Discours 2002 - Vendredi 21 juin 2002


MESSAGE DU PAPE JEAN PAUL II AUX PARTICIPANTS À LA IIIème SESSION PLÉNIÈRE DE L'ACADÉMIE PONTIFICALE SAINT-THOMAS-D'AQUIN



Aux participants à la III Session plénière de l'Académie pontificale Saint-Thomas-d'Aquin

1. Je suis heureux de vous adresser ce Message, chers membres ordinaires de l'Académie pontificale Saint-Thomas d'Aquin, à l'occasion de votre Session plénière. Je vous salue cordialement, avec une pensée particulière pour S.Em. le Card. Paul Poupard, Président du Conseil pontifical de la Culture, qui préside les activités des Académies pontificales, ainsi que pour le Président et le Secrétaire de votre Académie de grand mérite. Je voudrais, en outre, évoquer le souvenir du regretté Mgr Antonio Piolanti, ancien Président de votre Académie, qui a rendu durant de nombreuses années un précieux service à l'Eglise.

Votre éminente confrérie, qui vient de renouveler ses statuts et s'est enrichie de la présence de chercheurs de renommée internationale, continue à se consacrer avec succès à l'étude de l'oeuvre de saint Thomas, toujours "proposé par l'Eglise comme un maître de pensée et le modèle d'une façon correcte de faire de la théologie" (Fides et ratio FR 43). Durant cette Assemblée plénière, votre réflexion s'est portée sur le thème: "Le dialogue sur le bien", dans une perspective transcendentale, qui examine le rapport du bien avec l'être, c'est-à-dire également avec Dieu.


2. Chers et estimés chercheurs, poursuivez dans cette voie. Aujourd'hui, à côté des merveilleuses découvertes scientifiques et des surprenants progrès technologiques, les ombres et les lacunes ne manquent pas dans le paysage de la culture et de la recherche. Nous sommes en train d'assister à un certain nombre de graves oublis: l'oubli de Dieu et de l'être, l'oubli de l'âme et de la dignité de l'homme. Cela produit quelquefois des situations d'angoisse auxquelles il faut apporter des réponses riches de vérité et d'espérance. Face à des penseurs païens qui, privés de la lumière supérieure de la Révélation, n'étaient pas capables d'apporter des solutions aux problèmes radicaux de l'homme, saint Thomas s'exclamait: "Quantam angustiam patiebantur hinc et inde illa praeclara ingenia!" (SCG 3,48 n. 2261).

Il est tout d'abord nécessaire de revenir à la métaphysique. Dans l'Encyclique Fides et ratio, parmi les exigences et les devoirs actuels de la philosophie, j'indiquais "la nécessité d'une philosophie de portée authentiquement métaphysique, c'est-à-dire apte à transcender les données empiriques pour parvenir, dans sa recherche de la vérité, à quelque chose d'absolu, d'ultime et de fondateur" (FR 83). Le discours sur le bien suppose une réflexion métaphysique. En effet, c'est dans l'être que la vérité a son fondement, et le bien sa consistance. Entre l'être, la vérité et le bien, Thomas découvre une lien réel et profond.


3. Dans la compréhension du bien, on trouve également la solution au mystère du mal. Thomas a consacré toute son oeuvre à la réflexion sur Dieu, et elle lui sert de toile de fond pour poser les seize questions sur le mal (De Malo). En suivant Augustin, il se demande: "Unde malum, unde hoc monstrum?". Dans le célèbre article de la Summa Theologiae sur les cinq voies par lesquelles l'intelligence humaine arrive à l'existence de Dieu, il reconnaît que la réalité du mal dans le monde est un grand obstacle sur ce chemin (cf. q. I 2,3).

Beaucoup de nos contemporains se demandent: Pourquoi donc, si Dieu existe, permet-il le mal? Il faut alors faire comprendre que le mal est une privation du bien dû, et que le péché est une aversion de l'homme pour Dieu, source de tout bien.

Un problème anthropologique, aussi central pour la culture d'aujourd'hui, ne trouve de solution qu'à la lumière de ce que nous pourrions appeler une "méta-anthropologie". C'est-à-dire qu'il s'agit de la compréhension de l'être humain comme un être libre et conscient, homo viator, qui en même temps est et devient. En lui se conjuguent les différences: l'un et le multiple, le corps et l'âme, l'homme et la femme, la personne et la famille, l'individu et la société, la nature et l'histoire.


