Discours 2000 - Jeudi 9 novembre 2000


  COMMUNIQUÉ CONJOINT DU PAPE JEAN PAUL II ET DU CATHOLICOS KARÉKINE II

Rome, jeudi 9 novembre 2000



Sa Sainteté le Pape Jean-Paul II, Evêque de Rome, et Sa Sainteté Karékine II, Patriarche suprême et Catholicos de tous les Arméniens, rendent grâce au Seigneur et Sauveur Jésus-Christ qui leur a permis de se rencontrer à l'occasion du 1700ème anniversaire de la proclamation du christianisme comme religion d'Etat de l'Arménie.

Ils rendent également grâce à Dieu dans l'Esprit Saint que les relations fraternelles entre le Siège de Rome et le Siège d'Etchmiadzine se soient développées et approfondies au cours des dernières années. Ce processus trouve son expression dans cette rencontre personnelle et, en particulier, dans le don d'une relique de saint Grégoire l'Illuminateur, le saint missionnaire qui a converti le roi d'Arménie (en l'an 301 après J.-C.) et a établi la lignée des Catholicos de l'Eglise arménienne. La présente rencontre trouve son fondement dans les rencontres précédentes entre le Pape Paul VI et le Catholicos Vasken I (1970) ainsi que les deux rencontres entre le Pape Jean-Paul II et le Catholicos Karékine I (1996 et 1999). Le Pape Jean-Paul II et le Catholicos Karékine II forment le voeu d'une éventuelle rencontre en Arménie. En cette occasion, ils désirent déclarer ce qui suit:

Nous confessons tous deux notre foi dans le Dieu Trine et dans le seul Seigneur Jésus-Christ, le Fils unique de Dieu, qui s'est fait homme pour notre salut. Nous croyons également en l'Eglise Une, Catholique, Apostolique et Sainte. En effet, l'Eglise, en tant que Corps du Christ, est une et unique. Telle est notre foi commune, fondée sur les enseignements des Apôtres et des Pères de l'Eglise. Nous reconnaissons en outre que l'Eglise catholique et l'Eglise arménienne ont de véritables sacrements, et surtout - en vertu de la succession apostolique des évêques - le sacerdoce et l'Eucharistie. Nous continuons de prier pour la communion pleine et visible entre nous. La célébration liturgique que nous présidons ensemble, le signe de paix que nous échangeons et la bénédiction que nous donnons ensemble au nom de notre Seigneur Jésus-Christ, témoignent que nous sommes frères dans l'épiscopat (1). Ensemble, nous avons une responsabilité commune envers ce qui constitue notre mission commune: enseigner la foi apostolique et témoigner de l'amour du Christ pour tous les êtres humains, en particulier ceux qui vivent dans des conditions difficiles.

L'Eglise catholique et l'Eglise arménienne partagent une longue histoire de respect mutuel, et considèrent leurs diverses traditions théologiques, liturgiques et canoniques comme complémentaires, plutôt qu'opposées. Aujourd'hui encore, nous avons beaucoup à recevoir l'un de l'autre. Pour l'Eglise arménienne, les vastes ressources de l'enseignement catholique peuvent devenir un trésor et une source d'inspiration, à travers l'échange de chercheurs et d'étudiants, à travers les traductions communes et les initiatives académiques, à travers les différentes formes de dialogue théologique. De même, pour l'Eglise catholique, la foi solide et patiente d'une nation martyrisée comme l'Arménie peut devenir une source de force spirituelle, en particulier à travers la prière commune. Nous désirons fermement voir ces nombreuses formes d'échange mutuel et de rapprochement entre nous se développer et s'intensifier.

Tandis que nous entrons dans le troisième millénaire, nous nous tournons vers le passé et nous regardons vers l'avenir. En ce qui concerne le passé, nous rendons grâce à Dieu pour les nombreuses bénédictions que nous avons reçues de son infinie bonté, pour le saint témoignage apporté par tant de saints et de martyrs, pour l'héritage spirituel et culturel légué par nos ancêtres. Cependant, souvent, l'Eglise catholique et l'Eglise arménienne ont traversé des périodes sombres et difficiles. La foi chrétienne a été contestée par des idéologies athées et matérialistes; le témoignage chrétien a été empêché par des régimes totalitaires et violents; l'amour chrétien a été étouffé par l'individualisme et la recherche de l'intérêt personnel. Les chefs des nations n'avaient plus peur de Dieu, et ne ressentaient plus de honte face au genre humain. Pour nous, le XX siècle a été marqué par une extrême violence. Le génocide arménien, qui a ouvert le siècle, fut un prologue aux horreurs qui devaient suivre. Deux guerres mondiales, d'innombrables conflits régionaux et des campagnes d'extermination délibérément organisées ont fauché la vie de millions de fidèles. Toutefois, sans diminuer les horreurs de ces événements, ni leurs conséquences, ceux-ci pourraient constituer une sorte de défi divin, si en réponse, les chrétiens étaient persuadés de devoir s'unir dans une amitié plus profonde pour la cause de la vérité chrétienne et de l'amour chrétien.

