III Pars (Drioux 1852) 1784

ARTICLE IV. — LE PÉCHÉ PEUT-IL FAIRE PÉRIR LES OEUVRES DES VERTUS PRODUITES DANS LA CHARITÉ (1)?

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1 Il semble que les oeuvres des vertus produites dans la charité ne puissent pas devenir mortes. Car ce qui n'existe pas ne peut* pas être changé. Or, la mortification (2) est un changement qui va de la vie à la mort. Puisque les oeuvres des vertus, après qu'elles sont faites, n'existent plus, il semble qu'elles ne puissent pas devenir des oeuvres" mortes.

2
Par les oeuvres des vertus produites dans la charité, l'homme mérite la vie éternelle. Or, soustraire une récompense à celui qui la mérite, c'est une injustice dont Dieu n'est pas capable. Il ne peut donc pas se faire que les oeuvres des vertus produites dans la charité soient rendues mortes par le péché que Ton commet ensuite.

3
Ce qui est plus fort n'est pas corrompu par ce qui est plus faible. Or, les oeuvres de la charité sont supérieures à tous les péchés, parce que, comme le dit le Sage (Pr 10,42) : La charité couvre toutes les fautes. Il semble donc que les oeuvres produites dans la charité ne puissent être mortifiées par un péché mortel subséquent.

20 Mais c'est le contraire. Il est dit (Ez 18,24) : Si le juste s'est éloigné de la justice, je ne me souviendrai plus des bonnes actions qu'il a faites auparavant.



CONCLUSION. — On dit que les oeuvres faites dans la charité sont frappées de mort par le péché mortel, dans le sens qu'il retarde ou qu'il empêche l'effet des actions vertueuses.

21 Il faut répondre qu'une chose vivante perd par la mort ses opérations vitales. Ainsi on dit par analogie que les choses meurent quand elles sont empêchées de produire leur effet ou leur opération propre.—Or, l'effet des bonnes oeuvres produites dans la charité, c'est de conduire à la vie éternelle ; ce qu'empêche le péché mortel subséquent qui enlève la grâce. C'est dans ce sens que Ton dit que les oeuvres produites dans la charité deviennent des oeuvres mortes par suite du péché mortel qui survient.

31
Il faut répondre au premier argument, que, comme les oeuvres des péchés passent en acte et subsistent quant à la peine qu'elles ont méritée; de même les oeuvres produites dans l'état de grâce, après qu'elles sont passées en acte, subsistent dans l'acceptation de Dieu par leurs mérites; et, sous ce rapport, elles deviennent mortes, en ce sens que l'homme est empêché de recevoir sa récompense.

32
Il faut répondre au second, qu'une récompense peut être enlevée sans injustice à celui qui la mérite, quand il s'en est rendu indigne par une faute postérieure. Car ce que l'homme a reçu, il le perd quelquefois justement par une faute.

(1) Il est de foi que le juste, s'il vient à pécher, perd le droit qu'il avait à la récompense, et que ses bonnes oeuvres sont ainsi détruites par rapport à leurs mérites : Videte vosmetipsos ne perdatis quae operati estis, dit saint Jean, et ailleurs (
Ap 3) : Tene quod habes ut nemo accipiat coronam tuam. Cette question revient à l'amissibilité de la grâce que Calvin avait niée et qui se trouve établie par la doctrine du concile de Trento.
(2) Ce mot se prend ici selon toute la force de son étymologie.

33 Il faut répondre au troisième, que ce n'est pas la force des oeuvres du péché qui frappe de mort les oeuvres qui ont été auparavant faites dans l'état de grâce, mais c'est la liberté de la volonté qui peut tourner du bien au mal.



ARTICLE v. — les oeuvres qui sont mortes par le péché revivent-elles par la pénitence (1)?

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1 Il semble que les oeuvres qui sont frappées de mort par le péché ne revivent pas par la pénitence. Car, comme les péchés passés sont remis par la pénitence subséquente, de même le péché qui suit rend mortes les oeuvres qui ont été faites auparavant dans la charité. Or, les péchés remis par la pénitence ne reviennent pas, comme nous l'avons dit (quest. préc. art. 4 et 2). Il semble donc que les oeuvres qui sont frappées de mort ne revivent pas par la charité.

