Discours 2004 - Dimanche 25 janvier 2004


AUX MEMBRES DU TRIBUNAL DE LA ROTE ROMAINE POUR L'INAUGURATION DE L'ANNÉE JUDICIAIRE

Jeudi 29 janvier 2004



Très chers membres du Tribunal de la Rote romaine!

1. Je suis heureux de cette rencontre annuelle avec vous à l'occasion de l'ouverture de l'Année judiciaire. Elle m'offre l'occasion propice de réaffirmer l'importance de votre ministère ecclésial et la nécessité de votre activité judiciaire.

Je salue cordialement le Collège des Prélats-auditeurs, à commencer par le Doyen, Mgr Raffaele Funghini, que je remercie des profondes réflexions à travers lesquelles il a exprimé le sens et la valeur de votre travail. Je salue ensuite les officiers, les avocats et les autres collaborateurs de ce Tribunal apostolique, ainsi que les membres du "Studio Rotale" et toutes les personnes présentes.

2. Au cours des rencontres des dernières années, j'ai traité plusieurs aspects fondamentaux du mariage: son caractère naturel, son indissolubilité, sa dignité sacramentelle. En réalité, d'autres causes de divers genres parviennent également à ce Tribunal du Siège apostolique, sur la base des normes établies par le Code de Droit canonique (cf. CIC 1443-1444) et par la Constitution apostolique Pastor Bonus (cf. ). Mais c'est cependant en particulier sur le mariage que le Tribunal est appelé à porter son attention. C'est pourquoi, aujourd'hui, pour répondre également aux préoccupations manifestées par Mgr le Doyen, je désire à nouveau m'arrêter sur les causes matrimoniales qui vous sont confiées et, en particulier, sur un aspect juridique et pastoral qui apparaît dans celles-ci: je fais allusion au favor iuris dont jouit le mariage, et à la présomption de validité qui y est liée en cas de doute, déclarée dans le canon (CIC 1060) du Code latin et dans le canon (CIO 779) du Code des Canons des Eglises orientales.

En effet, on entend parfois des voix critiques à son propos. Pour certains, ces principes semblent liés à des situations sociales et culturelles du passé, dans lesquelles la demande de se marier sous une forme canonique présupposait normalement chez les futurs époux la compréhension et l'acceptation de la véritable nature du mariage. Avec la crise qui, dans de nombreux milieux, frappe malheureusement aujourd'hui cette institution, il leur semble que cette validité même du consensus doit souvent être considérée comme compromise, en raison des divers types d'incapacité ou bien en raison de l'exclusion des biens essentiels. Face à cette situation, les détracteurs susmentionnés se demandent s'il ne serait pas plus juste de présumer l'invalidité du mariage contracté plutôt que sa validité.

Dans cette perspective, le favor matrimonii, affirment ceux-ci, devrait céder la place au favor personae, ou au favor veritatis subiecti, ou encore au favor libertatis.

3. Afin d'évaluer correctement les nouvelles positions, il est tout d'abord opportun de déterminer le fondement et les limites du favor en question. En réalité, il s'agit d'un principe qui transcende de loin la présomption de validité, puisqu'il modèle toutes les normes canoniques, qu'elles soient substantielles ou processuelles, concernant le mariage. En effet, le soutien au mariage doit inspirer l'activité tout entière de l'Eglise, des pasteurs et des fidèles, de la société civile, en un mot, de toutes les personnes de bonne volonté. Le fondement de cette attitude n'est pas un choix plus ou moins discutable, mais l'appréciation du bien objectif représenté par chaque union conjugale et par chaque famille. C'est précisément lorsque la reconnaissance personnelle et sociale d'un bien aussi fondamental est menacée, que l'on découvre plus profondément son importance pour les personnes et pour les communautés.

A la lumière de ces considérations, il apparaît clairement que le devoir de défendre et d'encourager le mariage revient assurément de manière particulière aux saints pasteurs, mais constitue également une responsabilité précise de tous les fidèles, et même de tous les hommes et des autorités civiles, chacun selon ses propres compétences.