Nous regardons à présent vers l'avenir avec espérance et confiance. A ce carrefour de l'histoire, se dessinent de nouveaux horizons pour nous, chrétiens, et pour le monde. A l'est et à l'ouest, après avoir fait l'expérience des conséquences mortelles de régimes et de modes de vie sans Dieu, de nombreuses personnes cherchent ardemment à connaître la vérité et le chemin du salut. Ensemble, guidés par la charité et le respect de la liberté, nous cherchons à répondre à leur désir, afin de les conduire aux sources de la vie authentique et du véritable bonheur. Nous recherchons l'intercession des Apôtres Pierre et Paul, de Thaddée et de Bartholomée, de saint Grégoire l'Illuminateur et de tous les saints pasteurs de l'Eglise catholique et de l'Eglise arménienne, et nous prions le Seigneur de guider nos communautés afin que, d'une seule voix, nous puissions témoigner du Seigneur et proclamer la vérité du salut. Nous prions également pour que dans le monde, partout où les membres de l'Eglise arménienne et de l'Eglise catholique vivent côte à côte, tous les ministres ordonnés, les religieux et les fidèles contribueront à "[porter] les fardeaux les uns des autres et [accomplir] ainsi la loi du Christ" (Ga 6,2). Puissent-ils se soutenir et se porter assistance mutuellement, dans le plein respect de leur identités particulières et de leurs traditions ecclésiales, en évitant d'imposer leur domination les uns sur les autres: "Ainsi donc, tant que nous en avons l'occasion, pratiquons le bien à l'égard de tous et surtout de nos frères dans la foi" (Ga 6,10).
Enfin, nous recherchons l'intercession de la Sainte Mère de Dieu pour préserver la paix. Que le Seigneur accorde la sagesse aux chefs des nations, afin que la justice et la paix puissent prévaloir partout dans le monde. Nous prions en particulier en ces jours pour la paix au Moyen-Orient. Que tous les fils d'Abraham grandissent dans le respect mutuel et trouvent les moyens appropriés pour vivre ensemble et en paix dans cette partie sacrée du monde.



JEAN-PAUL II                     KARÉKINE II



(1) Cf. Célébration oecuménique du 10 novembre


JUBILÉ DU MONDE AGRICOLE

Samedi 11 novembre 2000



Messieurs!
Très chers frères et soeurs!

1. Je suis heureux de pouvoir vous rencontrer, à l'occasion du Jubilé du monde agricole, pour ce moment de "fête" et en même temps de réflexion sur l'état actuel de cet important secteur de la vie et de l'économie et sur les perspectives éthiques et sociales qui le concernent.

Je remercie le Cardinal Angelo Sodano, Secrétaire d'Etat, des paroles courtoises qu'il m'a adressées, se faisant le porte-parole des sentiments et des attentes qui animent toutes les personnes présentes. Je salue avec respect les personnalités illustres présentes ici ce soir, également de confessions religieuses différentes, pour représenter diverses Organisations, afin d'offrir la contribution de leur témoignage.


2. Le Jubilé des travailleurs de la terre coïncide avec la traditionnelle "Journée d'action de grâce", organisée en Italie par la "Confédération des Cultivateurs directs" digne d'éloges, à laquelle j'adresse mon salut le plus cordial. Cette "Journée" constitue un puissant rappel des valeurs éternelles préservées par le monde agricole et en particulier, parmi celles-ci, son profond sens religieux. Rendre grâce signifie rendre gloire à Dieu qui a créé la terre et ce qu'elle produit, à Dieu qui s'est réjouit de celle-ci car "il vit que cela était bon" (Gn 1,12), et qui l'a confiée à l'homme pour qu'il la conserve d'une façon sage et fructueuse.

C'est à vous, très chers hommes du monde agricole, qu'est confiée la tâche de faire fructifier la terre. Une tâche très importante, dont on redécouvre aujourd'hui toujours davantage l'urgence. Votre domaine de travail est habituellement classifié par la science économique, comme le "secteur primaire". Sur la scène de l'économie mondiale, sa place apparaît très variable par rapport aux autres secteurs, selon les continents et les nations. Mais quel qu'en soit son poids en termes économiques, le simple bon sens suffit à en souligner la primauté réelle par rapport aux exigences vitales de l'homme. Lorsque ce secteur est sous-évalué ou négligé, les conséquences qui en dérivent pour la vie, la santé, l'équilibre écologique, sont toujours graves et, en général, difficilement remédiables, tout au moins à brève échéance.


