III Pars (Drioux 1852) 1762

1762
1 Il semble que les péchés pardonnés ne reviennent pas par l'ingratitude qui résulte spécialement de quatre genres de péchés, c'est-à-dire de la haine fraternelle, de l'apostasie de la foi, du mépris de la confession, du regret que l'on a d'avoir fait pénitence; c'est ce qui a fait dire en vers: Il hait ses frères, devient apostat, méprise la confession et regrette la pénitence qu'il a faite; alors ses anciennes fautes reviennent. Car l'ingratitude est d'autant plus grande que le péché qu'on commet contre Dieu est plus grave après le bienfait de la rémission des péchés. Or, il y a des péchés plus graves que ceux-là ; comme le blasphème contre Dieu et le péché contre l'Esprit-Saint. Il semble donc que les péchés pardonnés ne reviennent pas plutôt en raison de l'ingratitude que l'on commet d'après ces péchés que d'après d'autres.

2
Raban Maur dit (implic. lib. v in Matth, in fin. et hab. cap. Si Judas, De poenit. dist. I) : Dieu a livré le mauvais serviteur aux bourreaux jusqu'à ce qu'il eût rendu tout ce qu'il devait, parce que non-seulement les péchés que l'homme a faits après son baptême lui seront imputés pour son châtiment, mais encore les péchés originels qui lui ont été remis dans ce sacrement. Or, les péchés véniels sont aussi comptés parmi les choses dues pour lesquelles nous disons : Dimitte nobis debita nostra. Ils reviennent donc aussi par l'ingratitude, et pour la même raison il semble que les péchés qui ont été auparavant pardonnés reviennent par les péchés véniels et qu'ils ne reviennent pas seulement par les péchés énoncés antérieurement.

1 l'ingratitude est d'autant plus grande qu'on pèche après avoir reçu un plus grand bienfait. Car saint Augustin dit (Confes. lib. ii, cap. 7): J'attribue à votre grâce tous les péchés que je n'ai pas faits. Or, l'innocence est un don plus grand que la rémission de tous les péchés. Il n'est donc pas moins ingrat envers Dieu celui qui pèche d'abord après son innocence, que celui qui pèche après avoir fait pénitence, et par conséquent il semble que les péchés pardonnés ne reviennent pas principalement par l'ingratitude qui résulte des péchés que nous avons énumérés.

(U Après avoir démontré que les péchés pardonnés reviennent sous un rapport par l'effet de tout péché mortel que l'on commet ensuite, saint Thomas démontre que les péchés pardonnés reviennent spécialement par la haine fraternelle, par l'apostasie de la foi, par le mépris de la confession, et par le regret que l'on éprouve d'avoir fait pénitence. C'est ce qu'on exprime par ee distique : Fratres odit, apostata fit, spernitque fateri, Poeniluisse piget, pristina culpa redit.

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Mais c'est le contraire. Saint Grégoire dit (hab. Dial. lib. iv, cap. ult.) : Que d'après les paroles de l'Evangile, il est constant que si on pèche contre nous et que nous ne le pardonnions pas du fond de notre coeur, Dieu exige de nouveau la dette dont nous nous réjouissions d'avoir obtenu la remise par la pénitence. Ainsi les péchés pardonnés reviennent spécialement en raison de l'ingratitude que l'on commet par la haine fraternelle, et il semble qu'on doive raisonner de même à l'égard des autres fautes.


CONCLUSION. — On dit que les péchés pardonnés par la pénitence reviennent par le péché qui suit dans le sens qu'en raison de l'ingratitude la peine qu'ils ont méritée est virtuellement contenue dans la faute subséquente.

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Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (art. préc.), on dit que les péchés pardonnés par la pénitence reviennent dans le sens que la peine qu'ils méritent est virtuellement contenue dans le péché qui suit en raison de l'ingratitude. Or, on peut se rendre coupable d'ingratitude de deux manières : 1° En faisant quelque chose de contraire au bienfait qu'on a reçu. C'est ainsi que tout péché mortel par lequel il offense Dieu rend l'homme ingrat envers Dieu qui lui a remis ses fautes. De la sorte les péchés qui ont été auparavant pardonnés reviennent, en raison de l'ingratitude, toutes les fois que l'on retombe dans le péché mortel quel qu'il soit. — 2° On se rend coupable d'ingratitude non-seulement en faisant quelque chose de contraire au bienfait qu'on a reçu, mais encore en agissant contrairement à la forme de ce bienfait. Cette forme, si on la considère par rapport au bienfaiteur, est la remise de ce qui lui est dû. Ainsi, il agit contrairement à cette forme, celui qui n'accorde pas à son frère le pardon qu'il lui demande, mais qui conserve contre lui de la haine. Mais si on la considère de la part du pénitent qui reçoit ce bienfait, on trouve de son côté deux sortes de mouvement qui se rapportent à son libre arbitre. Le premier de ces mouvements est celui du libre arbitre vers Dieu, qui est un acte de la foi formée (1); l'homme agit contrairement à ce mouvement en apostasiant sa foi. Le second est le mouvement du libre arbitre contre le péché, qui est un acte de pénitence. Il appartient d'abord à ce mouvement, comme nous l'avons dit (quest. lxxxv, art. 2 et 5), que l'homme déteste les péchés passés, et celui qui regrette d'avoir fait pénitence agit contrairement à cette action. Il appartient ensuite à l'acte de la pénitence que le pénitent prenne la résolution de se soumettre aux chefs de l'Eglise par la confession, d'après ces paroles (Ps 31,5) : Je vous ai dit: Je confesserai contre moi mon injustice au Seigneur, et vous m'avez remis l'impiété de mon péché. Il va contre ce sentiment celui qui méprise la confession qu'il avait eu dessein de faire. C'est pour ce motif que l'ingratitude qui résulte spécialement de ces fautes fait revenir les péchés (2) qui ont été auparavant pardonnés.

