Discours 2002 - Vendredi, 11 octobre 2002


VISITE DU PATRIARCHE DE L'ÉGLISE ORTHODOXE ROUMAINE, SA BÉATITUDE TEOCTIST

Samedi, 12 Octobre 2002




Béatitude et cher Frère,

1. Je vous accueille avec une grande joie pour cette rencontre qui nous permet de manière renouvelée de nous saluer l’un l’autre d’un baiser fraternel (cf. 1P 5,14), avant de nous retrouver ensemble devant le Seigneur, demain, au cours de Liturgie eucharistique dans la Basilique Saint-Pierre. Notre rencontre de ce jour nous offre l’occasion d’un échange plus direct et plus personnel, et donne une forme concrète à une promesse: continuer ensemble, comme nous l’avons fait au cours des jours passés, à paître le troupeau que Dieu nous a confié, nous faisant les modèles du troupeau (cf. ibid., 1P 1P 5,2-3), afin que ce dernier nous suive avec docilité sur la voie difficile, mais si riche de joie, de l’unité et de la communion (cf. Encyclique Ut unum sint UUS 2).

En cette joyeuse circonstance, c’est avec gratitude que ma pensée se tourne vers le temps du Concile Vatican II, auquel j’ai participé comme Pasteur de Cracovie. Dans les discussions des séances conciliaires sur le mystère de l’Église, il était inévitable de constater avec souffrance la division qui se prolongeait depuis presque un millénaire entre les vénérables Églises orientales et Rome, de même qu’apparaissait clairement que les nombreux siècles d’incompréhensions et de malentendus de part et d’autre avaient provoqué des injustices et un manque d’amour. Déjà lorsqu’il était Délégué apostolique à Sofia et à Constantinople, le Pape Jean XXIII avait jeté les bases d’une compréhension plus profonde et d’un plus grand respect mutuel.



2. Le Concile a redécouvert que la riche tradition spirituelle, liturgique, disciplinaire et théologique des Églises d’Orient appartient au patrimoine commun de l’Église une, sainte, catholique et apostolique (cf. Unitatis redintegratio, UR 16); il soulignait en outre la nécessité de conserver avec ces Églises les relations fraternelles qui doivent exister entre les Églises locales, comme entre des Églises soeurs (cf. ibid., UR 14).

Lors de la conclusion des travaux du Concile, par un geste hautement significatif réalisé de manière concomitante à Rome dans la Basilique Saint-Pierre et à Constantinople, les condamnations réciproques de 1054 furent effacées de la mémoire de l’Église. Entre mon prédécesseur le Pape Paul VI et le Patriarche oecuménique Athénagoras, il y avait déjà eu, à cette époque, une rencontre mémorable, et un important échange épistolaire était déjà engagé entre eux, qui porte à juste titre le nom de Tomos agapis.

Depuis lors, notre communion, et je pense pouvoir dire notre amitié, s’est approfondie grâce à un échange réciproque de visites et de messages. Avec joie, je me souviens de la première visite que Votre Béatitude a accomplie à Rome en 1989 et de mon voyage à Bucarest en 1999. Au fil du temps, l’échange fécond entre nos Églises s’est aussi réalisé à d’autres niveaux: entre évêques, théologiens, prêtres, religieux et étudiants. En 1980, se sont engagés les travaux d’une Commission mixte internationale pour le dialogue théologique entre l’Église catholique et l’Église orthodoxe dans son ensemble, qui a pu élaborer et publier différents documents. Il s’agit de textes dans lesquels apparaît toute l’étendue de notre communion de foi dans le mystère de l’Eucharistie, des Sacrements, du Sacerdoce et du ministère épiscopal dans la succession apostolique. Il serait souhaitable que la Commission reprenne au plus tôt ses travaux, étant donné son rôle de première importance.

3. Profondément reconnaissants au Seigneur pour ce que nous avons pu réaliser ensemble, nous ne pouvons cependant nier l’apparition de certaines difficultés sur notre chemin commun. Dans les années 1989/90, après quarante années de dictature communiste, l’Europe de l’Est a pu goûter à nouveau à la liberté. Les Églises orientales en pleine communion avec le Siège de Pierre, qui avaient été durement persécutées et brutalement réprimées, ont aussi retrouvé leur place dans la vie publique.

Cela a créé des tensions qui, nous l’espérons, peuvent être dépassées par un esprit de justice et d’amour. La paix de l’Église est un bien tellement grand que chacun doit être prêt à accomplir des sacrifices pour sa réalisation. Nous sommes pleinement confiants que vous-même, Béatitude, saurez plaider la cause de la paix avec intelligence, sagesse et amour. Dans le parcours sur cette voie, de nombreux témoins, qui en des temps et des lieux divers ont donné un lumineux exemple, viendront à notre aide et nous accompagneront.