4. Le favor iuris dont jouit le mariage implique la présomption de sa validité, tant que le contraire n'est pas prouvé (cf. CIC 1060 CIO 779). Afin de saisir la signification de cette présomption, il faut en premier lieu rappeler que celle-ci ne représente pas une exception par rapport à une règle générale de sens opposé. Au contraire, il s'agit de l'application au mariage d'une présomption qui constitue un principe fondamental de toute organisation juridique: les actes humains licites en eux-mêmes et qui ont une influence sur les rapports juridiques sont présumés valables, tout en étant bien sûr admise la preuve de leur invalidité (cf. CIC 124,2 CIO 931,2).

Cette présomption ne peut pas être interprétée comme une simple sauvegarde des apparences ou du status quo en tant que tel, car, dans les limites du raisonnable, la possibilité d'attaquer l'acte est également prévue. Toutefois, ce qui de l'extérieur apparaît correctement exister, dans la mesure où il appartient à la sphère de ce qui est autorisé, mérite d'être d'abord considérée comme valide et de jouir de la protection juridique conséquente, car ce point de référence extérieur est l'unique dont dispose de façon réaliste la réglementation pour discerner les situations où elle doit offrir sa protection. Formuler l'hypothèse du contraire, c'est-à-dire devoir offrir la preuve positive de la validité des actes respectifs, signifierait exposer les sujets à une exigence presque impossible à réaliser. La preuve devrait en effet comprendre les multiples présupposés et qualités de l'acte, qui possèdent souvent une extension importante dans le temps et dans l'espace, et qui font appel à une très vaste série de personnes et d'actes précédents qui sont liés.

5. Que dire alors de la thèse selon laquelle l'échec de la vie conjugale devrait faire présumer l'invalidité du mariage? La force de ce présupposé erroné est malheureusement parfois si grande qu'il se transforme en un préjugé généralisé, qui conduit à rechercher les chefs de nullités comme de pures justifications formelles d'un prononcé qui repose en réalité sur le fait empirique de l'échec du mariage. Ce formalisme injuste de ceux qui sont contraires au traditionnel favor matrimonii peut finir par oublier que, selon l'expérience humaine marquée par le péché, un mariage valable peut échouer en raison du mauvais usage de la liberté des conjoints eux-mêmes.

La constatation des véritables causes de nullité devrait plutôt conduire à vérifier avec un plus grand sérieux, au moment des noces, les qualités nécessaires requises pour se marier, en particulier celles concernant le consentement et les dispositions réelles des futurs époux. Les curés et ceux qui collaborent avec eux dans ce domaine ont le grave devoir de ne pas céder à une vision purement bureaucratique des examens pré-matrimoniaux dont il est fait mention au (CIC 1067). Leur intervention pastorale doit être guidée par la conscience que les personnes peuvent précisément à cet instant découvrir le bien naturel et surnaturel du mariage, et s'engager par conséquent à le rechercher.

6. En vérité, la présomption de validité du mariage se situe dans un contexte plus vaste. Souvent, le vrai problème n'est pas tant la présomption en elle-même, que la vision globale du mariage lui-même, et donc le procès pour s'assurer de la validité de sa célébration. Ce procès est par essence inconcevable en dehors de l'horizon de l'évaluation de la vérité. Cette référence théologique à la vérité est l'élément qui rassemble tous les acteurs du procès, malgré la diversité de leurs rôles. A ce propos, un scepticisme plus ou moins déclaré sur la capacité humaine de connaître la vérité sur la validité d'un mariage a été insinué. Dans ce domaine également, il y a besoin d'une confiance renouvelée dans la raison humaine, tant en ce qui concerne les aspects essentiels du mariage, qu'en ce qui concerne les circonstances particulières de chaque union.

