Discours 2001 - Vendredi 14 septembre 2001


AUX ÉVÊQUES D'HAÏTI EN VISITE "AD LIMINA APOSTOLORUM"

Vendredi 14 septembre 2001




Chers Frères dans l’épiscopat,

1. Je suis heureux de vous accueillir, Évêques de l’Église catholique en Haïti, au moment où vous accomplissez votre visite ad limina. Pleins de reconnaissance pour Jésus Christ qui vous donne la force et qui vous a fait confiance en vous chargeant du ministère (cf. 1Tm 1,12), vous êtes venus affermir les liens de communion qui vous unissent au Successeur de Pierre. Je souhaite que ces moments de rencontre avec le Pape et ses collaborateurs, nourris par une intense prière d’action de grâce, consolident les liens d’unité au sein de votre Conférence épiscopale et vous confortent dans le don de vous-mêmes au service du peuple de Dieu. Que l’Esprit Saint rende fécond votre pèlerinage aux tombeaux des Apôtres Pierre et Paul, afin que vous soyez renouvelés dans votre élan missionnaire!

"Sans cesse, nous nous souvenons que votre foi est active, que votre charité se donne de la peine, que votre espérance tient bon en notre Seigneur Jésus Christ, en présence de Dieu notre Père" (1Th 1,3). Par cette salutation de l’Apôtre Paul, je veux faire écho aux aimables paroles que vient de m’adresser Mgr Hubert Constant, Évêque de Fort-Liberté et nouveau Président de votre Conférence épiscopale, me faisant partager vos joies et vos préoccupations. Lorsque vous retournerez en Haïti, faites savoir aux prêtres de vos diocèses, aux religieux, aux religieuses, aux catéchistes, aux fidèles laïcs, spécialement aux jeunes, que le Pape prie pour eux, qu’il se tient à leurs côtés dans les durs combats qu’ils ont à mener pour annoncer l’Évangile et pour promouvoir une humanité renouvelée selon le coeur de Dieu! Que leur foi soit toujours plus enracinée dans la Parole du Christ, fortifiée par les sacrements de l’Église, soutenue par l’enseignement de leurs Pasteurs! Que leur espérance tienne bon, puisant dans le mystère pascal l’assurance que les forces de mort ne seront jamais le dernier mot de l’histoire!

2. Vos rapports quinquennaux font état de la situation politique et économique dramatique en Haïti. L’accroissement important de la population et la précarité de la conjoncture agricole et industrielle ont produit un chômage endémique, poussant de nombreux habitants des campagnes vers les villes. Cet exode détériore les équilibres écologiques et fragilise la famille, cellule vitale de la société. Dans ce contexte, les catholiques sont appelés à participer activement à la mise en place d’une politique de développement audacieuse dans le respect des droits fondamentaux de tous les Haïtiens; il reste aussi à espérer que la communauté internationale saura se montrer solidaire également en ce domaine, pour venir en aide aux populations touchées par la misère. Si le soulagement de la pauvreté représente en Haïti un défi majeur, il interroge aussi la manière dont l’Église elle-même entend proposer la foi et témoigner de l’espérance. En effet, le sentiment religieux des fidèles a sans cesse besoin d’être évangélisé, car le syncrétisme et l’ignorance des chrétiens fournissent un terrain favorable à la prolifération de groupes sectaires tentés d’exploiter la crédulité des plus pauvres.

Au long de ces années douloureuses, vous n’avez pas manqué de dénoncer tout ce qui avilit la dignité de l’homme dans sa légitime recherche d’amour, de justice, de vérité, de liberté, manifestant ainsi votre engagement persévérant et celui de vos communautés aux côtés du peuple souvent désemparé. Je vous invite à développer toujours plus fortement cette charité pastorale et cet esprit missionnaire qui vous animent. Par des prises de parole soutenues, par votre présence active dans vos diocèses, ayez toujours le souci de l’édification des communautés ecclésiales et du bien commun de la société!