31 Il faut répondre au premier argument, qu'on ne dit pas cela spécialement de ces péchés, parce qu'ils sont plus graves que les autres, mais parce qu'ils sont plus directement opposés au bienfait de la rémission des péchés.

(2) Elle les fait revenir d'une manière toute spéciale en aggravant la faute particulière dans laquelle on tombe.
(I) De la foi vivante qui est animée par la charité et qui se manifeste par des bonnes oeuvres, contrairement à la foi informe ou à la oi morte.

32
Il faut répondre au second, que les péchés véniels et le péché originel lui-même reviennent de la façon que nous avons dite (in corp. art.), comme les péchés mortels aussi, selon qu'on méprise le bienfait de Dieu par lequel ces péchés sont remis. Cependant on ne se rend pas coupable d'ingratitude par le péché véniel; parce que l'homme, en péchant véniellement, n'agit pas contre Dieu, mais en dehors de lui. C'est pourquoi les péchés pardonnés ne reviennent d'aucune manière par les péchés véniels (I).

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Il faut répondre au troisième, qu'un bienfait peut être apprécié de deux manières : 1° D'après l'étendue du bienfait lui-même. Sous ce rapport, l'innocence est un bienfait de Dieu plus grand que la pénitence, qui est appelée la seconde planche après le naufrage. 2° On peut l'apprécier d'après le caractère de celui qui le reçoit. La grâce est d'autant plus grande que celui qui la reçoit en est moins digne. Par conséquent, s'il la méprise, il est d'autant plus ingrat. De la sorte le bienfait de la rémission de la faute est plus grand en ce qu'il est accordé à quelqu'un qui en est totalement indigne. C'est pour cela qu'il en résulte une ingratitude plus profonde.



ARTICLE III.—l'ingratitude du péché' qui suit nous rend-elle dignes d'une \Baussi grande peine que celle qu'avaient méritée les péchés qui ont été auparavant pardonnés?

1763
1 Il semble que l'ingratitude du péché qui suit rende digne d'une aussi grande peine que celle qu'on avait méritée par les péchés qui ont été remis antérieurement. Car la grandeur du bienfait par lequel le péché est remis est proportionnée à la grandeur de ce péché, et par conséquent la grandeur de l'ingratitude par laquelle on méprise ce bienfait lui est proportionnée elle-même. Or, l'étendue de la peine qu'on mérite est en raison de l'ingratitude dont on se rend coupable. Donc l'ingratitude du péché subséquent rend digne d'une aussi grande peine que celle qu'on a méritée par tous les péchés antérieurs.

2
Celui qui offense Dieu pèche plus que celui qui offense l'homme. Or, le serf affranchi par son maître retombe dans la même servitude dont il avait été auparavant délivré, ou même dans une servitude plus grave. Donc, à plus forte raison, celui qui pèche contre Dieu, après avoir été délivré du péché, retombe sous l'obligation de la même peine que celle qu'il avait encourue auparavant.

3
L'Evangile dit (Mt 18,35) que le seigneur irrité livra aux bourreaux le serviteur (auquel on reprochait ses péchés passés à cause de son ingratitude), jusqu'à ce qu'il eût rendu tout ce qu'il devait. Or, il n'en serait pas ainsi si par l'ingratitude on ne redevenait digne d'une peine aussi grande que celle qu'on avait méritée pour tous ses péchés passés. L'ingratitude fait donc renaître une peine égale.

20 Mais c'est le contraire. Il est dit (Dt 15,2) : Les coups seront proportionnés à V étendue des fautes. D'où il est évident qu'un petit péché ne rend pas passible d'une grande peine Or, quelquefois le péché subséquent est bien inférieur à l'un des péchés qui ont été auparavant pardonnés. La peine qu'on mérite par suite de ce péché ne peut donc être égale à celle qu'on avait méritée pour toutes les fautes pardonnées antérieurement.



CONCLUSION. — Il n'est pas nécessaire que le vice de l'ingratitude rende le péché subséquent digne d'une peine égale à celle qu'ont méritée les péchés antérieurs, mais il faut que cette peine soit proportionnelle, et que plus les péchés qui ont été auparavant pardonnés sont nombreux et graves et plus la peine que mérite le péché subséquent quel qu'il soit doit être vive.

(1) Parce que, quoique le péché véniel soit une faute, cependant il n'est pas un acte d'ingratitude consommée, puisqu'il ne détruit pas absolument l'amitié de Dieu (Voy. 2 2, quest. CVH, 5 ad 1).