2
On dit que les oeuvres sont frappées de mort à la ressemblance des animaux qui meurent, comme nous l'avons dit (art. préc.). Or, un animal mort ne peut pas redevenir vivant. Les oeuvres qui sont frappées de mort ne peuvent donc pas revivre de nouveau par la pénitence.

3
Les oeuvres faites dans l'état de grâce méritent la gloire en proportion de la grâce ou de la charité. Or, quelquefois l'homme se relève par la pénitence dans un état de grâce ou de charité moindre. Il n'obtient donc pas la gloire en raison du mérite de ses oeuvres antérieures, et par conséquent il semble que les oeuvres qui sont mortes par le péché ne revivent pas.

20
Mais c'est le contraire. Sur ces paroles (Joël, ii) : Reddam vobis annos quos comedit locusta, la glose dit (interi.) : Je ne laisserai pas périr l'abondance que vous avez perdue dans le trouble de l'esprit. Or, cette abondance est le mérite des bonnes oeuvres que l'on a perdu par le péché. Les oeuvres méritoires que l'on a faites auparavant revivent donc par la pénitence.


CONCLUSION. — Les oeuvres qui sont mortes par le péché revivent par la pénitence, en tant qu'elles recouvrent par elle l'efficacité dont elles ont besoin pour arriver à la vie éternelle.

21
Il faut répondre qu'il y en a qui ont dit que les oeuvres méritoires que le péché a fait ensuite périr, ne revivent pas par la pénitence subséquente, sous prétexte que ces oeuvres ne subsistent pas pour pouvoir être vivifiées de nouveau. Mais cela ne peut empêcher qu'elles ne redeviennent vivantes. Car elles n'ont pas la vertu de parvenir à la vie éternelle (ce qui appartient à leur vitalité), uniquement selon qu'elles existent en acte, mais encore après qu'elles cessent d'être en acte, selon qu'elles subsistent dans l'acceptation divine. Par conséquent, elles subsistent autant qu'il est en elles, même après qu'elles sont tuées par le péché, parce que Dieu agréera toujours ces oeuvres, selon qu'elles ont été faites, et les saints s'en réjouiront, d'après ces paroles (Ap 3,41) : Conservez ce que vous avez, dans la crainte qu'un autre ne reçoive votre couronne.— Mais si elles n'ont pas d'efficacité par rapport à celui qui les a faites pour le conduire à la vie éternelle, ceci provient de l'obstacle du péché qui survient, et qui le rend indigne de cette récompense. Or, cet obstacle est enlevé par la pénitence en tant qu'elle remet les péchés. D'où il résulte que les oeuvres qui ont été frappées de mort auparavant recouvrent par la pénitence l'efficacité nécessaire pour mener à la vie éternelle celui qui les a faites, et par là même elles revivent.

(t) Quoiqu'il ne soit pas de foi que les mérites que le péché a fait périr revivent par la pénitence , cependant c'est une chose certaine et admise unanimement par tuus les théologiens.

Ainsi il est évident que les oeuvres qui ont été tuées revivent par la pénitence (1).

31 Il faut répondre au premier argument, que les oeuvres du péché sont effacées par la pénitence en elles-mêmes; de telle sorte que par la miséricorde de Dieu on ne nous impute plus ni la tâche, ni la peine qu'elles méritent. Mais les oeuvres produites dans l'état de grâce ne sont pas effacées par Dieu, dans l'acceptation duquel elles subsistent. L'obstacle qu'elles rencontrent vient de l'homme qui opère. C'est pour cela que quand l'obstacle est levé delà part de l'homme qui opère, Dieu remplit de son côté ce que ces oeuvres méritaient.

32
Il faut répondre au second, que les oeuvres faites dans la charité ne sont pas frappées de mort en elles-mêmes, comme nous l'avons dit (in corp. art.) : elles le sont seulement par suite de l'obstacle qui survient de la part de celui qui opère ; tandis que les animaux meurent en eux-mêmes, selon qu'ils sont privés du principe de la vie, et c'est pour cela qu'il n'y a pas de ressemblance.

