1994-2001 Lettres du Jeudi Saint 1995

À L'OCCASION DU JEUDI SAINT 1995

1995
1. "Honneur à Marie, honneur et gloire, honneur à la Sainte Vierge! [...] Celui qui créa le monde merveilleux honorait en elle sa Mère [...]. Il l'aimait comme une Mère, il a vécu dans l'obéissance. Bien qu'il fût Dieu, il respectait chacune de ses paroles".

Chers Frères dans le sacerdoce,

Ne vous étonnez pas si je commence cette lettre, que je vous adresse traditionnellement le Jeudi saint, par les paroles d'un chant marial polonais. Je le fais parce que cette année je désire vous parler de l'importance de la femme dans la vie du prêtre, et ces vers, que je chantais dans mon enfance, peuvent constituer une introduction significative à ce sujet.

Ce chant évoque l'amour du Christ pour sa Mère. Le rapport premier et fondamental que l'être humain établit avec la femme est justement celui du fils à sa mère. Chacun de nous peut exprimer son amour envers sa mère terrestre comme le Fils de Dieu l'a fait et le fait avec la sienne. La mère, c'est la femme à qui nous devons la vie. Elle nous a conçus en son sein, elle nous a donné le jour dans les souffrances qui accompagnent l'expérience de toute femme qui enfante. La génération établit un lien tout particulier, quasi sacré, entre l'être humain et sa mère.

Après nous avoir engendrés à la vie terrestre, ce sont encore nos parents qui nous ont fait devenir dans le Christ, grâce au Sacrement du Baptême, les fils adoptifs de Dieu. Tout cela a rendu encore plus profond le lien existant entre nos parents et nous, en particulier entre notre mère et nous. Là encore, le modèle c'est le Christ lui-même, le Christ-Prêtre, qui s'adresse ainsi au Père éternel: "Tu n'as voulu ni sacrifice ni oblation; mais tu m'as façonné un corps. Tu n'as agréé ni holocaustes ni sacrifices pour les péchés. Alors j'ai dit: Voici, je viens... pour faire, ô Dieu, ta volonté" (
He 10,5-7). Ces paroles impliquent en quelque manière aussi la Mère, le Père éternel ayant formé le corps du Christ par l'Esprit Saint, dans le sein de la Vierge Marie, grâce aussi à son consentement: "Qu'il m'advienne selon ta parole!" (Lc 1,38).

Combien parmi nous doivent également à leur mère leur vocation au sacerdoce! L'expérience enseigne que très souvent c'est la mère qui nourrit dans son coeur durant de longues années le désir de la vocation sacerdotale de son fils et l'obtient en priant avec une confiance insistante et une profonde humilité. Ainsi, sans imposer sa volonté, elle favorise, avec l'efficacité caractéristique de la foi, l'épanouissement de l'aspiration au sacerdoce dans l'âme de son fils, aspiration qui portera son fruit au moment opportun.

2. Je désire réfléchir dans cette Lettre sur le rapport entre le prêtre et la femme, en partant du fait que le thème de la femme retient spécialement l'attention cette année, comme le thème de la famille l'a fait d'une manière analogue l'an passé. En effet, l'importante Conférence internationale convoquée par l'Organisation des Nations Unies à Pékin, en septembre prochain, sera consacrée à la femme. C'est un thème nouveau par rapport à celui de l'an passé, mais qui lui est étroitement lié.

À la présente Lettre, chers Frères dans le sacerdoce, je désire joindre un autre document. De même que, l'année dernière, le Message du Jeudi saint était accompagné de la Lettre aux Familles, cette fois je voudrais vous remettre à nouveau la Lettre apostolique Mulieris dignitatem du 15 août 1988. Comme vous vous en souvenez, il s'agit d'un texte élaboré au terme de l'Année mariale 1987-1988, durant laquelle j'avais publié l'Encyclique Redemptoris Mater (25 mars 1987). C'est mon désir le plus vif que, dans le courant de cette année, on relise Mulieris dignitatem, pour en faire le sujet d'une méditation spéciale et pour considérer en particulier ses aspects mariaux.

Le lien avec la Mère de Dieu est fondamental pour la "pensée" chrétienne. C'est vrai avant tout sur le plan théologique, en raison du rapport unique de Marie avec le Verbe incarné et l'Église, son Corps mystique. C'est vrai également sur le plan historique, anthropologique et culturel. Dans le christianisme, la figure de la Mère de Dieu représente en effet une grande source d'inspiration non seulement pour la vie spirituelle, mais aussi pour la culture chrétienne et même pour l'amour de la patrie, comme en témoigne le patrimoine historique de beaucoup de nations. En Pologne, par exemple, le monument littéraire le plus ancien est le chant Bogurodzica (Mère de Dieu), qui a inspiré nos ancêtres non seulement dans le façonnement de la vie de la nation, mais jusque dans la défense de la juste cause sur le champ de bataille. La Mère du Fils de Dieu est devenue la "grande inspiration" d'individus et de nations chrétiennes entières. Et cela aussi, à sa manière, en dit long sur l'importance de la femme dans la vie de l'homme, et, à un titre spécial, dans l'existence du prêtre.

J'ai déjà eu l'occasion d'en parler dans l'Encyclique Redemptoris Mater et dans la Lettre apostolique Mulieris dignitatem, en rendant hommage à ces femmes - mères, épouses, filles ou soeurs - qui ont eu une influence forte et positive sur leurs enfants, leurs maris, leurs parents ou leurs frères. Ce n'est pas sans raison qu'on parle du "génie féminin", et ce que j'ai écrit jusqu'ici confirme le bien fondé de cette expression. Toutefois, comme il s'agit de la vie sacerdotale, la présence de la femme revêt un caractère particulier et requiert une analyse spécifique.

3. Mais revenons au Jeudi saint, en ce jour où prennent un relief particulier les paroles de l'hymne liturgique:

Ave verum Corpus natum de Maria Virgine: Vere passum, immolatum in cruce pro homine. Cuius latus perforatum fluxit aqua et sanguine: Esto nobis praegustatum mortis in examine. O Iesu dulcis! O Iesu pie! O Iesu, fili Mariae!".

Bien que ces paroles n'appartiennent pas à la liturgie du Jeudi saint, elles y sont profondément liées.

