Job (LIT) 1



LIVRE DE JOB



CHAPITRE 1

1 1 IL ETAIT UNE FOIS, au pays de Ouç, un homme appelé Job. Cet homme, intègre et droit, craignait Dieu et s'écartait du mal.
2
Sept fils et trois filles lui étaient nés.
3
Il avait un troupeau de sept mille brebis, trois mille chameaux, cinq cents paires de bœufs, cinq cents ânesses, et il possédait un grand nombre de serviteurs. Cet homme était le plus riche de tous les fils de l'Orient.
4
Or ses fils avaient coutume d'aller festoyer les uns chez les autres à tour de rôle, et ils faisaient inviter leurs trois sœurs à manger et à boire avec eux.
5
Une fois terminé le cycle des festins, Job les faisait venir pour les purifier. Levé de bon matin, il offrait un holocauste pour chacun d'eux. Car Job se disait : « Peut-être mes fils ont-ils péché et maudit Dieu dans leur cœur. » C'est ainsi que Job agissait, chaque fois.
6
Le jour où les fils de Dieu se rendaient à l'audience du Seigneur, le Satan, l'Adversaire, lui aussi, vint parmi eux.
7
Le Seigneur lui dit : « D'où viens-tu ? » L'Adversaire répondit : « De parcourir la terre et d'y rôder. »
8
Le Seigneur reprit : « As-tu remarqué mon serviteur Job ? Il n'a pas son pareil sur la terre : c'est un homme intègre et droit, qui craint Dieu et s'écarte du mal. »
9
L'Adversaire riposta : « Est-ce pour rien que Job craint Dieu ?
10
N'as-tu pas élevé une clôture pour le protéger, lui, sa maison et tout ce qu'il possède ? Tu as béni son travail, et ses troupeaux se multiplient dans le pays.
11
Mais étends seulement la main, et touche à tout ce qu'il possède : je parie qu'il te maudira en face ! »
12
Le Seigneur dit à l'Adversaire : « Soit ! Tu as pouvoir sur tout ce qu'il possède, mais tu ne porteras pas la main sur lui. » Et l'Adversaire se retira.
13
Le jour où les fils et les filles de Job étaient en train de festoyer et de boire du vin dans la maison de leur frère aîné,
14
un messager arriva auprès de Job et lui dit : « Les bœufs étaient en train de labourer et les ânesses étaient au pâturage non loin de là.
15
Les Bédouins se sont jetés sur eux et les ont enlevés, et ils ont passé les serviteurs au fil de l'épée. Moi seul, j'ai pu m'échapper pour te l'annoncer. »
16
Il parlait encore quand un autre survint et lui dit : « Le feu du ciel est tombé, il a brûlé troupeaux et serviteurs, et les a dévorés. Moi seul, j'ai pu m'échapper pour te l'annoncer. »
17
Il parlait encore quand un troisième survint et lui dit : « Trois bandes de Chaldéens se sont emparées des chameaux, ils les ont enlevés et ils ont passé les serviteurs au fil de l'épée. Moi seul, j'ai pu m'échapper pour te l'annoncer. »
18
Il parlait encore quand un quatrième survint et lui dit : « Tes fils et tes filles étaient en train de festoyer et de boire du vin dans la maison de leur frère aîné,
19
lorsqu'un ouragan s'est levé du fond du désert et s'est rué contre la maison. Ébranlée aux quatre coins, elle s'est écroulée sur les jeunes gens, et ils sont morts. Moi seul, j'ai pu m'échapper pour te l'annoncer. »
20
Alors Job se leva, il déchira son manteau et se rasa la tête, il se jeta à terre et se prosterna.
21
Puis il dit : « Nu je suis sorti du ventre de ma mère, nu j'y retournerai. Le Seigneur a donné, le Seigneur a repris : Que le nom du Seigneur soit béni ! »
22
En tout cela, Job ne commit pas de péché. Il n'adressa à Dieu aucune parole déplacée.