3. Dans le contexte difficile que connaît le pays, les germes de division sont nombreux. C’est pourquoi il est essentiel de rendre la communion toujours plus forte et plus visible. Dans cette perspective, j’ai rappelé que ses expressions doivent être entretenues et étendues dans le tissu de la vie de chaque Église, en particulier dans les relations entre les Évêques, les prêtres et les diacres, entre les Pasteurs et le peuple de Dieu tout entier, entre le clergé diocésain et les religieux, entre les associations et les mouvements ecclésiaux (cf. Novo millennio ineunte NM 45). Je vous encourage à inventer des chemins nouveaux afin que l’Église en Haïti devienne une maison et une école de la communion.

Par une réflexion théologique et des propositions pastorales soutenues, il appartient à votre Conférence épiscopale de favoriser l’enracinement de cette spiritualité de communion dans votre culture, au service de l’édification de communautés chrétiennes vraiment missionnaires. Dans l’inculturation, l’Église devient "un signe plus compréhensible de ce qu’elle est et un instrument plus adapté à sa mission" (cf. Redemptoris missio, n. 52). Par des collaborations toujours plus affirmées entre les divers acteurs ecclésiaux, donnez visage à cette charité pastorale qui vous anime, puisant la force apostolique à la source de l’amour trinitaire!

4. Dans cette perspective, je vous invite aujourd’hui à faire de la promotion du laïcat une de vos priorités pastorales. Pour cela, il est nécessaire qu’une solide formation spirituelle, intellectuelle et ecclésiale soit proposée aux laïcs, afin qu’ils soient capables d’agir dans la vie publique, l'orientant toujours vers le bien commun. Confirmez les fidèles laïcs dans leur vocation d’incarner les valeurs évangéliques dans les divers milieux de la vie familiale, sociale, professionnelle, culturelle et politique, pour qu’ils ne désertent pas les lieux où ils sont invités à témoigner de leur foi! Je rends grâce pour les nombreuses personnes qui s’investissent avec générosité et compétence dans les organismes caritatifs nationaux et internationaux. Elles témoignent avec zèle que l’Église désire s’engager toujours plus auprès des pauvres et elles rappellent que, "dans la personne des pauvres, il y a une présence spéciale du Fils de Dieu qui impose à l’Église une option préférentielle pour eux" (Novo millennio ineunte NM 49).

Je salue affectueusement les catéchistes, collaborateurs précieux, les invitant à poursuivre sans se décourager leur mission irremplaçable de structuration de la foi des fidèles et de transmission des repères et des valeurs évangéliques, notamment chez les jeunes. Je souhaite vivement qu’ils puissent bénéficier d’une formation théologique consistante, pour répondre pleinement à leur vocation chrétienne d’annoncer la Vérité du Christ Sauveur. De même, par leur exemple de vie chrétienne inspirée par la charité du Christ, qu’ils soient de véritables témoins de l’Évangile, enracinant leur service ecclésial dans une méditation assidue de la Parole de Dieu et la fréquentation régulière des sacrements!

Vous insistez sur la nécessité de développer une pastorale familiale vigoureuse pour répondre aux défis nouveaux que doit affronter l’Église en Haïti. Aussi importe-t-il de susciter et d’animer une pastorale familiale de proximité qui aide les personnes à découvrir la beauté et la grandeur de la vocation à l’amour et au service de la vie. En centrant cette pastorale sur les valeurs essentielles de la famille et du mariage chrétien, soutenez les efforts des prêtres et des agents pastoraux, afin qu’ils éveillent les personnes au témoignage irremplaçable de la famille, école fondamentale de la vie sociale! Qu’ils encouragent en particulier les parents à éduquer leurs enfants au sens de la justice véritable et de l’amour authentique, qui est fait d’attention sincère et de service désintéressé à l’égard des autres, en particulier des plus nécessiteux (cf. Familiaris consortio FC 37).

5. Dans une société marquée par l’égoïsme, les jeunes doivent demeurer l’objet de votre sollicitude permanente. Ils sont souvent tentés de répondre par la violence, par la marginalisation, par l’exil ou par la résignation aux criantes inégalités qui les privent de perspectives d’avenir et anéantissent leur espérance. Je souhaite que soient prises davantage en compte les interrogations légitimes des nouvelles générations, qui auront à assumer le patrimoine multiforme des valeurs, des devoirs, des aspirations de la nation à laquelle ils appartiennent.

