Discours 2000 - Vendredi 13 octobre 2000


  JUBILÉ DES FAMILLES

Place Saint Pierre, Samedi 14 octobre 2000



1. C'est avec une grande joie que je vous souhaite la bienvenue, très chères familles, qui êtes venues ici de diverses régions du monde! Je salue également les familles qui, sous tous les cieux, sont à présent en liaison avec nous à travers la radio et la télévision et s'associent à ce Jubilé des Familles.

Je remercie Monsieur le Cardinal Alfonso López Trujillo, Président du Conseil pontifical pour la Famille, pour les paroles qu'il m'a adressées au nom de vous tous. Je salue également les autres Cardinaux et confrères dans l'épiscopat ici présents, ainsi que les prêtres, les religieux et les religieuses qui participent à cette joyeuse rencontre.

J'ai eu récemment la joie d'être pèlerin à Nazareth, le lieu où le Verbe s'est fait chair. Au cours de cette visite, je vous ai tous portés dans mon coeur, en adressant pour vous des prières ferventes à la Sainte Famille, modèle sublime de toutes les familles.

Et c'est précisément le climat spirituel de la Maison de Nazareth que nous voulons revivre ce soir. Le grand espace qui nous réunit, entre la basilique et les colonnades du Bernin, nous sert de maison, une grande maison à ciel ouvert. Ici, réunis comme une véritable famille, en "un seul coeur et une seule âme" (cf. Ac 4,32), nous pouvons ressentir et faire nôtre la sensation douce et intime de cette humble maison, où Marie et Joseph vivaient entre prière et travail, et où Jésus "leur était soumis" (Lc 2,51), prenant part avec gratitude à la vie commune.


2. En regardant la Sainte Famille, vous, époux chrétiens, êtes encouragés à vous interroger sur les devoirs que le Christ vous confie, dans votre vocation merveilleuse et exigeante.

Le thème de votre Jubilé - Les enfants, printemps de la famille et de la société - peut vous offrir des points de réflexion importants. Les enfants ne soumettent-ils pas leurs parents à une sorte d'"examen" permanent? Ils le font non seulement à travers leurs fréquents "pourquoi?", mais aussi à travers l'expression de leur visage, parfois souriant, parfois voilé par la tristesse. C'est comme si dans toute leur façon d'être, était inscrite une interrogation, qui s'exprime des façons les plus diverses, peut-être même à travers des caprices, et que nous pourrions traduire en questions comme: maman, papa, m'aimez-vous? Suis-je véritablement un don pour vous? M'accueillez-vous pour ce que je suis? Vous efforcez-vous d'agir toujours pour mon véritable bien?

Des questions posées peut-être plus avec les yeux qu'avec les mots, mais qui lient les parents à leur profonde responsabilité et qui sont en quelque sorte pour eux l'écho de la voix de Dieu.


3. Les enfants sont le "printemps": que signifie cette métaphore choisie pour votre jubilé?
Elle nous conduit à cet horizon de vie, de couleurs, de lumière et de chant qui est propre à la saison du printemps. Les enfants sont naturellement tout cela. Ils sont l'espérance qui continue de fleurir, un projet qui recommence continuellement, un avenir qui s'ouvre sans arrêt. Ils représentent la floraison de l'amour conjugal, qui en eux se retrouve et se consolide. En voyant le jour, ils apportent un message de vie qui, en dernière analyse, renvoie à l'Auteur même de la vie. Ayant besoin de tout, en particulier dans les premières étapes de leur existence, ils constituent naturellement un appel à la solidarité.

Ce n'est pas un hasard si Jésus invita ses disciples à avoir un coeur d'enfants (cf. Mc 10,13-16). Aujourd'hui, chères familles, vous voulez rendre grâce pour le don des enfants et, en même temps, accueillir le message que Dieu vous envoie à travers leur existence.


4. Malheureusement, comme nous le savons bien, la situation des enfants dans le monde n'est pas toujours celle qu'elle devrait être. Dans de nombreuses régions, et paradoxalement précisément dans les pays au niveau de vie élevé, mettre au monde des enfants est devenu un choix effectué dans une grande perplexité, bien au-delà de la prudence normalement exigée pour une procréation responsable. On dirait que parfois, les enfants sont ressentis plus comme une menace que comme un don.

Et que dire également de l'autre triste cas de figure de l'enfance outragée et exploitée, sur laquelle j'ai rappelé l'attention également dans la Lettre aux enfants?

