Discours 2001 - Vendredi 26 avril 2001


AUX PARTICIPANTS À L'ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE DE L'ACADÉMIE PONTIFICALE DES SCIENCES SOCIALES

Vendredi 27 avril 2001



Mesdames et messieurs de l'Académie pontificale des Sciences sociales,

1. Votre Président vient d'exprimer sa joie d'être ici au Vatican pour soulever un sujet de préoccupation à la fois pour les sciences sociales et pour le Magistère de l'Eglise. Je vous remercie, Monsieur le Professeur Malinvaud, de vos aimables paroles, et je vous remercie tous pour l'aide que vous apportez avec générosité à l'Eglise dans vos domaines de compétence. A l'occasion de la VIIème session plénière de l'Académie, vous avez décidé de réfléchir plus en profondeur sur le thème de la mondialisation, en prêtant une attention particulière à ses implications éthiques.

Depuis la chute du système collectiviste en Europe centrale et orientale, et ses conséquences importantes pour le Tiers-Monde, l'humanité est entrée dans une nouvelle phase dans laquelle l'économie de marché semble avoir conquis presque le monde entier. Cela a entraîné non seulement une interdépendance croissante des économies et des systèmes sociaux, mais également une diffusion de nouvelles idées philosophiques et éthiques fondées sur les nouvelles conditions de travail et de vie actuellement introduites dans presque toutes les parties du monde. L'Eglise examine attentivement ces nouveaux faits à la lumière des principes de sa doctrine sociale. Pour ce faire, elle a besoin d'approfondir sa connaissance objective de ces phénomènes nouveaux. C'est pourquoi, l'Eglise compte sur votre travail pour offrir des éclaircissements qui permettront de mieux comprendre les questions éthiques que comporte le processus de mondialisation.


2. La mondialisation du commerce est un phénomène complexe et qui évolue rapidement. Sa première caractéristique est l'élimination croissante des barrières qui font obstacle à la mobilité des personnes, des capitaux et des biens. Elle incarne une sorte de triomphe du marché et de sa logique, qui apporte en retour de rapides changements dans les systèmes sociaux et les cultures. De nombreuses personnes, en particulier les personnes défavorisées, ressentent ce phénomène comme quelque chose qui leur a été imposé, plutôt que comme un processus auquel ils peuvent prendre part de façon active.

Dans mon Encyclique Centesimus annus, j'ai souligné que l'économie de marché est un moyen de répondre de façon adéquate aux besoins économiques des personnes, tout en respectant leur libre initiative, mais qu'elle devait être contrôlée par la communauté, le corps social avec son bien commun (cf. CA CA 34,58). A présent que le commerce et les communications ne sont plus limités aux frontières d'un pays, c'est le bien commun universel qui exige que les mécanismes de contrôle accompagnent la logique inhérente au marché. Cela est essentiel afin d'éviter de réduire toutes les relations sociales à des facteurs économiques et de protéger ceux qui sont victimes de nouvelles formes d'exclusion ou de marginalisation.

La mondialisation n'est, a priori, ni bonne, ni mauvaise. Elle sera ce que les personnes font d'elle. Aucun système n'est une fin en soi, et il est nécessaire d'insister pour que la mondialisation, comme tout autre système, soit au service de la personne humaine; elle doit servir la solidarité et le bien commun.


3. L'une des préoccupations de l'Eglise en ce qui concerne la mondialisation est que celle-ci est rapidement devenue un phénomène culturel. Le marché, en tant que mécanisme d'échange, est devenu l'instrument d'une nouvelle culture. De nombreux observateurs ont noté le caractère d'intrusion, et même d'invasion de la logique du marché, qui réduit de plus en plus l'espace disponible à la communauté humaine pour l'action volontaire et publique à tout niveau. Le marché impose sa façon de penser et d'agir, et impose son échelle de valeurs sur le comportement. Ceux qui en sont l'objet considèrent souvent la mondialisation comme un flot destructeur qui menace les normes sociales qui les ont protégés et les points de référence culturels qui leur ont donné une orientation dans la vie.

