Discours 2001 - MESSAGE AU CONSEIL EXÉCUTIF DE L'UNION INTERNATIONALE DES SUPÉRIEURES GÉNÉRALES (UISG)

MESSAGE AU CONSEIL EXÉCUTIF DE L'UNION INTERNATIONALE DES SUPÉRIEURES GÉNÉRALES (UISG)



A l'Union internationale des Supérieures générales

1. C'est avec grande joie que je m'adresse à vous, chères Supérieures, venues de toutes les parties du monde pour votre habituelle rencontre de l'Union internationale des Supérieures générales. Vous avez été convoquées pour réfléchir aux problèmes et aux espérances de la vie consacrée au début du troisième millénaire, de façon à pouvoir continuer à être, en pleine fidélité à vos charismes, un signe de l'amour du Christ. Ne pouvant vous accueillir en audience en raison de mon pèlerinage sur les pas de saint Paul, qui me portera dans les prochains jours à Athènes, à Damas et à Malte, je vous adresse bien volontiers ce message, grâce auquel je peux me trouver, au moins spirituellement, parmi vous.

Vous êtes rassemblées à Rome pour réfléchir sur un thème qui unit merveilleusement non seulement la diversité enrichissante de vos charismes dans l'Eglise, mais aussi le pluralisme des cultures qui rendent vos différentes traditions significatives. Le désir de l'apôtre Paul vous réunit en un seul coeur: "Charitas Christi urget nos!" (2Co 5,14). En ce monde, déchiré par tant de contradictions, vous vous proposez, dans votre identité de "femmes", d'"être une présence vivante de la tendresse et de la miséricorde de Dieu". Seule la charité du Christ permet aux communautés religieuses de répondre efficacement aux défis du monde moderne et de devenir annonce vivante de communion pour une nouvelle humanité, qui naît de la miséricorde et de la tendresse de Dieu.


2. Votre vie consacrée est caractérisée par la communion avec Dieu Amour, à qui vous voulez réserver la priorité dans tous vos choix. Ce Dieu auquel vous vous êtes données de façon libre et consciente, est le Dieu de Jésus-Christ, Dieu d'Amour, Dieu de Relation, Dieu-Trinité. Il fait participer notre petitesse à sa propre dynamique d'amour et d'unité. Mais comment appartenir à un Dieu de communion si nous ne communiquons pas la communion à celui que nous approchons, en l'exprimant concrètement dans la vie? Dans l'Exhortation post-synodale Vita consecrata j'ai voulu souligner que "la communion fraternelle, avant d'être un moyen pour une mission déterminée, est un lieu théologal où l'on peut faire l'expérience mystique du Seigneur ressuscité" (VC 42) et, dernièrement, dans la Lettre apostolique Novo millennio ineunte, j'ai observé que "spiritualité de la communion" signifie "regard du coeur porté sur le mystère de la Trinité qui habite en nous, et dont la lumière doit aussi être perçue sur le visage des frères qui sont à nos côtés" (NM 43). L'appel même que Jésus vous a adressé, et auquel chacune d'entre vous a répondu par le don de sa propre vie, ne peut se réaliser sans entrer en communion avec le monde entier, par amour de Dieu.


3. Pour reconnaître le Christ et l'Eglise, le monde a besoin aussi de votre témoignage. Ne vous découragez donc pas si vous rencontrez des difficultés. Parfois, il peut sembler que l'amour, la justice, la fidélité ne soient plus présents dans le monde d'aujourd'hui. N'ayez pas peur; le Seigneur est avec vous, il vous précède et vous suit dans la fidélité à son amour. Témoignez par votre vie de ce en quoi vous croyez!

Le témoignage fort et libre de votre voeu de pauvreté, vécu avec amour et dans la joie, est nécessaire pour que vos soeurs et vos frères comprennent que Dieu avec son amour salvifique est l'unique "trésor". La pauvreté conserve la chasteté et vous empêche de devenir esclaves des besoins créés artificiellement par la civilisation du bien-être. Libérées de tout le superflu, vous donnerez à votre pauvreté le visage évangélique de la liberté et de la confiance de celui qui est sûr que Dieu pourvoit aux besoins de ses fils. Il ne vous est pas demandé d'être puissantes mais d'être saintes!

Il y a besoin de votre chasteté fidèle et claire qui "annonce", dans le silence de son don quotidien, la miséricorde et la tendresse du Père et crie au monde qu'il existe un "amour plus grand" qui remplit le coeur et la vie, parce qu'il laisse de la place au frère ainsi que le suggère l'Apôtre: "Portez les fardeaux les uns des autres" (Ga 6,2). N'ayez pas peur de témoigner de ce grand don de Dieu. La jeunesse vous observe; puisse-t-elle apprendre de vous qu'il existe un amour différent de celui que le monde proclame, un amour fidèle, total, capable de prendre des risques. La virginité, vécue par amour de Jésus, est prophétique aujourd'hui plus que jamais!

