Discours 1978 36

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PORTEZ LA JOIE ET L'ESPÉRANCE I


Une fois de plus, la foule était tellement nombreuse que le. Saint-Père a dû parler successivement à deux auditoires, celui du grand hall des audiences, l'autre, celui de la basilique Saint-Pierre où se pressaient 12 000 jeunes : des jeunes qui ne cessaient de l'applaudir, de clamer leur enthousiasme. Et Jean Paul II a dû leur faire à plusieurs reprises cette singulière requête: «Accordez-moi la parole ! »

Et, finalement, le pape a pu parler...



Mes très chers jeunes garçons et filles,



Cette rencontre hebdomadaire du Pape avec les jeunes et les adolescents — si enthousiasmante et si vive — est vraiment un signe de joie et d'espérance. Signe de joie, car là où il y a des jeunes, des adolescents, des enfants, il y a garantie de joie en ce sens qu'il s'y trouve la vie dans sa floraison la plus spontanée, la plus luxuriante. Vous possédez abondamment et vous donnez généreusement cette «joie de vivre» à un monde qui parfois est las, découragé, défiant, déçu. Notre rencontre est aussi un signe d'espérance parce que les adultes, non seulement vos parents, mais aussi vos instituteurs, vos professeurs et tous ceux qui collaborent à votre croissance et votre maturation physique et intellectuelle, voient en vous ceux qui réaliseront ce qu'ils n'ont pu — à la suite de diverses circonstances — eux-mêmes accomplir.

Aussi, un jeune sans joie et sans espérance est-il non pas un jeune authentique, mais un homme flétri et vieilli prématurément. C'est pourquoi le Pape vous dit : Portez, communiquez, faites rayonner la joie et l'espérance.

Le thème de l'Audience d'aujourd'hui est étroitement lié à tout ce que j'ai rappelé jusqu'à présent : les précédents mercredis, poursuivant le programme laissé presque comme testament par mon regretté Prédécesseur Jean Paul Ier, j'ai parlé des vertus cardinales : la prudence, la justice et la force. Aujourd'hui je vous parlerai brièvement de la quatrième vertu cardinale, la tempérance, la sobriété. Saint Paul écrivait à son disciple Tite, qu'il avait laissé dans l'île de Crête comme évêque : « exerce les jeunes à être sobres » (Tt 2,6). Répondant, moi aussi, à l'invitation de l'Apôtre des Gentils, je voudrais déclarer d'abord que les attitudes de l'homme provenant des diverses vertus cardinales sont mutuellement interdépendantes et unies. On ne saurait être un homme vraiment prudent, ni authentiquement juste, ni réellement fort, si l'on ne possède pas la vertu de tempérance. Celle-ci conditionne indirectement toutes les autres vertus ; mais celles-ci sont également indispensables pour que l'homme puisse être « tempérant » ou « sobre ». Temperantia est commune omnium virtutum cognomen — écrivait au VIe siècle saint Jean Climaque (Échelle du paradis, 5) — ce que nous pourrions traduire par : « la tempérance est le dénominateur commun de toutes les autres vertus ».

Il peut sembler étranger de parler de la tempérance ou de la sobriété à des jeunes gens et à des adolescents. Pourtant, très chers fils, cette vertu cardinale vous est particulièrement nécessaire, à vous qui vous trouvez dans cette période merveilleuse et délicate où votre réalité biopsychique croît jusqu'à sa parfaite maturité ; nécessaire pour être capable, physiquement et spirituellement, d'affronter les hauts et les bas de la vie, dans ses exigences les plus variées.

Est tempérant celui qui n'abuse pas des aliments, des boissons, des plaisirs ; celui qui ne boit pas immodérément de l'alcool ; qui ne se prive pas de sa conscience en usant de stupéfiants et de drogues. Nous pouvons imaginer en nous un « ego inférieur » et un « ego supérieur ». Dans notre « ego inférieur » s'exprime notre « corps », avec ses besoins, ses désirs, ses passions de nature sensible. La vertu de tempérance assure à tout homme la domination de l'« ego supérieur » sur l’« ego inférieur ». S'agirait-il en ce cas d'une humiliation, d'une diminution de notre corps ? Au contraire ! Cette domination le valorise, l'exalte.

