Discours 2001 - Jeudi 1er février 2001



1. L'inauguration de la nouvelle année judiciaire du Tribunal de la Rote romaine m'offre l'occasion propice de vous rencontrer une fois de plus. En saluant avec affection toutes les personnes présentes, je suis particulièrement heureux de vous exprimer, chers Prélats-auditeurs, Officiers et Avocats, ma plus profonde satisfaction pour le travail avisé et difficile, auquel vous vous consacrez en administrant la justice au service de ce Siège apostolique. Avec une compétence qualifiée, vous oeuvrez pour sauvegarder la sainteté et l'indissolubilité du mariage et, en définitive, les droits sacrés de la personne humaine, selon la tradition séculaire du prestigieux Tribunal de la Rote.


2. En effet, les familles ont été parmi les grands protagonistes des journées jubilaires, comme je l'ai souligné dans la Lettre apostolique Novo millennio ineunte (cf. NM NM 10). Dans celle-ci, j'ai rappelé les risques auxquels est exposée l'institution familiale, en soulignant que "in hanc potissimam institutionem diffusum absolutumque discrimen irrumpit" (NM 47). Parmi les défis les plus difficiles auxquels l'Eglise est confrontée aujourd'hui, se trouve celui d'une culture individualiste envahissante, qui tend, comme l'a justement dit votre Doyen, à circonscrire et à limiter le mariage et la famille à la sphère privée. C'est pourquoi je considère opportun de reprendre ce matin certaines thématiques sur lesquelles je me suis arrêté lors de nos rencontres précédentes (cf. Allocution à la Rote du 28 janvier 1991, AAS, 83, PP 947-953 et du 21 janvier 1999: AAS, 91, PP 622-627), pour confirmer l'enseignement traditionnel sur la dimension naturelle du mariage et de la famille.

Le Magistère ecclésiastique et la législation canonique contiennent de nombreuses références au caractère naturel du mariage. Le Concile Vatican II, dans Gaudium et spes, après avoir affirmé que "Dieu lui-même est l'auteur du mariage qui possède en propre des valeurs et des fins diverses" (GS 48), affronte plusieurs problèmes de moralité conjugale en se référant à "des critères objectifs, tirés de la nature même de la personne et de ses actes"" (GS 51). A leur tour, les deux Codes que j'ai promulgués, en formulant la définition du mariage, affirment que le "consortium totius vitae" est "ordonné par son caractère naturel au bien des conjoints ainsi qu'à la génération et à l'éducation des enfants" (CIC 1055 CCEO 776, 1).

Cette vérité, dans le climat créé par une sécularisation toujours plus marquée et par une définition tout à fait privée du mariage et de la famille, n'est non seulement pas respectée, mais ouvertement contestée.


3. Beaucoup de malentendus se sont multipliés autour de la notion même de "nature". On a surtout oublié son concept métaphysique, qui est précisément celui auquel se réfèrent les documents cités par l'Eglise. On tend ensuite à réduire ce qui est spécifiquement humain au domaine de la culture, en revendiquant pour la personne une créativité et un agir complètement autonome, tant sur le plan individuel que social. Dans cette optique, ce qui est naturel serait une donnée purement physique, biologique et sociologique, à manipuler à travers la technique selon ses propres intérêts.
Cette opposition entre culture et nature laisse la culture sans aucun fondement objectif, en proie à l'arbitraire et au pouvoir. On observe très clairement ce fait dans les tentatives actuelles de présenter les unions de fait, y compris homosexuelles, comme équivalentes au mariage, dont on nie précisément le caractère naturel.

Cette conception purement empirique de la nature empêche totalement de comprendre que le corps humain n'est pas quelque chose d'extrinsèque à la personne, mais constitue avec l'âme spirituelle et immortelle un principe intrinsèque à cet être unitaire qu'est la personne humaine. C'est ce que j'ai illustré dans l'Encyclique Veritatis splendor (cf. VS VS 46-60, AAS, 85 [1993], p. 1169-1174), où j'ai souligné l'importance morale de cette doctrine, si importante pour le mariage et la famille. On peut en effet facilement chercher dans de faux spiritualismes une pseudo-validité de ce qui est contraire à la réalité spirituelle du lien conjugal.