CHAPITRE 2

2 1 Le jour où les fils de Dieu se rendaient à l'audience du Seigneur, l'Adversaire, lui aussi, vint parmi eux à l'audience.
2
Le Seigneur lui dit : « D'où viens-tu ? » L'Adversaire répondit : « De parcourir la terre et d'y rôder ».
3
Le Seigneur reprit : « As-tu remarqué mon serviteur Job ? Il n'a pas son pareil sur la terre : c'est un homme intègre et droit, qui craint Dieu et s'écarte du mal ; il persiste encore dans son intégrité, et c'est pour rien que tu m'as incité à le détruire. »
4
Mais l'Adversaire répliqua au Seigneur : « Peau pour peau ! L'homme donne tout ce qu'il a pour sauver sa vie.
5
Mais étends la main, touche à ses os et à sa chair, je parie qu'il te maudira en face ! »
6
Le Seigneur dit à l'Adversaire : « Soit ! le voici en ton pouvoir, mais préserve sa vie. »
7
Et l'Adversaire, quittant la présence du Seigneur, frappa Job d'un ulcère malin depuis la plante des pieds jusqu'au sommet de la tête.
8
Job prit un tesson pour se gratter, assis parmi les cendres.
9
Sa femme lui dit : « Tu persistes encore dans ton intégrité ! Maudis Dieu et meurs ! »
10
Il lui répondit : « Tu parles comme une insensée. Si nous accueillons le bonheur comme venant de Dieu, comment ne pas accueillir de même le malheur ? » En tout cela, Job ne commit pas de péché par ses lèvres.
11
Trois amis de Job apprirent tout ce malheur qui lui était advenu. Ils arrivèrent chacun de son pays, Élifaz de Témane, Bildad de Shouah et Sofar de Naama, et ils se concertèrent pour venir le plaindre et le consoler.
12
De loin, levant les yeux sur lui, ils ne le reconnurent pas. Alors, ils éclatèrent en sanglots. Ils déchirèrent chacun son manteau et projetèrent de la poussière sur leur tête.
13
Sept jours et sept nuits, ils restèrent assis par terre auprès de lui et, à la vue d'une si grande douleur, personne ne lui disait mot.

CHAPITRE 3

3 1 Après cela, Job ouvrit la bouche et maudit le jour de sa naissance.
2
Il prit la parole et dit :
3
« Périssent le jour qui m'a vu naître et la nuit qui a déclaré : « Un homme vient d'être conçu !»
4
Ce jour-là, qu'il soit ténèbres ; que Dieu, de là-haut, ne le convoque pas, que nulle clarté sur lui ne resplendisse !
5
Que le revendiquent ténèbres et ombre de mort, qu'une nuée sur lui repose, que les éclipses l'épouvantent !
6
Cette nuit-là, que l'obscurité s'en empare, qu'elle ne s'ajoute pas aux jours de l'année, qu'elle n'entre pas dans le compte des mois !
7
Oui, que cette nuit soit stérile, que nul cri d'allégresse n'y résonne !
8
Qu'elle soit malédiction pour ceux qui maudissent le jour, ceux qui sont prêts à réveiller Léviathan !
9
Que s'éteignent les étoiles de son aube, que cette nuit attende en vain la lumière, et n'entrevoie pas les paupières de l'aurore !
10
Car elle n'a pas scellé pour moi les portes de la matrice ni voilé à ma vue la misère.
11
Pourquoi ne suis-je pas mort dès le sein de ma mère, n'ai-je pas expiré au sortir de son ventre ?
12
Pourquoi s'est-il trouvé deux genoux pour me recevoir, deux seins pour m'allaiter ?
13
Maintenant je serais étendu, au calme, je dormirais d'un sommeil reposant,
14
avec les rois et les conseillers de la terre qui se bâtissent des mausolées,
15
ou avec les princes qui ont de l'or et remplissent d'argent leurs demeures.
16
Ou bien, comme l'avorton que l'on dissimule, je n'aurais pas connu l'existence, comme les petits qui n'ont pas vu le jour.
17
Là, au séjour des morts, prend fin l'agitation des méchants, là reposent ceux qui sont exténués.
18
De même, les prisonniers sont en paix, ils n'entendent plus les cris du gardien.
19
Petits et grands, là, sont égaux, et l'esclave est affranchi de son maître.
20
Pourquoi Dieu donne-t-il la lumière à un malheureux, la vie à ceux qui sont pleins d'amertume,
21
qui aspirent à la mort sans qu'elle vienne, qui la recherchent plus avidement qu'un trésor ?
22
Ils se réjouiraient, ils seraient dans l'allégresse, ils exulteraient s'ils trouvaient le tombeau.
23
Pourquoi Dieu donne-t-il la vie à un homme dont la route est sans issue, et qu'il enferme de toutes parts ?
24
En guise de pain, je n'ai que mes sanglots ; comme les eaux, mes rugissements déferlent.
25
La terreur qui me terrifie se réalise, et ce que je redoute m'arrive.
26
Ni calme pour moi, ni tranquillité, ni repos, rien que tourment ! »

