Discours 2002 - Mardi 12 février 2002


MESSAGE DU PAPE JEAN PAUL II À MGR LUIGI GIUSSANI, FONDATEUR DU MOUVEMENT "COMUNIONE E LIBERAZIONE", POUR LE XXème ANNIVERSAIRE DE LA RECONNAISSANCE DE LA FRATERNITÉ




A Monseigneur LUIGI GIUSSANI Fondateur du mouvement "Comunione e Liberazione"

1. Je m'associe de façon intense à la joie de la Fraternité "Comunione e Liberazione", à l'occasion du vingtième anniversaire de sa reconnaissance par le Conseil pontifical pour les Laïcs comme Association de fidèles de droit pontifical. En 1954 déjà, vous aviez été, très cher Mgr Giussani, à l'origine du mouvement "Comunione e Liberazione" à Milan, qui s'était ensuite étendu ailleurs en Italie, puis dans d'autres pays du monde. La Fraternité est le fruit mûr de ce mouvement.

En l'heureuse circonstance de ce vingtième anniversaire, je me réjouis particulièrement de reparcourir les étapes importantes de l'itinéraire ecclésial du mouvement, pour rendre grâce à Dieu pour l'oeuvre qu'Il a accomplie à travers votre initiative personnelle, et celles de tous ceux qui se sont unis à vous au cours des années. Il est réconfortant de rappeler les événements à travers lesquels l'action de Dieu s'est manifestée et de reconnaître ensemble la grandeur de sa miséricorde.

2. En retournant par la mémoire à la vie et aux oeuvres de la Fraternité et du mouvement, on est d'abord frappé par l'engagement à se mettre à l'écoute des besoins de l'homme d'aujourd'hui. L'homme ne cesse jamais de chercher: qu'il soit touché par le drame de la violence, de la solitude et de l'insignifiance, ou qu'il vive dans la sérénité et la joie, il continue de chercher. L'unique réponse qui peut le satisfaire en calmant cette recherche, lui vient de la rencontre avec Celui qui est à la source de son être et de son oeuvre.

Le mouvement a donc voulu, et veut indiquer non pas un chemin, mais le chemin pour parvenir à la solution de ce drame existentiel. Ce chemin, combien de fois l'avez-vous affirmé, c'est le Christ. Il est le Chemin, la Vérité et la Vie, qui rejoint la personne dans sa vie quotidienne. La découverte de ce chemin advient généralement grâce à la médiation d'autres êtres humains. Marqués du don de la foi par leur rencontre avec le Rédempteur, les croyants sont appelés à se faire l'écho de l'avènement du Christ, et à devenir eux-mêmes "avènement".

Avant d'être un ensemble de doctrines, ou une règle pour le salut, le christianisme est donc l'"avènement" d'une rencontre. Telle est l'intuition et l'expérience que vous avez transmises ces dernières années aux nombreuses personnes qui ont adhéré au mouvement. "Comunione e Liberazione" vise moins à offrir des choses nouvelles, qu'à faire redécouvrir la Tradition et l'histoire de l'Eglise, pour l'exprimer à nouveau de manière à parler aux hommes de notre temps et les interpeller. Dans le Message aux participants au Congrès mondial des mouvements ecclésiaux et des nouvelles communautés, le 27 mai 1998, j'ai écrit que l'originalité du charisme de chaque mouvement "ne prétend pas, et il ne le pourrait pas, ajouter quoi que ce soit à la richesse du depositum fidei, conservé par l'Eglise avec une fidélité pleine d'ardeur" (n. 4; cf. ORLF n. 23, du 9 juin 1998). Toutefois, cette originalité "constitue un soutien puissant, un appel suggestif et convaincant à vivre pleinement, avec intelligence et créativité, l'expérience chrétienne. C'est là que se trouve la condition nécessaire pour apporter des réponses adéquates aux défis et aux urgences des temps et des circonstances historiques toujours diverses" (ibid.).


3. Il faut retourner au Christ, Verbe de Dieu incarné pour le salut de l'humanité. Jésus de Nazareth, qui a vécu l'expérience humaine comme personne d'autre n'aurait pu le faire, apparaît comme le modèle de toute aspiration humaine. C'est seulement à travers Lui que l'homme peut arriver à se connaître pleinement lui-même.