21 Il faut répondre qu'il y en a qui ont prétendu que le péché subséquent que l'on commet par ingratitude fait que l'on est digne d'une aussi grande peirte que celle qu'on a méritée par les péchés qui ont été antérieurement pardonnés, indépendamment de la peine propre que ce péché a méritée (4). Mais cela n'est pas nécessaire, parce que, comme nous l'avons dit (art. 4 huj. quaest.), le péché qui suit ne fait pas renaître la peine méritée par les péchés antérieurs, selon qu'elle procédait des actes de ces fautes passées, mais selon qu'elle résulte de l'acte du péché subséquent. C'est pourquoi il faut que l'étendue de la peine qu'on mérite de nouveau soit proportionnée à la gravité du péché que l'on a ensuite commis. — Or, il peut se faire que la gravité de ce péché soit égale à la gravité de tous les péchés antérieurs (2). Mais cela n'est pas toujours nécessaire : soit que nous parlions de la gravité qu'il tire de son espèce (comme lorsque le péché subséquent est une simple fornication ; tandis que les péchés passés ont été des adultères, ou des homicides, ou des sacrilèges); soit que nous parlions de la gravité qu'il tire de l'ingratitude qui lui est annexée. En effet il n'est pas nécessaire que l'étendue de l'ingratitude soit absolument égale à l'étendue du bienfait reçu, dont l'importance s'apprécie d'après l'étendue des fautes qui ont été auparavant pardonnées. Car il arrive qu'à l'égard du même bienfait l'un est très-ingrat, soit en raison de la profondeur du mépris qu'il a pour le bienfait lui-même, soit en raison de la gravité de la faute qu'il a commise contre son bienfaiteur ; tandis qu'un autre l'est peu, soit parce qu'il a moins de mépris, soit parce qu'il agit moins fortement contre son bienfaiteur. Mais l'étendue de l'ingratitude est proportionnellement égale à l'étendue du bienfait. Car si l'on suppose un égal mépris du bienfait ou une offense égale du bienfaiteur, l'ingratitude sera d'autant plus grave que le bienfait aura été plus grand. — D'où il est évident qu'il n'est pas nécessaire qu a cause de l'ingratitude le péché qui suit soit toujours digne d'une peine aussi grande que celle qu'ont méritée les péchés antérieurs; mais qu'il est nécessaire que plus les péchés pardonnés antérieurement ont été graves et nombreux, plus la peine méritée par le péché mortel subséquent quel qu'il soit reparaisse proportionnellement plus grande.

31
Il faut répondre au premier argument, que le bienfait de la rémission de la faute a une grandeur absolue, selon la quantité des fautes qui ont été auparavant pardonnées : au lieu que le péché d'ingratitude n'a pas une gravité absolue réglée sur l'étendue du bienfait (3), mais elle se mesure sur la profondeur du mépris ou de l'offense, comme nous l'avons dit (in corp. art.). C'est pourquoi cette raison n'est pas concluante.

32
Il faut répondre au second, que le serf affranchi ne retombe pas dans son ancienne servitude pour toute espèce d'ingratitude: mais pour une ingratitude grave.

33
IL faut répondre au troisième, que celui en qui les péchés pardonnés reviennent à cause de l'ingratitude subséquente retombe sous le poids de toute sa dette, dans le sens que l'étendue des péchés antérieurs se trouve proportionnellement dans l'ingratitude subséquente, mais elle ne s'y trouve pas absolument, comme nous l'avons dit (in corp. art.).

(1) Cette opinion ne serait soutenable qu'autant qu'on admettrait que les péchés pardonnés reviennent absolument; ce qui a été réfuté dans les articles précédents.

(22) Il peut même se faire qu'elle soit plus grande ; te! serait par exemple le cas de celui qui aurait fait pénitence de quelques fautes contre le prochain et tomberait ensuite dans l'apostasie, dans l'infidélité ou la haine de Dieu.
(3) La grandeur du bienfait de la rémission se mesure sur la grandeur absolue des péchés par- donnés, tandis que le péché d'ingratitude regarde la grandeur du mépris ou de l'offense nouvelle et non la grandeur absolue du bienfait qu'on a reçu ; c'est ce qui fait qu'on peut être légèrement ingrat à l'égard d'un grand bienfait.



ARTICLE iv. — l'ingratitude en raison de laquelle le péché subséquent fait revivre les péchés qui ont été auparavant pardonnés est-elle un péché spécial?

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1 Il semble que l'ingratitude en raison de laquelle le péché subséquent fait revenir les péchés auparavant pardonnés soit un péché spécial. Car la reconnaissance appartient à la réciprocité d'action qui est requise dans la justice, comme on le voit (Eth. lib. v, cap. 5). Or, la justice est une vertu spéciale. Donc l'ingratitude est un péché spécial.

2
Cicéron dit(Z?e invent, aliquant. ante fin.) que la reconnaissance est une vertu spéciale. Or, l'ingratitude lui est opposée. Elle est donc un péché spécial.

3
Un effet spécial procède d'une cause spéciale. Or, l'ingratitude produit un effet spécial, en ce qu'elle fait revenir d'une certaine manière les péchés qui ont été auparavant pardonnés. Elle est donc un péché spécial.

20
Mais c'est le contraire. Ce qui résulte de tous les péchés n'est pas un péché spécial. Or, tout péché mortel rend ingrat envers Dieu, comme on le voit d'après ce que nous avons dit (art. 1 huj. quaest.). L'ingratitude n'est donc pas un péché spécial.