4. Quand l'Eglise enseigne que le mariage est une réalité naturelle, elle présente une vérité mise en évidence par la raison pour le bien des conjoints et de la société et qui est confirmée par la révélation de Notre Seigneur, qui met explicitement en étroite liaison l'union conjugale avec le "principe" (Mt 19,4-8), dont parle le Livre de la Genèse: "homme et femme il les créa" (Gn 1,27), et "ils deviennent une seule chair" (Gn 2,24).

Cependant, le fait que la donnée naturelle soit confirmée de façon autorisée et éminente au rang de sacrement par notre Seigneur, ne justifie pas du tout la tendance, aujourd'hui malheureusement très répandue, qui consiste à idéaliser la notion du mariage - nature, propriétés essentielles et finalité -, en revendiquant une conception différente mais valable de la part d'un croyant ou d'un non-croyant, d'un catholique ou d'un non-catholique, comme si le sacrement était une réalité successive et extrinsèque à la donnée naturelle et non cette même donnée naturelle, mise en évidence par la raison, assumée et élevée par le Christ comme signe et moyen de salut.

Le mariage n'est pas une union quelconque entre personnes humaines, susceptible de prendre la forme d'une pluralité de modèles culturels. L'homme et la femme trouvent en eux-mêmes l'inclination naturelle à s'unir conjugalement. Mais le mariage, comme le précise saint Thomas d'Aquin, est naturel, non parce qu'il "est causé par une nécessité dérivant des principes naturels", mais bien en tant que réalité "vers laquelle la nature tend, mais qui est accomplie à travers le libre arbitre" (Summa Theol. Suppl., q. 41, a. 1, in c.). Toute opposition entre nature et liberté, entre nature et culture est donc profondément déviante.

En examinant la réalité historique et naturelle de la famille, on tend souvent à amplifier les différences, pour relativiser l'existence même d'un dessein naturel sur l'union entre l'homme et la femme. Il apparaît en revanche plus réaliste de constater que, en même temps que les difficultés, les limites et les déviations, est toujours présente dans l'homme et la femme une inclination profonde de leur être, qui n'est pas le fruit de leur créativité, et qui, dans ses aspects fondamentaux, transcende largement les diversités historiques et culturelles.

En effet, l'unique voie à travers laquelle peut se manifester la richesse et la variété authentique de tout ce qui est essentiellement humain est la fidélité aux exigences de sa propre nature. Dans le mariage également, l'harmonie souhaitable entre les diverses réalisations et l'unité essentielle est non seulement envisageable, mais garantie par la fidélité vécue aux exigences naturelles de la personne. Le chrétien sait par ailleurs qu'il peut compter pour cela sur la force de la grâce, capable de guérir la nature blessée par le péché.


5. Le "consortium totius vitae" exige le don réciproque des époux (CIC 1057,2 CIO 817, 1). Mais ce don personnel a besoin d'un principe de spécificité et d'un fondement permanent. La considération naturelle du mariage nous fait voir que les conjoints s'unissent précisément en tant que personnes entre lesquelles il existe une diversité sexuelle, avec toute la richesse également spirituelle que cette diversité possède au niveau humain. Les époux s'unissent en tant que personne-homme et en tant que personne-femme. La référence à la dimension naturelle de leur masculinité et féminité est décisive pour comprendre l'essence du mariage. Le lien personnel du conjoint vient s'instaurer précisément au niveau naturel de la modalité masculine ou féminine de la personne humaine.

Le cadre de l'action des époux, et donc des droits et devoirs matrimoniaux, est une conséquence de celui de l'être et il trouve en ce dernier son véritable fondement. C'est pourquoi, de cette façon, l'homme et la femme, en vertu de cet acte très particulier de volonté qui est le consentement (CIC 1057,2 CCEO 817, 1), établissent librement entre eux un lien préfiguré par leur nature, qui constitue désormais pour tous les deux un vrai chemin de vocation, à travers lequel vivre sa propre personnalité comme réponse au dessein divin.

L'ordonnancement aux finalités naturelles du mariage - le bien des conjoints, la procréation et l'éducation des enfants - est intrinsèquement présent chez l'homme et la femme. Ce caractère théologique est décisif pour comprendre la dimension naturelle de l'union. C'est pourquoi le caractère naturel du mariage se comprend mieux lorsqu'on ne le sépare pas de la famille. Mariage et famille sont inséparables, car la masculinité et la féminité des personnes mariées sont constitutivement ouvertes au don des enfants. Sans cette ouverture, un bien des conjoints digne de ce nom ne pourrait pas même exister.