La dernière Cène, au cours de laquelle le Christ a institué les sacrements du Sacrifice et du Sacerdoce de la Nouvelle Alliance, marque le début du Triduum pascal. En son centre, il y a le Corps du Christ et c'est ce même Corps qui, avant d'être soumis à la passion et à la mort, est offert comme aliment dans l'institution eucharistique à la dernière Cène. Le Christ prend le pain dans ses mains, le rompt et le distribue aux Apôtres, en prononçant les paroles: "Prenez, mangez, ceci est mon Corps" (Mt 26,26). Il institue ainsi le sacrement de son Corps, de ce Corps que, comme Fils de Dieu, il avait pris de sa Mère, la Vierge immaculée. Dans le calice, il présente ensuite aux Apôtres son propre sang sous l'espèce du vin, en disant: "Buvez-en tous; car ceci est mon Sang, le Sang de l'alliance, qui va être répandu pour une multitude en rémission des péchés" (Mt 26,27-28). Ici encore il s'agit du Sang qui animait le Corps reçu de la Vierge Mère: Sang qui devait être répandu, dans l'accomplissement du mystère de la Rédemption, afin que le Corps reçu de sa Mère puisse - comme Corpus immolatum in cruce pro homine - devenir pour nous et pour tous sacrement de vie éternelle, viatique pour l'éternité. C'est pourquoi dans l'Ave verum, hymne à la fois eucharistique et marial, nous demandons: Esto nobis praegustatum mortis in examine.

Même si la liturgie du Jeudi saint ne parle pas de Marie - par contre, nous la trouvons le Vendredi Saint au pied de la croix avec l'Apôtre Jean - il est difficile de ne pas y discerner sa présence dans l'institution de l'Eucharistie, anticipation de la passion et de la mort du Corps du Christ, de ce Corps que le Fils de Dieu avait reçu de la Vierge Mère, au moment de l'Annonciation.

Pour nous, prêtres, la dernière Cène est un moment particulièrement saint. Le Christ, qui dit à ses Apôtres: "Faites ceci en mémoire de moi" (1Co 11,24), institue le sacrement de l'Ordre. Dans notre vie de prêtres, c'est un moment nettement christocentrique: nous y recevons le sacerdoce du Christ-Prêtre, l'unique sacerdoce de la Nouvelle Alliance. Mais si nous réflé chissons au sacrifice du Corps et du Sang, que nous offrons in persona Christi, il est difficile de ne pas y reconnaître la présence de la Mère de Dieu. Marie a donné la vie au Fils de Dieu, comme l'ont fait nos mères pour nous, afin qu'Il puisse s'offrir en sacrifice, et nous-mêmes avec lui, par le ministère sacerdotal. Dans cette mission, il y a la vocation reçue de Dieu, mais il s'y cache aussi le grand amour de nos mères, de même que dans le sacrifice du Christ au Cénacle se cachait l'amour ineffable de sa Mère. Qu'elle est réellement présente et discrète à la fois la maternité et, par elle, la féminité dans le sacrement de l'Ordre, dont nous renouvelons la fête chaque année, le Jeudi saint!

4. Le Christ Jésus est le fils unique de Marie très sainte. Nous comprenons bien la signification de ce mystère: il convenait qu'il en fût ainsi, puisqu'un Fils si unique par sa divinité ne pouvait être que l'unique fils de sa Mère Vierge. Mais ce caractère unique se présente, en quelque sorte, comme la meilleure "garantie" d'une "multiplicité" spirituelle. Le Christ, vrai homme et en même temps Fils éternel et unique du Père céleste, compte, sur le plan spirituel, un nombre infini de frères et de soeurs. Car la famille de Dieu comprend tous les hommes: non seulement ceux qui deviennent fils adoptifs de Dieu par le baptême, mais en un sens l'humanité entière, puisque le Christ a racheté tous les hommes et toutes les femmes, en leur offrant la possibilité de devenir fils et filles adoptifs du Père éternel. Tous deviennent dans le Christ des frères et des soeurs.

Et voici que paraît dans le cours de notre réflexion sur le rapport entre le prêtre et la femme, à côté de la figure de la mère, celle de la soeur. Par la Rédemption, le prêtre participe d'une façon particulière à la relation de fraternité offerte par le Christ à tous les rachetés.

Beaucoup d'entre nous qui sommes prêtres avons des soeurs dans notre famille. En tout cas, chaque prêtre depuis son enfance a eu l'occasion de rencontrer des filles, sinon dans sa propre famille, au moins dans son voisinage, dans les jeux d'enfance ou à l'école. Une forme de communauté mixte présente une importance considérable pour la formation de la personnalité des jeunes gens et des jeunes filles.

Nous touchons là au dessein originel du Créateur, qui au début a créé l'être humain "homme et femme" (cf. Gn 1,27). Cet acte créateur de Dieu se poursuit à travers les générations. Le Livre de la Genèse en parle dans le contexte de la vocation au mariage: "C'est pourquoi l'homme quitte son père et sa mère et s'attache à sa femme" (Gn 2,24). La vocation au mariage suppose et exige manifestement que l'environnement dans lequel on se trouve soit composé d'hommes et de femmes.

C'est dans ce contexte que voient le jour non seulement les vocations au mariage, mais aussi les vocations au sacerdoce et à la vie consacrée. Ces dernières ne naissent pas dans l'isolement. Tout candidat au sacerdoce, lorsqu'il franchit le seuil du séminaire, arrive enrichi de l'expérience de sa famille et de son école, où il a eu l'occasion de rencontrer beaucoup de jeunes gens et de jeunes filles de son âge. Pour vivre dans le célibat d'une façon mûrie et sereine, il semble qu'il soit particulièrement important que le prêtre cultive profondément en lui l'image de la femme comme soeur. Dans le Christ, hommes et femmes sont frères et soeurs, indépendamment de leurs liens de parenté. Il s'agit d'un lien universel, grâce auquel le prêtre peut s'ouvrir à tout milieu nouveau, même le plus éloigné du point de vue ethnique ou culturel, dans la conscience qu'il doit exercer à l'égard des hommes et des femmes vers lesquels il est envoyé un ministère de paternité spirituelle authentique qui lui donne des "fils" et des "filles" dans le Seigneur (cf. 1Th 2,11; Ga 4,19).

5. Il ne fait pas de doute que "la soeur" représente une manifestation spécifique de la beauté spirituelle de la femme, mais elle révèle, en même temps, son "intangibilité". Si le prêtre, avec l'aide de la grâce divine et sous la protection spéciale de Marie Vierge et Mère, approfondit en ce sens son attitude envers la femme, il verra son ministère accompagné d'un sentiment de grande confiance précisément de la part des femmes, qu'il aura regardées, dans leurs diverses conditions de vie, comme des soeurs et comme des mères.

La figure de la femme-soeur est d'une importance considérable dans notre civilisation chrétienne, où d'innombrables femmes sont devenues des soeurs pour tous, grâce à l'attitude particulière qu'elles ont adoptée à l'égard du prochain, surtout du plus démuni. Une "soeur" est une garantie de désintéressement, à l'école, à l'hôpital, à la prison et dans d'autres secteurs des services sociaux. Quand une femme reste célibataire, dans le "don qu'elle fait d'elle-même comme soeur" par l'engagement apostolique et le généreux don de soi au prochain, elle développe en elle une maternité spirituelle particulière. Ce don désintéressé d'une féminité "fraternelle" baigne de lumière l'existence humaine, fait naître les meilleurs des sentiments dont l'homme soit capable et laisse toujours après elle une trace de reconnaissance pour le bien gratuitement offert.

