Jean de la Croix - Lettres, Avis 1




JEAN DE LA CROIX - OEUVRES COMPLÈTES selon l’ediciôn critica espagnole


Saint Jean de la Croix

(J. Meganck, XIXe siècle)


JEAN DE LA CROIX

DOCTEUR DE L'ÉGLISE



Présentation

Voici pour la première fois, une traduction française des Oeuvres complètes de Jean de la Croix conforme à l'édition critique espagnole. Précieux instrument pour le spirituel et le chercheur.

La multitude des commentaires témoigne de l'influence du Docteur de l'Église, de son actualité, de sa modernité. Le nombre des éditions de ses oeuvres en français dépasse la centaine, mais ces traductions ou bien sont partielles, ou bien datent, ou bien trop souvent ne sont que des interprétations.

Au cours du XXe siècle, l'édition critica a fait des progrès décisifs avec un souci d'authenticité. Cette nouvelle traduction la respecte en tout point.

OEUVRES COMPLÈTES selon l’ediciôn critica espagnole

Nouvelle traduction par André Bord

Pierre Téqui, éditeur 82 rue Bonaparte - 75006 Paris

Sculpture Bernard Saudout


PREFACIO

en langue espagnole*

*. Traduction p. 10 à 12.



San Juan de la Cruz ha disfrutado siempre de una generosa acogida en Francia. En ningún otro idioma moderno han alcanzado los textos sanjuanistas una difusión comparable a la conseguida en lengua francesa. Compite en número de ediciones con las realizadas en la original del autor.

En francés se han compuesto también buena parte de los estudios fundamentales en torno al sanjua-nismo. Siguen siendo clásicas y fundamentales las monografías de J. Baruzi, J. Maritain, Bruno de Jésus Marie, H. Sanson, J. Vilnet, J. Orcibal, G. Morel y otros muchos muchos. Nadie conoce mejor que A. Bord la gloriosa histórica de san Juan de la Cruz en Francia y nadie ha contribuido tanto como él durante los últimos lustros a que se extienda y afiance esa memoria clectiva.

Le presencia de san Juan de la Crue en Francia, como en otras naciones y latitudes, desborda el ámbito de la ciencia y del arte. Se ha proyectado ante todo en el ámbito de la vida espiritual con una incidencia más difícil de medir y cuantificar que en la cultura, pero indudablemente más extensa y profunda.

Ha sido, sobre todo, en el ámbito de la espiritualidad donde el magisterio de Santa Teresa y San Juan de la Cruz ha tenido una acogida extensa y entusiasta a lo largo de los siglos en Francia. Los escritos sanjuanistas han subyugado tanto a las almas sencillas (Thérèse de Lisieux, Élisabeth de la Trinité, Charles de Foucauld) como a espíritus gigantes y refinados, como M. Blondel, Bergson, P. Valéry, Rolland-Simon, Bernard Sesé y tantos otros.

La inmensa mayoría de los lectores han conectado con el Doctor místico a través de las diferentes versiones publicadas en francés. Se han sucedido en rápida e ininterrumpida cadencia a partir de la realizada por René Gaultier, aparecida el 1621 en París. Fue felizmente suplantada en 1641 por la del P. Cyprien de la Nativité de la Vierge, que se volvió clásica.

En la época moderna los escritos sanjuanistas han sido sometidos en Francia a un intenso trabajo de revisión, tanto en la lengua original como en variadas y numerosas traducciones, tanto completas como parciales. Los intentos de depuración textual y de traslación correcta en francés han cosechado frutos sazonados. Ninguna otra lengua disfruta de versiones tan variadas y tan distantes unas de otras. Frente a las que apuestan por una fidelidad rigurosa a la letra de los originales, se colocan otras mucho más preocupadas por una interpretación en lenguaje moderno dentro del respeto al contenido del texto original.

Existe coincidencia fundamental en el que presentan las ediciones españolas, pero persisten entre ellas abundantes diferencias de detalle que inciden necesariamente en la calidad de cualquier traducción. No siempre los responsables de las versiones han cuidado la selección de las fuentes de mayor garantía textual. El peligro ha sido especialmente grave en la lectura del Cántico espiritual. Durante muchos años se ha leído en Francia, casi en exclusiva, un texto de esta obra notablemente alejado del que escribió Juan de la Cruz.

La nueva traducción de A. Bord supone en este sentido un paso adelante muy digno de tenerse en cuenta. Las numerosas y minuciosas investigaciones sanjuanistas del autor le han permitido comprobar al autor la importancia decisiva de contar con textos seguros, rigurosamente documentados. Cualquier lectura dudosa compromete tesis laboriosamente construidas o soluciones dadas por definitivas.

Gracias al esfuerzo realizado por el ilustre sanjua-nista los nuevos lectores franceses de san Juan de la Cruz pueden estar seguros de que se les ofrece una versión depurada y ajustada a los últimos avances de la crítica textual. Los investigadores del pensamiento sanjuanista agradecerán el empeño puesto en ofrecer una traducción de plena garantía. La rápida difusión de la misma será la mejor recompensa al esmerado trabajo de A. Bord y a la calidad tipográfica de las ediciones Pierre Téqui.

Eulogio Pacho TERESIANUM



PRÉFACE

en langue française

Saint Jean de la Croix a toujours bénéficié d'un généreux accueil en France. En aucune autre langue moderne les textes sanjuanistes n'ont atteint une diffusion comparable à celle obtenue en langue française. Elle rivalise en nombre d'éditions avec celles publiées en langue d'origine de l'auteur.