3. L'Eglise a toujours eu, pour ce secteur du travail, une attention particulière, qui s'est également exprimée dans d'importants documents du Magistère. Comment oublier, à ce propos, Mater et magistra, du bienheureux Jean XXIII? Il mit à temps, pour ainsi dire, "le doigt dans la plaie", en dénonçant des problèmes qui, déjà à cette époque, faisaient malheureusement de l'agriculture un "secteur déprimé", et cela tant en ce qui concerne "le taux de productivité des forces de travail" que le "niveau de vie des populations agricoles et rurales" (cf. ibid., MM MM 111-112).

Au cours de la période qui s'est écoulée de Mater et magistra jusqu'à nos jours, on ne peut certes pas dire que les problèmes aient été résolus. On doit plutôt constater que d'autres s'y sont greffés, dans le cadre des nouvelles problématiques dérivant de la mondialisation de l'économie et de l'exacerbation de la "question écologique".


4. L'Eglise ne possède bien évidemment pas de solutions "techniques" à proposer. Sa contribution se situe au niveau du témoignage évangélique, et s'exprime à travers la proposition des valeurs spirituelles qui donnent un sens à la vie et orientent les choix concrets, également sur le plan de l'économie et du travail.

La première valeur en jeu, lorsqu'on prend en considération la terre et ceux qui la travaillent, est sans aucun doute le principe qui reconduit la terre à son Créateur: la terre appartient à Dieu! C'est donc selon sa loi qu'elle doit être traitée. Si, à l'égard des ressources naturelles, surtout sous la poussée de l'industrialisation, s'est affirmée une culture irresponsable de la "domination", qui a eu des conséquences écologiques destructrices, cela ne répond certainement pas au dessein de Dieu. "Soyez féconds, multipliez, emplissez la terre et soumettez-la; dominez sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel" (Gn 1,28). Ces célèbres paroles de la Genèse confient la terre à l'usage et non pas aux abus de l'homme. Elles ne font pas de l'homme l'arbitre absolu du gouvernement de la terre, mais le "collaborateur" du Créateur: une mission merveilleuse, mais également marquée par des limites précises, qui ne peuvent impunément être franchies.

Il s'agit d'un principe à rappeler dans la production agricole elle-même, lorsqu'il s'agit de la promouvoir par l'application de biotechnologies, qui ne peuvent pas seulement être évaluées sur la base d'intérêts économiques immédiats. Il est tout d'abord nécessaire de les soumettre à un contrôle scientifique et éthique rigoureux, pour éviter qu'elles ne débouchent sur des désastres pour la santé de l'homme et l'avenir de la terre.

5. L'appartenance constitutive de la terre à Dieu fonde également le principe, si cher à la doctrine sociale de l'Eglise, de la destination universelle des biens de la terre (cf. Centesimus annus CA 6). Ce que Dieu a donné à l'homme, il le lui a donné avec un coeur de Père, qui prend soin de ses enfants, sans exception. La terre de Dieu est donc également la terre de l'homme, et de tous les hommes! Cela n'implique certes pas l'illégitimité du droit à la propriété, mais en exige une conception et une régulation conséquente, qui en sauvegardent et en promeuvent la "fonction sociale" intrinsèque (cf. Mater et magistra MM 106 Populorum progressio, n. 23).

Chaque homme, chaque peuple, a le droit de vivre des fruits de la terre. Il s'agit d'un scandale intolérable en ce début du nouveau millénaire, que de très nombreuses personnes soient encore victimes de la faim et vivent dans des conditions indignes de l'homme. Nous ne pouvons plus nous limiter à des réflexions académiques: il faut faire disparaître cette honte de l'humanité grâce à des choix politiques et économiques appropriés et de dimension planétaire. Comme je l'ai écrit dans le Message au Directeur général de la FAO, à l'occasion de la Journée mondiale de l'Alimentation, il faut "extraire à la racine les mauvaises herbes qui engendrent la faim et la dénutrition" (cf. ORLF n. 43 du 24 octobre 2000). Les causes de cette situation, comme on le sait, sont multiples. Parmi les plus absurdes, il y a les fréquents conflits internes dans divers pays, souvent de véritables guerres des pauvres. Il existe aussi le lourd héritage d'une distribution souvent injuste de la richesse, au sein de chaque nation et au niveau mondial.