L'homme tempérant est celui qui a la maîtrise de soi-même ; celui chez qui les passions ne l'emportent pas sur la raison, sur la volonté et, également, sur le coeur. On comprend alors combien indispensable est la vertu de tempérance pour que l'homme soit pleinement homme, pour que le jeune soit authentiquement jeune. Le triste et avilissant spectacle d'un homme ivre ou d'un drogué nous fait clairement comprendre qu'être homme signifie, avant toute autre chose, respecter sa propre dignité, se faire guider par la vertu de tempérance. Se dominer soi-même, maîtriser ses propres passions, la sensualité, ne signifie nullement devenir insensible ou indifférent : la tempérance dont nous parlons est une vertu chrétienne, que nous apprenons de l'enseignement et de l'exemple de Jésus et non pas de. la morale dite « stoïque ».

La tempérance exige de chacun de nous une humilité spécifique à l'égard des dons que Dieu a placés dans notre nature humaine. Il y a « l'humilité du corps » et « l'humilité du coeur ». Cette humilité est une condition nécessaire de l'harmonie intérieure de l'homme, de sa beauté intérieure. Réfléchissez bien, vous les jeunes qui êtes précisément à l'âge où l'on tient tant à être beau ou belle pour plaire aux autres ! Un jeune homme, une jeune fille doivent être beaux, avant tout et surtout intérieurement. Sans une telle beauté intérieure, tous les autres efforts tournés seulement vers le corps ne feront — ni de lui ni d'elle — une personne vraiment belle.

Et moi je vous souhaite, très chers fils, d'être toujours resplendissants de beauté intérieure !







23 novembre 1978

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PRIORITÉ AUX VOCATIONS SACERDOTALES


Aux évêques du Honduras en visite « ad limina »



Vénérables Frères en l'épiscopat,



Après l'entrevue individuelle avec chacun de vous, j'ai le plaisir de recevoir collectivement tous les membres de l'épiscopat du Honduras à l'occasion de la visite « ad limina Apostolorum » que vous accomplissez ces jours-ci.

Si durant notre entrevue précédente, nous avons parlé des aspects particuliers de chacun de vos diocèses, maintenant je désire traiter quelques thèmes qui concernent la vie de l'Église du Honduras dans son ensemble.

Vos paroles et les rapports qui m'ont été présentés m'ont permis de constater avec joie que l'oeuvre évangélisatrice en Honduras s'est intensifiée ces dernières années et que de ce fait la pratique de la religion s'est développée, en même temps que l'esprit religieux s'est amélioré, surtout dans certains secteurs. Ce sont des motifs d'espérance, mais ils font aussi penser à la principale des difficultés que l'Église rencontre en votre pays, et qui provient de la carence de prêtres.

Si bien que, grâce à Dieu, le laïcat catholique du Honduras a pris conscience de ses responsabilités au sein de l'Église et il contribue de manière positive à la tâche ecclésiale de diffusion du message évangélique. Cette contribution témoigne de la maturité de la conscience chrétienne et mérite les grands éloges.

Elle ne saurait toutefois faire oublier la fonction propre et irremplaçable qui, dans la sanctification du Peuple de Dieu, revient aux prêtres que le Seigneur a établis « pour que dans la communauté des chrétiens ils soient investis par l'Ordre du pouvoir sacré d'offrir le Sacrifice et de remettre les péchés et y exercent publiquement pour les hommes au nom du Christ la fonction sacerdotale » (Décret Presbyterorum Ordinis, PO 2).

Il s'agit d'une question d'importance vitale pour l'Église. C'est d'elle que découle le devoir précis de s'intéresser, de manière absolument prioritaire et avec la plus grande sollicitude, aux vocations du sacerdoce et, parallèlement, aux vocations à la vie consacrée. C'est une grande tâche à laquelle il faut se consacrer avec la plus grande diligence, éduquant ensuite ces vocations à un solide sens de la foi et du service à rendre au monde actuel.

Pour créer un milieu propice à l'éclosion des vocations, la communauté ecclésiale devra offrir un témoignage de vie conforme aux valeurs essentielles de l'Évangile afin de pouvoir ainsi sensibiliser les âmes généreuses pour les orienter vers l'oblation totale au Christ et au prochain. Avec confiance en le Seigneur et en la récompense qu'il a promise à ceux qui le servent avec fidélité.