4. Saint Thomas, au-delà d'un éminent philosophe et théologien, a été un maître en humanité. En 1980, je l'avais appelé Doctor humanitatis, précisément à cause de cette compréhension qui lui est propre, de l'homme dans sa rationalité et dans sa condition d'être libre. A Paris, alors qu'il commentait l'oeuvre des Sentences de Pietro Lombardo, il découvrit le rôle de la raison pratique dans l'être et le devenir de l'homme. Alors que la raison spéculative est orientée vers la connaissance de la vérité, la raison pratique est dirigée vers l'action, c'est-à-dire la direction des actes humains.

L'homme, qui a reçu de Dieu l'existence en don, a entre ses mains le devoir de la conduire de façon conforme à la vérité, en découvrant sa signification authentique (cf. Encyclique Fides et ratio FR 81). Dans cette recherche, surgit l'immuable question morale formulée dans l'Evangile par la question: "Maître, que dois-je faire de bon?" (Mt 19,16). La culture de notre temps parle beaucoup de l'homme et le connaît bien, mais elle donne souvent l'impression d'ignorer ce qu'il est vraiment. En effet, l'homme ne comprend totalement ce qu'il est qu'à la lumière de Dieu. Il est "imago Dei", créé par amour et destiné à vivre dans l'éternité en communion avec Lui.

Le Concile oecuménique Vatican II nous apprend que le mystère de l'homme ne trouve sa solution qu'à la lumière du mystère du Christ (cf. Gaudium et spes GS 22). Dans son sillage, j'ai voulu répéter moi aussi dans l'Encyclique Redemptor hominis que l'homme est la voie première et principale que parcourt l'Eglise (cf. RH RH 14). Face à la tragédie de l'humanisme athée, il est du devoir des croyants d'annoncer et de témoigner que le véritable humanisme se manifeste dans le Christ. Ce n'est que dans le Christ que la personne peut pleinement se réaliser.


5. Chers et éminents membres de l'Académie pontificale Saint-Thomas, que la force de l'Esprit guide vos travaux et rende votre recherche efficace.

Tout en invoquant la protection constante de Marie, Sedes Sapientiae, et de saint Thomas d'Aquin sur chacun de vous et sur votre Académie, je vous bénis tous de tout coeur.

Du Vatican, le 21 juin 2002


  MESSAGE AUX PARTICIPANTS AU CONGRÈS EUROPÉEN D'ÉTUDE SUR LE THÈME: "VERS UNE CONSTITUTION EUROPÉENNE?"




Mesdames, Messieurs,

1. Je suis heureux de vous adresser mon salut cordial à l'occasion du Congrès européen d'étude que le Bureau pour la pastorale universitaire du Vicariat de Rome a organisé en collaboration avec la Commission des Episcopats de la Communauté européenne et la Fédération des Universités catholiques d'Europe.

La forme interrogative donnée au thème de réflexion du Congrès - "Vers une constitution européenne?" - attire l'attention sur la phase particulièrement importante dans laquelle est entré le processus de construction de la "maison commune européenne". Il semble en effet que le moment est arrivé de mettre en oeuvre des réformes institutionnelles importantes, souhaitées et préparées durant ces dernières années et rendues encore plus urgentes et nécessaires par les adhésions prévues de nouveaux Etats membres.

L'élargissement de l'Union européenne, ou mieux encore, l'"européisation" de toute la région continentale, que j'ai souvent appelée de mes voeux, constitue une priorité à poursuivre avec courage et sans délai, en apportant une réponse concrète à l'attente de millions d'hommes et de femmes qui sont conscients d'être liés par une histoire commune et qui espèrent un destin d'unité et de solidarité. Cela implique de repen-ser les structures institutionnelles de l'Union européenne, pour les adapter aux nouvelles exigences, et requiert dans le même temps l'identification d'un nouvel ordre dans lequel soient explicités les objectifs de la construction européenne, les compétences de l'Union et les valeurs sur lesquelles elle doit être fondée.


2. Face aux différentes solutions possibles de ce "processus" européen complexe et important, l'Eglise, fidèle à son identité et à sa mission évangélisatrice, applique ce qu'elle a déjà déclaré à l'égard des Etats, c'est-à-dire de ne pas avoir "de qualité pour exprimer une préférence de l'une ou de l'autre solution institutionnelle ou constitutionnelle", et de vouloir respecter de façon cohérente l'autonomie légitime de l'ordre démocratique (cf. Centesimus annus CA 47). Dans le même temps, en vertu précisément de cette identité et de cette mission elle-même, elle ne peut rester indifférente face aux valeurs qui inspirent les divers choix institutionnels. En effet, on ne peut douter que dans les choix qui, régulièrement, sont fait à cet égard, des problématiques d'ordre moral sont en jeu, puisque ces choix, dans toutes leurs implications, sont inévitablement l'expression, dans un contexte historique particulier, des conceptions sur la personne, sur la société et sur le bien commun dont ils naissent et auxquelles ils sont soumis. C'est précisément cette conscience qui fonde le droit et le devoir de l'Eglise d'intervenir en apportant la contribution qui est la sienne, qui renvoie à une vision de la dignité de la personne humaine avec toutes ses implications, qui sont explicitées dans la doctrine sociale catholique.