Votre obéissance responsable et entièrement disponible à Dieu, à travers les personnes qu'il met sur votre route, est nécessaire. Vous êtes appelées à montrer par votre vie, que la vraie liberté consiste à entrer avec décision sur le chemin marqué et béni de l'obéissance, le chemin de mort et de résurrection que Jésus nous a indiqué par son exemple. Ayez son cri en mémoire, un cri de solitude et d'abandon au Père à la fois: "Mon Père, s'il est possible, que cette coupe passe loin de moi! Cependant non pas comme je veux, mais comme tu veux" (Mt 26,39) (cf. Novo millennio ineunte NM 26). Vous vivez l'obéissance dans la communion. Ne laissez pas l'individualisme miner vos communautés. Que celles qui assument le service de l'autorité s'engagent toujours afin que leurs consoeurs témoignent d'une profonde communion avec le Magistère de l'Eglise, notamment lorsqu'une mentalité sécularisée et hédoniste tente de remettre en cause les vérités fondamentales et les normes morales. Que votre obéissance soit, comme celle de Jésus, un abandon sans mesure aux desseins du Père.


4. Cet abandon à l'amour du Père renforce la charité envers le prochain. "C'est l'heure d'une nouvelle "imagination de la charité"" (Novo millennio ineunte NM 50) qui se déploie non seulement dans l'organisation de secours, même s'ils sont nécessaires, mais "dans la capacité de se faire proche, d'être solidaire de ceux qui souffrent, de manière que le geste d'aide soi ressenti non comme une aumône humiliante, mais comme un partage fraternel" (Ibid. NM NM 50). La vie religieuse, pour se retrouver elle-même, doit redécouvrir le contact avec les personnes afin que celles-ci puissent la connaître telle qu'elle est: un don de Dieu fait aux hommes dans le mystère de communion qui vivifie l'Eglise. Vous comprendrez d'autant plus profondément dans sa vitalité le charisme que Dieu vous a donné à travers vos Fondateurs et vos Fondatrices, que vous vous mettrez au service des autres, à commencer par les plus pauvres. Chaque charisme est donné pour la vie du monde. La contemplation comme l'évangélisation, l'assistance aux marginaux et aux malades comme l'enseignement, sont toujours un dialogue avec l'humanité, celle-là même pour laquelle Dieu n'a pas hésité à envoyer son Fils, pour qu'il donne la vie par sa rédemption.

Combien de fois a-t-il été dit qu'aujourd'hui, on ressent davantage le besoin de témoins que de maîtres! Soyez donc des témoins de l'Evangile, fidèles à Dieu et fidèles à l'homme. La vie religieuse, de par la force de la foi en la présence du Christ dans son Eglise - "Et voici que je suis avec vous pour toujours jusqu'à la fin du monde" (Mt 28,20) -, vivra alors avec toute la communauté ecclésiale "un élan renouvelée pour la vie chrétienne" (Novo millennio ineunte NM 29), faisant de la présence divine la force d'inspiration de son chemin.

La certitude de la présence de Dieu dans votre vie vous aide à comprendre le rapport existant entre la vie consacrée et l'annonce de l'Evangile. Dieu veut avoir besoin de votre disponibilité personnelle et communautaire à son Esprit, pour que l'humanité se rende compte et découvre finalement sa miséricorde et sa tendresse pour toute créature. Saint Paul affirme: "Lorsque je suis faible, c'est alors que je suis fort" (2Co 12,10). Pourquoi? Parce que Dieu n'a pas peur de la faiblesse de l'homme, pourvu que celui-ci accueille sa miséricorde.


5. Chères Supérieures générales, je suis présent parmi vous spirituellement et je vous accompagne par la prière, en pensant que toute vocation religieuse dans l'Eglise porte un message d'espérance toujours renouvelé. On pourrait penser que le coeur de la femme a été créé pour apporter au monde le message de la miséricorde et de la tendresse de Dieu. Je vous confie volontiers à la Vierge Marie, la première consacrée qui, dans l'obéissance, est devenue Mère de Dieu. Et je vous répète avec confiance: "Allons de l'avant dans l'espérance!... N'est-ce pas pour reprendre contact avec cette source vive de notre espérance que nous avons célébré l'Année jubilaire? Maintenant le Christ, contemplé et aimé, nous invite une nouvelle fois à nous mettre en marche (Novo millennio ineunte NM 58).

Que Marie vous aide à aimer, au prix de n'importe quel sacrifice, et même jusqu'à l'héroïsme, comme ont su le faire tant de vos consoeurs. Que sa présence soit pour chacune de vous un guide et un soutien.