Les propriétés essentielles, l'unité et l'indissolubilité, s'inscrivent elles aussi dans l'être même du mariage, n'étant en aucune façon des lois qui lui sont extrinsèques. Ce n'est que s'il est considéré en tant qu'union qui interpelle la personne dans la réalisation de sa structure relationnelle naturelle, qui demeure essentiellement la même à travers la vie personnelle, que le mariage peut se placer au-delà des mutations de vie, des efforts et même des crises à travers lesquelles passe souvent la liberté humaine en vivant ses engagements. Si on considère, en revanche, l'union matrimoniale comme uniquement fondée sur les qualités personnelles, les intérêts ou les attractions, il est évident que celle-ci n'apparaît plus comme une réalité naturelle, mais comme une situation dépendante de la persévérance actuelle de la volonté, en fonction de la persistance des faits et des sentiments contingents. Le lien est causé assurément par le consentement, c'est-à-dire par un acte de volonté de l'homme et de la femme; mais ce consentement actualise une puissance déjà existante dans la nature de l'homme et de la femme. Ainsi, la force indissoluble du lien se fonde sur le fait que l'union librement établie entre l'homme et la femme est naturelle.


6. De nombreuses conséquences dérivent de ces présupposés ontologiques. Je me limiterai à indiquer celles d'une importance et d'une actualité particulières dans le droit matrimonial canonique. Ainsi, à la lumière du mariage en tant que réalité naturelle, on saisit facilement le caractère naturel de la capacité nécessaire pour se marier: "Omnes possunt matrimonium contrahere, qui iure non prohibentur" (CIC 1058 CCEO 778). Aucune interprétation des normes sur l'incapacité de consentement (cf. CIC CIC 1095 CCEO 818) ne serait juste si elle rendait ce principe vain en pratique: "Ex intima hominis natura - affirme Cicéron - haurienda est iuris disciplina" (Cicéron, De Legibus, II).

La norme du canon (CIC 1058) cité devient encore plus claire si l'on garde à l'esprit que, de par sa nature, l'union conjugale concerne la masculinité et la féminité mêmes des personnes mariées; il ne s'agit donc pas d'une union qui requiert essentiellement des caractéristiques particulières chez les contractants. S'il en était ainsi, le mariage se réduirait à une intégration de fait entre les personnes et ses caractéristiques, de même que sa durée, dépendraient uniquement de l'existence d'une affection interpersonnelle qui n'est pas mieux définie.

Pour une certaine mentalité aujourd'hui très répandue, cette vision peut sembler en contraste avec les exigences de la relation personnelle. Ce qui apparaît difficile à comprendre pour cette mentalité est la possibilité d'un mariage véritable qui ne soit pas réussi. L'explication s'insère dans le contexte d'une vision humaine et chrétienne intégrale de l'existence. Ce n'est pas le moment d'approfondir les vérités qui illuminent cette question: en particulier, les vérités sur la liberté humaine dans la situation actuelle de nature qui a chû mais qui a été rachetée, sur le péché, sur le pardon, sur la grâce.

Il sera suffisant de rappeler que le mariage n'échappe pas lui non plus à la logique de la Croix du Christ, qui exige des efforts et des sacrifices et qui comporte également la douleur et la souffrance, mais qui n'empêche pas, dans l'acceptation de la volonté de Dieu, une réalisation personnelle pleine et authentique, dans la paix et la sérénité de l'esprit.


7. L'acte même du consentement matrimonial se comprend mieux en relation à la dimension naturelle de l'union. Celui-ci est en effet le point de référence objectif par rapport auquel la personne vit son inclination naturelle. D'où le caractère normal et simple du véritable consentement. Représenter le consentement comme une adhésion à un schéma culturel ou de loi positive n'est pas réaliste, et risque de compliquer inutilement la constatation de la validité du mariage. Il s'agit de voir si les personnes, outre saisir l'identité de l'autre personne, ont vraiment saisi la dimension naturelle essentielle de leur lien conjugal, qui implique en vertu d'une exigence intrinsèque la fidélité, l'indissolubilité et la potentielle maternité/paternité, en tant que biens qui complètent une relation de justice.