CONCLUSION. — L'ingratitude de celui qui pèche n'est pas toujours un péché spécial, mais elle en -est un quelquefois, par exemple quand on pèche par mépris de Dieu et du bienfait qu'on en a reçu.

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Il faut répondre que l'ingratitude de celui qui pèche est quelquefois un péché spécial et quelquefois elle n'en est pas un -, mais elle est une circonstance qui résulte généralement de tout péché mortel que l'on commet contre Dieu. Car le péché tire son espèce de l'intention du pécheur. D'où, comme l'observe Aristote (Eth. lib. v, cap. 2), celui qui fait une fornication pour voler est plutôt un voleur qu'un fornicateur. — Si donc un pécheur commet un péché par mépris de Dieu et du bienfait qu'il en a reçu, ce péché devient une espèce d'ingratitude, et c'est ainsi que l'ingratitude de celui qui pèche est un péché spécial. Mais si quelqu'un a l'intention de commettre un péché, tel qu'un homicide ou un adultère, et qu'il n'en soit pas détourné à cause qu'il appartient au mépris de Dieu, l'ingratitude ne sera pas un péché spécial, mais elle appartiendra à l'espèce d'un autre péché, comme une circonstance.—Selon la pensée de saint Augustin (Lib. de nat. et grat. cap. 29), tout péché ne se fait pas par mépris, quoique dans tout péché Dieu soit méprisé dans ses préceptes. D'où il est évident que l'ingratitude du pécheur est quelquefois un péché spécial, mais qu'elle n'en est pas toujours un (1).

Par là la réponse aux objections est évidente. Car les premiers raisonnements prouvent que l'ingratitude considérée en elle-même est une espèce de péché ; et le dernier conclut que l'ingratitude, selon qu'elle se trouve dans tout péché, n'est pas un péché spécial.

(f) Ainsi on est tenu ite déclarer en confession que l'on a péché par ingratitude toutes les fois qu'elle est un péché spécial, mais il n'en est pas de même quand elle n'est qu'une circonstance.




QUESTION 89: DU RECOUVREMENT DES VERTUS PAR LA PÉNITENCE.

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Nous devons ensuite nous occuper du rétablissement des vertus par la pénitence. A cet égard il y a six questions à examiner : 1° Les vertus sont-elles rétablies par la pénitence ? — 2° Sont-elles rétablies au même degré? — 3° Le pénitent est-il rétabli dans la même dignité ? — 4° Les oeuvres des vertus sont-elles rendues mortes par le péché subséquent? — 5° Les oeuvres que le péché a fait périr revivent-elles par la pénitence? — 6° Les oeuvres mortes, c'est-à-dire faites sans charité, sont-elles rendues Vivantes par la pénitence?



ARTICLE I. — LES VERTUS SONT-ELLES RÉTABLIES PAR LA PÉNITENCE (1)?

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1 Il semble que les vertus ne soient pas rétablies par la pénitence. Car les vertus qu'on a perdues ne pourraient être rétablies par la pénitence qu'autant que la pénitence les produirait. Or, la pénitence étant elle-même une vertu, ne peut être la cause de toutes les vertus-, surtout puisqu'il y a des vertus qui sont naturellement antérieures à la pénitence, comme la foi, l'espérance et la charité, ainsi que nous l'avons dit (quest. lxxxv, art. 6). Les vertus ne sont donc pas rétablies par la pénitence.

2
La pénitence consiste dans certains actes du pénitent; tandis que les vertus gratuites ne sont pas produites par nos actes. Car saint Augustin dit (De lib. arbit. lib. ii, cap. 18, et in Ps. Ps 118, conc. 26) que Dieu opère en nous les vertus sans nous. Il semble donc que les vertus ne soient pas rétablies par la pénitence.

3 Celui qui est vertueux fait des actes de vertu sans difficulté et avec plaisir. C'est ce qui fait dire à Aristote (Eth. lib. i, cap. 8) : Qu'il n'est pas juste celui qui ne prend pas plaisir à une action juste. Or, il y a beaucoup de pénitents qui éprouvent encore de la difficulté à faire des actes de vertus. Les vertus ne sont donc pas rétablies par la pénitence.

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Mais c'est le contraire. L'Evangile dit (Lc 15) que le père a ordonné au fils pénitent de revêtir sa plus belle robe, qui, d'après saint Ambroise (in hunc locum), est le symbole de la sagesse de laquelle résultent simultanément toutes les vertus, suivant ces paroles (Sg 8,7) : Elle enseigne la tempérance et la justice, la prudence et la force, qui sont les choses du monde les plus utiles à l'homme en cette vie. Donc toutes les vertus sont rétablies par la pénitence.


CONCLUSION. — Puisque la grâce est infuse dans l'âme par la pénitence et que toutes les vertus gratuites découlent de la grâce, il s'ensuit qu'elle rétablit dans l'homme toutes les vertus.

21 Il faut répondre que les péchés sont remis-par la pénitence, comme nous l'avons dit (quest. lxxxvi, art. 1). La rémission des péchés ne pouvant être produite que par l'infusion de la grâce, il s'ensuit que la grâce est infuse dans l'homme par la pénitence. Et puisque toutes les vertus gratuites découlent de la grâce, comme toutes les puissances de l'âme découlent de son essence, ainsi que nous l'avons vu (quest. ex, art. 4 ad 1), il en résulte que toutes les vertus (2) sont rétablies par la pénitence.