Ainsi, la foi apparaît comme une authentique aventure de la connaissance, car elle n'est pas un discours abstrait ni un vague sentiment religieux, mais une rencontre personnelle avec le Christ, qui donne un sens nouveau à la vie. L'oeuvre éducative que, dans le cadre des activités de votre communauté, de nombreux parents et enseignants se sont efforcés d'accomplir, a précisement consisté à accompagner les frères, les enfants, les amis à découvrir dans leurs sentiments, dans leur travail, dans les vocations les plus différentes, la voix qui conduit chacun à la rencontre définitive avec le Verbe fait chair. Ce n'est que dans le Fils unique du Père que l'homme peut trouver la réponse pleine et définitive à ses attentes intimes et fondamentales.

Ce dialogue permanent avec le Christ, alimenté par la prière personnelle et liturgique, est un encouragement à une présence sociale active, comme en témoigne l'histoire du mouvement et de la Fraternité "Comunione e Liberazione". Votre histoire est en effet également l'histoire de vos oeuvres de culture, de charité, de formation et, tout en respectant la distinction entre les finalités de la société civile et celles de l'Eglise, c'est également l'histoire d'un engagement dans le domaine politique, un domaine par nature chargé d'antagonismes, où le service fidèle de la cause du bien commun s'avère quelquefois difficile.

4. Ces vingt dernières années, l'Eglise a vu naître et se développer en son sein beaucoup d'autres mouvements, communautés ou associations. La force de l'Esprit du Christ n'en finit jamais de dépasser, presque de briser, les modèles et les formes enracinées de la vie précédente, pour exhorter à des moyens d'expression inédits. Cette urgence est le signe de cette mission de l'Eglise vivante, dans laquelle le visage du Christ se dessine sous les traits des visages des hommes de tout temps et de tout lieu de l'histoire. Comment ne pas être stupéfait devant ces prodiges de l'Esprit Saint? Il accomplit des merveilles, et à l'aube d'un nouveau millénaire, pousse les croyants à avancer en eau profonde vers des frontières toujours plus lointaines pour la construction du Royaume.

Il y a quelques années, à l'occasion du trentième anniversaire de la naissance de "Comunione e Liberazione", je vous avais dit: "Allez dans le monde entier, apportez-lui la vérité, la beauté et la paix que l'on trouve dans le Christ Rédempteur" (Rome, 29 septembre 1984, n. 4; cf. ORLF n. 41, du 9 octobre 1984). Au début du troisième millénaire de l'ère chrétienne, je vous confie à nouveau, avec force et gratitude, le même mandat. Je vous exhorte à coopérer avec conscience et constance à la mission des diocèses et des paroisses, en élargissant courageusement leur action missionnaire jusqu'aux confins du monde.

Que le Seigneur vous accompagne et rende vos efforts fructueux. Que Marie, Vierge fidèle et Etoile de la nouvelle évangélisation, soit votre soutien et qu'elle vous guide sur le chemin d'une fidélité toujours plus audacieuse à l'Evangile.

Avec ces sentiments, je vous donne volontiers, Mgr Giussani, ainsi qu'à vos collaborateurs et à tous les membres de la Fraternité et aux membres du mouvement, une Bénédiction apostolique spéciale.

Du Vatican, le 11 février 2002, fête de la bienheureuse Vierge Marie de Lourdes



MESSAGE AU PRÉSIDENT DE LA COMMISSION PONTIFICALE D'ARCHÉOLOGIE SACRÉE POUR LE 150ème ANNIVERSAIRE DE SA FONDATION



A mon Vénéré Frère Mgr Francesco MARCHISANO
Président de la Commission pontificale d'Archéologie sacrée


1. Cent cinquante ans se sont écoulés depuis que mon Prédécesseur, le Bienheureux Pie IX, a concrétisé le premier projet de la Commission pontificale d'Archéologie sacrée, instituée quelques temps auparavant pour élargir la collection des antiquités chrétiennes, les réunir dans des locaux spéciaux et créer un musée, qui devait ensuite prendre le nom de Musée Chrétien-Pie.