Ainsi donc, la condition de mère et celle de soeur sont les deux dimensions fondamentales du rapport entre la femme et le prêtre. Si ce rapport est établi de manière sereine et responsable, la femme n'éprouvera aucune difficulté particulière dans ses relations avec le prêtre. Elle n'en trouvera pas, par exemple, pour confesser ses fautes dans le sacrement de pénitence. Elle en rencontrera encore moins quand elle entreprendra des activités apostoliques d'ordres divers avec les prêtres. Tout prêtre a donc la grande responsabilité de développer en lui-même une authentique attitude de frère à l'égard de la femme, une attitude qui n'admette pas d'ambiguïté. Dans cette perspective, l'Apôtre Paul recommande à son disciple Timothée de traiter "les femmes âgées comme des mères et les jeunes comme des soeurs, en toute pureté" (1Tm 5,2).

Quand le Christ affirma - comme l'écrit l'évangéliste Matthieu - que l'homme peut rester célibataire pour le Royaume de Dieu, les Apôtres demeurèrent perplexes (cf. 19,10-12). Peu avant, il avait déclaré que le mariage était indissoluble et cette vérité avait déjà provoqué chez eux une réaction symptomatique: "Si telle est la condition de l'homme envers la femme, il vaut mieux ne pas se marier" (Mt 19,10). Comme on le voit, leur réaction s'opposait à la logique de fidélité dont s'inspirait Jésus. Mais le Maître profite aussi de cette incompréhension pour introduire, dans l'horizon étroit de leur pensée, la perspective du célibat pour le Royaume de Dieu. Par là, il entend affirmer que le mariage possède une dignité et une sainteté sacramentelle propres, et que toutefois il existe une autre voie pour le chrétien, une voie qui ne consiste pas à fuir le mariage, mais à choisir consciemment le célibat pour le Royaume des cieux.

Dans ces conditions, la femme ne peut être pour le prêtre qu'une soeur, et sa dignité de soeur doit être envisagée par lui de manière consciente. L'Apôtre Paul, qui vivait dans le célibat, s'exprime ainsi dans la Première Lettre aux Corinthiens: "Je voudrais que tous les hommes fussent comme moi; mais chacun reçoit de Dieu son don particulier, celui-ci d'une manière, celui-là d'une autre" (7,7). Pour lui, ceci ne fait pas de doute: le mariage comme le célibat sont des dons de Dieu, à garder et à honorer soigneusement. Lorsqu'il souligne la supériorité de la virginité, il ne sous-estime nullement le mariage. À l'un et à l'autre correspond un charisme particulier; chacun d'eux est une vocation que l'homme, avec l'aide de la grâce de Dieu, doit savoir discerner dans son existence.

La vocation au célibat doit être délibérément défendue, chacun veillant particulièrement à ses sentiments et à sa conduite personnelle. Le prêtre doit notamment défendre sa vocation, lui qui, selon la discipline en vigueur dans l'Église d'Occident et la discipline si estimée dans l'Église d'Orient, a opté pour le célibat en vue du Royaume de Dieu. Quand un rapport avec une femme met en danger le don et le choix du célibat, le prêtre ne saurait se dispenser de lutter pour se garder fidèle à sa vocation. Cette défense ne signifie pas que le mariage serait en lui-même un mal, mais que, pour le prêtre, la route est différente. Dans son cas, abandonner cette route, ce serait manquer à la parole donnée à Dieu.

La prière du Seigneur "ne nous laisse pas succomber à la tentation, mais délivre-nous du mal" revêt un sens particulier dans le contexte de la civilisation contemporaine, remplie d'hédonisme, d'égocentrisme et de sensualité. On assiste à une diffusion de la pornographie, qui humilie la femme dans sa dignité en la traitant comme un simple objet de jouissance sexuelle. Ces aspects de la civilisation actuelle ne favorisent certainement ni la fidélité conjugale ni le célibat pour le Royaume de Dieu. Si le prêtre n'entretient pas en lui des dispositions authentiques de foi, d'espérance et d'amour pour Dieu, il peut facilement céder aux séductions du monde. Comment donc, en ce jour du Jeudi saint, pourrais-je ne pas m'adresser à vous, mes chers Frères dans le sacerdoce, pour vous exhorter à rester fidèles au don du célibat, qui nous a été offert par le Christ? Il est porteur d'un bien spirituel qui appartient à chacun et à l'Église tout entière.

Dans la pensée et la prière sont aujourd'hui présents de manière particulière nos frères dans le sacerdoce qui rencontrent des difficultés dans ce domaine, ceux qui ont abandonné le ministère sacerdotal à cause d'une femme. Nous confions à Marie Très Sainte, Mère des prêtres, et à l'intercession des innombrables saints prêtres de l'histoire de l'Église le moment difficile qu'ils sont en train de traverser, en demandant pour eux la grâce de revenir à leur ferveur première (cf. Ap 2,4-5). L'expérience de mon ministère, et je crois que cela vaut pour tout Évêque, confirme que de tels retours se produisent et qu'aujourd'hui aussi ils ne sont pas rares. Dieu reste fidèle à l'alliance qu'il noue avec l'homme dans le sacrement de l'ordre.

6. A ce propos, je voudrais aborder le sujet, plus vaste encore, du rôle que la femme est appelée à remplir pour bâtir l'Église. Le Concile Vatican II a bien saisi l'esprit de l'Évangile dans les chapitres II et III de la constitution Lumen gentium, lorsqu'il présente l'Église d'abord comme Peuple de Dieu et ensuite seulement comme structure hiérarchique. Elle est d'abord Peuple de Dieu, puisque ceux qui la composent, hommes et femmes, participent - chacun à la manière qui lui est propre - à la mission prophétique, sacerdotale et royale du Christ. En invitant à relire les textes conciliaires évoqués, je me limiterai ici à quelques brèves réflexions à partir de l'Évangile.

Au moment de monter au ciel, le Christ donne cet ordre aux Apôtres: "Allez dans le monde entier, proclamez l'Évangile à toute créature" (Mc 16,15). Proclamer l'Évangile, c'est remplir la mission prophétique qui prend dans l'Église des formes diverses selon le charisme donné à chacun (cf. Ep 4,11-13). Dans ces conditions, lorsqu'il s'agit des Apôtres et de leur mission particulière, c'est à des hommes que cette tâche est confiée; mais, si nous lisons attentivement les récits évangéliques et surtout celui de saint Jean, nous sommes frappés par le fait que la mission prophétique, considérée dans toute sa diversité et toute son ampleur, est partagée entre des hommes et des femmes. Qu'il suffise de rappeler, par exemple, la Samaritaine et son dialogue avec le Christ près du puits de Jacob à Sychar (cf. Jn 4,1-42): c'est à elle, samaritaine et, qui plus est, pécheresse, que Jésus révèle la réalité profonde du vrai culte rendu à Dieu pour lequel le lieu importe moins que l'attitude d'adoration "en esprit et en vérité".

