Discours 1978 27

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LE RÔLE DE LA DOCTRINE DANS LA VIE DE L'ÉGLISE


Aux évêques des États-Unis en visite « ad limina »

Le Saint-Père a reçu en audience, le 9 novembre, les archevêques et évêques des Ve et VIIe régions pastorales des États-Unis d'Amérique venus à Rome pour leur visite « ad limina ». Après avoir reçu chaque évêque en particulier dans la matinée, le Saint-Père a prononcé, en réponse à l'adresse d'hommage du cardinal Cody, archevêque de Chicago, un discours en anglais dont voici la    traduction :



Chers Frères en Jésus-Christ,



L'une des plus grandes consolations du nouveau pape est de savoir qu'il peut compter sur l'amour et l'appui de tout le peuple de Dieu. Comme l'apôtre Paul dans les Actes des Apôtres, le pape est puissamment aidé par les ferventes prières des fidèles. C'est donc une joie spéciale pour moi de me retrouver avec vous, mes frères dans l'épiscopat, vous qui êtes les pasteurs d'Églises locales dans les États-Unis d'Amérique. Je sais que vous portez avec vous la foi profonde de vos fidèles, leur profond respect pour le mystère du rôle de Pierre dans le dessein de Dieu à l'égard de l'Église universelle, et leur amour pour le Christ et pour ses frères. Par une providence de Dieu, j'ai pu visiter votre pays et y faire personnellement la connaissance de quelques personnes. Ainsi notre réunion est elle-même la célébration de l'unité de l'Église. C'est également l'attestation de notre acceptation de Jésus-Christ dans la totalité de son mystère de salut.

Comme serviteur et pasteur, et père de l'Église universelle, je voudrais maintenant exprimer mon amour à l'égard de ceux qui sont particulièrement appelés à travailler pour l'Évangile, ceux qui collaborent activement avec vous dans vos diocèses, pour construire le royaume de Dieu. Comme vous-mêmes, j'ai appris, comme évêque, à considérer comme prioritaire le ministère sacerdotal, les problèmes qui touchent à la vie des prêtres, les sacrifices qui font partie intégrante de leur service du peuple de Dieu. Comme vous-mêmes, je suis pleinement conscient de la façon dont le Christ dépend de ses prêtres pour l'accomplissement dans le temps de sa mission de rédemption. Et comme vous-mêmes, j'ai travaillé avec les religieux, je me suis efforcé de témoigner de l'estime que l'Église leur porte dans leur vocation d'amour consacré, et je les ai toujours engagés à une collaboration pleine et généreuse dans la vie du corps de la communauté ecclésiale. Tous nous connaissons d'abondants exemples d'authentique evangelica testificatio (témoignage évangélique). Je vous demande donc de porter mon salut au clergé et aux religieux, de les assurer de ma compréhension, de ma solidarité, de mon amour dans le Christ Jésus et dans l'Église.

Je suis également conscient du fait que mes obligations pastorales s'étendent à la communauté entière des croyants. Au cours de cette audience, je voudrais faire quelques réflexions de base qui, j'en suis convaincu, sont importantes pour chaque Église locale dans son ensemble. Dans les priorités qu'ils ont établies, mes prédécesseurs Paul VI et Jean Paul Ier ont choisi des sujets d'une extrême importance, et je ratifie en pleine connaissance de cause et avec toute ma conviction personnelle toutes leurs exhortations et toutes leurs directives. Lors de la dernière visite « ad limina » d'évêques des États-Unis, mon prédécesseur immédiat a consacré son discours au thème de la famille chrétienne. Déjà au cours des premières semaines de mon pontificat, j'ai eu moi aussi l'occasion de parler sur ce sujet et d'en montrer l'importance. Oui, que toutes les belles familles chrétiennes dans l'Église de Dieu sachent que le pape est avec elles, uni dans la prière, dans l'espérance, dans la confiance. Le pape les confirme dans la mission que le Christ lui-même leur a donnée, il proclame leur dignité et bénit tous leurs efforts.

Je suis tout à fait convaincu que les familles en tous lieux ainsi que la grande famille de l'Église catholique seront très bien servies — un réel service pastoral leur sera rendu — si un accent renouvelé est mis sur le rôle de la doctrine dans la vie de l'Église. Dans le plan de Dieu, un nouveau pontificat est toujours un nouveau commencement qui évoque des espoirs neufs et qui donne de nouvelles possibilités de réflexion, de conversion, de prière et de résolutions.