Mais vous êtes ici, ce soir, pour témoigner de votre conviction, fondée sur la confiance en Dieu, qu'il est possible d'inverser cette tendance. Vous êtes ici pour une "fête de l'espérance", faisant vôtre le "réalisme" actif de cette vertu chrétienne fondamentale.


5. En effet, la situation des enfants représente un défi pour toute la société, un défi qui interpelle directement les familles. Personne comme vous, chers parents, ne peut constater comme il est essentiel pour les enfants de pouvoir compter sur vous, sur vos deux figures - la figure paternelle et la figure maternelle - dans la complémentarité de vos dons. Non, cela n'est pas accomplir un pas en avant dans la civilisation que de suivre des tendances qui obscurcissent cette vérité fondamentale et prétendent s'affirmer également sur le plan légal.

Les enfants ne sont-ils pas déjà trop pénalisés par la plaie du divorce? Qu'il est triste pour un enfant de devoir se résigner à partager son amour entre des parents en conflit! Tant d'enfants porteront pour toujours le signe psychologique de l'épreuve à laquelle les a soumis la séparation de leurs parents.


6. Face à tant de familles séparées, l'Eglise se sent appelée à ne pas exprimer de jugement sévère, ni détaché, mais plutôt à diffuser dans les plaies de tant de drames humains la lumière de la Parole de Dieu, accompagnée par le témoignage de sa miséricorde. Tel est l'esprit avec lequel la pastorale familiale cherche à soutenir également les situations des croyants qui ont divorcé et se sont remariés. Ces derniers ne sont pas exclus de la communauté; ils sont même invités à participer à sa vie, en accomplissant un chemin de croissance dans l'esprit des exigences évangéliques. L'Eglise, sans leur cacher la vérité du désordre moral objectif dans lequel ils se trouvent et des conséquences qui en découlent pour la pratique sacramentelle, entend leur manifester toute sa proximité.

Vous, époux chrétiens, soyez-en certains: le Sacrement du mariage vous assure la grâce nécessaire pour persévérer dans l'amour réciproque, dont vos enfants ont besoin comme du pain.

Vous êtes appelés aujourd'hui à vous interroger sur cette communion profonde entre vous, tandis que vous demandez l'abondance de la miséricorde jubilaire.


7. Dans le même temps, vous ne pouvez pas éluder la question essentielle de votre mission d'éducateurs. Ayant donné la vie à vos enfants, vous êtes également appelés à les suivre, de façon appropriée selon leur âge, dans les orientations et les choix de vie, en soutenant tous leurs droits.

A notre époque, la reconnaissance des droits des enfants a connu un progrès indubitable, mais il est toujours triste de constater la négation, dans la pratique, de ces droits, telle qu'elle se manifeste dans de nombreuses et terribles atteintes portées à leur dignité. Il faut veiller afin que le bien de l'enfant occupe toujours la première place. En commençant par le moment où l'on désire avoir un enfant. La tendance au recours à des pratiques moralement inacceptables pour concevoir trahit la mentalité absurde d'un "droit à l'enfant", qui a pris la place de la juste reconnaissance d'un "droit de l'enfant", à naître, puis à grandir de façon pleinement humaine. Au contraire, combien est différente et mérite d'être encouragée la pratique de l'adoption! Un véritable exercice de charité, qui considère le bien des enfants avant les exigences des parents.


8. Très chers amis, engageons-nous, de toutes nos forces, à défendre la valeur et le respect de la vie dès la conception. Il s'agit de valeurs qui appartiennent à la "grammaire" fondamentale du dialogue et de la coexistence humaine entre les peuples. Je souhaite vivement que les gouvernements aussi bien que les Parlements nationaux, les Organisations internationales et, en particulier, l'Organisation des Nations unies, ne perdent pas de vue cette vérité. A tous les hommes de bonne volonté, qui croient en ces valeurs, je demande d'unir de façon efficace leurs efforts, afin que ceux-ci prévalent dans la pratique de la vie, dans les orientations culturelles et dans les mass-media, dans les choix politiques et dans les législations des peuples.


9. A vous, chères mamans, qui portez en vous un instinct irrépressible pour la défense de la vie, j'adresse un appel implorant: soyez toujours des sources de vie, et jamais de mort!

A vous deux, pères et mères, je vous dis: vous êtes appelés à la très haute mission de coopérer avec le Créateur à la transmission de la vie (Lettre aux Familles LF 8); n'ayez pas peur de la vie! Proclamez ensemble la valeur de la famille et celle de la vie. Sans ces valeurs, il ne saurait y avoir d'avenir digne de l'homme!