En pensant à vos prêtres, je vous recommande tout spécialement d'accorder les soins les plus attentifs à vos collaborateurs pour qu'ils maintiennent toujours bien vives leur propre identité et la donation ecclésiale qu'ils ont faite. Aidez-les, par la parole et l'exemple, à être parfaitement conscients de la grandeur de leur fonction de continuateurs de la mission salvatrice du Christ, et de la nécessité de s'adapter de plus en plus à elle.

Cela demande un effort constant pour éviter de se modeler sur le monde (cf. Rm Rm 12,2), pour raviver en soi la grâce que Dieu y a déposée par l'imposition des mains (cf. 1Tm 1,6), pour vivre par le Christ qui vit en nous (cf. Ga Ga 2,20). Ce n'est que dans cet esprit de foi que les prêtres pourront être pleinement conscients de la sublime valeur de leur propre état et de leur mission.

Pour l'exercice du ministère sacré, pour donner sa pleine efficacité à l'effort d'évangélisation, il est essentiel de maintenir une très étroite communion entre l'évêque et les prêtres. Le premier, dans un esprit d'authentique charité et en exerçant son autorité dans une attitude de service (cf. Mt Mt 20,28) ; ces derniers, en se montrant fidèles aux directives données par leur Ordinaire, conscients de former « une seule famille dont le père est l'évêque » (Décret sur la charge pastorale des évêques dans l'Église, 28). C'est pourquoi, j'invite vos prêtres à penser qu'ils ne pourront réaliser rien de stable ou de constructif dans leur ministère s'ils prétendent le faire hors de la communion avec leur propre évêque ; et moins encore, s'ils le font contre elle. Sans parler des dommages et du trouble que de telles attitudes créent parmi les fidèles.

Chers frères, j'aimerais pouvoir traiter ici encore tant d'autres questions. Que suffise maintenant ma parole d'encouragement pour votre action pastorale. A votre retour au pays, transmettez vous-mêmes ces paroles d'encouragement du pape à vos prêtres et séminaristes, aux religieux — une part si importante de vos collaborateurs — aux religieuses et aux laïcs. Portez-leur le salut affectueux du pape qui les garde présents dans sa prière, les encourage à leur respectif engagement ecclésial et les bénit de tout coeur.







23 novembre 1978

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L'UNIVERSALITÉ DE L'ÉGLISE DANS LA VARIÉTÉ DES RITES


Aux évêques américains de rite oriental en visite « ad limina »

Le 23 novembre, le Saint-Père a reçu un groupe d'évêques de la province byzantine Ruthène ainsi que l'évêque de Saint-Maron de Brooklyn pour les maronites, venus à Rome pour leur visite canonique « ad limina ».



Chers Frères qui participez au ministère épiscopal de l'Église du Christ,



Nous vous saluons avec profond respect et affection. Les fidèles chrétiens que vous servez sont des citoyens d'une nation encore jeune, mais aussi les héritiers de deux des anciennes traditions qui enrichissent l'unique Église du Christ. Aussi, en vous souhaitant la bienvenue, embrassons-nous également les Églises dont vous avez la charge, exprimant notre sincère vénération et notre amour pour elles.

L'Église, en effet, est enrichie par de telles traditions vénérables et serait bien plus pauvre si elles manquaient. Leur variété contribue, dans une large mesure, à sa splendeur. Elles conservent beaucoup de grandes valeurs artistiques et culturelles dont la perte serait douloureusement ressentie. Chacune d'elles est digne en soi de grande admiration.

Ces traditions, toutefois, ne sont pas une simple parure de l'Église. Dans une union fraternelle elles constituent un important moyen dont dispose l'Église pour manifester devant le monde l'universalité du salut dans le Christ et accomplir sa mission de faire de toutes les nations des disciples.

La variété au sein de la fraternité que l'on trouve dans l'Église catholique est loin de nuire à son  unité ; au contraire, elle la manifeste plutôt en montrant comment tous peuples et cultures sont appelés à être organiquement unis dans l'Esprit-Saint, grâce à la même foi, aux mêmes sacrements, au même gouvernement.