Sous la protection de Marie, mère de Dieu et mère de l'Église, je désire consacrer mon pontificat à la continuation de l'application authentique du Concile Vatican II, sous l'action du Saint-Esprit. Et, à ce propos, rien n'est plus éclairant que de rappeler les paroles mêmes qui ont été utilisées par Jean XXIII, le jour de son ouverture, pour préciser les orientations de ce grand événement ecclésial : « Le plus grand souci du Concile oecuménique est celui-ci : que le dépôt sacré de la-doctrine chrétienne soit gardé et enseigné d'une façon plus effective ». Cette vue très large du pape Jean est encore valable aujourd'hui. C'était l'unique et forte base pour un Concile qui visait à un renouveau de la pastorale ; c'est l'unique et forte base de tout notre effort pastoral comme évêques de l'Église de Dieu. Et c'est mon plus profond désir aujourd'hui pour les pasteurs de l'Église d'Amérique aussi bien que pour tous les pasteurs de l'Église universelle : « Que le dépôt sacré de la doctrine chrétienne soit gardé et enseigné d'une façon plus effective ». Le dépôt sacré de la parole de Dieu, pris en mains par l'Église, est la joie et la force pour la vie de nos populations ; c'est l'unique solution pastorale en face des nombreux problèmes d'aujourd'hui. Présenter ce dépôt sacré de la doctrine chrétienne dans toute sa pureté et dans toute son intégrité, avec toutes ses exigences et dans tout son pouvoir est une sainte responsabilité pastorale ; c'est, bien plus, le plus sublime service que nous puissions rendre.

Et le second désir que je voudrais exprimer aujourd'hui est un désir de préservation de la grande discipline de l'Église — espoir éloquemment formulé par Jean Paul Ier au lendemain de son élection :   « Nous désirons maintenir intacte la grande discipline de l'Église dans la vie des prêtres et des fidèles, telle que l'histoire de l'Église, enrichie par l'expérience, l'a présentée au cours des siècles par des exemples de sainteté et de perfection héroïque, à la fois dans l'exercice des vertus évangéliques et dans le service des pauvres, des humbles et de ceux qui sont sans défense. »

Ces deux désirs n'épuisent pas nos aspirations et nos prières, mais ils sont dignes d'efforts pastoraux intenses et de zèle apostolique. Ces efforts et ce zèle, de notre part, sont l'expression que nous formulons à notre tour d'un amour et d'un intérêt réels pour le troupeau confié à nos soins par Jésus-Christ, le chef des pasteurs — charge qui est à exercer à l'intérieur de l'unité de l'Église universelle et dans le contexte de la collégialité de l'épiscopat.

Ces désirs pour la vie de l'Église — pureté de doctrine et discipline ferme — dépendent immédiatement de chaque nouvelle génération de prêtres qui, par la générosité de leur amour, assurent la continuation de l'engagement de l'Église à l'égard de l'Évangile. Pour cette raison, Paul VI a fait preuve d'une grande sagesse en demandant aux évêques d'Amérique : « remplissez avec une affectueuse attention personnelle votre grande responsabilité pastorale envers les séminaristes ; prenez connaissance du contenu de leurs cours, encouragez-les à aimer la parole de Dieu et à ne jamais avoir honte de l'apparente folie de la croix» (discours du 20 juin 1977). Et ceci est mon ardent désir aujourd'hui : qu'un nouvel accent mis sur l'importance de la doctrine et de la discipline soit la contribution post-conciliaire de vos séminaires de sorte que « la parole du Seigneur accomplisse sa course et soit glorifiée » (2Th 3,1).

Enfin dans toutes vos peines pastorales, soyez assurés que le pape vous est uni et proche dans l'amour de Jésus-Christ. Nous n'avons tous qu'un seul but : nous montrer fidèles à la charge pastorale qui nous est confiée, conduire le peuple de Dieu « par les bons sentiers pour l'honneur de son nom » (Ps 23,3), de sorte que, dans notre responsabilité pastorale, nous puissions dire avec Jésus au Père : « Aussi longtemps que j'étais avec eux, je les ai gardés en ton nom ceux que tu m'as donnés. J'ai veillé sur eux et aucun d'eux ne s'est perdu... » (Jn l7, 12).

Au nom de Jésus, paix à vous et à tous vos fidèles. Avec ma bénédiction apostolique.







10 novembre 1978

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LE PAPE AUX RELIGIEUSES


Le vendredi 10 novembre, enfin d'après-midi, le Saint-Père a reçu les religieuses présentes à Rome, parmi lesquelles se trouvaient des déléguées des moniales cloîtrées. Voici la traduction du discours qu'il a prononcé en italien :



Chères Soeurs,



1. Hier, en la fête de la Dédicace de la Basilique du Très Saint Sauveur au Latran, j'ai commencé ma préparation au grand acte de la prise de possession de cette Basilique — Chaire de l’Évêque de Rome — qui aura lieu dimanche prochain. Pour cela j'ai rencontré hier le Clergé du Diocèse de Rome, avec les prêtres engagés surtout dans la pastorale diocésaine. Aujourd'hui ma rencontre est avec vous, Religieuses. J'ai désiré que cette rencontre suive immédiatement celle d'hier. Ainsi, comme nouvel Évoque de Rome, je peux m'approcher de ceux qui constituent d'une certaine façon, les principales réserves spirituelles de ce Diocèse, qui est le premier parmi tous les diocèses de l'Église, et avoir au moins un premier contact avec eux. Ce rapprochement et cette connaissance me tiennent très à coeur.