6. Il s'agit d'un aspect sur lequel la célébration du Jubilé attire précisément notre attention particulière. En effet, l'institution originelle du Jubilé, dans son dessein biblique, visait à rétablir l'égalité entre les fils d'Israël également à travers la restitution des biens, afin que les plus pauvres puissent se relever, et que tous puissent faire l'expérience, également sur le plan d'une vie digne, de la joie d'appartenir à l'unique Peuple de Dieu.

Notre Jubilé, à deux mille ans de la naissance du Christ, ne peut qu'apporter également ce signe de fraternité universelle. Il constitue un message adressé non seulement aux croyants, mais également à tous les hommes de bonne volonté, pour que l'on se résolve à abandonner, dans les choix économiques, la logique du seul intérêt afin de conjuguer le "profit" légitime avec la valeur et la pratique de la solidarité. Il faut qu'il y ait, comme je l'ai dit en d'autres occasions, une mondialisation de la solidarité, qui suppose à son tour une "culture de la solidarité", qui doit fleurir dans l'âme de chacun.


7. Alors que nous ne cessons de solliciter dans ce sens les pouvoirs publics, les grandes forces économiques et les institutions les plus puissantes, nous devons être convaincus qu'il existe une "conversion" qui nous concerne tous personnellement. C'est par nous-mêmes que nous devons commencer. C'est pourquoi, dans l'Encyclique Centesimus annus, aux côtés des thèmes débattus dans le cadre de la problématique écologique, j'ai indiqué l'urgence d'une "écologie humaine". Par ce concept, on désire rappeler que "non seulement la terre a été donnée par Dieu à l'homme qui doit en faire usage dans le respect de l'intention originelle de bien dans laquelle elle a été donnée, mais l'homme, lui aussi, est donné par Dieu à lui-même et il doit donc respecter la structure naturelle et morale dont il a été doté" (Centesimus annus CA 38). Si l'homme perd le sens de la vie et la certitude des orientations morales en s'égarant dans les brumes de l'indifférence, aucune politique ne pourra être efficace pour sauver à la fois les raisons de la nature et celles de la société. En effet, c'est l'homme qui peut construire ou détruire, qui peut respecter ou mépriser, qui peut partager ou refuser. Les grandes questions posées par le secteur agricole, dans lequel vous êtes directement engagés, doivent elles aussi être affrontées non seulement comme des questions techniques" ou "politiques", mais, à la base, comme "des questions morales".


8. Il s'agit donc d'une responsabilité inéluctable pour ceux qui oeuvrent sous le nom de chrétiens, d'apporter également dans ce domaine un témoignage crédible. Malheureusement, dans les pays du monde définis comme "développés" est en train de se diffuser une consommation irrationnelle, une sorte de "culture du gâchis", qui devient un style de vie courant. Il faut s'opposer à cette tendance. Eduquer à une utilisation des biens qui n'oublie jamais les limites des ressources disponibles, ni la condition de manque de tant d'êtres humains, et qui, en conséquence, oriente le style de vie vers le devoir du partage fraternel, constitue un véritable défi pédagogique et un choix profondément clairvoyant. Le monde des travailleurs de la terre, avec sa tradition de sobriété, avec son patrimoine de sagesse accumulé également dans de nombreuses souffrances, peut apporter une contribution inégalable en cela.


9. C'est pourquoi je vous suis vivement reconnaissant de ce témoignage "jubilaire", qui attire l'attention de toute la communauté chrétienne et de toute la société vers les grandes valeurs dont le monde agricole est le détenteur. Marchez dans le sillon de votre meilleure tradition, en vous ouvrant à tous les développements significatifs de l'ère technologique, mais en conservant jalousement les valeurs éternelles qui vous distinguent. Tel est le chemin pour donner également au monde agricole un avenir riche d'espérance. Une espérance fondée sur l'oeuvre de Dieu, que le Psalmiste chante ainsi: "Tu visites la terre et la fais regorger, tu la combles de richesses" (Ps 65,10).

En invoquant cette visite de Dieu, source de prospérité et de paix pour les innombrables familles oeuvrant dans le monde rural, je désire offrir à tous ma Bénédiction apostolique pour conclure cette rencontre.


Le Saint-Père ajoutait les paroles suivantes:

Je voudrais vous remercier de cette belle soirée, de votre invitation et du lien splendide entre le monde rural, le monde agricole et la musique moderne. Merci à tous de la participation de représentants de tous les pays; ainsi toute l'Eglise universelle vit et célèbre le Jubilé.
Je vous souhaite un bon repos. Demain vous attend encore une grande célébration. Espérons qu'il fera beau.