C'est en français aussi qu'ont été composées une bonne partie des études fondamentales concernant le sanjuanisme. Continuent d'être classiques et fondamentales les monographies de J. Baruzi, J. Maritain, Bruno de Jésus-Marie, H. Sanson, J. Vilnet, J. Orcibal, G. Morel et de beaucoup d'autres. Personne ne connaît mieux que A. Bord la glorieuse histoire de saint Jean de la Croix en France et personne n'a contribué autant que lui au cours des derniers lustres à ce que se répande et s'affermisse cette mémoire collective.

La présence de saint Jean de la Croix en France, ainsi qu'en d'autres pays et latitudes déborde les limites de la science et de l'art. Elle a visé avant tout le domaine de la vie spirituelle avec une influence plus difficile à mesurer et à quantifier que pour la culture, mais sans aucun doute plus étendue et plus profonde.

Ce fut surtout dans le domaine spirituel que l'enseignement de sainte Thérèse et de saint Jean de la Croix a eu un accueil vaste et enthousiaste tout au long des siècles en France. Les écrits sanjuanistes ont subjugué^ aussi bien les âmes franches (Thérèse de Lisieux, Élisabeth de la Trinité, Charles de Foucauld) que des esprits supérieurs et subtils, tels M. Blondel, Bergson, P. Valéry, Rolland-Simon, Bernard Sesé et tant d'autres.

L'immense majorité des lecteurs ont pris contact avec le Docteur mystique à travers les différentes traductions publiées en France. Elles se sont succédé à une cadence rapide et ininterrompue depuis celle réalisée par René Gaultier, parue en 1621 à Paris. Elle fut supplantée avec bonheur en 1641 par celle du P. Cyprien de la Nativité de la Vierge qui est devenue classique.

À l'époque moderne les écrits sanjuanistes ont été soumis en France à un intense travail de révision aussi bien dans la langue d'origine qu'en traductions diverses et nombreuses, soit complètes, soit partielles. Les tentatives d'épuration textuelle et de traduction correcte en français ont donné des résultats appréciables. Aucune autre langue ne dispose de traductions aussi variées et aussi différentes les unes des autres. À côté de celles qui se proposent une rigoureuse fidélité à la lettre des originaux, beaucoup d'autres sont plus préoccupées par une interprétation en langage moderne tout en respectant le sens du texte original.

Il existe une coïncidence fondamentale en ce que présentent les éditions espagnoles, mais subsistent entre elles d'abondantes différences de détail qui influent nécessairement sur la qualité d'une quelconque traduction. Les responsables des traductions n'ont pas toujours eu le souci de la sélection des sources offrant une meilleure garantie textuelle. Le danger a été particulièrement grave dans la lecture du Cantique spirituel. Pendant de nombreuses années on a lu en France, presque exclusivement un texte de cette oeuvre notablement allégé par rapport à celui qu'écrivit Jean de la Croix.

La nouvelle traduction de A. Bord représente en ce sens un pas en avant fort digne d'être pris en compte. Les nombreuses et minutieuses investigations sanjuanistes de l'auteur lui ont permis de mesurer l'importance décisive de prendre en compte des textes sûrs, rigoureusement documentés. Une lecture douteuse compromet des thèses laborieusement construites ou des solutions données pour définitives.

Grâce aux efforts de l'illustre sanjuaniste les nouveaux lecteurs français de saint Jean de la Croix peuvent être assurés qu'il leur offre une traduction épurée et conforme aux ultimes avancées de la critique textuelle. Les chercheurs de la pensée sanjuaniste lui sauront gré de sa persévérance à offrir une traduction d'une totale garantie. La rapide diffusion de celle-ci sera la meilleure récompense du travail très soigné de A. Bord et de la qualité typographique des éditions Pierre Téqui.



TABLE DES ILLUSTRATIONS

Le Christ. Dessin du Christ crucifié réalisé à la plume par Jean de la Croix avant novembre 1577 au couvent de l'Incarnation d'Avila où il est conservé. Format 57 x 47 mm. Ce dessin fait l'étonnement des spécialistes (Voir René Huyghe, « Le Christ de Saint Jean de la Croix », dans L'Espagne Mystique au XVIe siècle, (Paris, Arts et métiers graphiques, 1946). Et inspire les peintres comme : Salvador Dali : Le Christ de Jean de la Croix
Le Mont Carmel, ou Mont de perfection, copie notariée
Le même, écrit en français
Autographe de Jean de la Croix: une page des Dits de lumière et d'amour
Signature de Jean de la Croix
Sculpture Bernard Saudout
Portrait de Saint Jean de la Croix (J. Méganck - XIXe siècle)


AU LECTEUR

En 2026 seront célébrés le centenaire de la reconnaissance de Jean de la Croix comme Docteur de l'Église Universelle et le troisième centenaire de sa canonisation. Si son influence spirituelle fut considérable au XVIIe siècle, le XXe a vu un éclatement de son audience: depuis les positivistes jusqu'aux philosophes spiritualistes, depuis les poètes jusqu'aux âmes ferventes avides d'absolu1.

Le nombre des traductions françaises des oeuvres de Jean de la Croix, complètes ou partielles, dépasse la centaine2; ce qui témoigne de son rayonnement3.

Nombreux sont ceux qui ont voulu transmettre aux lecteurs français les richesses de son message exceptionnel : prélats, religieux de tous Ordres, prêtres séculiers, philosophes, hispanistes, laïcs catholiques ou protestants4.

 1 Voir notre Jean de la Croix en France, Beauchesne, 1993.
2 On en trouve une liste, arrêtée en 1990 dans Jean de la Croix, Oeuvres complètes, édition du P. Dominique Poirot, Le Cerf, 1990. Mais on en découvre d'autres, avant et après cette date. Et comme on ne prête qu'aux riches, certaines bibliothèques classent faussement à Jean de la Croix, les oeuvres du dominicain Juan de la Cruz, ou d'un Jean de la Croix Français... !
3 Nous ne parlons pas ici des ouvrages sur Jean de la Croix. Ils sont légion.
4 Rappelons que la première traduction fut faite à Bordeaux par des prêtres séculiers dans les années 1610, et les premières traductions publiées, par un laïc, René Gaultier, dans les années 1620.