Chaque tradition doit apprécier et chérir les autres. L'oeil ne peut dire à la main « Je n'ai pas besoin de toi » ; en effet, si le tout était un seul membre, où serait le Corps ? (cf. 1Co 12,19-21). L'Église est le Corps du Christ et les différentes parties de ce Corps sont ordonnées pour concourir au bien de l'ensemble et collaborer à cet effet avec toutes les autres.

Il appartient à chaque tradition particulière d'apporter sa propre collaboration au bien de l'ensemble. La compréhension de la foi par chacune d'elle s'approfondit par la doctrine contenue dans les oeuvres des Pères et des écrivains spirituels des autres, par les richesses théologiques trouvées dans les autres liturgies telles que, pendant des siècles, elles se sont développées sous l'inspiration du Saint-Esprit et la direction des légitimes autorités ecclésiastiques ainsi que les manières de vivre la foi que les autres ont reçues des Apôtres. Chaque tradition peut trouver un appui dans les exemples de zèle, de fidélité et de sainteté que fournit l'histoire des autres.

Le Concile Vatican II a déclaré que « tout le monde doit savoir qu'il est très important de connaître, vénérer, conserver, développer le si riche patrimoine liturgique et spirituel de l'Orient pour conserver fidèlement la plénitude de la tradition chrétienne » (Unitatis Redintegratio, UR 15). Le Concile a déclaré également que « tout le patrimoine spirituel et liturgique, disciplinaire et théologique, dans ses diverses traditions, fait partie pleinement de la catholicité et de l'apostolicité de l'Église » (ibid., n. 17).

Mes Frères les évêques, je respecte et apprécie grandement les vénérables traditions auxquelles vous appartenez et je désire les voir s'épanouir.

J'aimerais que chaque membre de l'Église catholique les chérisse comme ses propres traditions :      « En effet, c'est la volonté de l'Église catholique de sauvegarder dans leur intégrité les traditions ou rites de chacune des Églises particulières et elle veut pareillement adapter sa manière de vivre aux nécessités diverses de temps et de lieu» (Orientalium Ecclesiarum, OE 2). Vous et les Églises auxquelles vous présidez, devrez en parfait accord protéger votre héritage et avoir soin de le transmettre dans toute son intégrité aux générations futures.

Je souhaite également que chaque membre de l'Église catholique reconnaisse aux autres rites une égale dignité dans le cadre de son unité. Chaque rite est appelé à assister les autres, travaillant tous ensemble en parfaite harmonie et en bon ordre pour le bien de l'ensemble et pas seulement pour leur bien-être particulier.

Je vous donne l'assurance de mes prières pour tous les membres de vos Églises dans les États-Unis d'Amérique." Je prie aussi pour vos concitoyens et pour vos frères dans les pays dont proviennent vos ancêtres. Pour beaucoup d'entre vous, ces pays sont proches de ma propre patrie. Pour l'un de vous, cela rappelle une des zones les plus cruellement éprouvées dans le monde d'aujourd'hui, je parle du Liban, un pays qui a tout spécialement besoin de nos prières pour que cessent l'hostilité et l'oppression, afin que ses habitants puissent y vivre dans la paix et dans l'entente.

Nous concluons en invoquant sur tout votre peuple les bénédictions du Dieu Tout-Puissant.







24 novembre 1978

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« POUR L'ÉGLISE UNIVERSELLE DANS UNE ÉGLISE LOCALE DÉTERMINÉE »


Jean Paul II aux Supérieurs Généraux

Le 24 novembre dernier, le Saint-Père a reçu en audience le groupe des quatre-vingt dix Supérieurs Généraux participant à une rencontre à Rome et accompagnés du cardinal Eduardo Pironio, préfet de la Sacrée Congrégation pour les religieux et les instituts séculiers. Répondant à l'adresse d'hommage du cardinal Pironio et à celle du RJ*. Pedro Arrupe, préposé général de la Compagnie de Jésus, Jean Paul II a prononcé un discours en italien dont voici la traduction :



