Discours 2000 - Lundi 7 février 2000


À L'ÉGLISE MARONITE

Jeudi 10 février 2000


Béatitude,
Chers Frères dans l’Episcopat,

Chers Frères et Soeurs de l’Eglise Maronite,

1. Je vous souhaite la bienvenue dans la maison du Successeur de Pierre et dans la Ville Eternelle, qui conserve les tombes des Apôtres Pierre et Paul, et de tant d’autres saints martyrs et confesseurs. Vous êtes venus du Liban, d’autres pays du Proche-Orient et de la diaspora, pour célébrer en ces jours le grand Jubilé, avec Sa Béatitude le Cardinal Nasrallah Pierre Sfeir, Patriarche d’Antioche, "Père et Chef" (cf. C.C.E.O. CIO 55) de l’Eglise Maronite. Votre pèlerinage à Rome inaugure celui des Eglises catholiques orientales. En effet, au cours des prochains mois, arriveront à Rome les Patriarches, les Evêques et des fidèles des autres traditions orientales.

2. Voulant donner une nouvelle preuve de votre adhésion indéfectible et pluriséculaire au Siège apostolique romain, vous êtes venus à Rome pour la fête de saint Maron, pierre milliaire de votre Eglise, dont la mémoire est célébrée, selon votre calendrier liturgique, le 9 février. En ce jour, vous avez participé dans la Basilique Sainte-Marie Majeure à une célébration eucharistique solennelle, présidée par votre bien-aimé Patriarche. La célébration d’hier, tout comme l’audience d’aujourd’hui, renforce le lien étroit qui existe entre le Siège de Rome et celui d’Antioche, cette ville très ancienne où "les disciples furent pour la première fois appelés chrétiens" (Ac 11,26) et où saint Pierre lui-même a vécu. Attirés donc par "un impératif intérieur" venant de votre foi, vous êtes venus "rendre visite à Pierre" (Ga 1,18), pour vivre avec lui la communion ecclésiale. Votre pleine communion avec l’Eglise de Rome est en effet une manifestation tangible de la conscience que vous avez de l’unité: "L’unité est une caractéristique primordiale de l’Eglise et elle est requise par sa nature profonde" (exhort. apost. post-synodale Une espérance nouvelle pour le Liban, n. 84; cf. Lettre apost. Orientale lumen, n. 19). Cette unité ecclésiale, que vous expérimentez avec force ces jours-ci, vous aidera à son tour à vous engager toujours davantage dans l’évangélisation du monde, la tradition maronite étant aussi "une occasion privilégiée pour raviver le dynamisme et l’élan missionnaires auxquels chaque fidèle doit participer" (exhortation apost. post-synodale Une espérance nouvelle pour le Liban, n. 84).

3. Consciente et fière de l’importance de l’unité avec Rome, votre Eglise, fille spirituelle de saint Maron, a vu fleurir de nombreux saints et saintes au cours des siècles. Le 9 octobre 1977, mon Prédécesseur le Pape Paul VI a canonisé Charbel Maklouf, moine ermite et prêtre de l’Ordre libanais maronite, et moi-même j’ai eu la joie de procéder le 17 novembre 1985 à la béatification de Rafqa (Rebecca), moniale maronite de l’Ordre libanais maronite et, le 10 mai 1998, à celle de Nimatullah Al-Hardini, moine et prêtre du même Ordre et père spirituel de saint Charbel.

4. La béatification de Nimatullah Al-Hardini a eu lieu exactement un an après mon pèlerinage de 1997 en terre libanaise. C’est pourquoi il m’est agréable d’évoquer ici les heures que j’ai passées au Liban, où l’Eglise Maronite a ses racines et son centre effectif.

L’espérance nouvelle pour le Liban, exprimée dans l’exhortation post-synodale, document qui fait suite aux travaux de l’Assemblée spéciale pour le Liban du Synode des Evêques, a été "mon cri de résurrection et de paix", par lequel j’ai "présenté à nouveau la terre biblique des cèdres à la conscience du monde" ("Osservatore Romano", 12-13 mai 1997, p.1). J’encourage tous les pasteurs et fidèles des communautés catholiques du Liban à accueillir et à assimiler toujours davantage les propositions et les suggestions de cette exhortation. Je suis heureux de savoir qu’il y a déjà des premiers signes encourageants d’une mise en oeuvre concrète, comme il ressort aussi des travaux de la dernière Assemblée des Patriarches et Evêques catholiques du Liban (A.P.E.C.L.), qui s’est tenue en novembre dernier à Bkerké.