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Il faut répondre au premier argument, que la pénitence rétablit les vertus de la même manière qu'elle est cause de la grâce, comme nous l'avons dit (in corp. art.). Elle est cause de la grâce comme sacrement, car comme Vertu elle en est plutôt l'effet. C'est pourquoi il n'est pas nécessaire que la pénitence, comme vertu, soit cause de toutes les autres vertus; mais il faut seulement que l'habitude de la pénitence soit simultanément produite par le sacrement de pénitence avec les habitudes des autres vertus.

(1) Il s'agit ici des vertus infuses que l'on perd par le péché mortel et non des vertus acquises qui sont le fruit d'actes multipliés.

(2) On voit d'après ce raisonnement de saint Thomas qu'il ne s'agit que des vertus qui sont le fruit delà grâce (qu'il appelle pour cela des vertus gratuites), et qui sont détruites par le péché. Ainsi la foi et l'espérance, qui peuvent exister malgré le péché, ne sont pas rétablies par la pénitence, puisqu'elles n'étaient pas perdues, seulement elles passent de l'état informe à l'état parfait par suite de la charité qui les anime.

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Il faut répondre au second, que dans le sacrement de pénitence les actes humains en sont comme la matière, mais sa vertu formelle dépend du pouvoir des chefs. C'est pourquoi le pouvoir des chefs produit la grâce et les vertus d'une manière efficiente, mais instrumentale; et le premier acte du pénitent, c'est-à-dire la contrition, est comme la disposition dernière nécessaire pour obtenir la grâce; au lieu que les autres actes de pénitence qui viennent ensuite, procèdent de la grâce et des vertus.

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Il faut répondre au troisième, que, comme nous l'avons dit (quest. lxxxvi, art. 5), quelquefois après le premier acte de pénitence, qui est la contrition, il subsiste certains restes du péché, c'est-à-dire des dispositions produites par les actes des péchés antérieurs; ces dispositions rendent difficile au pénitent l'accomplissement des actes de vertu (1). Mais, par rapport à ce qui résulte de l'inclination elle-même de la charité et des autres vertus, le pénitent opère avec plaisir et sans difficulté de bonnes actions. C'est ainsi qu'un homme vertueux peut éprouver par accident de la difficulté pour faire des actes de vertu, parce que le sommeil ou une indisposition corporelle l'en empêchent.



ARTICLE II. — après la pénitence l'homme se relève-t-il avec une vertu égale à celle Qu'Il avait auparavant?

1782
1 Il semble qu'après sa pénitence l'homme se relève avec une vertu égale à celle qu'il avait auparavant. Car l'Apôtre dit (
Rm 8,28) : Que tout contribue au bien de ceux qui aiment Dieu. La glose de saint Augustin dit à ce sujet (ord. lib. De corrept. et grat. cap. 9 ) : Que cela est si vrai, que si quelques-uns d'entre eux dévient et s'éloignent de leur chemin, Dieu sait faire tourner ces écarts à leur propre avantage. Or, il n'en serait pas ainsi, si l'homme se relevait avec une moindre vertu. Il semble donc que le pénitent ne se relève jamais avec une vertu moindre.

2 Saint Ambroise dit (hab. ex auct. Hypognostic. lib. iii, cap. 9 in fin.) : Que la pénitence est la meilleure des choses, qu'elle ramène tous les défauts à la perfection. Or, il n'en serait pas ainsi si l'on ne recouvrait les vertus au même degré. Donc on recouvre toujours par la pénitence une vertu égale à celle qu'on avait perdue.

3
Sur ces paroles (Gn 1, S) : Du soir et du matin s'est fait le premier jour, la glose dit : La lumière du soir est celle de laquelle on tombe, et la lumière du matin celle dans laquelle on ressuscite. Or, la lumière du matin est plus grande que la lumière du soir. On ressuscite donc avec une grâce ou une charité plus grande que celle qu'on a eue auparavant ; ce qui paraît évident d'après ces paroles de saint Paul (Rm 5,20) : Où il y a eu une abondance de péché, il y a eu une surabondance de grâce.

ment, niais seulement des vertus gratuites, comme nous l'avons fait remarquer.

(t) Ces observations prouvent qu'il ne s'agit pas ici des vertus acquises, ni des habitudes qui sont nécessaires pour qu'on fasse le bien facile

20 Mais c'est le contraire. La charité qui progresse ou qui est parfaite est plus grande que celle qui commence. Or, quelquefois on tombe de la charité qui progresse et on se relève avec la charité qui commence. L'homme se relève donc toujours avec une vertu moindre.



CONCLUSION. — Puisque le mouvement du libre arbitre, qui est la disposition dernière par rapport à la grâce, est dans la pénitence tantôt plus vif et tantôt plus relâché qu'il n'était auparavant, il arrive que celui qui est pénitent se relève avec une grâce et une vertu plus ou moins grande ou égale.