Avec de tels sentiments, je vous donne à toutes une Bénédiction spéciale que j'étends volontiers à vos communautés et à chacune de vos Soeurs, comme expression de l'amour de Dieu qui vous suit chacune avec une fidélité éternelle.

Du Vatican le 3 mai 2001


  MESSAGE À L'OCCASION DU NEUVIÈME CENTENAIRE DE LA MORT DE SAINT BRUNO


  Au Révérend Père Marcellin Theeuwes
Prieur de Chartreuse
Ministre général de l’Ordre des Chartreux
et à tous les membres de la famille cartusienne

1. Au moment où les membres de la famille cartusienne célèbrent le neuvième centenaire de la mort de leur fondateur, avec eux je rends grâce à Dieu, qui a suscité dans son Eglise la figure éminente et toujours actuelle de saint Bruno. Dans une prière fervente, appréciant votre témoignage de fidélité au Siège de Pierre, je m’associe bien volontiers à la joie de l'Ordre cartusien, qui trouve dans ce "père très bon et incomparable" un maître de vie spirituelle. Le 6 octobre 1101, "brûlant d’amour divin", Bruno quittait "les ombres fugitives du siècle" pour rejoindre définitivement les "biens éternels" (cf. Lettre à Raoul, n. 13). Les frères de l’ermitage de Santa Maria della Torre, en Calabre, auxquels il avait donné tant d’affection, ne pouvaient se douter que ce Dies natalis inaugurerait une aventure spirituelle singulière qui produit encore aujourd’hui des fruits abondants pour l’Eglise et pour le monde.

Témoin du bouillonnement culturel et religieux qui agitait à son époque l’Europe naissante, acteur dans la réforme que souhaitait réaliser l’Église face aux difficultés internes qu'elle rencontrait, après avoir été un enseignant apprécié, Bruno se sent appelé à se consacrer au bien unique qu’est Dieu lui-même. "Et qu’y a-t-il d’aussi bon que Dieu? Plus encore, y a-t-il un autre bien que Dieu seul? Aussi l’âme sainte qui a quelque sentiment de ce bien, de son incomparable éclat, de sa splendeur, de sa beauté, brûle de la flamme du céleste amour et s’écrie: 'J’ai soif du Dieu fort et vivant, quand irai-je voir la face de Dieu'" (Lettre à Raoul, n. 15). Le caractère radical de cette soif poussa Bruno, dans l’écoute patiente de l’Esprit, à inventer avec ses premiers compagnons un style de vie érémitique, où tout favorise la réponse à l’appel du Christ qui, de tout temps, choisit des hommes "pour les mener en solitude et se les unir dans un amour intime" (Statuts de l’Ordre des Chartreux). Par ce choix de "vie au désert", Bruno invite dès lors toute la communauté ecclésiale " à ne jamais perdre de vue la vocation suprême, qui est de demeurer toujours avec le Seigneur" (Vita consecrata VC 7).

Bruno fait apparaître son vif sens de l’Eglise, lui qui fut capable d’oublier "son" projet pour répondre aux appels du Pape. Conscient que la marche dans la voie de la sainteté ne se conçoit pas sans l’obéissance à l'Eglise, il nous montre ainsi que la véritable vie à la suite du Christ exige de se remettre entre ses mains, manifestant dans l'abandon de soi un surcroît d'amour. Une telle attitude le maintenait dans la joie et dans la louange permanentes. Ses frères constataient qu'il "avait toujours le visage rayonnant de joie et la parole modeste. Avec la vigueur d’un père, il savait montrer la sensibilité d’une mère" (Introduction au Rouleau funèbre consacré à Bruno). Ces paroles délicates du rouleau funèbre expriment la fécondité d’une existence consacrée à la contemplation du visage du Christ, source d’efficacité apostolique et moteur de la charité fraternelle. Puissent les fils et les filles de saint Bruno, à l'exemple de leur père, continuer inlassablement de contempler le Christ, montant ainsi "une garde sainte et persévérante, dans l’attente du retour de leur Maître pour lui ouvrir dès qu’il frappera" (Lettre à Raoul, n. 4); cela constitue un appel stimulant pour que tous les chrétiens demeurent vigilants dans la prière afin d’accueillir leur Seigneur!

2. A la suite du grand Jubilé de l’Incarnation, la célébration du neuvième centenaire de la mort de saint Bruno acquiert aujourd’hui un relief supplémentaire. Dans la lettre apostolique Novo millennio ineunte, j’invite tout le peuple de Dieu à repartir du Christ, pour permettre à ceux qui sont assoiffés de sens et de vérité d’entendre battre le coeur de Dieu et le coeur de l’Eglise. La parole du Christ: "Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde" (Mt 28,20), appelle tous ceux qui portent le nom de disciples à puiser dans cette certitude un élan renouvelé pour leur vie chrétienne, force inspiratrice de leur cheminement (cf. Novo millennio ineunte NM 29). La vocation à la prière et à la contemplation, qui caractérise la vie cartusienne, montre particulièrement que seul le Christ peut apporter à l’espérance humaine une plénitude de sens et de joie.