"Même la plus profonde ou la plus subtile science du droit - avertissait le Pape Pie XII de vénérée mémoire - ne pourrait pas indiquer un autre critère pour distinguer les lois injustes des justes, le simple droit légal du droit véritable, qui est celui déjà perceptible à la seule lumière de la raison de la nature des choses et de l'homme lui-même, celui de la loi écrite par le Créateur dans le coeur de l'homme et expressément confirmée par la révélation. Si le droit et la science juridique ne veulent pas renoncer au seul guide capable de les garder sur le droit chemin, ils doivent reconnaître les "obligations éthiques" comme des normes objectives valables également pour l'ordre juridique" (Allocution à la Rote, 13 novembre 1949; AAS, 41, p. 607).


8. En m'apprêtant à conclure, je désire m'arrêter brièvement sur le rapport entre le caractère naturel du mariage et sa sacramentalité, étant donné que, à partir de Vatican II, de fréquentes tentatives ont visé à revitaliser l'aspect surnaturel du mariage, également à travers des propositions théologiques, pastorales et de droit canonique étrangères à la tradition, telles que celle de demander la foi comme condition pour se marier.

Au début de mon pontificat, après le Synode des Evêques sur la famille de 1980, dans lequel ce thème fut traité, je me suis prononcé à ce propos dans Familiaris consortio, en écrivant: "Parmi tous les sacrements, celui du mariage a ceci de spécifique d'être le sacrement d'une réalité qui existe déjà dans l'ordre de la création, d'être le pacte conjugal institué par le Créateur "au commencement"" (FC 68, AAS, 73, p. 163). En conséquence, pour identifier quelle est la réalité qui, depuis le principe, est déjà liée à l'économie du salut et qui dans la plénitude des temps constitue l'un des sept sacrements au sens propre de la Nouvelle Alliance, l'unique voie est celle de se référer à la réalité naturelle qui nous est présentée par l'Ecriture Sainte dans la Genèse (Gn 1,27 Gn 2,18-25). C'est ce qu'a fait Jésus en parlant de l'indissolubilité du lien conjugal (cf. Mt 19,3-12 Mc 10,1-2), et c'est ce qu'a fait saint Paul en illustrant le caractère de "grand mystère" que possède le mariage "qui s'applique au Christ et à l'Eglise" (cf. Ep 5,32).

Par rapport au reste des sept sacrements le mariage, tout en étant un "signum significans et conferens gratiam", est le seul qui ne se réfère pas à une activité spécifiquement orientée vers l'obtention de fins directement surnaturelles. En effet, le mariage a pour objectifs, non seulement primordiaux, mais propres à "son caractère naturel", le bonum coniugum et la prolis generatio et educatio (CIC 1055).

Dans une perspective différente, le signe sacramentel consisterait à la réponse de foi et de vie chrétienne des conjoints, il serait donc privé d'une consistance objective qui permettrait de le compter parmi les véritables sacrements chrétiens. C'est pourquoi, l'affaiblissement de la dimension naturelle du mariage, et sa réduction à une pure expérience subjective, comporte également la négation implicite de sa sacramentalité. En revanche, c'est précisément la compréhension correcte de cette sacramentalité dans la vie chrétienne qui pousse vers une réévaluation de sa dimension naturelle.

D'autre part, introduire pour le sacrement des conditions d'intention ou de foi qui aillent au-delà de celle de se marier selon le plan divin du "principe", - outre les graves risques que j'ai indiqués dans Familiaris consortio (FC 68, l.c. p. 164-165): jugements sans fondement et discriminants, doutes sur la validité de mariages déjà célébrés, en particulier de la part de baptisés non catholiques - conduirait inévitablement à vouloir séparer le mariage des chrétiens de celui des autres personnes. Cela s'opposerait profondément au véritable sens du dessein divin, selon lequel c'est précisément la réalité de la création qui est un "grand mystère" s'appliquant au Christ et à l'Eglise.


9. Voilà, chers Prélats-auditeurs, Officiers et Avocats, quelques-unes des réflexions que j'avais à coeur de partager avec vous pour orienter et soutenir le précieux service que vous rendez au Peuple de Dieu.

Sur chacun de vous et sur votre travail quotidien, j'invoque la protection particulière de la Très Sainte Vierge Marie, "Speculum iustitiae", et je vous donne de tout coeur la Bénédiction apostolique, que j'étends bien volontiers à vos proches et aux étudiants du "Studio Rotale".



AUX PRÉLATS DE LA CONFÉRENCE ÉPISCOPALE DE L’ALBANIE EN VISITE "AD LIMINA APOSTOLORUM"

Samedi 3 février 2001



Vénérés frères dans l'épiscopat et dans le sacerdoce!