4. Tandis que, avec des sentiments de vive gratitude, je tourne mon regard vers le chemin sur lequel l’Esprit de Dieu nous a guidés au cours des dernières décennies, je sens aussi monter en moi une interrogation: comment poursuivre ? Quels pourront être nos prochains pas pour parvenir enfin à la pleine communion ? Il est certain que nous devrons continuer dans l’avenir sur la voie commune du dialogue de la vérité et de l’amour.

Poursuivre le dialogue de la vérité signifie tenter d’éclaircir et de dépasser les différences qui demeurent encore, en multipliant les échanges et les réflexions au niveau théologique. L’objectif est de parvenir, à la lumière du sublime modèle de la Sainte Trinité, à une unité qui ne comporte ni absorption ni fusion (cf. Encyclique Slavorum apostoli, n. 27), mais qui respecte la légitime différence entre les diverses traditions, car elles sont partie intégrante de la richesse de l’Église.

Nous avons des principes de comportement, qui ont été formulé dans des textes communs et qui, pour l’Église catholique, demeurent toujours valables. Nous sommes, nous aussi, préoccupés devant le prosélytisme de nouvelles communautés ou de mouvements religieux, qui ne sont pas enracinés historiquement et qui envahissent des pays et des régions où sont présentes les Églises traditionnelles et où, depuis des siècles, est proclamée l’annonce de l’Évangile. L’Église catholique en fait aussi la triste expérience dans différentes parties du monde.

Pour sa part, l’Église catholique reconnaît la mission que les Églises orthodoxes sont appelées à remplir dans les pays où elles sont enracinées depuis des siècles. Elle ne désire rien d’autre que d’aider cette mission et d’y collaborer, ainsi que de pouvoir réaliser sa tâche pastorale envers ses fidèles et envers ceux qui se tournent librement vers elle. Pour corroborer cette attitude, l’Église catholique a cherché à soutenir et à aider la mission des Églises orthodoxes dans leurs pays d’origine, ainsi que l’activité pastorale de nombreuses communautés qui vivent en diaspora aux côtés des communautés catholiques. Toutefois, là où surgissent des problèmes ou des incompréhensions, il est nécessaire de les affronter à travers un dialogue fraternel et franc, en recherchant des solutions qui puissent engager réciproquement les deux parties. L’Église catholique est toujours disponible pour un tel dialogue afin de donner ensemble un témoignage chrétien toujours plus crédible.

Poursuivre le dialogue de l’amour signifie continuer à promouvoir les échanges et les rencontres personnelles entre évêques, prêtres et laïcs, entre les centres monastiques et les étudiants en théologie. Oui, je pense que nous devrions encourager par-dessus tout la rencontre entre jeunes, car ils sont toujours curieux de connaître des mondes différents du leur, de s’ouvrir à une dimension plus large. Notre devoir est donc d’extirper les vieux préjugés et de préparer un avenir nouveau fondé sur la paix offerte mutuellement.



5. Un autre aspect me semble intéressant. Je me demande si nos relations ne seraient pas devenues suffisamment profondes et mûres pour nous permettre, avec la grâce de Dieu, de leur donner une solide structure institutionnelle, de manière à trouver aussi des formes stables de communication et d’échange régulier et réciproque d’informations avec chacune des Églises orthodoxes, et au niveau de l’Église catholique et de l’Église orthodoxe dans son ensemble. Je serais heureux si cette question pouvait être l’objet d’une sérieuse réflexion au cours des dialogues à venir et si l’on pouvait suggérer des solutions constructives en ce sens.

Nous sommes conscients d’être seulement d’humbles instruments entre les mains de Dieu. L’Esprit de Dieu peut seul nous donner la pleine communion. C’est pourquoi il est important de le prier avec une intensité toujours plus grande, afin qu’il nous accorde paix et unité. Avec Marie et les Apôtres, rassemblons-nous et prions pour la venue de l’Esprit d’amour et d’unité. Continuons notre pèlerinage commun vers l’unité visible, dans la certitude que Dieu guide nos pas.

DÉCLARATION COMMUNE DE SA SAINTETÉ LE PAPE JEAN-PAUL II ET DE SA BÉATITUDE LE PATRIARCHE THÉOCTISTE


«Et moi, je leur ai donné la gloire que tu m’as donnée, pour qu’ils soient un comme nous sommes un, moi en eux comme toi en moi, pour qu’ils parviennent à l’unité parfaite et qu’ainsi le monde puisse connaître que c’est toi qui m’as envoyé et que tu les as aimés comme tu m’as aimé» (Jn 17,22-23).


