repente. Or, on méprise bien davantage cette même bonté, si après avoir obtenu la rémission d'une première faute on y retombe ensuite; car c'est un plus grand bienfait de remettre le péché que de supporter le pécheur. Ainsi donc, par le péché que l'on commet après la pénitence, on fait revivre d'une certaine manière la peine due aux péchés qui ont été auparavant pardonnés, non comme un effet produit par ces péchés eux-mêmes, mais comme résultant du péché qui a été commis en dernier lieu, et qui se trouve aggravé par les fautes antérieures. Ainsi les péchés pardonnés ne reviennent pas absolument, mais ils reviennent sous un rapport, en tant qu'ils sont contenus virtuellement dans le péché qui suit (4).

(I) Les péchés antérieurs ne reviennent pas absolument, mais ils reviennent sous un rapport, comme saint Thomas l'explique plus loin.

31 Il faut répondre au premier argument, que ce passage de saint Augustin paraît devoir s'entendre du retour des péchés, quant à l'obligation de la peine éternelle considérée en elle-même, parce que celui qui pèche après avoir fait pénitence mérite la peine éternelle comme auparavant; mais cependant ce n'est pas absolument pour la même raison (5). Aussi saint Augustin (Lib. de respons. Prosperi), après avoir dit : Il ne retombe pas dans le péché qui a été pardonné, il ne sera pas damné pour le péché originel, ajoute : Cependant, à cause de ses derniers crimes, il souffrira la mort qu'il avait méritée à cause des fautes-qui lui ont été remises, parce qu'il encourt la mort éternelle qu'il avait méritée par ses péchés passés.

32
Il faut répondre au second, que dans ce passage, Rède n'a pas l'intention de dire que la faute qui a été auparavant pardonnée accable l'homme en faisant renaître l'obligation sous laquelle il était, mais qu'on mérite la même peine par la réitération de l'acte.

(I) En effet le prêtre, en parlant au nom de Dieu, dit absolument sans aucune condition : Absolvo te.
(2) C'est ce qu'exprime clairement le pape Gé- lase : Vivinâ dementiâ dimissa peccata in ultionem ulteriùs redire non patitur (xYi. De poenit. cap. ult.).
(5) La faute s'aggrave en raison de l'ingratitude.
(4) Ainsi le péché qui suit produit une tache plus honteuse et mérite une peine plus grande, parce qu'il implique l'abus de la grâce.
1(5) Ainsi il peut se faire que l'on mérite une peine plus ou moins grande suivant que le péché commis aura été plus ou moins grave. Seulement ce péché considéré en lui-même devient plus grave à cause de l'ingratitude qui s'y joint.

33
Il faut répondre au troisième, que par le péché suivant les actes de justice que l'on avait faits auparavant sont livrés à l'oubli selon qu'ils méritaient la vie éternelle, mais ils ne le sont pas selon qu'ils étaient un obstacle au péché. Par conséquent, si on pèche mortellement, après avoir restitué ce que l'on devait, on ne devient pas coupable comme si on ne l'eût pas rendu. La pénitence que l'on a faite auparavant est donc encore beaucoup moins oubliée quant à la rémission de la faute, puisque la rémission de la faute est plutôt l'oeuvre de Dieu que l'oeuvre de l'homme.

34
Il faut répondre au quatrième, que la grâce enlève absolument la tâche et la peine éternelle due au péché. Elle couvre les péchés passés pour empêcher que Dieu ne prive l'homme de la grâce à cause de ces péchés, et ne le condamne à la peine éternelle; et ce que la grâce a fait une fois subsiste à jamais.



ARTICLE II. — les péchés pardonnés reviennent-ils par l'ingratitude que l'on commet spécialement par la haine fraternelle,

par l'apostasie de la foi, par le mépris de la confession et par le repentir d'avoir fait pénitence (1)?
1762
III Pars (Drioux 1852) 1740