Vous êtes venues ici très nombreuses ! Peut-être qu'aucun siège épiscopal au monde ne peut en compter autant. Le Cardinal-Vicaire de Rome m'a informé que, sur le territoire du Diocèse, il y a environ vingt mille religieuses, environ deux cents maisons généralices, et environ cinq cents maisons provinciales de divers Ordres et Congrégations féminines. Ces maisons sont au service de vos familles religieuses dans le rayon de toute l'Église ou des provinces qui dépassent le territoire de la Ville de Rome. Durant les années de mon ministère épiscopal, j'ai rencontré bien souvent les Ordres féminins (Cracovie en est la plus riche en Pologne), et j'ai eu la possibilité de me rendre compte du profond désir de chaque Congrégation d'avoir une maison, et surtout la maison généralice, à Rome, près du Pape. De ceci je me réjouis et je vous remercie, bien que je sois d'avis que vous devriez vous maintenir toujours fidèles au lieu de votre naissance, là où est la maison-mère, où, pour la première fois a jailli la lumière de la nouvelle communauté, de la nouvelle vocation, de la nouvelle mission dans l'Église.



2. Je vous souhaite la bienvenue, à vous toutes, Soeurs, qui êtes là réunies aujourd'hui. Je veux vous saluer avant tout comme nouvel Évoque de Rome et je désire préciser votre place dans cette « Église locale », en ce Diocèse concret, dont je me prépare à prendre solennellement possession dimanche prochain. En me basant sur la tradition vivante et séculaire de l'Église, sur la doctrine récente du Concile Vatican II et également sur mes expériences précédentes d'Évêque, je viens ici avec la profonde conviction que celui-ci est un « poste » spécial.

Cela provient de la vision de l'homme et de sa vocation, que le Christ lui-même nous a manifestées. « Qui potest capere, capiat » — Qui peut comprendre comprenne (Mt 19,12), ainsi dit-Il à ses disciples, qui lui posaient avec insistance des questions sur la législation de l'Antique Testament et surtout sur celle relative au mariage. Dans ces demandes, comme aussi dans la tradition de l'Antique Testament, était incluse une certaine limitation à cette liberté des fils de Dieu que le Christ nous a apportée, et que saint Paul a confirmée avec tant de force. La vocation religieuse est justement le fruit de cette liberté d'esprit, réveillée par le Christ d'où jaillit la disponibilité de la donation totale à Dieu lui-même. La vocation religieuse réside dans l'acceptation d'une discipline sévère, qui ne provient pas d'un commandement, mais d'un conseil de chasteté, conseil de pauvreté, conseil d'obéissance. Et tout ceci, embrassé en conscience et enraciné dans l'amour pour l'Époux Divin constitue de fait la révélation particulière de la profondeur de la liberté de l'esprit humain. Liberté des fils de Dieu : fils et filles.

Une telle vocation provient d'une foi vive, cohérente jusqu'aux extrêmes conséquences, laquelle ouvre à l'homme la prospective filiale, c'est-à-dire la prospective de la rencontre avec Dieu lui-même, qui seul est digne d'un amour « au-dessus de toute autre chose » amour exclusif et nuptial. Cet amour consiste dans le don de tout notre être humain, âme et corps, à Celui qui s'est donné entièrement à nous par l'Incarnation, la Croix, et l'anéantissement, par la pauvreté, la chasteté, l'obéissance. Il s'est fait pauvre pour nous... afin que nous devenions riches (cf. 2Co 8,9). Ainsi donc la vocation religieuse se nourrit de cette richesse de la foi vivante. Cette vocation est comme l'étincelle qui allume dans l'âme une « vive flamme d'amour », comme l'a écrit saint Jean de la Croix. Cette vocation, une fois acceptée, une fois confirmée solennellement, par les voeux, doit être nourrie sans cesse de la richesse de la foi, non seulement lorsqu'elle porte en même temps la joie intérieure, mais aussi quand elle s'accompagne de difficultés, de l'aridité, de la souffrance intérieure, appelée « nuit » de l'âme.

