Discours 1980 - Abidjan Samedi 10 mai 1980

  AU PRÉSIDENT DE CÔTE D'IVOIRE ET À LA NATION

Abidjan, Samedi, 10 mai 1980



Monsieur le Président,

1. Le 2 février dernier, recevant les membres des communautés des différentes nations africaines résidant à Rome, qui m’étaient présentés par l’Ambassadeur de Côte d’Ivoire, j’avais la joie de leur annoncer un prochain voyage pour “honorer et encourager l’ensemble de l’Afrique” [1]. Le Seigneur a permis la réalisation d’un voeu très cher. Et voici que s’achève ce périple par l’étape ivoirienne, proposée avec beaucoup de courtoisie par Votre Excellence en même temps que par mes frères les évêques.

En cet instant mémorable, devant le Peuple Ivoirien présent ici par l’intermédiaire de ceux auxquels il a donné mandat de le guider, je veux exprimer ma profonde reconnaissance pour l’accueil si chaleureux et si amical qui m’est fait.

La solennité, la parfaite organisation n’excluent pas la simplicité ni la spontanéité. Laissez-moi, par conséquent, ouvrir avant tout mon coeur à la population de ce pays, que vous m’offrez le bonheur de visiter. Je la salue avec affection. Comment se sentirait-elle d’une façon quelconque loin du Pape, quand bien même celui-ci ne pourra se rendre dans chaque département, dans chaque bourgade, dans chaque famille pour y porter ses paroles de bénédiction? Oui, je désire vraiment saluer toutes les Ivoiriennes et tous les Ivoiriens. Quelques-uns, chrétiens, sont déjà allés à Rome, afin d’y prier sur les tombes de Pierre et de Paul. D’autres, qui ne partagent pas la même foi, ont eu aussi l’occasion de se rendre au centre de la chrétienté. Je viens en ces jours accomplir mon propre pèlerinage en terre africaine, sanctifiée depuis longtemps par la prédication de la Parole de Dieu.

2. Votre Excellence me permettra de lui dire mon admiration pour ce Peuple qui, au seuil du troisième millénaire, capable d’assumer lui-même son destin, s’efforce d’allier en une synthèse heureuse et adaptée les possibilités dont l’a pourvu la Providence, le génie traditionnel hérité des ancêtres et le souci du bien commun.

La tâche n’est pas facile, à laquelle s’attellent avec ténacité les dirigeants de la République. Il s’agit de créer un ensemble ordonné, où l’on ne renie rien de ce que le passé a su produire de meilleur, tout en puisant dans la modernité ce qui peut contribuer à élever l’homme, sa dignité, son honneur. Hors de cela, il n’y a pas de vrai développement ni de vrai progrès humain ou social. Il n’y a pas non plus de justice. On risquerait de construire une façade, quelque chose de fragile donc, où se vérifieraient de multiples inégalités, sans parler de cette inégalité à l’intérieur même de l’homme, lequel accorderait plus de prix à la recherche du superficiel qui se voit, qu’à celle de l’essentiel qui fait sa force cachée.

Le danger est grand, en effet, de vouloir simplement copier ou importer ce qui se fait ailleurs, pour la seule raison que cela vient de pays dit “avancés”: mais avancés vers quoi? A quel titre sont-ils avancés? L’Afrique n’a-t-elle pas aussi, davantage peut-être que d’autres continents autrefois ses tuteurs, le sens des choses intérieures appelées à déterminer la vie de l’homme? Comme j’aimerais contribuer à la défendre des invasions de tout genre, des visions sur l’homme et sur la société qui sont partielles ou matérialistes, et qui menacent la route de l’Afrique vers un développement vraiment humain et africain!

Abordant cette question, le Concile Vatican II en mesurait toute la complexité. Il notait en effet que “un très grand nombre de nos contemporains ont beaucoup de mal à discerner les valeurs permanentes; en même temps, ils ne savent comment les harmoniser avec les découvertes récentes. Une inquiétude les saisit, et ils s’interrogent avec un mélange d’espoir et d’angoisse sur l’évolution actuelle du monde. Celle-ci jette à l’homme un défi; mieux, elle l’oblige à répondre” [2].

