Instruction étude pères de l'Eglise


CONGREGATION POUR L'EDUCATION CATHOLIQUE

(DES SEMINAIRES ET DES INSTITUTS D'ETUDES)


INSTRUCTION

SUR L'ETUDE DES PERES DE L'EGLISE

DANS LA FORMATION SACERDOTALE


ROME 1989




INTRODUCTION

1 En considération des nécessités particulières actuelles des études théologiques dans les Instituts de formation sacerdotale, cette Congrégation, après s'être intéressée autrefois à l'étude des Pères de l'Eglise dans son ensemble,1 désire maintenant consacrer la présente Instruction à quelques problèmes relatifs au sujet.

L'invitation à cultiver plus intensément la patristique dans les Séminaires et dans les Facultés théologiques pourrait peut-être en surprendre quelques uns. Pourquoi en effet — pourrait-on se demander — professeurs et élèves sont-ils invités à se tourner vers le passé quand, aujourd'hui, dans l'Eglise et dans la société, il y a de si nombreux et de si graves problèmes qui exigent d'être résolus de façon urgente? On peut trouver une réponse convaincante à cette question en jetant un regard global sur l'histoire de la théologie, en considérant attentivement quelques caractéristiques du climat culturel d'aujourd'hui, et en prêtant attention aux nécessités profondes et aux nouvelles orientations de la spiritualité et de la pastorale.

1 Dans le Document sur " La formation théologique des futurs prêtres ", 22 février 1976, 85 -88.


2 L'examen des diverses étapes de l'histoire de la théologie révèle que la réflexion théologique n'a jamais renoncé à la présence rassurante et orientatrice des Pères. Au contraire, elle a toujours eu la vive conscience que, chez les Pères, il y a quelque chose de singulier, d'unique et de perpétuellement valable, qui continue à vivre et résiste à la fugacité du temps. Comme s'est exprimé à ce sujet le Souverain Pontife Jean Paul II, "de la vie puisée à la source des Pères, l'Eglise vit encore aujourd'hui; sur les bases posées par ces premiers bâtisseurs, elle est encore aujourd'hui édifiée, dans les joies et les peines de son cheminement et de ses labeurs quotidiens".2

2 JEAN-PAUL II, Lettre apost. Patres Ecclesiae, 2 janvier 1980: A.A.S. 72 (1980), p. 5.


3 La considération du climat culturel actuel fait ensuite émerger les nombreuses analogies qui lient le temps présent à l'époque patristique, en dépit des différences évidentes. Comme à ce moment là, aujourd'hui encore un monde passe, tandis qu'un autre est en train de naître. Comme à ce moment là, aujourd'hui encore l'Eglise est engagée dans un délicat discernement des valeurs spirituelles et culturelles, dans un processus d'assimilation et de purification, qui lui permet de maintenir son identité et d'offrir, dans la complexité du panorama culturel d'aujourd'hui, les richesses que la puissance d'expression humaine de la foi peut et doit donner à notre monde.3 Tout cela constitue un défi pour la vie de l'Eglise toute entière et de façon particulière pour la Théologie qui, pour s'acquitter adéquatement de ses devoirs, ne peut pas ne pas puiser aux oeuvres des Pères, comme elle puise de manière analogue à la Sainte Ecriture.

3 PAUL VI, Lettre encycl. Ecclesiam suam, 6 août 1964: A.A.S. 56 (1964), pp. 627-628.

4 L'observation de la réalité ecclésiale d'aujourd'hui, enfin, montre comment les exigences de la pastorale générale de l'Eglise et, de manière particulière, les nouveaux courants de spiritualité réclament un aliment solide et des sources sûres d'inspiration. Face à la stérilité de tant d'efforts, on repense spontanément à ce souffle frais de vraie sagesse et d'authenticité chrétienne qui émane des oeuvres patristiques. C'est un souffle qui a déjà contribué, récemment encore, à approfondir de nombreuses problématiques liturgiques, oecuméniques, missionnaires et pastorales, lesquelles, après avoir été reçues par le Concile Vatican II, sont considérées par l'Eglise d'aujourd'hui comme source d'encouragement et de lumière.

Les Pères donc donnent toujours la preuve de leur vitalité et ont toujours beaucoup de choses à dire à qui étudie et enseigne la théologie. C'est pour cette raison que la Congrégation pour l'Education catholique se tourne à présent vers les Responsables de la formation sacerdotale pour leur proposer quelques utiles réflexions sur la situation actuelle des études patristiques (I), sur leurs motivations les plus profondes (II), sur leurs méthodes (III), sur leur programmation concrète (IV).