CHAPITRE 4

4 1 Élifaz de Témane prit la parole et dit :
2
« Allons-nous t'adresser une parole ? Tu n'en peux plus ! Mais qui pourrait garder le silence ?
3
Tu faisais la leçon à beaucoup, tu soutenais les mains défaillantes ;
4
tes propos redressaient celui qui perdait pied, tu fortifiais les genoux chancelants.
5
Et maintenant que cela t'arrive, tu te décourages ; te voici atteint, et tu es bouleversé.
6
Ta piété n'est-elle pas ton appui, ta vie intègre n'est-elle pas ton espérance ?
7
Souviens-toi : quel innocent a jamais péri ? En quel lieu des hommes droits ont-ils disparu ?
8
Je l'ai bien vu, moi : les laboureurs d'iniquité et les semeurs de misère eux-mêmes la moissonnent.
9
Sous l'haleine de Dieu ils périssent, au souffle de sa colère ils sont anéantis.
10
Le lion a beau rugir, le fauve gronder : les crocs des lionceaux seront brisés.
11
Le lion adulte périt faute de proie, les petits de la lionne se dispersent.
12
Une parole furtive m'est venue, mon oreille en a perçu le murmure.
13
Dans les cauchemars, les visions de la nuit, quand tombe une torpeur sur les humains,
14
un effroi m'a saisi, un frisson a fait trembler tous mes os :
15
un souffle a glissé sur ma face, il a hérissé les poils de ma chair.
16
Quelqu'un se tenait là, inconnu de moi, une forme devant mes yeux. Un silence… puis une voix s'est fait entendre :
17
« Le mortel aurait-il raison contre Dieu, l'homme serait-il pur devant son Auteur ?
18
Si Dieu ne fait pas même confiance à ses serviteurs, et qu'il persuade ses anges d'égarement,
19
que dire alors des habitants de ces maisons d'argile, fondées elles-mêmes sur la poussière ! On les écrase comme une teigne ;
20
en l'espace d'un jour, ils sont pulvérisés ; sans qu'on y prenne garde, à jamais ils périssent.
21
Leurs attaches ne sont-elles pas rompues ? Ils meurent, faute de sagesse.»

CHAPITRE 5

5 1 Fais donc appel ! Y a-t-il quelqu'un pour te répondre ? Parmi les saints, auquel pourras-tu t'adresser ?
2
En vérité, la hargne tue l'insensé, la jalousie fait mourir le sot.
3
J'ai vu, moi, l'insensé prendre racine, mais aussitôt j'ai maudit sa demeure :
4
« Que ses fils soient écartés du salut, accablés au tribunal sans que personne les délivre !
5
Ce qu'il a récolté, que l'affamé le dévore, que malgré les épines on s'en empare, et sa fortune, que les assoiffés l'engloutissent !»
6
L'iniquité ne sourd pas de la terre, la misère ne germe pas du sol ;
7
l'homme, lui, est né pour la misère, comme les aigles sont faits pour s'envoler.
8
Quant à moi, j'aurai recours à Dieu ; à Dieu, j'exposerai ma cause.
9
Il est l'auteur de grandes œuvres, insondables, d'innombrables merveilles.
10
Il répand la pluie à la surface de la terre, il arrose les campagnes ;
11
il élève les humbles, les affligés parviennent au salut ;
12
il déjoue les astuces des fourbes, empêchés de mener à bien leurs intrigues ;
13
il attrape les sages à leur astuce, il prend de vitesse le conseil des retors.
14
Ceux-là, en plein jour, se heurtent aux ténèbres, à midi ils tâtonnent comme en pleine nuit.
15
Le Seigneur sauve le pauvre du glaive, de leur bouche et de leur main puissante.
16
Alors le faible renaît à l'espoir et l'injustice se trouve muselée.
17
Oui, heureux l'homme que Dieu corrige ! Ne va pas dédaigner la leçon du Puissant !
18
Car c'est lui qui blesse et panse la plaie, lui qui meurtrit et dont les mains guérissent.
19
De six angoisses il te préservera ; à la septième, le mal ne t'atteindra pas.
20
Dans la famine, il t'affranchira de la mort, dans le combat, des atteintes du glaive.
21
Du fouet de la langue tu seras à l'abri ; rien à craindre à l'approche du pillage.
22
Désastre, famine, tu t'en riras ; des bêtes de la terre, n'aie pas peur !
23
Tu concluras une alliance avec les pierres des champs, et la bête sauvage sera en paix avec toi.
24
La tente où tu habites, tu la trouveras en paix ; quand tu visiteras ta demeure, rien n'y manquera.
25
Ta postérité, tu la verras nombreuse, tes rejetons, comme la verdure de la terre.
26
Tu entreras dans la tombe mûr comme la gerbe mise en meule en son temps.
27
Voilà ce que nous avons observé : c'est ainsi. Écoute, et fais-en ton profit. »