Dans les faits, les mutations technologiques dans les relations professionnelles sont trop fréquentes pour que les cultures soient en mesure d'y répondre. Les garanties sociales, légales et culturelles - qui sont le résultat des efforts des personnes pour défendre le bien commun - sont d'une nécessité vitale si l'on veut que les personnes et les groupes intermédiaires maintiennent leur centralité. Mais la mondialisation risque souvent de détruire ces structures soigneusement édifiées, en exigeant l'adoption de nouveaux modes de travail, de vie et d'organisation des communautés. De même, à un autre niveau, l'utilisation des découvertes accomplies dans le domaine biomédical tend à prendre de court les législateurs. La recherche elle-même est souvent financée par les groupes privés et ses résultats sont commercialisés avant même que le processus de contrôle social ait la possibilité de réagir. Nous assistons ici à une croissance prométhéenne du pouvoir sur la nature humaine, au point que le code génétique humain lui-même est mesuré en termes de coûts et de bénéfices. Toutes les sociétés reconnaissent le besoin de contrôler ces développements et de garantir que ces nouvelles pratiques respectent les valeurs humaines fondamentales et le bien commun.


4. L'affirmation de la priorité de l'éthique correspond à une exigence essentielle de la personne et de la communauté humaine. Mais toutes les formes éthiques ne sont pas dignes de ce nom. Nous assistons à l'apparition de modèles de pensée éthique qui sont des sous-produits de la mondialisation elle-même et qui portent la marque de l'utilitarisme. Toutefois, les valeurs éthiques ne peuvent être dictées par les innovations technologiques, l'ingénierie ou l'efficacité; elles sont fondées sur la nature même de la personne humaine. L'éthique ne peut être la justification ou la légitimation d'un système, mais plutôt la garantie de tout ce qui est humain dans un système. L'éthique exige que les systèmes soient adaptés aux besoins de l'homme, et non que l'homme soit sacrifié au nom du système. Une conséquence évidente de cela est que les comités éthiques, désormais présents dans presque tous les domaines, devraient être totalement indépendants des intérêts financiers, des idéologies et des opinions politiques partisanes.

L'Eglise, pour sa part, continue à affirmer que le discernement éthique dans le cadre de la mondialisation doit être fondé sur deux principes inséparables:

- Premièrement, la valeur inaliénable de la personne humaine, source de tous les droits humains et de tout ordre social. L'être humain doit toujours être une fin et non un moyen, un sujet et non un objet, ni un bien commercial.

- Deuxièmement, la valeur des cultures humaines, qu'aucun pouvoir externe n'a le droit de minimiser, ni encore moins de détruire. La mondialisation ne doit pas être un nouveau type de colonialisme. Elle doit respecter la diversité des cultures qui, au sein de l'harmonie universelle des  peuples, constituent une clé d'interprétation de la vie. En particulier, elle ne doit pas priver les pauvres de ce qui leur reste de plus précieux, y compris leurs croyances et leurs pratiques religieuses, étant donné que les convictions religieuses authentiques expriment la manifestation la plus vraie de la liberté humaine.

Tandis que l'humanité entame le processus de mondialisation, elle ne peut se passer d'un code éthique commun. Cela ne signifie pas un unique système socio-économique ou une unique culture dominants, qui imposeraient leurs valeurs et critères sur la raison éthique. C'est dans l'homme en tant que tel, dans l'humanité universelle qui jaillie de la main du Créateur que les normes de la vie sociale doivent être recherchées. Cette recherche est indispensable afin que la mondialisation ne soit pas qu'un autre nom pour le relativisme absolu des valeurs et l'homogénéisation des modes de vie et des cultures. Dans toutes les variétés des formes culturelles, les valeurs humaines universelles existent et elles doivent être présentées et mises en évidence comme la force directrice de tout développement et progrès.


5. L'Eglise continuera à oeuvrer avec toutes les personnes de bonne volonté afin de garantir que le bénéficiaire de ce processus sera l'humanité tout entière, et pas seulement une élite prospère contrôlant la science, la technologie, la communication et les ressources de la planète au détriment de la très grande majorité de ses habitants. L'Eglise souhaite sincèrement que tous les éléments créatifs de la société coopèrent en vue de la promotion de la mondialisation qui sera au service de toute la personne et de toutes les personnes.

Avec ces pensées, je vous encourage à continuer de rechercher une compréhension toujours plus profonde de la réalité de la mondialisation, et en signe de ma proximité spirituelle, j'invoque cordialement sur chacun de vous les Bénédictions de Dieu tout-puissant.


LORS DE LA PRÉSENTATION DES LETTRES DE CRÉANCE DU NOUVEL AMBASSADEUR D'IRAK

Samedi 28 avril 2001



Monsieur l'Ambassadeur,

Je suis heureux de vous accueillir au Vatican et d'accepter les Lettres qui vous accréditent comme Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la République d'Irak près le Saint-Siège. Je désire vous assurer de mon estime pour le peuple irakien, que je rappelle tous les jours dans mes prières, en particulier à la lumière des difficultés continuelles auxquelles il doit faire face. Tandis que l'embargo dans votre pays continue de provoquer des victimes, je renouvelle mon appel à la Communauté internationale afin qu'elle évite que des personnes innocentes ne paient les conséquences d'une guerre destructrice, dont les effets sont encore ressentis par ceux qui sont les plus faibles et les plus vulnérables.