Dans la joie profonde de nous retrouver ensemble dans la ville de Rome, près de la tombe des saints Apôtres Pierre et Paul, nous échangeons le baiser de paix sous le regard de Celui qui veille sur son Église et qui guide nos pas; et nous méditons une nouvelle fois ces paroles que l’évangéliste Jean nous a transmises et qui constituent la prière émouvante du Christ à la veille de sa Passion.



1. Notre rencontre se place dans la ligne du baiser que nous avons échangé à Bucarest au mois de mai 1999, tandis que résonne encore dans notre coeur l’appel émouvant: «Unitate, unitate! Unité, unité!», qu’une grande foule de fidèles a fait monter spontanément devant nous en cette occasion. Cet appel se faisait l’écho de la prière de notre Seigneur pour «que tous soient un» (Jn 17,21).

La rencontre de ce jour renforce notre engagement à prier et à travailler pour atteindre la pleine unité visible de tous les disciples du Christ. Notre but et notre désir ardent, c’est la pleine communion qui n’est pas absorption, mais communion dans la vérité et dans l’amour. C’est un chemin irréversible pour lequel il n’y a pas d’alternative: c’est le chemin de l’Église.



2. Marquées encore par la triste période historique durant laquelle on a nié le Nom et la Seigneurie du Rédempteur, les communautés chrétiennes en Roumanie rencontrent encore fréquemment aujourd’hui des difficultés à dépasser les effets négatifs que ces années ont eus sur la mise en oeuvre de la fraternité et du partage, ainsi que sur la recherche de la communion. Notre rencontre doit être considérée comme un exemple: les frères doivent se retrouver pour se réconcilier, pour réfléchir ensemble, pour découvrir des moyens de parvenir à s’entendre, pour exposer et expliquer les arguments des uns et des autres. Nous exhortons donc ceux qui sont appelés à vivre côte à côte sur la même terre roumaine à trouver des solutions de justice et de charité. Par un dialogue sincère, il faut dépasser les conflits, les malentendus et les soupçons issus du passé, afin que, dans cette période décisive de leur histoire, les chrétiens en Roumanie puissent être des témoins de la paix et de la réconciliation.



3. Nos relations doivent être le reflet de la communion réelle et profonde dans le Christ, qui existe déjà entre nous, même si elle n’est pas encore plénière. En effet, nous reconnaissons avec joie que nous avons ensemble la tradition de l’Église indivise, centrée sur le mystère de l’Eucharistie, dont témoignent les saints que nous avons en commun dans nos calendriers. D’autre part, les nombreux témoins de la foi dans les temps d’oppression et de persécution du siècle écoulé, qui ont montré leur fidélité au Christ, sont un germe d’espérance dans les difficultés présentes.

Pour alimenter la recherche de la pleine communion, même dans les divergences doctrinales qui demeurent encore, il convient de trouver des moyens concrets, en instaurant des consultations régulières, avec la conviction qu’aucune situation difficile n’est destinée à perdurer de manière irrémédiable, et que grâce à l’attitude d’écoute et de dialogue, et à l’échange régulier d’informations, des solutions satisfaisantes peuvent être trouvées, pour aplanir les points de friction et pour parvenir à une solution équitable des problèmes concrets. Il convient de renforcer ce processus pour que la pleine vérité de la foi devienne un patrimoine commun, partagé par les uns et les autres, et capable de faire naître une convivialité véritablement pacifique, enracinée et fondée sur la charité.

Nous savons bien comment nous comporter pour établir les orientations qui doivent conduire l’oeuvre d’évangélisation, si nécessaire après la période sombre de l’athéisme d’État. Nous sommes d’accord pour reconnaître la tradition religieuse et culturelle de chaque peuple, mais aussi la liberté religieuse.

L’évangélisation ne peut pas être fondée sur un esprit de compétitivité, mais sur le respect réciproque et sur la coopération, qui reconnaissent à chacun la liberté de vivre selon ses propres convictions, dans le respect de son appartenance religieuse.

4. Dans le développement de nos contacts, à partir des Conférences Panorthodoxes et du Concile Vatican II, nous avons été témoins d’un rapprochement prometteur entre l’Orient et l’Occident, fondé sur la prière, sur le dialogue dans la charité et dans la vérité, si dense de moments de profonde communion. C’est pourquoi nous considérons avec préoccupation les difficultés que traverse actuellement la Commission mixte internationale pour le dialogue théologique entre l’Église catholique et l’Église orthodoxe et, à l’occasion de notre rencontre, nous désirons formuler le souhait que l’on ne néglige aucune initiative pour réactiver le dialogue théologique et pour relancer l’activité de la commission. Nous avons le devoir de le faire, car le dialogue théologique rendra plus forte l’affirmation de notre volonté partagée de communion face à la situation actuelle de division.