Dans cette perspective, la recherche et la définition d'un nouvel ordre, que visent également les travaux de la "Convention" instituée par le Conseil européen de décembre 2001 à Laeken, doivent être saluées comme des avancées positives en elles-mêmes. En effet, elles visent au renforcement souhaitable du cadre institutionnel de l'Union européenne qui, grâce à un réseau librement mis en place de liens et de coopérations, peut contribuer efficacement au développement de la paix, de la justice et de la solidarité sur tout le continent.


3. Un nouvel ordre européen de ce genre doit toutefois, pour être vraiment adapté à la promotion du bien commun authentique, reconnaître et défendre les valeurs qui constituent le patrimoine le plus précieux de l'humanisme européen, qui a assuré et continue d'assurer à l'Europe un rayonnement particulier dans l'histoire de la civilisation. Ces valeurs représentent la contribution intellectuelle et spirituelle qui a façonné de la façon la plus caractéristique l'identité européenne au cours des siècles et elles appartiennent à l'héritage culturel propre à ce continent. Comme je l'ai rappelé plusieurs fois, elles concernent: la dignité de la personne; le caractère sacré de la vie humaine; le rôle central de la famille fondée sur le mariage; l'importance de l'éducation; la liberté de pensée, d'expression et de profession de ses convictions et de sa religion; la protection juridique des individus et des groupes; la collaboration de tous au bien commun; le travail considéré comme un bien personnel et social; le pouvoir politique entendu comme un service, soumis à la loi et à la raison et "limité" par les droits de la personne et des populations.

Il sera en particulier nécessaire de reconnaître et de sauvegarder en chaque occasion la dignité de la personne humaine et le droit à la liberté religieuse entendu dans sa triple dimension: individuelle, collective et institutionnelle. Il faudra, en outre, accorder une place au principe de subsidiarité dans ses dimensions horizontales et verticales, ainsi qu'à une vision des relations sociales et communautaires fondée sur une culture et une éthique de la solidarité authentique.


4. Les racines culturelles qui ont contribué à l'affirmation des valeurs rappelées jusqu'ici sont nombreuses: allant de l'esprit de la Grèce à celui du monde romain; des apports des peuples latins, celtes, germaniques, slaves et hongro-finnois, à ceux de la culture juive et du monde islamique. Ces divers facteurs ont trouvé dans la tradition judéo-chrétienne une force capable de les harmoniser, de les consolider et de les promouvoir. En reconnaissant cette donnée historique, dans le processus en oeuvre vers un nouvel ordre institutionnel, l'Europe ne pourra pas ignorer son héritage chrétien, étant donné qu'une grande partie de ce qu'elle a produit dans le domaine juridique, artistique, littéraire et philosophique a été influencé par le message évangélique.

Sans céder à aucune tentation de nostalgie, et en ne se contentant pas non plus d'une reproduction mécanique des modèles du passé, mais en s'ouvrant aux nouveaux défis présents, il faudra donc s'inspirer, avec une fidélité créative, des racines chrétiennes qui ont marqué l'histoire européenne. C'est la mémoire historique qui l'exige, mais également et surtout la mission de l'Europe appelée, aujourd'hui encore, à être un exemple de progrès véritable, à promouvoir la mondialisation dans la solidarité et sans exclusion, à contribuer à l'édification d'une paix juste et durable, en son sein et dans le monde entier, à mêler des traditions culturelles différentes pour donner vie à un humanisme dans lequel le respect des droits, la solidarité, la créativité permettent à chaque homme de réaliser ses plus nobles aspirations.


5. Une tâche vraiment ardue attend les hommes politiques européens! Pour y faire face de façon adaptée, il faudra que, tout en respectant une juste conception de la laïcité des institutions politiques, ils sachent accorder aux valeurs susmentionnées l'enracinement profond de type transcendant qui s'exprime dans l'ouverture à la dimension religieuse.

Cela permettra, entre autres, de réaffirmer le caractère non absolu des institutions politiques et des pouvoirs publics, précisément en raison de l'"appartenance" prioritaire et innée de la personne humaine à Dieu, dont l'image est inscrite de façon indélébile dans la nature même de chaque homme et de chaque femme. Si cela ne se produisait pas, on risquerait de légitimer les orientations de laïcisme et de sécularisme agnostique et athée qui conduisent à l'exclusion de Dieu et de la loi morale naturelle dans les divers domaines de l'existence humaine. Ce serait, en premier lieu, la coexistence civile dans son ensemble sur le continent qui en paierait tragiquement les conséquences, comme l'a démontré l'histoire européenne elle-même.