Monsieur l'Ambassadeur, vous avez mentionné la présence du Saint-Siège au sein de la Communauté internationale, ainsi que ses efforts au service de la famille humaine partout dans le monde. En effet, le Saint-Siège recherche une "saine coopération" (Constitution pastorale sur l'Eglise dans le monde de ce temps Gaudium et spes GS 76) entre l'Eglise et la communauté politique, qui serve les personnes, les peuples, les nations et le monde tout entier. En effet, le monde d'aujourd'hui, bien que tristement frappé dans de nombreuses régions du monde par les tensions, la violence et les conflits armés, recherche une plus grande égalité et stabilité afin que toute la famille humaine puisse vivre dans la véritable justice et une paix durable. Il ne s'agit pas de concepts abstraits ou d'idéaux lointains, mais de valeurs qui habitent le coeur de chaque individu et nation, et auxquelles tous les peuples ont droit.

C'est précisément la poursuite de cette justice et de cette paix qui est la force motrice de toute l'activité du Saint-Siège dans le domaine de la diplomatie internationale. Alors que la situation mondiale actuelle - avec les maladies, la pauvreté, les injustices et la guerre qui provoquent encore de nombreuses souffrances et difficultés - pourrait faire douter de la capacité de la Communauté internationale à guérir les maux du monde, le Saint-Siège croit fermement, comme j'ai eu l'occasion de le souligner au début de cette année, que, "sans la solidarité sociale ou le recours aux droits et aux instruments de la diplomatie, ces terribles situations seraient encore plus dramatiques et pourraient même devenir insolubles" (Discours au Corps diplomatique accrédité près le Saint-Siège, 13 janvier 2001, n. 1; cf. ORLF n. 3 du 16 janvier 2001).

Des milliers d'années d'histoire humaine ont clairement montré que l'humanité a toujours été tentée d'édifier un monde de "fermeture de l'homme sur lui-même dans une attitude de suffisance, de domination, de puissance et d'orgueil" (ibid., n. 6). Le Saint-Siège considère donc comme l'un de ses principaux devoirs de rappeler à l'opinion publique qu'"aucune autorité, aucun programme politique, aucune idéologie n'est habilité à réduire l'homme à ce qu'il est capable de faire ou de produire" (ibid., n. 7). Les droits inaliénables et la dignité personnelle de chaque être humain doivent être soutenus, la dimension transcendantale de la personne humaine doit être défendue. "Même si certains répugnent à évoquer la dimension religieuse de l'homme et de son histoire, même si d'autres voudraient réduire la religion à la sphère du privé, même si d'autres encore persécutent les communautés de croyants, les chrétiens continueront de proclamer que l'expérience religieuse fait partie de l'expérience humaine. Elle est un élément vital pour la construction de la personne et de la société à laquelle les hommes appartiennent" (Ibid.).

Dans ce contexte, mes pensées se tournent naturellement vers les membres de la communauté catholique irakienne. Avec leurs concitoyens musulmans, les chrétiens irakiens veulent oeuvrer pour l'unité et l'harmonie. Leur foi chrétienne et leurs valeurs les invitent à cultiver un esprit de respect mutuel, avec un sens de fierté pour leur identité nationale et une préoccupation pour le progrès de leur pays. En Irak, comme dans le monde entier, le dialogue entre les chrétiens et les musulmans est plus nécessaire que jamais. A travers ce dialogue, les croyants pourront répondre de façon positive à l'appel au respect mutuel, au dépassement de toute forme de discrimination et au service du bien commun dans un esprit de fraternité et de compréhension. De la même façon, chaque gouvernement a l'obligation d'assurer que l'égalité de tous les citoyens devant la loi ne soit jamais violée pour des motifs religieux, que ce soit de façon ouverte ou insidieuse.

Monsieur l'Ambassadeur, à travers votre longue expérience et vos hautes qualifications, je suis certain que votre mandat contribuera à renforcer considérablement les liens d'amitié entre votre gouvernement et le Saint-Siège. Je vous présente mes meilleurs voeux pour le succès de votre mission et je vous assure de toute l'assistance possible dans l'accomplissement de vos responsabilités. Sur vous, ainsi que sur le bien-aimé peuple irakien, j'invoque cordialement les nombreuses Bénédictions de Dieu tout-puissant.