Comment alors douter un seul instant qu’une telle expression du pur amour ne donne à la vie cartusienne une extraordinaire fécondité missionnaire? Dans la retraite des monastères et dans la solitude des cellules, patiemment et silencieusement, les Chartreux tissent la robe nuptiale de l’Eglise, "toute belle comme une fiancée parée pour son époux" (Ap 21,3); ils présentent quotidiennement le monde à Dieu et convient l’humanité tout entière au festin des Noces de l’Agneau. La célébration du sacrifice eucharistique constitue la source et le sommet de toute la vie au désert, conformant à l'être même du Christ ceux et celles qui se livrent à l'amour, afin de rendre visibles la présence et l'action du Sauveur dans le monde, pour le salut de tous les hommes et pour la joie de l’Eglise.

3. Au coeur du désert, ce lieu d’épreuve et de purification de la foi, le Père conduit les hommes sur un chemin de dépossession qui conteste toutes les logiques de l’avoir, du succès et du bonheur illusoire. Guigues le Chartreux ne cessait d'encourager ceux qui voulaient vivre selon l'idéal de saint Bruno à "suivre l'exemple du Christ pauvre, [pour]... avoir part à ses richesses" (Sur la vie solitaire, n. 6). Cette dépossession passe par une coupure radicale du monde, qui n’est pas un mépris du monde, mais une orientation assumée de toute l’existence dans une recherche assidue de l’unique Bien: "Tu m’as séduit, Seigneur, et je me suis laissé séduire" (Jr 20,7). Heureuse est l’Eglise de pouvoir disposer du témoignage cartusien de disponibilité totale à l’Esprit et d'une vie totalement donnée au Christ!

J'invite donc les membres de la famille cartusienne, par la sainteté et la simplicité de leur vie, à demeurer comme une ville sur la montagne et comme une lampe sur un lampadaire (cf. Mt 5,14-15). Enracinés dans la Parole de Dieu, désaltérés par les sacrements de l’Eglise, soutenus par la prière de saint Bruno et des frères, qu'ils demeurent pour toute l’Eglise et au coeur du monde des "lieux d’espérance et de découverte des Béatitudes, des lieux où l’amour, s’appuyant sur la prière, source de la communion, est appelé à devenir logique de vie et source de joie" (Vita consecrata VC 51)! Expression sensible d’une offrande de toute la vie vécue en union avec celle du Christ, la vie en clôture, en faisant ressentir la précarité de l'existence, appelle à ne compter que sur Dieu seul. Elle aiguise la soif de recevoir les grâces données par la méditation de la Parole de Dieu. Elle est aussi "le lieu de la communion spirituelle avec Dieu et avec les frères et les soeurs, où la restriction de l’espace et des contacts favorise l’intériorisation des valeurs évangéliques"(Ibid., VC 59). La recherche de Dieu dans la contemplation est indissociable, en effet, de l’amour des frères, amour qui nous fait reconnaître le visage du Christ dans le plus pauvre d’entre les hommes. La contemplation du Christ vécue dans la charité fraternelle reste le chemin le plus sûr de la fécondité de toute vie. Saint Jean ne cesse de le rappeler : "Mes bien-aimés, aimons-nous les uns les autres, puisque l’amour est de Dieu, et que quiconque aime est né de Dieu et connaît Dieu" (1Jn 4,7). Saint Bruno l’avait bien compris, lui qui n’a jamais dissocié la primauté qu’il donnait à Dieu dans toute sa vie de la profonde humanité dont il témoignait auprès de ses frères.

4. Le neuvième centenaire du Dies natalis de saint Bruno me donne l'occasion de renouveler ma vive confiance à l'Ordre des Chartreux dans sa mission de contemplation gratuite et d’intercession pour l’Eglise et pour le monde. À la suite de saint Bruno et de ses successeurs, les monastères de Chartreuse ne cessent d’éveiller l’Église à la dimension eschatologique de sa mission, faisant mémoire des merveilles que Dieu fait et veillant dans l’attente de l’accomplissement ultime de l’espérance (cf. Vita consecrata VC 27). Guetteur infatigable du Royaume qui vient, cherchant à "être" avant de "faire", l'Ordre cartusien donne à l’Eglise vigueur et courage dans sa mission, pour avancer au large et pour permettre à la Bonne Nouvelle du Christ d’enflammer toute l’humanité.