Un tel problème n’est pas propre à l’Afrique, loin de là. Et pourtant, je ne crois pas me tromper en supposant qu’il nourrit fréquemment les réflexions des hommes d’État de ce grand continent, qu’il est peut-être le problème le plus fondamental qu’ils aient à affronter, eux qui, par leurs choix, par les orientations qu’ils sont amenés à prendre en établissant des plans de développement, jettent les bases du lendemain de leurs peuples respectifs. Il faut de la sagesse, beaucoup de sagesse, de la lucidité aussi pour effectuer les ajustements nécessaires en fonction de l’expérience. La réputation que Votre Excellence s’est acquise en la matière, dans son pays comme à l’échelon international, donne des motifs de confiance pour l’avenir du Peuple Ivoirien.

3. Citant un passage des textes du Concile, j’évoquais il y a un instant les valeurs permanentes qui constituent la véritable richesse de l’homme. La considération de ces valeurs et, si l’on peut utiliser le terme, leur mise en pratique, me paraissent prémunir de tout ce qui à notre époque, est factice ou conséquence de la facilité. Elles seules conduisent l’homme à bâtir sur le roc [3].

On pourrait multiplier les exemples tirés de la même Constitution conciliaire, qui a voulu juger à la lumière du dessein de Dieu ce qui est vécu par nos contemporains, et le relier à la source divine. C’est un sujet que j’estime si capital, que j’ai voulu en traiter longuement à New York, devant la XXXIVème Assemblée générale de l’Organisation des Nations Unies.

On peut le résumer en une formule lapidaire: la primauté des valeurs spirituelles et morales, par rapport aux valeurs matérielles ou économiques. “Le primat des valeurs de l’esprit - disais-je alors - définit la signification des biens terrestres et matériels ainsi que la manière de s’en servir...”. Il contribue par ailleurs “à faire que le développement matériel, le développement technique et le développement de la civilisation soient au service de ce qui constitue l’homme, autrement dit qu’ils lui permettent d’accéder pleinement à la vérité, au développement moral, à la possibilité de jouir totalement des biens de la culture dont nous héritons, et à la multiplication de ces biens par notre créativité” [4].

Il nous faut donc continuer à réfléchir et à oeuvrer dans cette ligne si nous voulons répondre aux vrais besoins de l’humanité, et particulièrement aux vrais besoins de l’Afrique, qui est en train d’acquérir la dimension qui lui est due à l’échelle de la planète. L’Afrique se cherche encore un peu. Elle a en main les clés de son avenir. Je lui souhaite d’approfondir ce thème fondamental pour que les valeurs spirituelles et morales lui impriment un caractère indélébile, seul digne d’elle-même.

4. L’Église, pour sa part, n’a pas de compétence directe dans le domaine politique ou économique. Elle entend rester fidèle à sa mission spirituelle, et respecter pleinement les responsabilités propres des gouvernants. L’appui moral qu’elle peut offrir à ceux qui ont en charge la cité terrestre s’explique, et se justifie, par la volonté de servir l’homme, en lui rappelant ce qui fait sa grandeur, ou en l’éveillant aux réalités qui transcendent ce monde.

Je me félicite notamment ici du concours qu’elle apporte en Côte d’Ivoire, par sa présence dans les établissements scolaires et dans les milieux intellectuels, à la grande entreprise nationale d’éducation et de formation, qui a su déjà assurer à la population un niveau culturel enviable à plus d’un titre.

Mais son concours voudrait atteindre principalement la conscience de l’homme et de la femme ivoiriens, pour leur montrer leur dignité et les aider à en faire bon usage. Son concours voudrait faciliter également une justice effective, avec un souci plus grand des pauvres, des marginaux, des petits, des migrants, en un mot de ceux qui sont souvent laissés pour compte.

Le sens de Dieu n’est-il pas aussi le sens de l’homme, du prochain? N’implique-t-il pas honnêteté, intégrité des citoyens, volonté de partage avec les moins favorisés, plutôt que course vers l’argent ou les honneurs? Ainsi, en se préoccupant du sort concret des populations, l’Église entend travailler effectivement à la promotion des ivoiriens, et elle espère apporter sa pierre à la construction toujours plus solide de la Patrie Ivoirienne.

5. C’est le succès de l’effort auquel sont invités tous vos compatriotes que je souhaite de tout coeur, Monsieur le Président, en vous remerciant à nouveau de votre bonté, en présentant mes salutations respectueuses à toutes les hautes personnalités qui nous entourent, et en priant avec ferveur pour le Peuple Ivoirien. Dieu fasse que ce séjour soit fécond et réponde aux espoirs que nous y avons placés!


 [1] L'Osservatore Romano, 3 février 1980.
 [2] (Gaudium et Spes GS 4) § 5.
 [3] Cf. (Mt 7,24-25).
 [4] N. 14.