 


À L'OCCASION DU CONGRÈS INTERNATIONAL DES ÉCOLES CATHOLIQUES D'EUROPE ORGANISÉ PAR LE COMITÉ EUROPÉEN POUR L’ÉDUCATION CATHOLIQUE

Samedi 28 avril 2001


  Monseigneur,
Chers amis,

1. Je vous souhaite une cordiale bienvenue à l’occasion du Congrès international des Écoles catholiques d’Europe, organisé par le Comité européen pour l’Éducation catholique. M’unissant à vous dans une fervente prière, je souhaite que votre rencontre soit à l’origine de nouvelles prises de conscience du rôle et de la mission spécifiques de l’école catholique dans l’espace historique et culturel européen. Prenant appui sur la richesse de vos traditions pédagogiques, vous êtes invités à chercher avec audace des réponses appropriées aux défis posés par les nouveaux modes de pensée et de comportement des jeunes d’aujourd’hui, afin que l’école catholique soit un lieu d’éducation intégrale, avec un projet éducatif clair qui a son fondement dans le Christ. Le thème de votre Congrès "La mission d’éduquer: témoigner d’un trésor caché" place au centre du projet éducatif de l’école catholique l’exigence fondamentale de tout éducateur chrétien: non seulement transmettre la vérité par des mots, mais en témoigner explicitement par sa propre existence.

Tout en assurant un enseignement scolaire de qualité, l’école catholique propose une vision chrétienne de l’homme et du monde qui offre aux jeunes la possibilité d’un dialogue fécond entre la foi et la raison. De même, il est de son devoir de transmettre des valeurs à assimiler et des vérités à découvrir, "dans la conscience que toutes les valeurs humaines trouvent leur réalisation plénière et par conséquent leur unité dans le Christ" (Congr. pour l’Éducation catholique, Lettre circulaire, 28 décembre 1997, n. 9).

2. Les bouleversements culturels, la mondialisation des échanges, la relativisation des valeurs morales et la préoccupante désintégration du lien familial, engendrent chez de nombreux jeunes une vive inquiétude, qui rejaillit inévitablement sur leurs manières de vivre, d’apprendre et d’envisager leur avenir. Un tel contexte invite les écoles catholiques européennes à proposer un véritable projet éducatif qui permettra aux jeunes non seulement d’acquérir une maturité humaine, morale et spirituelle, mais aussi de s’engager efficacement dans la transformation de la société, avec le souci de travailler à la venue du Règne de Dieu. Ils seront alors en mesure de diffuser dans les cultures et les sociétés européennes, ainsi que dans les pays en voie de développement où l’école catholique peut apporter son concours, le trésor caché de l’Évangile, pour édifier la civilisation de l’amour, de la fraternité, de la solidarité et de la paix.

3. Pour relever les nombreux défis auxquels elles doivent faire face, les communautés éducatives ont à mettre l’accent sur la formation des enseignants, religieux et laïcs, afin qu’ils acquièrent une conscience toujours plus vive de leur mission d’éducateurs, alliant compétence professionnelle et choix librement assumé de témoigner de façon cohérente des valeurs spirituelles et morales, inspirées par le message évangélique de "liberté et de charité" (Gravissimum educationis GE 8). Conscient de la noblesse mais aussi des difficultés d’enseigner et d’éduquer aujourd’hui, j’encourage dans sa mission tout le personnel engagé dans le système éducatif catholique, pour qu’il nourrisse l’espérance des jeunes, avec l’ambition de "proposer simultanément l’acquisition d’un savoir aussi large et profond que possible, l’éducation exigeante et persévérante de la véritable liberté humaine, et l’entraînement des enfants et des adolescents qui lui sont confiés vers l’idéal concret le plus élevé qui soit: Jésus Christ et son message évangélique" (Discours au Conseil de l’Union mondiale des enseignants catholiques, 1983).

L’expérience acquise par les communautés éducatives des écoles catholiques en Europe, dans une "fidélité créatrice" au charisme vécu et transmis par les fondateurs et fondatrices des familles religieuses engagées dans le monde de l’éducation, est irremplaçable. Elle permet d’affiner sans cesse le lien qui unit les intuitions pédagogiques et spirituelles proposées, et leur pertinence pour le développement intégral des jeunes qui en bénéficient. Comment ne pas insister également sur les collaborations étroites qui doivent relier l’école et la famille, en particulier en ces temps où le tissu familial est fragilisé? Quelle que soit la structure scolaire, les parents demeurent les premiers responsables de l’éducation de leurs enfants. Il appartient aux communautés éducatives de stimuler la collaboration, pour que les parents prennent une conscience renouvelée de leur rôle éducatif propre et qu’ils soient assistés dans leur tâche primordiale, mais aussi pour que le projet éducatif et pastoral de l’école catholique soit adapté aux légitimes aspirations des familles.