33
II faut répondre au troisième, que celui qui se relève par la pénitence avec une charité moindre obtiendra sa récompense essentielle (2), proportionnée à la charité dans laquelle il se trouve. Mais il aura une joie plus grande des oeuvres qu'il a faites dans la charité première que des oeuvres qu'il a faites dans la seconde, ce qui appartient à la récompense accidentelle.



ARTICLE VI. — LES OEUVRES MORTES SONT-ELLES VIVIFIÉES AUSSI PAR LA PÉNITENCE SUBSÉQUENTE ?

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1 Il semble que les oeuvres mortes, c'est-à-dire celles qui n'ont pas été faites dans l'état de grâce, soient vivifiées par la pénitence subséquente. Car il paraît plus difficile que ce qui a été mort parvienne à la vie (ce qui ne se fait jamais selon la nature) que ce qui n'a jamais été vivant soit vivifié ; parce que, selon la nature, il y a des choses vivantes qui sont engendrées de choses qui ne le sont pas. Or, les oeuvres mortifiées sont vivifiées par la pénitence, comme nous l'avons dit (art. préc.). A plus forte raison, les oeuvres mortes le sont-elles aussi.

2
En enlevant la cause, on enlève aussi l'effet. Or, la cause pour laquelle les oeuvres qui sont du genre des bonnes actions et qui ont été faites sans charité ne sont pas vivantes, c'est le défaut de charité et de grâce. Ce défaut étant enlevé par la pénitence, il s'ensuit que les oeuvres mortes sont aussi vivifiées par elle.

3
Saint Jérôme dit (in illud Aggaei : Seminastis militum) : Quand vous voyez les pécheurs faire quelque chose de bien au milieu de toutes leurs mauvaises actions, Dieu n'est pas assez injuste pour oublier le peu de bien qu'ils ont fait à cause de la multitude de leurs mauvaises oeuvres. Or, il semble que ce soit surtout manifeste, quand la pénitence enlève les maux passés. Il semble donc que par la pénitence Dieu rémunère les bonnes oeuvres qui ont été faites autrefois dans l'état du péché, et c'est là les vivifier.

(I) Il y’a controverse entre les théologiens sur la manière dont ces oeuvres revivent. Les uns veulent que les mérites revivent dans toute leur étendue .quelle qu'ait été la ferveur de la pénitence par laquelle on a recouvré la grâce. C'est l'opinion de Suarez et de plusieurs autres théologiens tant anciens que modernes. D'autres veulent que les mérites revivent en raison des dispositions présentes. C'est le sentiment de saint Thomas, mais il est diversement interprété par ses disciples. l'annès, Sylvius et Contenson disent que le degré de mérite n'est qu'en raison de la pénitence qu'on a faite, et que les mérites antérieurs n'ajoutent qu'à la récompense accidentelle et non à la récompense essentielle- Gonet,- Nugus, Sylvius, Alvarès, Ledesma. veulent qu'indépendamment du degré mérité par la pénitence qu'on a faite les mérites antérieurs donnent encore droit à une certaine récompense essentielle qui s'ajoute à cette dernière. Ce dernier sentiment, qui tient le milieu entre les Jeux autres, parait le plus conforme à la pensée de saint Thomas.
(2) La récompense essentielle consiste dans l'union de l'âme avec Dieu, mais indépendamment de la joie que l'âme éprouvera par suite de cette union, elle en éprouvera une autre qui résultera des oeuvres qu'elle aura faites» et c'est cette joie qu'on appelle la récompense accidentelle..

20
Mais c'est le contraire. L'Apôtre dit (1Co 13,3) : Quand je distribuerais tout mon bien pour nourrir les pauvres, quand je livrerais mon corps pour être brûlé, si je n'ai pas la charité, tout cela ne me sert de rien. Or, il n'en serait pas ainsi, si ces oeuvres pouvaient être au moins vivifiées par la pénitence subséquente. La pénitence ne vivifie donc pas les oeuvres qui étaient mortes auparavant.



CONCLUSION. — Puisque la pénitence ne peut faire que les oeuvres qui sont mortes par un défaut de charité et de grâce procèdent de ce principe, il s'ensuit qu'elle ne peut les rendre vivantes.