Et que dire des soeurs de Lazare, Marie et Marthe? Les Synoptiques font remarquer, à propos de Marie la "contemplative", la primauté reconnue par le Christ à la contemplation sur l'action (cf. Lc 10,42). Plus important encore, ce qu'écrit saint Jean à l'occasion de la résurrection de Lazare, leur frère. Dans ce cas, c'est à Marthe, la plus "active" des deux, que Jésus révèle le mystère de sa mission: "Je suis la Résurrection et la Vie; qui croit en moi, même s'il meurt, vivra; et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais" (Jn 11,25-26). Le mystère pascal est contenu dans ces paroles adressées à une femme.

Mais avançons dans la narration évangélique et entrons dans le récit de la Passion. N'est-il pas incontestable que ce sont les femmes qui furent les plus proches du Christ sur le chemin de la croix et à l'heure de la mort? Un homme, Simon de Cyrène, est contraint à porter la croix (cf. Mt 27,32), mais c'est spontanément que de nombreuses femmes de Jérusalem lui témoignent de la compassion au long de la "via crucis" (cf. Lc 23,27). La figure de Véronique, sans être biblique, exprime bien les sentiments des femmes de Jérusalem sur la via dolorosa.

Au pied de la croix, il n'y a qu'un Apôtre, Jean, fils de Zébédée, alors qu'il y a plusieurs femmes (cf. Mt 27,55-56); la Mère du Christ qui, d'après la tradition, l'avait accompagné sur le chemin du Calvaire; Salomé, la mère des fils de Zébédée, Jacques et Jean; Marie, mère de Jacques le Mineur et de Joseph, et Marie de Magdala. Elles furent toutes d'intrépides témoins de l'agonie de Jésus, toutes présentes au moment de l'onction et de la déposition de son corps dans le tombeau. Après l'ensevelissement, tandis que le jour de la veille du sabbat touchait à son terme, elles partent, mais avec l'intention de revenir, dès qu'elles en auront la possibilité. Et elles seront les premières à se rendre au tombeau, de bon matin, le lendemain de la fête. Ce seront elles les premiers témoins du tombeau vide, et c'est encore elles qui iront en informer les Apôtres (Jn 20,1-2). Marie-Madeleine, qui pleurait près du tombeau, est la première à rencontrer le Ressuscité, qui l'envoie aux Apôtres; elle est la première à annoncer sa résurrection (Jn 20,11-18). C'est donc à bon droit que la tradition orientale place Madeleine presque au rang des Apôtres, puisqu'elle fut la première à annoncer la vérité de la résurrection, avant d'être suivie par les Apôtres et par les disciples du Christ.

Ainsi, les femmes elles aussi ont part, avec les hommes, à la mission prophétique du Christ. Et l'on peut dire la même chose de leur participation à sa mission sacerdotale et royale. Le sacerdoce universel des fidèles et la dignité royale sont donnés aux hommes et aux femmes. Sur ce point, il est particulièrement éclairant de lire attentivement certains passages de la Première Lettre de saint Pierre (1P 2,9-10) et de la constitution conciliaire Lumen gentium (nn. LG 10-12 LG 34-36).

7. Dans cette dernière, le chapitre sur le Peuple de Dieu est suivi par le chapitre sur la structure hiérarchique de l'Église. On y parle du sacerdoce ministériel auquel, par la volonté du Christ, ne sont admis que des hommes. Aujourd'hui, dans certains milieux, le fait que la femme ne puisse être ordonnée prêtre est interprété comme une forme de discrimination. Mais en est-il vraiment ainsi?

Sans doute la question pourrait-elle être posée en ces termes si le sacerdoce hiérarchique donnait une position sociale privilégiée, caractérisée par l'exercice du "pouvoir". Mais ce n'est pas le cas: le sacerdoce ministériel, dans le dessein du Christ, n'est pas l'expression d'une domination, mais celle d'un service. En l'interprétant comme une "domination", on s'éloignerait certainement de l'intention du Christ qui, au Cénacle, commença à la dernière Cène par laver les pieds des Apôtres. De cette manière, il mit fortement en relief le caractère "ministériel" du sacerdoce institué ce soir-là. "Le Fils de l'homme, en effet, n'est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude" (Mc 10,45).

Oui, le sacerdoce dont nous faisons mémoire aujourd'hui, chers Frères, avec une si grande vénération et en le regardant comme notre héritage propre est un sacerdoce ministériel! Nous servons le Peuple de Dieu! Nous servons sa mission! Ce sacerdoce qui est le nôtre doit garantir la participation de tous - hommes et femmes - à la triple mission prophétique, sacerdotale et royale du Christ. Et le sacrement de l'ordre n'est pas le seul à être ministériel: ce qui est ministériel, c'est avant tout l'Eucharistie elle-même. Lorsqu'il affirme "Ceci est mon Corps livré pour vous (...). Cette coupe est la nouvelle alliance en mon Sang, versé pour vous" (Lc 22,19 Lc 20), le Christ révèle son service le plus grand, le service de la Rédemption, par lequel le Fils unique et éternel de Dieu devient Serviteur de l'homme au sens le plus plein et le plus profond.

8. Auprès du Christ-Serviteur, nous ne pouvons oublier Celle qui est "la Servante", Marie. Saint Luc nous apprend qu'au moment déterminant que fut l'Annonciation, la Vierge prononça son fiat en disant: "Me voici, je suis la servante du Seigneur" (Lc 1,38). Le rapport du prêtre à la femme comme mère et comme soeur s'enrichit, grâce à la tradition mariale, d'une autre dimension, celle du service à l'imitation de Marie servante. Si, par sa nature, le sacerdoce est ministériel, il faut le vivre en union avec la Mère, qui est la servante du Seigneur. Alors, notre sacerdoce sera gardé dans ses mains, plus encore dans son coeur, et nous pourrons l'ouvrir à tous. Il sera ainsi fécond et salvifique, dans toute sa dimension.