L'objectif qu'il confia à cette Commission consista à garantir, avec un sage discernement, que "demeurent si possible à leur place dans les catacombes toutes ces choses qui, sans risquer d'être abîmées, pourraient [...] édifier les fidèles en rappelant à leur mémoire la simplicité des catacombes elles-mêmes" (in Archivio della Società Romana di Storia Patria, 91 [1968], 259). En rendant publiques les dispositions de ce vénéré Pontife, le 6 janvier 1852, le Cardinal-Secrétaire d'Etat de l'époque, Giacomo Antonelli, communiqua la composition définitive de la Commission, comprenant des chercheurs illustres et clairvoyants, tels que le P. Giuseppe Marchi, s.j., et Giovanni Battista De Rossi.

En cette heureuse circonstance, j'ai demandé au Cardinal Angelo Sodano, mon Secrétaire d'Etat, d'apporter aux membres de l'actuelle Commission pontificale d'Archéologie sacrée, digne d'éloges, mon salut cordial et un encouragement fervent, afin qu'ils continuent à conserver, à étudier et à faire connaître le précieux héritage des vénérables vestiges de l'Eglise, en particulier des catacombes de l'Urbs et de l'Italie.


2. Comment ne pas souligner, en cette circonstance, l'attention pleine de sollicitude avec laquelle les Pontifes Romains ont conservé les vestiges de la communauté chrétienne présents dans la ville de Rome et dans la Péninsule italienne dès les débuts?

Il faut par exemple mentionner la décision du Pape Zéphyrin, qui le premier voulut créer des catacombes sur la Via Appia, les confiant aux soins du diacre Calixte. Cet ensemble de catacombes, qui est le plus grand, prendra ensuite le nom de Calixte, devenu Pape et successeur de Zéphyrin. Un autre Souverain Pontife profondément engagé dans la valorisation des catacombes fut le Pape Damase, qui, durant son pontificat, se mit à la recherche des tombes des martyrs, afin de les décorer de splendides épigraphes métriques, en mémoire des faits et gestes de ces premiers témoins de la foi.

Au siècle dernier, confirmant et mettant à jour les dispositions de ses prédécesseurs immédiats, le Pape Pie XI, dans le Motu Proprio "Les cimetières primitifs", étendit et renforça la Commission d'Archéologie sacrée, "afin que les monuments vétustes de l'Eglise soient conservés de la meilleure façon possible pour l'étude des érudits, ainsi que pour la vénération et la piété ardente des fidèles de chaque pays" (AAS 17 [1925], 621). L'initiative providentielle de ce grand Pontife s'inséra dans le contexte particulier de l'Année Sainte 1925, qui vit le rassemblement de foules de pèlerins venus pour rendre hommage à la mémoire de l'Eglise de Rome. Ce fut donc, comme toujours, une finalité pastorale et spirituelle qui incita en priorité les Successeurs de l'Apôtre Pierre à communiquer une nouvelle vigueur à la Commission pontificale d'Archéologie sacrée.


3. Les catacombes ont constitué, à chaque époque, un centre de piété et d'unité pour les croyants. Dans celles-ci sont conservés et vénérés avec respect les témoignages éloquents de la sainteté de l'Eglise, qui rappellent la communion qui unit les vivants aux morts, la terre au ciel, le temps à l'éternité. Dans ces lieux sacrés, ceux qui ont été marqués par le sceau du Baptême et qui, souvent, ont offert pour l'Evangile la preuve suprême de l'effusion du sang, attendent la venue glorieuse du Seigneur.

J'ai plaisir à citer dans son intégralité, parmi un grand nombre, l'épigraphe admirable que le Pape saint Damase composa en l'honneur de saint Saturnin martyr, dont nous fêtons aujourd'hui la mémoire liturgique. Il s'agit de paroles qui peuvent s'appliquer aux nombreuses personnes qui ont offert leur vie pour le Christ et qui reposent à présent dans la paix, en attendant le jour sans fin, lorque le Seigneur reviendra dans la gloire. C'est un hommage que nous désirons rendre à ces frères et soeurs dans la foi:

"A présent citoyen du Christ,
il le fut autrefois de Carthage.
A l'époque où l'épée
transperça le sein pieux
de la Mère,
par le mérite de son sang
il changea de patrie,
de nom et de descendance,
la naissance à la vie des saints
le rendit citoyen romain.