Cette vocation est un trésor spécial de l'Église, qui ne peut jamais cesser de prier, afin que l'Esprit de Jésus-Christ suscite dans les âmes des vocations religieuses. En effet, elles sont, pour la communauté du Peuple de Dieu, comme pour le « monde », un signe vivant du « siècle futur » : signe qui, en même temps s'enracine, même à travers votre habit religieux dans la vie quotidienne de l'Église et de la société et pénètre ses tissus les plus délicats. Les personnes qui ont aimé Dieu sans réserve, sont d'une façon spéciale, capables d'aimer l'homme, et de se donner à lui sans intérêts personnels et sans limites. Peut-être avons-nous besoin de preuves ? Nous les trouvons dans toutes les époques de la vie de l'Église, nous les trouvons aussi en notre temps. Durant mon précédent ministère épiscopal, je rencontrai de tels témoignages à chaque pas. Je me souviens des Instituts et des hôpitaux pour les malades les plus atteints et pour les handicapés. Partout, là où personne ne pouvait plus rendre le service de bon Samaritain, se trouvait toujours encore une soeur.



3. Il ne s'agit évidemment en ce cas que d'un champ de l'activité religieuse, et donc d'un seul exemple. Et il est indubitable que ces champs sont très nombreux. Eh bien, en vous rencontrant ici aujourd'hui pour la première fois, chères Soeurs, je désire vous dire avant tout que dans toute l'Église, et en particulier ici à Rome, en ce Diocèse, votre présence est indispensable. Elle doit être pour tous un signe visible de l'Évangile. Elle doit être aussi la source d'un apostolat spécial. Cet apostolat est si riche et si varié, qu'il m'est difficile d'en énumérer ici toutes les formes, les secteurs, les orientations. Il est rattaché au charisme spécifique de chaque Congrégation, à son esprit apostolique, que l'Église et le Saint-Siège approuvent avec joie, voyant en lui l'expression de la vitalité du Corps mystique du Christ lui-même ! Un tel apostolat est habituellement discret, caché, proche de l'être humain, et pour cela mieux en harmonie avec l'âme féminine, sensible au prochain, et pour cela appelée au devoir de soeur et de mère. C'est exactement cette vocation-là qui se trouve dans le « coeur » même de votre être de religieuses. Comme Évêque de Rome je vous prie : soyez spirituellement mères et soeurs pour tous les hommes de cette Église, que Jésus, dans son ineffable miséricorde et grâce, a voulu me confier. Soyez-le pour tous, sans exceptions, mais surtout pour les malades, les enfants, les jeunes, les familles qui se trouvent dans des situations difficiles... Allez à leur rencontre ! N'attendez pas qu'ils viennent à vous ! Cherchez vous-mêmes ! L'amour nous pousse à cela. L'amour doit chercher! « Caritas Christi urget nos — l'Amour du Christ nous-pousse ! » (2Co 5,14).

Et je vous adresse encore une prière, je vous confie le début de mon ministère pastoral : engagez-vous généreusement à collaborer avec la grâce de Dieu, afin que beaucoup de jeunes accueillent l'appel du Seigneur et que de nouvelles forces viennent augmenter vos rangs, pour affronter les exigences croissantes qui émergent dans les vastes champs de l'apostolat moderne. La première forme de collaboration est certainement l'invocation assidue au « maître de la moisson » (cf. Mt Mt 9,38) afin qu'il éclaire et oriente le coeur de nombreuses jeunes filles « en recherche », qui existent certainement même aujourd'hui dans ce diocèse, comme dans chaque partie du monde : puissent-elles comprendre qu'il n'y a pas d'idéal plus grand, auquel consacrer la vie que celui du don total de soi au Christ pour le service de son Règne. Mais il existe une seconde manière, non moins importante, de favoriser l'appel de Dieu, c'est celle du témoignage qui jaillit de votre vie : — le témoignage d'abord, de la cohérence sincère avec les valeurs évangéliques et le charisme propre de votre Institut : tout fléchissement à vos promesses est une désillusion pour qui vous approche, ne l'oubliez pas ! — ensuite le témoignage d'une personnalité humainement réussie et mûre qui sait entrer en rapport avec les autres sans préventions injustifiées ni imprudences ingénues, mais avec une ouverture cordiale et un équilibre serein ; — le témoignage, enfin, de votre joie, une joie qui se lit dans les yeux et dans l'attitude comme dans les paroles, et qui manifeste clairement à ceux qui vous voient la conscience que vous possédez ce « trésor caché », cette « perle précieuse », dont l'acquisition ne fait pas regretter d'avoir renoncé à tout, selon le conseil évangélique (cf. Mt Mt 13,44-45).