21
Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (quest. lxxxvi, art. 6 ad 3, et art. préc. ad 2), le mouvement du libre arbitre qui a lieu dans la justification de l'impie est la dernière disposition par rapport à la grâce. Ainsi dans le même instant il y a infusion de la grâce avec ce mouvement du libre arbitre, comme nous l'avons vu (1* 2", quest. cxiu, art. S et 7), et dans ce mouvement se trouve compris l'acte de la pénitence, ainsi que nous l'avons dit (quest. lxxxvi , art. 2).—En effet il est évident que les formes qui peuvent être susceptibles de plus et de moins sont plus ou moins vives selon les différentes dispositions du sujet, comme nous l'avons vu (1" 2", quest. lh, art. 1 et 2, et quest. lxvi, art. 1 ). D'où il suit que selon que le mouvement du libre arbitre dans la pénitence est plus ou moins ardent, le pénitent reçoit proportionnellement une grâce plus ou moins grande. Or, il arrive quelquefois que l'intensité du mouvement du pénitent est proportionnée à une grâce plus grande que celle qu'il a eue et dont le péché Ta fait déchoir (4). D'autres fois elle répond à une grâce égale, ou à une grâce moindre. C'est pour cela que le pénitent se relève quelquefois avec une grâce plus grande que celle qu'il avait eue auparavant, d'autres fois avec une grâce égale, d'autres fois avec une grâce moindre (2), et il faut raisonner de même à l'égard des vertus qui résultent de la grâce.

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Il faut répondre au premier argument, que le péché par lequel on perd l'amour du Seigneur ne contribue pas toujours au bien de tous ceux qui aiment Dieu ; ce qui est évident pour ceux qui tombent et qui ne se relèvent jamais, ou pour ceux qui se relèvent et qui doivent tomber de nouveau. Cela ne profite qu'à ceux qui ont été appelés saints selon le décret de Dieu, c'est-à-dire aux prédestinés, qui, toutes les fois qu'ils tombent, se relèvent cependant finalement. Cette chute leur est profitable, non parce qu'ils se relèvent toujours avec une grâce plus forte, mais parce qu'ils se relèvent avec une grâce plus stable (3), non par rapport à la grâce elle- même, parce que la grâce est par elle-même d'autant plus stable qu'elle est plus grande; mais de la part de l'homme qui demeure dans la grâce d'une manière d'autant plus ferme qu'il est plus humble et plus circonspect. D'où la glose dit (ibid.), que leur chute leur est avantageuse, parce qu'elle les rend plus humbles et plus instruits.

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Il faut répondre au second, que la pénitence considérée en elle-même à la vertu de réparer tous les défauts jusqu'à la perfection, et de nous élever à un état plus avancé que celui dans lequel nous étions auparavant. Mais cet effet est quelquefois empêché par l'homme qui se porte trop lâchement vers Dieu et à la détestation du péché. C'est ainsi que dans le baptême il y a des adultes qui obtiennent une grâce plus ou moins grande en raison de la diversité de leurs dispositions.

C'est ce que l'Ecriture nous dit de Zachée (
Lc 19), de saint Pierre après sa pénitence, qui dit à Notre-Seigneur : Etsi omne» scanda- lixati fuerint, ego nunquam tcandalizabor. Si oportuerit me mori tecum, non te negabo, de saint Paul, de sainte Marie Magdeleine, et à propos de la parabole de l'enfant prodigue.

Charitatem tuam primam reliquisti. Memor esto itaque unde exciderit, et âge poenitentiam et prima opera fac (Ap 2). En lisant le second et le troisième chapitra de l'Apocalypse on peut se rendre compte de ces divers degrés.

(3) Il y a des théologiens qui pensent que le pénitent se relève toujours avec une grâce et une vertu plus grandes, parce qu'ils supposent qu'il reçoit toute la grâce qu'il possédait auparavant, et qu'il y ajoute de plus une grâce nouvelle en raison de ses dispositions présentes et du sacrement qu'il reçoit. Nous rappellerons ce sentiment dans l'art. $ de cette question.

33 Il faut répondre au troisième, que ce rapprochement entre ces deux grâces et la lumière du soir et du matin se fait à cause de la ressemblance d'ordre ; parce qu'après la lumière du soir viennent les ténèbres de la nuit, au lieu que la lumière du matin est suivie de la lumière du jour; mais cette comparaison n'a pas pour base la ressemblance de la quantité en plus ou en moins. Quant au passage de saint Paul, il s'entend de la grâce du Christ qui surpasse toute la multitude des péchés des hommes. Mais il n'est pas vrai de dire de tous les hommes que plus leurs fautes sont abondantes et plus les grâces qu'ils obtiennent sont abondantes aussi ; en considérant l'étendue de la grâce habituelle. La grâce est cependant surabondante quand on la considère en elle-même, parce que le bienfait du pardon est accordé plus gratuitement à celui qui pèche davantage; d'ailleurs les plus grands pécheurs font aussi quelquefois les plus grandes pénitences, et par conséquent ils obtiennent une habitude de grâce et de vertus plus abondante, comme on le voit pour sainte Magdeleine.—A l'égard de ce qu'on objecte dans le sens contraire, on doit dire que la même grâce est plus grande quand elle progresse que quand elle commence, mais quand il s'agit de personnes différentes, cela n'est pas nécessaire. Car il y en a qui commencent par une grâce plus grande que celle qui est dans les autres déjà à l'état de progrès, selon la pensée de saint Grégoire (Dial. lib. ii, cap. 4), qui dit que l'on conserve ne vase miraculeusement réparé, pour faire connaître à tous les hommes qui vivaient alors et qui devaient vivre ensuite par quel degré de perfection saint Benoît avait commencé dès son enfance.



ARTICLE III. — par la pénitence l'homme est-il rétabli dans son ancienne dignité ?