La tendance à augmenter les cas de nullité grâce à de nouveaux instruments, en oubliant l'horizon de la vérité objective, comporte une déformation structurelle de tout le procès. L'instruction, dans cette perspective, perd son caractère incisif dans la mesure où l'issue en est prédéterminée. L'enquête sur la vérité, qui constitue absolument une obligation ex officio pour le juge (CIC 1452 CIO 1110), et pour l'obtention de laquelle il s'appuie sur l'action du défenseur du lien et de l'avocat, se réduirait à une succession de formalités, privées de vie. Du fait que la construction de réponses prédéterminées prévaudrait sur la capacité d'enquête et de critique, la sentence perdrait beaucoup de sa force constitutive qu'est la recherche de la vérité. Des concepts clefs comme ceux de certitude morale et de libre appréciation des preuves resteraient privés de leur point de référence nécessaire dans la vérité objective (cf. CIC 1608 CIO 1291), que l'on renonce à chercher ou bien que l'on considère insaisissable.

7. Plus en amont, le problème concerne la conception du mariage, elle-même insérée dans une vision globale de la réalité. La dimension de justice essentielle du mariage, qui fonde son existence dans une réalité intrinsèquement juridique, est remplacée par des optiques empiriques, à caractère sociologique, psychologique, etc..., ainsi que par diverses modalités de positivisme juridique. Sans vouloir rien ôter aux contributions valables qui peuvent provenir de la sociologie, de la psychologie ou de la psychiatrie, on ne peut pas oublier qu'une considération authentiquement juridique du mariage requiert une vision métaphysique de la personne humaine et de la relation conjugale. Sans ce fondement ontologique, l'institution du mariage devient une simple superstructure extrinsèque, fruit de la loi et du conditionnement social, limitant la personne dans son libre épanouissement.

Il faut en revanche redécouvrir la vérité, la bonté et la beauté de l'institution du mariage, qui étant l'oeuvre de Dieu à travers la nature humaine et la liberté du consentement des conjoints, demeure une réalité personnelle indissoluble, comme un lien de justice et d'amour, lié depuis toujours au dessein de salut et élevé dans la plénitude des temps à la dignité de sacrement chrétien. Telle est la réalité que l'Eglise et le monde doivent soutenir! Tel est le véritable favor matrimonii!

En vous présentant ces éléments de réflexion, je désire renouveler l'expression de ma satisfaction pour votre travail délicat et exigeant dans l'administration de la justice. Avec ces sentiments, alors que j'invoque sur chacun de vous, chers Prélats-auditeurs, officiers et avocats de la Rote romaine, l'assistance divine constante, je donne à tous avec affection ma Bénédiction.



À S.E. M. CHOU-SENG TOU, NOUVEL AMBASSADEUR DE LA RÉPUBLIQUE DE CHINE PRÈS LE SAINT-SIÈGE À L'OCCASION DE LA PRÉSENTATION DES LETTRES DE CRÉANCE

Vendredi 30 janvier 2004



Monsieur l'Ambassadeur,

C'est pour moi un plaisir de vous accueillir au Vatican et d'accepter les Lettres qui vous accréditent en tant qu'Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la République de Chine près le Saint-Siège. Je désire exprimer ma gratitude pour le message de salutation que vous me transmettez de la part du Président Chen Shui-bian. Je vous prie de lui transmettre mes meilleurs voeux et l'assurance de mes prières pour la prospérité et l'harmonie à Taïwan.

Monsieur l'Ambassadeur, je vous suis reconnaissant pour vos paroles d'appréciation au sujet des efforts du Saint-Siège en vue de promouvoir la paix dans le monde. Le Saint-Siège considère cette tâche comme une partie de son service à la famille humaine, motivée par une profonde préoccupation pour le bien-être de toute personne. La coopération entre les peuples, les nations et les gouvernements est une condition essentielle pour assurer à tous un meilleur avenir. La Communauté internationale doit affronter de nombreux défis à cet égard, et parmi eux, les graves problèmes de la pauvreté dans le monde, la négation des droits des peuples et le manque de résolution ferme de la part de certains groupes en vue de promouvoir la paix et la stabilité.