CHAPITRE 6

6 1 Job prit la parole et dit :
2
« Ah ! Si l'on pouvait peser mon affliction, et sur la balance mettre aussi ma détresse !
3
Mais elles sont plus pesantes que le sable des mers. C'est pourquoi mes paroles s'étranglent.
4
Les flèches du Puissant me transpercent, c'est leur venin que boit mon esprit. Les terreurs de Dieu se rangent contre moi.
5
L'âne sauvage va-t-il braire devant l'herbe tendre, le bœuf meugler auprès de son fourrage ?
6
Un mets fade se mange-t-il sans sel, le blanc de l'œuf a-t-il quelque saveur ?
7
Je me refuse à y toucher ; ce n'est que nourriture écœurante.
8
Ah, si seulement se réalisait ma requête, si Dieu répondait à mon attente,
9
si Dieu consentait à me broyer, s'il étendait sa main et me retranchait !
10
J'aurais du moins la consolation – sursaut de joie dans une torture insoutenable – de n'avoir pas renié les décrets du Dieu Saint.
11
Quelle est ma force pour que j'espère ? Qu'y a-t-il au terme pour que je prolonge ma vie ?
12
Ma force est-elle celle du roc, ma chair est-elle de bronze ?
13
Ne suis-je pas sans appui, et toute ressource ne m'a-t-elle pas quitté ?
14
À l'homme découragé devrait aller la pitié de son prochain, même s'il rejette la crainte du Puissant.
15
Mes frères, eux, ont trahi comme un torrent, comme le lit des torrents passagers :
16
la glace les assombrit, sur eux s'amoncelle la neige ;
17
mais à la saison brûlante, ils tarissent, sous l'ardeur du soleil, sur place, ils s'évaporent.
18
À leur recherche, les caravanes quittent la piste, s'enfoncent dans le désert et périssent.
19
Les caravanes de Téma les cherchent du regard, en eux espèrent les convois de Saba.
20
Mais ils sont déçus dans leur confiance ; arrivés sur les lieux, ils restent confondus.
21
Ainsi êtes-vous pour moi à présent : à ma vue, saisis d'effroi, vous êtes pris de panique.
22
Vous ai-je dit : « Faites-moi un cadeau, et sur votre fortune offrez-moi un présent ;
23
de la main de l'ennemi arrachez-moi, libérez-moi du pouvoir des tyrans» ?
24
Instruisez-moi, alors je me tairai ; montrez-moi en quoi j'ai failli !
25
En quoi peuvent blesser des paroles de droiture ? Que trouvez-vous à critiquer ?
26
Prétendez-vous censurer des mots ? Les paroles d'un désespéré, le vent les emporte.
27
Vous iriez jusqu'à tirer au sort l'orphelin, jusqu'à mettre aux enchères votre ami !
28
Et maintenant, décidez-vous, tournez-vous vers moi ! Vous mentirais-je en face ?
29
Revenez donc ! Pas de perfidie ! Encore une fois, revenez : il y va de ma justice !
30
Y a-t-il de la perfidie sur ma langue ? Mon palais ne sait-il pas discerner l'infortune ?

CHAPITRE 7

7 1 Vraiment, la vie de l'homme sur la terre est une corvée, il fait des journées de manœuvre.
2
Comme l'esclave qui désire un peu d'ombre, comme le manœuvre qui attend sa paye,
3
depuis des mois je n'ai en partage que le néant, je ne compte que des nuits de souffrance.
4
À peine couché, je me dis : « Quand pourrai-je me lever ?» Le soir n'en finit pas : je suis envahi de cauchemars jusqu'à l'aube.
5
Ma chair s'est revêtue de vermine et de croûtes terreuses, ma peau se crevasse et suppure.
6
Mes jours sont plus rapides que la navette du tisserand, ils s'achèvent faute de fil.
7
Souviens-toi, Seigneur : ma vie n'est qu'un souffle, mes yeux ne verront plus le bonheur.
8
Je serai invisible aux yeux qui me voyaient ; tes yeux seront sur moi, mais je ne serai plus.
9
Comme la nuée se dissipe et s'évanouit, celui qui descend au séjour des morts n'en remonte pas ;
10
il ne retourne pas dans sa maison, sa demeure ne le connaît plus.
11
C'est pourquoi je ne peux retenir ma langue, dans mon angoisse je parlerai, dans mon amertume je me plaindrai.
12
Et moi, suis-je la Mer, ou le Dragon, pour que tu postes une garde contre moi ?
13
Je me dis : « Le sommeil me consolera, la nuit apaisera mes plaintes.»
14
Mais alors tu m'effraies par des songes, tu m'épouvantes par des cauchemars.
15
J'en arrive à souhaiter qu'on m'étrangle : la mort plutôt que mes douleurs !
16
Je suis à bout de patience, je ne vivrai pas toujours ; laisse-moi donc : mes jours ne sont qu'un souffle !
17
Qu'est-ce que l'homme, pour que tu en fasses tant de cas ? Tu fixes sur lui ton attention,
18
tu l'inspectes chaque matin, tu le scrutes à tout instant.
19
Ne peux-tu cesser de me regarder, le temps que j'avale ma salive ?
20
Si j'ai péché, en quoi t'ai-je offensé, « toi, le gardien de l'homme ?» Pourquoi me prendre pour cible, pourquoi te serais-je un fardeau ?
21
Ne peux-tu tolérer mes péchés, passer sur mes fautes ? Me voici bientôt étendu dans la poussière ; tu me chercheras, mais je ne serai plus. »