1783
1 Il semble que l'homme ne soit pas rétabli par la pénitence dans son ancienne dignité. Car sur ces paroles (
Am 5) : Virgo Israel cecidit, la glose dit (ord. Hier. ) : Il ne nie pas qu'elle puisse ressusciter, mais la vierge d'Israël ne se relèvera pas, parce que la brebis qui s'est égarée une fois, quoique le pasteur la rapporte sur ses épaules, n'a pas autant de gloire que celle qui ne s'est jamais égarée. L'homme ne recouvre donc pas par la pénitence son ancienne dignité.

2 Saint Jérôme dit (hab. cap. 30, dist. 50) -.Que tous ceux qui ne conservent pas la dignité de leur rang se contentent de sauver leur âme ; car il est difficile qu'on les rétablisse dans leur ancienne dignité. Le pape Innocent Ier dit (Epist, vi ad Agap. et habet, cap. Canones, dist. 50) que les canons du concile de Nicée excluent les pénitents des rangs les plus infimes de la cléricature. L'homme ne recouvre donc pas par la pénitence son ancienne dignité.

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Avant le péché on peut monter à un degré plus élevé. Mais après le péché on ne le permet pas au pénitent. Car il est dit (Ez 44,10) : Les lévites qui se sont éloignés de moi... ne s'en approcheront jamais pour remplir les fonctions du sacerdoce. Et comme on le voit dans le droit (dist. 50, cap. 52) et au concile de Lérida (can. 5) : Ceux qui servent au saint autel, s'ils viennent tout à coup à succomber à la déplorable fragilité de la chair, et que sous les regards du Seigneur ils fassent dignement pénitence, ils seront rétablis dans leurs charges, mais de telle sorte qu’ a l'avenir ils ne puissent pas s'élever plus haut. La pénitence ne rétablit donc pas l'homme dans son ancienne dignité.

20 Mais c'est le contraire. Comme on le voit au même endroit (Decret. dist. 50, cap. 46), saint Grégoire écrivant à Secundinus dit (lib. vii Re g. indict. 2, epist, liv, circ. med.) : Nous croyons qu'après avoir dignement satisfait, l'homme peut être réintégré dans sa dignité. Et on lit au concile d'Agde (can. 2) : Que les clercs contumaces soient corrigés par les évêques, selon que l'ordre de leur dignité le permet, de telle sorte qu'après avoir fait pénitence ils soient rétablis dans leur rang et leur dignité.



CONCLUSION.—L'homme peut par la pénitence retrouver la dignité principale qu'il a perdue par le péché, c'est-à-dire qu'il peut redevenir fils de Dieu, mais il ne peut recouvrer l'innocence qu'il a perdue ; il est défendu de rendre au pécheur les dignités ecclésiastiques; soit parce qu'il ne se repent pas, soit parce qu'il fait pénitence avec négligence, soit à cause de l'irrégularité ou le scandale du crime qu'il a commis.

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Il faut répondre que par le péché l'homme perd deux sortes de dignité, l'une qui se rapporte à Dieu et l'autre qui se rapporte à l'Eglise. Par rapport à Dieu il perd une double dignité; l'une qui est la principale est celle par laquelle il était compté parmi les enfants de Dieu par la grâce. Il recouvre cette dignité par la pénitence. C'est ce que signifie la parabole de l'enfant prodigue (Lc 15), auquel le père fait donner après sa pénitence la plus belle robe, un anneau et des souliers. Mais il perd la seconde dignité qui est la dignité secondaire, c'est-à-dire l'innocence, dont le fils aîné se glorifiait en disant, comme on le voit au même endroit de l'Evangile : Voilà tant d'années que je vous sers, et je ne vous ai jamais désobéi. Le pénitent ne peut recouvrer cette dignité, mais quelquefois il recouvre quelque chose de plus grand, parce que, comme le dit saint Grégoire (Hom. de centum ovib. xxxiv in Evang.) : Ceux qui considèrent qu'ils se sont éloignés de Dieu compensent leurs pertes antérieures par les profits qu'ils font ensuite. Il y a donc une plus grande joie dans le ciel à leur sujet, parce que dans le combat le chef aime mieux le soldat qui revient après s'être enfui et qui presse fortement l'ennemi que celui qui n'a jamais tourné le dos et qui n'a jamais combattu avec courage. — Par le péché l'homme perd aussi ses dignités ecclésiastiques, parce qu'il se rend indigne de faire les actions qui doivent être faites par ceux qui ont une charge de cette nature. Il est défendu au pécheur de recouvrer ces dignités : 1° parce qu'il ne se repent pas. D'où saint Isidore écrit à l'évêque Masson (à princ. et hab. int. op. Rabani), comme on le lit (dist. 4, cap. Dominus) : Les canons ordonnent de rétablir dans leurs anciennes charges ceux qui ont fait une pénitence satisfactoire ou qui ont dignement confessé leurs péchés. Mais au contraire ceux qui ne se sont pas corrigés de leurs vices ne doivent obtenir ni le rang qu'ils occupaient, ni la grâce de la communion. 2° Parce qu'il fait pénitence négligemment. Ainsi il est dit (ead. distinct, cap. Si quis diaconus) : Lorsqu'on ne voit en eux ni l'humilité de la componction, ni la ferveur de la prière, et qu'ils ne se livrent ni au jeûne, ni aux méditations, nous pouvons connaître par là avec quelle négligence ils s'acquitteraient de leurs fonctions, si on les rétablissait dans leur charge. 3° On perd sa dignité quand on commet un péché qui a une irrégularité qui lui est annexée. D'où il est dit (ead. dist. cap. 8), d'après le concile du pape Martin (hab. int. capit. Mart. Bracarensis, cap. 26) : Si quelqu'un a épousé une veuve ou une femme abandonnée par un autre, qu'il ne soit pas admis dans le clergé, ou s'il s'y est glissé, qu'il en soit exclu. De même si quelqu'un se rend coupable d'homicide (4) après son baptême, soit par ses actions, soit par ses ordres, soit par ses conseils, soit par ses défenses. Il n'en est pas ainsi en raison du péché, mais en raison de l'irrégularité (2). 4° A cause du scandale. Ainsi on lit dans la même distinction (cap. De his vero), et Raban dit (Lib. i poe- nit. ad Heribald. cap. 1)|: Que ceux qui auront été surpris ou saisis publiquement dans l'acte du parjure, du vol, de la fornication et de tous les crimes semblables, soient déchus de leur propre rang, d'après les saints canons, parce que c'est un scandale pour le peuple de Dieu d'avoir de pareilles personnes placées au-dessus de soi. Mais pour ceux qui se confessent en secret à un prêtre de ces péchés qu'ils ont commis d'une manière occulte, quand ils prennent soin de se purifier par les jeûnes, les aumônes, les veilles et des oeuvres saintes, on doit leur faire espérer leur pardon de la miséricorde de Dieu, tout en les conservant dans leur propre rang. D'où il est dit (extra, De qualit. ordinand. cap. Quaesitum) : Si les crimes reprochés n'ont pas été prouvés judiciairement ou s'ils ne sont pas notoires d'une autre manière (3), à l'exception de ceux qui sont coupables d'homicide, on ne peut les empêcher après avoir fait pénitence, soit de recevoir les ordres, soit d'en exercer les fonctions lorsqu'ils les ont reçus.