5. J’ai aussi le plaisir d’annoncer que, hier, après une très longue fermeture, due à la seconde guerre mondiale, puis à la situation difficile du Liban, le Collège pontifical maronite a rouvert officiellement ses portes grâce surtout aux efforts inlassables de Son Excellence Monseigneur Emile Eid, Procureur patriarcal à Rome. Cet Institut, voulu par le Pape Grégoire XIII, remonte au XVIe siècle. Il eut d’innombrables et illustres élèves, dont les plus renommés furent le futur patriarche maronite Stéphane Douaihi et le grand savant Joseph S. Assemani, Premier Custode de la Bibliothèque Vaticane, célèbre orientaliste et canoniste qui eut, entre autres, un rôle important au Synode libanais maronite de 1736.

Je forme le voeu que les jeunes maronites qui vivront désormais dans ce Collège historique contribuent efficacement, comme leurs prédécesseurs, à la vie ecclésiale maronite, dans la fidélité à l’esprit de l’Eglise universelle.

6. Et quant à la terre bien-aimée du Liban, vers laquelle se tourne avec nostalgie le coeur des croyants, je lui souhaite de continuer à rester fidèle à sa vocation de "Message": un lieu où les chrétiens peuvent vivre en paix et en fraternité avec les adeptes d’autres croyances, et où ils soient capables de promouvoir une telle convivialité (cf. exhort. post-synodale Une espérance nouvelle pour le Liban, n. 92). Je veux aussi vous dire aujourd’hui, avec la force de l’amour: "Le Pape est toujours proche de vous tous". Je suis à vos côtés comme un père et un frère dans cette période où l’intolérance conduit parfois à raviver les fantasmes de haine que nous voudrions voir disparaître pour toujours.

Par l’intercession de la Mère de Dieu, des saints Apôtres Pierre et Paul, de saint Maron, de saint Charbel, de la bienheureuse Rafqa, du bienheureux Nimatullah Al-Hardini et de tous les saints de votre terre, je demande au Seigneur que ce soit là le premier fruit du grand Jubilé que vous célébrez à Rome. Je vous accorde de grand coeur la Bénédiction apostolique.



AUX PARTICIPANTS À LA VIème ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DE L'ACADÉMIE PONTIFICALE POUR LA VIE,

ET À LA JOURNÉE COMMÉMORATIVE DU CINQUIÈME ANNIVERSAIRE DE L'ENCYCLIQUE "EVANGELIUM VITAE"

Lundi 14 février 2000


Monsieur le Cardinal,
Vénérés frères dans l'épiscopat et dans le sacerdoce,
Mesdames et Messieurs!

1. Je désire tout d'abord remercier le Conseil pontifical pour la Famille, le Conseil pontifical pour la Pastorale des Services de la Santé et l'Académie pontificale pour la Vie d'avoir conçu et organisé cette Journée de commémoration pour le cinquième anniversaire de la publication de l'Encyclique Evangelium vitae. Celle-ci se déroule dans le cadre des célébrations de l'Année jubilaire et désire se placer en harmonie de prière avec le Pèlerinage que j'accomplirai en Terre Sainte le mois prochain, pour vénérer les lieux où "le Verbe s'est fait chair" (Jn 1,14).

Je salue le Cardinal Alfonso López Trujillo et je le remercie des sentiments qu'il a manifestés dans l'hommage qu'il ma adressé. Je vous salue également, vous tous qui participez à cette réflexion sur un Document que je considère central dans l'ensemble du Magistère de mon Pontificat et en continuité avec l'esprit de l'Encyclique Humanae vitae du Pape Paul VI, de vénérée mémoire.