Pourquoi donc une nouvelle traduction ? Une longue fréquentation de ces éditions montre que la plupart sont des adaptations, des interprétations plus que des traductions5. Même des publications qui se veulent fidèles comme celles de Bordeaux ou du P. Cyprien, s'écartent parfois de l'espagnol6. Un souci d'authenticité se manifeste avec les traductions de Bernard Sesé ou de François Bonfils, mais elles sont partielles.

5 L'Avertissement de la traduction du P. Maillard (1694), grâce à laquelle le message de Jean de la Croix va survivre au XVIIIe siècle, ne s'en cache pas : «... Quant à l'obscurité de ces ouvrages, on l'a diminuée et éclaircie autant qu'il a été possible, en coupant & en développant les périodes trop longues. en adoucissant les propositions un peu dures, en tempérant celles qui sont trop subtiles & trop métaphysiques, en expliquant tout au long celles que la brièveté... On a évité les redites. »
6 L'excellent Cyprien traduit (1NO 13,3) de tal manera, que queda impuesta el alma, reformada y emprensada segûn la concupiscencia y apetito... par: « l'âme va se composant, réformant et mortifiant ». Cette transposition du passif à l'actif fausse le sens.


Nous ne voulons pas minimiser le mérite des travaux passés ; nous comprenons l'intention d'un pasteur de mettre à la portée d'un plus grand nombre le trésor du Docteur ; mais nous pensons que s'il lui appartient dans ses propos de commenter, expliquer, adapter le texte à son auditoire, il ne lui appartient pas de le modifier7. Nous n'avons pas à rabaisser Jean de la Croix vers les lecteurs, mais essayer de les élever vers lui.

7Nous admirons des formules très belles, tel « le miroir de ses eaux argentées », mais le « miroir » n'est pas chez Jean de la Croix.


Grâce au travail persévérant et minutieux des carmes déchaussés espagnols, en particulier du P. Eulogio Pacho, l'ediciôn critica a fait au cours du XXe siècle des progrès décisifs qui aboutissent à un texte quasi définitif, doublé de précieuses Concordancias. Voulant faciliter le travail de ceux qui ne se contentent pas du mouvement général du message, mais qui veulent l'approfondir en ses moindres détails, notre règle sera la stricte fidélité au texte des Obras en la B. A. C.

Nous suivons la même ordonnance des oeuvres. Nous adoptons la numérotation des §, des lettres, poésies, maximes, etc. Nous respectons autant que possible le style de l'auteur. Sans nous asservir au mot à mot, nous essayons de conserver dans la phrase le même ordre qui traduit le cheminement de la pensée : le début par exemple met en relief ce qui veut être important. Les inversions, nous en trouvons bien chez les Français, de La Fontaine à Valéry.

Souvent Jean de la Croix s'exprime en de longues périodes, ponctuées seulement de virgules ou de points-virgules. C'est le débordement d'une intelligence et d'un coeur, d'une âme qui vit intensément. Il faut se laisser porter sans la briser par cette vague déferlante qui n'en finit pas de s'épancher (avec ses parenthèses et ses incises comme une pensée trop riche pour la plume) en parfaite maîtrise et qui réclame d'être relue, en esprit de prière ; Jean de la Croix le dit. On ne l'aborde pas comme un roman.

Parfois au contraire la phrase est d'une concision énigmatique. Mais la traduction n'a pas à expliquer, ni à commenter, c'est le rôle des notes. De même qu'elle n'a pas à supprimer des mots qui lui paraissent inutiles, elle n'a pas à en ajouter qui lui semblent nécessaires.

L'éventail du vocabulaire est très ouvert; mais à côté de cette richesse, souvent le style est dépouillé, abrupt, avec des mots passe-partout: cosa, haber, hacer; Jean de la Croix ne fait pas de littérature, il laisse parler son coeur qui déborde d'amour et de culture, simplement.

Nous tâchons de ne pas tomber dans la tentation de tout lecteur qui ayant assimilé le sens, le fait sien, et le traduit non comme il a été écrit, mais comme il l'exprimerait lui-même8. C'est ainsi qu'il arrive que la phrase espagnole soit meilleure que la française qui la traduit ; et parfois la prose de Jean de la Croix s'accorde mieux avec le français actuel, plus libre, qu'avec le style classique. De toute façon je n'ai pas à traduire ce que d'après moi, il aurait dû dire, mais ce qu'il a dit et autant que possible comme il l'a dit9.

Ce qui interpelle et séduit le penseur, c'est la doctrine dont l'unité est remarquable, c'est une psychologie qui dévoile sans indulgence les tréfonds de l'âme. Ce qui implique des termes techniques incontournables : substance et accidents, fantaisie, passions, entendement, puissances et sens, fruition, sens de l'âme, vertus théologales, puissance obédientielle, gloire, sagesse, actif, passif, naturel, surnaturel, et le même mot a parfois chez lui plusieurs significations, piège pour le traducteur non averti. Ces termes viennent d'une longue tradition culturelle néoplatonicienne et chrétienne, du thomisme souvent, mais de façon souple de façon à constituer une pensée très personnelle. De brèves notes éviteront les contresens.

8 Ou même, toujours à son insu, la tendance à dire autrement, en inversant les termes d'une énumération par exemple.
9 D'autant que dans ce domaine, notre langue s'est plutôt appauvrie. Si nous ne pouvons garder certains termes du XVIIe siècle français qui sont désuets, nous gardons « énamourer » qui est clair et que nous trouvons avec bien d'autres comme « abyssal » dans le Littré, .