5. L’Église n’est pas une réalité fermée sur elle-même: elle est envoyée au monde et elle est ouverte au monde. Les nouvelles possibilités qui se créent dans une Europe déjà unie, et qui sont en train d’étendre ses frontières pour associer les peuples et les cultures de la partie centrale et orientale du Continent, constituent un défi que les chrétiens d’Orient et d’Occident doivent affronter ensemble. Plus ces derniers seront unis dans leur témoignage à l’unique Seigneur, plus ils contribueront à donner voix, consistance et espace à l’âme chrétienne de l’Europe, à la sainteté de la vie, à la dignité et aux droits fondamentaux de la personne humaine, à la justice et à la solidarité, à la paix, à la réconciliation, aux valeurs de la famille, à la protection de la création. L’Europe tout entière a besoin de la richesse culturelle forgée par le Christianisme.

L’Église orthodoxe de Roumanie, centre de contacts et d’échanges entre les fécondes traditions slaves et byzantines de l’Orient, et l’Église de Rome qui, dans sa composante latine, évoque la voix occidentale de l’unique Église du Christ, doivent contribuer ensemble à une tâche qui caractérise le troisième millénaire. Selon l’expression traditionnelle et si belle, les Églises particulières aiment à s’appeler Églises soeurs. S’ouvrir à cette dimension signifie collaborer pour redonner à l’Europe son ethos le plus profond et son visage véritablement humain.

C’est dans telles perspectives et dans telles dispositions qu’ensemble nous nous confions au Seigneur, l’implorant de nous rendre dignes d’édifier le Corps du Christ, «jusqu’à ce que nous parvenions tous ensemble à l’unité dans la foi et dans la connaissance du Fils de Dieu, à l’état d’adultes, à la taille du Christ dans sa plénitude» (Ep 4,13).

Au Vatican, le 12 octobre 2002.

     

AUX ÉVÊQUES DE LA CONFÉRENCE ÉPISCOPALE DU CHILI EN VISITE "AD LIMINA APOSTOLORUM"

Mardi 15 octobre 2002



Chers frères dans l'épiscopat,

1. Je vous reçois avec une joie profonde, pasteurs de l'Eglise qui est au Chili, à l'occasion de cette visite "ad limina" au cours de laquelle vous vous recueillez sur les tombes de saint Pierre et de saint Paul, renouvelant la foi dans le Christ Jésus transmise par les Apôtres et qu'il vous revient de conserver, en tant que leurs successeurs. Vous êtes venus à Rome également pour raviver les liens de communion avec le Successeur de Pierre et accroître votre "sollicitude pour toute l'Eglise" (Christus Dominus CD 6).

Je remercie le Cardinal Francisco Javier Errázuriz, Archevêque de Santiago et Président de la Conférence épiscopale, des paroles courtoises qu'il m'a adressées, à travers lesquelles il s'est fait le porte-parole de vos sentiments d'affection et d'adhésion à l'Evêque de Rome, Siège "dans lequel résida toujours le primat de la chaire apostolique" (Saint Augustin, Ep 43,3), me faisant dans le même temps participer à vos principales préoccupations et espérances pastorales.

En vous rencontrant et en vous encourageant dans l'inlassable travail pastoral que vous accomplissez, j'ai de manière particulière à l'esprit le peuple chilien, que je sens toujours très proche, et je garde un vif souvenir des rencontres que nous avons eues ensemble lorsque je lui ai rendu visite dans son pays, constatant le profond enracinement de sa foi chrétienne et l'affection et la fidélité des pasteurs et des fidèles au Siège apostolique. Les nombreux fruits de sainteté de votre terre en sont une belle expression, tels que sainte Teresa de los Andes, la bienheureuse Laura Vicuña et le bienheureux Père Alberto Hurtado, dont vous célébrez le cinquantième anniversaire de la sainte mort.



2. Ces aspects constituent une source d'inspiration et d'espérance dans votre oeuvre pastorale à l'époque actuelle, caractérisée en ce début de nouveau millénaire par de rapides transformations dans de nombreux domaines de la vie humaine et par le grand défi du phénomène de la mondialisation. On y perçoit parfois de sérieuses menaces pour les nations les plus faibles, d'un point de vue économique, technique et culturel, mais elle contient également des éléments qui peuvent offrir de nouvelles opportunités de croissance.