CHAPITRE 8

8 1 Bildad de Shouah prit la parole et dit :
2
« Vas-tu longtemps encore tenir de tels propos, et donner libre cours à ce vent de paroles ?
3
Dieu peut-il fausser le droit, le Puissant, fausser la justice ?
4
Si tes fils pèchent contre lui, il les livre au pouvoir de leur crime.
5
Quant à toi, si tu cherches Dieu, si tu supplies le Puissant,
6
si tu es honnête et droit, alors, il veillera sur toi et rétablira ta demeure dans la justice.
7
Ta condition ancienne sera peu de chose au regard de la nouvelle.
8
Interroge la génération passée, médite sur l'expérience de ses pères.
9
Puisque, nés d'hier, nous ne savons rien et que nos jours passent comme une ombre sur terre,
10
ne vont-ils pas, eux, t'instruire et t'enseigner, et de leur cœur tirer des sentences ?
11
« Le jonc pousse-t-il hors des marais ? Privé d'eau, le roseau peut-il croître ?
12
Encore en sa fleur et sans qu'on l'ait cueilli, avant toute herbe il se dessèche.»
13
Tel est le sort de ceux qui oublient Dieu, ainsi périt l'espoir de l'impie.
14
Son assurance n'est qu'un fil, sa confiance, une toile d'araignée.
15
S'appuie-t-il sur sa maison, elle ne tient pas, s'y cramponne-t-il, elle ne résiste pas.
16
Plein de sève au soleil, il étend ses jeunes pousses par-dessus son jardin,
17
ses racines se nouent dans un amas de pierres, il explore les creux des rochers.
18
Mais si on l'arrache de son lieu, celui-ci le renie : « Je ne t'ai jamais vu !»
19
Et voilà que son destin se corrompt, tandis que du sol quelqu'un d'autre va germer.
20
Vois : Dieu ne rejette pas l'homme intègre, ni ne prête main-forte aux malfaiteurs.
21
De rire encore il emplira ta bouche, et tes lèvres d'ovations.
22
Tes ennemis seront couverts de honte, et les tentes des méchants disparaîtront. »