Ou même : en vida la has trocado.   las ha trocado.


D'ailleurs le lecteur ne peut tout comprendre et goûter à la première lecture ; une fréquentation assidue va de découverte en découverte. Il faut savoir se mettre à son École. Peut-être n'est-il pas à la portée de tous. Qu'on lise alors l'une de ses disciples, les Thérèse, toutes deux Docteur de l'Église.

Mais n'exagérons rien. Jean de la Croix ne s'adresse pas spécialement à des théologiens, il parle, il écrit non en latin, mais en espagnol, en particulier pour des religieuses dont beaucoup n'avaient pas un haut niveau intellectuel, pour des laïques même. Ces âmes données avaient soif du Dieu vivant ce qui leur permettait de dépasser les difficultés conceptuelles et de se nourrir des paroles du Maître. D'ailleurs Jean de la Croix se met à la portée de son auditoire, de ses lecteurs. Il procède par approches successives, reprenant ses explications autrement, avec des comparaisons et un vocabulaire très concret, parfois cru, qu'il faut éviter de traduire par des expressions abstraites. Et pourquoi ne pas garder la saveur de l'expression : « plongé jusqu'aux yeux », ou sa force: « Écriture divine » ?

Il écrit au fil de la plume. Qu'importent les menues négligences, ses manies. Il passe allègrement du latin à l'espagnol, du passé au présent, du pluriel au singulier, du masculin au féminin10... Il se moque des digressions, des pléonasmes, des répétitions, il les affectionne même, en jouant sur les mots, sur les sonorités : dice... diciendo, fréquent ; ou même : Que por eso dice san Pablo... estas palabras, diciendo (C 39...), au point de gêner le traducteur obligé d'user de synonymes. En tout cela nous gardons fidélité au texte.

10 Le chapitre général convoqué à Madrid par le P. Nicolas de Jésus-Maria (Doria) pour le 13 aout 1586.


Mais nous ne traduisons pas toute l' ediciôn critica. Nous ne retraçons pas sa vie, nous ne reproduisons pas l'abondant appareil critique, nous ne répétons pas plusieurs fois le même texte, nous ne rapportons pas une bibliographie surabondante et toujours dépassée. Nous ne traduisons pas les Dictâmenes del P. Eliseo de los Mârtires dont l'authenticité sanjua-niste est plus que douteuse.

Un chercheur ne peut se dispenser de l'ediciôn cri-tica. Notre traduction en facilitera l'accès aux Français en leur évitant les écueils des précédentes : interprétations approximatives et besogne fastidieuse pour trouver les correspondances entre la traduction et l' ediciôn critica ou les Concordancias.

Au fond notre originalité est de ne pas en avoir. Nous ne cherchons pas à faire oeuvre personnelle, à faire une belle oeuvre. Nous traduisons les textes de Jean de la Croix.

Certainement quelque erreur, quelque coquille nous aura échappé qui réclamera correction, à condition de se rapprocher davantage du texte espagnol, et non pas de s'en éloigner.