Et maintenant, avant de terminer, je désire adresser une parole spéciale aux chères Soeurs cloîtrées, à celles qui sont présentes à cette rencontre et à celles qui sont dans leur austère clôture, choisies pour un amour spécial envers l'Époux Divin. Je vous salue toutes avec une particulière intensité de sentiments et je visite en esprit vos couvents, fermés en apparence, mais en réalité si largement ouverts à la présence de Dieu vivant dans notre monde humain, et pour cela si nécessaires au monde. Je vous recommande l'Église et Rome, je vous recommande les hommes et le monde ! A vous, à vos prières, à votre « holocauste » je me recommande aussi moi-même, Évêque de Rome. Soyez avec moi, près de moi, vous qui êtes « dans le coeur de l'Église » ! Que se réalise en chacune de vous ce qui fut le programme de vie de sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus : « In corde Ecclesiae amor ero » — Dans le coeur de l'Église je serai l'amour !

Je termine ainsi ma première rencontre avec les Soeurs de Rome Sainte. Qu'en vous persiste la semence spéciale de l'Évangile, expression singulière de cet appel à la sainteté que dernièrement le Concile nous a rappelé dans la Constitution sur l'Église. J'attends beaucoup de vous. J'espère beaucoup en vous. Tout cela je désire le résumer et l'exprimer dans la bénédiction que je vous donne de grand coeur.

Je vous recommande à Marie, Épouse du Saint-Esprit, Mère de l'amour le plus beau !







11 novembre 1978

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OUVREZ LES PORTES AU CHRIST


Le pape reçoit la commission pontificale « Justice et Paix »

Le samedi 11 novembre, le pape a reçu en audience les membres de la commission pontificale « Justitia et Pax » qui tenait à Rome son assemblée générale. En réponse au cardinal Bernardin Gantin, président de la commission, qui a présenté les travaux de celle-ci, Jean Paul II a prononcé le discours suivant :



Chers Amis,



Je compte sur vous, je compte sur la commission pontificale « Justitia et Fax », pour m'aider et pour aider l'Église entière à redire aux hommes de ce temps, avec une pressante insistance,, l'appel que je leur adressai, en commençant mon ministère romain et universel, le dimanche 22 octobre :

« N'ayez pas peur ! Ouvrez, oui ouvrez toutes grandes les portes au Christ ! A son pouvoir de salut, ouvrez les frontières des États, les régimes économiques et politiques, les immenses domaines de la culture, de la civilisation, du développement. N'ayez pas peur ! Le Christ sait ce qu'il y a dans   l'homme ! Et lui seul le sait. »

Nous vivons en un temps où tout devrait pousser au « décloisonnement » : la perception plus vive de l'universelle solidarité des hommes des peuples, la nécessité de sauvegarder l'environnement et le patrimoine communs de l'humanité, la nécessité de réduire le poids et la menace mortelle des armements, le devoir d'arracher à la misère des millions d'hommes qui retrouveraient, avec les moyens de mener une vie décente, la possibilité d'apporter à l'effort commun des énergies neuves. Or voici que devant l'ampleur et les difficultés de la tâche, on observe un peu partout un réflexe de raidissement. A la source, il y a la peur ; la peur surtout de l'homme et de sa liberté responsable, peur souvent aggravée par l'enchaînement des violences et des répressions. Et finalement, on a peur de Jésus-Christ, soit parce qu'on ne le connaît pas, soit parce que, chez les chrétiens eux-mêmes, on ne fait plus suffisamment l'expérience exigeante mais vivifiante d'une existence inspirée de son Évangile.

Le premier service que l'Église doit rendre à la cause de la justice et de la paix, c'est d'inviter les hommes à s'ouvrir à Jésus-Christ. En lui, ils réapprendront leur dignité essentielle de fils de Dieu, faits à l'image de Dieu, doués de possibilités insoupçonnées qui les rendent capables de faire face aux tâches de l'heure, liés les uns aux autres par une fraternité qui s'enracine dans la paternité de Dieu. En lui, ils deviendront libres pour un service responsable. Qu'ils n'aient pas peur ! Jésus-Christ n'est pas un étranger ni un concurrent. Il ne fait ombrage à rien de ce qui est authentiquement humain, ni chez les personnes, ni dans leurs diverses réalisations scientifiques et sociales. L'Église non plus n'est ni une étrangère ni une concurrente : « l'Église, dit la constitution Gaudium et Spes, qui, en raison de sa charge et de sa compétence, ne se confond d'aucune manière avec la communauté politique et n'est liée à aucun système politique, est à la fois le signe et la sauvegarde du caractère transcendant de la personne humaine» (n. 76, paragr. 2). En ouvrant l'homme sur Dieu, l'Église l'empêche de s'enfermer dans quelque système idéologique que ce soit, elle l'ouvre sur lui-même et sur les autres et le rend disponible pour créer du neuf à la mesure des exigences présentes de l'évolution de l'humanité.