Veuille la Vierge Sainte nous regarder tous avec une affection particulière, nous ses fils de prédilection, en cette fête annuelle de notre sacerdoce. Qu'elle mette surtout en nos coeurs une vive aspiration à la sainteté! J'écrivais dans l'exhortation apostolique Pastores dabo vobis: "La nouvelle évangélisation a besoin de nouveaux évangélisateurs, de prêtres qui s'engagent à vivre leur sacerdoce comme un chemin de sainteté" (n. 82). Le Jeudi saint, en nous ramenant aux origines de notre sacerdoce, nous rappelle aussi le devoir de tendre à la sainteté, afin d'être des "ministres de sainteté" pour les hommes et pour les femmes confiés à notre service pastoral. À cette lumière, il paraît particulièrement opportun d'acquiescer à la proposition faite par la Congrégation pour le Clergé de célébrer dans chaque diocèse une "Journée pour la sanctification des Prêtres", à l'occasion de la fête du Sacré Coeur, ou à une autre date qui réponde davantage aux exigences et aux habitudes pastorales du lieu. Je fais mienne cette proposition, en souhaitant que cette Journée aide les prêtres à vivre dans une conformité toujours plus grande au coeur du "Bon Pasteur".

Invoquant sur vous tous la protection de Marie, Mère de l'Église, Mère des prêtres, je vous bénis avec affection.

Du Vatican, le 25 mars 1995, solennité de l'Annonciation du Seigneur.




LETTRE AUX PRÊTRES


À L'OCCASION DU JEUDI SAINT 1996

1996
Chers Frères dans le sacerdoce,

«Frères, considérons notre vocation» (cf.
1Co 1,26). Le sacerdoce est une vocation, une vocation particulière: «Nul ne s'arroge à soi- même cet honneur, on y est appelé par Dieu» (He 5,4). La Lettre aux Hébreux fait référence au sacerdoce de l'Ancien Testament, pour introduire à la compréhension du mystère du Christ Prêtre: «Ce n'est pas le Christ qui s'est attribué à lui- même la gloire de devenir grand prêtre, mais il l'a reçue de celui qui lui a dit: [...] Tu es prêtre pour l'éternité, selon l'ordre de Melchisédech» (5,5-6).

La vocation unique du Christ Prêtre

1. Le Christ, Fils consubstantiel au Père, est constitué prêtre de la Nouvelle Alliance selon l'ordre de Melchisédech: lui aussi, donc, a été appelé au sacerdoce. C'est le Père qui «appelle» son Fils, engendré de Lui par un acte d'éternel amour, pour qu'«il entre dans le monde» (cf. He 10,5) et se fasse homme. Il veut que son Fils unique, en s'incarnant, devienne «prêtre pour toujours»: l'unique prêtre de la nouvelle et éternelle Alliance. Dans la vocation du Fils au sacerdoce s'exprime la profondeur du mystère trinitaire. Seul en effet, le Fils, Verbe du Père, dans lequel et par lequel tout a été créé, peut offrir continuellement la création en sacrifice au Père, confirmant que tout ce qui est créé vient du Père et doit devenir une offrande de louange au Créateur. Ainsi donc, le mystère du sacerdoce trouve son origine dans la Trinité et il est en même temps une conséquence de l'Incarnation. En se faisant homme, le Fils unique et éternel du Père naît d'une femme, il entre dans l'ordre de la création et devient ainsi prêtre, prêtre unique et éternel.

L'auteur de la Lettre aux Hébreux souligne que le sacerdoce du Christ est lié au sacrifice de la Croix: «Le Christ, lui, survenu comme grand prêtre des biens à venir, traversant la tente plus grande et plus parfaite qui n'est pas faite de main d'homme, c'est-à-dire qui n'est pas de cette création, entra une fois pour toutes dans le sanctuaire [...] avec son propre sang, nous ayant acquis une rédemption éternelle» (He 9,11-12). Le sacerdoce du Christ est enraciné dans l'uvre de la rédemption. Le Christ est prêtre de son propre sacrifice: «Par un Esprit éternel, il s'est offert lui- même sans tache à Dieu» (He 9,14). Le sacerdoce de la Nouvelle Alliance, auquel nous sommes appelés dans l'Église, constitue donc la participation à cet unique sacerdoce du Christ.

Sacerdoce commun et sacerdoce ministériel

2. Le Concile Vatican II présente le concept de «vocation» dans toute son ampleur. Il parle en effet de vocation de l'homme, de vocation chrétienne, de vocation à la vie conjugale et familiale. Dans ce contexte, le sacerdoce constitue l'une des vocations, l'une des façons possibles de suivre le Christ, lui qui plus d'une fois dans l'Évangile adresse l'invitation: «Suis-moi».

Dans la Constitution dogmatique sur l'Église Lumen gentium, le Concile enseigne que tous les baptisés participent au sacerdoce du Christ; mais en même temps, il fait clairement la distinction entre le sacerdoce du peuple de Dieu, commun à tous les fidèles, et le sacerdoce hiérarchique, c'est-à-dire ministériel. À ce sujet, un passage lumineux de ce document conciliaire mérite d'être cité en entier: «Le Christ Seigneur, Pontife pris parmi les hommes (cf. He 5,1-5), a fait du peuple nouveau un royaume et des prêtres pour Dieu, son Père (cf. Ap 1,6; 5,9-10). Par la régénération et l'onction de l'Esprit Saint, les baptisés sont en effet consacrés pour être une demeure spirituelle et un sacerdoce saint, en vue d'offrir, par toutes les activités de l'homme chrétien, des sacrifices spirituels et d'annoncer les actes de puissance de celui qui les a appelés des ténèbres à son admirable lumière (cf. 1P 2,4-10). C'est pourquoi, tous les disciples du Christ, persévérant dans la prière et louant ensemble Dieu (cf. Ac 2,42-47), doivent s'offrir en hostie vivante, sainte et agréable à Dieu (cf. Rm 12,1), porter témoignage du Christ sur toute l'étendue de la terre, et rendre compte, à ceux qui le demandent, de l'espérance qui est en eux de la vie éternelle (cf. 1P 3,15). Le sacerdoce commun des fidèles et le sacerdoce ministériel ou hiérarchique, tout en différant entre eux selon leur essence et non pas seulement selon leur degré, sont cependant ordonnés l'un à l'autre; l'un et l'autre, en effet, participent, chacun selon son mode propre, de l'unique sacerdoce du Christ. Celui qui a reçu le sacerdoce ministériel forme et dirige, en vertu du pouvoir sacré dont il jouit, le peuple sacerdotal, célèbre le sacrifice eucharistique en la personne du Christ et l'offre à Dieu au nom de tout le peuple; les fidèles pour leur part, en vertu de leur sacerdoce royal, concourent à l'offrande de l'Eucharistie et exercent ce sacerdoce par la réception des sacrements, par la prière et l'action de grâce, par le témoignage d'une vie sainte et par l'abnégation et une charité active».1

Le sacerdoce ministériel est au service du sacerdoce commun des fidèles. En effet, quand le prêtre célèbre l'Eucharistie et administre les sacrements, il rend les fidèles conscients de leur participation particulière au sacerdoce du Christ.