4. Les écoles catholiques doivent enfin relever un autre défi, qui concerne le dialogue constructif dans la société multiculturelle de notre temps. "L’éducation a une fonction particulière dans la construction d’un monde plus solidaire et plus pacifique. Elle peut contribuer à l’affirmation d’un humanisme intégral, ouvert à la dimension éthique et religieuse, qui sait donner toute l’importance qu’il faut à la connaissance et à l’estime des cultures et des valeurs spirituelles des diverses civilisations" (Message pour la Journée mondiale de la Paix, 8 décembre 2000, n. 20). Ainsi, l’effort manifesté pour accueillir au sein des écoles catholiques des jeunes appartenant à d’autres traditions religieuses doit être poursuivi, sans que cela atténue pour autant le caractère propre et la spécificité catholique des établissements. Tout en permettant l’acquisition de compétences dans le même espace éducatif, cet accueil structure le lien social, favorise une connaissance mutuelle dans une confrontation sereine et permet d’envisager ensemble l’avenir. Ce moyen concret de dépasser la peur de l’autre constitue certainement un pas décisif vers la paix dans la société.

5. Les écoles catholiques en Europe sont aussi appelées à être des communautés dynamiques de foi et d’évangélisation, en relation étroite avec la pastorale diocésaine. En étant au service du dialogue entre l’Église et la communauté des hommes, en s’engageant à promouvoir l’homme dans son intégrité, elles rappellent au peuple de Dieu le centre de sa mission: permettre à tout homme de donner un sens à sa vie en faisant jaillir le trésor caché qui lui est propre, et inviter ainsi l’humanité à entrer dans le projet de Dieu manifesté en Jésus Christ. Confiant la fécondité de votre Congrès à l’intercession de la Vierge Marie, je vous invite à vous laisser instruire par le Christ, accueillant de lui, qui est "le Chemin, la Vérité et la Vie" (Jn 14,6), la force et le goût pour accomplir votre mission exaltante et délicate. À vous tous, organisateurs et participants à ce Congrès, ainsi qu’à vos familles, à tout le personnel de l’enseignement catholique et aux jeunes qu’il accompagne, j’accorde bien volontiers la Bénédiction apostolique.

       

MESSAGE DU SAINT-PÈRE AU SUPÉRIEUR GÉNÉRAL DES FRÈRES DES ÉCOLES CHRÉTIENNES


  Au Frère Alvaro RODRÍGUEZ ECHEVERRIA
Supérieur général des Frères des Écoles chrétiennes

1. A l’occasion du trois cent cinquantième anniversaire du "dies natalis" de saint Jean-Baptiste de La Salle, je suis heureux de m’associer aux Frères des Ecoles chrétiennes et aux personnes qui partagent l’idéal lassalien, rendant grâce pour l’exemple du "Patron spécial des éducateurs de l’enfance et de la jeunesse", qui fonda votre Institut "afin de donner l’éducation chrétienne aux pauvres et de fortifier la jeunesse dans le chemin de la vérité". Le coeur rempli de joie devant les merveilles accomplies par les Frères au long de leur histoire, je vous invite à "retrouver avec courage l’esprit entreprenant, l’inventivité et la sainteté" de votre fondateur (Vita consecrata, VC 37), pour que se fortifie en chacun le désir de répondre avec générosité au charisme de votre famille religieuse.

2. J’ai déjà eu l’occasion de rappeler le génie pédagogique de Jean-Baptiste de La Salle, ainsi que l’importance de votre mission auprès des enfants et des jeunes, notamment des pauvres ou de ceux qui sont en difficulté. Votre idéal, toujours actuel, requiert des disciples qui se laissent modeler par Dieu et qui, remplis d’enthousiasme pour l’éducation et l’évangélisation, sauront proposer à la jeunesse l’espérance chrétienne et des raisons de vivre. En faisant découvrir aux jeunes l’attachante figure de votre fondateur, vous les invitez à faire, à son école, l’expérience d’une rencontre intime avec le Christ et vous les introduisez à ce "regard du coeur porté sur le mystère de la Trinité qui habite en nous, et dont la lumière doit aussi être perçue sur le visage des frères qui sont à nos côtés"(Novo millennio ineunte NM 43).