En ces jours de fête de l'Ordre, je prie ardemment le Seigneur de faire résonner dans le coeur de nombreux jeunes l’appel à tout quitter pour suivre le Christ pauvre, sur le chemin exigeant mais oh combien libérateur de la voie cartusienne. J'invite aussi les responsables de la famille cartusienne à répondre sans peur aux appels des jeunes Eglises à fonder des monastères sur leurs territoires.

Dans cet esprit, le discernement et la formation des candidats qui se présentent doivent faire l’objet d’une attention renouvelée de la part des formateurs. En effet, notre culture contemporaine, marquée par un fort sentiment hédoniste, par le désir de possession et une certaine conception erronée de la liberté, ne facilite pas l’expression de la générosité de jeunes qui veulent consacrer leur vie au Christ, souhaitant marcher à sa suite sur le chemin d'une vie d’amour oblatif, de service concret et généreux. La complexité des cheminements personnels, les fragilités psychologiques, les difficultés à vivre la fidélité dans le temps, invitent à ce que rien ne soit négligé pour fournir à ceux qui demandent à entrer au désert de la Chartreuse une formation qui englobe toutes les dimensions de la personne. En outre, on portera une attention particulière au choix de formateurs capables d’accompagner les candidats sur les chemins de la libération intérieure et de la docilité à l’Esprit Saint. Enfin, sachant que la vie fraternelle est un élément fondamental du cheminement des personnes consacrées, on invitera les communautés à vivre sans réserve l’amour mutuel, en développant un climat spirituel et un style de vie conformes au charisme de l’Ordre.

5. Chers fils et filles de saint Bruno, ainsi que je le rappelais à la fin de l’exhortation apostolique post-synodale Vita consecrata, "vous n’avez pas seulement à vous rappeler et à raconter une histoire glorieuse, mais vous avez à construire une grande histoire ! Regardez vers l’avenir, où l’Esprit vous envoie pour faire encore avec vous de grandes choses" (VC 110). Au coeur du monde, vous rendez l’Eglise attentive à la voix de l’Époux qui lui parle au coeur: "Gardez courage ! J’ai vaincu le monde" (Jn 16,33). Je vous encourage à ne jamais renoncer aux intuitions de votre fondateur, même si l’appauvrissement des communautés, la diminution des entrées et l’incompréhension suscitée par votre choix de vie radical pourraient vous amener à douter de la fécondité de votre Ordre et de votre mission dont les fruits appartiennent mystérieusement à Dieu !

A vous, chers fils et filles de la Chartreuse, qui êtes les héritiers du charisme de saint Bruno, il appartient de garder dans toute son authenticité et sa profondeur la spécificité du chemin spirituel qu’il vous a montré par sa parole et son exemple. Votre connaissance savoureuse de Dieu, mûrie dans la prière et dans la méditation de sa parole, appelle le peuple de Dieu à élargir son regard aux horizons d’une humanité nouvelle en quête de la plénitude de son sens et d’unité. Votre pauvreté offerte pour la gloire de Dieu et le salut du monde est une éloquente contestation des logiques de rentabilité et d’efficacité qui souvent ferment le coeur de l’homme et des nations aux vrais besoins de leurs frères. Votre vie cachée avec le Christ, comme la Croix silencieuse plantée au coeur de l’humanité rachetée, demeure en effet pour l’Eglise et pour le monde le signe éloquent et le rappel permanent que tout être, hier comme aujourd’hui, peut se laisser saisir par Celui qui n’est qu’amour.

Confiant tous les membres de la famille cartusienne à l’intercession de la Vierge Marie, Mater singularis Cartusiensium, étoile de l'Evangélisation du troisième millénaire, je leur accorde une affectueuse Bénédiction apostolique, que j’étends à tous les bienfaiteurs de l'Ordre.

Du Vatican, le 14 mai 2001.

IOANNES PAULUS II


AUX ÉVÊQUES DU BANGLADESH À L'OCCASION DE LEUR VISITE "AD LIMINA APOSTOLORUM"

Mardi 15 mai 2001



Chers frères dans l'épiscopat,

1. "A vous grâce et paix de par Dieu notre Père et le Seigneur Jésus-Christ!" (Ph 1,2). Ayant encore à l'esprit le vif souvenir de ma récente visite sur les traces de saint Paul, je vous salue, Evêques du Bangladesh, à l'occasion de votre visite ad limina Apostolorum, avec ces paroles de l'Apôtre des Nations. Votre présence est une occasion pour nous de rendre grâce à Dieu tout-puissant pour les grâces et les bénédictions qu'il a accordées à l'Eglise qui est dans votre pays depuis que les premiers missionnaires prêchèrent l'Evangile ici, et en particulier depuis que l'Eglise atteignit sa pleine maturité lors de l'érection du diocèse de Dhaka en 1886.