Il est souhaitable que les efforts du peuple chilien pour s'insérer dans la mondialisation de la planète ne le conduisent pas à perdre son identité culturelle, en évitant que tout ne se limite à un simple échange économique et en offrant partout les meilleures valeurs de son esprit patriotique, profondément liées à sa tradition catholique. Cela enrichira le milieu interculturel toujours plus vaste, grâce à des attitudes de respect réciproque et le développement d'un dialogue qui recherche passionnément la vérité, en fuyant la superficialité et le relativisme, qui sont à l'origine de l'indifférence et qui détruisent la coexistence.

C'est à tout cela que doivent contribuer les universités et les écoles catholiques qui, grâce à Dieu, sont nombreuses au Chili. Je suis certain que les évêques continueront à s'en occuper avec une grande attention, car celles-ci sont destinées à apporter à la société chilienne le sain levain de l'Evangile du Christ.

3. Aujourd'hui, il est nécessaire d'illuminer le chemin des peuples par les principes chrétiens, en saisissant les opportunités que la situation actuelle offre pour développer une évangélisation authentique qui, à travers un langage nouveau et des symboles significatifs, rende plus compréhensible le message de Jésus-Christ pour les hommes et les femmes d'aujourd'hui. C'est pourquoi il est important que, comme vous l'avez vous-même indiqué, au début de ce nouveau millénaire, l'Eglise soit porteuse d'espérance, afin que tous les changements de la période actuelle se transforment réellement en une rencontre renouvelée avec le Christ vivant, poussant votre peuple à la conversion et à la solidarité.

En tenant compte du fait que la Révélation chrétienne conduit à "une intelligence plus pénétrante des lois de la vie sociale, que le Créateur a inscrites dans la nature spirituelle et morale de l'homme" (Gaudium et spes GS 23), l'Eglise, sur la base de sa mission au sein de la société, ne doit pas s'exempter de suivre et d'orienter également les processus qui sont menés dans votre pays pour réformer des aspects cruciaux pour le bien commun, tels que le sont, entre autres, l'éducation, la santé et l'administration de la justice, en veillant à ce qu'ils servent la promotion des citoyens, en particulier des plus faibles et des plus démunis.



4. Je connais et j'apprécie ce que vous accomplissez en faveur de la famille, qui affronte de nombreuses difficultés de diverses natures et qui est soumise à des menaces qui portent atteinte à des aspects essentiels du projet de Dieu, tels que le mariage et son caractère indissoluble. Ces efforts, qui constituent un service précieux rendu à votre patrie, doivent également être accompagnés par une pastorale de la famille intégrale, qui comporte une préparation adéquate des époux avant le mariage, et qui leur vienne en aide par la suite, en particulier lorsque se présenteront des difficultés, et qui les orientent dans l'éducation des enfants.

Dans cette perspective, rien ne peut remplacer une véritable culture de la vie, une longue expérience de fidélité et un profond esprit de dévouement, à propos desquels la Parole de Dieu et le Magistère ecclésial illuminent l'existence humaine. Evangéliser les familles signifie présenter aux conjoints l'amour sans limites du Christ pour son Eglise, qu'ils doivent refléter dans ce monde (cf. Ep 5,31 sq). Il faut inculquer également chez ses membres la vocation à la sainteté à laquelle ils sont appelés, sans crainte de proposer des idéaux élevés qui, bien que pouvant parfois sembler difficile à atteindre, sont ceux qui répondent au plan divin du salut.



5. La récente expérience vécue au cours de la dernière Journée mondiale de la Jeunesse célébrée à Toronto, me pousse également à rappeler la rencontre continentale des Jeunes, qui a eu lieu il y a quelques années à Santiago. Vous avez été les acteurs de ce grand rassemblement, certains de la générosité de leur réponse et de l'enthousiasme de leur collaboration. En eux, comme je l'ai dit dans mon message, "vibre avec force un désir de service au prochain et de solidarité" (Discours aux participants à la première Rencontre continentale américaine des jeunes, 10 octobre 1998), qui exige l'orientation et la confiance des pasteurs afin que cette aspiration se transforme en une rencontre vivante avec le Christ, en un projet décidé de suivre fidèlement son Evangile et de le diffuser joyeusement dans la société chilienne et dans le monde entier.