Que le spectacle magnifique de vos flambeaux allumés sur cette place vous accompagne pendant longtemps comme le signe de Celui qui est la Lumière et vous appelle à illuminer à travers votre témoignage le chemin de l'humanité sur les routes du nouveau millénaire!



AUX PÈLERINS POLONAIS REÇUS LE JOUR DU XXIIème ANNIVERSAIRE DE SON ÉLECTION AU PONTIFICAT

Lundi 16 octobre 2000



1. "A vous grâce et paix de par Dieu, notre Père, et le Seigneur Jésus-Christ!" (2Co 1,2). Avec ces paroles de saint Paul, je salue cordialement toutes les personnes présentes à l'Audience d'aujourd'hui au Vatican.

Mes chers amis, vous êtes venus en tant que pèlerins dans la Ville éternelle pour participer au Jubilé des Familles dans le cadre du grand Jubilé de la Divine Rédemption. Je me réjouis de votre présence, en particulier lorsque que je regarde vos enfants - les plus jeunes participants à cette rencontre. Je salue chacun de tout coeur, les personnes seules et les familles. J'adresse des paroles de bienvenue d'abord aux prêtres engagés dans la pastorale des familles, à Mgr Stanislaw Stefanek, Président du Conseil pour la Famille, à toutes les personnes engagées dans cette pastorale en Pologne: prêtres, religieux, religieuses et laïcs. Je salue les membres de l'Association des Familles catholiques et les auditeurs de Radio Maria, les membres de l'Association des Juristes catholiques et également les professeurs de Poznan ici présents, ainsi que les lecteurs de "Przewodnik Katolici" de la même ville. Je salue les représentants de l'Institut de omianki. Je salue les représentants de l'Ordre des Chevaliers de Malte et je profite de cette occasion pour leur adresser un remerciement particulier pour leur service de bons samaritains à l'homme, pour leur généreuse activité caritative, très connue en Pologne. Je souhaite la bienvenue aux nombreux groupes paroissiaux déjà nommés et aux pèlerins venus individuellement.


2. Nous nous rencontrons aujourd'hui, comme je l'ai déjà dit, dans le cadre des célébrations du grand Jubilé de l'Année Sainte. Vous êtes venus à Rome pour vous ressourcer intérieurement et pour consolider vos forces spirituelles. Vous avez franchi la Porte Sainte, symbole du passage du péché à la grâce. Jésus dit de lui très clairement: "Je suis la Porte" (Jn 10,7). Cela signifie qu'Il est la voie unique et définitive qui conduit au Père. Ce n'est qu'en Lui, dans le Fils de Dieu, que réside notre salut. Le Christ s'est fait homme, il subit la mort sur une croix et ressuscita pour montrer à l'homme son authentique grandeur, redonner à son identité d'homme la pleine dignité et le sens de l'existence dans le monde. Quelle valeur doit avoir chaque homme aux yeux du Créateur s'Il a donné "son Fils unique" afin que l'homme "ne se perde pas, mais ait la vie éternelle" (Jn 3,16). Un émerveillement profond nous envahit face à cette immense dignité de l'homme créé à l'image et à la ressemblance de Dieu.

Quelle grande valeur doit revêtir aux yeux du Créateur chaque vie humaine, chaque être humain, même celui non encore né, mais déjà vivant dans le sein de sa mère.


3. Vous participez au Jubilé des Familles, qui peut être défini comme la grande fête de l'Eglise en l'honneur de la famille. Vous êtes venus ici pour dire "oui" à l'amour, à un amour noble, chaste, à un amour qui donne la vie, un amour responsable. Vous êtes venus démontrer que pour vous, la valeur fondamentale est la famille et la vie qui naît en elle, s'y développe et y trouve refuge.

En cette circonstance, je voudrais exprimer mon appréciation à tous ceux qui participent à l'oeuvre de l'édification de la "culture de la vie" et qui, ressentant une profonde responsabilité à l'égard de Dieu, de leur conscience et de la nation, défendent la vie humaine, la dignité du mariage et de la famille. A chacun d'eux, et à vous tous ici présents, je dis: ayez courage! Il s'agit d'une grande mission, d'un grand mandat qui vous a été confié par la Providence. Je vous remercie de tout coeur pour ce comportement et pour ce que vous faites. Que votre récompense soit le Christ lui-même. Il dit aux Apôtres: "Je ne vous appelle plus serviteurs [...] mais je vous appelle amis, faites ce que je vous commande" (cf. Jn 15,15). Aujourd'hui, je vous dis la même chose.