BÉNÉDICTION DE JEAN-PAUL II DES PREMIÈRES PIERRES DE LA CATHÉDRALE D'ABIDJAN

Abidjan (Côte d'Ivoire) Dimanche 11 mai 1980



1. Je remercie de ses belles paroles Monseigneur Bernard Yago, mon cher frère dans l’épiscopat, et je m’unis à sa joie pour cette cérémonie liturgique. Comment, en effet, chers frères et soeurs qui m’écoutez, ne pas laisser éclater notre joie devant la réalité spirituelle ainsi manifestée, et en rappeler un instant avec vous la profonde signification? Je vais bénir les premières pierres de la future cathédrale d’Abidjan et d’une église qui sera dédiée à Notre-Dame d’Afrique.

Or l’Église est la maison de Dieu. Oui, toute la vie chrétienne est fondée sur cette réalité surnaturelle merveilleuse, toujours à approfondir, toujours à méditer, que saint Jean a exprimée en cette simple phrase: “Le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous” [1]. Oui, le Seigneur est né, a souffert, est mort et est ressuscité pour que le chrétien soit réellement fils de Dieu.

Cette vérité surnaturelle doit déterminer la vie du chrétien toujours et partout. Comment? Je reprends ici encore l’enseignement de la première lettre de saint Pierre: “Comme des pierres vivantes, devenez une maison spirituelle” [2]. L’Église, la Jérusalem nouvelle dont parlent l’Écriture et la liturgie, se construit dans nos vies, au-dedans de nous!

2. Et pourtant, l’Église, la maison de Dieu, n’est pas seulement spirituelle. L’enracinement humain de nos communautés catholiques, tel qu’il se manifeste et s’exprime dans la construction des églises, et en particulier de cette cathédrale, dépend étroitement de l’Incarnation, de cette venue de Dieu dans notre humanité, du fait que Dieu s’est fait semblable à nous et qu’il a voulu nous rencontrer à travers nos manières concrètes de vivre!

L’église est le lieu dans lequel le peuple chrétien se rassemble, elle est aussi le lieu où le Seigneur est réellement présent: dans la célébration de la sainte messe; présent dans le Saint-Sacrement.

L’église est le lieu où le chrétien naît à la vie divine par le baptême, trouve le pardon de ses fautes par le sacrement de la réconciliation, entre en communion avec le Seigneur et avec ses frères dans l’Eucharistie.

Aussi humbles que soient les églises que vous construisez, voyez combien est grande la réalité spirituelle qu’elles manifestent! Elles sont le signe de la construction du royaume de Dieu en vous, dans votre pays! Et parmi toutes les églises d’un diocèse, la cathédrale, votre cathédrale qui bientôt s’élèvera ici, a un sens tout particulier. De même que la basilique Saint-Jean de Latran, cathédrale du Pape, de l’évêque de Rome, est appelée pour cette raison “Tête et Mère de toutes les églises”, ainsi la cathédrale du diocèse est appelée “mère des églises” du diocèse: c’est parce qu’elle est l’église de l’évêque, du chef du diocèse, du successeur des Apôtres auxquels le Christ a confié la charge et le souci de l’évangélisation. Vous aimerez donc cette nouvelle cathédrale, qui demeurera dédiée à saint Paul, l’Apôtre missionnaire par excellence! Aimez aussi toutes vos églises! Aimez vos évêques et tous les prêtres qui vous font naître et grandir dans la vie divine!

3. Ce n’est pas sans peine ni sans efforts que le royaume de Dieu grandit en nous! Ce n’est par sans peine, non plus, qu’on bâtit les églises. Je sais combien vous y tenez, malgré les urgences de toutes sortes, et quels sacrifices vous faites pour les construire. Ceux qui s’étonnent que l’on bâtisse des églises au lieu de consacrer toutes les ressources à l’amélioration de la vie matérielle ont perdu le sens des réalités spirituelles; ils ne comprennent pas le sens de la parole du Seigneur: “L’homme ne vit pas seulement de pain” [3]. Mais nous savons bien que l’église de pierre que l’on construit péniblement est le signe de celle qui s’édifie dans la communauté!

Je suis particulièrement heureux de bénir aussi, en même temps que la première pierre de votre future cathédrale, la première pierre de l’église qui sera bâtie sous le patronage de Notre-Dame d’Afrique.