Sa foi fut admirable:
sa mort héroïque
le démontra par la suite.
Graziano frémit
comme ennemi, alors qu'il lacère
les membres pieux;
mais bien qu'il manifestât toute
sa haine maléfique,
il ne réussit pas, ô saint,
à te faire renier le Christ;
et il finit même, au contraire,
à la suite de tes prières
par mourir en chrétien.

Telle est la prière de Damase:
vénère ce sépulcre! [Il nous est ici donné de renouveler nos voeux et d'épancher notre âme
en chastes prières,
car c'est ici le sépulcre
du martyr saint Saturnin]-
A toi, ô martyr Saturnin,
je renouvelle mes voeux".
(Epigrammata Damasiana, par A. Ferrua, Rome 1942, p. 188-189).

Comment nier, notamment à la lumière de ces vers inspirés, que les catacombes sont l'un des symboles historiques de la victoire du Christ sur le mal et sur le péché? Elles attestent que les tempêtes qui font rage sur l'Eglise ne peuvent jamais atteindre leur but qui est de la détruire, car elle est fondée sur la promesse du Seigneur: "portae inferi non praevalebunt adversus eam" (Mt 16,18).


4. J'ai en outre plaisir à rappeler que la Commission que vous présidez dignement ne s'occupe pas seulement de conserver de façon appropriée ces "vestiges du peuple de Dieu", mais s'efforce également de rassembler et de diffuser le message religieux et culturel qu'ils évoquent. La contribution de ceux qui collaborent avec vous s'étend, en effet, à des aspects techniques, scientifiques, épigraphiques, ainsi qu'anthropologiques, théologiques et liturgiques. Cela permet à l'Eglise de connaître toujours mieux le patrimoine laissé par les générations des premiers chrétiens. C'est également grâce au message permanent que ce patrimoine silencieux proclame, que le peuple chrétien peut demeurer fidèle au depositum fidei, reçu comme un trésor précieux à conserver avec soin.

Les interventions de qualité des experts de la Commission, au cours des cent cinquante années qui se sont écoulées, ont été et restent importantes non seulement en raison de leur caractère scientifique, mais plus particulièrement de leur caractère religieux et ecclésial. Je désire, en cette heureuse circonstance jubilaire, exprimer ma plus vive gratitude pour le profond et généreux engagement avec lequel chacun contribue à développer cette oeuvre historique et pastorale.

Je forme également des voeux afin que le travail de cette Commission pontificale soit toujours plus connu, de façon à pouvoir ainsi répondre au désir des personnes qui veulent connaître les témoignages de ceux qui les ont précédés sous le signe de la foi. En s'imprégnant de la solidité de la foi des premiers chrétiens, à travers ces monuments et ces vestiges, les jeunes générations pourront se sentir encouragées de façon efficace à vivre à leur tour l'Evangile avec cohérence, même au prix d'un sacrifice personnel.

Vénéré Frère, avec ces sentiments, je vous assure, ainsi qu'aux membres de la Commission pontificale d'Archéologie sacrée, à vos collaborateurs et à ceux qui interviendront aux manifestations prévues, de mon affection constante, et, alors que je confie chacun de vous à Marie, Mère de l'Eglise, je donne de tout coeur à tous une Bénédiction apostolique spéciale, propitiatrice d'abondantes faveurs célestes.

Du Vatican, le 12 février 2002,
mémoire des Saints Saturnin et ses compagnons martyrs.



AU CLERGÉ DU DIOCÈSE DE ROME

Jeudi 14 février 2002



Monsieur le Cardinal,
Vénérés frères dans l'épiscopat,
Très chers prêtres romains!

1. Cette rencontre avec le Clergé romain, qui se renouvelle chaque année au début du Carême, emplit mon coeur de joie. Je salue chacun de vous avec affection, et je vous remercie d'être ici et de servir l'Eglise de Rome. Je salue et je remercie le Cardinal-Vicaire, le Vice-Gérant, les Evêques auxiliaires, et ceux d'entre vous qui m'ont adressé la parole.