A chaque famille, à toutes les familles de la Pologne et du monde, je souhaite de découvrir toujours plus la grandeur et la sainteté de leur vocation; d'être de fidèles gardiens du "bel amour" et de toute vie conçue, de savoir défendre à notre époque le précieux patrimoine de la foi et de le transmettre aux générations à venir.


4. Mes chers amis, je vous remercie de cette rencontre. Je remercie mes concitoyens dans leur Patrie et dans le monde entier de la prière qui m'accompagne au cours de mon pontificat. Je sens sa force et ses fruits. C'est pour moi un don précieux et un soutien spirituel. Je vous remercie pour votre attachement au Pape, à l'Eglise et à vos pasteurs. Qu'il porte des fruits à travers un comportement chrétien démontré dans la vie personnelle, familiale et sociale.

Je confie tous mes compatriotes en Pologne et dans le monde à la protection de la Très Sainte Vierge Marie et je les bénis de tout coeur.


  MESSAGE À LA REINE ÉLISABETH II D'ANGLETERRE



Votre Majesté,
Votre Altesse Royale,

Dans le souvenir vivant de notre première rencontre au Vatican en 1980 et de l'accueil chaleureux que vous m'avez réservé à Londres deux ans plus tard, je suis heureux de vous saluer une fois de plus dans ce Palais apostolique, dans lequel vous n'êtes point une étrangère. Mes prédécesseurs le Pape Pie XII et le Pape Jean XXIII ont été les premiers à vous souhaiter la bienvenue ici, et je fais de même avec des sentiments plus profonds encore à l'occasion de cette Année du Jubilé, au cours de laquelle tous les chrétiens chantent les louanges de Dieu tout-puissant pour le don du Verbe fait chair, notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ.

La visite de Votre Majesté rappelle instantanément à la mémoire le riche héritage du christianisme britannique, et toute la contribution de la Grande-Bretagne à l'édification de l'Europe chrétienne, ainsi qu'à l'expansion du christianisme partout dans le monde, depuis que saint Augustin de Canterbury a prêché l'Evangile sur vos terres. Tout au long de cette longue histoire, les relations entre le Royaume-Uni et le Saint-Siège n'ont jamais connu de troubles; de longues années d'héritage commun furent suivies par les tristes années de la division (cf. Discours dans la cathédrale de Canterbury, 29 mai 1982, n. 5). Mais au cours des dernières années, une entente cordiale est apparue entre nous, plus en accord avec l'harmonie des périodes précédentes et exprimant de façon plus authentique nos racines spirituelles communes. On ne peut revenir en arrière face à l'objectif oecuménique que nous nous sommes fixés en obéissance au commandement du Seigneur.

Pourtant, ce n'est pas seulement le passé qui nous incite à poursuivre le chemin d'une plus grande compréhension et, d'un point de vue religieux, d'une communion toujours plus parfaite. L'avenir exige également de nous un sens d'objectif commun. Je pense d'abord à l'Europe, qui est à un tournant de son histoire, alors qu'elle recherche une unité capable d'exclure pour toujours les types de conflits qui ont constitué une partie si importante de son passé. Vous et moi avons personnellement vécu l'une des guerres les plus terribles d'Europe, et nous voyons clairement le besoin d'édifier une unité européenne profonde et durable, solidement enracinée dans le véritable génie humain et spirituel des peuples de l'Europe. Toutefois, l'unité à laquelle aspirent les Européens ne peut être une structure sans contenu. Ce n'est qu'en préservant et en renforçant les plus hauts idéaux et les résultats de son héritage - dans le domaine de la politique, du droit, de l'art, de la culture, de la moralité et de la spiritualité - que bâtir l'Europe de demain constituera une tâche viable et digne.

De plus, à l'aube du troisième millénaire, notre regard doit aller au-delà des frontières de l'Europe, car le monde entier est devenu de plus en plus interactif et interdépendant. Le Commonwealth et l'Eglise catholique sont des institutions de type très différent, mais tous deux ont une expérience confirmée d'universalité, tous deux connaissent la riche diversité de l'unique famille humaine.