6. Dans tout ce processus, doivent également être reconnus et sauvegardés l'identité spécifique et le rôle social de l'Eglise et des confessions religieuses. En effet, celles-ci ont toujours joué et continuent à jouer un rôle déterminant, sous de nombreux points de vue: dans l'éducation aux valeurs à la base de la coexistence, en proposant des réponses aux questions fondamentales concernant le sens de la vie, en promouvant la culture et l'identité des peuples, en offrant à l'Europe ce qui concourt à lui donner un fondement spirituel souhaitable et nécessaire. Du reste, celles-ci ne peuvent pas être limitées à de simples entités privées, mais elles agissent à travers une présence institutionnelle spécifique, qui mérite d'être appréciée et valorisée au niveau juridique, en respectant et non en portant préjudice au statut dont elles bénéficient dans les législations des divers Etats membres de l'Union.

Il s'agit, en d'autres termes, de réagir à la tentation d'édifier la coexistence européenne en excluant la contribution des communautés religieuses, la richesse de leur message, de leur action et de leur témoignage: cela ôterait, entre autres, au processus de construction européenne des énergies importantes pour la fondation éthique et culturelle de la coexistence civile. Je souhaite donc que - selon la logique d'une "saine collaboration" entre communauté ecclésiale et communauté politique (cf. Gaudium et spes GS 76) - les institutions européennes, sur ce chemin, sachent entamer un dialogue avec les Eglises et les Confessions religieuses, selon des formes adaptées, en accueillant la contribution qu'elles peuvent certainement apporter, en vertu de leur spiritualité et de leur engagement pour l'humanisation de la société.


7. Je désire enfin m'adresser aux communautés chrétiennes elles-mêmes et à tous les croyants dans le Christ, en leur demandant de mettre en oeuvre une action culturelle vaste et développée. En effet, il est urgent et nécessaire de montrer - en utilisant la force d'argumentations convaincantes et d'exemples porteurs - qu'édifier la nouvelle Europe en la fondant sur les valeurs qui l'ont modelée tout au long de son histoire et qui plongent leurs racines dans la tradition chrétienne, est bénéfique pour tous, quelle que soit la tradition philosophique ou spirituelle à laquelle on appartient, et que cela constitue un fondement solide pour une coexistence plus humaine et plus pacifique, car respectueuse de tous et de chacun.

Sur la base de ces valeurs partagées, il sera possible de parvenir à des formes de consensus démocratique qui sont nécessaires pour définir, également au niveau institutionnel, le projet d'une Europe qui soit véritablement la maison de chacun, dans laquelle aucune personne et aucun peuple ne se sente exclu, mais où tous puissent se sentir appelés à participer à la promotion du bien commun sur le continent et dans le monde entier.


8. Dans cette perspective, il est juste d'attendre beaucoup des Universités catholiques européennes, qui ne manqueront pas de développer une réflexion approfondie sur les divers aspects d'une problématique aussi intéressante. Le Congrès actuellement en cours ne manquera pas d'apporter certainement lui aussi sa précieuse contribution à cette recherche.

En invoquant sur l'engagement de chacun la lumière et le réconfort de Dieu, j'envoie à tous une Bénédiction apostolique spéciale.

Du Vatican, le 20 juin 2002



AUX PARTICIPANTS À L'ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE DE LA RÉUNION DES OEUVRES D'AIDE POUR LES ÉGLISES ORIENTALES (ROACO)

Jeudi 27 juin 2002




Monsieur le Cardinal,
Vénérés frères dans l'épiscopat et dans le sacerdoce,
Chers membres et amis de la R.O.A.C.O.!

1. Je suis particulièrement heureux de souhaiter à chacun de vous une chaleureuse bienvenue, et je vous exprime ma gratitude pour cette cordiale visite à l'occasion de l'Assemblée annuelle de la "Réunion des Oeuvres pour l'Aide aux Eglises orientales" (R.O.A.C.O).

Je salue cordialement Monsieur le Cardinal Ignace Moussa I Daoud, Préfet de la Congrégation pour les Eglises orientales et Président de la R.O.A.C.O., et je salue avec lui Mgr Antonio Maria Vegliò, Secrétaire, ainsi que tous les collaborateurs du dicastère, unis aux responsables des divers bureaux. Je vous remercie tous de votre collaboration active à la sollicitude du Pape pour les Eglises orientales.