2. Dans l'Encyclique Evangelium vitae, dont la publication fut précédée par un Consistoire extraordinaire et par une consultation d'Evêques, je suis parti d'une perspective d'espérance pour l'avenir de l'humanité. J'écrivais: "A tous les membres de l'Eglise, peuple de la vie et pour la vie, j'adresse le plus pressant des appels afin qu'ensemble nous puissions donner à notre monde de nouveaux signes d'espérance, en agissant pour que grandissent la justice et la solidarité, et afin que s'affirme une nouvelle culture de la vie humaine, pour l'édification d'une authentique civilisation de la vérité et de l'amour" (EV 6).

Vie, vérité, amour: des paroles riches de suggestions encourageantes pour l'engagement humain dans le monde. Elles sont enracinées dans le message de Jésus-Christ, qui est Chemin, Vérité et Vie, mais elles sont également imprimées dans le coeur et dans les aspirations de chaque homme et de chaque femme.

L'expérience vécue au sein de la société, à laquelle l'Eglise, avec un élan renouvelé, a apporté son message au cours de ces cinq années, permet de remarquer deux faits: d'une part, la difficulté persistante à laquelle le message se heurte dans un monde qui présente de graves symptômes de violence et de décadence; de l'autre, la valeur immuable de ce même message, et également la possibilité de sa réception sociale là où la communauté des croyants, interpellant également la sensibilité des hommes de bonne volonté, exprime courageusement et de façon unitaire son engagement.


3. Il existe des faits qui prouvent toujours plus clairement que les politiques et les législations contraires à la vie conduisent les sociétés vers la décadence, non seulement morale, mais également démographique et économique. Le message de l'Encyclique peut donc être non seulement présenté comme une véritable et authentique orientation pour la renaissance morale, mais également comme un point de référence pour le salut civil.

Cette sorte de mentalité défaitiste qui porte à considérer que les lois contraires au droit à la vie - les lois qui légalisent l'avortement, l'euthanasie, la stérilisation et la planification des naissances par des méthodes contraires à la vie et à la dignité du mariage - sont inéluctables et sont désormais presque une nécessité sociale, n'a donc pas de raison d'être. Au contraire, celles-ci constituent un germe de corruption de la société et de ses fondements.

La conscience civile et morale ne peut pas accepter cette nature faussement inéluctable, de même qu'elle n'accepte pas l'idée de l'inéluctabilité des guerres ou des exterminations inter-ethniques.


4. Les chapitres de l'Encyclique qui concernent le rapport entre loi civile et loi morale, méritent une grande attention en raison de l'importance croissante qu'ils sont destinés à revêtir dans l'assainissement de la vie sociale. On y demande aux pasteurs, aux fidèles, aux hommes de bonne volonté, en particulier s'ils sont législateurs, un engagement renouvelé et unanime pour modifier des lois injustes qui légitiment ou tolèrent ces violences.

On doit tout tenter pour éliminer le délit légalisé de l'avortement ou tout au moins pour limiter les effets néfastes de telles lois, en conservant vivante la conscience du devoir radical de respecter le droit à la vie, de la conception à la mort naturelle, de tout être humain, fusse-t-il le dernier et le moins pourvu.


5. Mais un autre domaine très vaste d'engagement en défense de la vie s'ouvre à l'esprit d'entreprise de la communauté des croyants: il s'agit du domaine pastoral et éducatif, sur lequel s'arrête la quatrième partie de l'Encyclique, en traçant des indications concrètes pour l'édification d'une nouvelle culture de la vie. Au cours de ces cinq années, de nombreuses initiatives ont été lancées dans les diocèses et dans les paroisses, mais beaucoup reste encore à faire.

Une pastorale de la vie authentique ne peut pas uniquement être déléguée à des mouvements spécifiques, bien que dignes d'éloges, qui agissent dans le domaine socio-politique. Elle doit toujours demeurer une partie intégrante de la pastorale ecclésiale, à laquelle revient la tâche d'annoncer l'"Evangile de la vie". Afin que cela ait lieu de façon efficace, il est important de mettre en oeuvre des projets éducatifs appropriés ainsi que des services et des structures concrets d'accueil.

Cela suppose tout d'abord la préparation des agents de pastorale dans les séminaires et dans les Instituts de théologie; cela requiert ensuite l'enseignement intègre et unanime de la morale dans les diverses formes de catéchèse et de formation des consciences; enfin, cela se concrétise par la mise en place de services qui pourront permettre à toutes les personnes en difficulté de trouver l'aide nécessaire.