Rencontre profondément éclairante! D’un côté, l’Apôtre des Nations, qui n’a vécu que pour annoncer l’évangile, et de l’autre la Vierge Marie, qui conservait dans son coeur les mystères de la vie de son Fils, et qui demeure, dans tous les siècles et pour toute l’Église, comme nous en ferons encore mémoire dans quelques jours, l’exemple de la prière ardente dans l’attente de la venue de l’Esprit Saint.

Ce n’est donc point sans des raisons spirituelles très profondes que les premiers missionnaires qui sont venus dans vos pays consacraient dès leur arrivée le champ de leur apostolat au Coeur Immaculé de Marie. Ce Coeur est en effet le symbole de la proximité divine, de l’amour de Dieu pour notre pauvre humanité et de l’amour qu’elle peut lui rendre par la fidélité à sa grâce. La dévotion de ces missionnaires à la Vierge, leur confiance en elle, étaient donc étroitement liées à l’accomplissement de leur mission apostolique: faire connaître et aimer le Christ, “né de la Vierge Marie”.

C’est pourquoi, frères vénérés, chers fils et chères filles, j’éprouve une joie spirituelle profonde à renouveler en quelque sorte, parmi vous et en votre nom, le geste de ceux qui étaient venus, le coeur plein d’amour pour Dieu et pour leurs frères d’Afrique, apporter l’Évangile du salut. En confiant l’Afrique à la Vierge Immaculée, nous la mettons sous la protection de la Mère du Sauveur. Comment notre espérance pourrait-elle être déçue? Comment, lorsque vous l’invoquerez avec ferveur dans cette église et dans toutes celles de vos pays, ne vous conduirait-elle pas vers son divin Fils, vers la plénitude de son amour?

Que le Seigneur vous bénisse! Qu’il bénisse tous les constructeurs de l’Église, spirituelle et matérielle! Qu’il bénisse votre pays, la Côte d’Ivoire! Qu’il bénisse tous ceux qui cherchent son progrès spirituel et matériel! Qu’il donne sa grâce et sa paix à tous ceux qui le cherchent et qui viendront le rencontrer dans ces édifices sacrés! Amen.

 [1] (Jn 1,14).
 [2] (1P 2,5).
 [3] Cfr. (Mt 4,4).




AUX RELIGIEUX ET AUX LAÏCS RÉUNIS À ABIDJAN

Abidjan (Côte d'Ivoire) Dimanche, 11 mai 1980




Chers Frères et Soeurs dans le Christ,

Votre magnifique rassemblement me permet, une fois de plus, de mesurer la vitalité de l’Église qui est en Côte d’Ivoire. Merci d’être venus si nombreux et si désireux d’avancer sur les chemins du Royaume de Dieu et d’aider les autres à s’en approcher!

A tous, j’adresse le même encouragement pressant et confiant: soyez ce que vous devez être, au regard du Seigneur qui vous a appelés, et aux yeux du monde qui a besoin de votre témoignage évangélique! Et cela, dans la vocation qui est propre à chacun. C’est une question de fidélité au Seigneur, de loyauté avec vous-mêmes, de respect des autres, de solidarité ecclésiale.

Vous avez beaucoup donné à l’Église et à votre pays. Donnez-leur toujours davantage.



Aux Prêtres

A vous, chers fils qui avez reçu la grâce incomparable de l’ordination sacerdotale, j’exprime d’abord mon profond bonheur de savoir que vous vivez dans l’unité entre vous, que vous soyez issus du peuple ivoirien ou venus d’autres pays, et en confiante collaboration avec vos évêques. Que le cri du coeur du Christ “Qu’ils soient un” brûle toujours votre propre coeur! La crédibilité de l’Évangile et l’efficacité du labeur apostolique dépendent en grande partie de l’unité des pasteurs, appelés à former un seul presbyterium, quels que soient le poste et les responsabilités de chacun.

En cet instant aussi émouvant pour moi que pour vous, je voudrais par-dessus tout renforcer en vous une conviction absolument essentielle: le Christ vous a saisis et vous a spécialement conformés à Lui par le caractère sacerdotal, pour servir l’Église et les hommes d’aujourd’hui en y consacrant toutes vos forces physiques et spirituelles. Le mystère du sacerdoce n’est pas déterminé par les analyses sociologiques, d’où qu’elles viennent. C’est en Église, avec les responsables de l’Église, qu’il est possible d’approfondir et de vivre ce don du Seigneur Jésus. Je vous en supplie: ayez foi en votre sacerdoce!