En soulignant qu'en dépit des difficultés actuelles, l'engagement généreux des OEuvres que vous représentez ici ne diminue pas, je voudrais répéter ce que j'affirmais dans la Lettre apostolique Orientale lumen: "Les communautés d'Occident se feront avant tout un devoir de partager, lorsque cela est possible, des projets de service avec leurs frères des Eglises d'Orient ou de contribuer à la réalisation de ce qu'elles entreprennent au service de leur peuple" (n. 23).

2. En cette occasion, je reviens en esprit à ma récente visite en Bulgarie, et à Plovdiv en particulier, où j'ai pu proclamer bienheureux les martyrs P. Pavel Djidjov, Kamen Vitchev et Josaphat Chichkov. Comme tant d'autres, demeurés souvent inconnus, ces authentiques témoins du Christ ont le mérite d'avoir conservé allumée la flamme de la foi au cours du terrible hiver de l'athéisme du siècle dernier et de l'avoir transmise plus vivante que jamais aux générations successives.

Leur béatification n'a pas seulement constitué le point culminant de tout mon pèlerinage, mais le sceau le plus clair et le plus lumineux de l'estime et de l'affection qui me lient au noble peuple bulgare, pour lequel je vous invite à prier afin que Dieu lui accorde de longs jours de progrès, de prospérité et de paix.

Je me permets de vous signaler ces chères communautés chrétiennes, afin que vous les ayez encore plus à coeur et que vous puissiez continuer à les soutenir dans leurs besoins. Je vous exhorte surtout à ne pas décevoir les attentes des jeunes, à aider les familles chrétiennes et à favoriser de toutes les façons possibles la formation des candidats au sacerdoce et à la vie religieuse.


3. Le soin particulier avec lequel le Siège apostolique suit l'évolution de la situation en Terre Sainte, et, de façon plus générale, la poursuite des tensions au Moyen-Orient, me poussent également à recommander vivement à votre sollicitude nos frères dans la foi qui vivent là-bas. Je suis certain que vos efforts, notamment grâce à la traditionnelle Collecte pour la Terre Sainte, feront parvenir à ces régions martyrisées des signes concrets de solidarité chrétienne. Je suis également convaincu que vous trouverez, dans votre action bénéfique, une réponse reconnaissante de la part des Pasteurs et des fidèles des Eglises catholiques orientales et de la communauté latine de Terre Sainte. Cette Terre bénie, sur laquelle le Sauveur est né, est mort et est ressuscité, représente un patrimoine mondial de spiritualité et un trésor à la valeur sans égale.

Les pèlerins qui, chaque année, se rendent dans les Lieux Saints, le savent bien. Après avoir prié et médité sur l'Evangile dans le cadre évocateur de ces lieux, ils retournent dans leurs communautés enrichis par une expérience extraordinaire. En particulier, ils se rendent compte qu'à côté des sanctuaires, existe et oeuvre une communauté active de croyants, composée de fidèles appartenant à divers rites, ayant des traditions qui puisent leurs racines dans la pluralité propre à l'Eglise des premiers siècles.


4 Très chers frères et soeurs! Votre engagement consiste à répondre de façon toujours plus attentive et immédiate aux urgences des Eglises orientales catholiques, en cherchant à faire participer de façon opportune les communautés locales. A travers des sessions spéciales de réflexion et des rencontres d'étude, vous aidez à programmer des interventions et à définir des programmes pastoraux selon des priorités reconnues d'évangélisation, de charité et d'engagement éducatif. Je me réjouis avec vous et je désire vous encourager à poursuivre avec générosité et clairvoyance le chemin entrepris, qui apporte des fruits de bien pour l'Eglise tout entière.

Au cours de ce processus si important, la Congrégation pour les Eglises orientales est proche de vous, et soutient les diverses initiatives que vous promouvez dans le domaine des études, de l'approfondissement de la liturgie, dans l'engagement pour la formation et dans la mise en place concrète de programmes pastoraux.

Le dicastère a, en outre, le devoir de répondre aux exigences des séminaristes et des prêtres, des religieux et des religieuses, ainsi que des laïcs envoyés à Rome par leurs Evêques et Supérieurs pour compléter leur formation spirituelle et pastorale, pour connaître des réalités ecclésiales différentes et pour porter à terme leurs études supérieures dans les diverses disciplines ecclésiastiques.

Puissent les communautés ecclésiales d'Orient, aidées par la Congrégation pour les Eglises orientales et par la R.O.A.C.O., mener une vie évangélique toujours plus intense et connaître un élan apostolique renouvelé.


5. Très chers frères et soeurs! Que la Mère de Dieu, la Très Sainte Vierge Marie, vous confirme dans vos bonnes intentions. Qu'elle vous soutienne dans vos efforts en vue d'unir à la charité de la parole la charité des oeuvres, exprimée à travers de nombreux signes de solidarité et de fraternité.