I - ASPECTS DE LA SITUATION ACTUELLE

Tout discours sur les thèmes ci-dessus indiqués suppose, comme point de départ, la connaissance de la situation où se trouvent aujourd'hui les études patristiques. On se demande toutefois quelle place leur est aujourd'hui réservée dans la préparation des futurs prêtres et quelles sont à ce sujet les directives de l'Eglise.



1. LES PÈRES DANS LES ÉTUDES THÉOLOGIQUES D'AUJOURD'HUI

5 L'état actuel de la patristique dans les Instituts de formation sacerdotale est en rapport d'étroite dépendance avec les conditions générales de l'enseignement théologique: avec son organisation, sa structure et son inspiration fondamentale; avec la qualité et la préparation spécifique des enseignants, avec le niveau intellectuel et spirituel des élèves, avec l'état des bibliothèques et d'une manière générale, avec la disponibilité des moyens didactiques. Sa situation n'est cependant pas partout la même; elle diffère non seulement d'un pays à l'autre, mais est aussi différente dans les divers diocèses de chaque nation. On peut toutefois repérer à ce sujet, au niveau de l'Eglise universelle, soit des aspects positifs, soit certaines situations et tendances, qui posent parfois des problèmes pour les études ecclésiastiques.

6 a) L'insertion de la dimension historique dans le travail scientifique des théologiens, survenue dans les débuts de notre siècle, a, entre autres, attiré aussi l'attention sur les Pères de l'Eglise. Ce fait s'est montré extraordinairement profitable et fécond, parce qu'il a rendu possible une meilleure connaissance des origines chrétiennes, de la genèse et de l'évolution historique de différentes questions et doctrines, mais aussi parce que l'étude des Pères a trouvé quelques spécialistes vraiment érudits et compétents, qui ont su mettre en évidence le lien vital existant entre la tradition et les problèmes les plus urgents du moment présent. Grâce à un tel accès aux sources, les longs et fatigants travaux de la recherche historique ne sont pas restés fixés sur une pure investigation du passé, mais ont influé sur les orientations spirituelles et pastorales de l'Eglise d'aujourd'hui, indiquant la route vers le futur. Il est naturel que ce soit la théologie qui en ait retiré le plus grand profit.

7 b) Cet intérêt pour les Pères continue encore aujourd'hui, bien que dans des conditions un peu diverses. En dépit d'une considérable décadence générale de la culture humaniste, on note ici et là un réveil dans le domaine patristique qui engage non seulement d'éminents chercheurs du clergé religieux et diocésain, mais aussi de nombreux représentants du laïcat. En ces derniers temps sont en train de se multiplier des publications d'excellentes collections patristiques et de monographies scientifiques, qui sont peut-être le signe le plus évident d'une vraie faim du patrimoine spirituel des Pères; un phénomène consolant qui ne manque pas de se répercuter aussi positivement dans les Facultés théologiques et dans les Séminaires. Toutefois l'évolution qui s'est vérifiée dans le domaine théologique et culturel en général met sous les yeux certaines insuffisances et divers obstacles au sérieux du travail qui ne doivent pas être ignorés.

8 c) De nos jours ne manquent pas les conceptions et les tendances théologiques qui, contrairement aux indications du Décret " Optatam totius " (OT 16), accordent peu d'attention au témoignage des Pères et, d'une manière générale, de la Tradition ecclésiastique, se limitant à la confrontation directe des données bibliques avec la réalité sociale et avec les problèmes concrets de la vie, analysés à l'aide des sciences humaines. Il s'agit de courants théologiques qui laissent de côté la dimension historique des dogmes et pour lesquels les immenses efforts de l'époque patristique et du moyen âge ne semblent avoir aucune importance véritable. En de tels cas, l'étude des Pères est réduite au minimum et pratiquement englobée dans le refus général du passé.

Comme on le voit d'après l'exemple de diverses théologies de notre temps, détachées du courant de la Tradition, l'activité théologique en ces cas ou bien est réduite à un pur " biblicisme ", ou bien devient prisonnière de son propre horizon historique, s'adaptant aux différentes philosophies et idéologies en vogue. Le théologien, laissé pratiquement à lui-même, croyant faire de la théologie, ne fait en réalité que de l'historicisme, du sociologisme etc., aplatissant les contenus du Credo à une dimension purement terrestre.