BRÈVE CHRONOLOGIE SANJUANISTE

1542 : Naissance à Fontiveros [fontaine de Tibère] (province d'Avila) Vieille Castille, de Juan de Yepes, troisième fils d'une famille noble, pauvre et besogneuse le 24 juin?).
1548 : La mère, veuve, ayant perdu le second de ses fils, va s'installer à Arévalo, puis
1551: à Medina del Campo.
1559-63 : Jean travaille à l'hôpital de la Conception et fait en même temps ses humanités chez les Jésuites.
1563 : À 21 ans, alors que le directeur de l'hôpital lui offre la fonction d'aumônier, Jean entre chez les carmes de Medina et prend le nom de Jean de Saint-Mathias.
1564-68 : Étudiant à l'Université de Salamanque, alors la première d'Europe.
1567 : Ordonné prêtre à Salamanque, envisage d'entrer chez les chartreux. À l'occasion de sa première messe à Medina, rencontre Thérèse d'Avila qui a 27 ans de plus que lui. Elle lui propose de réformer les carmes, comme elle réforme les carmélites.
1568 : Le 28 novembre, commence la réforme à Duruelo. Maître des novices. Prend le nom de Jean de la Croix, et les réformés deviennent carmes déchaussés ou déchaux.
1570 : Continue la réforme à Mancera. Le 25 janvier assiste à la fondation d'Alba de Tormès par Thérèse.
1571 : En avril, est Recteur d'Alcalâ, premier collège déchaux.
1572-77 : Appelé par Thérèse comme confesseur et Vicaire du monastère de l'Incarnation d'Avila.
1574 : 19 mars, va à la fondation de Ségovie par Thérèse.
1576 : Le 9 septembre, assiste au premier chapitre d'Almodovar.
1577 : Le 2 décembre, est enlevé, transporté à Tolède, tenu prisonnier par les carmes non réformés, dans un placard infect. Là, entre la vie et la mort, il atteint les sommets de l'union à Dieu et compose des poèmes mystiques dont 31 couplets du Cantique spirituel.
1578 : Au bout de neuf mois, dans l'octave de l'Assomption, s'évade de nuit, à l'aide d'une corde improvisée, un peu trop courte, par un à-pic impressionnant au-dessus du Tage.
Assiste au chapitre d'Almodovar.
En octobre, est nommé Vicaire du Calvario (Jaén).
1579 : Le 14 juin, fonde le collège de Baeza. Est son premier Recteur.
1580 : Le 22 juin, Grégoire XIII autorise la fondation d'une province indépendante de déchaussés.
1581 : En mars, assiste au chapitre d'Alcalâ. Est nommé troisième définiteur jusqu'au chapitre de 1583.
En novembre, de Baeza se rend en Avila pour préparer avec Thérèse la fondation de Grenade.
1582 : Le 20 janvier inaugure la fondation des carmélites de Grenade avec Anne de Jésus.
À la fin de janvier, commence son premier priorat de Grenade. C'est dans cette ville, son écritoire, qu'il va écrire la plus grande partie de son oeuvre. Thérèse meurt le 4 octobre.
1583 : En mai, assiste au chapitre d'Almodovar. Est réélu Prieur de Grenade.
1585 : Le 17 février, fonde le couvent des carmélites à Mâlaga.
En mai, assiste au chapitre de Lisbonne. Est élu définiteur.
En octobre, assiste au chapitre de Pastrana. Est élu Vicaire provincial d'Andalousie. N'est plus prieur de Grenade, mais continue d'y résider.
1586 : Le 18 mai, fonde le couvent des frères à Cordoba.
En août, avec quelques religieuses de Grenade, va fonder le couvent de Madrid. Où il assiste à un définitoire.
Le 12 octobre, fonde le couvent des frères de Manchuela (Jaén).
Le 18 décembre, fonde le couvent des frères de Caravaca (Murcia).
1587 : En avril, assiste au chapitre de Valladolid. Ses fonctions de Définiteur et de Vicaire provincial en Andalousie cessent. Est nommé pour la troisième fois Prieur de Grenade.
1588 : En juin, assiste au premier chapitre général à Madrid. Est élu premier Définiteur général, troisième conseiller de la Consulta et supérieur de la Maison généraliste de Ségovie.
1590 : En juin, assiste au second chapitre général de Madrid.
1591 : En juin, assiste au troisième chapitre général de Madrid. Comme Anne de Jésus, il s'oppose au provincial, Nicolas Doria, qui veut modifier les constitutions thérésiennes.
Le 10 août est relégué comme simple moine à la Penuela (Jaén).
Tous ces déplacements, des milliers de kilomètres, se font à pied ou à dos d'âne.
Le 14 décembre, meurt à Ubeda, à minuit, à 49 ans.
1593 : À la demande de Ana de Penalosa, son corps est transféré d'Ubeda à Ségovie.
1675 : Le 25 janvier, il est béatifié par Clément X.
1726 : Le 27 décembre, il est canonisé par Benoît XIII.
1926 : Le 24 août, il est déclaré Docteur de l'Église universelle par Pie XI.
1927 : Le 11 octobre, son corps incorrompu, est placé dans son sépulcre actuel à Ségovie.
La première édition de ses oeuvres en espagnol est de 1618.
Les premières traductions françaises commencent en 1610, puis 1621... puis 1641... Elles dépassent aujourd'hui la centaine.
Nous signalons des Vies de Jean de la Croix dans la bibliographie à BRUNO, CRISÔGONO, RICHARD


P. HARDY, SESÉ.




INTRODUCTION GÉNÉRALE

L'oeuvre écrite de Jean de la Croix présente une riche variété en des genres littéraires différents que l'on peut cependant classer en deux groupes: les poésies, la prose.

Dans les poésies, Jean de la Croix n'a pas d'intention. Ce trésor qu'il porte en lui, cette union d'amour avec Dieu si étroite qu'il peut dire après saint Paul : « Je vis, mais non pas moi; il vit vraiment en moi le Christ », ce bonheur ineffable a besoin de s'extérioriser. Outre que la poésie est toujours première, seule, par ses rythmes, ses sonorités, ses symboles, elle parvient à suggérer quelque chose de cette expérience qui ne peut se dire, car elle est au-delà du conceptuel. C'est un jaillissement spontané, irrépressible, une joie qui se chante soit sur des airs connus, soit par la propre musique de ses vers. Le poème n'est pas adéquat à l'expérience, il propose seulement une direction, il est une invite à deviner, si l'on peut.

La prose sanjuaniste au contraire a un but pédagogique. L'Amour a besoin de se donner. Le mystique chante ses vers à ses frères, à ses soeurs dans le Christ, aux religieuses d'abord. Elles sont transportées, elles veulent en savoir davantage. D'où les commentaires qu'elles réclament. Ou bien le maître spirituel envoie une lettre à tel couvent, à tel frère, à telle soeur; ou une maxime bien frappée que l'on conserve pieusement; ou encore le futur Docteur fait part de sa science à des religieux attentifs.

Entre l'expérience et les poèmes, il y a déperdition. Entre le poème et son commentaire, nouvelle déperdition. Mais Jean de la Croix alors s'adresse à nous au niveau qu'est le nôtre et invite à nous élever et à le rejoindre au sein de la Trinité.

Le but de Jean de la Croix est simple et unique: conduire les âmes généreuses à l'union étroite avec Dieu. C'est la finalité de tout homme rendue possible par le baptême grâce à l'Incarnation et à la Rédemption du Christ. Il écrit en particulier pour ceux qui après avoir tout quitté pour Dieu sont arrêtés en chemin, car ils ne parviennent pas à l'heureuse aventure, la mutation de la contemplation. Ils ont trop compté sur eux, pas assez sur Dieu. Pour les spirituels, Jean de la Croix est le guide des hauteurs.

Mais son extraordinaire richesse de dons : mystique, philosophe, théologien, fin psychologue de grande expérience, poète, écrivain, dessinateur, interpelle en fait un public beaucoup plus vaste. Il est universel, le nombre des éditions et des études prouve son actualité. Cependant on ne peut vraiment le comprendre que de l'intérieur, avec une expérience religieuse. Son oeuvre n'est pas une construction intellectuelle, c'est une doctrine spirituelle, pratique. Elle réclame une longue fréquentation. Que de contresens chez ceux qui s'en tiennent à quelques passages ! Tel est séduit par le nada (indice de fréquence, 373) et qui oublie le todo (if: 2774). Ses disciples qui cheminent vers Dieu sont d'abord des commençants qui méditent, puis des progressants qui contemplent, et enfin des parfaits qui jouissent de l'union à Dieu.