Je m’empresse d’ajouter un autre encouragement, capital lui aussi. Que le Christ soit comme la respiration de votre vie quotidienne! Votre fidélité de tous les jours et votre rayonnement sont à ce prix. Développez encore votre fraternité entre prêtres, dans vos équipes paroissiales, vos rencontres de réflexion et de concertation apostoliques, et plus encore vos temps de prière et de retraite. Ces deux dimensions, avec le Seigneur et entre vous, seront le rempart de votre célibat sacerdotal et la garantie de sa fécondité. Vivez ce renoncement évangélique à la paternité charnelle dans la perspective constante de la paternité spirituelle qui comble le coeur des prêtres totalement donnés à leur peuple. Vivez ces exigences et ces joies dans l’esprit des apôtres de tous les temps.



Aux Religieux et Religieuses

Je suis particulièrement heureux de pouvoir vous exprimer de vive voix mon affection et la grande espérance que je mets dans le témoignage de votre vie évangélique.

A vous, moines et moniales qui vivez le mystère du Christ adorant le Père au nom de l’humanité, je souhaite vivement que l’année de saint Benoît, proposée à toute l’Église, stimule votre ferveur, favorise le rayonnement de vos monastères, suscite de nouvelles et solides vocations contemplatives.

Aux Frères et Soeurs qui collaborent de toute leur âme aux tâches directes de l’évangélisation, j’exprime mon admiration et ma reconnaissance qui est aussi celle de l’Église. Que de centres paroissiaux, de collèges catholiques, de maisons de formation professionnelle ou ménagère, d’aumôneries de lycées, de foyers de jeunes, de dispensaires, de lieux d’accueil pour les migrants, bénéficient de vos talents et du trésor de votre foi et de votre charité!

Par vous, chers Frères et chères Soeurs, le Christ sillonne aujourd’hui les villes et les villages d’Afrique et annonce la Bonne Nouvelle à leurs habitants. Une telle mission requiert une union très intime avec le Seigneur, alimentée régulièrement dans des temps forts de silence et de prière. Une telle mission requiert également que, dans la diversité légitime des familles spirituelles auxquelles vous appartenez, vous demeuriez très unis et très coopérants pour la crédibilité de l’Évangile. Ce véritable dynamisme spirituel et cette concertation apostolique réaliste peuvent certainement éveiller chez les jeunes l’appel que vous avez vous-mêmes entendu: “Viens, et suis-moi”.

Enfin, souvenez-vous sans cesse que le fondement de votre unité, c’est le Christ en personne. Tous et toutes, vous lui avez volontairement donné la maîtrise et l’usage de tout ce que vous êtes, de tout ce que vous avez, pour signifier qu’il est la fin ultime, la plénitude de toute créature humaine, et pour témoigner de cela à travers vos multiples activités.

Votre vie religieuse est en un mot le mystère du Christ en vous et le mystère de votre pauvre vie en Lui. C’est cela qui doit être de plus en plus transparent. Les communautés chrétiennes ont tellement besoin de votre témoignage! Et le monde, même peu croyant, attend confusément de vous un idéal de vie. Ainsi vos trois voeux religieux ne sont pas des leçons données aux autres, mais des signes susceptibles de les ouvrir aux valeurs qui ne passent pas. Que votre pauvreté soit aussi un partage avec les plus pauvres! Que votre obéissance soit un appel à la décentration de soi, à l’humilité! Que votre chasteté, vécue dans la plus grande fidélité, soit une révélation de l’amour universel, de la tendresse même de Dieu!



Aux Laïcs

A vous, chers laïcs chrétiens, j’exprime ma confiance et ma reconnaissance pour tout ce que vous avez fait et ce que vous ferez encore - avec l’épiscopat et le clergé de Côte d’Ivoire - au plan de l’évangélisation. Vous vivez aujourd’hui, dans vos villes et vos villages, ce que vivaient les premières communautés chrétiennes, d’après les Actes des Apôtres et les épîtres de saint Paul, qui nous parlent de tant de laïcs chrétiens au service de l’Évangile.

Vous savez tous également que le récent Concile Vatican II a mis en relief les ressources que tout laïc tient du fait qu’il est inséré dans le Corps du Christ qu’est l’Église, par son baptême et sa confirmation. L’heure est venue de conjuguer toujours davantage toutes les forces du peuple de Dieu, autour des Pasteurs que l’Esprit Saint vous a donnés.