9 d) Se reflète aussi négativement sur les études patristiques une certaine attitude unilatérale, qui se perçoit de nos jours en divers cas dans les méthodes exégétiques. L'exégèse moderne, qui recourt à l'aide de la critique historique et littéraire, jette une ombre sur les contributions exégétiques des Pères, qui sont considérées comme simplistes et, en substance, inutiles pour une connaissance approfondie de la Sainte Ecriture. Ces orientations, en même temps qu'elles appauvrissent et dénaturent l'exégèse elle-même, par la rupture de son unité naturelle avec la Tradition, diminuent indubitablement l'estime et l'intérêt pour les oeuvres patristiques. L'exégèse des Pères au contraire, pourrait nous ouvrir les yeux à d'autres dimensions de l'exégèse spirituelle et de l'herméneutique qui compléteraient la dimension historico-critique, en l'enrichissant d'intuitions profondément théologiques.

10 e) Outre les difficultés provenant de certaines orientations exégétiques, il faut mentionner aussi celles qui naissent de conceptions déformées de la Tradition. En quelques cas en effet, à la place de la conception d'une Tradition vivante, qui progresse et se développe avec les avancées de l'histoire, on en trouve une autre trop rigide, dite parfois " intégriste ", qui réduit la Tradition à la répétition des modèles du passé et en fait un bloc monolithique et fixe, qui ne laisse aucune place au développement légitime et à la nécessité pour la foi de répondre aux situations nouvelles. De cette manière se créent facilement des préjudices vis à vis de la Tradition en tant que telle, qui ne favorisent pas un accès serein aux Pères de l'Eglise.

Paradoxalement, se répercute de façon défavorable sur l'appréciation de l'époque patristique la conception même de la tradition ecclésiastique vivante, quand les théologiens, dans leur insistance sur l'égale valeur de tous les moments de l'histoire, ne tiennent pas suffisamment compte de la spécificité de la contribution fournie par les Pères au patrimoine commun de la Tradition.

11 f) De plus, beaucoup d'étudiants en théologie, aujourd'hui, en provenance d'écoles de type technique, ne disposent pas de la connaissance des langues classiques que l'on demande pour une approche sérieuse des oeuvres des Pères. En conséquence, l'état de la patristique dans les Instituts de formation sacerdotale se ressent considérablement des changements culturels actuels, caractérisés par un esprit scientifique et technologique croissant qui privilégie quasi exclusivement les études des sciences naturelles et humaines, négligeant la culture humaniste.

12 g) Enfin, en divers Instituts de formation sacerdotale, les programmes d'études sont tellement surchargés de nouvelles disciplines retenues comme plus nécessaires et plus " actuelles ", qu'il ne reste pas d'espace suffisant pour la patristique. Celle-ci en conséquence doit se contenter d'un petit nombre d'heures hebdomadaires, ou de solutions palliatives dans le cadre de l'Histoire de l'Eglise antique. A ces difficultés s'ajoute souvent le manque, dans les bibliothèques, de collections patristiques et de matériels bibliographiques appropriés.


2. LES PÈRES DANS LES DIRECTIVES DE L'EGLISE

Le discours sur l'état actuel des études patristiques ne serait pas complet, si n'étaient pas mentionnées les normes officielles de l'Eglise correspondantes. Celles-ci, comme on le verra, mettent clairement en lumière les valeurs théologiques, spirituelles et pastorales contenues dans les oeuvres des Pères, dans le but de les rendre fructueuses pour la préparation des futurs prêtres.

13 a) Parmi ces directives, occupent la première place les indications du Concile Vatican II concernant la méthode de l'enseignement théologique, et le rôle de la Tradition dans l'interprétation et dans la transmission de l'Ecriture Sainte.

Au n.
OT 16 du Décret " Optatam totius ", est prescrit, pour l'enseignement de la dogmatique la méthode génétique, qui, loin d'être en opposition avec la nécessité d'approfondir les mystères de la théologie et " d'en voir la cohérence par le moyen de la spéculation, en ayant St Thomas pour maître ", la favorise plutôt: méthode qui en une seconde étape contemple la contribution fournie par les Pères de l'Eglise d'Orient et d'Occident pour " la fidèle transmission et l'explicitation de chacune des vérités révélées ".

La dite méthode, si importante pour la compréhension du progrès dogmatique, a été récemment confirmée par le Synode extraordinaire des Evêques de 1985 (cf. Relatio finalis II, B, n. 4).