Cette doctrine suppose une anthropologie. L'âme comporte le sens et l' esprit.

Le sens se partage en deux: l'extérieur et l'intérieur. Les cinq sens corporels externes sont connus : vue, ouïe, toucher, goût, odorat. Les deux sens corporels internes sont: la fantaisie qui est le dépôt ou réceptacle des cinq sens externes (VFB 3,69); et l'imaginative qui compose ces données en figures, formes ou fantasmes (3MC 13,7)11. Une fois seulement Jean de la Croix ajoute comme sens corporel interne une mémoire sensitive (CSB 18,7) 12.

11 En M 2 44, il dit fantaisie au lieu de imaginative et en (3MC 13,1), imaginative pour fantaisie.
12 En M 3 14 1, il précise mémoire spirituelle, il y en a donc une autre. C'est la mémoire sensitive qui a son siège dans le cerveau (3MC 2,5).


L'esprit comporte trois puissances13: entendement, mémoire, volonté. Ces puissances s'enracinent dans la substance où le sens commun de l'âme est capable de recevoir et d'archiver les grandeurs de Dieu (VFB 3,69). À la volonté se rattachent deux puissances : l'irascible et le concupiscible ou appétits (1NO 13,3) ; et quatre passions de l'âme ou affections de la volonté: joie, douleur, espoir, crainte. Mais passions et appétits appartiennent à la partie sensitive (CSB 28,4).

13 Rarement Jean de la Croix emploie sens au lieu de puissance (3MC 15). Très généralement les puissances agissent, les sens reçoivent. Il y a donc des puissances sensitives et des puissances spirituelles, des sens sensitifs et des sens spirituels.


De même que concupiscible et irascible, quand ils sont désordonnés sombrent dans la concupiscence, les puissances de l'esprit bien ordonnées, c'est-à-dire orientées vers Dieu et guidées par lui, forment la raison.

Tout ceci appartient à la nature humaine, mais au baptême l'âme reçoit un organisme surnaturel qui va lui permettre de partager la vie de Dieu et qui comporte les dons de l'Esprit Saint dont Jean de la Croix parle peu (CSB 26,3) et les vertus théologales, foi, espérance, charité, qui permettent l'union divine et de capter la grâce dans le sens commun de l'âme.

Les progrès spirituels sont entravés par trois ennemis: chair, monde, démon.

Jean de la Croix articule ces données en une architecture spirituelle disséminée dans son oeuvre, mais d'une constante unité doctrinale.

Personnes de la Trinité

Père
Fils
Esprit Saint

Fruits de l'union

Gloire
Sagesse
Amour

Vertus théologales

Espérance
Foi
Charité

Puissances de l'esprit

Mémoire
Entendement
Volonté

Voeux de religion

Pauvreté
Obéissance
Chasteté

Ennemis de l'âme

Monde
Démon
Chair


Ces triades, Jean de la Croix ne les a pas inventées. Elles appartiennent à la tradition chrétienne, mais il a le mérite de les avoir rassemblées, ordonnées, exploitées spirituellement. La division tripartite de l'âme est d'inspiration augustinienne. Puisque Dieu est trine, puisque l'âme est image de Dieu, l'âme est trine. Et Augustin fait correspondre chaque puissance de l'âme à une Personne : la mémoire au Père, l'intelligence au Fils, la volonté à l'Esprit Saint.

On peut lire cette structure selon les lignes horizontales : les trois personnes de la Trinité divine (L 1,15), les trois fruits de l'union de l'âme avec Dieu, préludes du Ciel (CSB 19,4 CSB 26,5), les trois vertus théologales, les trois puissances de l'esprit, les trois voeux des religieux, les trois ennemis de l'âme. Il y a d'ailleurs une solidarité étroite à l'intérieur de chaque triade: les vertus théologales entre elles, les puissances de l'esprit entre elles, les ennemis entre eux... (S 2,24 8 ; S 3,11).

La structure peut se lire aussi verticalement. La première colonne est la plus originale. Si en ce qui concerne la mémoire, Jean de la Croix est augustinien, il est vraiment unique lorsqu'il greffe l'espérance théologale sur la mémoire14. Avec le voeu de pauvreté, l'espérance théologale permet de lutter contre le monde - spécialement le monde intérieur que sont les souvenirs -, en tant qu'il est mauvais. Par ses propres ressources, la mémoire ne peut s'unir à Dieu, elle ne le peut que grâce à l'espérance théologale. L'espérance théologale n'est pas l'espoir passion15. L'espoir en une dimension horizontale est orienté vers l'avenir; l'espérance, en une dimension verticale, vers Dieu éternel. Ce n'est pas la notion de temporalité qui lie mémoire et espérance, mais la notion de non possession, de pauvreté. Plus la mémoire se dépossède, plus elle a d'espérance, et plus elle devient riche de la gloire divine. Non la gloire au sens grec (doxa) ou latin (gloria) de renommée, mais au sens hébreu (kâbôd), de valeur intrinsèque de l'être16. D'ailleurs, Jean de la Croix n'ignore pas l'autre sens du mot gloire.

14 Peut-être trouve-t-on chez saint Bernard un possible antécédent. Voir notre Mémoire et espérance chez Jean de la Croix, Beauchesne p. 235.
15 Nous traduisons esperanza, par espoir pour la passion, et par espérance pour la vertu théologale.
16 Voir notre Mémoire et Espérance, p. 252-255.