Etablir le bien commun comme objectif et centre de la pensée et de l'action humaines devient plus important que jamais à une époque où il existe des inégalités croissantes dans la façon dont les ressources du monde sont partagées. Même en voyant les forces de la mondialisation et, avec elles, la promesse d'une plus grande prospérité et cohésion, il existe un écart croissant entre les riches et les pauvres, un écart qui court le risque de s'enraciner et de devenir insoluble alors que certains bénéficient des progrès de la technologie tandis que d'autres en sont totalement exclus. Ce phénomène préoccupant a plusieurs causes, mais le problème ne sera certainement pas résolu à moins que les peuples et leurs dirigeants acceptent une solidarité et une coopération internationale, comme impératifs moraux qui incitent et mobilisent les consciences des individus et des nations. Je ne peux qu'exprimer mon appréciation à l'égard de la récente initiative de la Grande-Bretagne d'effacer totalement la dette des pays pauvres les plus endettés. Le nouveau millénaire nous appelle à oeuvrer de façon efficace pour parvenir à un monde qui ne soit pas en proie à l'avidité, à l'intérêt égoïste et à la soif de domination, mais ouvert et respectueux de la dignité humaine, des droits inaliénables et de l'égalité fondamentale de chaque membre de la famille humaine.

Votre Majesté, depuis de nombreuses années, et en des périodes de profonds changements, vous avez régné avec dignité et un sens du devoir qui ont édifié des millions de personnes dans le monde. Puisse Dieu tout-puissant accorder à Votre Majesté, à Son Altesse Royale et aux membres de la Famille royale, la lumière et la force infaillibles face aux défis et aux difficultés de votre charge. Puisse-t-il accorder aux citoyens du Royaume-Uni, bonheur et paix; au Commonwealth, les bénéfices d'un sens élevé de la solidarité et de la coopération; aux chrétiens de votre royaume, une nouvelle effusion de la grâce de Jésus-Christ, "le même hier, aujourd'hui et à jamais" (cf. Hb He 13,8).



MESSAGE DU SAINT PÈRE A L’ARCHEVÊQUE-ÉVÊQUE DE PADOUE À L'OCCASION DE LA FÊTE DE SAINT LUC


A mon Vénéré Frère
Antonio MATTIAZZO
Archevêque-Evêque de Padoue

1. Parmi les titres de gloire de cette Eglise, une grande signification doit être attribuée au rapport particulier qui la lie à la mémoire de l'évangéliste Luc, dont - selon la tradition - elle conserve les reliques dans la splendide basilique Sainte-Justine: trésor précieux et don véritablement singulier, parvenu à travers un chemin providentiel. En effet, saint Luc - selon d'antiques témoignages - mourut en Béotie et fut enterré à Thèbes. De là, comme le rapporte saint Jérôme (cf. De viris ill., VI, I), ses restes furent transportés à Constantinople, dans la basilique des Saints-Apôtres. Par la suite, selon des sources que les recherches historiques mettent à jour actuellement, ils furent transférés à Padoue.

Une occasion propice pour raviver l'attention et la vénération pour cette "présence", qui s'enracine dans l'histoire chrétienne de cette ville, est à présent offerte par la reconnaissance du corps du saint Evangéliste, ainsi que par le Congrès international qui lui est consacré. On a voulu donner à celui-ci une inspiration oecuménique significative, soulignée également par le fait que l'Archevêque orthodoxe de Thèbes, Hieronymos, a demandé de pouvoir recevoir un fragment des reliques, pour le déposer là où, aujourd'hui encore, est vénéré le premier sépulcre de l'Evangéliste.

Les célébrations qui se déroulent à l'occasion du Congrès susmentionné offrent un nouvel élan, afin que cette Eglise bien-aimée qui est à Padoue redécouvre le véritable trésor que saint Luc nous a laissé: l'Evangile et les Actes des Apôtres.

En me réjouissant pour l'engagement pris dans ce sens, je désire m'arrêter brièvement sur certains aspects du message de Luc, afin que cette communauté puisse en tirer des orientations et un encouragement pour son chemin spirituel et pastoral.

2. Ministre de la Parole de Dieu (cf. Lc 1,2), Luc nous introduit à la connaissance de la lumière discrète, et en même temps pénétrante, qui s'en dégage, en illuminant la réalité et les événements de l'histoire. Le thème de la Parole de Dieu, fil conducteur qui traverse les deux écrits qui composent l'oeuvre de Luc, unifie également les deux époques considérées, le temps de Jésus et le temps de l'Eglise. Racontant presque l'"histoire de la Parole de Dieu", le récit de Luc en suit la diffusion, de la Terre Sainte jusqu'aux extrémités du monde. Le chemin proposé par le troisième Evangile est profondément marqué par l'écoute de cette parole qui, comme une semence, doit être accueillie avec bonté et ouverture de coeur, en surmontant les obstacles qui l'empêchent de prendre racine et de porter du fruit (cf. Lc 8,4-15).