CHAPITRE 9

9 1 Job prit la parole et dit :
2
« En vérité, je sais bien qu'il en est ainsi : Comment l'homme pourrait-il avoir raison contre Dieu ?
3
Si l'on s'avise de discuter avec lui, on ne trouvera pas à lui répondre une fois sur mille.
4
Il est plein de sagesse et d'une force invincible, on ne lui tient pas tête impunément.
5
C'est lui qui déplace les montagnes à leur insu, qui les renverse dans sa colère ;
6
il secoue la terre sur sa base, et fait vaciller ses colonnes.
7
Il donne un ordre, et le soleil ne se lève pas, et sur les étoiles il appose un sceau.
8
À lui seul il déploie les cieux, il marche sur la crête des vagues.
9
Il fabrique la Grande Ourse, Orion, les Pléiades et les constellations du Sud.
10
Il est l'auteur de grandes œuvres, insondables, d'innombrables merveilles.
11
S'il passe à côté de moi, je ne le vois pas ; s'il me frôle, je ne m'en aperçois pas.
12
S'il s'empare d'une proie, qui donc lui fera lâcher prise, qui donc osera lui demander : « Que fais-tu là ?»
13
Dieu ne retient pas sa colère : sous ses pieds se prosternent les auxiliaires de Rahab.
14
Et moi, je prétendrais lui répliquer ! je chercherais des arguments contre lui !
15
Même si j'ai raison, à quoi bon me défendre ? Je ne puis que demander grâce à mon juge.
16
Même s'il répond quand je fais appel, je ne suis pas sûr qu'il écoute ma voix !
17
Lui qui dans la tempête m'écrase et multiplie sans raison mes blessures,
18
il ne me laisse même pas reprendre haleine, tant il m'abreuve d'amertume.
19
Recourir à la force ? Il est la puissance même. Faire appel au droit ? Mais qui l'assignera ?
20
Même si je suis juste, ma bouche me condamne ; innocent, elle me déclare pervers.
21
Suis-je un homme intègre ? Je ne sais plus moi-même. Vivre me répugne.
22
C'est tout un, je l'ai bien dit : il extermine pareillement l'homme intègre et le criminel.
23
Si un fléau répand soudain la mort, lui se moque de la détresse des innocents.
24
Un pays est-il livré aux mains du criminel, il met un voile sur la face de ses juges. Si ce n'est lui, qui est-ce donc ?
25
Mes jours, plus rapides qu'un coureur, ont fui sans voir le bonheur.
26
Ils ont glissé comme barques de jonc, comme l'aigle qui fond sur sa proie.
27
Si je me dis : « Oublie ta plainte, déride ton visage, montre ta joie»,
28
je redoute tous mes tourments, je sais que tu ne m'acquitteras pas.
29
Si je suis coupable, à quoi bon me fatiguer en vain ?
30
Si je me lave avec de la neige, si je purifie mes mains à la soude,
31
tu me plonges dans la fange, et mes vêtements ont horreur de moi.
32
Car lui n'est pas comme moi un humain pour que je lui réplique et qu'ensemble nous allions en justice.
33
Pas d'arbitre entre nous pour poser la main sur nous deux,
34
pour écarter de moi son bâton, et pour que sa terreur ne m'épouvante plus.
35
Alors je parlerais sans avoir peur de lui. Mais il n'en est rien : je suis face à moi-même.

CHAPITRE 10

10 1 La vie me dégoûte, je veux donner libre cours à ma plainte, d'un cœur amer, je parlerai.
2
Je dirai à Dieu : Ne me condamne pas, fais-moi connaître tes griefs contre moi.
3
Est-ce un bien pour toi d'opprimer, de renier l'œuvre de tes mains et de favoriser les intrigues des méchants ?
4
As-tu des yeux de chair, et ton regard est-il celui des humains ?
5
tes jours sont-ils comme les jours d'un mortel, et tes années, comme celles d'un homme,
6
pour que tu recherches mon crime et que tu enquêtes sur mon péché,
7
bien que tu me saches non coupable et que nul ne puisse délivrer de ta main ?
8
Tes mains m'ont façonné, créé, de toutes pièces, et tu voudrais me détruire !
9
Souviens-toi : tu m'as pétri comme l'argile, et tu me ramènerais à la poussière !
10
Ne m'as-tu pas versé comme le lait, et fait prendre comme le fromage ?
11
De peau et de chair tu m'as vêtu, d'os et de nerfs tu m'as tissé.
12
Tu m'as donné vie et amour, veillant sur mon souffle avec sollicitude.
13
Mais tu as gardé une arrière-pensée, je sais ce que tu trames :
14
si je commets un péché, tu me prends sur le fait et ne me tiens pas quitte de ma faute.
15
Si je suis coupable, malheur à moi ! Si j'ai raison, je n'ose lever la tête, gorgé de honte, abreuvé d'affliction.
16
Si je me relève, tel un lion tu me pourchasses, tu redoubles contre moi tes exploits,
17
tu m'opposes de nouveaux témoins, tu augmentes ta colère envers moi, des troupes contre moi se relayent.
18
Pourquoi donc m'as-tu fait sortir du sein maternel ? J'aurais expiré, nul œil ne m'aurait vu ;
19
je serais comme n'ayant pas été, on m'aurait porté du ventre à la tombe.
20
N'est-ce pas peu de chose que la durée de mes jours ? Retire-toi de moi pour que j'éprouve un peu de joie,
21
avant que je m'en aille sans retour au pays des ténèbres et de l'ombre de mort,
22
pays où le crépuscule est obscurité, ombre de mort et désordre, où la clarté même est obscure. »