21 Il faut répondre qu'on dit qu'une oeuvre est morte de deux manières : 4° d'une manière efficiente, parce qu'elle est cause de la mort (1). C'est dans ce sens qu'on appelle les oeuvres du péché des oeuvres mortes, d'après ces paroles de saint Paul (He 9,44) : Le sang du Christ purifiera nos consciences des oeuvres mortes. Ces oeuvres mortes ne sont donc pas vivifiées par la pénitence; mais elles sont plutôt effacées, suivant ces autres paroles du même Apôtre (He 6,4): Nous ne jetons pas de nouveau les fondements de la pénitence qu'on doit faire des oeuvres mortes. — 2° On dit que les oeuvres sont mortes (2) dans un sens privatif, c'est-à-dire parce qu'elles manquent de la vie spirituelle qui vient de la charité par laquelle l'âme est unie à Dieu, d'après lequel elle vit, comme le corps vit par l'âme. C'est de la sorte que la foi qui existe sans la charité est appelée une foi morte, suivant ces paroles de saint Jacques (Jc 2,20) : La foi sans les oeuvres est morte. C'est aussi de cette manière que toutes les oeuvres qui sont bonnes dans leur genre sont appelées des oeuvres mortes, si elles se font sans la charité, parce qu'elles ne procèdent pas d'un principe de vie, comme si nous appelions une voix morte le son d'une guitare.—La différence de la vie et de la mort dans les oeuvres résulte donc de leur rapport avec le principe dont elles procèdent. Mais les oeuvres ne peuvent procéder de nouveau de leur principe, parce qu'elles passent, et qu'on ne peut de nouveau reproduire numériquement les mêmes. Par conséquent il est impossible que la pénitence rende de nouveau vivantes des oeuvres qui sont mortes.

31 Il faut répondre au premier argument, que dans l'ordre naturel les choses qui sont mortes aussi bien que celles qui sont mortifiées manquent d'un principe de vie. Mais on dit que les oeuvres sont mortifiées (3), non par rapport au principe d'où elles sont sorties, mais par rapport à un empêchement extrinsèque ; au lieu qu'on dit qu'elles sont mortes, par rapport à leur principe. C'est pourquoi il n'y a pas de parité.

32
Il faut répondre au second, que les oeuvres qui sont bonnes moralement et qui ont été produites sans la charité sont appelées des oeuvres mortes, à cause du défaut de charité et de grâce, qui est un défaut de principe. Mais la pénitence subséquente ne peut faire qu'elles procèdent de ce principe; par conséquent la raison n'est pas concluante.

33
Il faut répondre au troisième, que Dieu se rappelle les bonnes actions qu'on fait dans l'état du péché, non pour les récompenser dans la vie éternelle qui n'est due qu'aux oeuvres vivantes, c'est-à-dire aux oeuvres qui sont faites

(I) Les oeuvres qui détruisent dans l'homme la vie de là grâce sont appelées pour ce motif par les théologiens opera mortifera.
(2) Ce sont ces oeuvres qu'on appelle proprement des oeuvres mortes, opera mortua.
(3) Ce qu'on appelle les oeuvres mortifiées (iopera morlificala) sont celles qui ont été produites par la grâce et qu'un péché subséquent a ensuite privées de leur effet. Elles ont été ainsi frappées de mort après avoir été vivantes.

d'après la charité; mais pour leur accorder une récompense temporelle (1), comme le remarque saint Grégoire à propos de Lazare et du mauvais riche Hom. xl in Evang.) : Si ce riche, dit-il, n'eût fait quelque bien, et qu'il n'en eût pas reçu la récompense dans cette vie, Abraham ne lui dirait pas : Vous avez reçu des biens pendant votre-vie. —Ou bien on peut entendre que Ton subira à cause de cela un jugement moins sévère. C'est ce qui fait observer à saint Augustin (Lib. de patient, cap. 26) : Nous ne pouvons pas dire du schismatique qu'il eût mieux fait de renoncer le Christ pour s'épargner les maux qu'il a soufferts en le confessant. Mais nous devons penser que son jugement sera moins sévère que s'il eût renié le Christ, pour ne subir aucun de ces tourments (2). Ainsi quand l'Apôtre dit : Si je livrais mon corps pour être brûlé et que je n'aie pas la charité, cela ne me sert de rien, il faut entendre que cela ne sert de rien- pour obtenir le royaume des cieux, mais non pour diminuer de quelque manière la rigueur des derniers supplices (3).