3. Le secret de Jean-Baptiste de La Salle est la relation intime et vivante qu’il entretint avec le Seigneur dans l’oraison quotidienne, source à laquelle il puisa l’audace inventive qui le caractérise. A l’écoute de Dieu, il reçut les lumières qui peu à peu lui permirent de discerner les urgences de son époque, pour y répondre de manière adaptée. Mus par l’Esprit "qui réside en vous" et qui "doit pénétrer le fond de vos âmes"(Jean-Baptiste de La Salle, Méditations pour tous les dimanches de l’année, n. 62, 3), vous vivrez toujours davantage conformément au don reçu par votre fondateur. Lui qui suppliait ses Frères de vivre en "hommes intérieurs"(Explications de la méthode d’oraison, n. 3), il nous dévoile dans le trésor de ses écrits la dimension contemplative de sa vie, et donc aussi de toute vie chrétienne et missionnaire. A son exemple, renouvelés par leur rencontre personnelle avec le Christ, les Frères seront à même d’annoncer l’Evangile aux jeunes qui leur sont confiés et de les accompagner avec délicatesse dans leur croissance humaine, morale et spirituelle.

4. Je voudrais attirer l’attention des membres de l’Institut sur l’importance du témoignage de la vie fraternelle. Jean-Baptiste de La Salle y voyait un moyen essentiel pour permettre aux Frères d’accomplir au mieux leur mission d’éducation et d’évangélisation. "On doit s’étudier particulièrement à être unis en Dieu et à n’avoir qu’un même coeur et un même esprit ; et ce qui doit le plus y animer est que, comme dit saint Jean, celui qui demeure dans la charité demeure en Dieu et Dieu demeure en lui" (Méditations, n. 113, 3). Appelée à rendre visible le don de fraternité fait par le Christ à l’Eglise, la communauté a le devoir "d’être et d’apparaître comme une cellule d’intense communion fraternelle, signe et stimulant pour tous les baptisés"(La vie fraternelle en communauté, n. 2b). Elle exerce alors un attrait naturel, et la joie de vivre qui en émane, même au milieu des difficultés, devient un témoignage qui donne à la vie religieuse une grande force d’attraction et qui est source de vocations.

5. Dans ce contexte, j’encourage les Frères à faire de leurs maisons des écoles de vie fraternelle, "à développer et à diffuser une authentique spiritualité de la communion"(Novo millennio ineunte, NM 43), y associant les jeunes qui leur sont confiés et les laïcs qui collaborent à leur mission, les aidant tous à découvrir et à partager le charisme de l’Institut. Je me réjouis des initiatives déjà prises, telle la création du "Réseau Lassalien Jeunes", qu’il sera bon de poursuivre et de développer. De là, naît un échange qui permet aux baptisés de découvrir et de vivre pleinement leur vocation spécifique, et aux Frères de rappeler l’exigence de ce "haut degré de la vie chrétienne ordinaire" qu’est la sainteté, avec une "pédagogie de la sainteté qui soit capable de s’adapter aux rythmes des personnes" (Novo millennio ineunte, NM 31), en particulier des jeunes.

6. "Vous n’avez pas seulement à vous rappeler une histoire glorieuse, mais vous avez à construire une grande histoire ! Regardez vers l’avenir, où l’Esprit vous envoie pour réaliser de grandes choses"(Vita consecrata, VC 110). Chers Frères, que cet anniversaire renouvelle votre fidélité au Christ et à l’Evangile ! Pour la famille lassalienne s’ouvre un millénaire dans lequel elle est invitée à s’avancer en "comptant sur le soutien du Christ"(Novo millennio ineunte, NM 58) qui, contemplé et aimé, nous appelle une fois encore à le suivre.

Sur ce chemin, la Vierge très sainte nous accompagne. Je lui ai confié le troisième millénaire et je l’ai invoquée comme l’étoile de la nouvelle évangélisation. Puisse-t-elle aussi accompagner les fils spirituels de saint Jean Baptiste de La Salle et les faire grandir dans la disponibilité et la sainteté, ainsi que dans le service du Christ et de leurs frères ! De grand coeur, vous confiant à l’intercession de votre Fondateur et de tous les saints de votre Institut, j’accorde à tous les Frères la Bénédiction apostolique, que j’étends aux jeunes, aux membres de vos communautés éducatives et à tous ceux qui partagent l’idéal lassalien.

Du Vatican, le 26 avril 2001.

IOANNES PAULUS II


AUX PÈLERINS RÉUNIS POUR LA BÉATIFICATION DE MANUEL GONZÁLEZ GARCÍA, MARIE-ANNE BLONDIN, CATHERINE VOLPICELLI, CATHERINE CITTADINI ET CARLOS MANUEL CECILIO RODRÍGUEZ SANTIAGO

Lundi 30 avril 2001



Très chers frères et soeurs!