Je vous invite à renforcer une pastorale des jeunes qui les aide à développer leur vie intérieure et ecclésiale, et à bâtir une société juste, réconciliée et solidaire. Transmettez aux Jeunes d’Haïti l'appel que le Pape leur adresse par votre intermédiaire: "Chers jeunes, vous êtes le présent et l’avenir de la société et de l’Église en Haïti, qui comptent sur vous. Soyez le sel de la terre, donnez le goût de l’Évangile à votre pays meurtri par tant d’années de souffrances! Enracinés dans le Christ, qui indique le chemin de la vie donnée pour le salut de tous, vous témoignerez qu’un monde nouveau est possible. Soyez la lumière du monde, brillez au plus fort de la nuit, comme les sentinelles du matin qui guettent l’arrivée du jour, le Christ ressuscité (cf. Message pour les XVIIes Journées mondiales de la Jeunesse, n. 3)"!

L’Église a toujours considéré que l’éducation constituait un terreau irremplaçable pour la saine croissance des jeunes générations, contribuant à faire respecter leurs droits humains fondamentaux. En effet, "il ne sera jamais possible de libérer les indigents de leur pauvreté si on ne les libère pas d’abord de la misère due au fait qu’une éducation digne leur a fait défaut" (Ecclesia in America ). Pour combattre le fléau de l’analphabétisme et assurer aux jeunes une formation humaine, spirituelle et morale, les écoles catholiques, dans la riche diversité de leurs charismes et de leurs projets pédagogiques, rendent un service essentiel à la vie de l’Église et de la nation. Je remercie les communautés éducatives pour leur engagement au service du développement intégral des jeunes qui leur sont confiés. Je les encourage à poursuivre leur noble mission, souhaitant que l’éducation chrétienne qu’elles promeuvent fasse mûrir les fruits d’une culture faite de respect mutuel, de solidarité et de dialogue, pour réduire les fractures sociales qui freinent encore le plein épanouissement de tous les Haïtiens.

6. Chers Frères dans l’épiscopat, portez à tous les prêtres de vos diocèses la profonde gratitude du Pape pour leur dévouement dans leur ministère de pasteurs, d’évangélisateurs et d’animateurs de la communion ecclésiale. Je sais qu’ils sont attentifs aux problèmes et aux espérances de leur peuple. Je connais les conditions difficiles dans lesquelles ils ont à annoncer l’Évangile. Soutenez-les dans leur ministère, soyez proches d’eux, soucieux de leur vie spirituelle et matérielle, afin qu’ils s’acquittent avec zèle de leur tâche apostolique, par une présence active dans les paroisses et par leur vie simple!

J’encourage les prêtres à repartir sans cesse du Christ, pour trouver en lui la source de la fécondité missionnaire de leur ministère et pour répondre à la soif spirituelle des Haïtiens. Il est nécessaire que la prière personnelle et la méditation de la Parole de Dieu nourrissent quotidiennement leur apostolat. La célébration de l’Eucharistie doit être véritablement le coeur de leur ministère, leur rappelant aussi qu’ils sont ordonnés au service d’une unique mission, en communion avec leur évêque et dans l’unité du presbyterium. Il importe enfin qu’ils témoignent joyeusement de leur attachement toujours plus inconditionnel au Christ et à son Église, en respectant les exigences du célibat ecclésiastique qu’ils ont accepté librement.

7. Les communautés ecclésiales de base feront l’objet d’une attention renouvelée de la part des prêtres. En vivant vraiment dans l’unité de l’Église, elles sont "une authentique expression de communion et un moyen pour construire une communion plus profonde" (Redemptoris missio RMi 51). C’est pourquoi j’appelle les pasteurs à demeurer vigilants pour que ces communautés soient vraiment missionnaires, en évitant tout repli frileux et toute récupération identitaire ou partisane. En faisant preuve de discernement et d’esprit apostolique, ils auront ainsi le souci de construire le Corps du Christ et de donner une place à tous les dons de l’Esprit.