Très chers Fils,



1. Celle-ci est pour moi la première occasion de rencontre avec les Supérieurs Généraux des Ordres masculins, une rencontre à laquelle j'attribue une toute particulière importance. Quand je vous vois réunis ici, m'apparaissent devant les yeux de magnifiques figures de saints, des grands saints qui sont à l'origine de vos familles religieuses : Basile, Augustin, Benoît, Dominique, François, Ignace de Loyola, François de Sales, Vincent de Paul, Jean-Baptiste de la Salle, Paul de la Croix, Alphonse-Marie de Ligori ; et plus proche de nous, Joseph Benoît Cottolengo, Jean Bosco, Vincent Pallotti ; pour ne pas parler des très récents dont la sainteté attend encore le jugement définitif de l'Église, mais dont l'influence bénéfique est démontrée par la phalange d'âmes généreuses qui ont choisi de suivre leur exemple. Tous ces noms — et je n'en ai rappelé que quelques-uns — témoignent que les voies de la sainteté à laquelle sont appelés les membres du Peuple de Dieu passaient et passent, en grande partie, à travers la vie religieuse. Et il ne faut pas s'en étonner, étant donné que la vie religieuse est fondée sur la plus précise des « recettes » de sainteté, celle qui est constituée par l'amour réalisé selon les conseils évangéliques.

En outre, sous l'inspiration de l'Esprit-Saint que le Christ a promis à son Église, chacun de vos fondateurs était un homme qui possédait un charisme particulier. Le Christ a eu en lui un                       « instrument » exceptionnel pour son oeuvre de salut qui s'est, spécialement par ce moyen, perpétuée dans l'histoire de la famille humaine. Peu à peu, l'Église a assumé ces charismes, les a évalués et, lorsqu'elle les a trouvés authentiques, elle en a remercié le Seigneur et a cherché à les « mettre en  sûreté » dans la vie de la communauté, afin qu'ils puissent donner toujours des fruits. Le Concile Vatican II l'a rappelé, soulignant que la hiérarchie ecclésiastique dont c'est le rôle de paître le Peuple de Dieu et de le conduire vers de gras pâturages, « suivant docilement les inspirations du Saint-Esprit, reçoit les règles proposées par des hommes et des femmes éminents, et quand elles ont été bien mises au point, les approuve officiellement. Elle accorde aussi la protection de son autorité vigilante aux instituts érigés un peu partout pour l'édification du Corps du Christ, pour qu'ils croissent et fleurissent de toute façon selon l'esprit des fondateurs » (Constitution dogmatique Lumen Gentium, LG 45,1).

C'est cela que je désire tout d'abord constater et exprimer durant notre première rencontre. Je n'entends pas faire ici un rappel « au passé » compris comme période historique conclue en elle-même ; j'entends me référer à la « vie » de l'Église dans sa plus profonde dynamique. A la vie, telle qu'elle se présente devant nous, aujourd'hui, apportant avec elle la richesse des traditions du passé, pour nous donner la possibilité d'en bénéficier aujourd'hui.



2. La vocation religieuse est un des grands problèmes de l'Église de notre époque. C'est précisément pour cette raison qu'il est nécessaire avant tout de réaffirmer avec force que la vocation appartient à cette plénitude spirituelle que l'Esprit lui-même — esprit du Christ — suscite et façonne dans le Peuple de Dieu. Sans les Ordres religieux, sans la vie « consacrée » et les voeux de chasteté, de pauvreté et d'obéissance, l'Église ne serait pas pleinement elle-même. En effet, les religieux, « par leur être le plus profond se situent dans le dynamisme de l'Église, assoiffée de l'Absolu de Dieu, appelée à la sainteté. C'est de cette sainteté qu'ils témoignent. Ils incarnent l'Église désireuse de se livrer au radicalisme des béatitudes. Ils sont par leur vie signes de totale disponibilité pour Dieu, pour l'Église, pour les frères » (Exhort. Apost. Evangelii Nuntiandi, EN 69). Acceptant cet axiome, nous devons, avec la plus grande perspicacité, nous demander comment il faut aider la vocation religieuse à prendre conscience d'elle-même et à mûrir, comment doit « fonctionner » la vie religieuse dans l'ensemble de la vie de l'Église contemporaine. Soyons toujours à rechercher — justement une réponse à cette demande. Nous la trouverons :

a) dans l'enseignement du Concile Vatican II ;

b) dans l'exhortation Evangelii Nuntiandi ;

c) dans les nombreux énoncés des pontifes, des synodes et des conférences épiscopales.