Un aspect important souligné par Luc est le fait que la parole de Dieu croît mystérieusement et s'affirme également à travers la souffrance et dans un contexte d'oppositions et de persécutions (cf. Ac 4,1-31 Ac 5,17-42 passim. ). La parole présentée par saint Luc est appelée à devenir, pour chaque génération, un événement spirituel capable de renouveler l'existence. La vie chrétienne, suscitée et soutenue par l'Esprit, est un dialogue interpersonnel qui se fonde précisément sur la parole que le Dieu vivant nous adresse, en nous demandant de l'accueillir sans réserve dans notre esprit et notre coeur. Il s'agit en définitive de devenir des disciples disposés à écouter avec sincérité et disponibilité le Seigneur, à l'exemple de Marie de Béthanie, qui "a choisi la meilleure part" car "assise aux pieds du Seigneur [elle] écoutait sa parole" (cf. Lc 10,38-42).

Dans cette perspective, je désire encourager, dans le programme pastoral de cette Eglise bien-aimée, la proposition des "Semaines bibliques", l'apostolat biblique et les pèlerinages en Terre Sainte, le lieu où la Parole s'est faite chair (cf. Jn 1,14). Je voudrais également encourager chacun - les prêtres, les religieux, les religieuses, les laïcs - à pratiquer et à promouvoir la lectio divina, jusqu'à ce que la méditation de l'Ecriture Sainte devienne une partie essentielle de sa propre vie.


3. "Si quelqu'un veut venir à ma suite, qu'il se renie lui-même, qu'il se charge de sa croix chaque jour, et qu'il me suive" (Lc 9,23).

Pour Luc, être chrétien signifie suivre Jésus sur la voie qu'il parcourt (Lc 19,57 Lc 10,38 Lc 13,22 Lc 14,25). C'est Jésus lui-même qui prend l'initiative et qui appelle à le suivre, et il le fait de façon décidée, incomparable, en révélant ainsi son identité hors du commun, son mystère de Fils, qui connaît le Père et le révèle (cf. Lc 10,22). A l'origine de la décision de suivre Jésus se trouve l'option fondamentale en faveur de sa Personne. Si l'on n'a pas été fasciné par le visage du Christ, il est impossible de le suivre avec fidélité et constance, également parce que Jésus marche sur une voie difficile, qu'il pose des conditions extrêmement exigeantes et qu'il se dirige vers un destin paradoxal, celui de la Croix. Luc souligne que Jésus n'aime pas les compromis et demande l'engagement de toute la personne, un détachement ferme de toute nostalgie du passé, des conditionnements familiaux et de la possession des biens matériels (cf. Lc 9,57-62 Lc 14,26-33).

L'homme sera toujours tenté d'atténuer ces exigences radicales et de les adapter à ses propres faiblesses, où bien d'abandonner le chemin qu'il a entrepris. Mais c'est précisément sur ce point que se décident l'authenticité et la qualité de la vie de la communauté chrétienne. Une Eglise qui vit dans le compromis serait comme le sel qui perd sa saveur (cf. Lc 14,34-35).

Il faut s'abandonner à la puissance de l'Esprit, capable de communiquer la lumière, et surtout l'amour pour le Christ; il faut s'ouvrir à la fascination intérieure que Jésus exerce sur les coeurs qui aspirent à l'authenticité, en fuyant les demi-mesures. Cela est certes difficile pour l'homme, mais devient possible avec la grâce de Dieu (cf. Lc 18,27). D'autre part, si suivre le Christ implique que l'on porte chaque jour la Croix, celle-ci devient à son tour un arbre de vie qui conduit à la résurrection. Luc, qui accentue les exigences radicales liées au fait de suivre le Christ, est également l'Evangéliste qui décrit la joie de ceux qui deviennent des disciples du Christ (cf. Lc 10,20 Lc 13,17 Lc 19,6 Lc 19,37 Ac 5,41 Ac 8,39 Ac 13,48).