"Puis il gravit la montagne et appelle à lui ceux qu'il voulait. Ils vinrent à lui, et il en institua Douze pour être ses compagnons et pour les envoyer prêcher" (Mc 3,13-15). Alors que commence le chemin quadragésimal, ces paroles de l'évangéliste Marc, sur lesquelles vous avez fondé le programme pastoral diocésain, rappelle les prêtres que nous sommes à cette recherche d'une proximité intime avec le Seigneur, qui est pour chaque chrétien, mais pour nous en particulier, le secret de notre existence, et la source de la fécondité de notre ministère.

Ces paroles évangéliques mettent aussi très bien en lumière le lien profond qui existe entre la vocation divine, accueillie dans l'obéissance à la foi, et la mission chrétienne, d'être des témoins et des annonciateurs du Christ, collaborateurs humbles mais courageux à son oeuvre de salut. Vous faites donc bien de consacrer une attention spéciale aux vocations, en particulier les vocations au sacerdoce et à la vie consacrée, à l'intérieur de la grande orientation à la mission qui caractérise la vie et la pastorale de notre diocèse.


2. Nous savons tous à quel point les vocations sont nécessaires à la vie, au témoignage et à l'action pastorale de nos communautés ecclésiales. Et nous savons également que la diminution des vocations est souvent, dans un diocèse ou dans un pays, la conséquence de la baisse de l'intensité de la foi et de la ferveur spirituelle. Nous ne devons donc pas nous contenter par facilité de l'explication selon laquelle le manque de vocations sacerdotales serait compensé par un plus grand engagement apostolique des laïcs, ou même qu'elle serait voulue par la Providence pour favoriser la croissance des laïcs. Au contraire, plus les laïcs qui désirent vivre avec générosité leur vocation baptismale sont nombreux, plus la présence et l'oeuvre des ministres ordonnés deviennent nécessaires.

Nous ne voulons pas ainsi dissimuler les difficultés bien connues qui, à Rome tout comme dans une grande partie du monde occidental, font aujourd'hui obstacle à une réponse positive à l'appel du Seigneur. Il est en effet devenu difficile, pour de multiples raisons, de concevoir et d'entreprendre des projets de vie importants et exigeants, qui n'impliquent pas la personne d'une façon partielle et provisoire, mais totale et définitive. Et il est encore plus difficile, pour beaucoup de personnes, de voir dans de semblables projets non pas une décision qui leur appartienne, fruit de leurs propres choix, qu'ils ont prise en conscience, mais au contraire une décision qui naît, en premier lieu, de l'appel de Dieu, du dessein d'amour et de miséricorde que, de toute éternité, il a conçu pour chacun.

A l'origine de l'engagement de l'Eglise pour les vocations, il doit donc y avoir un grand engagement commun, qui implique tout autant les laïcs que les prêtres et les religieux, et qui consiste à redécouvrir cette dimension fondamentale de notre foi selon laquelle la vie elle-même, toute vie humaine, est le fruit de l'appel de Dieu et ne peut se réaliser de façon positive qu'en réponse à cet appel.


3. Au sein de cette grande réalité de la vie comme vocation et, plus concrètement, de notre vocation baptismale commune, la vocation au ministère ordonné, la vocation sacerdotale, révèle toute son extraordinaire signification. Elle est en effet don et mystère, le mystère de la gratuité de l'élection divine: "Ce n'est pas vous qui m'avez choisi; mais c'est moi qui vous ai choisis et vous ai établis pour que alliez et portiez du fruit et que votre fruit demeure" (Jn 15,16).

Oui, chers frères dans le sacerdoce, notre vocation est un mystère. Elle est, comme je l'ai écrit à l'occasion de mon Jubilé sacerdotal, "le mystère d'un "échange merveilleux" - admirabile commercium - entre Dieu et l'homme. Celui-ci donne au Christ son humanité pour qu'il puisse s'en servir comme instrument de salut, en faisant presque de cet homme, un autre lui-même. Si l'on ne saisit pas le mystère de cet "échange", on ne réussit pas à comprendre comment il peut advenir qu'un jeune, en entendant la parole "Suis-moi!", en vienne à renoncer à tout pour le Christ, avec la certitude qu'en suivant cette route, sa personnalité humaine se réalisera pleinement" (Don et Mystère).