CHAPITRE 11

11 1 Sofar de Naama prit la parole et dit :
2
« Un tel flot de paroles restera-t-il sans réponse ? Suffit-il d'être verbeux pour avoir raison ?
3
Tes bavardages feront-ils taire les gens, te moqueras-tu sans que nul te confonde ?
4
Tu as dit : « Mon savoir est irréprochable, je suis pur à tes yeux !»
5
Mais si seulement Dieu voulait parler, si pour toi il desserrait les lèvres,
6
s'il te dévoilait les secrets de la sagesse tellement subtils à entendre, alors tu saurais que Dieu oublie une part de tes fautes.
7
Prétends-tu sonder la profondeur de Dieu, atteindre la perfection du Puissant ?
8
Elle est haute comme les cieux : que feras-tu ? plus abyssale que le séjour des morts : qu'en sauras-tu ?
9
Plus longue que la terre est son étendue, et plus vaste que la mer !
10
S'il vient à passer, s'il emprisonne, s'il convoque en justice, qui l'en détournera ?
11
Car lui connaît les hommes de rien, sans peine il discerne le mal.
12
Un écervelé peut accéder à la raison, un ânon sauvage devenir un homme !
13
Et toi, si tu affermis ton cœur et tends les paumes vers Dieu,
14
si tu écartes le mal dont tu es responsable et n'héberges pas l'injustice sous ta tente,
15
alors tu lèveras un visage sans reproche, tu seras ferme et sans crainte.
16
Ta peine, tu l'oublieras, tu t'en souviendras comme d'une eau déjà écoulée.
17
Plus radieuse que midi ta vie se lèvera, le crépuscule brillera comme le matin.
18
Tu seras confiant car il y aura de l'espoir, et, protégé, tu dormiras tranquille.
19
Ton repos, nul ne le troublera, et beaucoup rechercheront tes faveurs.
20
Quant aux méchants, leurs yeux se consument, tout refuge leur fait défaut. Leur espoir, c'est de rendre l'âme. »

CHAPITRE 12

12 1 Job prit la parole et dit :
2
« Vraiment, c'est vous qui êtes la voix du peuple, et avec vous mourra la sagesse !
3
Moi aussi, comme vous, je sais réfléchir, je ne vous suis nullement inférieur. Et qui ne disposerait d'arguments semblables ?
4
Je suis la risée du prochain, moi qui appelle vers Dieu pour qu'il réponde. Objet de risée, le juste parfait !
5
Au malchanceux, le mépris ! pense l'homme heureux. Un coup de plus à ceux dont le pied chancelle !
6
Elles sont en paix, les tentes des pillards ; ils sont tranquilles, ceux qui provoquent Dieu et celui qui veut mettre Dieu en son pouvoir.
7
Mais interroge donc le bétail, il t'instruira, l'oiseau du ciel, il te renseignera ;
8
parle avec la terre, elle t'apprendra ; ils te raconteront, les poissons de la mer.
9
Qui ne sait, parmi tous ces êtres, que la main du Seigneur a fait cela,
10
lui qui tient dans sa main l'âme de tout vivant et le souffle de toute créature humaine ?
11
N'est-ce pas l'oreille qui apprécie les mots, le palais qui goûte les mets ?
12
N'est-ce pas chez les vieillards que se trouve la sagesse, dans le grand âge le discernement ?
13
En Dieu sagesse et puissance, à lui conseil et intelligence.
14
S'il détruit, nul ne peut rebâtir ; s'il enferme un homme, nul n'ouvrira.
15
S'il retient les eaux, c'est la sécheresse ; s'il les relâche, elles bouleversent la terre.
16
En lui force et prudence, à lui l'homme égaré et celui qui égare.
17
Il fait marcher nu-pieds les conseillers et frappe les juges de folie.
18
Il enlève le baudrier des rois et leur passe une corde aux reins.
19
Il fait marcher nu-pieds les prêtres et renverse les puissants.
20
Il ôte le langage aux hommes les plus sûrs, retire aux vieillards la sagacité.
21
Il déverse le mépris sur les notables, dénoue le ceinturon des forts.
22
Il met à découvert les profondeurs des ténèbres, fait sortir à la lumière l'ombre de mort.
23
Il agrandit les nations, et les fait périr, laisse les peuples s'étendre, et les déporte.
24
Il ôte l'intelligence aux chefs de la populace, les égare dans un chaos sans chemin ;
25
là ils tâtonnent dans les ténèbres, sans lumière, égarés comme des ivrognes.