1. C'est avec une grande joie que je vous salue et que je vous accueille, vous qui êtes venus à Rome pour honorer les nouveaux bienheureux: Manuel González García, Marie-Anne Blondin, Catherine Volpicelli, Catherine Cittadini et Carlos Manuel Cecilio Rodríguez Santiago. Vous représentez de nombreux pays, comme pour refléter la diffusion du témoignage de ces généreux disciples du Christ, une diffusion qui, par la grâce de Dieu, ne connaît pas de frontières. En effet, l'Eglise exprime pleinement sa mission universelle lors-qu'elle parle le langage de la sainteté, et elle doit plus que jamais adopter ce langage à l'époque contemporaine, où l'Esprit la pousse à une annonce renouvelée de l'Evangile dans chaque lieu de la terre.

[en espagnol]
2. Je vous salue tous avec affection, évêques et pèlerins espagnols qui avez participé avec joie à la béatification de Monseigneur Manuel González García, connu comme "l'évêque des tabernacles abandonnés", fondateur des Missions eucharistiques de Nazareth et des diverses oeuvres visant à diffuser la dévotion eucharistique, si importante pour la spiritualité chrétienne.

Sa vie fut celle d'un pasteur entièrement dévoué à son ministère, qui utilisa tous les moyens à sa disposition: la prédication, la publication d'écrits, la promotion d'institutions pour le développement de la vie chrétienne et, surtout, le témoignage d'une vie exemplaire, dont le message continue à être profondément actuel. En effet, notre existence serait privée d'un élément essentiel si nous n'étions pas les premiers contemplateurs du visage du Christ (cf. Novo millennio ineunte NM 16). Quelle meilleure contemplation du Seigneur pourrait-il exister que de l'adorer et de l'aimer dans le Sacrement de sa présence réelle par excellence? Le culte eucharistique est le centre qui renforce toute la vie chrétienne car les fidèles, en répondant à la requête du Seigneur, "demeurez ici et veillez avec moi" (Mt 26,38), trouvent en Lui la force, le réconfort, la ferme espérance et la charité ardente qui proviennent de la présence mystérieuse et cachée, mais réelle, du Seigneur.

C'est pourquoi je vous encourage tous à imiter le nouveau bienheureux dans sa relation assidue avec le Seigneur-sacrement, en lui présentant les joies et les espérances, les tristesses et les angoisses de l'humanité actuelle (cf. Gaudium et spes GS 1). Dans le même temps, j'encourage les Missionnaires eucharistiques de Nazareth à rester toujours fidèles au charisme de leur Fondateur, en invitant les hommes et les femmes d'aujourd'hui à écouter la voix de Jésus-Christ, le Chemin, la Vérité et la Vie, présent dans le tabernacle.


3. Je désire maintenant saluer le Cardinal Luis Aponte Martínez, Archevêque émérite de San Juan, et les autres évêques de Porto Rico qui, accompagnés par des représentants des Autorités, des prêtres et de nombreux pèlerins, ont participé hier à la cérémonie de béatification de Carlos Manuel Rodríguez Santiago, affectueusement connu sous le nom de Charlie. Né à Caguas, son dévouement au Seigneur prit fin à quarante-quatre ans, après une vie féconde d'apostolat et après avoir supporté avec une grande force les souffrances de la maladie.

La vie de ce nouveau bienheureux fut celle d'un laïc engagé dans la diffusion de l'humanisme chrétien au sein du milieu universitaire. Il accomplit son oeuvre apostolique dans le centre universitaire catholique, en encourageant ses membres à vivre le moment présent, en fidélité au passé et ouvert à l'avenir, en promouvant la diffusion d'une pensée de parfait équilibre chrétien entre le naturel et le surnaturel, entre l'ancien et le moderne.

Vous, laïcs portoricains, avez trouvé dans cette figure sans égale de votre terre, si proche de nous dans le temps, un exemple à imiter. C'est pourquoi, regroupés dans les "Cercles" qui portent son nom, et également guidés par les évêques, vous avez promu sa cause. Je suis heureux de cette initiative qui a atteint son sommet au cours de la cérémonie solennelle d'hier. A présent, proposé officiellement comme modèle de sainteté, il est votre concitoyen qui intercède pour vous du ciel.