Chers Frères dans l’épiscopat, vous savez combien la sainteté de vie des prêtres, des consacrés et des laïcs est un puissant témoignage pour les jeunes qui veulent répondre à l’appel du Christ en se rendant disponibles pour servir l’Église comme prêtres, religieux ou religieuses. La générosité de ces jeunes constitue pour l’Église en Haïti un immense motif d’espérance et de joie. Comme premiers responsables de la formation sacerdotale, vous avez à veiller à l’accueil, à l’accompagnement et au discernement des vocations presbytérales. Il est donc nécessaire de choisir avec soin les formateurs et les directeurs spirituels du séminaire. En aidant les séminaristes à fonder leur vie sur le Christ, ils leur permettront de devenir d’authentiques serviteurs de la communion et de demeurer des instruments de la miséricorde du Seigneur auprès du peuple, pleinement conscients "qu’on ne peut jamais considérer la vie sacerdotale comme une promotion humaine, ni la mission du ministre comme un simple projet personnel" (Pastores dabo vobis, n. PDV 36). Chers Frères dans l’épiscopat, soutenez par votre prière et par votre proximité affectueuse la communauté du grand séminaire ! Ainsi, vous l’aiderez non seulement à vivre son insertion dans l’Église particulière en communion avec vous, mais vous authentifierez et vous servirez la finalité pastorale qui caractérise la formation des candidats au sacerdoce.

8. Je salue tout spécialement, par votre intermédiaire, les Congrégations et les Instituts de vie consacrée présents dans votre pays. Témoins et acteurs de l’évangélisation en Haïti depuis de longues années, ils rendent le Christ présent dans les domaines les plus variés, notamment l’éducation, la santé et la promotion sociale. Il est nécessaire que se développent toujours davantage les liens de communion qui unissent la Conférence épiscopale aux instances diocésaines et nationales de la vie consacrée, en particulier avec la Conférence haïtienne des Religieux. Je vous invite aussi à réfléchir aux conditions concrètes de soutien spirituel et d’assistance matérielle des congrégations religieuses nées sur votre terre, dont les charismes correspondent à des besoins profonds de l’Église. En permettant que la vie consacrée soit estimée, promue et intégrée dans la pastorale de vos Églises diocésaines, vous aiderez les fidèles et les pasteurs à découvrir sa présence indispensable à la vitalité ecclésiale.

9. Chers Frères dans l’épiscopat, au terme de cette rencontre, je tiens à vous exprimer à nouveau ma proximité spirituelle avec l’Église en Haïti. Au début de ce troisième millénaire, l’heure est venue de témoigner avec audace de l’espérance qui est en vous, réalisant dans l’unité, par votre vie de sainteté et par vos initiatives pastorales, le lien étroit qui existe, dans le mystère pascal, entre l’annonce de l’Évangile et la promotion de l’homme. Alors que l’année 2004 marquera le bicentenaire de l’indépendance du pays, je veux m’adresser à toutes vos communautés: "Église d’Haïti, riche de la foi et du dynamisme de tes pasteurs et de tes communautés, courageuse dans les épreuves, renouvelle ta confiance au Christ Sauveur! Pour avancer au large, ouvre ton coeur à l’Esprit qui veut faire en toi toutes choses nouvelles"!

Confiant l’ensemble de vos diocèses à l’intercession de Notre-Dame du perpétuel Secours, je vous accorde de grand coeur une affectueuse Bénédiction apostolique, que j’étends à vos prêtres, aux religieux et aux religieuses, aux catéchistes et à tous les fidèles laïcs d’Haïti.




MESSAGE DU PAPE JEAN PAUL II À S.E. MGR. PAOLO RABITTI POUR LE 1700ème ANNIVERSAIRE DE L'INDÉPENDANCE DE LA RÉPUBLIQUE DE SAINT-MARIN



A mon vénéré Frère Mgr PAOLO RABITTI
Evêque de Saint-Marin-Montefeltro

1. Mille sept cents ans se sont écoulés depuis que votre grand saint Marin constitua en société civile et communauté ecclésiale, la population de Saint-Marin. Depuis lors, celle-ci le vénère avec une grande dévotion comme son fondateur et son patron.