AUX PARTICIPANTS AU IIème SOMMET DES PRIX NOBEL DE LA PAIX

Lundi 13 novembre 2000



Mesdames et Messieurs,


C'est pour moi un grand plaisir d'accueillir cette éminente assemblée de lauréats du Prix Nobel de la Paix, à l'occasion de la conclusion de votre deuxième Sommet international. Je salue en particulier S.E. M. Mikhail Gorbatchev, Président de la Fondation internationale pour les Etudes socio-économiques et politiques, ainsi que M. Francesco Rutelli, Maire de Rome.

Au cours des derniers jours, vous avez réfléchi sur la situation dans le monde à l'aube d'un nouveau millénaire. Partout, les hommes et les femmes regardent l'avenir dans l'espoir d'une paix réelle et durable, fondée sur une civilisation qui respecte les droits de tous et préserve le véritable bien commun. Pourtant, il faut faire face à d'immenses difficultés, tandis que nous continuons de voir, dans de nombreuses parties du monde, des conflits armés et de terribles tragédies humaines.

En ce moment significatif de l'histoire, un effort concerté doit être accompli afin de garantir que les nouvelles générations rejettent le chemin de la discrimination, de l'exclusion et du conflit, et empruntent résolument le chemin de la paix dans un esprit d'ouverture aux valeurs et aux traditions des autres. En étroite coopération avec l'Organisation des Nations unies, vous avez pris à cet égard un rôle de guides, en cherchant à promouvoir une culture de la non-violence et de la paix parmi les enfants du monde au cours de la décennie à venir. Vous avez également reconnu qu'une civilisation de la paix ne peut être édifiée sans affronter le problème de la dette extérieure, et sans un sens plus profond des responsabilités parmi ceux qui travaillent dans le domaine des communications sociales.

J'encourage vos efforts visant à édifier un avenir meilleur pour les populations du monde, à garantir que tous puissent vivre dans la paix et l'harmonie, en mettant leurs capacités et leurs dons au service de leur croissance personnelle et du bien de la société. Je prie pour que Dieu vous bénisse, ainsi que vos familles, et vous guide tandis que vous continuez à vous consacrer à la cause de la paix, de la réconciliation et de l'harmonie entre les peuples.





À L'OCCASION DE LA SESSION PLÉNIÈRE DE L'ACADÉMIE PONTIFICALE DES SCIENCES

Lundi 13 novembre 2000


Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs!

1. C'est avec joie que je vous salue cordialement à l'occasion de la Session plénière de votre Académie, qui, en vertu du contexte jubilaire dans lequel elle se déroule, revêt une signification et une valeur particulières. Je remercie avant tout votre Président, le Professeur Nicola Cabibbo, pour les aimables paroles qu'il a bien voulu m'adresser au nom de tous. J'étends mon profond remerciement à vous tous pour cette rencontre, ainsi que pour la contribution de qualité si appréciée que vous offrez au progrès de la connaissance scientifique pour le bien de l'humanité.

En poursuivant et en complétant en quelque sorte les réflexions de l'année passée, vous vous êtes arrêtés ces jours-ci sur le thème stimulant: "La science et l'avenir de l'humanité". Je suis heureux de constater que, ces dernières années, les Semaines d'étude et les Assemblées plénières ont été consacrées de façon toujours plus explicite à l'approfondissement de la dimension de la science que nous pourrions qualifier d'anthropologique ou d'humaniste. Cet aspect important de la recherche scientifique a également été affronté à l'occasion du Jubilé des Scientifiques, célébré en mai dernier, et, plus récemment, au cours du Jubilé des enseignants universitaires. Je souhaite que la réflexion sur le rapport entre les contenus anthropologiques du savoir et la rigueur nécessaire de la recherche scientifique puisse se développer de façon significative, en offrant des indications lumineuses pour le progrès intégral de l'homme et de la société.


2. Lorsque l'on parle de la dimension humaniste de la science, la pensée se porte en général immédiatement sur la responsabilité éthique de la recherche scientifique, en raison des conséquences qui en découlent pour l'homme. Le problème est réel et a suscité une préoccupation constante dans le Magistère de l'Eglise, en particulier dans la deuxième moitié du XXème siècle. Mais il est clair qu'il serait réducteur de limiter la réflexion sur la dimension humaniste de la science à un simple rappel de cette préoccupation. Cela pourrait même conduire d'aucuns à craindre que se profile une sorte de "contrôle humaniste sur la science" comme si, en présupposant une tension dialectique entre ces deux domaines du savoir, le devoir des disciplines humanistes était de diriger et d'orienter de façon extrinsèque les aspirations et les résultats des sciences naturelles, tendues vers l'élaboration de recherches toujours nouvelles et vers l'élargissement de leurs horizons d'application.