4. On connaît l'importance que Luc accorde, dans ses récits, à la présence et à l'action de l'Esprit, à partir de l'Annonciation, lorsque le Paraclet descend sur Marie (cf. Lc 1,35), jusqu'à la Pentecôte, lorsque les Apôtres, inspirés par le don de l'Esprit, reçoivent la force nécessaire pour annoncer dans le monde entier la grâce de l'Evangile (cf. Ac 1,8 Ac 2,1-4). C'est l'Esprit Saint qui modèle l'Eglise. Saint Luc a décrit sous les traits de la première communauté chrétienne le modèle que l'Eglise de tous les temps doit refléter: il s'agit d'une communauté unie "en un seul coeur et une seule âme", assidue dans l'écoute de la Parole de Dieu; une communauté qui vit de prière, qui rompt avec joie le pain eucharistique, qui ouvre son coeur aux nécessités des indigents, jusqu'à partager avec eux ses bien matériels (Ac 2,42-47 Ac 4,32-37). Chaque renouveau ecclésial devra puiser à cette source inspiratrice le secret de son authenticité et de sa fraîcheur.

A partir de l'Eglise mère de Jérusalem, l'Esprit ouvre les horizons et pousse les Apôtres et les Témoins à atteindre Rome. En arrière-plan de ces deux villes se déroule l'histoire de l'Eglise primitive, une Eglise qui croît et se développe malgré les oppositions qui la menacent de l'extérieur et les crises qui, de l'intérieur, en ralentissent le chemin. Mais, dans tout ce parcours, ce qui importe réellement à Luc est de présenter l'Eglise dans l'essence de son mystère: celui-ci est constitué par la présence éternelle du Seigneur Jésus qui, agissant en celle-ci à travers la force de son Esprit, lui communique réconfort et courage face aux épreuves du chemin au cours de l'histoire.


5. Selon une pieuse tradition, Luc est considéré comme le peintre de l'image de Marie, la Vierge Mère. Mais le véritable portrait que Luc trace de la Mère de Jésus est celui qui ressort des pages de son oeuvre: dans des scènes devenues familières au Peuple de Dieu, il trace une image éloquente de la Vierge. L'Annonciation, la Visitation, la Nativité, la Présentation au Temple, la vie dans la maison de Nazareth, la dispute avec les docteurs et la disparition de Jésus, ainsi que la Pentecôte, ont fourni une vaste matière, au cours des siècles, à la création incessante des peintres, des sculpteurs, des poètes et des musiciens.

Il a donc été prévu, de façon opportune, d'effectuer au cours du Congrès international une réflexion sur le thème de l'art et, dans le même temps, une exposition riche d'oeuvres précieuses a été organisée.

Ce qu'il est toutefois le plus important de saisir est que, à travers des scènes de vie mariale, Luc nous introduit dans l'intériorité de Marie, en nous faisant découvrir, dans le même temps, sa fonction unique dans l'histoire du salut.

Marie est celle qui prononce le "fiat", un "oui" personnel et total à la proposition de Dieu, se définissant la "Servante du Seigneur" (Lc 1,38). Cette attitude de totale adhésion à Dieu et de disponibilité inconditionnée à sa Parole constitue le modèle le plus élevé de la foi, l'anticipation de l'Eglise comme communauté de croyants.

La vie de foi croît et se développe en Marie dans la méditation sapientielle des paroles et des événements de la vie du Christ (cf. Lc 2,19 Lc 2,51). Elle "médite dans son coeur" pour comprendre le sens profond des paroles et des faits, l'assimiler et ensuite le communiquer aux autres.

Le Chant du Magnificat (cf. Lc 1,46-55) manifeste une autre caractéristique importante de la "spiritualité" de Marie: Elle incarne la figure du pauvre, capable de placer totalement sa confiance en Dieu, qui abat les trônes des puissants et élève les humbles.

Luc nous décrit également la figure de Marie dans l'Eglise des premiers temps, en nous la montrant présente au Cénacle dans l'attente de l'Esprit Saint: "Tous [les onze Apôtres] d'un même coeur étaient assidus à la prière avec quelques femmes, dont Marie mère de Jésus, et avec ses frères" (Ac 1,14).

Le groupe rassemblé dans le Cénacle constitue comme la cellule souche de l'Eglise. En son sein, Marie joue un double rôle; d'une part, elle intercède pour la naissance de l'Eglise à travers l'oeuvre de l'Esprit Saint; de l'autre, elle communique à l'Eglise naissante son expérience de Jésus.

L'oeuvre de Luc propose ainsi à l'Eglise qui est à Padoue un encouragement efficace pour valoriser la "dimension mariale" de la vie chrétienne sur le chemin à la suite du Christ.