Je suis moi aussi proche de vous par l'affection et la prière, et je donne de tout coeur à chacun de vous ici présent une Bénédiction apostolique particulière, que j'étends volontiers à tous ceux qui vous sont chers, aux Eglises auxquelles vous appartenez et à tous ceux qui bénéficient des initiatives pour lesquelles vous oeuvrez.




AU NOUVEL AMBASSADEUR DE FRANCE LORS DE LA PRÉSENTATION DES LETTRES DE CRÉANCE

Jeudi 27 juin 2002




Monsieur l’Ambassadeur,

1. C’est avec plaisir que j’accueille Votre Excellence au début de sa mission auprès du Saint-Siège, La remerciant vivement des paroles courtoises qu’Elle vient de m’adresser. Par l’intermédiaire de Votre Excellence, je salue cordialement Son Excellence Monsieur Jacques Chirac, Président de la République, lui exprimant mes voeux fervents pour son nouveau mandat au service du peuple de France. Mes souhaits de bonheur vont aussi à tous vos compatriotes.

2. En cette occasion solennelle, nombreux sont les sujets qu’il me tiendrait à coeur d’évoquer, compte tenu de l’histoire pluriséculaire des rapports entre la France et le Saint-Siège et des nouvelles perspectives qui s’ouvrent devant nous pour l’avenir. Je me contenterai aujourd’hui de souligner que la France, que vous représentez désormais ici, a joué un rôle essentiel dans la création et la mise en oeuvre de la Communauté européenne et dans l’unification progressive du continent, qu’a récemment symbolisée l’adoption d’une monnaie unique par douze pays. Le Saint-Siège, vous le savez, se réjouit de la création de cet espace européen, auquel de nombreux pays désirent encore se joindre et qui a favorisé l’apparition de nouvelles conditions de vie. Ces dernières devraient permettre un meilleur développement social et la mise en valeur des richesses particulières, contribuant aussi de manière significative à promouvoir la paix et l’entente entre les peuples sur l’ensemble du continent.

En raison de son histoire et de sa situation spécifique, la France est appelée à jouer un rôle moteur dans la construction de l’identité européenne et pour son élargissement, afin que puissent rayonner à travers le monde les idéaux de fraternité, d’égalité et de liberté auxquels vos concitoyens sont légitimement attachés. Je souhaite que les Autorités françaises continuent à s’engager en faveur de la mise en place de structures permettant aussi à l’Europe d’être un protagoniste de la paix sur tous les continents. N’est-ce pas l’un des traits de l’héritage humaniste de l’Europe, qui puise ses racines dans sa longue histoire chrétienne, que de travailler pour que chaque peuple, chaque nation, puisse vivre dans la dignité et le respect des droits fondamentaux individuels et collectifs ? Alors que vient de commencer le travail de la Commission chargée de réfléchir à l’opportunité d’une Constitution de l’Union, il apparaît fondamental que les buts de la construction européenne et les valeurs sur lesquelles elle doit reposer soient toujours mieux explicités. Comment ne pas mentionner l’apport décisif des valeurs dont est porteur le christianisme, qui a contribué et contribue encore à modeler la culture et l’humanisme dont l’Europe est légitimement fière, et sans lesquels on ne peut comprendre son identité la plus profonde ?

Dans cet esprit, je me réjouis vivement des recherches entreprises et des perspectives proposées dans le cadre scolaire pour que, à travers la connaissance du fait religieux, les jeunes découvrent les différentes religions et les communautés humaines qui les pratiquent, et puissent ainsi s’engager dans une recherche du sens de leur existence, sous la conduite d’éducateurs ayant conscience de la valeur d’une telle démarche. Cela favorisera le respect mutuel et contribuera à une plus grande paix sociale et à une plus profonde fraternité entre toutes les composantes de la Nation.

Vos précédentes missions, Monsieur l’Ambassadeur, vous ont permis de mesurer combien la religion est l’une des dimensions essentielles de la culture. Loin de constituer une menace pour la vie sociale, les forces religieuses sont, en effet, une chance pour la vie en commun, car elles participent, à la place qui est la leur, à la construction d’une société où l’homme est pris en compte dans toutes ses dimensions. La communauté nationale peut ainsi bénéficier de l’apport des valeurs culturelles, spirituelles et morales véhiculées par les traditions religieuses, qui ne manqueront pas de favoriser l’établissement d’un climat de concorde et de paix.