A travers une action éducative commune dans les familles et dans les écoles, on cherchera à faire en sorte que les services prennent une valeur de "signe" et de message. De même que la communauté a besoin de lieux de culte, elle doit ressentir le besoin d'organiser, surtout au niveau diocésain, des services éducatifs et actifs pour le soutien à la vie humaine, des services qui doivent être le fruit de la charité et un signe de vitalité.


6. La modification des lois ne peut manquer d'être précédée et accompagnée par la modification des mentalités et des coutumes à grande échelle, de façon ramifiée et visible. Dans ce domaine, l'Eglise tentera tout ce qui est en son pouvoir et elle ne pourra pas accepter des négligences ou des silences coupables.

Je m'adresse en particulier aux jeunes qui sont sensibles au respect des valeurs du corps et tout d'abord à la valeur même de la vie conçue: qu'ils soient les premiers artisans et bénéficiaires du travail qui sera effectué dans le contexte de la pastorale de la vie.

Je renouvelle ensuite l'appel que j'ai adressé à toute l'Eglise dans l'Encyclique: aux scientifiques et aux médecins, aux éducateurs et aux familles ainsi qu'à ceux qui travaillent dans les moyens de communication sociale et, en particulier, aux responsables du droit et aux législateurs. Ce sera grâce à l'engagement de tous que le droit à la vie pourra trouver une application concrète, dans ce monde dans lequel les biens nécessaires, s'ils sont bien distribués, ne manquent pas. Ce n'est qu'ainsi que l'on surmontera cette sorte de sélection silencieuse et cruelle qui fait que les plus faibles sont injustement éliminés.

Que chaque personne de bonne volonté se sente appelée à se mobiliser pour cette grande cause. Qu'elle soit soutenue par la conviction que chaque pas accompli en défense du droit à la vie, et en promouvant celui-ci de façon concrète, est un pas vers la paix et la civilisation.

Confiant dans le fait que cette commémoration pourra susciter un nouvel élan concret d'engagement en défense de la vie humaine et en vue de la diffusion de la culture de la vie, j'invoque sur vous tous et sur ceux qui travaillent avec vous dans ce délicat secteur, l'intercession de Marie, "Aurore du monde nouveau, Mère des vivants" (Evangelium vitae, EV 105) et je vous donne de tout coeur ma Bénédiction apostolique.



AUX PARTICIPANTS AU JUBILÉ DES ARTISTES

18 février 2000


  Monsieur le Cardinal,
Vénérés frères dans l'épiscopat et le sacerdoce,
Très chers Frères et Soeurs!

1. C'est avec une grande joie que je vous rencontre dans cette Basilique, à laquelle ont travaillé certains des plus grands génies de l'architecture et de la sculpture. Soyez les bienvenus! Je salue le Cardinal Roger Etchegaray, qui a présidé la célébration de la Messe. Je salue en même temps l'Archevêque Francesco Marchisano, Président de la Commission pontificale pour les Biens culturels de l'Eglise, ainsi que les autres prélats et prêtres. Je salue également les représentants des Autorités civiles intervenus ainsi que les artistes présents. J'exprime à tous mon appréciation pour cet intense témoignage de foi. Chers amateurs d'art, personne autant que vous ne peut se sentir ici chez lui, en ce lieu où foi et art se rencontrent de façon si singulière, nous élevant à la contemplation de la gloire divine.

Vous venez d'en faire l'expérience au cours de la célébration eucharistique, coeur de la vie ecclésiale. Si, comme l'a dit le Concile, "dans la liturgie terrestre nous participons par un avant goût à cette liturgie céleste" (Sacrosanctum concilium SC 8), cela acquiert une évidence particulière dans la splendeur de ce temple. Celui-ci nous conduit par la pensée à la Jérusalem céleste, dans laquelle - selon l'expression de l'Apocalypse - les fondements sont "rehaussés de pierreries de toute sorte" (Ap 21,19), et il n'y a plus besoin de la lumière du soleil et de la lune car "la gloire de Dieu l'a illuminée, et l'Agneau lui tient lieu de flambeau" (Ap 21,23).