L'appel personnel au sacerdoce

3. Il apparaît donc clairement que, dans le contexte plus large de la vocation chrétienne, la vocation sacerdotale constitue un appel spécifique. Et cela est généralement conforme à notre expérience personnelle de prêtres: nous avons reçu le baptême et la confirmation; nous avons participé à la catéchèse, aux célébrations liturgiques et surtout à l'Eucharistie. Notre vocation au sacerdoce est née dans le cadre de la vie chrétienne.

Chaque vocation au sacerdoce a toutefois une histoire particulière, qui se réfère à des moments bien précis de la vie de chacun. En appelant les Apôtres, le Christ disait à chacun: «Suis-moi!» (Mt 4,19 Mt 9,9 Mc 1,17 Mc 2,14 Lc 5,27 Jn 1,43 Jn 21,19). Depuis deux mille ans, il continue à adresser le même appel à de nombreux hommes, en particulier aux jeunes. Parfois il appelle aussi de manière surprenante, quoiqu'il ne s'agisse jamais d'un appel tout à fait inattendu. L'appel du Christ à le suivre est, d'habitude, préparé de longue date. Déjà présente dans la conscience de l'enfant, même si l'indécision ou l'appel à suivre d'autres routes la rendent confuse, quand l'invitation se fait entendre de nouveau, elle ne constitue pas une surprise. On ne s'étonne pas alors que ce soit justement cette vocation qui ait prévalu sur les autres, et le jeune peut s'engager sur la route que lui indique le Christ: il quitte sa famille et commence sa préparation spécifique au sacerdoce.

Il existe une typologie de l'appel, que je voudrais esquisser maintenant. On en trouve une ébauche dans le Nouveau Testament. En disant «Suis-moi!», le Christ s'adresse à différentes personnes: il y a des pêcheurs comme Pierre ou les fils de Zébédée (cf. Mt 4,19 Mt 4,22), mais il y a aussi Lévi, un publicain, appelé ensuite Matthieu. Laprofession de percepteur des impôts était considérée en Israël comme condamnable et digne de mépris. Et pourtant le Christ appelle précisément un publicain dans le groupe des Apôtres (cf. Mt 9,9). L'appel de Saul de Tarse, connu et craint comme persécuteur des chrétiens et qui avait en haine le nom de Jésus, suscite certainement le plus grand étonnement (cf. Ac 9,1-19). C'est justement ce pharisien qui est appelé sur le chemin de Damas: le Seigneur veut faire de lui «un instrument de choix», destiné à beaucoup souffrir pour son nom (cf. Ac 9,15-16).

Chacun de nous, prêtres, se reconnaît lui- même dans la singulière typologie évangélique de la vocation; en même temps, il sait que l'histoire de sa vocation, le chemin par lequel le Christ le conduit pendant toute son existence, est en un certain sens absolument unique.

Chers frères dans le sacerdoce, nous devons souvent nous arrêter pour prier, méditant le mystère de notre vocation, le cur rempli d'émerveillement et de reconnaissance envers Dieu pour un don aussi ineffable.

La vocation sacerdotale des Apôtres

4. L'image de la vocation qui nous est transmise par les Évangiles est particulièrement liée aupersonnage du pêcheur. Jésus a appelé à lui quelques pêcheurs de Galilée, parmi lesquels Simon-Pierre, et il a défini la mission apostolique en se référant à leur métier. Après la pêche miraculeuse, quand Pierre se jeta à ses pieds en s'exclamant: «Éloigne-toi de moi, Seigneur, car je suis un homme pécheur», le Christ répondit: «Sois sans crainte; désormais ce sont des hommes que tu prendras» (Lc 5,8 Lc 10).

Pierre et les autres Apôtres vivaient avec Jésus et ils parcouraient avec lui les routes de sa mission. Ils entendaient les paroles qu'il prononçait, ils admiraient ses uvres, ils s'étonnaient des miracles qu'il faisait. Ils savaient que Jésus était le Messie, envoyé par Dieu pour indiquer à Israël et à toute l'humanité le chemin du salut. Mais leur foi devait passer à travers le mystérieux événement du salut qu'il avait plusieurs fois annoncé: «Le Fils de l'homme va être livré aux mains des hommes, et ils le tueront, et, le troisième jour, il ressuscitera» (Mt 17,22-23). Tout cela se réalisa par sa mort et sa résurrection, aux jours que la liturgie appelle le Triduum sacrum.

C'est précisément au cours de cet événement pascal que le Christ révéla aux Apôtres que leur vocation était de devenir prêtres comme lui et en lui. Cela se réalisa quand, au Cénacle, la veille de la mort en croix, il prit le pain puis le calice rempli de vin, en prononçant sur eux les paroles de la consécration. Le pain et le vin devinrent son Corps et son Sang, offerts en sacrifice pour toute l'humanité. Jésus conclut ce geste en ordonnant aux Apôtres: «Faites cela en mémoire de moi» (1Co 11,25). Par ces paroles, il leur confia son propre sacrifice et il le transmit, par leurs mains, àl'Église pour tous les temps. En confiant aux Apôtres le Mémorial de son sacrifice, le Christ les rendit aussi participants de son sacerdoce. Il existe, en effet, un lien étroit et indissoluble entre l'offrande et le prêtre: celui qui offre le sacrifice du Christ doit avoir part au sacerdoce du Christ. La vocation au sacerdoce est donc vocation à offrir son sacrifice in persona Christi, en vertu de la participation à son sacerdoce. C'est pourquoi nous avons hérité des Apôtres le ministère sacerdotal.

Le prêtre se réalise lui-même dans une réponse toujours renouvelée et vigilante

5. «Le Maître est là et il t'appelle» (Jn 11,28). Ces paroles peuvent se lire en référence à la vocation sacerdotale. L'appel de Dieu est à l'origine du chemin que l'homme doit accomplir dans la vie: telle est la dimension première et fondamentale de la vocation, mais ce n'est pas la seule. Avec l'ordination sacerdotale, en effet, commence un chemin qui dure jusqu'à la mort et qui est tout entier un itinéraire «vocationnel». Le Seigneur appelle les prêtres à diverses charges et à divers ministères qui découlent de cette vocation. Mais il y a un niveau encore plus profond. En plus des charges qui sont l'expression du ministère sacerdotal, demeure toujours, au fond de tout, la réalité même de «l'être sacerdotal». Les situations et les circonstances de la vie invitent constamment le prêtre à confirmer son choix premier, à répondre toujours et de nouveau à l'appel de Dieu. Notre vie sacerdotale, comme toute existence chrétienne authentique, est une succession de réponses à Dieu qui appelle.

À ce propos, la parabole des serviteurs qui attendent le retour de leur maître est significative. Comme il tarde, ils doivent veiller pour qu'à son arrivée il les trouve vigilants (cf. Lc 12,35-40). Cette vigilance évangélique ne pourrait-elle pas être une autre définition de la réponse à la vocation? Celle-ci, en effet, se réalise grâce à un sens éveillé de la responsabilité. Le Christ le souligne: «Heureux ces serviteurs que le maître en arrivant trouvera en train de veiller! [...] Qu'il vienne à la deuxième ou à la troisième veille, s'il trouve les choses ainsi, heureux seront-ils!» (Lc 12,37-38).