D'un autre point de vue, le discours sur la dimension anthropologique de la science rappelle surtout une problématique épistémologique précise. C'est-à-dire que l'on veut souligner que l'observateur est toujours en cause dans l'étude de l'objet observé. Cela vaut non seulement pour les recherches sur l'infiniment petit, où les limites de la connaissance dues à ce lien étroit ont déjà été depuis longtemps soulignées et fait l'objet de discussions philosophiques, mais également pour les recherches plus récentes sur l'infiniment grand, où la perspective philosophique particulière adoptée par le scientifique peut influer de façon significative sur la description du cosmos lorsque l'on aborde les questions sur le tout, sur l'origine et sur le sens de l'univers lui-même.

De façon plus générale, comme le montre assez bien l'histoire de la science, la formulation d'une théorie aussi bien que l'intuition qui a guidé de nombreuses découvertes, se révèlent souvent conditionnées par des préconceptions philosophiques, esthétiques et parfois même religieuses ou existentielles, déjà présentes dans le sujet. Mais par rapport à ce thème également, le discours sur la dimension anthropologique ou la valeur humaniste de la science ne concernerait qu'un aspect particulier au sein du problème épistémologique plus général du rapport entre sujet et objet.
Enfin, on parle d'un "humanisme dans la science" ou d'un "humanisme scientifique" pour souligner l'importance d'une culture intégrée et complète, capable de surmonter la fracture entre les disciplines humanistes et les disciplines scientifiques et expérimentales. Si cette séparation est intéressante au stade analytique et méthodologique d'une quelconque recherche, elle est nettement moins justifiée et non sans danger au stade synthétique, lorsque le sujet s'interroge sur les motivations plus profondes de son action d'"homme de science" et sur les retombées "humaines" des nouvelles connaissances acquises, que ce soit au niveau personnel ou au niveau collectif et social.


3. Mais au-delà de ces problématiques, parler de la dimension humaniste de la science nous conduit à nous concentrer sur un aspect pour ainsi dire "intérieur" et "existentiel" qui concerne profondément le chercheur et qui mérite une attention particulière. Comme j'ai eu l'occasion de le rappeler, en parlant il y a quelque années à l'UNESCO, la culture, et donc également la culture scientifique, revêt en premier lieu une valeur "immanente au sujet" (cf. Insegnamenti III/1 [1980] 1639-1640). Tout scientifique, à travers l'étude et la recherche personnelles, se perfectionne lui-même, ainsi que son humanité. Vous êtes des témoins autorisés de cela. En effet, chacun de vous, en pensant à sa vie et à ses expériences de scientifique, pourrait dire que la recherche a édifié et d'une certaine façon marqué sa personnalité. La recherche scientifique constitue pour vous, comme pour de nombreuses autres personnes, le chemin pour une rencontre personnelle avec la vérité et, peut-être, le lieu privilégié pour une rencontre avec Dieu, Créateur du ciel et de la terre. Comprise de cette façon, la science resplendit dans toute sa valeur comme un bien capable de motiver une existence, comme une grande expérience de liberté pour la vérité, comme une oeuvre fondamentale de service. A travers elle, chaque chercheur sent qu'il peut croître lui-même et aider les autres à croître en humanité.

Vérité, liberté et responsabilité sont liées entre elles dans l'expérience de l'homme scientifique. En effet, en entreprenant son chemin de recherche, il comprend qu'il doit le réaliser non seulement à travers l'impartialité exigée par l'objectivité de sa méthode, mais également à travers l'honnêteté intellectuelle, la responsabilité et, je dirais même, une sorte de "respect" dont l'esprit humain a besoin pour s'approcher de la vérité. Pour le scientifique, comprendre toujours mieux la réalité particulière de l'homme par rapport aux processus physiques et biologiques de la nature, découvrir des aspects toujours nouveaux du cosmos, en savoir plus sur l'emplacement et la distribution des ressources, sur les dynamiques sociales et écologiques, sur les logiques du progrès et du développement, se traduit par le devoir de servir davantage l'humanité tout entière auquel il appartient. Les responsabilités éthiques et morales liées à la recherche scientifique peuvent donc être comprises comme une exigence inhérente à la science en tant qu'activité pleinement humaine, non comme un contrôle, ou pire, une obligation qui vient de l'extérieur. L'homme de science sait parfaitement, du point de vue de ses connaissances, que la vérité ne peut être négociée, voilée ou abandonnée aux libres conventions ou aux accords entre groupes de pression, sociétés ou Etats. Celui-ci, donc, en raison de son idéal de service à la vérité, ressent une responsabilité particulière dans la promotion de l'humanité, non pas de façon générique ou entendue de façon idéale, mais comme promotion de tout l'homme et de tout ce qui est authentiquement humain.