2. Je suis heureux de vous renouveler aujourd'hui les sentiments d'estime que j'ai exprimés l'an dernier dans ma Lettre aux Artistes. Il est temps de renouer l'alliance féconde entre Eglise et art, qui a profondément marqué le chemin du christianisme au cours de ces deux millénaires. Cela suppose votre capacité, chers artistes croyants, de vivre profondément la réalité de la foi chrétienne, afin qu'elle soit source de culture et qu'elle donne au monde de nouvelles "épiphanies" de la beauté divine, reflétée dans la création.

C'est précisément pour exprimer votre foi que vous êtes ici aujourd'hui. Vous êtes venus pour célébrer le Jubilé. Qu'est-ce que cela signifie, en ultime analyse, sinon tourner le regard sur le visage du Christ, pour recevoir sa miséricorde et se laisser inonder par sa lumière? Le Jubilé est le Christ! C'est lui notre salut et notre joie, c'est lui notre chant et notre espérance. Celui qui entre dans cette Basilique à travers la Porte Sainte, le rencontre avant tout en élevant le regard vers la Pietà de Michel-Ange, en mêlant presque le regard avec celui de Marie, qui embrasse le corps sans vie de son Fils. Ce corps martyrisé, mais doux, du "plus beau des enfants des hommes" (Ps 45 [44], 3), est source de vie. Marie, figure de l'humanité nouvelle, elle-même sauvée, le confie à chacun de nous comme semence de résurrection. En effet, comme nous l'enseigne l'Apôtre Paul, "nous avons donc été ensevelis avec lui par le baptême dans la mort, afin que, comme le Christ est ressuscité des morts par la gloire du Père, nous vivions nous aussi dans une vie nouvelle" (Rm 6,4).


3. Le Jubilé nous demande d'accueillir cette grâce de résurrection afin qu'elle pénètre dans tous les plis de notre vie, la guérissant non seulement du péché, mais également des traces qu'il laisse en nous, même après que nous nous soyons réconciliés avec Dieu. Il s'agit, dans un certain sens, de "sculpter" la pierre de notre coeur, afin qu'apparaissent les traits du Christ, l'Homme Nouveau.
L'Artiste qui peut faire cela en profondeur est l'Esprit Saint. Toutefois, il requiert notre participation et notre docilité. La conversion du coeur est, pour ainsi dire, une oeuvre d'art commune de l'Esprit et de notre liberté. Vous, artistes, habitués à modeler les matières les plus diverses selon la fantaisie de votre génie, savez combien l'effort quotidien pour améliorer sa propre existence ressemble à l'effort artistique. Comme je l'écrivais dans la Lettre qui vous est consacrée, "dans la "création artistique", l'homme se révèle plus que jamais "image de Dieu", et il réalise cette tâche avant tout en modelant la merveilleuse "matière" de son humanité, et aussi en exerçant une domination créatrice sur l'univers qui l'entoure" (Lettre aux Artistes, n. 1). Il existe une analogie singulière entre l'art de se former soi-même et celui qui se déploie dans la transformation de la matière.


4. Dans l'une et l'autre tâche, le point de départ est toujours un don qui vient d'en-haut. Si la création artistique a besoin d'une "inspiration", le chemin spirituel a besoin de la grâce, qui est le don à travers lequel Dieu se communique lui-même, entourant d'amour notre vie et éclairant nos pas, frappant à notre coeur, jusqu'à l'habiter et en faire le temple de sa sainteté: "Si quelqu'un m'aime, il gardera ma parole, et mon père l'aimera et nous viendrons vers lui et nous nous ferons une demeure chez lui" (Jn 14,23).

Ce dialogue avec la grâce engage surtout sur le plan éthique, mais touche toutes les dimensions de notre existence, et acquiert une expression particulière dans l'exercice du talent artistique. Dans votre esprit, Dieu se laisse entrevoir à travers la fascination et la nostalgie de la beauté. En effet, il ne fait aucun doute que l'artiste vit avec la beauté une relation particulière et l'on peut même dire que la beauté est "la vocation qui lui a été adressée par le Créateur" (Lettre aux Artistes, n. 10). Si l'on est capable de cueillir dans les multiples manifestations de la beauté un rayon de la beauté suprême, alors, l'art devient une voie vers Dieu, et pousse l'artiste à conjuguer son talent créateur avec l'engagement vers une vie simple plus conforme à la loi divine. Parfois, c'est précisément la confrontation entre la splendeur de la réalisation artistique et la pesanteur du propre coeur qui peut réveiller l'inquiétude salutaire, qui fait ressentir le désir de dépasser la médiocrité et de commencer une vie nouvelle, ouverte avec générosité à l'amour de Dieu et des frères.