En effet, malgré les nombreuses tentations qui invitent à l'hédonisme, à la médiocrité et au succès immédiat, les jeunes ne se laissent pas intimider facilement par les difficultés et sont donc particulièrement sensibles aux exigences radicales et à l'engagement sans réserve lorsque se présente à eux l'authentique signification de la vie. Ils ne sont pas effrayés par le fait qu'il s'agit d'un chemin difficile, s'ils découvrent que le Christ l'a parcouru en premier et qu'il est disposé à le reparcourir avec eux (cf. Discours lors de la cérémonie de bienvenue, Toronto 25 juillet 2002). Pour les jeunes, pleins d'initiatives, le plus important est de devenir des constructeurs et des artisans de la vie et du monde qui s'ouvre à eux. Ils ont donc besoin que vous leur disiez, sans équivoque ni réserve sur les valeurs évangéliques, sur les devoirs moraux ou sur la nécessité de la grâce divine implorée dans la prière et reçue dans les Sacrements, comment "poser une pierre après l'autre pour édifier dans la cité des hommes, la cité de Dieu" (Veillée de prière, Toronto, 27 juillet 2002).



6. Comme en d'autres occasions, je vous confie vivement les prêtres, vos principaux collaborateurs dans le ministère pastoral. Ces derniers ont besoin de programmes de formation permanente bien articulés, en particulier dans les domaines de la théologie, de la spiritualité, de la pastorale et de la doctrine sociale de l'Eglise, qui leur permettent d'être des évangélisateurs compétents et de dignes ministres de l'Eglise dans la société d'aujourd'hui. En effet, pour une grande partie du Peuple de Dieu, ils sont la principale voie à travers laquelle leur parvient l'Evangile et également l'image la plus immédiate grâce à laquelle ils perçoivent le mystère de l'Eglise.

Leur préparation intellectuelle et doctrinale doit donc toujours s'unir au témoignage d'une vie exemplaire, à l'étroite communion avec les évêques, à la fraternité avec leurs frères prêtres, à la bienveillance dans le contact avec les autres, à l'esprit de communion avec tous les secteurs ecclésiaux de leur communauté et à ce genre de paix spirituelle et d'ardeur apostolique que seul le contact constant avec le Maître peut donner et conserver toujours vivante. Comme les disciples dont parle l'Evangile de Luc, ils doivent éprouver une joie irrépressible pour les merveilles que Jésus accomplit à travers eux (cf. Lc 19,7), en ajoutant ainsi le témoignage personnel à l'annonce et l'exemple de leur vie à l'enseignement.

Afin que les prêtres ressentent la proximité de votre présence, il est d'une importance particulière que vous vous entreteniez fréquemment avec eux de façon personnelle; "disposés à les écouter et à entretenir avec eux des relations confiantes" (Christus Dominus CD 16), en faisant preuve d'intérêt pour les difficultés quotidiennes qui les touchent si souvent et en leur montrant combien est précieux aux yeux de Dieu et de l'Eglise ce travail quotidien plein d'abnégation, "souvent caché qui, sans accéder aux feux de la rampe, fait avancer le Règne de Dieu dans les consciences" (Lettres aux prêtres pour le Jeudi Saint 2001, n. 3).

Tout cela sera également bénéfique à une pastorale des vocations qui doit se dérouler de façon décidée, avec continuité et rigueur, mais qui trouvera un point d'appui irremplaçable dans l'attraction qu'exercent sur les jeunes ceux qui montrent la joie d'avoir consacré entièrement leur vie à Dieu et au service de l'Eglise.

En outre, cultiver les vocations doit toujours constituer un engagement prioritaire pour chaque Evêque dans son diocèse, à travers la prière et une action spécifiquement orientée à cet effet, comme je l'ai moi-même souligné dans l'Exhortation apostolique Pastores dabo vobis et en de nombreuses autres occasions.



7. Ce début de millénaire, qui rapproche le Chili du deuxième centenaire de son indépendance, présente à l'Eglise et à tous les citoyens le défi crucial de parvenir à une coexistence pleinement réconciliée dans laquelle, sans cacher la vérité, on doit laisser place au pardon, "qui guérit les blessures et rétablit en profondeur les rapports humains affaiblis" (cf. Message pour la célébration de la Journée mondiale de la Paix, 1 janvier 2002).

L'Eglise, qui a pour mission d'être l'instrument de réconciliation des hommes avec Dieu et entre eux, doit être "la maison et l'école de la communion" (Novo Millennio ineunte NM 43), dans laquelle on sait apprécier et accueillir ce qu'il y a de positif chez l'autre et où personne ne doit se sentir exclu.

C'est précisément l'attitude d'exclusion, qui fait que l'on poursuit son chemin pour ne pas rencontrer son frère dans le besoin (cf. Lc Lc 10,31) car il dérange et n'est pas productif. Cela constitue l'aspect négatif de certains modèles sociaux de notre monde, face auquel l'Eglise doit faire preuve d'un engagement particulier pour rappeler que précisément les plus démunis ne doivent pas être considérés comme le résidu insignifiant d'un progrès qui tient seulement compte du succès et de l'accumulation démesurée de biens et de situations privilégiées.