La seconde colonne montre la foi greffée sur l'entendement. L'entendement saisit la formule dogmatique, la foi s'en sert comme tremplin pour pénétrer en Dieu. Avec le voeu d'obéissance, la foi permet à l'âme de lutter contre le démon et de recevoir la Sagesse divine (S 1 ; 1NO 14,4 2NO 21,3) 17.

 17 Pascal caractérise le troisième ordre, surnaturel, comme celui de la charité, mais aussi comme celui de la sagesse (fr. 308).


La troisième colonne montre la charité, vertu théologale, greffée sur la volonté. Avec le voeu de chasteté, elle permet la victoire sur la chair en tant qu'elle se rebelle contre l'esprit. Elle permet de boire le véritable Amour, celui qui vient de Dieu, celui qui est Dieu (S 3,11 ; 2NO 21,10).

L'architecture peut paraître artificielle18, Jean de la Croix l'exploite avec bonheur.

9  Baruzi, S. J. de la C. et le problème de l'exp. myst., p. 457, 564 ; Sanson, op. cit., p. 158.


Cette forte doctrine s'exprime en une variété d'une grande richesse. D'abord des poésies. L'union d'amour avec le Dieu vivant est en soi ineffable, au-delà de tout concept. Il n'est que la poésie avec ses symboles, sa musique, pour la suggérer. Mais les disciples transportés réclament davantage. Alors ce sont des maximes bien frappées, des traités, des commentaires, des avis, des lettres, des croquis, des dessins.

Notre intention étant surtout de traduire les écrits de Jean de la Croix, nous réduisons l'appareil critique à ce qui est nécessaire pour la compréhension du texte. Outre l'ediciôn critica et les Concordancias, le chercheur devra consulter : Eulogio Pacho, Initiation à Saint Jean de la Croix (traduit par Pierre Sérouet).




ESSAI SUR LA CHRONOLOGIE DES ÉCRITS19

19 D'après Eulogio Pacho, ocd, Initiation à Saint Jean de la Croix, traduit par Pierre Sérouet, Paris, Cerf, 1991.


À Medina del Campo, puis à Salamanque, Jean s'est exercé à l'écriture, prose et vers, car il en maîtrise parfaitement la technique.


1572-1577, AVILA. Les joutes poétiques sont prisées par Thérèse. Datent de cette époque des poèmes :

J'entrai je ne sus où (9)
Je vis sans vivre en moi (1)
À la suite d'un ravissement d'amour (7)


1577-1578, dans le cachot de TOLÈDE :

31 premières strophes du Cantique spirituel
Les romances (3, 1 à 9)
Je connais bien la source (2)
Super flumina Babylonis (4)


1578-1582, ANDALOUSIE.

Avis
Dits de lumière et d'amour
Précautions
Mont de perfection
Ajout au Cantique (1580-1584)
Commence la Montée (qui s'éloigne du poème et ne sera jamais terminée)


1582-1587, GRENADE (que l'on désigne parfois comme l'écritoire de Jean)

Commentaire du Cantico (1584) qui comporte alors 39 couplets.
Reprise de la Montée (1581-1585)
Commentaire de la Nuit (1583-1585), qui ne sera jamais terminé (6).
Pour Ana de Penalosa composition et commentaire de
la Vive Flamme (1585-1586)
Poème Sans appui et pourtant appuyé (8)
Refonte du Cantique spirituel, poème et commentaire

(1585-1586)

Poèmes : Le pastoureau (10) et Pour toute ta beauté (11) (1584-1586)
1591 Reprise de la Vive Flamme (12) Les Lettres que nous possédons datent des dix dernières années: 1581-1591.



PROPOSITION POUR UN ORDRE DES LECTURES

Comme tous les grands du passé on peut trouver Jean de la Croix très lointain ou très proche car il s'adresse au mystique qui sommeille en chacun de nous.

Celui qui aborde les oeuvres de Jean de la Croix devra d'abord avoir une vue globale et essentielle; et pour cela lire les Prologues de la Montée, du Cantique et de la Vive Flamme.

Il pourra ensuite apprécier les Lettres, les Romances dans les Poésies (3, 1 à 9) et les Dits de lumière et d'amour.

La Vive Flamme le transportera au sommet de l'union d'amour; le Cantique retrace l'évolution de l'âme fidèle.

La Nuit parle surtout des purifications en vue de l'amour et du passage décisif à la contemplation. La Montée montre la nécessité de la mortification et du détachement, avec des analyses qui séduiront le philosophe.

Les autres écrits révèlent d'autres aspects, car cette oeuvre est une mine aux trésors inépuisables que l'on ne découvre que progressivement. Sa richesse est telle qu'on peut s'intéresser à nombre d'aspects captivants : son art, sa poésie, sa doctrine, sa pédagogie...; ils ne doivent pas faire oublier le but principal et même unique: Jean de la Croix s'adresse à ceux, à quelque niveau qu'ils se trouvent, qui ont faim et soif de Dieu afin de les conduire à l'union avec le Dieu d'amour. Avec une sincérité absolue, il ne leur cache pas que le chemin est rude et ne souffre ni accommodement, ni compromis, mais leur propose son aide hautement autorisée. Son message est éternel. L'accompagnement d'un spécialiste, d'un carme par exemple, semble nécessaire.


TABLE DES SIGLES

ÉCRITURE DIVINE


Jean de la Croix cite l'Écriture divine d'après la Vulgate et souvent de mémoire assez librement en vue d'un message spirituel. Nous traduisons les citations sanjuaniste et non la Vulgate. Il appelle 1er et 2e livres des Rois nos Ier et 2e livres de Samuel, et 3e et 4e livres des Rois nos 1er et 2e livres des Rois.