Les prêtres de l'Église latine assument l'engagement de vivre dans le célibat. Si la vocation est vigilance, l'un des aspects significatifs de cette dernière est certainement la fidélité à un tel engagement durant toute l'existence. Toutefois, le célibat ne constitue qu'une des dimensions de la vocation; celle-ci se réalise, tout au long de la vie, à travers une totale disponibilité à l'égard des multiples tâches qui découlent du sacerdoce.

La vocation n'est pas une réalité statique: elle possède une dynamique propre. Chers frères dans le sacerdoce, nous confirmons et nous réalisons toujours plus notre vocation dans la mesure où nous vivons fidèlement le «mysterium» de l'alliance de Dieu avec l'homme, et en particulier le mysterium de l'Eucharistie; nous la réalisons dans la mesure où, avec une intensité croissante, nous aimons le sacerdoce et le ministère sacerdotal que nous sommes appelés à exercer. Nous découvrons alors que, dans le fait d'être prêtres, nous nous «réalisons» nous-mêmes, confirmant l'authenticité de notre vocation, selon l'unique et éternel dessein de Dieu sur chacun de nous. Ce projet divin s'accomplit dans la mesure où il est reconnu et accueilli par nous comme notre projet et notre programme de vie.

Le sacerdoce comme officium laudis

6. Gloria Dei vivens homo. Les paroles de saint Irénée2 unissent profondément la gloire de Dieu et la réalisation de soi de la part de l'homme. «Non nobis, Domine, non nobis, sed nomini tuo da gloriam» (Ps 115 Ps 113 B, 1): en répétant souvent ces paroles du psalmiste, nous nous rendons compte que «se réaliser soi-même» dans la vie a une source et une fin transcendantes, contenues dans le concept de «gloire de Dieu»: notre vie est appelée à devenir officium laudis.

La vocation sacerdotale est un appel spécial à l'«officium laudis». Quand le prêtre célèbre l'Eucharistie, quand, dans le sacrement de la Réconciliation, il transmet le pardon de Dieu ou quand il administre les autres sacrements, chaque fois il loue Dieu. Il faut donc que le prêtre aime la gloire du Dieu vivant et que, avec la communauté des croyants, il proclame la gloire divine qui resplendit dans la Création et dans la Rédemption. Le prêtre est appelé à s'unir de façon particulière au Christ, Verbe éternel et vrai Homme, Rédempteur du monde: dans la Rédemption, en effet, se manifeste la plénitude de la gloire que l'humanité et toute la création rendent au Père en Jésus Christ.

L'officium laudis, ce ne sont pas seulement les paroles du Psautier, les hymnes liturgiques, les chants du peuple de Dieu qui retentissent en face du Créateur en de nombreuses langues; l'officium laudis, c'est surtout l'incessante découverte du vrai, du bien et du beau, dons du Créateur que le monde reçoit et, en même temps, c'est la découverte du sens de l'existence humaine. Le mystère de la Rédemption a pleinement accompli et révélé ce sens, rapprochant la vie de l'homme de la vie de Dieu. La Rédemption, qui s'est réalisée définitivement dans le Mystère pascal par la passion, la mort et la résurrection du Christ, révèle la sainteté transcendante de Dieu, et, comme l'enseigne le Concile Vatican II, elle manifeste «l'homme à l'homme».3

La gloire de Dieu est inscrite dans l'ordre de la Création et de la Rédemption; le prêtre est appelé à vivre jusqu'au bout ce mystère pour participer au grand officium laudis, qui s'accomplit sans cesse dans l'univers. C'est seulement en vivant en profondeur la vérité de la Rédemption du monde et de l'homme qu'il peut se rendre proche des souffrances et des problèmes des personnes et des familles et aussi affronter sans crainte la réalité du mal et du péché, avec les forces spirituelles nécessaires pour les dépasser.

Le prêtre accompagne les fidèles vers la plénitude de la vie en Dieu

7. Gloria Dei vivens homo. Le prêtre, dont la vocation est de rendre gloire à Dieu, est en même temps profondément marqué par la vérité contenue dans la seconde partie de l'expression de saint Irénée: vivens homo. L'amour pour la gloire de Dieu n'éloigne pas le prêtre de la vie ni de tout ce qui la compose; au contraire, sa vocation le conduit à en découvrir la pleine signification.

Que veut dire vivens homo? Cela signifie l'homme dans la plénitude de sa vérité: l'homme créé par Dieu à son image et à sa ressemblance; l'homme à qui Dieu a confié la terre pour qu'il la domine; l'homme marqué par une richesse multiple de nature et de grâce; l'homme libéré de la servitude du péché et élevé à la dignité de fils adoptif de Dieu.

Voilà l'homme et l'humanité que le prêtre a devant lui quand il célèbre les mystères divins: du nouveau-né que les parents présentent au baptême, aux enfants qu'il rencontre pour la catéchèse ou pour l'enseignement de la religion. Et ensuite les jeunes qui, dans la période la plus délicate de la vie, choisissent leur route, leur vocation, et qui se préparent à former de nouvelles familles ou à se consacrer pour le Règne de Dieu en entrant dans un séminaire ou dans un Institut de vie consacrée. Il faut que le prêtre soit très proche des jeunes. Dans cette période de la vie, ils s'adressent souvent à lui pour chercher le réconfort d'un conseil, le soutien de la prière, un sage accompagnement de leur vocation. De cette façon, le prêtre peut constater combien sa vocation est ouverte et dévouée aux personnes. En fréquentant les jeunes, il rencontre de futurs pères et de futures mères de famille, de futurs professionnels ou, de toute manière, des personnes qui pourront contribuer par leurs compétences à édifier la société de demain. Chacune de ces multiples vocations touche son cur sacerdotal et se manifeste comme un chemin particulier, au long duquel Dieu guide les personnes et les conduit à le rencontrer.

Le prêtre participe ainsi à de nombreux choix de vie, à des souffrances et à des joies, à des déceptions et à des espérances. Dans chaque situation, sa tâche est de montrer Dieu à l'homme comme la fin ultime de son histoire personnelle. Le prêtre devient celui à qui les personnes confient ce qu'ils ont de plus cher ainsi que leurs secrets, parfois très douloureux. Il devient celui qu'attendent les infirmes, les personnes âgées et les mourants, qui ont conscience que lui seul, participant au sacerdoce du Christ, peut les aider dans l'ultime passage, qui doit les conduire à Dieu. Le prêtre, témoin du Christ, est le messager de la vocation suprême de l'homme à la vie éternelle en Dieu. Et tandis qu'il accompagne ses frères, il se prépare lui-même: l'exercice du ministère lui permet d'approfondir sa propre vocation à rendre gloire à Dieu pour prendre part à la vie éternelle. Il avance ainsi vers le jour où le Christ lui dira: «C'est bien, serviteur bon et fidèle, [...] entre dans la joie de ton maître» (Mt 25,21).