Avec le don central de Jésus-Christ, l'Église apporte à l'oeuvre commune non un modèle préfabriqué, mais un patrimoine — doctrinal et pratique — dynamique, développé au contact des situations changeantes de ce monde, sous l'impulsion de l'Évangile comme source de renouveau, avec une volonté désintéressée de service et une attention aux plus pauvres (cf. Lettre Octogesima adveniens, n. 42). Toute la communauté chrétienne participe à ce service. Mais le Concile a opportunément souhaité, et Paul VI a réalisé avec la commission pontificale « Justitia et Pax »; « la création d'un organisme de l'Église universelle, chargé d'inciter la communauté catholique à promouvoir l'essor des régions pauvres et la justice sociale entre les nations » (Const. Gaudium et Spes, GS 90, paragr. 3). C'est à ce service universel que vous êtes appelés, auprès du pape et sous sa direction. Vous l'exercez dans un esprit de service et dans un dialogue — qu'il faudra développer — avec les Conférences épiscopales et les organismes divers qui, en communion avec elles, poursuivent la même tâche. Vous l'exercez dans un esprit oecuménique, en recherchant inlassablement et en adaptant les formes de coopération susceptibles de faire progresser l'unité des chrétiens dans la pensée et dans l'action.

Sans préjudice pour les nombreuses questions auxquelles la commission porte son attention, vous avez consacré cette assemblée générale au thème du développement des peuples. L'Église a été présente dès le départ à cet immense effort et elle en a suivi les espoirs, les difficultés et les déceptions. Une sereine appréciation des résultats positifs, même insuffisants, doit aider à surmonter les hésitations présentes. Vous avez eu à coeur d'étudier tout l'éventail des problèmes que la poursuite nécessaire de l'oeuvre commencée pose au niveau de la communauté internationale, dans la vie interne de chaque peuple, au niveau aussi des communautés élémentaires, dans la façon de concevoir et de réaliser de nouveaux modes de vie. Pour que l'Église puisse dire la parole d'espérance qu'on attend d'elle et fortifier les valeurs spirituelles et morales sans lesquelles il ne peut y avoir de développement, elle doit écouter, patiemment et avec sympathie, les hommes et les institutions qui s'appliquent à la tâche à tous les niveaux, prendre la mesure des obstacles à surmonter. On ne triche pas avec la réalité qu'on veut transformer.

L'attention prioritaire à ceux qui souffrent d'une pauvreté radicale rejoint à coup sûr une préoccupation fondamentale de l'Église ; de même le souci de concevoir des modèles de développement qui, pour demander des sacrifices, veillent à ne pas sacrifier les libertés et les droits personnels et sociaux essentiels, sans lesquels, du reste, ils se condamneraient vite à l'impasse. Et les chrétiens voudront être à l'avant-garde pour susciter des convictions et des modes de vie qui rompent de manière décisive avec une frénésie de consommation, épuisante et sans joie.

Merci, Monsieur le Cardinal, des paroles par lesquelles vous m'avez exprimé les sentiments filiaux et dévoués de toute la commission. Votre présence à la tête de cet organisme est un gage que les peuples pauvres, mais riches en humanité, seront au coeur de ses préoccupations. Merci à vous tous, chers amis, qui apportez à la commission, et qui m'apportez à moi-même, votre compétence et votre expérience humaines et apostolique . Merci à tous les membres de la Curie ici présents : grâce à vous, la dimension de la promotion humaine et sociale peut mieux pénétrer l'activité des autres dicastères ; en retour, l'activité de la commission « Justitia et Pax » pourra s'insérer toujours mieux dans la mission globale de l'Église.

Vous savez en effet à quel point le Concile et mes prédécesseurs ont eu à coeur de bien situer l'action de l'Église en faveur de la justice, de la paix, du développement, de la libération, dans sa mission évangélisatrice. A rencontre de confusions toujours renaissantes, il importe de ne pas réduire l'évangélisation à ses fruits pour la cité terrestre : l'Église doit aux hommes de les faire accéder à la source, à Jésus-Christ. Aussi bien la constitution dogmatique Lumen Gentium demeure la « magna  carta » conciliaire : dans sa lumière tous les autres textes prennent leur pleine dimension. La constitution pastorale Gaudium et Spes et tout ce qu'elle inspire ne s'en trouvent pas dévalués mais affermis.

Au nom du Christ, je vous bénis, vous-mêmes et vos collaborateurs, ceux qui vous sont chers et vos pays bien-aimés, ceux surtout qui connaissent l'épreuve. Rejoignant le thème de l'audience de mercredi dernier : que le Seigneur nous aide, qu'il aide tous nos frères à s'engager sur les chemins de la justice et de la paix !