Cette réponse est fondamentale et multiforme. Il semble toutefois que s'y précise particulièrement un postulat : si toute la vie de l'Église a deux dimensions — horizontale et verticale — les Ordres religieux doivent tenir compte avant tout de la dimension verticale !

Il est notoire que les Ordres religieux ont toujours fait grand cas de la dimension verticale, entrant dans la vie avec l'Évangile et en donnant témoignage par leur propre exemple. Avec l'Évangile authentiquement relu : c'est-à-dire sur la base de l'enseignement de l'Église et de la fidélité à son Magistère. Il faut qu'il en soit encore de même aujourd'hui. Testificatio, sicconstestatio, non ! (Le témoignage, oui — la contestation, non !). Sur toute communauté, sur chaque religieux pèse une responsabilité particulière au sujet de l'authentique présence dans le monde actuel, de Jésus, qui est doux et humble de coeur, du Christ crucifié et ressuscité — le Christ parmi les frères. L'esprit de maximalisme évangélique se différencie de n'importe quel radicalisme socio-politique. Le                     « témoignage silencieux de pauvreté et de dépouillement, de pureté et de transparence, d'abandon dans l'obéissance » que les religieux sont appelés à donner « peut devenir, en même temps qu'un appel adressé au monde et à l'Église elle-même, une éloquente prédication capable de toucher même les non chrétiens de bonne volonté, sensibles à certaines valeurs » (Exhort. Apost. Evangelii Nuntiandi, EN 69,2).



3. Le document commun de la Sacrée Congrégation pour les religieux et les instituts séculiers et de la Sacrée Congrégation pour les évêques indique ce que devront être les rapports des congrégations religieuses avec le collège épiscopal, les évêques des divers diocèses et les conférences épiscopales. C'est un document de grande importance, auquel il faudra accorder une toute spéciale attention au cours des prochaines années, s'efforçant d'avoir une attitude intérieure de suprême disponibilité, en harmonie d'ailleurs avec cette docilité humble et prompte qui doit constituer un aspect distinctif du religieux catholique.

Où que vous soyez dans le monde, vous y êtes, en vertu de votre vocation, « pour l'Église universelle », tout en exerçant votre mission « dans une Église locale déterminée ». Votre vocation pour l'Église universelle se réalise donc dans le cadre de l'Église locale. Il ne faut rien négliger pour que « la vie consacrée » se développe dans les diverses Églises locales, de telle sorte qu'elle contribue à leur édification spirituelle et constitue leur force particulière. L'unité avec l'Église universelle dans le cadre de l'Église locale : voilà votre vie.



4. Permettez-moi, avant de conclure, de revenir sur un point que je considère comme fondamental dans la vie de tout religieux, quelle que soit-la famille à laquelle il appartient : j'entends me référer à la dimension contemplative, à l'engagement de la prière. Le religieux est un homme consacré à Dieu, par le Christ, dans la charité de l'Esprit. Ceci est une donnée ontologique qui doit émerger de la conscience et orienter la vie, non seulement au bénéfice de l'individu, mais aussi à l'avantage de la communauté tout entière qui expérimente dans les âmes consacrées et y savoure de manière toute particulière la présence vivifiante de l'Époux divin.

Aussi, très chers Fils, ne devez-vous pas avoir peur de rappeler fréquemment à vos confrères qu'une pause de véritable adoration a une plus grande valeur et produit plus de fruits spirituels que l'activité la plus intense, même si c'est une activité apostolique. Ceci est la « contestation » la plus urgente que les religieux doivent opposer à une société où l'efficience est devenue une idole sur l'autel de laquelle il n'est pas rare que l'on sacrifie sa propre dignité humaine.