Le jubilé sacerdotal: temps de joie et d'action de grâce

8. «Frères, considérez votre vocation» (1Co 1,26). L'exhortation de Paul aux chrétiens de Corinthe revêt une signification particulière pour nous prêtres. Nous devrions «considérer» souvent notre vocation, redécouvrant son sens et sa grandeur, qui nous dépassent toujours. Le Jeudi Saint, jour commémoratif de l'institution de l'Eucharistie et du sacrement du sacerdoce est une occasion privilégiée pour cela. Les anniversaires de l'ordination sacerdotale, spécialement, les jubilés sacerdotaux, sont aussi des occasions favorables.

Chers frères prêtres, tandis que je vous fais part de ces réflexions, je pense au cinquantième anniversaire de mon ordination sacerdotale, qui a lieu cette année. Je pense à mes compagnons de séminaire qui, comme moi, ont parcouru un chemin vers le sacerdoce marqué par la période dramatique de la seconde guerre mondiale. À ce moment-là, les séminaires étaient fermés et les clercs vivaient en diaspora. Certains d'entre eux perdirent la vie dans les opérations de la guerre. Le sacerdoce reçu dans ces conditions a acquis pour nous une valeur particulière. Il est vivant dans notre mémoire, ce grand moment où, il y a cinquante ans, l'Assemblée invoquait Veni Creator Spiritus sur nous, jeunes diacres, prosternés à terre au milieu de l'église avant de recevoir l'ordination sacerdotale par l'imposition des mains de l'Évêque. Remercions l'Esprit Saint pour cette effusion de grâce qui a marqué notre existence! Et continuons à implorer: «Imple superna gratia, quae tu creasti pectora»!

Je désire, chers frères dans le sacerdoce, vous inviter à prendre part à mon Te Deum de remerciement pour le don de la vocation. Les jubilés, vous le savez, sont des moments importants dans la vie d'un prêtre: ils représentent en quelque sorte des pierres milliaires sur le chemin de notre vocation. Selon la tradition biblique, le jubilé est un temps de joie et d'action de grâce. L'agriculteur rend grâce au Créateur pour les récoltes; à l'occasion de nos jubilés, nous voulons remercier le Pasteur éternel pour les fruits de notre vie sacerdotale, pour le service rendu à l'Église et à l'humanité dans les divers lieux du monde, dans les conditions les plus diverses et dans les multiples situations de travail où la Providence nous a voulus et nous a conduits. Nous savons que nous sommes «des serviteurs inutiles» (Lc 17,10), toutefois nous sommes reconnaissants au Seigneur d'avoir voulu faire de nous ses ministres.

Nous sommes reconnaissants aussi aux hommes, avant tout à ceux qui nous ont aidés à arriver au sacerdoce et à ceux que la divine Providence a placés sur le chemin de notre vocation. Nous les remercions tous, à commencer par nos parents, qui pour nous ont été un don multiforme de Dieu: quelle abondance et quelle richesse d'instruction et de bons exemples ils nous ont transmis!

Tout en rendant grâce, nous demandons aussi pardon à Dieu et à nos frères pour les négligences et les manquements, fruits de la faiblesse humaine. Le jubilé, selon la Sainte Écriture, ne pouvait pas être seulement action de grâce pour les récoltes: il comportait aussi la remise des dettes. Nous implorons donc Dieu miséricordieux pour qu'il nous remette les dettes contractées au cours de notre vie et dans l'exercice de notre ministère sacerdotal.

«Frères, considérez votre vocation», nous avertit l'Apôtre. Stimulés par sa parole, nous «considérons» le chemin parcouru jusqu'à maintenant, durant lequel notre vocation s'est confirmée, approfondie, consolidée. Nous «considérons» pour prendre une conscience plus claire de l'action affectueuse de Dieu dans notre vie. En même temps, nous ne pouvons pas oublier nos frères dans le sacerdoce qui n'ont pas persévéré sur le chemin entrepris. Nous les confions à l'amour du Père, comme nous assurons chacun d'eux de notre prière.

Le fait de «considérer» se transforme ainsi, presque à notre insu, en prière. C'est dans cette perspective que je désire vous inviter, chers frères dans le sacerdoce, à vous unir à mon action de grâce pour le don de la vocation et du sacerdoce.

O Dieu, merci pour le don du sacerdoce

9. «Te Deum laudamus, Te Dominum confitemur...» O Dieu, nous Te louons et nous Te rendons grâces: toute la terre T'adore. Nous, tes ministres, avec les voix des Prophètes et avec le chur des Apôtres, nous Te proclamons Père et Seigneur de la vie, de toute forme de vie qui de Toi seul descend. Nous te reconnaissons, ô Trinité Très Sainte, source et commencement de notre vocation: Toi, Père, de toute éternité Tu nous as pensés, voulus et aimés; Toi, Fils, Tu nous as choisis et appelés à participer à ton unique et éternel sacerdoce; Toi, Esprit Saint, Tu nous as comblés de tes dons et Tu nous as consacrés par ta sainte onction. Toi, Seigneur du temps et de l'histoire, tu nous as placés au seuil du troisième millénaire chrétien, pour être témoins du salut que Tu as réalisé pour toute l'humanité. Nous, Église qui proclame ta gloire, nous t'implorons: que jamais ne viennent à manquer de saints prêtres au service de l'Évangile; que résonne solennellement en toute cathédrale et en tout coin du monde l'hymne Veni Creator Spiritus. Viens, Esprit Créateur! Viens susciter de nouvelles générations de jeunes, prêts à travailler dans la vigne du Seigneur, pour répandre le Règne de Dieu jusqu'aux extrémités de la terre. Et Toi, Marie, Mère du Christ, qui sous la Croix nous a accueillis comme tes fils préférés avec l'Apôtre Jean, continue à veiller sur notre vocation. Nous te confions les années de ministère que la Providence nous accordera encore de vivre. Sois à nos côtés pour nous guider sur les routes du monde, à la rencontre des hommes et des femmes, que ton Fils a rachetés de son Sang. Aide-nous à accomplir jusqu'au bout la volonté de Jésus, né de Toi pour le salut de l'homme. O Christ, Tu es notre espérance! «In Te, Domine, speravi, non confundar in aeternum».

Du Vatican, le 17 mars 1996, quatrième Dimanche de Carême, en la dix-huitième année de mon pontificat.




LETTRE DU SAINT-PÈRE


JEAN-PAUL II


AUX PRETRES



1994-2001 Lettres du Jeudi Saint 1995