12 novembre 1978

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VOEUX DE BONHEUR AUX ROMAINS


Jean Paul II au maire de Rome

Première étape sur la voie qui, du Vatican, le menait à sa cathédrale du Latran, le Saint-Père est descendu de voiture devant le « Campidoglio », le Capitale ou mairie de Rome, pour y recevoir l'hommage, en tant qu'évêque de la ville et du diocèse, du maire, le professeur Argan et des autorités municipales. A l'adresse d'hommage du maire, le Saint-Père a répondu par un discours dont voici la traduction :

Monsieur le Maire,

Je vous suis sincèrement reconnaissant pour les nobles paroles que vous venez de m'adresser ; et, avec vous, je remercie toute l'Administration civile, à laquelle je suis heureux et honoré d'apporter mon plus cordial salut.

Cette première rencontre avec ceux qui ont la charge d'interpréter, de protéger et de servir les intérêts d'une ville comme Rome dont le glorieux et mystérieux destin s'entrelace si intimement avec les vicissitudes de l'Église du Christ qui, par disposition providentielle, a ici son centre visible, suscite en moi une vague difficile à contenir de sentiments, de souvenirs, de pensées solennelles et graves. Dans cette ville qui fut une dominatrice souveraine de peuples; maîtresse admirable de civilisation, artisan inégalé de lois extrêmement sages, débarqua un jour l'humble pêcheur de Galilée, l'apôtre Pierre, humainement dépourvu et faible, mais soutenu intérieurement par la force de l'Esprit qui faisait de lui le courageux porteur de la Bonne Nouvelle destinée à conquérir le monde. Dans cette même ville est arrivé maintenant un nouveau successeur de Pierre, soumis lui aussi à tant de limites humaines, mais confiant en l'aide indéfectible de la grâce, et venant d'un pays pour lequel vous avez bien voulu, Monsieur le Maire, avoir des paroles de sympathie et de cordialité.

Le nouveau pape commence officiellement aujourd'hui son ministère d'évêque de Rome et de pasteur d'un diocèse qui n'a pas d'égal dans le monde. Je ressens vivement la responsabilité découlant des problèmes complexes qu'entraîné avec soi l'assistance pastorale d'une communauté qui s'est vertigineusement développée ces dernières années. Et je ne saurais m'empêcher de considérer avec sympathie ceux qui, portant sur les épaules, la charge et l'honneur de l'administration civique de la ville, se prodiguent pour l'amélioration des conditions ambiantes, pour le rééquilibre des situations sociales inadéquates, pour l'élévation du niveau général de vie de la population.

En souhaitant que le but auquel tend cet important service rendu à la population soit heureusement atteint, j'exprime également le voeu que l'Administration municipale, faisant proprement sienne une vision du bien commun comprenant toute valeur humaine authentique, sache réserver également une attention ouverte et cordiale aux exigences imposées par la dimension religieuse de la ville qui, en vertu des incomparables valeurs chrétiennes qui caractérisent sa physionomie, est un centre d'attraction de pèlerins provenant de chaque partie du monde.

Avec ces sentiments, j'invoque la bénédiction de Dieu sur cette ville que je sens mienne désormais et je vous souhaite, à vous Monsieur le Maire, à vos collaborateurs et à toute la grande famille du peuple romain, une sereine prospérité et un progrès civil marqué par la concorde, le respect réciproque, l'aspiration sincère à une coexistence pacifique, harmonieuse et juste.







13 novembre 1978



MISSION D'ÉVANGÉLISATION EN HARMONIE AVEC LE CONCILE



Aux évêques néo-zélandais en visite « ad limina »

Jean Paul II s'adressa le 13 novembre aux évêques de Nouvelle-Zélande en visite « ad limina».



Chers frères en Nôtre-Seigneur Jésus-Christ,



Je serai toujours reconnaissant envers le Seigneur qui m'a donné l'occasion de me rendre en visite en Nouvelle-Zélande. Bien que mon séjour parmi vous, en 1973, fut très bref, il m'a donné une grande joie. Soyez assurés que le souvenir de ces jours est resté très vif dans mon esprit et ceci est également une raison de plus pour faire tout mon possible pour être utile à votre peuple bien-aimé dans l'Évangile du Christ. Et aujourd'hui, j'espère qu'avec la grâce de Dieu, je pourrai remplir mon ministère papal à votre égard, mes frères les évêques : comme successeur de Pierre, je désire vous confirmer dans la profession de foi de l'apôtre, de manière que vous puissiez à votre tour, avec une vigueur nouvelle et une force renouvelée, continuer à prêcher Jésus-Christ, le Fils du Dieu vivant, et aider vos populations à réaliser pleinement leur dignité chrétienne et atteindre leur destinée finale.