Pour cette raison, quand nous parlons de notre sacerdoce et que nous en donnons le témoignage, nous devons le faire avec une grande joie et avec gratitude, et en même temps avec une humilité tout aussi grande, conscients que Dieu "nous a appelés d'un saint appel, non en considération de nos oeuvres, mais conformément à son propre dessein et à sa grâce" (2Tm 1,9).


4. Ainsi, la raison pour laquelle le premier et le principal engagement pour les vocations ne peut donc être que la prière, devient tout à fait claire: "La moisson est abondante, mais les ouvriers peu nombreux; priez donc le Maître de la moisson d'envoyer des ouvriers à sa moisson" (Mt 9,37-38 cf. Lc 10,2). La prière pour les vocations n'est pas, et ne peut pas être le fruit de la résignation, comme si nous pensions que nous avions déjà fait tout ce qui pouvait être fait pour les vocations, avec bien peu de résultats, et qu'il ne nous restait donc qu'à prier. La prière, en effet, n'est pas une façon de déléguer au Seigneur pour qu'il agisse à notre place. C'est au contraire un acte de confiance en lui, une façon de se remettre entre ses mains, qui nous rend à notre tour confiants et disponibles pour accomplir les oeuvres de Dieu.

C'est pour cela que la prière pour les vocations est assurément un devoir pour toute la communauté chrétienne, mais doit être pratiquée avec intensité d'abord par ceux qui se trouvent à l'âge et dans les conditions de choisir leur propre état de vie, comme c'est en particulier le cas des jeunes.

Pour la même raison, la prière doit être accompagnée par toute une pastorale qui soit clairement et explicitement marquée par la vocation. Dès qu'ils commencent à connaître Dieu et à se former une conscience morale, nos enfants et nos adolescents doivent être aidés à découvrir que la vie est vocation et que Dieu appelle certains à le suivre de plus près, dans la communion avec lui et dans le don de soi. Pour cette raison, les familles chrétiennes ont dans le domaine des vocations une mission et une responsabilité grandes et irremplaçables, et il faut les aider à y répondre de manière consciente et généreuse. De même, la catéchèse et toute la pastorale de l'initiation chrétienne doivent contenir une première proposition à la vocation.

Naturellement, cette proposition doit devenir plus forte et plus pénétrante, toujours dans le plein respect de la conscience et de la liberté des personnes, au fur et à mesure qu'à l'enfance succède l'adolescence, puis la jeunesse: la pastorale des jeunes, la pastorale scolaire et la pastorale universitaire trouvent donc l'un de leurs éléments fondamentaux dans le soin et la sollicitude pour les vocations. Mais c'est finalement chaque paroisse et chaque communauté chrétienne, dans toutes ses composantes et ses organisations, qui doit se sentir corresponsable de la proposition et de l'accompagnement de la vocation.


5. Il est toutefois clair, très chers prêtres, que c'est nous qui devons être impliqués au premier chef par la pastorale des vocations, et elle est confiée en premier lieu à notre prière, à notre ministère, à notre témoignage personnel. En effet, il est difficile que naisse une vocation au sacerdoce sans qu'elle soit liée à la figure d'un prêtre, sans contact personnel avec lui, sans son amitié, son attention patiente et prévenante, son accompagnement spirituel.

Si les enfants et les jeunes voient des prêtres trop occupés, prompts au mécontentement et aux plaintes, négligeant la prière et les devoirs afférents à leur ministère, comment pourront-ils être attirés par la voie du sacerdoce? Si, en revanche, ils font en nous l'expérience de la joie d'être ministres du Christ, de la générosité dans le service à l'Eglise, de la capacité à prendre en charge la croissance humaine et spirituelle des personnes qui nous sont confiées, ils seront poussés à se demander si, pour eux aussi, ce ne serait pas cela la "meilleure part" (Lc 10,42), le choix le plus beau pour leurs jeunes vies.