En cette heureuse célébration jubilaire, tandis que je vous salue avec affection, vénéré Frère, ainsi que les prêtres, les diacres, les religieux, les religieuses et les fidèles du cher diocèse de Saint-Marin-Montefeltro, je désire adresser mes salutations respectueuses aux Capitaines-régents, au Grand Conseil et au Conseil général, aux membres du gouvernement, aux capitaines de circonscriptions de la République, ainsi qu'aux Maires de la région autour de Montefeltro et aux citoyens de Saint-Marin et de la région de Montefeltro.

Ces dix-sept siècles d'indépendance et de travail ont permis aux habitants de Saint-Marin de donner vie à un peuple libre qui, bien que vivant sur un petit territoire, n'a pas manqué d'offrir au monde une contribution spécifique de civilisation, irradiant sur les territoires environnants la lumière d'une coexistence inspirée par des critères de démocratie et de solidarité et solidement ancrée dans les valeurs de la foi chrétienne. "Auctor libertatis": ainsi fut appelé saint Marin, qui a donné son nom à la République homonyme. Le terme d'"auteur" peut signifier, d'après son étymologie, "créateur" ou encore "éducateur". Le véritable "créateur", qui est à l'origine de la liberté, est évidemment Dieu. Lui seul libère l'homme, car il a le pouvoir de briser les liens qui enchaînent la personne de l'intérieur et de l'extérieur (cf. Ga 5,1). Seul "où est l'Esprit du Seigneur, là est la liberté" (2Co 3,17). Mais il faut également "être éduqué" à la liberté. Celle-ci est un don de Dieu, mais également une conquête humaine. J'écrivais dans ma première Encyclique: "Trop souvent, on confond la liberté avec l'instinct de l'intérêt individuel ou collectif, ou encore avec l'instinct de lutte et de domination" (Redemptor hominis RH 16). La liberté authentique suppose la connaissance de la vérité sur Dieu, sur l'homme, sur le monde. Pour arriver à cela, il est nécessaire d'être libéré de toute forme de cupidité, afin de pouvoir se dominer, évitant ainsi de gaspiller son existence. Tel est le présupposé pour répondre de façon responsable aux devoirs que Dieu confie à chacun.

2. Saint Marin accueillit la liberté qui lui avait été donnée par l'Esprit du Christ et sut y puiser un enseignement avec un engagement personnel généreux. Il devint ainsi un libre serviteur de Dieu, Lui obéissant comme un sujet et libre comme un roi à l'égard des hommes. Il fit l'expérience de l'exil, affronta la difficulté de l'émigration, et dans le nouveau contexte, réorganisa sa vie et son travail. Il aurait pu se replier sur sa vie privée, satisfait de recevoir un salaire; mais, au contraire, il s'engagea jusqu'à devenir un point de référence pour ses compagnons de travail, selon ce que nous a rapporté la tradition (cf. Vita Sancti Marini, nn. 20, 28, 60).

Ayant atteint un salaire suffisant comme tailleur de pierre qualifié, il aurait pu s'installer dans la société qui, en définitive, l'avait adopté. Au contraire, d'abord de façon épisodique, puis de manière définitive, il voulut même se libérer du travail, de ses collègues, du nécessaire pour vivre et de sa maison, pour se recueillir dans la solitude et s'appuyer sur Dieu comme son unique certitude (cf. Ibid., nn. 60 et 64). Dans cette recherche spirituelle, Marin rencontra de nouveaux frères, et leur consacra le reste de sa vie, en se proposant à eux comme témoin du Seigneur de la liberté et de la charité (cf. Ibid., n. 82). Il devint ainsi éducateur et maître de la liberté chrétienne qui sert de fondement à toute autre liberté authentique.

Saint Marin éduqua à la liberté des personnes: personne n'est maître des autres, ni ne peut violer la conscience d'autrui, s'ériger au statut de juge des intentions de l'autre et l'empêcher de penser librement. Il éduqua à la liberté des choses: aucune réalité ne remplit le coeur humain et aucun bien ne réalise pleinement la vie. Il éduqua à la liberté du pouvoir: il savait bien, en vertu de son expérience de dalmate, d'ouvrier et d'exilé, que, trop souvent, "ceux qui ont en main le pouvoir trament le mal, sont avides, oppriment l'homme et sa maison, le propriétaire et son héritage" (cf. Mi Mi 2,1-2); "ils ajoutent maison à maison, champ à champ, acquittent le coupable pour un pot-de-vin; et refusent au juste la justice" (cf. Is 5,8-21).