14 L'importance qu'ont les Pères pour la théologie et, de manière particulière, pour la compréhension de la Sainte Ecriture, se déduit par ailleurs avec une grande clarté de certaines déclarations de la Constitution " Dei verbum " sur la valeur et sur le rôle de la Tradition:

" La Sainte Tradition et la Sainte Ecriture sont donc reliées et communiquent étroitement entre elles... La Sainte Tradition transmet intégralement la parole de Dieu, confiée par le Christ Seigneur et par l'Esprit Saint aux Apôtres, à leurs successeurs...; il en résulte ainsi que l'Eglise ne tire pas de la seule Ecriture Sainte sa certitude sur tous les points de la Révélation. C'est pourquoi l'une et l'autre doivent être reçues et vénérées avec un égal sentiment d'amour et de respect " (n.
DV 9).

Comme on le voit, la Sainte Ecriture, qui doit être " l'âme de la théologie " et " son fondement permanent " (n. DV 24), forme une unité inséparable avec la Sainte Tradition, " un unique dépôt de la parole de Dieu confié à l'Eglise... l'une et l'autre ne pouvant subsister de façon indépendante " (n. DV 10). Ce sont justement les " assertions des Saints Pères " qui " attestent la présence vivifiante de cette tradition dont les richesses passent dans la pratique et dans la vie de l'Eglise qui croit et qui prie " (n. DV 8). Aujourd'hui encore, en dépit des indéniables progrès accomplis par l'exégèse moderne, l'Eglise " qui se préoccupe d'acquérir une intelligence chaque jour plus profonde des Saintes Ecritures pour offrir continuellement à ses enfants la nourriture de la Parole divine... favorise donc à bon droit l'étude des Saints Pères, tant d'Orient que d'Occident, et celle des Saintes Liturgies " (n. DV 23).

15 b) La Congrégation pour l'Education Catholique, dans la " Ratio fundamentalis institutionis sacerdotalis " et dans le document sur " La formation théologique des futurs prêtres ", confirme les affirmations ci-dessus rapportées du Concile Vatican II, en mettant en lumière quelques uns de leurs aspects importants.

Face à certaines tendances réductrices en théologie dogmatique, il convient de développer intégralement la méthode génétique,4 en en illustrant la validité, les valeurs didactiques,5 comme aussi les conditions exigées pour son exacte application;6 à ce propos une référence explicite est faite à l'étape patristico-historique.7

Selon la " Ratio fundamentalis ",8 les professeurs et les élèves doivent adhérer avec entière fidélité à la parole de Dieu dans la Sainte Ecriture et dans la Tradition... en en acquérant le sens vivant " avant tout par la fréquentation des écrits des Pères ". Ceux-ci méritent une grande estime, car "leur oeuvre fait partie de la tradition vivante de l'Eglise, à laquelle, par une disposition providentielle, ils ont apporté une contribution de valeur durable à une époque plus favorable à la synthèse de la raison et de la foi".9 Une plus grande fréquentation des Pères peut donc être considérée comme le moyen le plus efficace pour découvrir la force vitale de la formation théologique 10 et, par dessus tout, pour s'insérer dans le dynamisme de la Tradition, " qui préserve d'un individualisme exagéré et assure l'objectivité de la pensée ".11

Pour que ces exhortations ne restent pas lettre morte, on a donné, dans le document susmentionné sur " La formation théologique des futurs prêtres ", quelques normes pour l'étude systématique de la patristique (nn. 85-88).

4 Ratio fundamentalis institutionis sacerdotalis, n. 79.
5 La formation théologique des futurs prêtres, nn. 89, 93.
6 Ibid., nn. 90, 91.
7 Ibid., n. 92, 4b.
8 Ratio fundamentalis institutionis sacerdotalis, n. 86.
9 La formation théologique des futurs prêtres, n. 48.
10 Ibid., n. 74.
11 Ibid., n. 49.

16 c) Les impulsions données à l'étude des Pères par le Concile et par la Congrégation pour l'Education Catholique ont été accentuées ces dernières décennies, en différentes occasions, par les Souverains Pontifes. Leurs interventions, comme celles de leurs Prédécesseurs, se distinguent par la variété des sujets et l'impact produit sur la situation actuelle théologique et spirituelle:

"L'étude des Pères, de grande utilité pour tous, est d'impérieuse nécessité pour ceux qui ont à coeur le renouvellement théologique, pastoral et spirituel promu par le Concile et qui veulent y coopérer. Chez les Pères en effet il y a des constantes qui sont à la base de tout renouvellement authentique".12 La pensée patristique est christocentrique; 13 elle est un exemple d'une théologie unifiée, vivante, mûrie au contact des problèmes du ministère pastoral; 14 elle est un excellent modèle de catéchèse,15 une source pour la connaissance de la Sainte Ecriture et de la Tradition,16 comme aussi de l'homme total et de la vraie identité chrétienne.17 Les Pères, en effet, " sont une structure stable de l'Eglise et accomplissent pour l'Eglise de tous les siècles une fonction ininterrompue. C'est ainsi que toute annonce de l'Evangile et tout magistère ensuite, pour pouvoir être authentiques, doivent être confrontés à leur annonce et à leur magistère, tout charisme et tout ministère doivent puiser à la source vive de leur paternité; toute pierre nouvelle qui s'ajoute à l'édifice... doit se situer dans la structure qu'ils ont posée et se souder et s'unir à elle ".18 Les incitations à l'étude plus intense de la patristique ne manquent donc pas. Elles sont nombreuses et bien motivées. Or, pour rendre ces sollicitations encore plus explicites, il paraît utile d'en exposer de suite quelques raisons.

12 PAUL VI, Lettre à Son Eminence le Cardinal Michèle Pellegrino pour le centenaire de la mort de J.P. Migne, 10 mai 1975: A.A.S. 67 (1975), p. 471.
13 JEAN-PAUL II, Alloc. Sono lieto, aux Professeurs et étudiants de l'Institut Patristique " Augustinianum ", 8 mai 1982: A.A.S. 74 (1982), p. 798: " Se mettre à l'école des Pères veut donc dire apprendre à mieux connaître le Christ et à mieux connaître l'homme. Cette connaissance, scientifiquement documentée et prouvée, aidera énormément l'Eglise dans sa mission de prêcher à tous, comme elle le fait sans se lasser, que seul le Christ est le salut de l'homme ".
14 PAUL VI, Alloc. I Nostri passi, pour l'inauguration de l'Institut Patristique " Augustinianum ", 4 mai 1970: A.A.S. 62 (1970), p. 425: " Comme pasteurs, ensuite, les Pères sentirent la nécessité d'adapter le message évangélique à la mentalité contemporaine, de se nourrir eux-mêmes et de nourrir le peuple de Dieu de l'aliment de la vérité de la Foi. Il s'en suivit que pour eux catéchèse, théologie, Ecriture Sainte, Liturgie, vie spirituelle et pastorale se conjuguèrent en une unité vitale et ne parlèrent pas seulement à l'intelligence, mais à tout l'homme, portant intérêt à la pensée, au vouloir, au sentiment ".
15 JEAN-PAUL II, Exhort. apost. Catechesi tradendae, 16 octobre 1979: A.A.S. 71 (1979), p. 1287, n.
CTR 12.
16 JEAN-PAUL II, Alloc. Sono lieto, aux professeurs et étudiants de l'Institut Patristique " Augustinianum ", 8 mai 1982: A.A.S. 74 (1982), p. 796 s.
17 Ibid., p. 797 s.
18 JEAN-PAUL II, Lettre apost. Patres Ecclesiae, 2 janvier 1980: A.A.S. 72 (1980), p. 6.



II - POURQUOI ETUDIER LES PERES

17 II est évident que les études patristiques ne pourront atteindre le niveau scientifique convenable et porter les fruits espérés qu'à la condition d'être menées avec sérieux et amour. L'expérience enseigne en effet que les Pères n'entrouvrent leurs richesses doctrinales et spirituelles qu'à celui qui s'efforce d'entrer dans leur profondeur par une familiarité continue et assidue avec eux. Il faut donc, de la part des enseignants et des élèves, un véritable engagement pour lequel on peut alléguer les principaux motifs suivants:

1) Les Pères sont des témoins privilégiés de la Tradition;
2) Ils nous ont transmis une méthode théologique, à la fois lumineuse et sûre;
3) Leurs écrits présentent une richesse culturelle, spirituelle et apostolique, qui en fait les grands maîtres de l'Eglise d'hier et d'aujourd'hui.



1. TÉMOINS PRIVILÉGIÉS DE LA TRADITION

18 Parmi les diverses qualifications et les divers rôles que les documents du Magistère attribuent aux Pères, figure en premier lieu celui de témoins privilégiés de la Tradition. Dans le flux de la Tradition vivante qui depuis les débuts du christianisme se poursuit à travers les siècles jusqu'à nos jours, ils occupent une position tout à fait spéciale qui les rend uniques par rapport aux autres protagonistes de l'histoire de l'Eglise. Ils sont en effet ceux qui ont fait naître les premières structures porteuses de l'Eglise en même temps que les attitudes doctrinales et pastorales qui restent valables pour tous les temps.