Bien que la communauté catholique au Bangladesh soit restreinte, l'enthousiasme et la ferveur avec lesquels ses membres se sont préparés pour la célébration du Jubilé de l'An 2000 représentent un témoignage éloquent et convaincant de sa santé et de sa vitalité. Je profite de cette occasion pour vous remercier de tout ce que vous avez fait au cours des trois années de préparation immédiate au grand Jubilé, afin de garantir qu'il s'agisse véritablement d'une occasion de renouveau de la foi et d'engagement à la vie chrétienne. Je salue également les catholiques de votre pays, et je prie pour qu'ils croissent "en toute sagesse et intelligence spirituelle, [pouvant] ainsi mener une vie digne du Seigneur et qui Lui plaise en tout, [produisant] toutes sortes de bonnes oeuvres et [grandissant] dans la connaissance de Dieu" (Col 1,9-10).


2. Au cours de votre visite aux tombeaux des Apôtres Pierre et Paul, vous avez l'occasion de prier et de réfléchir, à la lumière de leur exemple, sur votre ministère d'Evêques et de Successeurs des Apôtres. Le ministère de l'Evêque, tel que le Christ l'a voulu, est essentiel pour la vie et la mission de l'Eglise. Etant donné que "les Evêques sont, chacun pour sa part, le principe et le fondement de l'unité dans leurs Eglises particulières" (Lumen gentium LG 23), l'Evêque a la tâche de préserver et de promouvoir l'unité et la communion au sein de tout le Peuple de Dieu dans l'Eglise locale confiée à sa sollicitude. Il sert les fidèles de son diocèse en prêchant la Parole de Dieu, en les sanctifiant à travers la célébration des sacrements, en les gouvernant selon l'exemple du Divin Maître, et en les encourageant dans leur vie de foi, souvent dans des circonstances difficiles. Il doit également préserver les liens de foi et la communion hiérarchique avec le Successeur de Pierre, et, en tant que membre du Collège épiscopal, il partage la préoccupation pour toutes les Eglises (cf. Christus Dominus CD 3).

Il est certain que les responsabilités et les devoirs de l'Evêque sont lourds, mais il sert son peuple avec joie et dans la certitude que le Seigneur qui l'a appelé à cette tâche ne le laissera pas sans le soutien et les grâces nécessaires. Même au milieu de difficultés apparemment insurmontables, nous pouvons puiser une profonde énergie de la contemplation de la vie et du ministère de saint Paul qui, s'étant senti "accablé à l'excès, au-delà de [ses] forces", au point qu'il désespérait "même de conserver la vie", a appris qu'il ne devait pas mettre sa confiance en lui-même, mais en Dieu: "en lui nous avons cette espérance qu'il nous délivrera encore" (cf. 2Co 1,8-10). Il est donc essentiel que les Evêques consacrent du temps à la prière, afin de développer une vie profondément spirituelle, caractérisée par l'intimité avec le Christ. En imitant la Vierge Marie, ils doivent méditer attentivement la Parole de Dieu dans leur coeur (cf. Lc 2, 19, 51). Cela doit être vrai également de vos prêtres. Ce besoin a été souligné par les Pères synodaux lors de l'Assemblée spéciale pour l'Asie du Synode des Evêques: "Les peuples d'Asie ont besoin de découvrir dans les membres du clergé non seulement des ouvriers de la charité ou des administrateurs hiérarchiques, mais aussi des hommes dont le coeur et l'âme sont profondément établis dans les choses de l'Esprit [...] Par leur vie de prière, par leur service accompli avec zèle, par leur style de vie exemplaire, les prêtres portent un témoignage éloquent de l'Evangile auprès des communautés qu'ils guident au nom du Christ" (Ecclesia in Asia ).


3. Vos prêtres sont vos "auxiliaires et conseillers indispensables" (Presbyterorum ordinis PO 7), et je désire leur exprimer ma gratitude et mon encouragement. Leur fidélité et leur engagement quotidien sont en effet précieux aux yeux du Seigneur. En tant qu'évêques, vous êtes conscients de l'importance de prêter attention à vos prêtres, en particulier en les soutenant et en les encourageant dans leur ministère. Les prêtres devraient toujours pouvoir se tourner vers leur Evêque comme vers un père affectueux, certains de trouver en lui solidarité et compréhension.

Je me réjouis avec vous de ce que les vocations continuent d'augmenter au Bangladesh. Il est toujours nécessaire de s'assurer que les candidats au séminaire possèdent des qualités morales élevées et des motivations sérieuses, une piété authentique et les capacités requises. Les programmes prévus au séminaire devraient viser à former des prêtres selon le coeur du Christ, des prêtres qui deviendront des hommes de prière, d'une érudition exceptionnelle et capables de répondre aux besoins pastoraux et aux défis de notre temps. Je vous invite en particulier à vous préoccuper de façon attentive de la formation des futurs enseignants dans vos séminaires. Outre leurs aptitudes intellectuelles et pastorales, les enseignants du séminaire doivent constituer des exemples authentiques et convaincants de vie sacerdotale, capables de soutenir le progrès des séminaristes dans les vertus sacerdotales.