QUESTION 90: DES PARTIES DE LA PÉNITENCE EN GÉNÉRAL.

1800
Nous avons ensuite à nous occuper des parties de la pénitence. Nous en parlerons d'abord en général et ensuite nous traiterons de chacune d'elles en particulier. Sur les parties de la pénitence en général il y a quatre questions à examiner : 1° La pénitence a-t-elle des parties ?—2° Du nombre de ces parties.—3" Quelles sont-elles ?—4° De sa division en parties subjectives.



ARTICLE I — doit-on assigner des parties à la pénitence (4)?

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1 Il semble qu'on ne doive pas assigner de parties à la pénitence. Car les sacrements sont des choses dans lesquelles la vertu divine opère le salut secrètement. Or, la vertu divine est une et simple. On ne doit donc pas assigner de parties à la pénitence puisqu'elle est un sacrement.

2
La pénitence est une vertu et elle est un sacrement. Or, on ne lui assigne pas de parties, comme vertu, puisque la vertu est une habitude qui est une simple qualité de l'âme. Il semble également qu'on ne doive pas non plus lui en assigner comme sacrement, parce qu'on n'assigne de parties ni au baptême, ni aux autres sacrements. On ne doit donc en assigner d'aucune manière à la pénitence.

3
La matière de la pénitence est un péché, comme nous l'avons dit (quest. lxxxiv, art. 2). Or, on n'assigne pas de parties au péché. On ne doit donc pas en assigner non plus à la pénitence.

20
Mais c'est le contraire. Les parties sont les éléments par lesquels la perfection d'une chose est constituée dans son intégralité. Or, la perfection de la pénitence est intégralement formée de plusieurs choses : de la contrition, de la confession et de la satisfaction. Elle a donc des parties.


CONCLUSION. — Puisque plusieurs actes humains sont requis pour la perfection de ta pénitence, comme la contrition, la confession et la satisfaction, il est nécessaire que le sacrement de pénitence ait aussi plusieurs parties.

21
Il faut répondre que les parties d'une chose sont les choses dans lesquelles le tout se divise matériellement : car les parties sont au tout ce que la matière est à la forme. C'est ce qui fait dire à Aristote (Phys. lib. ii, text. 31) que les parties sont placées dans le genre de la cause matérielle et le tout dans le genre de la cause formelle. Par conséquent, partout où l'on rencontre une certaine pluralité du côté de la matière, il y a lieu de trouver une distinction de parties. —Or, nous avons dit (quest. lxxxiv, art. 2 et 3) que dans le sacrement de pénitence les actes humains sont ce qui tient lieu de matière. C'est pourquoi, puisqu'il faut plusieurs actes humains pour la perfection de la pénitence, et qu'on requiert la contrition, la confession et la satisfaction, comme on le verra plus loin (art. seq.), ii s'ensuit que le sacrement de pénitence a des parties.

(1) Ces oeuvres méritent une récompense temporelle ex congruo.
(2) Sa faute sans cela aurait été plus grave.
(3) Ce n'est pas que les actions moralement lionnes aient une vertu d'expiation ou de satis- action, mais elles empêchent du moins de faire des fautes nouvelles qui auraient mérité de nouveaux châtiments.
(4) Il  ne s'agit pas ici de la pénitence comme vertu, mais de la pénitence comme sacrement, ainsi qu'on le voit d'après le corps de l'article et la réponse au second argument.

31
Il faut répondre au premier argument, que tout sacrement est simple en raison de la vertu divine qui opère en lui ; mais la vertu divine, à cause de sa grandeur, peut opérer par une seule et par plusieurs choses, en raison desquelles on peut assigner à un sacrement des parties (1).

32
Il faut répondre au second, qu'on n'assigne pas de parties a la pénitence comme vertu; car les actes humains qui sont multiples dans la pénitence ne se rapportent pas à l'habitude de la vertu comme des parties, mais comme des effets. D'où il résulte qu'on assigne des parties à la pénitence comme sacrement, selon que les actes humains se rapportent à ce sacrement comme matière. Quant aux autres sacrements, ils n'ont pas des actes humains (2) pour matière, mais ils ont quelque chose d'extérieur qui est un ou simple comme l'eau ou l'huile, ou composé comme le chrême. C'est pourquoi on n'assigne pas de parties aux autres sacrements.