C'est pourquoi les habitants de Saint-Marin honorent à juste titre leur saint comme promoteur de la liberté authentique, car il a introduit en eux un sentiment si vif de liberté religieuse, politique, civique et psychologique, que les termes san-marinais et liberté sont quasiment devenus synonymes grâce à lui. "Nos enim in libertate constituti sumus", rappelle une devise de votre Palais public.

Je souhaite de tout coeur à la bien-aimée République de Saint-Marin de poursuivre ce chemin. Je voudrais répéter ici ce qu'écrivait saint Paul aux chrétiens de Galatie: "Vous en effet, mes frères, vous avez été appelés à la liberté; seulement, que cette liberté ne se tourne pas en prétexte pour la chair" (Ga 5,13). Et saint Pierre exhortait: "Agissez en hommes libres, non pas en hommes qui font de la liberté un voile sur leur malice, mais en serviteurs de Dieu" (1P 2,16).

Aujourd'hui, la liberté des choses est devenue plus difficile, car le bien-être économique risque de tout soumettre à l'enrichissement et au consumérisme. La possibilité de rester libre de la concupiscence est mise à rude épreuve par des modèles de propagande hédonistes, qui obscurcissent l'esprit et risquent d'annihiler toute moralité. C'est pour cette raison que, rencontrant les San-Marinais le 19 avril 1997, je leur ai recommandé de demeurer solidement ancrés aux valeurs morales, familiales et sociales caractéristiques de leur histoire (cf. Discours au diocèse de Saint-Marin-Montefeltro, in Insegnamenti, vol. XX/1, 1997, p. 736).

J'ajoute aujourd'hui que la liberté doit être préservée de toute atteinte. A cet égard, il me vient spontanément à l'esprit de me référer à une autre devise éloquente inscrite dans les salles de votre Palais public restauré: "Honeste vivere, alterum non laedere, suum cuique tribuere". Honnêteté, respect, justice: tels sont les piliers de la liberté.


3. "Aedificator Ecclesiae": tel est l'autre titre sous lequel est indiqué saint Marin (cf. Vita Sancti Marini, nn. 83 et 113). Lorsqu'il arriva sur vos terres, il trouva le mont Titan comme un "désert"; il le quitta, à sa mort, "exultant et fleurissant" (cf. Is 35,1), comme Eglise du Seigneur.

Saint Marin commença à réglementer la petite communauté du mont Titan. Son profil de "Fondateur de la République" est très cher aux habitants de Saint-Marin, qui voient en lui le symbole de leur histoire et de leur nation. Mais pour comprendre à fond les traits spirituels du Fondateur, en tant qu'organisateur de la vie sociale de la petite population, dans laquelle il percevait "la nécessité et l'affliction" (Vita Sancti Marini, n. 28), il faut retourner à l'ensemble de la mission qu'il accomplit sur le mont Titan: celle "d'édifier pour le Roi du ciel une autre ville céleste faite de pierres vivantes" (Ibid., n. 36). Des populations établies dans la région, il sut tirer une communauté ecclésiale "édifiée sur le fondement des apôtres" (Ibid., n. 83).

La présence de l'Eglise n'est pas sans effets positifs pour la vie même de la République. Le Fondateur le savait bien, lui qui orienta son oeuvre de civilisateur et d'évangélisateur dans cette perspective. On tend aujourd'hui, à juste titre, à bien établir la distinction entre la réalité "laïque", "indépendante" et, dans sa sphère, "autonome" de la "cité terrestre", et la réalité de l'Eglise, elle aussi autonome dans sa sphère, qui anticipe sur les chemins de l'histoire la "cité céleste".

Lorsque l'on dit que saint Marin partit du projet d'Eglise pour imprimer au peuple du mont Titan un visage civil, outre qu'ecclésial, on ne veut certes pas affirmer que la compétence spirituelle de l'évangélisateur inclut et soumet celle de l'organisateur de la vie sociale et civile. Il est bon de préciser, en revanche, que saint Marin considéra que son projet de civilisation n'était pas accompli tant que les composantes de son peuple ne devinrent pas une communauté chrétienne vivante et bien structurée.