Les traditions religieuses et culturelles de la République de Chine témoignent du fait que le développement humain ne devrait pas être limité au succès économique ou matériel. Beaucoup d'éléments ascétiques et mystiques des religions asiatiques enseignent que ce n'est pas l'accumulation de richesses matérielles qui définit le progrès des personnes et des sociétés, mais plutôt la capacité de la civilisation à promouvoir la dimension intérieure et la dimension transcendante des hommes et des femmes. "Quand les individus et les communautés ne voient pas rigoureusement respectées les exigences morales, culturelles et spirituelles fondées sur la dignité de la personne et sur l'identité propre de chaque communauté, à commencer par la famille et par les sociétés religieuses, tout le reste - la disponibilité de biens, l'abondance de ressources techniques appliquées à la vie quotidienne, un certain niveau de bien-être matériel - s'avérera insatisfaisant, et, à la longue, méprisable" (Encyclique Sollicitudo rei socialis, SRS 33). C'est pour cette raison qu'il est important que toutes les sociétés s'efforcent de donner à leurs citoyens la liberté nécessaire pour réaliser pleinement leur véritable vocation. Afin que cela soit possible, un pays doit faire preuve d'un engagement constant en vue de promouvoir la liberté, qui dérive naturellement d'un sens inconditionnel de la dignité de la personne humaine. Cette résolution à faire progresser la liberté dans la société humaine exige d'abord et avant tout le libre exercice de la religion dans la société (cf. Déclaration sur la liberté religieuse Dignitatis Humanae DH 1).

Le bien de la société implique que le droit à la liberté religieuse soit enraciné dans la loi et soit protégé de façon efficace. La République de Chine a montré son respect pour les diverses traditions religieuses présentes en son sein et reconnaît le droit pour tous à pratiquer leur religion. Les religions sont un élément de la vie et de la culture d'une nation et apportent un profond sentiment de bien-être à une communauté, en offrant un certain niveau d'ordre social, de tranquillité, d'harmonie et d'assistance aux plus faibles et aux exclus. En se concentrant sur les questions humaines les plus profondes, les religions apportent une contribution importante au véritable progrès de la société et promeuvent de façon très significative la culture de la paix aux niveaux national et international. Comme je l'ai dit dans mon Message pour la Journée mondiale de la Paix de 1992, "l'aspiration à la paix est inhérente à la nature humaine et on la retrouve dans les différentes religions" (n. 2). Le nouveau millénaire nous pousse à faire des efforts afin d'accomplir un devoir précis qui revient à tous, c'est-à-dire une plus grande coopération en vue de promouvoir les valeurs de la générosité, de la réconciliation, de la justice, de la paix, du courage et de la patience, dont la famille humaine universelle a besoin, aujourd'hui plus que jamais (ibid.).

En tant que membre de cette famille humaine, l'Eglise catholique qui est en République de Chine a apporté une contribution significative au développement social et culturel de votre nation, en particulier en se consacrant à l'éducation, la santé et l'assistance aux plus défavorisés. A travers ces activités et d'autres encore, l'Eglise continue de contribuer à promouvoir la paix et l'unité de tous les peuples. De cette façon, elle poursuit sa mission spirituelle et humanitaire, et contribue à édifier une société fondée sur la justice, la confiance et la coopération.

Les gouvernements devraient eux aussi s'efforcer en tout temps de maintenir le contact avec les personnes marginalisées de leur propre pays ainsi qu'avec les pauvres et les exclus du monde en général. En fait, tous les hommes et toutes les femmes de bonne volonté doivent tenir compte des fardeaux des pauvres et, dans la mesure de leurs moyens, faire ce qu'ils peuvent pour soulager la pauvreté et les privations. L'Asie est un "continent aux ressources abondantes et aux grandes civilisations, mais où l'on trouve quelques-uns des pays les plus pauvres de la terre et où plus de la moitié de la population souffre de privations, de pauvreté et d'exploitation" (Exhortation apostolique post-synodale Ecclesia in Asia ). A cet égard, j'apprécie les nombreux gestes de charité de la République de Chine dans le domaine international et, plus particulièrement, dans les pays en voie de développement. Je souhaite que le peuple de Taïwan continue à promouvoir des activités caritatives et contribue ainsi à l'édification d'une paix durable dans le monde.