33
Il faut répondre au troisième, que les péchés sont la matière éloignée de la pénitence, en tant qu'ils sont la matière ou l'objet des actes humains qui sont la matière propre de la pénitence comme sacrement.



ARTICLE II. — est-il convenable d'assigner, comme parties de la pénitence, la contrition, la confession et la satisfaction (3)?

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1 Il semble qu'il ne soit pas convenable d'assigner comme parties de la pénitence la contrition, la confession et la satisfaction. Car la contrition existe dans le coeur, et par conséquent elle appartient à la pénitence intérieure; tandis que la confession se fait de bouche et la satisfaction s'opère par les oeuvres, et que par conséquent ces deux dernières choses appartiennent à la pénitence extérieure. Or, la pénitence intérieure n'est pas un sacrement, il n'y a que la pénitence extérieure qui est soumise aux sens. Il n'est donc pas convenable d'assigner ces parties au sacrement de pénitence.

Les sacrements de la loi nouvelle confèrent la grâce, comme nous l'avons dit (quest. lxii, art. 1 et 3). Or, dans la satisfaction il n'y a point de grâce qui soit conférée. Elle n'est donc pas une partie d'un sacrement.

(t) Cotte diversité de parties, qui établit une pluralité dans la matière, n'empêche pas le sacrement d'être un formellement.
(2) Le sacrement de pénitence est le seul qui ait pour matière des actes humains distincts spécifiquement, et c'est pour ce motif qu'il est le 8i'ul qu'on puisse diviser.
(3) Luther voulait qu'il n'y eut dans la pénitence que deux parties : la contrition et la foi ; par la contrition il entendait les terreurs que Ion conçoit par suite des menaces de la loi, et par la foi il entendait l'assurance que l'on a de la rémission des péchés d'après la promulgation de l'Evangile. Par le même décret le concile de

Trente a condamné cette erreur et établit la doctrine qu'expose ici saint Thomas (sess, xiv, can. 4) : Si quis negaverit ad integram et perfectam peccatorum remissionem requiri tres actus in poenitente, quasi materiam sacramenti paeniténtiae, videlicet, contritionem, confessionem et satisfactionem; quae tres poenitentiae partes dicuntur : aut dixerit duas tantum esse poenitentiae partes, terrores scilicet incussos conscientiae, agnito peccato, et fidem conceptam ex Evangelio, vel absolutione, qui credit quis sibi per Christum remissa peccata; anathema sit.

2
Le fruit d'une chose n'est pas identique avec sa partie. Or, la satisfaction est le fruit de la pénitence, d'après ces paroles (Lc 3,8): Faites de dignes fruits de pénitence. Elle n'est donc pas une partie de la pénitence.

3 La pénitence est établie contre le péché. Or, le péché peut être consommé uniquement dans le coeur par le consentement, comme nous l'avons vu (1* 2", quest. lxxii, art. 7). La pénitence peut donc aussi n'être qu'intérieure, et par conséquent on ne doit pas considérer comme ses parties la confession de bouche et la satisfaction par les oeuvres.

20
Mais c'est le contraire. Il semble qu'on doive reconnaître dans la pénitence plusieurs parties. Car on considère comme une partie de l'homme non-seulement son corps, qui est sa matière, mais encore l'âme qui est sa forme. Or, les trois choses que l'on a précédemment énoncées étant des actes du pénitent, elles sont comme la matière du sacrement, tandis que l'absolution du prêtre en est comme la forme. On doit donc considérer l'absolution du prêtre comme une quatrième partie de la pénitence.


CONCLUSION. — Il y a trois parties dans le sacrement de pénitence de la part du pénitent : la contrition par laquelle il veut réparer l'offense qu'il a faite à Dieu, la confession par laquelle il se soumet au jugement du prêtre qui tient la place de Dieu pour la rémission de ses fautes, et la satisfaction par laquelle il satisfait à Dieu selon la volonté de son ministre.