1. Je suis comblé de joie en vous accueillant pour cette première visite ad limina, depuis que l'Albanie a retrouvé, après la fin de la dictature communiste, sa place parmi les nations libres et démocratiques.

Je vous salue avec une grande affection et je souhaite à chacun de vous une cordiale bienvenue. Je remercie Mgr Angelo Massafra, Président de la Conférence épiscopale, d'avoir voulu interpréter vos sentiments communs. J'adresse également mes meilleurs voeux à Mgr Rrok Miridita, Archevêque de Durrës-Tirana, qui n'a pas pu être avec nous pour des raisons de santé.

J'adresse en particulier un salut affectueux aux quatre nouveaux Administrateurs apostoliques de Rreshen, de Lezhe, de Sape et de Pulati-Bajze, dont la nomination, après la réorganisation des circonscriptions ecclésiastiques, constitue un signe prometteur pour la vie de tout le peuple chrétien d'Albanie.

Les contacts que j'ai eus avec votre communauté ecclésiale me reviennent à l'esprit. Je pense à la visite pastorale du 25 avril 1993, et à l'ordination des quatre premiers Evêques albanais, qui a eu lieu lors de cette occasion mémorable. Ma pensée s'adresse en particulier à Mgr Frano Illia et à Mgr Robert Ashta, qui sont retournés à la maison du Père après une existence vécue dans la fidélité courageuse à l'Evangile. Je pense également à l'élévation à la dignité cardinalice du regretté Cardinal Mikel Koliqi, témoin fidèle du Christ qui, dans sa vénérable figure, synthétisait presque l'histoire des souffrances, des persécutions et de l'espérance indomptable des chrétiens de votre terre bien-aimée.


2. Le long chemin de l'Eglise catholique en Albanie a connu des moments de vitalité prometteurs et des saisons de difficultés, face aux obstacles et aux persécutions. Il suffit de rappeler la longue domination turque qui, pendant 450 ans, a mis à dure épreuve la foi des catholiques albanais et, plus près de nous, le demi-siècle de dictature communiste, qui les a obligés à vivre dans les catacombes. Il a même parfois semblé que la communauté ecclésiale ait été inévitablement destinée à disparaître, mais c'est précisément alors que la présence mystérieuse du Seigneur déposait les semences de nouvelles floraisons et de nouveaux fruits.

En Albanie s'est également réalisé ce qu'affirmait Tertullien: "Le sang des martyrs est la semence des nouveaux chrétiens" (Apologeticum, 50, 13). C'est ce qu'attestent les nombreux Albanais qui ont conservé la foi malgré la dure répression subie en raison de leur adhésion à l'Evangile. Les prêtres et les religieux qui subi la prison et la torture en sont un merveilleux témoignage.

En cette circonstance particulière, je désire remercier l'Eglise albanaise tout entière pour le témoignage offert au cours des années de persécution et m'unir à elle dans la louange au Seigneur pour avoir pu célébrer ensemble, ici à Rome, le 4 novembre dernier, le dixième anniversaire de la réouverture des Eglises et de la reprise au grand jour de la vie ecclésiale dans le pays.

J'adresse également une pensée reconnaissante aux prêtres, aux religieux et aux religieuses, provenant en grande partie d'Italie et du Kosovo, mais également de Bosnie-Herzégovine, de Croatie, d'Allemagne, d'Autriche, de Slovénie, de Malte, de l'Inde et des Philippines, qui grâce à leur contribution pastorale, culturelle et matérielle collaborent avec efficacité à la cause de l'Evangile.


3. Après le long hiver des persécutions, la saison de l'espérance a commencé. Diverses églises ont été construites et de nombreuses maisons religieuses ont été ouvertes, constituant des avant-postes providentiels d'évangélisation et de promotion humaine. Les vocations à la vie sacerdotale et religieuse ont augmenté. Le grand séminaire interdiocésain de Scutari a été rouvert, commençant à donner ses fruits le 29 juin 1999, lors des cinq premières ordinations sacerdotales. Il existe également un important engagement social et éducatif qui a conduit à la construction de cliniques, de dispensaires, d'écoles pour les enfants et les jeunes. L'assistance aux pauvres n'a pas été oubliée, à travers la construction de maisons pour les sans-abris et la distribution de nourriture et de vêtements.