Très chers frères prêtres, confions en particulier à la Très Sainte Vierge Marie, Mère du Christ, Mère de l'Eglise et Mère des prêtres que nous sommes, cette sollicitude particulière pour les vocations qui est la nôtre. Nous lui confions également notre chemin quadragésimal et surtout notre sanctification personnelle: l'Eglise a en effet besoin de prêtres saints, pour ouvrir au Christ, même les portes qui semblent le mieux fermées.

Merci encore de cette rencontre. Je vous bénis tous de tout coeur, et je bénis avec vous vos communautés.




AUX MEMBRES DU CONSEIL GÉNÉRAL DE L'ORDRE DES FRÈRES PRÊCHEURS (DOMINICAINS)

Vendredi 15 février 2002



Très chers religieux!

1. C'est avec une grande joie que je vous accueille, vous qui faites partie du Conseil général de l'Ordre des Frères prêcheurs. J'adresse à chacun mon salut cordial et, à travers vous, je l'étends à toute votre Famille religieuse. Je remercie en particulier le Maître général, le P. Carlos Azpiroz Costa, qui s'est fait l'interprète des sentiments communs d'adhésion et de fidélité au Siège apostolique.

En vous rencontrant aujourd'hui, je pense aux contacts que j'ai eus avec votre Ordre. Je garde toujours présent dans mon âme le souvenir de mes années d'étude à l'Université pontificale Saint-Thomas d'Aquin dans l'Urbs. Ce fut une période très fructueuse pour ma formation théologique, notamment grâce à la contribution qualifiée de maîtres dominicains prestigieux et inoubliables. Je voudrais rappeler ici le Père Garrigou-Lagrange, les Pères Paul Philippe et Mario Luigi Ciappi, devenus ensuite Cardinaux, ainsi que d'autres éminents professeurs dominicains. Ce que j'ai eu l'occasion d'apprendre dans les amphithéâtres de l'Angelicum n'a cessé de m'accompagner dans mon ministère pastoral.


2. L'Ordre dominicain de grand mérite, dont vous êtes les représentants qualifiés, a un devoir spécifique dans la grande oeuvre de la nouvelle évangélisation, que le grand Jubilé de l'An 2000 a relancée avec vigueur. Il s'agit d'une initiative ecclésiale commune, à laquelle tous les membres du Peuple de Dieu, et en particulier les Familles religieuses, doivent apporter leur contribution.

"Les hommes de notre époque - ai-je écrit ans la Lettre apostolique Novo millennio ineunte -, parfois inconsciemment, demandent aux croyants d'aujourd'hui non seulement de "parler" du Christ, mais en un sens de le leur faire "voir"" (NM 16). Cette exigence ne coïncide-t-elle pas avec le programme de vie, exprimé de façon si efficace par saint Thomas d'Aquin: "contemplata aliis tradere"? Seul celui qui a fait l'expérience de Dieu peut parler de Lui de façon convaincante aux autres. A l'école de saint Dominique et des nombreux saints dominicains, vous êtes appelés à être des maîtres de vérité et de sainteté.


3. Très chers amis, que cela soit l'orientation fondamentale de votre Conseil général pour donner des indications courageuses en ce qui concerne la vie et l'apostolat des Frères dominicains dans le monde. Je vous suis avec affection, en formant des voeux de bien pour vos Communautés présentes sur chaque continent. J'invoque sur elles l'assistance maternelle de la Bienheureuse Vierge du Rosaire et la protection des saints et bienheureux de l'Ordre.

En vous assurant de mon souvenir dans la prière, je vous donne de tout coeur la Bénédiction apostolique à vous, à vos confrères, ainsi qu'à tous ceux qui font partie de la Famille spirituelle dominicaine.




AUX MEMBRES DE LA COMMISSION "DUNS SCOT" DE L'ORDRE DES FRÈRES MINEURS

Samedi 16 février 2002



Au Révérend Père Frère Giacomo Bini Ministre général de l'Ordre des Frères mineurs

1. C'est avec une vive joie et une grande cordialité que je vous salue, tout d'abord vous, Frère Giacomo Bini, puis les membres de la Commission "Duns Scot" et ceux qui travaillent au Secrétariat général pour la Formation et les Etudes de votre Ordre. J'étends ensuite ma pensée affectueuse à tout l'Ordre des Frères mineurs.