Je me réjouis vivement de l’excellent travail des laïcs catéchistes comme de l’existence des mouvements d’apostolat, offerts aux jeunes et aux adultes, pour leur formation et le soutien de leurs engagements chrétiens. Je souhaite que ces mouvements soient toujours adaptés, toujours florissants. Je voudrais raviver votre flamme apostolique en vous encourageant sur trois points qui me semblent très importants. Évangélisez votre propre vie, soyez toujours en état de conversion, si vous voulez vraiment participer à l’évangélisation du monde; les autres ont besoin de votre expérience de vie chrétienne. Ménagez-vous des temps de retraite et de révision de vie.

Demeurez très attentifs à ceux qui vous entourent, par charité et toujours avec respect. Dans vos paroisses qui demeurent les centres vitaux de votre vie chrétienne, dans vos petites communautés de quartier, dans vos milieux scolaires ou professionnels, laissez rentrer dans vos esprits et vos coeurs les problèmes, les souffrances, les projets, les joies de ceux et celles qui ont besoin de se confier à vous, de trouver près de vous un appui moral et spirituel.

Dans vos rencontres entre membres des mouvements d’apostolat, vérifiez votre fidélité commune au Seigneur qui vous a appelés à travailler au salut de vos frères. Regardez bien en face les situations concrètes que vivent les gens de votre quartier, de votre région, de votre pays, en tout ce qu’elles ont de positif, et, hélas, en ce qu’elles ont de déshumanisant. Tous ensembles précisément, discernez avec sagesse l’action à entreprendre ou à poursuivre, au niveau religieux et au niveau humain, pour l’évangélisation des Africains et pour la promotion intégrale de leurs personnes dans le respect des valeurs culturelles de l’Afrique.

Courage et confiance! La lumière et la force de l’Esprit de Pentecôte ont toujours été abondamment données aux intrépides ouvriers de l’Évangile.




  SALUT DE JEAN-PAUL II AUX ÉVÊQUES RÉUNIS DANS L'INSTITUT CATHOLIQUE POUR L'AFRIQUE OCCIDENTALE

Abidjan (Côte d'Ivoire), Dimanche, 11 mai 1980

Chers frères dans l’épiscopat,

Ma joie est grande de vous rencontrer ici, dans cet Institut catholique pour l’Afrique occidentale, qui témoigne hautement de la collaboration efficace des épiscopats de la région tout entière.

Trop rapide, comme toutes mes visites, hélas, mon bref passage ici me donne cependant, et me laissera une impression de plus réconfortantes. Un travail sérieux se fait ici, je le sais. J’encourage vivement tous les évêques dont dépend cet Institut à continuer à être pleins de sollicitude pour lui assurer le meilleur recrutement, afin que son avenir soit aussi fructueux que le présent permet de l’espérer.

Dans un instant, je vais bénir la première pierre du bâtiment qui abritera le Secrétariat de la Conférence épiscopale régionale de l’Afrique de l’Ouest francophone. Là aussi, c’est un nouveau symbole de votre volonté de travailler ensemble, dans un souci d’efficacité, et pour mieux témoigner de l’esprit d’unité qui vous anime.

Et à vous tous, chers frères, qui avez fait souvent un long voyage pour venir me saluer à mon passage en Afrique, en Côte d’Ivoire, merci de votre présence. Merci du soutien que vous êtes venus m’apporter dans ces visites pastorales. Ma joie est grande, je le redis, de me voir ainsi accueilli et entouré par tant d’évêques pour manifester ensemble l’unité de l’Église. Recevez tous mes encouragements, fervents et fraternels, pour le travail apostolique que vous assumez courageusement. Pour le service de Dieu, il nous faut porter le poids du jour et de la chaleur [1]!

Continuez donc sans trêve à annoncer la parole du salut, cet Évangile qui nous a été solennellement confié à notre ordination épiscopale!

Et portez aussi mes encouragements, forts et chaleureux, dans tous vos diocèses, à tous: aux prêtres que j’aime tant, aux religieux et aux religieuses, à tous les fidèles, et d’une manière spéciale à ceux qui sont malheureux, aux malades, à ceux qui souffrent. A tous, portez l’affection et la bénédiction du Pape.

 [1] Cfr. (Mt 20,12).

 


AUX ÉVÊQUES DE CÔTE D'IVOIRE

Abidjan, Dimanche 11 mai 1980



Très chers Frères dans l’épiscopat,

Depuis hier soir, nous nous rencontrons au milieu de votre peuple. A présent, je dispose avec vous d’un temps qui sera plutôt un entretien familier. Nous sommes en famille!

Je n’oublie pas que vos neuf diocèses sont assez divers pour ce qui est de l’implantation de l’Église. Je parlerai pour l’ensemble.