5. C'est alors que notre humanité s'élève vers le haut, dans une expérience de liberté et, je dirais même, d'infini comme celle que Michel-Ange nous inspire encore dans la coupole qui domine et couronne ce temple tout à la fois. Vue de l'extérieur, elle semble dessiner une incurvation du ciel sur la communauté recueillie en prière, comme pour symboliser l'amour avec lequel Dieu se fait proche d'elle. Contemplée de l'intérieur, dans son élan vertigineux vers le haut, elle évoque au contraire la fascination et l'effort de l'élévation vers la pleine rencontre avec Dieu.

C'est précisément à cette élévation, chers artistes, que vous appelle la célébration jubilaire d'aujourd'hui. Elle est une invitation à pratiquer l'"art" splendide de la sainteté. S'il semble trop difficile, soyez réconfortés par la pensée que sur ce chemin, nous ne sommes pas seuls: la grâce nous soutient également à travers l'accompagnement ecclésial, avec lequel l'Eglise se fait mère pour chacun de nous, obtenant de l'Epoux divin une surabondance de miséricorde et de dons. N'est pas là le sens de la "Mater Ecclesiae", que le Bernin a évoqué de façon efficace dans l'étreinte solennelle de la colonnade? Ces bras majestueux sont toujours des bras maternels, qui s'ouvrent à l'humanité tout entière. Accueilli en eux, chaque membre de l'Eglise peut se sentir renforcé dans son pas de pèlerin, en chemin vers la patrie.

Notre réflexion revient ainsi à son point de départ, à la splendeur de la Jérusalem céleste, à laquelle nous aspirons comme peuple de Dieu en pèlerinage.

Je vous souhaite, chers artistes, de vous sentir toujours attirés par cette splendeur et, pour soutenir votre engagement, je vous donne de tout coeur ma Bénédiction apostolique.



AUX PARTICIPANTS AU JUBILÉ DES DIACRES PERMANENTS

Samedi 19 février 2000



  Messieurs les Cardinaux,
Vénérés frères dans l'épiscopat et dans le sacerdoce,
Très chers diacres et vos familles!

1. C'est avec une grande joie que je vous rencontre à l'occasion de ce rendez-vous jubilaire significatif. Je salue le Préfet de la Congrégation pour le Clergé, le Cardinal Darío Castrillón Hoyos, ainsi que ses collaborateurs, qui ont organisé ces intenses journées de prière et de fraternité. Je salue les Cardinaux et les prélats réunis ici. Je vous salue en particulier, très chers diacres permanents, ainsi que vos familles et tous ceux qui vous ont accompagnés au cours de ce pèlerinage sur les tombes des Apôtres.

Vous êtes venus à Rome pour célébrer votre Jubilé: je vous accueille avec affection! Cette occasion est plus que jamais opportune pour approfondir la signification et la valeur de votre identité stable et non passagère de personnes ordonnées, non pas au sarcerdoce, mais au diaconat (cf. Conc. oecum. Vatican II, Lumen gentium, LG 29). En tant que ministres du Peuple de Dieu, vous êtes appelés à oeuvrer à travers l'action liturgique, l'activité didactique et catéchétique, et le service de la charité en communion avec l'Evêque et le prêtre. Cette année de grâce singulière qu'est le Jubilé, vise à vous faire redécouvrir de façon encore plus radicale la beauté de la vie dans le Christ. La vie en Lui, qui est la Porte Sainte!


2. En effet, le Jubilé est un temps fort pour opérer une vérification et une purification intérieures, mais également pour retrouver le caractère missionnaire qui est inscrit dans le mystère même du Christ et de l'Eglise. Celui qui croit que le Christ Seigneur est le chemin, la vérité et la vie, celui qui sait que l'Eglise est son prolongement dans l'histoire, celui qui fait l'expérience personnelle de tout cela ne peut manquer de devenir, en vertu de cela même, un ardent missionnaire. Chers diacres, soyez des apôtres actifs de la nouvelle évangélisation. Apportez à tous le Christ! Grâce à votre engagement également, que son Royaume s'étende dans votre famille, dans votre milieu de travail, dans votre paroisse, dans votre diocèse, dans le monde entier!