3. Dans cette perspective, il me plaît de souligner l’importance de la rencontre du 12 février dernier au siège de votre Gouvernement. Fruit d’un dialogue patient entre l’État, le Saint-Siège et l’Église catholique en France, la rencontre du Premier Ministre avec le Nonce apostolique, le Cardinal Archevêque de Paris et les responsables de la Conférence épiscopale témoigne que la voie du dialogue et de la négociation pour la résolution de questions concrètes relatives à l’exercice de la liberté de religion et de culte constitue un avantage réciproque pour l’État comme pour l’Église. Le Saint-Siège se félicite de la mise en oeuvre d’une concertation permanente dans le cadre des relations de l’Église avec l’État. Elle favorisera sans nul doute une meilleure connaissance mutuelle et la recherche d’un point d’équilibre entre l’intervention naturelle des évêques et l’assistance et la garantie qu’offre toujours la présence du Saint-Siège, spécialement lorsque sont en jeu des principes essentiels. La création de groupes de travail consacrés à l’étude d’aspects de la vie de l’Église catholique dans votre pays est à cet égard prometteuse. Puisse cet esprit de dialogue et de concertation prévaloir toujours, pour le service de tous !

4. Ici, à Rome, la tradition française maintient avec bonheur sa présence. Par ses nombreuses propositions, le centre culturel Saint-Louis de France contribue de manière précieuse à l’approfondissement des questions qui traversent la société. J’apprécie que par cet instrument votre Ambassade puisse proposer de manière significative l’indispensable réflexion que suscitent les évolutions rapides des sciences et de la technique. L’admiration et les interrogations qu’elles provoquent appellent en effet un surcroît de sagesse, invitant à réfléchir aux conséquences de la mise en oeuvre de certaines découvertes qui peuvent conduire à des pratiques irrespectueuses de la dignité de la personne humaine. Dans le prolongement de la tradition humaniste magnifiquement illustrée par votre prédécesseur Jacques Maritain, le centre culturel de l’Ambassade a plus que jamais vocation à être ce lieu où se rencontrent ceux qui désirent que les progrès de l’humanité soient liés à une compréhension toujours plus vive de la grandeur et de la dignité de la personne humaine.

5. Au terme de notre rencontre, je suis heureux de pouvoir, par votre intermédiaire, saluer les pasteurs et les fidèles de l’Église catholique en France, éprouvés par la récente disparition de deux éminents Pasteurs, les cardinaux Pierre Eyt et Louis-Marie Billé. Je rends grâce à Dieu pour la vitalité et la fidélité de tant de baptisés qui, dans votre pays, répondent à leur vocation chrétienne à travers leurs multiples engagements au service de la communauté ecclésiale et de la communauté humaine, avec une immense générosité. Que tous, prêtres, religieux et religieuses, fidèles, soient assurés de ma proximité spirituelle et de ma vive affection !

Au moment où débute votre mission dans la Ville éternelle, je vous offre, Monsieur l’Ambassadeur, mes voeux les meilleurs, vous assurant de la pleine disponibilité de mes collaborateurs pour vous apporter toute l’aide dont vous pourrez avoir besoin pour l’accomplissement de votre haute fonction. Je demande à Dieu de soutenir le peuple de France afin que, dans la fidélité à son histoire et à son patrimoine spirituel et culturel, il puisse continuer à oeuvrer pour la paix et l’entente entre les personnes et entre les peuples et, bien volontiers, je vous accorde la Bénédiction apostolique, ainsi qu’à vos collaborateurs et à vos proches.



À L'AMBASSADEUR DE L'EX-RÉPUBLIQUE YOUGOSLAVE DE MACÉDOINE PRÈS LE SAINT-SIÈGE

Vendredi 28 juin 2002



Monsieur l'Ambassadeur,

Au moment où j'accepte les Lettres qui vous accréditent en tant qu'Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de l'ex-République de Macédoine près le Saint-Siège, je vous adresse une cordiale bienvenue. Reconnaissant pour les voeux cordiaux que, par votre aimable intermédiaire, Son Excellence le Président de la République, M. Boris Trajkovski, m'a adressés, je vous demande de bien vouloir lui faire parvenir mes voeux cordiaux, que j'accompagne d'une prière particulière à Dieu afin que le bien-aimé peuple de son pays puisse continuer d'agir avec sagesse en vue du développement humain authentique de la nation, ainsi que de la paix et de la justice dans la région. Ce faisant, ses concitoyens démontreront qu'ils sont de fidèles héritiers de la riche tradition chrétienne qui leur a été léguée par l'Apôtre Paul et par les saints frères Cyrille et Méthode.

L'acte solennel d'aujourd'hui de la présentation des Lettres de Créance se déroule dans un contexte mondial tout autre que pacifique. Dans diverses parties du monde ont lieu d'alarmantes manifestations de violence, souvent motivées par d'anciennes inimitiés et par la tentation d'alimenter des animosités passées.