Au cours de cette période, votre Eglise a de nouveau acquis sa place à l'intérieur de la vie de la nation. Au cours des désordres et des affrontements fratricides de 1997, elle a joué un rôle de pacification; à travers la Caritas nationale et d'autres organisations catholiques non-gouvernementales, elle s'est prodiguée en faveur des réfugiés du Kosovo; en outre, elle a réalisé des initiatives significatives comme "La cloche de la paix", voulue par les enfants de la de la région de Zadrina de Lezha, et le "Village de la paix" construit à Scutari par les religieux de l'oeuvre de Don Orione. Je ne peux pas non plus oublier le dialogue permanent entretenu avec les communautés orthodoxes et musulmanes.

Aux nombreux motifs de satisfaction pour le travail accompli par votre communauté, je ne peux pas oublier d'ajouter le réconfort que j'ai trouvé dans les initiatives culturelles que vous avez organisées, telles que la Conférence internationale sur le thème "Le christianisme parmi les Albanais" qui s'est tenue du 16 au 19 novembre 1999, ainsi que dans la participation de nombreuses délégations de vos Eglises aux célébrations jubilaires à Rome.


4. "Et voici que je suis avec vous pour toujours jusqu'à la fin du monde" (Mt 28,20). "Cette certitude... a accompagné l'Eglise pendant deux mille ans, et elle vient d'être ravivée dans nos coeurs par la célébration du Jubilé. Nous devons y puiser un élan renouvelé pour notre vie chrétienne, en en faisant même la force inspiratrice de notre cheminement. C'est dans la conscience de cette présence du Ressuscité parmi nous que nous nous posons aujourd'hui la question adressée à Pierre à Jérusalem, aussitôt après son discours de la Pentecôte: "Que devons-nous faire?" (Ac 2,37)" (Lettre apostolique Novo millennio ineunte NM 29).

Ces paroles, qui expriment la motivation profonde de chaque projet pastoral après l'expérience de grâce du Jubilé, apparaissent plus que jamais actuelles pour vous, très chers pasteurs de l'Eglise qui est en Albanie. N'est-ce pas la certitude de la présence du Ressuscité qui a soutenu vos martyrs, qui a alimenté l'espérance des chrétiens et qui a donné à vos communautés la force de renaître après la terrible expérience du communisme athée? Cette certitude ne doit-elle pas fonder aujourd'hui votre projet pour le présent et pour l'avenir?

En cette nouvelle saison apparaissent diverses priorités, auxquelles est liée la qualité de l'avenir de vos communautés. Toujours dans la Lettre apostolique Novo millennio ineunte, j'ai écrit: "Faire de l'Eglise la maison et l'école de la communion: tel est le grand défi qui se présente à nous dans le millénaire qui commence, si nous voulons être fidèles au dessein de Dieu et répondre aux attentes profondes du monde" (Ibid., NM NM 43).

Cet engagement doit trouver au sein de votre Conférence épiscopale une référence autorisée et sûre. Je suis certain qu'un style accueillant et respectueux de tous les charismes vous conduira à valoriser la contribution des missionnaires et des religieuses qui, venant d'autres pays, ont choisi de servir le Christ et leurs frères sur votre terre. Leur présence et leur engagement pastoral constituent un don pour vos communautés. Coopérer ensemble, dans le respect réciproque, en se sentant tous appartenir à une unique Eglise et au service de l'Evangile: telle est l'attitude juste pour développer de façon efficace le programme d'une inculturation toujours plus profonde du message chrétien dans le contexte albanais.


5. Il s'agit d'une tâche qui demande la contribution de chacun, et c'est pourquoi il faut que les paroisses deviennent des lieux privilégiés d'écoute de la Parole de Dieu, de formation et d'expérience chrétienne.

La préparation du clergé et le soin de la pastorale des vocations est également d'une importance fondamentale, car l'avenir d'une Eglise est en grande partie lié à sa capacité de fournir à ceux qui sont appelés au sacerdoce ministériel et à la vie consacrée un bagage spirituel, doctrinal et pastoral solide et attentif aux signes des temps.