La mission, tout au moins en ce qui concerne l'intention et la passion que l'on y consacre, doit remplir le coeur des ministres sacrés et les pousser jusqu'au don total d'eux-mêmes. Ne vous arrêtez devant rien, persévérez dans la fidélité au Christ, en suivant l'exemple du diacre Laurent, dont vous avez voulu que soit présente ici, en cette occasion, la vénérée et noble relique.
A notre époque également, les personnes que Dieu appelle à un martyre cruel ne manquent pas; mais beaucoup plus nombreux sont, pourtant, les croyants soumis au "martyre" de l'incompréhension. Que votre âme ne se trouble pas en raison de la difficulté et des contrastes mais, au contraire, qu'elle croisse dans la confiance en Jésus qui a racheté les hommes à travers le martyre de la Croix.


3. Chers diacres, acheminons-nous dans le nouveau millénaire avec toute l'Eglise, qui pousse ses fidèles à se purifier, dans le repentir des erreurs, des infidélités, des incohérences, des retards (cf. Lettre apost. Tertio millennio adveniente TMA 33). Les premiers à offrir l'exemple ne peuvent manquer d'être les ministres ordonnés: Evêques, prêtres, diacres. Cette purification, ce repentir, doivent se comprendre surtout en référence à chacun de nous personnellement. Ce sont nos consciences de ministres sacrés oeuvrant en cette époque qui sont interpellées en premier lieu.

Face à la Porte Sainte, nous ressentons la nécessité de "sortir" de notre terre égoïste, de nos doutes, de nos infidélités, et nous ressentons l'invitation urgente à "entrer" dans la terre sainte de Jésus, qui est la terre de la pleine fidélité à l'Eglise une, sainte, catholique et apostolique. Dans notre âme retentissent les paroles du divin Maître: "Venez à moi, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau, et moi je vous soulagerai" (Mt 11,28).

Chers diacres, certains de vous sont peut-être fatigués par les lourdes tâches, par la frustration à la suite d'initiatives apostoliques manquées, par l'incompréhension de nombreuses personnes. Ne perdez pas courage! Abandonnez-vous dans les bras du Christ: Il vous soulagera. Que cela soit votre Jubilé: un pèlerinage de conversion à Jésus.


4. Très chers diacres, fidèles en tout au Christ, vous serez également fidèles aux divers ministères que l'Eglise vous confie. Comme votre service à la Parole et à la catéchèse est précieux! Que dire, ensuite, de la diaconie de l'Eucharistie, qui vous met en contact étroit avec l'autel du sacrifice dans le service liturgique?

En outre, vous vous engagez à juste titre à vivre de façon inséparable le service liturgique avec celui de la charité dans ses expressions concrètes. Cela fait apparaître avec évidence la façon dont le signe de l'amour évangélique ne peut être réduit à des catégories de pure solidarité, mais se place comme une conséquence cohérente du mystère eucharistique.

En vertu du lien sacramentel, qui vous lie aux évêques et aux prêtres, vous vivez pleinement la communio ecclésiale. La fraternité diaconale dans votre diocèse, tout en ne constituant pas une réalité structurelle analogue à celle des prêtres, vous pousse à partager la sollicitude des pasteurs. De l'identité diaconale jaillissent avec clarté tous les traits de votre spiritualité spécifique, qui se présente essentiellement comme une spiritualité de service.


5. Très chers amis, le Jubilé est un temps propice pour restituer à cette identité et à cette spiritualité sa physionomie originelle et authentique, afin de renouveler intérieurement et de mobiliser toute les énergies apostoliques.

La question du Christ: "Mais le Fils de l'homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur terre?" (Lc 18,8), résonne avec une éloquence particulière en cette fête jubilaire.

La foi doit être transmise, communiquée. Votre devoir consiste également à faire partager aux jeunes générations l'Evangile unique et immuable du salut, afin que l'avenir soit riche d'espérance pour tous.