Lorsque vous offrez des opportunités de formation permanente visant à aider les prêtres à mûrir dans le Christ, vous permettez à chacun de "préserver avec un amour vigilant le mystère qu'il porte en lui pour le bien de l'Eglise et de l'humanité" (Pastores dabo vobis, n. PDV 72). A cet égard, je vous encourage à développer des initiatives visant à aider les prêtres à développer leur vie spirituelle et à acquérir une plus grande familiarité avec les développements positifs dans la théologie, les études bibliques, l'enseignement moral et l'activité pastorale. Ils devraient être toujours plus conscients du fait que leur sacerdoce est un don reçu de Dieu, une vocation particulière qui consiste à être configuré uniquement au Christ, le seul prêtre, le maître, le sanctificateur et le pasteur de son peuple. Toute la vie du prêtre devrait être transformée, afin qu'il soit un signe véritablement attirant et irrésistible de l'amour de Dieu et de sa présence salvifique.


4. Les hommes et les femmes consacrés ont également besoin de votre soutien et de votre compréhension. L'Eglise qui est au Bangladesh peut compter sur un grand nombre de religieux et de religieuses, se distinguant par l'engagement et la générosité exceptionnels avec lesquels ils se consacrent à une vaste gamme d'activités apostoliques. Ils sont engagés dans les domaines de l'éducation, de la santé, et dans divers autres apostolats sociaux. Nous devons leur exprimer notre gratitude pour tout ce qu'ils font afin de contribuer à diffuser la foi, à travers l'exemple de leur vie et de leur enseignement. En particulier, ils ont répondu à l'invitation du Christ à renoncer à tout afin de le suivre dans la pratique des conseils évangéliques. Dans toute forme de programme pastoral, il est essentiel de considérer les personnes consacrées avant tout pour ce qu'elles sont, avant de prendre en considération les apostolats particuliers dans lesquels elles sont engagées. Une attention particulière devrait être portée à la promotion des vocations à la vie consacrée et à la qualité de l'éducation reçue par les personnes en cours de formation.


5. Le grand Jubilé a représenté une année extraordinaire de grâce qui a touché les esprits et les coeurs d'innombrables personnes "de toute race, langue, peuple et nation" (Ap 5,9), et il a permis à l'Eglise de se tourner avec confiance vers l'avenir. Au cours de l'année, deux des plus importants projets que vous avez entrepris ont été la Bible du Jubilé et la traduction en bengali du Catéchisme de l'Eglise catholique. Il faut éprouver une grande reconnaissance et une profonde gratitude pour tous ceux qui ont participé à la préparation de ces ouvrages, qui contribueront à l'édification de la communauté de foi dans votre pays. La traduction en bengali du Catéchisme revêtira une valeur particulière pour les prêtres et les catéchistes dans l'enseignement de la foi et la préparation des personnes à recevoir les sacrements.

Dans ma Lettre apostolique Novo millennio ineunte, j'ai exprimé le souhait que les énergies issues du grand Jubilé se traduisent par de nouvelles initiatives afin d'enseigner l'art de la prière (cf. NM NM 32), dont une partie essentielle est l'écoute fervente de l'Ecriture Sainte (cf. NM NM 39). L'expérience enseigne que l'oeuvre de l'évangélisation puise toujours une force renouvelée de l'attention à la Parole de Dieu. Je vous invite à rendre facilement accessible la nouvelle édition de la Bible, et à aider les personnes et les familles à la lire dans la prière, en encourageant la tradition ancienne et toujours valable de la lectio divina, d'une façon qui soit facilement compréhensible et accessible à tous. De cette façon, la Parole de l'Ecriture Sainte deviendra une rencontre porteuse de vie avec le Seigneur, en formant et en orientant la vie des personnes.


6. Etant donné la situation particulière dans laquelle vous vivez, le dialogue interreligieux constitue une partie intégrale de votre mission pastorale. Des contacts plus fréquents entre les chrétiens et les musulmans, ainsi qu'une plus grande compréhension réciproque des traditions et valeurs religieuses, devraient contribuer à surmonter des attitudes de suspicion et de méfiance, et à garantir que les traditions de liberté religieuse du Bangladesh soient maintenues et promues. En défendant la dignité de la personne humaine et le rôle essentiel de la famille dans la vie de la société, et en promouvant le bien commun, il existe de vastes possibilités de coopération interreligieuse. La meilleure base pour une telle coopération est la loi morale inscrite dans le coeur de l'homme, qui constitue le trésor commun de l'humanité et un point de rencontre fondamental entre les peuples de différentes cultures et traditions religieuses. Cela étant, la fidélité des chrétiens à leurs croyances religieuses et à leurs traditions morales est d'une importance vitale. Le témoignage fidèle conduit à ce que l'on appelle le "dialogue de la vie", à travers lequel les croyants des différentes religions "témoignent les uns pour les autres dans l'existence quotidienne, de leurs valeurs humaines et spirituelles et s'entraident à en vivre pour édifier une société plus juste et plus fraternelle" (Redemptoris missio RMi 57).