L'Église, lumière du Christ





Le concile Vatican II a voulu éviter tout semblant de triomphalisme dans l'Église. A cet égard, il a souligné que le Christ a appelé son Église « à cette réforme permanente dont elle a continuellement besoin en tant qu'institution humaine et terrestre » (Unitatis Redintegratio, n° 6). Le Concile n'a jamais eu l'idée de proclamer que l'Église possède toujours une solution immédiate et facile aux problèmes individuels (cf. Gaudium et Spes, n° 33) ; il souhaita, toutefois, mettre en valeur le rôle d'enseignement de l'Église : le fait est que Dieu l'a dotée de lumières pour qu'elle puisse offrir des solutions aux problèmes qui affectent l'humanité (cf. Gaudium et Spes, GS 12). Le concile désire que, grâce à l'annonce de l'Évangile, tous les peuples soient illuminés de la lumière du Christ que reflète le visage de l'Église (cf. Lumen Gentium, n° 1).

L'Église reflète fidèlement la lumière du Christ, et du Christ elle a reçu un message qui répond aux aspirations fondamentales du coeur humain. Dans la Constitution pastorale sur l'Église dans le monde d'aujourd'hui, il nous est rappelé .que « les évêques, qui ont reçu la charge de diriger l'Église de Dieu, doivent prêcher avec leurs prêtres le message du Christ, de telle sorte que toutes les activités terrestres des fidèles puissent être baignées de la lumière de l'Évangile » (Gaudium et Spes, GS 43). En tant qu'évêques, vous êtes tenus de remplir constamment ce rôle de service pastoral : porter le trésor de la Parole de Dieu dans la vie de chaque membre du troupeau afin de le marquer profondément, porter la lumière du Christ dans toute vie individuelle ou communautaire.

La grande mission de l'évêque : garder le dépôt de la doctrine chrétienne





Je désire vous assurer maintenant que je suis parfaitement conscient des liens qui vous unissent dans l'Église et dans sa communion hiérarchique. Vous avez mes prières et mon appui pour tout ce qui concerne votre travail apostolique. En particulier, je suis totalement avec vous dans votre mission de protéger la vie humaine à tous ses niveaux. Dans tous vos efforts catéchistiques, dans votre activité en faveur de l'éducation catholique, vous pouvez compter sur la solidarité de l'Église universelle. Comme elle est importante l'oeuvre qui consiste à pourvoir les enfants d'écoles catholiques où ils peuvent          « grandir de toutes manières vers Celui qui est la Tête, le Christ » (Ep 4,15) ! Quelle grande mission est pour l'évêque celle de garder le dépôt de la doctrine chrétienne, de manière que chaque génération nouvelle puisse recevoir la plénitude de la foi apostolique! Et combien profondes sont la sensibilité paternelle et la direction spirituelle auxquelles l'évêque est appelé pour s'associer effectivement tout le diocèse dans l'exercice d'une vigilance collective nécessaire pour maintenir une fidèle éducation catholique ! Par la parole et l'exemple, par la prière, l'évêque doit inciter chaque membre de la famille chrétienne à accomplir sa part, de sorte que la lumière du Christ baigne chacun dans tout aspect vital de la vie moderne.

En dépit des difficultés et des obstacles, nous ne devons jamais faiblir dans notre tâche de travailler pour le rétablissement de l'unité chrétienne, conformément au désir ardent du coeur du Christ. Les directives du Concile oecuménique sont décisives, et ses appels à la conversion et à la sainteté sont aujourd'hui aussi impérieux qu'il y a quatorze ans quand il les a lancés : « Que les fidèles se souviennent tous qu'ils favoriseront l'union des chrétiens, bien plus, qu'ils la réaliseront, dans la mesure où ils s'appliqueront à vivre plus purement selon l'Évangile» (Unitatis Redintegratio, n° 7). Le grand héritage oecuménique du Concile a été succinctement résumé par Paul VI dans les dernières lignes de son testament, où il nous propose, une fois de plus, la méditation et la prière, les nôtres et celles de l'Église tout entière. « Que l'on poursuive l'oeuvre de rapprochement avec les frères séparés, avec beaucoup de compréhension, beaucoup de patience ; avec un grand amour ; mais sans dévier de la vraie doctrine catholique ». Ce délicat travail dépasse les forces humaines ; seul l'Esprit-Saint peut nous mener à sa conclusion. Avec un amour intense, nous devons prier le Père. « Le Royaume est proche, il nous sera donné ».

Avec ces réflexions, je réitère mon affection dans le Christ pour tous les catholiques et pour tous vos compatriotes de Nouvelle-Zélande. Mon amour s'adresse tout spécialement aux pauvres, aux malades, à ceux qui souffrent. J'envoie un salut particulier au peuple maori et l'encourage à se maintenir ferme dans la foi et fervent dans l'amour.

Ma bénédiction apostolique « à vous tous qui êtes dans le Christ ! » (1P 5,14).







14 novembre 1978


Discours 1978 27