A la formation du clergé, des religieux et des agents de pastorale, vous unissez, vénérés frères dans l'épiscopat, une profonde attention à l'égard de deux objectifs incontournables de l'Eglise du troisième millénaire: la pastorale des jeunes et celle de la famille. Il est en effet urgent de préparer les jeunes générations à construire un avenir meilleur dans leur propre pays, en vainquant la tentation de l'immigration et l'illusion des succès faciles qui peuvent être obtenus à l'étranger. Il est également indispensable de soutenir moralement et matériellement les familles et de combattre les graves maux qui, hélas, affligent également votre pays, tels que l'avortement, la prostitution, la drogue, l'esprit de vengeance, l'exploitation des femmes, la violence. Ne vous lassez pas d'élever avec fermeté votre voix en défense de la vie dès sa conception, et ne vous laissez jamais détourner de l'engagement de protéger avec une détermination courageuse la dignité de chaque personne humaine.


6. Très chers et vénérés frères dans l'épiscopat, le domaine d'évangélisation et de promotion humaine qui s'ouvre devant vos yeux est vaste! Le nombre des problèmes pourrait parfois vous décourager. Comment accomplir une tâche si exigeante? Comment construire une communauté adulte, actrice de la nouvelle évangélisation? Tout d'abord en conservant fermement votre coeur dans le Christ: c'est de Lui que vous pouvez puiser la force et la lumière. Sa grâce vous rendra forts et patients, prêts à accueillir les nombreux dons avec lesquels il comble lui-même son Eglise. A vous aussi, comme aux prophètes envoyés pour annoncer la Parole dans des contextes difficiles et hostiles, le Ressuscité continue de répéter: "Je serai avec vous jusqu'à la fin du monde. Je reste avec vous. N'ayez pas peur!" Rendues fortes par la puissance de la Croix, vos Eglises, petites semences dans l'immense champ de Dieu, pourront devenir des arbres luxuriants et riches de fruits.

Que vous accompagne de sa protection maternelle la Mère du Seigneur qui, par sa présence et sa prière, a été proche des Apôtres au Cénacle. Que ce soit elle qui rende fécond chacun de vos projets apostoliques et qui prépare pour le Peuple de Dieu qui vous est confié des effusions de l'Esprit toujours nouvelles.

Que dans la difficulté quotidienne de votre ministère vous réconforte également la Bénédiction apostolique, que je vous donne de tout coeur, ainsi qu'aux fidèles de l'Albanie bien-aimée, avec une pensée particulière pour les malades, les jeunes, les familles et ceux qui souffrent dans leur corps et leur esprit.



AUX ÉVÊQUES DE LA CONFÉRENCE ÉPISCOPALE DE LA RUSSIE EN VISITE "AD LIMINA APOSTOLORUM"

Vendredi 9 février 2001


Vénérés frères!

1. C'est avec une grande joie que je présente à chacun un salut cordial et ma sincère bienvenue. Au cours de cette visite se renouvellent les liens étroits d'unité et de communion qui vous lient, ainsi que les communautés qui vous sont confiées, au Successeur de Pierre.

Je remercie Mgr Tadeusz Kondruszewicz des sentiments que, en votre nom, il m'a adressés. En m'adressant à vous, j'entends faire parvenir une pensée affectueuse à vos communautés respectives, en les assurant de ma constante bienveillance et de mon souvenir quotidien dans la prière.

Cette rencontre se déroule quelques semaines seulement après la clôture de la Porte Sainte, alors que la mémoire du grand Jubilé, un temps au cours duquel la miséricorde divine est descendue en abondance sur l'Eglise et sur le monde, reste encore vive. Les fruits de cet extraordinaire événement sont perceptibles et constituent un encouragement profitable pour intensifier les efforts pour le Royaume de Dieu.

Affermis par l'esprit du grand Jubilé, vous aussi, très chers frères dans l'épiscopat, vous reprenez votre chemin au milieu des épreuves du monde et des consolations de Dieu, en conservant fermement l'engagement d'une évangélisation diffuse et d'une constante édification du sensus Ecclesiae. Que, dans cette vaste action pastorale, la collaboration des prêtres, des personnes consacrées, des fidèles laïcs ainsi que du groupe prometteur de jeunes qui se préparent au ministère presbytéral, constitue une aide valable.


2. Les traces de soixante-dix années d'athéisme militant sont encore très profondes, mais elles ne doivent pas vous décourager dans l'exercice de votre ministère. Que la conscience du fait que le Christ vous a appelés à annoncer l'Evangile à une époque difficile, vous incite à une oeuvre plus courageuse de catéchèse de ceux que la Providence vous a confiés. Je connais les efforts que vous accomplissez pour rendre accessibles dans votre langue les livres liturgiques, les enseignements du Magistère, les livres de catéchèse, les manuels de prière. Je désire vous encourager à poursuivre sur cette voie, car c'est sur la base d'une connaissance des mystères de Dieu convaincue et empreinte de prière que se consolide une plus profonde et généreuse adhésion à la vie de grâce.