6. Une autre dimension essentielle de la vie chrétienne et de l'Eglise, sur laquelle le récit de Luc projette une vive lumière, est celle de la mission évangélisatrice. Luc indique le fondement éternel de cette mission, c'est-à-dire l'unicité et l'universalité du salut opéré par le Christ (cf. Ac 4,12). L'événement salvifique de la mort-résurrection du Christ ne conclut pas l'histoire du salut, mais marque le début d'une nouvelle phase, caractérisée par la mission de l'Eglise, appelée à communiquer les fruits du salut opéré par le Christ à toutes les nations. C'est pour cette raison que Luc ajoute à l'Evangile, comme une conséquence logique, l'histoire de la mission. C'est le Ressuscité lui-même qui donne aux Apôtres le "mandat" missionnaire: "Alors il leur ouvrit l'esprit à l'intelligence des Ecritures, et il leur dit: "Ainsi est-il écrit que le Christ souffrirait et ressusciterait d'entre les morts le troisième jour, et qu'en son Nom le repentir en vue de la rémission des péchés serait proclamé à toutes les nations, à commencer par Jérusalem. De cela vous êtes témoins. Et voici que moi je vais envoyer sur vous ce que mon Père a promis. Vous donc demeurez dans la ville jusqu'à ce que vous soyez revêtus de la force d'en-haut"" (Lc 24,45-48).

La mission de l'Eglise commence lors de la Pentecôte "à Jérusalem", pour s'étendre "jusqu'aux extrémités de la terre". Jérusalem n'indique pas seulement un lieu géographique. Elle a plutôt pour signification le point central de l'histoire du salut. L'Eglise ne part pas de Jérusalem pour l'abandonner mais pour greffer sur l'olivier d'Israël les nations païennes (cf. Rm 11,17).

La tâche de l'Eglise est d'apporter dans l'histoire le levain du Royaume de Dieu (cf. Lc 13,20-21). Une tâche exigeante qui est décrite dans les Actes des Apôtres comme un itinéraire difficile et mouvementé, mais confié à des "témoins" plein d'enthousiasme, d'esprit d'entreprise et de joie, disposés à souffrir et à donner leur vie pour le Christ. Cette énergie intérieure leur est communiquée par la communion de vie avec le Ressuscité et par la force de l'Esprit que donne celui-ci.
Quelle grande ressource peut constituer pour l'Eglise qui est à Padoue la confrontation incessante avec le message de l'Evangéliste, dont elle conserve la dépouille mortelle!


7. A la lumière de cette vision de Luc, je souhaite que cette communauté diocésaine, totalement docile au souffle de l'Esprit, sache témoigner avec une audace créative de Jésus-Christ, que ce soit sur son propre territoire, ou, selon sa belle tradition, dans la coopération missionnaire avec les Eglises d'Afrique, d'Amérique latine et d'Asie.

Que cet engagement missionnaire puisse trouver un élan supplémentaire au cours de cette Année jubilaire, qui célèbre les deux mille ans de la naissance du Christ et appelle l'Eglise à un profond renouveau de vie. C'est précisément l'Evangile de Luc qui rapporte le discours avec lequel Jésus, dans la Synagogue de Nazareth, proclame "l'année de grâce du Seigneur", en annonçant le salut comme libération, guérison, bonne nouvelle aux pauvres (cf. Lc 4,14-20). L'Evangéliste lui-même présentera ensuite la force salvatrice de l'amour miséricordieux du Sauveur dans des pages touchantes, comme celle de la brebis égarée et du fils prodigue (cf. Lc 15).

Notre époque a plus que jamais besoin de cette annonce. J'exprime donc mon fervent encouragement à cette communauté, pour que l'engagement pour la nouvelle évangélisation soit toujours plus fort et incisif. J'exhorte également à poursuivre et à développer les initiatives oecuméniques qui ont été entreprises avec plusieurs Eglises orthodoxes en termes de collaboration au niveau des oeuvres de charité, de la culture théologique, de la pastorale. Que le Congrès international sur saint Luc constitue une étape significative sur le chemin de cette Eglise, en l'aidant à s'enraciner toujours davantage dans le terrain de la Parole de Dieu et à s'ouvrir, avec un élan renouvelé, à la communion et à la mission.

Avec ces voeux, je vous donne de tout coeur, Vénéré Frère, ainsi qu'à ceux qui sont confiés à vos soins pastoraux, une Bénédiction apostolique spéciale.

Du Vatican, le 15 octobre 2000




Discours 2000 - Vendredi 13 octobre 2000