Que la Sainte Vierge vous soutienne dans votre mission. Je vous accompagne par ma Bénédiction apostolique, que je vous donne de tout coeur, ainsi qu'à vos épouses, vos enfants et à tous les diacres qui servent l'Evangile dans toutes les parties du monde.







LORS DE LA CÉRÉMONIE D'ARRIVÉE À L'AÉROPORT INTERNATIONAL DU CAIRE

Jeudi 24 février 2000,




Monsieur le Président,
Béatitude, Patriarche Stephanos,
Grand Cheikh Mohammed Sayed Tantawi,
Cher peuple égyptien,
As salámû aláikum - La paix soit avec vous!

1. Cela fait de nombreuses années que j'attendais de célébrer le 2.000e anniversaire de la naissance de Jésus-Christ en visitant et en priant dans les lieux spécialement liés aux interventions de Dieu dans l'histoire. Mon pèlerinage jubilaire me conduit aujourd'hui en Egypte. Merci, Monsieur le Président, pour avoir permis ma venue ici, ainsi que ma visite aux lieux où Dieu a révélé son nom à Moïse et a donné sa Loi en signe de sa grande miséricorde et bonté envers ses créatures. J'apprécie profondément vos cordiales paroles de bienvenue.

Cette terre est celle d'une civilisation âgée de cinq mille ans, célèbre dans le monde entier pour ses monuments et pour sa connaissance des mathématiques et de l'astronomie. C'est la terre où différentes cultures se sont rencontrées et mêlées, rendant l'Egypte célèbre pour sa sagesse et son savoir.


2. A l'époque chrétienne, la ville d'Alexandrie, où l'Eglise fut établie par le disciple de Pierre et Paul, l'Evangéliste Marc, fut le berceau d'écrivains ecclésiastiques célèbres, comme Clément et Origène, et de grands Pères de l'Eglise, tels qu'Athanase et Cyrille. La gloire de sainte Catherine d'Alexandrie continue à se refléter dans la dévotion chrétienne et dans le nom de nombreuses églises partout dans le monde. L'Egypte, à travers les saints Antoine et Pacôme, fut le berceau du monachisme, qui a joué un rôle essentiel dans la préservation des traditions spirituelles et culturelles de l'Eglise.

L'avènement de l'Islam a apporté des splendeurs d'art et de science qui ont eu une influence déterminante sur le monde arabe et sur l'Afrique. Pendant des siècles, le peuple d'Egypte a poursuivi l'idéal de l'unité nationale. Les différences de religion n'ont jamais représenté un obstacle, mais une forme d'enrichissement mutuel au service de l'unique communauté nationale. Je me souviens bien des paroles du Pape Chenouda III: "L'Egypte n'est pas la terre natale dans laquelle nous vivons, mais la terre natale qui vit en nous".


3. L'unité et l'harmonie de la nation représentent une valeur précieuse que tous les citoyens devraient préserver, et que les dirigeants politiques et religieux doivent continuellement promouvoir dans la justice et le respect des droits de tous. Monsieur le Président, chacun connaît votre engagement personnel à la paix dans votre pays et dans tout le Moyen-Orient. Vous avez contribué à faire progresser le processus de paix dans la région. Tous les hommes et les femmes honnêtes apprécient les efforts accomplis jusqu'à présent, et espèrent que la bonne volonté et la justice prévaudront, afin que tous les peuples de cette unique région du monde voient leurs droits respectés et leurs aspirations légitimes réalisées.

Ma visite au monastère Sainte-Catherine, au pied du Mont Sinaï, représentera un moment d'intense prière pour la paix et pour l'harmonie interreligieuse. Faire le mal, promouvoir la violence et le conflit au nom de la religion, est une terrible contradiction et une profonde offense à Dieu. Mais l'histoire passée et présente nous montre de nombreux exemples d'un tel abus de la religion. Nous devons tous oeuvrer pour renforcer l'engagement croissant en faveur du dialogue interreligieux, qui est un profond signe d'espérance pour les peuples du monde.

As-salámû aláikum - La paix soit avec vous!
Tel est mon salut à vous tous. Telle est la prière que j'offre à l'Egypte et à tout son peuple.
Puisse le Dieu Très-Haut combler votre pays d'harmonie, de paix et de prospérité.



Discours 2000 - Lundi 7 février 2000