4. Une science ainsi conçue peut rencontrer sans difficulté l'Eglise et instaurer avec elle un dialogue fécond, car précisément l'homme "est la première route et la route fondamentale de l'Eglise" (Redemptor hominis RH 14). La science peut alors considérer avec intérêt la Révélation biblique, qui dévoile le sens ultime de la dignité de l'homme, créé à l'image de Dieu. Celle-ci peut, enfin, rencontrer le Christ, le Fils de Dieu, Verbe incarné, Homme parfait; Celui grâce à qui, en le suivant, l'homme devient lui aussi plus homme (cf. Gaudium et spes GS 41).

N'est-ce pas cette centralité du Christ que l'Eglise célèbre dans le grand Jubilé de l'An 2000? En affirmant l'unicité et la centralité de Dieu fait Homme, l'Eglise se sent investie d'une profonde responsabilité: celle de proposer la Révélation divine qui, sans rien rejeter "de ce qui est vrai et saint" dans les diverses religions de l'humanité (cf. Nostra aetate NAE 2), montre le Christ, "le Chemin, la Vérité et la Vie" (Jn 14,6) comme mystère dans lequel tout trouve sa plénitude et son accomplissement.

Dans le Christ, centre et sommet de l'histoire (cf. Tertio millennio adveniente TMA 9-10) est contenue également la règle de l'avenir de l'humanité. En Lui, l'Eglise reconnaît les conditions ultimes, afin que le progrès scientifique soit également le véritable progrès humain. La charité et le service sont les conditions qui garantissent à tous les hommes une vie véritablement humaine, capable de s'élever jusqu'à l'Absolu, en s'ouvrant non seulement aux merveilles de la nature, mais également au mystère de Dieu.


5. Mesdames et Messieurs! En vous confiant ces réflexions sur le contenu anthropologique et sur la dimension humaniste de l'activité scientifique, je souhaite de tout coeur que les entretiens et les approfondissements de ces jours-ci soient féconds pour votre engagement académique et scientifique. Mon souhait est que vous puissiez contribuer avec sagesse et amour à la croissance culturelle et spirituelle des peuples.

A cette fin, j'invoque sur vous la lumière et la force du Seigneur Jésus, vrai Dieu et vrai Homme, dans lequel s'unissent la rigueur de la vérité et les raisons de la vie. Je vous assure volontiers de mon souvenir dans la prière pour vous et pour votre travail et je donne à chacun de vous la Bénédiction apostolique, que j'étends volontiers à toutes les personnes qui vous sont chères.




MESSAGE DU SAINT PÈRE AU RECTEUR MAJEUR DE LA SOCIÉTÉ SALÉSIENNE DE SAINT JEAN BOSCO



Au Révérend Père Dom Juan Edmundo VECCHI
Recteur majeur de la Société salésienne de Saint Jean Bosco

1. En 1875, les premiers Salésiens partaient pour l'Argentine. C'était pour votre Famille religieuse le début d'une saison missionnaire prometteuse qui, au cours du temps, devait devenir toujours plus florissante. En rappelant cette année le 125ème anniversaire de cet événement, je vous adresse mes voeux cordiaux, ainsi qu'à tous les membres de votre Institut, en manifestant ma satisfaction pleine de reconnaissance à tous vos confrères pour l'apostolat accompli selon l'esprit caractéristique de saint Jean Bosco.

Qui ne connaît pas l'âme typiquement missionnaire de votre Fondateur? De nombreux confrères, de nombreuses Filles de Marie auxiliatrice et de très nombreux laïcs en ont suivi les traces, en réalisant dans le charisme salésien leur vocation missionnaire. Au cours de ces 125 ans, plus de dix mille religieux se sont rendus en terre de mission. Beaucoup d'entre eux ont reçu, avant de partir, le Crucifix dans la basilique Sainte-Marie auxiliatrice, à Turin.