31 Il faut répondre au premier argument, que la même raison est applicable au recouvrement de la virginité et à celui de l'innocence, qui appartient à la dignité secondaire par rapport à Dieu.

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Il faut répondre au second, que saint Jérôme, dans ce passage, ne dit pas qu'il est impossible, mais difficile à l'homme de recouvrer son ancien rang après le péché; parce que cela n'est accordé qu'à celui qui est parfaitement pénitent, comme nous l'avons dit (in corp.). A l'égard des canons qui paraissent le défendre, saint Augustin répond dans une lettre à Boniface (Ep. clxxxv, n° 45) : Quand l'Eglise a défendu qu'aucun de ceux qui auraient été mis en pénitence pour quelque crime ne fût ni admis, ni souffert, ni rétabli dans la cléricature, elle ne l'a fait que pour le maintien de la discipline, et non parce qu'elle désespère de leur pardon; autrement, on contesterait à l'Eglise la puissance des chefs, dont il a été dit : Tout ce que vous délierez sur la terre sera délié dans le ciel. Puis il ajoute : Car, quoique David ait eu besoin de faire pénitence des fautes mortelles qu'il avait commises, cependant il est resté sur son trône; et saint Pierre n'en est pas moins resté apôtre, quoiqu'il ait répandu des larmes très-amères pour avoir renié le Seigneur. Il ne faut cependant pas qu'on regarde comme inutile la sage précaution de ceux qui sont venus depuis et qui ont rendu les humiliations plus profondes pour mieux assurer le salut, ayant éprouvé apparemment que l'envie d'arriver aux dignités ecclésiastiques avait fait faire beaucoup de fausses pénitences.

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Il faut répondre au troisième, que ce statut s'entend de ceux qui font une pénitence publique et qui ne peuvent pas être promus ensuite à un rang plus élevé. — Car saint Pierre, après avoir renié le Christ, a été mis à la tête de son troupeau, comme on le voit (Jn 21) où saint Chrysostome dit (Hom. Lxxxvn in ) : Que saint Pierre, après son renoncement et sa pénitence, montre qu'il a dans le Christ une plus grande confiance. Car il n'osait pas l'interroger dans la cène, mais il pria Jean de l'interroger lui-même. Ayant été ensuite placé à la tête de ses frères alors non- seulement il ne charge pas un autre de demander au maître ce qui le concerne, mais il l'interroge lui-même sur tout le reste à la place de Jean

(1) Saint Thomas veut que l'on encoure l'irrégularité pour toute espèce d'homicide, parce qu'il écrivit avant la Clémentine (Si furiosus, tit. De homicidio), où il est dit que si un derc ne peut autrement éviter la mort, il n'est pas irrégulier 8 il tue celui qui l'attaque.
(2) On distingue deux sortes d'irrégularités Suivant qu’ elles tirent leur origine d'un crime ou simplement d'un défaut ; c'est ce qu'on appelle les irrégularités ex defectu et les irrégularités ex delicto.
(3) On distingue la notoriété de droit qui résulte de la sentence du juge ou de l'aveu juridique du coupable, et la notoriété de fait qui existe quand le péché est tellement connu dans l'endroit où il a été commis, qu'il ne peut être ni nié, ni pallié d'aucune manière.





III Pars (Drioux 1852) 1762