Ac Actes des Apôtres
Ap Apocalypse
Ba Livre de Baruch
2Ch 2e livre des Chroniques (= II Paralipomènes)
1Co 1ère épître aux Corinthiens
2Co 2e épître aux Corinthiens
Col Épître aux Colossiens
Ct Cantique des Cantiques
Dn Livre de Daniel
Dt Deutéronome
Eccl L'Ecclésiaste (= Qohélet)
Eccli L'Ecclésiatique (= Le Siracide)
Ep Épître aux Éphésiens
Est Livre d'Esther
Ex Exode
Ez Livre d'Ézéchiel
Ga Épître aux Galates
Gn Genèse
Ha Livre d'Habacuc
He Épître aux Hébreux
Is Livre d'Isaïe
Jb Livre de Job
Jc Épître de saint Jacques
Jdt Livre de Judith
Jg Livre des Juges
Jn Évangile selon saint Jean
1Jn 1ère épître de saint Jean
Jon Livre de Jonas
Jos Livre de Josué
Jr Livre de Jérémie
Lc Évangile selon saint Luc
Lm Lamentations de Jérémie
Lv Lévitique
2M 2e livre des Maccabées
Mc Évangile selon saint Marc
Mi Livre de Michée
Mt Évangile selon saint Matthieu
Na Nahum
Nb Livre des Nombres
Os Livre d'Osée
1P 1ère épître de saint Pierre
2P 2e épître de saint Pierre
Ph Épître aux Philipiens
Pr Livre des Proverbes
Ps Livre des Psaumes
1R 1er livre des Rois
2R 2e livre des Rois
Rm Épître aux Romains
Rt       Livre de Ruth
Sg Livre de la Sagesse
1Sm 1er livre de Samuel
2Sm 2e livre de Samuel
So Sophonie
Tb Livre de Tobie
1Th 1ère épître aux Thessaloniciens
1Tm 1ère épître à Timothée

OEUVRES DE JEAN DE LA CROIX


M 3 13 8    Montée du Mont Carmel, livre 3, chapitre 13, § 8.
N 2 16 7    Nuit obscure, Livre 2, chapitre 16, § 7.
C 30 3       Cantique spirituel B, couplet 30, § 3.
VF 4 10     Vive flamme d'amour B, couplet 4, § 10.
L Lettres
D Dits de lumière et d'amour
Po Poésies
Pr Précaution
A Avis

Nota : En italiques, particulièrement pour le latin, les oe et les oe liés ont une différence typographique imperceptible.




INTRODUCTION AUX LETTRES

On ne sait combien Jean de la Croix a écrit de lettres, un grand nombre. Elles ont été brûlées par crainte de la persécution, ou perdues par négligence; toutes ou presque. Nous n'en avons aucune à sa mère ou à son frère; aucune à Thérèse d'Avila. Les trente-trois, entières ou fragmentaires, qui ont été authentifiées montrent un Jean de la Croix à l'unisson de ses grands traités, et pourtant différent.

À l'unisson, car c'est la même doctrine monnayée à l'occasion des besoins de chacun, de chacune, ou d'un couvent, pour stimuler en vue de l'union d'amour avec Dieu. Que l'on ne confonde pas sentiment et amour (Lettre 13) ; que Dieu «....nous rende tout à fait vides, afin que de la sorte Il nous remplisse de ses dons » (15). Dieu «....dont le seul langage qu'il entende est le silencieux amour » (8). Le renoncement est la condition de l'amour «..car le coeur qui est à quelqu'un, comment peut-il être tout à un autre ? » (17).

Mais nous découvrons en ces lettres un Jean de la Croix différent. «....on s'attendait de voir un auteur et on trouve un homme. » 1 Alors que dans ses oeuvres il parle très rarement de lui (2MC 29,4 l), (1NO 3,2), dans la correspondance, c'est un épanchement personnel: il fait allusion à son emprisonnement (1), à un de ses voyages, il dit qu'il a cueilli des pois, qu'il va les battre (28). Il se confie sans s'étendre: « J'ai appris cela, filles » (8) ; il est dépaysé (1), il a été souffrant, il va mieux (19), à nouveau il a besoin du secours de la médecine, il a de la fièvre (33).

1 Pascal, pensée 675 (Lafuma).



La palette est variée. Lettres d'un supérieur pour le bien spirituel et temporel de l'Ordre, alliant autorité et délicatesse, vie intérieure et sens pratique doublé d'une grande expérience des âmes mais aussi des choses et des affaires. Et puisque Thérèse l'a désigné comme le maître spirituel de la Réforme, lettres de direction alliant exigence et compréhension.

Ce qui domine dans ces lettres, c'est la douceur affectueuse. Elles débordent de la tendresse des grands mystiques, et du Christ lui-même, et d'autant plus profonde qu'elle est plus pure et qu'elle est la tendresse même de Dieu. Détaché de tout, il les aime tous et toutes en Dieu avec une délicatesse extrême. Il tutoie les autres Pères carmes, mais il vouvoie les carmélites ou les personnes du monde et même les religieux qui ne sont pas prêtres. Il se fait compatissant:

« Faites attention à votre santé, ne manquez pas l'oraison chaque fois que vous pourrez la faire » (28).

Les dernières lettres sont comme un testament spirituel. Rejeté, sans fonction, dans la solitude, on le sent proche du Face-à-face : « Le Seigneur.... qu'Il lui plaise de me disposer pour qu'il me prenne avec Lui » (33). Et son amour de Dieu s'épanche en termes sublimes: Dieu « nous aime pour que nous l'aimions, grâce à l'amour qu'il a pour nous » (31) ; « Notre grand Dieu humilié et crucifié » (26). « Là où il n'y a pas d'amour, mettez de l'amour et vous recueillerez de l'amour » (27).

Il indique les dates de façons différentes ; nous essayons de garder cette variété.



Lettres


1. À la M. Catherine de Jésus (2)

1
Jean de la Croix - Lettres, Avis 1