Révérend Père, je sais que, en rappelant les débuts missionnaires de l'Institut, vous avez voulu lancer un nouvel appel missionnaire à la Congrégation, et que 124 religieux, religieuses et laïcs ont répondu. Ces généreux apôtres recevront de votre part le mandat et le Crucifix qui les accompagnera dans leur ministère apostolique. Ils sont originaires de tous les continents, preuve de la diffusion de l'oeuvre salésienne dans chaque partie du monde, et sont envoyés, au nom de Dom Bosco et de Mère Mazzarello, pour oeuvrer dans toutes les régions de la terre afin d'accomplir une intense activité d'évangélisation et d'éducation des jeunes. Dans les centres ouverts en faveur des nouvelles générations, dans les oeuvres professionnelles et d'initiation au travail, dans les écoles, dans les paroisses, au sein des classes sociales populaires et avec les jeunes de la rue, ils sont appelés à former et à préparer à la vie sociale et religieuse ceux que la Providence leur confie, afin qu'ils deviennent à leur tour des annonciateurs et des témoins de l'Evangile.

Et comment ne pas rappeler également que de nombreux Salésiens se trouvent aux avant-postes de l'évangélisation et offrent leur service parmi les populations les plus défavorisées et indigentes? Poursuivez, chers frères et soeurs, cette action apostolique si utile, que mes vénérés Prédécesseurs ont toujours encouragée et bénie. Continuez avec la même ardeur missionnaire que ceux qui vous ont précédés.


2. Le premier groupe de Salésiens envoyés en Amérique latine en 1875 est rappelé en raison de son vibrant esprit missionnaire et il est également présenté aujourd'hui comme exemple pour ceux de la Congrégation salésienne qui demandent à se rendre en terre de mission. Leur témoignage est, d'une certaine façon, considéré comme le modèle de toute entreprise apostolique qui concerne toute la Famille salésienne, née de l'oratoire de Turin. Tel est le style de saint Jean Bosco, qui demandait à ses missionnaires de faire leur, avec passion, le même Evangile que celui prêché par le Sauveur et ses Apôtres. "Cet Evangile - disait-il -, vous devez l'aimer jalousement, le professer et exclusivement le prêcher" (Mémoires biographiques, XI, 387).

La remise du mandat et du Crucifix, qui est accomplie dans le souvenir de cette première expédition missionnaire, s'insère dans le vaste contexte du grand Jubilé et entend imprimer un élan renouvelé non seulement aux missions de la Congrégation, mais à la vie spirituelle de la Famille salésienne elle-même. Les religieux et les religieuses de la grande Communauté salésienne sont aujourd'hui engagés pour oeuvrer ensemble, en unissant leurs efforts. La présence importante et significative des laïcs s'y ajoute. Le discernement et la formation de vocations locales constitue, en effet, une partie nécessaire, bien que délicate, du ministère missionnaire des nouveaux envoyés, tout en poursuivant ce que Dom Bosco avait commencé.

La présence de 23 laïcs, hommes et femmes, parmi les nouveaux missionnaires qui sont envoyés en ces circonstances, souligne ce que les fils et les filles de Dom Bosco sont en train d'accomplir pour la valorisation du laïcat dans l'Eglise. Il s'agit de jeunes qui ont ressenti l'appel de la mission alors qu'ils se trouvaient insérés dans la pastorale des jeunes de la Congrégation. A présent, ils désirent consacrer une période de leur vie à des frères et soeurs qui habitent dans des terres lointaines, en partant comme témoins du Christ pour accomplir la volonté du Père (cf. He He 10,7).


3. Je rends grâce de tout coeur à Dieu pour l'animation missionnaire qu'accomplissent les membres de cette Famille religieuse dans le vaste domaine de l'Eglise. Je souhaite, dans le même temps, que cet heureux anniversaire, rendu plus précieux par l'acte significatif de la remise du mandat missionnaire et du Crucifix aux nouveaux ouvriers de la moisson, constitue pour les communautés et pour chaque Salésien en particulier, une occasion d'engagement renouvelé dans le témoignage évangélique et dans l'action missionnaire.

J'invoque pour cela l'assistance maternelle de Marie auxiliatrice des Chrétiens et l'intercession de saint Jean Bosco et des nombreux saints et bienheureux salésiens. Que la protection divine accompagne toujours votre Famille spirituelle et, en particulier, les missionnaires, hommes et femmes, leurs parents et leurs proches.

Avec ces sentiments, je vous donne de tout coeur, Révérend Recteur majeur, ainsi qu'à vos confrères, aux Filles de Marie auxiliatrice et aux laïcs qui coopèrent dans chaque secteur de l'activité de la Congrégation salésienne, la Bénédiction apostolique, que j'étends volontiers à ceux qui prendront part aux solennelles célébrations jubilaires.

Du Vatican, le 9 novembre 2000


Discours 2000 - Jeudi 9 novembre 2000