CHAPITRE 13

13 1 Oui, tout cela, mon œil l'a vu, mon oreille l'a entendu et compris.
2
Ce que vous savez, je le sais, moi aussi, je ne vous suis nullement inférieur.
3
Mais moi, c'est au Puissant que je veux parler, c'est contre Dieu que je veux récriminer.
4
Vous, vous n'êtes que badigeonneurs de mensonge, guérisseurs de néant !
5
Ah ! Si seulement vous gardiez une bonne fois le silence, il vous tiendrait lieu de sagesse !
6
Écoutez donc ma récrimination, au plaidoyer de mes lèvres, prêtez l'oreille.
7
Est-ce pour Dieu que vous dites des paroles injustes, pour lui que vous débitez des faussetés ?
8
Prenez-vous donc son parti ? Est-ce pour Dieu que vous plaidez ?
9
Serait-il bon qu'il enquête sur vous ? Se moque-t-on de lui comme on se joue d'un homme ?
10
Il vous reprocherait sûrement d'avoir pris parti en secret !
11
Sa grandeur ne vous effraie donc pas ? Est-ce que sa terreur ne fond pas sur vous ?
12
Vos références : des maximes de cendre ! Vos défenses : des défenses d'argile !
13
Taisez-vous devant moi ! C'est moi qui vais parler, et m'advienne que pourra !
14
J'emporte ma chair entre mes dents, je mets ma vie en jeu.
15
S'il doit me tuer, je n'ai plus d'espoir : je veux seulement, face à lui, justifier ma conduite.
16
Et cela même sera mon salut, car nul impie ne viendrait en sa présence.
17
Écoutez, écoutez ma parole, prêtez l'oreille à mon explication.
18
Voici : j'ai intenté un procès ; c'est moi qui ai raison, je le sais.
19
Y aurait-il quelqu'un pour plaider contre moi ? À l'instant, je n'aurais qu'à me taire et à expirer !
20
Épargne-moi seulement deux choses, alors je ne me cacherai pas devant ta face :
21
éloigne ta main qui pèse sur moi, et que ta terreur ne m'épouvante plus.
22
Puis appelle, et moi je répondrai ; ou bien je parlerai, et tu me répliqueras.
23
Combien ai-je commis de fautes et de péchés ? Ma transgression et mon péché, fais-les moi connaître.
24
Pourquoi caches-tu ta face et me considères-tu comme un ennemi ?
25
Veux-tu faire trembler une feuille qui s'envole, et poursuivre une paille sèche,
26
pour que tu rédiges contre moi d'amères sentences, que tu m'imputes des fautes de jeunesse,
27
que tu fixes mes pieds dans des blocs de bois, que tu observes toutes mes démarches et relèves l'empreinte de mes pas ?
28
Et tout cela contre un être qui se désagrège comme bois vermoulu, comme vêtement dévoré par la teigne !

CHAPITRE 14

14 1 L'homme, né de la femme, vit peu de jours, rassasié de tourments ;
2
comme fleur, il germe et se fane ; tel une ombre, il fuit sans s'arrêter.
3
Et toi, Dieu, c'est sur lui que tu fixes ton regard, c'est moi que tu obliges à comparaître avec toi !
4
Qui tirera le pur de l'impur ? Personne !
5
Puisque ses jours sont décrétés, que tu as décidé du nombre de ses mois, et fixé sa limite, infranchissable,
6
détourne de lui ton regard, et laisse-le, jusqu'à ce que, tel un salarié, il s'acquitte de sa journée !
7
Car il y a pour l'arbre un espoir : une fois coupé, il peut verdir encore et les jeunes pousses ne lui feront pas défaut.
8
Quand bien même sa racine aurait vieilli en terre, et que la souche serait morte dans le sol,
9
dès qu'il flaire l'eau, il bourgeonne et se fait une ramure comme un jeune plant.
10
L'homme qui meurt reste inerte ; quand un humain expire, où donc est-il ?
11
Les eaux pourront quitter la mer, les fleuves, tarir et se dessécher :
12
mais l'homme, une fois couché, ne se relèvera plus. Les cieux disparaîtront avant qu'il ne s'éveille, qu'il ne sorte de son sommeil.
13
Ah ! Si seulement tu me cachais au séjour des morts et me dissimulais jusqu'à ce que reflue ta colère ! Tu me fixerais un terme où tu te souviendrais de moi.
14
– Mais l'homme qui meurt va-t-il revivre ? Tous les jours de mon service, j'attendrais, jusqu'à ce que vienne ma relève.
15
Tu m'appellerais et je te répondrais, tu languirais après l'œuvre de tes mains.
16
Alors que maintenant tu dénombres mes pas, tu n'épierais plus mon péché ;
17
scellée dans un coffret serait ma transgression, et tu blanchirais ma faute.
18
Mais la montagne tombe et s'écroule, le rocher bouge de sa place,
19
l'eau creuse les pierres, l'averse emporte la poussière du sol : ainsi, l'espoir de l'homme, tu l'anéantis.
20
Tu terrasses l'homme pour toujours et il s'en va ; tu le défigures, puis tu le renvoies.
21
Ses fils sont-ils honorés, il n'en sait rien ; sont-ils méprisés, il l'ignore.
22
Sa chair ne ressent que ses propres souffrances, son âme ne gémit que sur lui-même. »

CHAPITRE 15


Job (LIT) 1