8. Au terme de cette rencontre, je vous demande de transmettre à vos communautés ecclésiales mon affection et ma proximité spirituelle. Remerciez les prêtres et les communautés religieuses masculines et féminines, qui se prodiguent avec tant de générosité pour annoncer et témoigner du Royaume de Dieu au Chili, ainsi que les catéchistes et les autres collaborateurs dans l'oeuvre de l'évangélisation. Transmettez la reconnaissance du Pape aux personnes et aux institutions consacrées à la charité et à la solidarité avec les plus indigents, car il s'agit de l'un des grands défis pour la vie de l'Eglise en ce nouveau millénaire (cf. Novo Millennio ineunte NM 49-50).

Je confie vos préoccupations pastorales à la Très Sainte Vierge Marie, sous le titre de Nuestra Señora del Carmen de Maipú, à laquelle je demande ardemment de conduire ses chers fils et ses chères filles du Chili à la rencontre du Christ, source de vie et de vérité, de les aider à vivre en frères sur une terre aussi belle et d'intercéder auprès de son Divin Fils afin que le pays devienne prospère, dans la paix et la concorde, conformément aux meilleures valeurs de sa tradition chrétienne.

Je vous donne de tout coeur, ainsi qu'aux fidèles de chacune des Eglises particulières que vous présidez, la Bénédiction apostolique.





MESSAGE DU PAPE JEAN-PAUL II AU PRIEUR GÉNÉRAL DE L'ORDRE DES CARMES


Au Révérend Père
Joseph CHALMERS
Prieur général
de l'Ordre des Carmes

  1. J'ai appris avec joie que cette Famille religieuse commémore cette année le 550 anniversaire de l'entrée dans l'Ordre des Religieuses de clôture de vie contemplative et de l'institution du Tiers Ordre, constitué de laïcs souhaitant vivre la spiritualité du Carmel dans le siècle.

Avec la diffusion de l'Ordre en Europe, plusieurs femmes demandèrent de se lier à celui-ci par les mêmes liens que ceux des religieux. De nombreux fidèles désiraient également vivre la même spiritualité, tout en restant dans leurs foyers. Le bienheureux Giovanni Soreth, Prieur général de l'époque, eut l'intuition que la vie de sacrifice, de solitude et de prière des moniales aurait été bénéfique pour les frères en leur rappelant leur esprit originel et authentique; de même qu'il aurait été utile d'offrir aux laïcs, comme c'était le cas pour les Ordres mendiants, la possibilité de se désaltérer à cette source spirituelle commune.

Ce fut ainsi que l'on demanda à mon vénéré prédécesseur, le Pape Nicolas V, le 7 octobre 1452, la faculté d'instituer dans l'Ordre les Religieuses de clôture de vie contemplative ainsi qu'une association de laïcs vivant dans le siècle, le Tiers Ordre carmélite. C'est ce que le Pape accorda avec la Bulle Cum nulla, qui est à présent commémorée.

Le rappel de cette mémorable intervention pontificale constitue, j'en suis certain, un motif de profonde satisfaction pour les Religieuses de vie contemplative en clôture papale, alors que cela incite le Tiers Ordre séculier à un engagement spirituel toujours plus courageux au service de la nouvelle évangélisation.

2. Les moniales carmélites, plongées dans le silence et dans la prière, rappellent à tous les croyants, et en particulier à leurs frères engagés dans l'apostolat actif, le primat absolu de Dieu. En se consacrant totalement à Sa recherche, elles témoignent que la source de la pleine réalisation de la personne et l'origine de toute activité spirituelle est Dieu. Lorsqu'on lui ouvre son coeur, Il vient à la rencontre de ses fils pour les introduire dans son intimité, accomplissant avec ces derniers une communion d'amour toujours plus parfaite. Pour les Carmélites, le choix de vivre dans la solitude, séparées du monde, répond à cet appel précis du Seigneur. Le Carmel est donc une richesse pour toute la communauté chrétienne.

Dès le début, cette forme de vie de clôture produisit des fruits, s'enrichissant au cours des siècles du témoignage lumineux de femmes exemplaires, dont certaines furent officiellement reconnues comme bienheureuses ou saintes et sont présentées aujourd'hui encore comme des modèles à imiter. J'ai plaisir à citer ici la bienheureuse Françoise d'Amboise, considérée comme la Fondatrice des Moniales carmélites en France, car elle travailla en profonde harmonie et amitié avec le bienheureux Soreth; la bienheureuse Giovanna Scopelli, l'une des plus grandes représentantes en Italie de cette expérience, et la bienheureuse Girlani, qui choisit le nom d'Arcangela car elle désirait se consacrer entièrement à la louange du Seigneur comme les anges au ciel. A Florence, sainte Maria Maddalena de' Pazzi, fut un exemple éminent de zèle apostolique et ecclésial et le miroir d'une recherche incessante de Dieu et de sa gloire.