21
Il faut répondre qu'il y a deux sortes de parties, comme le dit Aristote (Met. lib. vii, text. 33 et 34) : celle de l'essence et celle de la quantité. Les parties de l'essence sont naturellement la forme et la matière ; logiquement, le genre et la différence. De la sorte, dans tout sacrement on distingue la matière et la forme (1) comme des parties essentielles. D'où nous avons dit (quest. lx, art. 5 et 6) que les sacrements consistent dans les choses et les mots. Mais, comme la quantité se considère par rapport à la matière, les parties de la quantité sont les parties de la matière. Dans ce sens, on assigne au sacrement de pénitence spécialement des parties, comme nous l'avons dit (art. préc.), quant aux actes du pénitent qui sont la matière de ce sacrement. — Or, nous avons dit (quest. lxxxv, art. 3 ad 3) que la réparation de l'offense se fait d'une autre manière dans la pénitence que dans la justice vindicative. Car, dans la justice vindicative, la réparation se fait selon la décision du juge, mais non selon la volonté de l'offenseur ou de l'offensé ; au lieu que dans la pénitence la réparation de l'offense se fait selon la volonté du pécheur et selon la décision de Dieu contre lequel on pèche ; parce qu'ici on ne cherche pas seulement à rétablir l'égalité de la justice, comme dans la justice vindicative, mais on se propose plutôt la réconciliation de l'amitié : ce qui a lieu quand l'offenseur répare ses torts selon la volonté de celui qu'il a offensé. Par conséquent on requiert du pénitent : 1° la volonté de réparer ses torts, ce qui se fait par la contrition - 2° le dessein de se soumettre à la sentence du prêtre à la place de Dieu, ce qui a lieu par la confession ; 3° la résolution de réparer ses torts conformément à l'arrêt du ministre de Dieu, ce qui se fait dans la satisfaction. C'est pourquoi la contrition, la confession et la satisfaction sont considérées comme des parties (2) de la pénitence.

(2) Ce sont des parties intégrantes, comme on le verra dans l'ARTICLE suivant.
(1) Cette distinction a été précédemment appliquée au sacrement de pénitence (quest. LXXXIV, art. 2 et 5).

31
Il faut répondre au premier argument, qu'à la vérité la contrition est, selon son essence, dans le coeur, et elle appartient à la pénitence intérieure; mais elle appartient virtuellement à la pénitence extérieure, entant qu'elle implique la résolution de se confesser et de satisfaire.

32
Il faut répondre au second, que la satisfaction confère la grâce, selon qu'elle existe dans le ferme propos, et qu'elle l'augmente selon qu'elle existe dans l'exécution, comme fait le baptême pour les adultes, ainsi que nous l'avons dit (quest. lxviii, art. 2, et quest. lxix, art. 8).

33
Il faut répondre au troisième, que la satisfaction est une partie de la pénitence comme sacrement, tandis qu'elle est le fruit de la pénitence comme vertu.

34
Il faut répondre au quatrième, qu'on requiert plus de choses pour le bien qui vient d'une cause intègre que pour le mal qui est produit par toute défectuosité, d'après saint Denis (De div. nom. cap. 4). C'est pour ce motif que, quoique le péché soit consommé dans le consentement du coeur, cependant il faut, pour que la pénitence soit parfaite, la contrition du coeur, la confession de bouche et la satisfaction par les oeuvres.

A l'égard de l'argument qui conclut dans le sens contraire, la solution en est évidente d'après tout ce qui a été dit (in corp. art.).



ARTICLE III. — ces trois choses sont-elles des parties intégrantes de la pénitence (1)?

1803
1 Il semble que ces trois choses ne soient pas des parties intégrantes de la pénitence. Car la pénitence, comme nous l'avons dit (quest. lxxxiv, art. 3), est établie contre le péché. Or, le péché du coeur, de la bouche et de l'oeuvre, sont des parties subjectives du péché et non des parties intégrantes; parce que le péché se dit de chacune de ces choses. Donc aussi dans la pénitence la contrition du coeur, la confession de bouche et la satisfaction des oeuvres ne sont pas des parties intégrantes.