Il avait en mémoire les paroles de Jésus: "Si vous demeurez dans ma parole, vous êtes vraiment mes disciples, et vous connaîtrez la vérité et la vérité vous libérera" (Jn 8,32); et il savait, dans le même temps, que ce n'est que dans l'Eglise que l'"on a le charisme certain de la vérité" (Saint Irénée, Ad. haer., IV, XXVI, 2) car le Christ l'a constituée "colonne et support de la vérité" (cf. 1Tm 3,15). Ce n'est que grâce au "levain", qui est l'Evangile annoncé par l'Eglise, que la "pâte" de la nation peut se maintenir dans la vérité et la liberté transmises par le Fondateur.


4. Investi du ministère diaconal, saint Marin oeuvra intensément pour la diffusion de l'Evangile, en ayant reçu son mandat de l'Evêque Gaudenzo. Il vécut en communion de foi et de mission avec saint Léon, auquel avait été confié le ministère pastoral (cf. Vita Sancti Marini, n. 98-99); il sanctifia le lieu de sa demeure avec les vertus typiques des hommes de Dieu: la charité, l'humilité, la chasteté, la prière, la lutte contre le Mal, la pénitence (cf. Ibid., nn. 36 et 38).

Si donc, la République sent qu'elle repose sur la sagesse et sur l'authenticité de l'humanisme de son Fondateur saint Marin, de même, l'Eglise, qui tire elle aussi son nom de lui et de saint Léon est consciente que les "colonnes de son fondement" sont les mêmes "saints hommes venus sur cette terre par disposition divine, presque envoyés du ciel" (Ibid., nn. 98 et 100). Le fait d'"être Eglise" donc, et d'avoir reçu récemment la ratification pontificale de pouvoir "rester Eglise" (cf. Décret de la Congrégation pour les Evêques, 25 février 1977) doit être considéré comme un don incommensurable de la part des "fils de saint Marin et de saint Léon".

Puisse cette glorieuse République avoir toujours pleinement conscience de la chance que constitue pour ses habitants la présence sur le territoire d'une Eglise particulière réunie autour d'un Successeur des Apôtres. C'est comme si Dieu garantissait que ses yeux restent ouverts jour et nuit sur le peuple qui l'habite. Les paroles de Jésus sont claires: "Et voici que je suis avec vous pour toujours jusqu'à la fin du monde" (Mt 28,20). Il s'agit d'un don qu'il ne faut pas sous-estimer. Lorsque, d'une façon ou d'une autre, la vie de l'Eglise est rendue difficile, la société se trouve privée d'un allié valide pour promouvoir une culture attentive à l'homme et au bien commun. L'Eglise ne veut pas de privilège, elle demande seulement le soutien juridique et moral qui lui est nécessaire pour le déroulement de sa mission.


5. Je connais l'engagement de chaque composante de cette Eglise particulière, en commençant par le clergé et les religieux, afin de promouvoir la vie chrétienne sous ses différents aspects. A Saint-Marin également, comme ailleurs, les difficultés et les obstacles ne manquent malheureusement pas. Je pense à tous ceux qui vivent comme si Dieu n'existait pas; à l'incohérence de certains chrétiens qui ne réussissent pas à conjuguer la foi et les problèmes de la vie; à la crise de nombreuses familles due à la fragilité du mariage contracté et à la fragilité psychologique et spirituelle du couple; au manque de vocations sacerdotales et religieuses, et au vieillissement progressif des prêtres, qui ne se sentent pas à la hauteur de la situation; aux difficultés pour obtenir une continuité dans la formation et l'apostolat chez les jeunes, même s'ils s'ouvrent à la vie chrétienne.