Dans ce sillage de sainteté, nous trouvons, en Espagne, sainte Thérèse de Jésus, la figure la plus illustre de la vie de clôture carmélite, à laquelle les moniales de chaque époque s'inspirent constamment. Thérèse réélabora et renouvela la tradition du Carmel, en promouvant le désir de vivre toujours plus parfaitement dans la solitude avec Dieu, à l'imitation des premiers Pères ermites du Mont Carmel. Suivant son exemple, les moniales carmélites sont appelées, comme il est écrit dans leurs Constitutions, "à la prière et à la contemplation, car en cela se trouve notre origine; nous sommes les descendantes de ces saints pères du Mont Carmel qui, dans une grande solitude et avec le détachement le plus total du monde, cherchaient ce trésor et cette précieuse perle" (Constitutions des Moniales carmélites, n. 61).



3. Je m'unis volontiers à l'action de grâce de la Famille du Carmel pour les innombrables prodiges accomplis par Dieu au cours des siècles à travers cette forme particulière de vie consacrée qui, comme nous le lisons dans la règle de saint Albert de Jérusalem, "est sainte et bonne" (n. 20). Dans le silence du Carmel, dans de nombreuses parties du monde, continuent à éclore des fleurs parfumées de sainteté, des âmes amoureuses du Ciel qui, par leur héroïsme évangélique, ont soutenu et soutiennent avec efficacité la mission de l'Eglise.

Dans le Carmel, on rappelle aux hommes, préoccupés par de nombreux soucis, que la priorité absolue doit être accordée à la recherche du "Royaume de Dieu et de sa justice" (Mt 6,33). En regardant le Carmel, où la prière devient vie et la vie fleurit en prière, les communautés chrétiennes comprennent mieux de quelle façon, comme je l'ai écrit dans la Lettre apostolique Novo millennio ineunte, elles peuvent devenir d'"authentiques "écoles" de prière" (NM 33). Je demande aux chères soeurs carmélites, tournées uniquement vers la louange du Seigneur, d'aider les chrétiens de notre temps à réaliser cette tâche ascétique et apostolique exigeante. Que leurs monastères soient des phares de sainteté, en particulier pour les paroisses et les diocèses qui ont la chance de les abriter.



4. Le 550 anniversaire de la Bulle Cum nulla rappelle en outre l'incorporation des laïcs dans la Famille du Carmel, à travers l'institution du Tiers Ordre séculier. Il s'agit d'hommes et de femmes appelés à vivre le charisme du Carmel dans le monde, en sanctifiant toute l'activité quotidienne à travers leur fidélité aux promesses baptismales. Afin de pouvoir pleinement réaliser cette vocation, il faut qu'ils apprennent à rythmer leur journée par la prière, et en particulier la Célébration eucharistique et la Liturgie des Heures. Qu'ils prennent exemple sur Elie, dont la mission prophétique naissait d'un colloque permanent avec Dieu; qu'ils imitent en particulier Marie, qui écoutait la parole du Seigneur et, la conservant dans son coeur, la mettait en pratique.

Que ces frères et soeurs, que le Scapulaire lie aux autres membres de l'Ordre du Carmel, soient reconnaissants pour le don reçu et restent fidèles en toute circonstance aux devoirs dérivant de leur appartenance charismatique. Qu'ils ne se contentent pas d'une pratique chrétienne superficielle, mais répondent à l'appel radical du Christ, qui appelle ses disciples à être parfaits comme le Père céleste est parfait (cf. Mt 5,48).

Avec ces sentiments, j'invoque sur toute la Famille du Carmel une effusion renouvelée des dons de l'Esprit Saint, afin qu'elle avance, fidèle à sa vocation, et qu'elle communique l'amour miséricordieux de Dieu aux hommes et aux femmes de notre temps. J'implore dans ce but la protection maternelle de la Bienheureuse Vierge Marie, Mère et Gloire du Carmel, et je donne de tout coeur la Bénédiction apostolique aux religieux, aux religieuses de clôture et aux tertiaires, en encourageant chacun à offrir sa propre contribution à la sanctification du monde.

Du Vatican, le 7 octobre 2002, mémoire de la Bienheureuse Vierge Marie du Rosaire.

IOANNES PAULUS II


Discours 2002 - Vendredi, 11 octobre 2002