Monsieur l'Ambassadeur, je suis certain que votre travail en tant que promoteur de paix se manifestera dans notre engagement commun en vue de promouvoir le respect mutuel, la charité et la liberté pour tous les peuples. Je désire également vous assurer de mes prières constantes pour que le peuple de la République de Chine contribue à l'édification d'un monde d'unité et de paix. Tandis que vous commencez votre mission, je vous présente mes meilleurs voeux, et je vous assure que les bureaux de la Curie Romaine vous apporteront l'assistance dont vous aurez besoin. Sur vous et sur le peuple de la République de Chine, j'invoque d'abondantes Bénédictions divines.



AUX ÉVÊQUES DE LA CONFÉRENCE ÉPISCOPALE DE FRANCE EN VISITE "AD LIMINA APOSTOLORUM"

Vendredi 30 janvier 2004



Chers Frères dans l’épiscopat,

1. Au terme de ce temps de grâce dans votre ministère épiscopal qu'est une visite ad limina, je vous accueille avec joie, vous qui avez la charge pastorale de l'Église catholique dans les provinces ecclésiastiques de Dijon et de Tours, et de la Prélature de la Mission de France. Ma pensée affectueuse accompagne Mgr Michel Coloni, Archevêque de Dijon, qui n’a pas pu être présent ce matin. Par votre pèlerinage aux tombeaux des Apôtres Pierre et Paul, vous faites croître en vous l'élan apostolique qui les animaient. En rencontrant l'Évêque de Rome et ses collaborateurs, vous faites l’expérience de la communion avec le Successeur de Pierre, et par là avec l'Église universelle. Soutenus par la prière des saints qui ont marqué l’histoire et la spiritualité de vos régions, en particulier saint Martin et la Bienheureuse Élisabeth de la Trinité, puissiez-vous être affermis, pour guider, avec toujours plus de sagesse pastorale, le peuple de Dieu qui vous est confié sur les chemins de la sainteté et de la fraternité ! Je remercie Mgr André Vingt-Trois, Archevêque de Tours, pour les salutations cordiales qu’il m’a adressées, me faisant part de vos espérances et de vos préoccupations. Puissent les relations nouvelles créées entre les diocèses à l’occasion du découpage des provinces ecclésiastiques contribuer à développer vos liens d'unité, pour relever ensemble les défis de la nouvelle évangélisation !

2. Vos rapports quinquennaux manifestent votre attention à la vocation et à la mission des laïcs dans les circonstances actuelles de la vie de l'Église. Beaucoup de laïcs servent généreusement l’Église, même si leur nombre diminue régulièrement: Les communautés chrétiennes vieillissent progressivement; les générations dont l’âge s’échelonne entre 25 et 45 ans sont peu présentes dans les communautés; la difficulté d’assurer la relève des chrétiens exerçant une responsabilité dans l’Église est déjà bien réelle. Vous notez cependant des signes d’espérance. Parmi eux, l’exigence de laïcs qui souhaitent acquérir une solide formation philosophique, théologique, spirituelle ou pastorale, pour un meilleur service de l’Église et du monde; la recherche d’une plus grande cohérence entre la foi et son expression dans la vie quotidienne; le souci d’un témoignage chrétien enraciné dans une vie spirituelle authentique; le goût recouvré pour l’étude de l’Écriture et pour la méditation de la Parole; le sens croissant de la responsabilité et de l’engagement pour la justice et pour les oeuvres de solidarité, face aux nouvelles situations de précarité. J’invite tous les pasteurs à prendre appui sur ces désirs du peuple de Dieu pour entreprendre de nouvelles initiatives, même si ces dernières ne touchent au départ qu’un petit nombre de personnes, avec la certitude que les fidèles qui auront redécouvert le Christ proposeront de manière crédible l’Évangile aux hommes de notre temps, les invitant à venir les rejoindre, comme le fit l’Apôtre Philippe à Nathanaël: «Viens, et tu verras» (Jn 1,46).