1. Tout d’abord, je me réjouis avec vous de la vitalité de l’Église en Côte d’Ivoire, et j’en rends grâce à Dieu. Il y a sans doute eu des conditions extérieures favorables: la paix, le caractère hospitalier et tolérant des habitants, un sens religieux inné comme souvent en Afrique. Mais nous le devons surtout à des hommes de foi remarquables, au zèle des pionniers que furent les missionnaires, à des initiatives nombreuses et persévérantes de leur part. Nous le devons aujourd’hui à vous-mêmes, chers Frères, dont je sais le dévouement courageux et avisé. Vous avez créé une excellente atmosphère de collaboration entre le clergé africain et les nombreux prêtres et religieux étrangers qui, Dieu merci, continuent leur entraide. Vous cherchez aussi à faire prendre conscience à vos laïcs de leurs responsabilités au plan apostolique et matériel. Et, en gardant le souci d’une liturgie et d’une vie chrétienne vraiment dignes, vous n’omettez pas d’affronter les multiples problèmes pastoraux qui surgissent.

2. Je me permets de souligner quelques-uns de ces problèmes, non pour y apporter des solutions qui sont l’objet de votre réflexion et de votre concertation, mais pour vous manifester l’intérêt que je prends à votre ministère épiscopal.

Je pense par exemple aux grandes villes d’Abidjan, de Bouaké, qui s’adjoignent un nombre considérable de nouveaux venus de la campagne et aussi des immigrants des pays voisins: comment rendre l’Église bien présente dans ces nouveaux quartiers et ces nouveaux milieux? Il y a les pauvres de toute sorte, les déracinés, les petits auxquels nous devons une présence et une sollicitude particulières, comme le Christ.

Il y a aussi une élite, des cadres, qui ont besoin d’une réflexion chrétienne plus approfondie, au niveau de leur culture et de leurs responsabilités, d’abord pour ne pas rester en marge de l’Église, et aussi pour participer à un développement plus harmonieux du pays.

Car il y a une justice sociale à promouvoir, à l’encontre de privilèges de fortune ou de pouvoir, d’inégalités trop fortes, de tentations d’enrichissements excessifs, parfois de corruption, comme vous le dites vous-mêmes. L’Église doit aider les responsables à ne pas transposer chez vous certains modèles de vie occidentaux, qui ont tendance a installer les personnes et les familles dans le matérialisme, l’individualisme et l’athéisme pratique, et à laisser pour compte bien des marginaux.

Vous êtes aussi préoccupés de la multitude des jeunes et des étudiants. Dans le cadre des paroisses, des écoles, ils méritent une pastorale spécialisée et notamment une catéchèse pour laquelle l’aide des aînés serait sans doute bienvenue. Vous avez fait beaucoup pour les écoles catholiques, dans un pays qui n’aurait pas dû connaître les relents du laïcisme occidental, et vous avez raison. L’enjeu de la jeunesse étudiante est très grand: puissions-nous mettre à leur disposition l’aumônerie dont ils auraient besoin!

Les catéchistes demeurent les collaborateurs indispensables de l’évangélisation, et à bon droit vous vous souciez de leur ménager une formation initiale et continue, appropriée aux besoins des diverses communautés et des divers milieux. J’en ai souvent parlé au cours de mon voyage. Il faut aussi former des éducateurs, prêtres, religieuses et laïcs, qui fassent des études religieuses plus approfondies, en tenant compte de leur culture africaine. L’évangélisation tirera grand profit de leur service qualifié, au plan théologique et apostolique. Je sais l’excellent travail que poursuit ici l’Institut Catholique de l’Afrique de l’Ouest, que je viens de visiter. C’est aussi une chance pour vous.

La pastorale familiale est particulièrement importante; je n’ignore pas les problèmes difficiles qu’elle soulève. J’en ai parlé à Kinshasa. Il vous appartient, à vous évêques, de les résoudre de façon concertée, en gardant la conviction que, à partir de l’Évangile, selon l’expérience séculaire de l’Église exprimée par le Magistère universel et grâce à une formation patiente des futurs époux, il est possible aux couples africains de vivre, avec une particulière intensité, le mystère de l’Alliance, dont l’alliance de Dieu avec son peuple, l’alliance de Jésus-Christ avec son Église demeurent la source et le symbole. De ces familles chrétiennes découleront des biens profonds et durables, y compris pour la foi des jeunes et les vocations.