7. La nouvelle évangélisation et le renouveau de l'Eglise au Bangladesh sont des tâches qui reviennent à tout le Peuple de Dieu. De façon particulière, ils dépendent de la mesure dans laquelle les fidèles laïcs prendront pleinement conscience de leur vocation baptismale et de leur responsabilité pour faire en sorte que la Bonne nouvelle de Jésus-Christ influence la culture et la société. Dans votre pays, les laïcs doivent faire face à de nombreuses difficultés dues à leur statut minoritaire et à la pauvreté qui touche un grand nombre d'entre eux. Je partage pleinement votre préoccupation pour les pauvres, les personnes marginalisées et qui souffrent, et je soutiens les diverses initiatives de l'Eglise au Bangladesh en vue de répondre aux situations de pauvreté. Vous avez entrepris des initiatives concrètes dans les domaines de la santé, des services sociaux et de l'éducation, et vous avez également été actifs dans la défense des droits humains. La doctrine sociale de l'Eglise, à condition qu'elle soit plus amplement diffusée et mise en oeuvre, peut apporter une contribution significative et positive afin d'alléger les causes de la pauvreté et constituer un puissant instrument dans la promotion du bien commun.

Les laïcs doivent être encouragés à se rendre disponibles aux opportunités éducatives qui s'offrent à eux et à être toujours plus actifs à tous les niveaux de la vie politique, sociale, économique et culturelle.


8. L'une de vos principales préoccupations et responsabilités pastorales concerne la famille, et, au cours des dernières années, vous vous êtes engagés dans diverses initiatives afin de promouvoir ce "secteur prioritaire de la pastorale" (Familiaris consortio FC 73). Partout en Asie, les valeurs de la famille, telles que le respect filial, l'amour et l'attention aux personnes âgées et aux malades, et l'amour pour les enfants sont tenues en haute considération et cela est également vrai pour le Bangladesh. Vue à travers les yeux de l'Eglise, la famille représente également l'un des agents les plus efficaces de l'évangélisation, et devrait être un lieu où l'Evangile est la règle de vie (cf. Ecclesia in Asia ). Je désire vous encourager à continuer de réfléchir sur les façons de renforcer et de promouvoir la famille, fondée sur le mariage, en tant que communauté ayant pour mission de garder, de révéler et de communiquer la vie et l'amour (cf. Familiaris consortio FC 17). Les familles chrétiennes doivent devenir toujours plus pleinement une "Eglise domestique", vivant avec humilité et amour leur vocation à la sainteté. Cela est d'autant plus nécessaire à une époque où la famille elle-même est menacée par diverses forces, en particulier celles qui promeuvent une mentalité contre la vie. Les familles édifiées sur de solides fondements représentent de véritables sanctuaires de la vie, dans lesquelles la vie, don de Dieu, peut être accueillie de façon adéquate et protégée contre les nombreuses atteintes auxquelles elle est exposée. C'est pour cela que le rôle de la famille dans l'édification de la culture de la vie est "décisif et irremplaçable" (Evangelium vitae EV 92).


9. Mes chers frères, votre visite ad limina a été l'occasion pour nous de partager certaines réflexions et pensées sur la situation de la communauté catholique dans votre pays. Votre Eglise fait partie des "jeunes Eglises", forte dans son amour du Christ et vigoureuse dans son enthousiasme pour le message de l'Evangile. Je désire vous assurer une fois de plus, ainsi que les prêtres, les religieux et les laïcs du Bangladesh, de mon soutien et de mon encouragement. A travers les paroles de saint Paul, je prie: "Animés d'une puissante énergie par la vigueur de sa gloire, vous acquerrez une parfaite constance et endurance; avec joie vous remercierez le Père" (Col 1,11-12). Avec ces pensées, je confie l'Eglise qui est au Bangladesh à la protection maternelle de Marie, étoile lumineuse de l'évangélisation à toute époque, et je vous donne de tout coeur ma Bénédiction apostolique.



Discours 2001 - MESSAGE AU CONSEIL EXÉCUTIF DE L'UNION INTERNATIONALE DES SUPÉRIEURES GÉNÉRALES (UISG)