2
Aucune partie intégrante n'en contient en elle une autre qui appartienne au même tout. Or, la contrition contient en elle la confession et la satisfaction dans le ferme propos qui l'accompagne. Elles ne sont donc pas des parties intégrantes.

3
Le tout est constitué simultanément et également de ses parties' intégrantes, comme la ligne est formée de ses parties. Or, c'est ce qui n'arrive pas ici. Donc ces choses ne sont pas des parties intégrantes de la pénitence.

20
Mais au contraire. On appelle parties intégrantes celles dont la perfection du tout se compose dans son intégrité. Or, la perfection de la pénitence est entière d'après ces trois choses. Elles sont donc des parties intégrantes de ce sacrement.



CONCLUSION. — Puisque toute l'essence ou toute la vertu de la pénitence ne se trouve pas dans chacune de ces parties, il est évident que la contrition, la confession et la satisfaction ne sont ni des parties subjectives, ni des parties potentielles de la pénitence, mais qu'elles en sont des parties intégrantes.

(I) Les parties intrantes sont celles dont un tout est composé de telle sorte qu'on ne puisse le concevoir entier sans chacune d'elles; c'est ainsi que la tête, la poitrine, les mains sont des parties intégrantes du corps.

21
Il faut répondre qu'il y en a qui ont dit que ces trois choses sont des parties subjectives de la pénitence. Mais il ne peut en être ainsi, parce que dans chaque partie subjective il y a simultanément et également toute la vertu du tout; ainsi toute la vertu de l'animal, considéré comme tel, se trouve dans toutes les espèces d'animaux selon lesquelles on divise l'animal d'une manière égale et simultanée. Ce qui n'a pas lieu dans l'hypothèse actuelle. — C'est pourquoi d'autres ont dit que ce sont des parties potentielles. Mais cela ne peut être vrai, parce que dans chaque partie potentielle se trouve le tout selon toute son essence, comme toute l'essence de l'âme est dans chacune de ses puissances. Ce qui n'est pas non plus applicable à la thèse actuelle. — D'où il résulte que ces trois choses sont des parties intégralités de la pénitence. A l'égard de ces parties, on n'exige pas que le tout soit dans chacune d'elles, ou qu'il y soit selon toute sa vertu ou selon son essence tout entière, mais qu'il soit formé de toutes simultanément (1).

31
Il faut répondre au premier argument, que le péché, par là même qu'il a la nature du mal, peut être consommé par une seule chose (2), comme nous l'avons dit (art. préc. ad 4). C'est pour cela que le péché qui se consomme dans le coeur uniquement est une espèce de péché; tandis que le péché qui se consomme dans le coeur et la bouche est une autre espèce, et celui qui se consomme dans le coeur, dans la bouche et dans l'action en forme une troisième. Et les parties de ce péché, d'après lesquelles il existe dans le coeur, et dans la bouche, et dans l'action, en sont comme les parties intégrantes. C'est pour cela que les parties de la pénitence, qui devient parfaite par ces trois choses, en sont des parties intégrantes.

32
Il faut répondre au second, qu'une partie intégrante peut contenir le tout, pourvu que ce ne soit pas selon l'essence. Car le fondement contient l'édifice tout entier d'une certaine manière virtuellement; et c'est de la sorte que la contrition contient virtuellement la pénitence tout entière.

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Il faut répondre au troisième, que toutes les parties intégrantes ont un certain ordre entre elles. Les unes n'ont qu'un ordre de position, soit qu'elles se suivent comme les parties d'une armée, soit qu'elles se touchent comme les parties d'un monceau, soit qu'elles soient réunies comme les parties d'une maison, soit qu'elles soient continues comme les parties de la ligne. D'autres ont de plus un ordre de vertu, comme les parties de l'animal, dont la première par la vertu est le coeur, et dont les autres parties dépendent les unes des autres d'après un certain ordre de vertu ou de puissance. En troisième lieu, elles se rapportent les unes aux autres d'après Tordre du temps, comme les parties du temps et du mouvement. Ces parties de la pénitence ont donc entre elles un ordre de vertu (3) et de temps, parce qu'elles sont des actes; mais elles n'ont pas un ordre de situation, parce qu'elles n'ont pas de position.




III Pars (Drioux 1852) 1784