Vos communautés catholiques doivent aussi trouver les rapports adéquats avec les autres communautés chrétiennes, avec les musulmans, avec d’autres groupes religieux. Mais surtout, vous avez encore devant vous un immense champ d’évangélisation: ceux qui demeurent disponibles pour l’annonce de l’Évangile, dans les villages et dans les villes. Il y a là un apostolat proprement missionnaire à poursuivre.

3. Tout cela a sa valeur, son importance, et il est bien difficile pour moi de vous indiquer des priorités dans ces secteurs d’apostolat. Pourtant, je pense qu’il vous faut, sans rien négliger, dégager ensemble des plans pastoraux pour faire converger les efforts sur l’essentiel, dans des directions précises, et s’y tenir avec persévérance.

Pour ma part, je voudrais seulement confirmer vos convictions sur quelques attitudes fondamentales.

D’abord au sujet de votre ministère épiscopal. Vous en savez mieux que quiconque les exigences. Saint Paul nous a avertis qu’être ministres du Christ, les yeux fixés sur l’Évangile, c’est s’exposer à des incompréhensions et à des tribulations. Comme le dit l’un de vos proverbes: “L’arbre situé au bord du sentier reçoit des coups de tous ceux qui passent”.

Mais je vous souhaite aussi de grandes consolations spirituelles. Demeurez des chefs spirituels qui soient en même temps des Pères pour leur peuple, à la manière du Christ qui sert. Restez libres vis-à-vis de tout pouvoir profane, tout en reconnaissant à celui-ci sa compétence et sa responsabilité spécifique. Continuez à susciter une large collaboration de vos prêtres et de vos laïcs, pour examiner les problèmes, et associez-les à vos décisions. Par-dessus tout, maintenez entre vous une étroite cohésion et une véritable collaboration, comme d’ailleurs avec les évêques de l’Afrique de l’Ouest. Ah oui, vivez très unis, dans une solidarité sans faille, entre vous et avec le Saint-Siège: c’est votre force.

J’insiste spécialement sur vos prêtres, vos collaborateurs nés, qu’ils soient ivoiriens ou venus de loin. Ils forment un même presbyterium, une même famille. Ils sont parfois dispersés, dans un apostolat difficile. Ils ont un besoin particulier de sentir votre soutien, de votre proximité, de votre présence amicale, de votre appréciation de leur travail, de votre encouragement par une vie sacerdotale digne et généreuse. Et cela favorisera aussi les vocations.

Car j’encourage beaucoup le soin que vous consacrez à susciter des vocations sacerdotales et religieuses, à procurer aux jeunes et aux grands séminaristes une formation qui leur donne le goût de l’Évangile, une foi solide, et le désir de répondre à l’appel du Christ et de servir l’Église d’une façon désintéressée, face à tous les besoins des communautés chrétiennes et aussi l’évangélisation.

Paul VI avait dit en Ouganda en 1969: “Vous êtes vos propres missionnaires”. C’est de plus nécessaire pour vous. Le passage s’est opéré au niveau de l’épiscopat: il faut le préparer au niveau des prêtres, même si, comme je l’espère bien, vous pourrez disposer longtemps encore de prêtres mis à votre service par d’autres Églises ou congrégations religieuses. Enfin, j’irai encore plus loin sur ce chemin “missionnaire”: c’est toute votre Église qui doit le devenir, prêtres, religieuses et laïcs, et les communautés elles-mêmes, par l’accueil, le témoignage et l’annonce explicite, auprès de ceux qui ignorent encore l’Évangile, en ce pays et en d’autres pays d’Europe.

4. Ces attitudes, comme les différentes oeuvres pastorales à promouvoir, ne doivent point nous faire perdre de vue l’essentiel, chers Frères: la présence du Christ parmi nous, qui agit avec nous et par nous, dans la mesure où nous lui rapportons notre vie, nos soucis, nos espérances, dans une prière incessante. Aidez tous vos collaborateurs à entretenir en eux cette flamme de la vie spirituelle, cet amour de Dieu sans lequel nous ne serions que cymbales qui retentissent.

Précisément au moment où votre société ivoirienne est en rapide expansion économique et culturelle, avec toutes ses chances, mais aussi les tentations matérialisant que cela entraîne, il s’agit d’assurer une âme à cette civilisation. Et seuls des spirituels pourront l’entraîner dans un sens profondément chrétien qui soit en même temps profondément africain.

Que Notre-Dame ouvre nos coeurs à l’Esprit de son Fils! Recevez mon affectueuse Bénédiction.



Discours 1980 - Abidjan Samedi 10 mai 1980