Vous évoquez les fruits que le Grand Jubilé de l’Incarnation a portés dans les diocèses et dans les communautés paroissiales, appelant les chrétiens à puiser à la grâce de leur Baptême, point de départ de la mission propre à tout fidèle. Il s’agit de «"repartir du Christ" avec l’élan de la Pentecôte, avec un enthousiasme renouvelé. Repartir avec lui avant tout par les efforts quotidiens de sainteté, en nous mettant dans une attitude de prière et à l’écoute de sa parole. Repartir de lui aussi pour témoigner de son Amour, à travers une pratique de la vie chrétienne marquée par la communion, par la charité, par le témoignage au monde» (Homélie du 6 janvier 2001, n. 8). Il vous appartient de toujours mettre davantage en oeuvre ce programme, pour que la communauté chrétienne puisse avancer au large, en acceptant de se laisser évangéliser et de s’interroger sur la qualité et sur la lisibilité de son témoignage.

3. Pour accorder les structures pastorales aux exigences de la mission, la physionomie de vos diocèses s’est profondément modifiée. La perspective de l’ecclésiologie de communion, qui vise à édifier l’Église comme maison et école de la communion, a orienté, pour une part, vos projets pastoraux. La diminution du nombre des prêtres n’est pas la cause unique des «réaménagements» pastoraux qui s’avéraient nécessaires. En les mettant en oeuvre, vous avez pris acte de la réduction numérique des communautés. De manière positive, cela a permis à des laïcs de participer activement au dynamisme de leur communauté, prenant conscience des dimensions prophétique, royale et sacerdotale de leur Baptême. Nombreux sont ceux qui ont accepté généreusement de s’investir dans la vie paroissiale, pour porter, sous la responsabilité du Pasteur et dans le respect du ministère ordonné, le souci de l’évangélisation, ainsi que le service de la prière et de la charité. Je connais le courage apostolique qui les anime, eux qui ont à faire face à l'indifférence et au scepticisme ambiants. Portez-leur les salutations affectueuses du Successeur de Pierre, qui les accompagne de sa prière quotidienne.

Ayez soin de veiller à ce qu’une féconde interaction relie leurs engagements de laïcs, au sein des communautés chrétiennes, à la dimension prophétique de leur témoignage dans le monde, rappelant qu’il est important «d’évangéliser les cultures, de faire pénétrer la force de l’Évangile dans les réalités de la famille, du travail, des médias, du sport, du temps libre, et d’animer chrétiennement l’ordre social et la vie publique, nationale et internationale» (Exhortation apostolique post-synodale Pastores gregis ). Pour que ce témoignage soit fructueux, il importe qu’il soit soutenu spirituellement, dans les paroisses et dans les associations de fidèles. Que tous cependant, dans la légitime diversité des sensibilités ecclésiales, aient le souci permanent de participer pleinement à la vie diocésaine et paroissiale, et de vivre en communion avec l’Évêque diocésain. Ainsi s’accomplira – et c’est la mission de l’Évêque d’y veiller – la communion autour des successeurs des Apôtres. Je vous demande de porter mes salutations ferventes à tous les fidèles laïcs engagés dans les mouvements et les services d’Église, et notamment à ceux qui oeuvrent dans le cadre de la solidarité et dans la promotion de la justice, manifestant par leur présence dans les lieux de fracture de la société la proximité et l’engagement de l’Église envers les personnes qui connaissent la maladie, l’exclusion, la précarité ou la solitude. En coordonnant toujours mieux leurs actions, ils rappelleront sans cesse aux communautés chrétiennes l’exigence commune de demeurer activement présentes auprès de tout homme qui souffre (cf. Exhortation apostolique post-synodale Christifideles laici CL 53).