Malheureusement, votre pays également a connu par le passé des épreuves douloureuses. Les autorités de votre nation, en étroite collaboration avec les responsables de la Communauté internationale, ont affronté ces difficultés avec soin. Les réformes constitutionnelles nécessaires ont été effectuées. Les lois qui conduisent au respect des droits des minorités ont été promulguées, à travers la promotion des diverses composantes de la population aux divers niveaux du processus politique. Cela aidera à avancer sur la voie du dialogue, de la réconciliation et de la coexistence pacifique.

Sur ce chemin, l'Eglise ne cesse de rappeler que l'attention principale doit se concentrer sur le coeur humain. C'est là, en effet, que peuvent se nicher la haine et l'esprit de domination, des sentiments qui sont à l'origine de tout acte d'oppression. C'est donc du coeur que l'on devra partir pour déraciner de tels sentiments et les remplacer par une attitude de fraternité et d'ouverture à l'égard des autres, en voyant davantage en eux ce qui unit que ce qui divise. En réalité, une société qui veut être véritablement civile et désire contribuer au progrès des peuples doit cultiver chez tous ses membres une compréhen-sion objective et impartiale des autres. Une telle compréhension revêt une valeur inestimable pour aider les personnes à accepter les traditions culturelles et religieuses différentes des leurs. Cela constitue, en réalité, le premier pas vers la réconciliation, étant donné que le respect des diversités est une condition indispensable pour un rapport authentique entre individus et groupes. Une culture ethnocentrique, même lors-qu'elle prétend résoudre les problèmes présents, ne réussit qu'à exacerber les difficultés et engendrer d'autres divisions.

L'Eglise est profondément préoccupée par la dimension sociale de la vie humaine, et cette préoccupation pour le bien-être de la société est une partie essentielle du message chrétien (cf. Centesimus annus CA 5). C'est pourquoi elle invite ses membres à prendre une part active à la vie politique, économique et sociale dans les pays respectifs, afin de diffuser en chacun d'eux la lumière de la foi et le message évangélique de la réconciliation et du pardon.

Toutefois, les conditions de la justice exigent que, à chaque fois qu'une erreur est commise ou que l'on fait du mal, on le reconnaisse et que, dans la mesure du possible, on le répare.

Mais la justice humaine trouve son fondement ultime dans la loi de Dieu et dans son plan de salut pour l'humanité (cf. Dives in misericordia DM 14). C'est pourquoi, dans sa pleine acception, la justice ne se limite pas à établir ce qui est juste entre les parties en conflit, mais présuppose également que soit recomposée la juste harmonie de chacun avec Dieu, avec les autres, et avec soi-même. C'est pour cette raison qu'il n'y a pas de contradiction entre pardon et justice; le pardon, en effet, ne diminue pas les exigences de la justice, mais tente de réintégrer les personnes et les groupes dans la société et les Etats dans la communauté des nations, à travers un sens renouvelé de responsabilité et, là où cela est possible, à travers la solidarité avec les victimes des injustices passées.

Tel est la raison pour laquelle tous les secteurs de la société doivent agir ensemble pour édifier une coexistence civile dans laquelle la dignité de la personne et le respect des droits humains soient la norme de conduite pour tous: personnes, gouvernements et organismes internationaux. Oui, la véritable paix est le fruit de la justice, "vertu morale et garantie légale qui veille sur le plein respect des droits et des devoirs et sur la répartition équitable des profits et des charges" (Message pour la Journée mondiale de la Paix 2002, n. 3, cf. ORLF n. 49 du 11 décembre 2002). Tel doit être le contexte plus vaste pour les diverses priorités que - dans la longue tradition de tolérance et de respect envers les divers groupes ethniques auxquels vous avez fait référence - le gouvernement poursuit, tout en s'efforçant d'introduire une nouvelle ère de paix et de stabilité pour la nation.

Je suis heureux de pouvoir vous assurer que les catholiques, en dépit de leur situation de petite minorité dans le pays, ne manqueront pas de participer à l'édification de la société civile, en particulier à la promotion et à la sauvegarde des droits humains, à l'assistance dans les situations de pauvreté et à l'éducation de la jeunesse.

Monsieur l'Ambassadeur, la décision de Votre gouvernement de nommer un Ambassadeur près le Saint-Siège avec résidence à Rome ne peut que renforcer les liens d'amitié et de compréhension qui existent déjà. Je suis certain que vos responsabilités serviront à approfondir cette relation, et je vous assure que les divers bureaux du Saint-Siège contribueront de toutes les façons possibles à vous faciliter l'accomplissement de votre mission. Avec ces sentiments, j'invoque sur vous et sur le bien-aimé peuple de l'ex-République de Yougoslavie les abondantes Bénédictions du Très-Haut.



Discours 2002 - Vendredi 21 juin 2002