19 a) Dans notre conscience chrétienne, les Pères apparaissent toujours liés à la Tradition, pour en avoir été en même temps protagonistes et témoins. Ils sont plus proches de la pureté des origines; quelques uns d'entre eux ont été témoins de la Tradition apostolique, source d'où la Tradition elle-même tire son origine; ceux des premiers siècles spécialement peuvent se considérer auteurs et représentants d'une tradition " constitutive ", que l'on conservera et que l'on expliquera de façon continue dans les temps postérieurs. En tout cas, les Pères ont transmis ce qu'ils ont reçu, " ont enseigné à l'Eglise ce qu'ils ont appris dans l'Eglise "; 19 "ce qu'ils ont trouvé dans l'Eglise, ils l'ont gardé; ce qu'ils ont appris, ils l'ont enseigné; ce qu'ils ont reçu des Pères, ils l'ont transmis aux fils".20

19 AUGUSTIN, Opus imp. c. Jul. 1, 117: PL 45, 1125.
20 Idem., Contra Jul. 2, 10, 34: PL 44, 698.


20 b) Historiquement, l'époque des Pères est la période de certaines prémices importantes de la vie ecclésiale. Ils ont été ceux qui ont fixé " le canon intégral des Livres Saints ",21 composé les professions fondamentales de la foi (" regulae fidei "), précisé le dépôt de la foi face aux hérésies et à la culture contemporaine, faisant naître ainsi la théologie. Déplus, ce sont encore eux qui ont jeté les bases de la discipline canonique (" statuta patrum ", " traditiones patrum "), et créé les premières formes de la liturgie, qui restent un point de référence obligatoire pour toutes les réformes liturgiques postérieures. Les Pères ont donné de cette manière la première réponse consciente et réfléchie à la Sainte Ecriture, en la formulant non pas tant comme une théorie abstraite, mais comme une pratique pastorale quotidienne d'expérience et d'enseignement au coeur des assemblées liturgiques réunies pour professer la foi et pour célébrer le culte du Seigneur ressuscité. Ils ont été ainsi les auteurs de la première grande catéchèse chrétienne.

21 CONC. VAT. II, Const. Dei verbum, n.
DV 8.


21 c) La Tradition dont les Pères sont les témoins, est une Tradition vivante, qui montre l'unité dans la variété et la continuité dans le progrès.

Cela se voit dans la pluralité des familles liturgiques, des traditions spirituelles, disciplinaires et exégético-théologiques existant dans les premiers siècles (par ex. les écoles d'Alexandrie et d'Antioche); traditions diverses mais unies et toutes enracinées dans le fondement ferme et immuable de la foi.


22 d) La Tradition, telle qu'elle a été connue et vécue par les Pères n'est donc pas comme un bloc monolithique, immobile et sclérosé, mais comme un organisme pluriforme et palpitant de vie. C'est une praxis de vie et de doctrine qui connaît, d'une part, incertitudes, tensions, recherches faites à tâtons, et d'autre part décisions opportunes et courageuses, qui se sont révélées de grande originalité et d'importance décisive. Suivre la Tradition vivante des Pères ne signifie pas s'agripper au passé comme tel, mais adhérer, avec un sentiment de sécurité et une liberté d'élan, à la ligne de la foi en maintenant une orientation constante vers le fondement: ce qui est essentiel, ce qui dure et ne change pas. Il s'agit d'une fidélité absolue, soutenue et prouvée en de nombreux cas " usque ad sanguinis effusionem " (" jusqu'à l'effusion du sang "), envers le dogme et les principes moraux et disciplinaires qui montrent leur fonction irremplaçable et leur fécondité propre dans les moments où des choses nouvelles sont en train de faire route.


23 e) Les Pères sont donc témoins et garants d'une authentique Tradition catholique, et c'est pour cela que leur autorité dans les questions théologiques a été et reste toujours grande. Quand il était nécessaire de dénoncer la déviation de courants de pensée déterminés, l'Eglise s'est toujours référée aux Pères comme garantie de vérité. Divers Conciles, par ex. ceux de Chalcédoine et de Trente, commencent leurs déclarations solennelles par un appel à la Tradition patristique en utilisant la formule: " A la suite des Saints Pères etc. ". Il est aussi fait référence à eux dans les cas où la question a déjà été de par elle-même résolue par le recours à l'Ecriture Sainte.