[en français]
4. L'existence et l'apostolat de Mère Marie-Anne Blondin témoignent de sa capacité de se laisser saisir par le Christ, pour passer quotidiennement avec lui de la mort à la vie. Dans l'intimité avec le Christ, Mère Marie-Anne Blondin puise non seulement son dynamisme missionnaire, mais aussi la force prophétique pour vivre au quotidien le pardon évangélique. Les moments les plus douloureux de son existence seront transfigurés par sa volonté de pardonner sans cesse au nom du Christ, considérant qu'il y a plus de bonheur à pardonner qu'à se venger. Puisse le témoignage stimulant de Mère Marie-Anne Blondin encourager l'Eglise à porter la paix au monde et à se faire proche de tous les blessés de la vie, en particulier dans les domaines de l'éducation, de la santé, et de l'animation pastorale et sociale, pour témoigner de l'amour que Dieu porte à tout homme et pour annoncer son pardon libérateur, qui réduit à néant toutes les logiques de haine et d'exclusion.

[en italien]
5. Catherine Volpicelli vécut à Naples au cours de la deuxième moitié du XIXème siècle. Elle reçut dans sa famille une solide formation humaine et religieuse et eut l'occasion de rencontrer plusieurs hommes de Dieu, tels que le bienheureux Ludovico da Casoria, le barnabite Leonardo Matera et le bienheureux Bartolo Longo, qui marquèrent profondément son itinéraire spirituel. Son coeur alla en s'élargissant selon les dimensions du Coeur du Christ, dont elle devint le disciple et l'apôtre ardent, cultivant une intense vie eucharistique et l'Apostolat de la Prière.

C'est précisément avec les premières zélatrices de l'Apostolat de la Prière que Catherine fonda l'Institut des Servantes du Sacré-Coeur, qui, après l'approbation de l'Archevêque de Naples, reçut les félicitations et les encouragements de mon prédécesseur Léon XIII. Nourries par un aliment intérieur aussi riche, Catherine et ses consoeurs devinrent de "bonnes samaritaines" dans diverses situations de pauvreté, accomplissant non seulement une oeuvre de philantropie et de bienfaisance, mais témoignant d'une authentique charité évangélique dans un style sobre et discret, solidaire et respectueux des personnes simples et humbles. Son héritage apostolique est un don très précieux pour l'Eglise, dont nous voulons rendre grâce au Seigneur. Puisse un tel patrimoine religieux être conservé et développé par ses filles spirituelles.


6. Je m'adresse à présent à vous, très chers frères et soeurs, qui vous réjouissez pour la béatification de Catherine Cittadini, avec une pensée particulière pour les Soeurs ursulines de San Girolamo à Somasca, qu'elle a fondées.

La grande intuition de cette illustre fille de la terre bergamasque fut d'avoir saisi l'importance de l'école comme moyen fondamental de formation du citoyen et du chrétien. Ainsi, elle a anticipé prophétiquement les orientations du Concile Vatican II, qui, dans la Déclaration sur l'éducation chrétienne Gravissimum educationis à propos de l'Ecole catholique, exhorte "à coordonner l'ensemble de la culture humaine avec le message du salut" (GE 8).

La méthode pédagogique élaborée par la nouvelle bienheureuse est basée sur la connaissance personnelle et sur la relation directe avec les collégiennes. Elle l'indique elle-même à ses institutrices dans l'exhortation contenue dans la Règle: "Qu'elles considèrent comme un bienfait singulier de Dieu de s'occuper d'une charge qui appartient aux anges, et qu'elles s'estiment heureuses et indignes d'être employées à l'instruction des jeunes filles; qu'elles montrent leur désir que ces dernières en tire profit, en rappelant que notre Seigneur dit: ce que vous faites à l'un de ces plus petits de mes frères c'est à moi que vous le faites (ch. XVI, 2).

Je souhaite à chacune de vous, chères Soeurs ursulines de Somasca, et à ceux qui, comme vous, s'inspirent de la spiritualité et de l'exemple de Catherine Cittadini, de poursuivre fidèlement le sillon qu'elle a tracé, pour être des guides sûrs sur le chemin de la foi et dans la formation culturelle des enfants et des jeunes.


7. Très chers frères et soeurs, votre présence pieuse et festive, hier et aujourd'hui, a conféré un plus grand retentissement ecclésial à la proclamation des nouveaux bienheureux. C'est vous qui êtes les premiers imitateurs de ces frères et soeurs, que l'Eglise indique comme modèles de vie évangélique! Invoquez-les dans la prière; approfondissez et faites connaître leur témoignage; imitez-en les vertus. Dans la communion des saints, la foi nous permet de les sentir proches de nous, avec la Vierge Marie, Reine de tous les saints, à laquelle je vous confie, ainsi que vos proches. Avec ces sentiments, je vous bénis tous.

                                      Mai 2001


Discours 2001 - Vendredi 26 avril 2001