Et que dire de la séparation progressive de la vie sociale, civile, politique des critères de la foi, allant de pair avec une "paganisation" inquiétante de certains centres et périphéries du territoire? Il ne fait aucun doute que, sur le plan humain, on a le sentiment d'un affaiblissement progressif de l'enthousiasme religieux de la société, bien qu'elle soit imprégnée de valeurs évangéliques. De même que les Hébreux ressentirent la dureté de leur "désert", ayant désobéi aux indications de Moïse (cf. Nb Nb 16,13), souvent, les chrétiens d'aujourd'hui doivent partager la plainte de Noémi: "Comblée j'étais partie, vide Yahvé me ramène!" (Rt 1,21).

Diocèse de Saint-Marin-Montefeltro, ne te décourage pas! A toi aussi, je dis: "Duc in altum!". Puise aux méthodes spirituelles et pastorales des saints Marin et Léon. Ils furent "unanimes" (cf. Vita Sancti Marini, n. 98) "dans l'amour d'une unique volonté" (ibid., n. 10): sois toi aussi un seul coeur et une seule âme, et, comme Marin, "brûle du feu de la charité" (ibid., n. 35).

Ils furent des "predicantes et roborantes verbum Dei in populo" (ibid.), c'est-à-dire prédicateurs et fortifiants: soyez vous aussi, prêtres, des semeurs de la Parole "comme des agriculteurs experts qui irriguent la moisson avec la rosée de la grâce" (ibid., n. 39), paissant les brebis "dans les prés des divines écritures" (ibid., n. 17).

Ils furent actifs dans le bien, au point "de ne pas laisser passer un jour sans travail". (ibid., n. 18): soyez vous aussi "d'un zèle sans nonchalance, dans la ferveur de l'Esprit, constants dans la tribulation" (cf. Rm 12,11).

Ils furent rigoureux et inflexibles contre le mal et le Malin, "vigilants dans la prière et dans la pénitence" (ibid., nn. 77 et 65): soyez vous aussi sobres et veillez à combattre celui qui est à l'oeuvre pour vous déchirer, vous et votre Eglise (cf. 1P 5,8 Ep 6,12-13).

Ils furent des apôtres "enflammés" (cf. ibid., n. 38) au point que "tota ipsa Urbs - toute la Ville" se convertit et crut (cf. ibid., nn. 38 et 96): vous aussi, emplis de l'amour de Dieu, n'hésitez pas à commencer avec force une nouvelle évangélisation. Dieu sera avec vous!


6. Bien-aimé diocèse de saint Marin et saint Léon! Sous la conduite de ton pasteur, renforce-toi et repropose avec élan la foi, la pureté et le courage de tes grands Patrons. Dieu bénira cet engagement par une moisson abondante de vocations au sacerdoce et à la vie consacrée; reste "unie" autour de l'Evêque grâce à la communion fidèle des prêtres, des religieux, des religieuses, des diacres et des laïcs de toute paroisse et association apostolique.

J'envoie une pensée particulière à la Ville de San Leo et à la ville de Penabilli, unies par la vocation d'être les sièges de l'Unique Cathédrale constituée simultanément par le splendide temple millénaire érigé sur le vénéré sarcophage de saint Léon, sur le mont Feretro, et par la belle église de la Renaissance, construite sur les pentes du Mont Carpegna, au bord du fleuve Marecchia, grâce au zèle de l'inoubliable Evêque, Mgr Giovanni Francesco Sormani, et à présent restaurée avec tant d'amour à l'occasion du grand Jubilé par Vous, vénéré Frère, que j'ai envoyé gouverner cette bien-aimée portion du Peuple de Dieu.

Avec ces sentiments, j'invoque sur Vous, sur le clergé, sur les religieux et sur les fidèles de tout le territoire de Saint-Marin-Montefeltro la protection de la Mère de Dieu, vénérée comme Madone des Grâces, de la Miséricorde, de la Consolation.

A présent, en me plaçant moi aussi sous la protection de la Mère de Dieu et des saints Marin et Léon, je vous envoie à tous une Bénédiction apostolique particulière.

De Castel Gandolfo, le 29 août 2001





MESSAGE DU PAPE JEAN PAUL II AUX PARTICIPANTS À LA RENCONTRE INTERNATIONALE SUR LE TRAVAIL (CITÉ DU VATICAN, 13-15 SEPTEMBRE 2001)


Discours 2001 - Vendredi 14 septembre 2001