La vaste mission d'évangélisation que vous promouvez exige en premier lieu que vous preniez soin de former des prêtres saints et fervents dans leur apostolat. A ce propos, vous vous prodiguez déjà pour former des enseignants et des professeurs qui, russes de naissance, sachent comprendre en profondeur la mentalité et l'héritage du grand peuple auquel ils appartiennent et, dans le même temps, qui soient en mesure de trouver dans la connaissance des Ecritures et des Pères antiques la valorisation la plus complète et authentique du génie de leur propre culture.

En outre, il est nécessaire de faire participer les jeunes à la nouvelle évangélisation, en reconnaissant les diverses vocations que Dieu confie à ceux qui ont été marqués par le sceau du Baptême. A la base de tout cela se trouve bien sûr, de façon incontournable, la prière confiante au Maître de la moisson, afin que ce soit lui-même qui envoie à sa moisson des ouvriers selon son coeur, saints et généreux.


3. La vocation naît de Dieu mais se développe dans une famille et est soutenue par une communauté chrétienne fervente et fidèle. Qui ne connaît pas la désolation spirituelle et morale laissée en héritage par le siècle qui vient de s'écouler? Qui n'est pas au courant des difficultés que les familles, souvent jeunes, doivent encore aujourd'hui affronter? Sachez être pour elles un soutien valable et encourageant. Marchez à leurs côtés en devenant leurs guides sûrs; aidez-les à travers la prière, ouvrez-leur les trésors de la miséricorde divine et rompez pour elles le pain de la vérité du Christ. Il s'agit d'une vaste action apostolique que vous, pasteurs diocésains, êtes appelés à conduire avec ceux que Dieu a placés à vos côtés: prêtres, personnes consacrées et laïcs qui collaborent avec vous. Développez un esprit d'entente cordiale et de soutien réciproque, en respectant le charisme de chacun et en harmonisant les diverses méthodes d'évangélisation.

Bien que les difficultés de la vie quotidienne soient inévitables, vous pourrez toujours les surmonter avec l'aide du Seigneur, en gardant comme objectif prioritaire le dialogue de la charité. De cette façon les dons individuels sont placés au service du bien de tout le Corps du Christ.


4. Le dialogue respectueux devient également une méthodologie patiente, grâce à laquelle il est possible de se mettre en relation avec les autres baptisés qui vivent en Russie. Cherchez ce qui favorise la compréhension réciproque et, lorsque cela est possible, la collaboration: voilà une règle concrète de dialogue oecuménique si chère au Bienheureux Jean XXIII, qui aimait répéter qu'il y a beaucoup plus de choses qui nous unissent que de choses qui nous séparent. Voilà pourquoi il ne faut pas se décourager devant les difficultés et même devant les échecs du chemin oecuménique, mais, soutenus par la prière, il faut continuer à avancer en accomplissant tous les efforts possibles pour édifier la pleine unité entre les disciples du Christ. Grâce à la confiance en Dieu, grâce à la charité, grâce à la constance on peut contribuer à hâter la réalisation du désir pressant du divin Maître: "Afin que tous soient un [...] afin que le monde croie" (cf. Jn 17,21).

Vénérés frères, l'Evêque de Rome est proche de vous et il vous encourage avec une grande affection à poursuivre cette importante oeuvre spirituelle qui vous a été confiée par Dieu. Que votre signe distinctif soit la charité, qui est le lien de la perfection. Animés par cette vertu fondamentale, vous saurez trouver, comme vous le faites déjà, des formes d'aides pour les pauvres et les indigents qui frappent à la porte de votre coeur. En imitant le Bon Samaritain évangélique, vous servirez le Christ qui se présente à vous avec les vêtements déchirés, le visage implorant et le corps couvert des plaies des pauvres et des laissés-pour-compte. Il s'agit d'une oeuvre immédiate et compréhensible d'évangélisation.

Alors que je vous confie à la protection de Marie, Mère de Dieu, vénérée avec une tendre affection sur tout le territoire dans lequel vous accomplissez votre tâche apostolique, j'invoque sur vous l'abondance des grâces célestes et je vous bénis de grand coeur.


Discours 2001 - Jeudi 1er février 2001