Au Concile de Trente 22 et à Vatican I23 a été explicitement énoncé le principe selon lequel le consentement unanime des Pères constitue une règle certaine d'interprétation de l'Ecriture, principe qui a toujours été vécu et pratiqué dans l'histoire de l'Eglise et qui s'identifie avec celui du caractère normatif de la Tradition formulé par Vincent de Lérins 24 et auparavant par Saint Augustin.

22 CONC. TRID., éd. Goeressiana, V (Acta II) 91 ss.
23 CONC. VAT. I, coll. Lac. 7, 251.
24 Comm. primum 2, 10: PL 50, 639, 650.


24 f) Les exemples et les enseignements des Pères, témoins de la Tradition, ont été particulièrement appréciés et valorisés au Concile Vatican II; c'est vraiment grâce à eux que celui-ci a pu saisir avec plus d'acuité la conscience que l'Eglise a d'elle-même et déterminer la route sûre en particulier pour le renouveau liturgique, pour un dialogue oecuménique fructueux et pour la rencontre avec les religions non chrétiennes, en faisant fructifier dans les circonstances actuelles l'antique principe de l'unité dans la diversité et du progrès dans la continuité de la Tradition.


2. MÉTHODE THÉOLOGIQUE

25 Le délicat processus de la greffe du christianisme sur le monde de la culture antique, et la nécessité de définir les contenus du mystère chrétien face à la culture païenne et aux hérésies stimulèrent les Pères à approfondir et illustrer rationnellement la foi à l'aide des catégories de pensée mieux élaborées dans les philosophies de leur temps, spécialement dans la philosophie raffinée de l'hellénisme. Une de leurs tâches historiques les plus importantes fut de donner vie à la science théologique, et d'établir à son service quelques coordonnées et normes de procédé qui se sont révélées valables et fructueuses aussi pour les siècles futurs, comme le montrera dans son oeuvre Saint Thomas, fidèle par excellence à la doctrine des Pères.

Dans cette activité de théologiens, se dessinent chez les Pères quelques attitudes et situations particulières, qui sont de grand intérêt et qu'il faut aussi tenir présentes de nos jours dans les études sacrées:

a) le recours continuel à la Sainte Ecriture et le sens de la Tradition;
b) la conscience de l'originalité chrétienne également dans la reconnaissance des vérités contenues dans la culture païenne;
c) la défense de la foi comme bien suprême et l'approfondissement continu du contenu de la Révélation;
d) le sens du mystère et l'expérience du divin.


a) Recours à la Sainte Ecriture, sens de la Tradition

26 1. Les Pères sont en premier lieu et essentiellement des commentateurs de la Sainte Ecriture: " divinorum librorum tractatores " (commentateurs des Livres Saints).25 Dans ce travail, il est vrai que, de notre point de vue actuel, leur méthode présente certaines limites indéniables. Ils ne connaissaient pas et ne pouvaient pas connaître les ressources d'ordre philologique, historique, anthropologico-culturel ni les thématiques de recherche, de documentation, d'élaboration scientifique qui sont à la disposition de l'exégèse moderne, et c'est pour cela qu'une partie de leur travail exégétique doit être considéré comme caduque. Mais, malgré cela, leurs mérites pour une meilleure compréhension des Livres Sacrés sont incalculables. Ils restent pour nous des maîtres véritables et l'on peut dire supérieurs, sous de nombreux aspects, aux exégètes du moyen âge et de l'époque moderne par " une espèce de suave intuition des choses célestes, par une admirable pénétration d'esprit grâce auxquelles ils vont plus avant dans les profondeurs de la parole divine ".26 L'exemple des Pères peut, en effet, enseigner aux exégètes modernes une approche vraiment religieuse de la Sainte Ecriture, comme aussi une interprétation qui puise constamment au critère de communion avec l'expérience de l'Eglise, qui chemine à travers l'histoire sous la conduite de l'Esprit Saint. Quand ces deux principes interprétatifs, religieux et spécifiquement catholique, ne sont pas acceptés ou sont oubliés, les études exégétiques modernes se révèlent souvent appauvries et déformées.

La Sainte Ecriture était pour les Pères objet de vénération inconditionnée, fondement de la foi, sujet constant de la prédication, aliment de la piété, l'âme de la théologie. Ils en ont toujours soutenu l'origine divine, l'inerrance, le caractère normatif, la richesse de vigueur inépuisable pour la spiritualité et la doctrine. Qu'il suffise de rappeler ici ce qu'écrivait Saint Irénée sur les Ecriture: elles " sont parfaites, parce que dictées par le Verbe de Dieu et par son Esprit ",27 et les quatre Evangiles sont " le fondement et la colonne de notre foi ".28

25 AUGUSTIN, De Lib. arb. III, 21, 59; De Trin. II, 1,2: PL 32, 1300; 42, 845.
26.PIE XII, Lettre encycl. Divino afflante Spiritu, 30 septembre 1943: A.A.S. 35 (1943), p. 312.
27. Adv. haer, 2, 28, 2: PG 7, 805.
28 Ibid., 3, 1, 1: PG 7, 844.