4. Avec vous, je rends grâce pour les jeunes et les adultes qui découvrent ou redécouvrent le Christ et qui frappent à la porte de l’Église parce qu’ils se sont posé la question de la foi et du sens de leur existence ou qu’ils ont rencontré des témoins. Ayez un grand souci de leur accompagnement et de leur cheminement, et d’une sensibilisation toujours plus grande des communautés chrétiennes à l’accueil fraternel des catéchumènes ou de ceux qui recommencent à croire, ainsi qu’à leur soutien après la réception du Baptême. Ils sont pour l’Église, dont ils ont à assimiler les traditions, l’expérience et les pratiques, une invitation stimulante. À travers vous, je remercie les équipes du catéchuménat, pour le service important qu’elles remplissent. Ce dynamisme catéchuménal, ainsi que les requêtes présentées par des personnes à l’occasion d’une grande étape de leur vie familiale – baptême, mariage, obsèques –, appellent les communautés chrétiennes à développer une pastorale de l’initiation chrétienne adaptée. La qualité de l’accueil et de la fraternité dans l’Église est puissance d’évangélisation pour les hommes d’aujourd’hui. Dans cet esprit, il importe que les regroupements paroissiaux ne suppriment pas la visibilité de l’Église dans les unités sociales de base que sont les communes, notamment en zones rurales, en offrant la possibilité de célébrations joyeuses de l’Eucharistie qui édifie la communauté et lui donne l’élan apostolique dont elle a besoin.

Dans les communautés, on se rend compte que, même pour des chrétiens engagés, la Messe dominicale n’a pas la place qui lui revient. Les pasteurs auront donc soin de rappeler avec force et clarté aux fidèles, en particulier à ceux qui exercent des responsabilités dans la catéchèse, dans la pastorale des jeunes ou dans les aumôneries, le sens de l’obligation dominicale et de la participation à l’Eucharistie du dimanche, qui ne peut être une simple option au milieu des nombreuses activités. En effet, pour suivre véritablement le Christ, pour évangéliser, pour être serviteur du Seigneur, il convient de vivre soi-même de manière cohérente et responsable, en conformité avec les prescriptions de l’Église, et d’être convaincu de l’importance décisive pour sa vie de foi d’une participation, avec la communauté entière, au banquet eucharistique (cf. Lettre apostolique Dies Domini, nn. 46-49).

5. Dans vos rapports quinquennaux, apparaît votre souci de proposer aux laïcs des moyens de formation spirituelle et théologique sans cesse approfondie, notamment par la création de centres de formation théologique, dans plusieurs diocèses ou à un niveau régional. Ces lieux leur permettent d’approfondir leur foi et de se former pastoralement pour assumer une responsabilité dans l’Église. De même, cette formation doit conduire les fidèles à une pratique sacramentelle et une vie de prière plus intenses. Le monde moderne et les avancées scientifiques imposent que, dans le domaine religieux, les pasteurs et les fidèles aient une formation qui leur permette de rendre compte du mystère chrétien et de la vie que le Christ propose à ceux qui veulent le suivre. En vue de l’intégration de l’enseignement reçu, il importe de veiller à ce que la démarche intellectuelle fasse accéder chacun à une relation personnelle au Christ.

De ce point de vue, il convient de former en permanence des philosophes et des théologiens, qui puissent donner aux chrétiens les bases intellectuelles dont ils ont besoin pour leur foi et pour leur mission spécifique de laïcs engagés dans le monde. L’Église scolarise aussi de nombreux jeunes, dans le respect des cultures et des confessions religieuses, s’attachant à donner un enseignement de qualité et ayant également la noble mission de transmettre les valeurs humaines, morales et spirituelles tirées de l’Évangile. Je salue le travail des personnes et des communautés éducatives profondément investies dans les domaines scolaire et universitaire, que ce soit dans l’enseignement, la catéchèse, les aumôneries. Qu’elles n’oublient jamais que, pour les jeunes, le premier témoignage est le témoignage de la vie quotidienne, conformément aux principes chrétiens qu’elles veulent communiquer. Il revient aux pasteurs de rappeler sans cesse ce critère de la cohérence.