Je vous suis très reconnaissant pour le don du Volume de l'Opera Omnia du bienheureux Duns Scot, dans lequel est reportée la dernière partie du Livre II de l'Ordinatio, la dernière oeuvre la plus importante du Doctor subtilis.

On connaît bien, dans la théologie et la philosophie catholique, la figure du bienheureux John Duns Scot, que mon prédécesseur, le Pape Paul VI, dans la Lettre apostolique Alma Parens du 14 juillet 1966, définissait comme le "perfectionneur" de saint Bonaventure, "le représentant le plus qualifié" de l'Ecole franciscaine. En cette circonstance, Paul VI affirmait que dans les écrits de Duns Scot "latent certe feventque Sancti Francisci Asisinatis perfectionis pulcherrima forma et seraphici spiritus ardores", et il ajoutait que l'on peut tirer de précieux élements du trésor théologique de ses oeuvres pour des "colloques sereins" entre l'Eglise catholique et les autres Confessions chrétiennes (cf. AAS 58 [1996] 609-614).


2. Les oeuvres de Duns Scot, plusieurs fois réimprimées au cours des siècles précédents, nécessitaient une profonde révision, pour être libérées des nombreuses erreurs des copistes et des interpolations faites par les disciples. Il n'était plus possible d'étudier Scot dans ces éditions. Une édition critique sérieuse était nécessaire, fondée sur les manuscrits. Il s'agissait de la même exigence que l'on avait ressentie pour les Oeuvres de saint Bonaventure et de saint Thomas.

Cette tâche fut confiée par le Ministre général de l'Ordre des Frères mineurs et par son Définisseur à une équipe de chercheurs constituée à cette fin, qui prit le nom de Commission "Duns Scot" et dont le siège fut installé à l'Université pontificale "Antonianum" de Rome. A l'heure actuelle, les volumes publiés sont au nombre de dix. Avec une grande application, on y a déterminé et indiqué les sources directes et indirectes, dont Scot s'est servi dans sa rédaction. Des notes donnent toutes les informations et les indications utiles pour mieux comprendre la pensée du grand Maître de l'Ecole franciscaine.

Duns Scot, avec sa splendide doctrine sur le primat du Christ, sur l'Immaculée Conception, sur la valeur primordiale de la Révélation et du Magistère de l'Eglise, sur l'autorité du Pape, sur la possibilité qu'a la raison humaine de rendre accessible, tout au moins en partie, les grandes vérités de la foi, d'en démontrer le caractère non contradictoire, demeure aujourd'hui encore le pilier de la théologie catholique, un Maître original et riche d'indications et de sollicitations pour parvenir à une connaissance toujours plus complète des vérités de la Foi.


3. Chers membres de la Commission "Duns Scot"! Je suis heureux d'encourager votre travail car, comme le dit la Ratio Studiorum Ordinis Fratrum Minorum, "les centres de recherche de l'Ordre, ainsi que la Commission "Duns Scot", à travers leur activité scientifique et d'édition, accomplissent un service d'une importance primordiale en ce qui concerne la conservation et la transmission du patrimoine historique, philosophique, théologique et spirituel de l'Ordre" (124). Je profite de cette occasion pour encourager les jeunes frères à se préparer de façon appropriée, afin de poursuivre dans les Centres de recherche de l'Ordre l'enseignement et la recherche.

Je forme des voeux afin que la Commission "Duns Scot" puisse en 2004, année du 150ème anniversaire du dogme de l'Immaculée Conception de la Bienheureuse Vierge Marie, publier le volume XX, qui contiendra le livre III de la Lectura, encore inédit, dans lequel Duns Scot, défendit pour la première fois le privilège marial et reçut le titre de "Docteur de l'Immaculée".

Je confie à la Reine de l'Ordre franciscain le travail de la Commission, alors que je vous donne de tout coeur, cher Ministre général, à vous qui êtes ici présents et à tous ceux qui rendent votre activité possible, mon affectueuse Bénédiction apostolique.


Discours 2002 - Mardi 12 février 2002