27 2. La Théologie est née de l'activité exégétique des Pères, " au milieu de l'Eglise ", et spécialement dans les assemblées liturgiques, au contact avec les nécessités spirituelles du Peuple de Dieu. Cette exégèse, sur laquelle la vie spirituelle se fonde avec la réflexion théologique rationnelle, vise donc toujours à l'essentiel dans la fidélité à tout le dépôt sacré de la foi. Elle est centrée entièrement sur le mystère du Christ auquel elle rapporte toutes les vérités particulières en une admirable synthèse. Plutôt que de se disperser dans de nombreuses problématiques marginales, les Pères cherchent à embrasser la totalité du mystère chrétien, en suivant le mouvement fondamental de la Révélation et de l'économie du salut, qui va de Dieu, par le Christ, à l'Eglise, sacrement de l'union avec Dieu et dispensatrice de la grâce divine, pour retourner à Dieu. Grâce à cette intuition, due à leur sens vivant de la communion ecclésiale, à leur proximité des origines chrétiennes et à leur familiarité avec l'Ecriture, les Pères regardent le tout en son centre, en rendant ce tout présent en chacune de ses parties, et en lui rattachant chaque question périphérique. Ainsi donc, suivre les Pères dans leur itinéraire théologique signifie saisir plus facilement le noyau essentiel de notre foi et le " spécifique " de notre identité chrétienne.

28 3. La vénération et la fidélité des Pères vis à vis des Livres Saints va de pair avec leur vénération et leur fidélité envers la Tradition. Ils se considèrent non pas propriétaires, mais serviteurs des Saintes Ecritures, les recevant de l'Eglise, les lisant et les commentant en Eglise et pour l'Eglise, selon la règle de la foi proposée et éclairée par la Tradition ecclésiastique et apostolique. Saint Irénée déjà cité, grand passionné et grand connaisseur des Livres Saints, soutient que celui qui veut connaître la vérité se doit de considérer la Tradition des Apôtres,29 et il ajoute que, même si ces derniers ne nous avaient pas laissé les Ecritures, la Tradition serait suffisante pour notre instruction et pour notre salut.30 Origène lui-même, qui étudia avec tant d'amour et de passion les Ecritures et qui travailla beaucoup à en percevoir l'intelligence, déclare franchement que doivent être crues comme vérités de foi seulement celles qui ne s'éloignent en aucune manière de la " Tradition ecclésiastique et apostolique ",31 faisant ainsi de la Tradition la norme interprétative de l'Ecriture. Dans la suite, Saint Augustin, qui mettait ses " délices " dans la méditation des Ecritures 32 énonce ce principe merveilleusement clair et ferme, qui se réclame encore de la Tradition: " Je ne croirais pas à l'Evangile, si ne m'y poussait l'autorité de l'Eglise catholique ".33

29 Ibid., 3, 3, 1: PG 7, 848.
30 Ibid., 3, 4, 1: PG 7, 855.
31 De principiis 1, praef. 1; cf. In Mt comm. 46: PG 11, 116; cf. 13, 1667.
32 Confess. 11, 2, 3: PL 32, 809.
33 Contra ep. fund. 5, 6: PL 42, 176.


29 4. Par conséquent, lorsque le Concile Vatican II déclara que " la Tradition et l'Ecriture Sainte constituent un seul dépôt sacré de la parole de Dieu confié à l'Eglise ",34 il n'a rien fait d'autre que de confirmer un antique principe théologique, pratiqué et professé par les Pères. Ce principe qui a éclairé, et dirigé toute leur activité exégétique et pastorale, reste certainement valable encore pour les théologiens et les pasteurs d'âmes d'aujourd'hui. Il s'en suit concrètement que le retour à la Sainte Ecriture, qui est une des caractéristiques majeures de la vie actuelle de l'Eglise, doit être accompagné du retour à la Tradition attestée par les écrits patristiques, si l'on veut qu'il produise les fruits espérés.

34 Const. Dei verbum, n.
DV 10.



Instruction étude pères de l'Eglise