6. Le souci de promouvoir et d’accompagner la famille est au centre de vos préoccupations de pasteurs. La famille n’est pas un modèle de relation parmi d’autres, mais un type de relation indispensable à l’avenir de la société. En effet, une société ne peut être saine si elle ne promeut pas l’idéal familial, pour la construction des relations conjugales et familiales stables, et pour de justes rapports entre les générations. Comment aider les familles? Vos diocèses portent le souci constant d’offrir des moyens concrets pour soutenir leur croissance, leur permettant de témoigner de manière crédible dans l’Église et dans la société. Vous vous attachez, comme le suggèrent certains de vos rapports, à proposer notamment un accompagnement aux jeunes foyers, leur permettant d’acquérir la maturité humaine et spirituelle dont ils ont besoin pour le développement harmonieux de leur famille. Je pense aussi aux nouvelles générations de jeunes, que l’Église a du mal à rejoindre et qui viennent demander à l’Église de les préparer au mariage. J’encourage les prêtres, les diacres et les fidèles engagés dans cette belle tâche à leur faire découvrir le sens profond de ce sacrement, ainsi que les missions auquel il engage. Ainsi sera proposée une vision positive des relations affectives et de la sexualité, qui participent à la croissance du couple et de la famille. Comme je l’avais déjà demandé à l’occasion de ma visite pastorale en France, à Sainte-Anne d’Auray, je vous invite à soutenir les familles dans leur vocation à manifester la beauté de la paternité et de la maternité, et à favoriser la culture de la vie (cf. Discours lors de la rencontre avec les jeunes couples et leurs enfants, n. 7).

Je rends également hommage au travail important réalisé, sous votre vigilance, par les services et les mouvements de la pastorale familiale. Les initiatives qu’ils promeuvent, sont un soutien indispensable à la croissance et à la vitalité humaines et spirituelles des foyers, ainsi qu’une réponse concrète au phénomène de désintégration de la famille. On ne peut assister, impuissants, à la ruine de la famille. L’Église souhaite participer en ce domaine à un véritable changement des mentalités et des comportements, pour que triomphent les valeurs positives liées à la vie conjugale et familiale, et que les relations ne soient pas envisagées simplement du point de vue individualiste et du plaisir personnel, ce qui dénature le sens profond de l’amour humain, qui est avant tout altruisme et donation de soi. L’engagement dans le mariage comporte un certain nombre de missions et de responsabilités, parmi lesquelles celles d’entretenir et de faire grandir le lien conjugal, et de prendre soin des enfants. Dans cet esprit, il convient d’apporter une aide aux parents, qui sont les premiers éducateurs de leurs enfants, pour qu’ils puissent, d’une part, gérer et résoudre les crises conjugales qu’ils peuvent traverser et, d’autre part, donner aux jeunes le témoignage de la grandeur de l’amour fidèle et unique, ainsi que les éléments d’une éducation humaine, affective et sexuelle, face aux messages souvent destructeurs de la société actuelle, qui laissent penser que tous les comportements affectifs sont bons, niant toute qualification morale des actes humains. Une telle attitude est particulièrement désastreuse pour les jeunes, car elle les engage parfois de manière inconsidérée dans des comportements erronés qui, nous le voyons souvent, laissent des traces profondes dans leur psychisme, hypothéquant leurs attitudes et leurs engagements futurs.

7. Chers Frères dans l’épiscopat, au terme de notre rencontre, je voudrais évoquer la belle figure de Madeleine Delbrêl, dont nous fêtons le centenaire de la naissance. Elle a pris part à l’aventure missionnaire de l’Église en France au vingtième siècle, en particulier à la fondation de la Mission de France et de son séminaire à Lisieux. Puisse son témoignage lumineux aider tous les fidèles, unis à leurs pasteurs, à s’enraciner dans la vie ordinaire et dans les différentes cultures, pour y faire pénétrer, par une vie toujours plus fraternelle, la nouveauté et la force de l’Évangile ! En maintenant vive, dans leur coeur et dans leur vie, leur conscience ecclésiale, c’est-à-dire «la conscience d’être membre de l’Église de Jésus Christ et de participer à son mystère de communion et à son énergie apostolique et missionnaire» (Christifideles laici CL 64), les fidèles pourront se donner au service de leurs frères. Je vous confie à Notre-Dame et je vous accorde à vous-mêmes, aux prêtres, aux diacres, aux religieuses et aux religieuses, ainsi qu’à tous les laïcs de vos diocèses, une affectueuse Bénédiction apostolique.



Discours 2004 - Dimanche 25 janvier 2004