Vos maisons doivent être avant tout des centres de prière, de recueillement, de dialogue — personnel et communautaire — avec celui qui est et doit rester le premier et principal interlocuteur dans la laborieuse succession de vos journées. Si vous savez alimenter ce « climat » d'intense et amoureuse communion avec Dieu, il vous sera possible de poursuivre, sans tensions traumatiques ou dangereuses dispersions, ce renouvellement de la vie et de la discipline auquel le Concile oecuménique Vatican II vous a invités. L'âme qui vit dans un contact habituel avec Dieu et agit sous le rayon plein de chaleur de son amour est parfaitement capable de se soustraire à la tentation des particularismes et des oppositions qui font courir le risque de douloureuses divisions ; elle sait interpréter, sous la vraie lumière évangélique, l'option en faveur des plus pauvres et de toutes les victimes de l'égoïsme humain, sans se laisser aller à des radicalisations socio-politiques qui, à la longue, se révèlent inopportunes, contre-productrices et génératrices elles-mêmes de nouvelles vexations ; elle sait se rapprocher des gens et se glisser au sein du peuple, sans mettre en question sa propre identité religieuse ni embrumer cette « originalité spécifique » de sa propre vocation qui dérive de sa particulière manière d'être à la suite du Christ, pauvre, chaste et obéissant.

Voilà, très chers Fils, les réflexions que j'avais hâte de soumettre à votre considération au cours de notre première rencontre. Je suis certain que vous ne manquerez pas de vous efforcer de la transmettre à vos confrères, en les enrichissant de votre expérience et de votre sagesse. Que la Vierge Sainte vous assiste dans votre délicate tâche ! Elle que, dans son exhortation apostolique Marialis Cultus, mon prédécesseur Paul VI, de vénérée mémoire, indiquait comme « la Vierge à l'écoute », la Vierge en prière, la Vierge qui engendra le Christ et l'offrit pour le salut du monde, la Vierge donc, reste le modèle irremplaçable de toute vie consacrée. Puisse-t-elle être votre guide dans la montée, laborieuse mais séduisante, vers l'idéal de la pleine assimilation au Christ, le Seigneur.

Que vous accompagnent mes voeux et ma bénédiction apostolique.







25 novembre 1978

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LA SOCIÉTÉ AU SERVICE DE L'HOMME


Le pape aux Juristes catholiques italiens



Illustres Messieurs et très chers Fils,



C'est avec une profonde joie que je vous reçois aujourd'hui, Juristes catholiques italiens, venus à Rome pour le vingt-neuvième Congrès national de votre Union qui a, et nous pouvons le dire, anticipé, dès sa constitution, les directives du Concile oecuménique Vatican II au sujet de la mission du laïcat catholique. Des personnalités éminentes en raison de leur foi ardente, de leur profonde pensée philosophique et de leur indiscutable compétence technico-juridique ont voulu s'engager, dans le cadre de votre méritoire société « à collaborer à la réalisation des principes de l'éthique chrétienne dans la science juridique, dans l'activité législative, judiciaire et administrative et dans la vie publique et professionnelle » comme l'indiquent vos statuts à l'article II.

Je trouve extrêmement réconfortant pour moi, non seulement votre présence qualifiée à cette audience, mais aussi le fait de savoir que, durant ces trente années, l'Union s'est efforcée de donner une inspiration chrétienne à de nombreux domaines de la vie sociale. En sont un signe et une démonstration les actes des rencontres d'études et les publications que l'Union a créées, toutes caractérisées par l'esprit de service en faveur de la personne humaine, dans le but d'affirmer et promouvoir ses droits et ses valeurs inaliénables de liberté, d'inviolabilité, de développement.

Mais est surtout réconfortante la constante fidélité démontrée à l'égard de l'Église, du pape, des évêques dont votre Union a toujours accueilli, avec respect, amour et dévotion, les enseignements et les directives, sans jamais céder aux flatteries et aux tentations d'autonomie mal comprise en proposant et en défendant les principes de l'éthique naturelle et chrétienne qui régissent l'institution matrimoniale, et en affirmant, également dans les coutumes et dans la loi, le caractère inviolable et sacré de la vie humaine dès le moment de sa conception. Votre Union a considéré comme un honneur, avant même d'y voir un devoir, d'accueillir et suivre la parole du vicaire du Christ. Et cette parole, pleine d'autorité, ne vous a pas manqué dans le passé : Pie XI, Jean XXIII et Paul VI ont prononcé, à l'occasion des Congrès de l'Union, des discours de haute valeur doctrinale, éclairant les graves problèmes que la vie de la société soumet au juriste chrétien de la lumière des principes et des indications de valeur universelle. Il me plaît de rappeler le discours — toujours aussi actuel — que Paul VI, de vénérée mémoire, vous adressa le 9 décembre 1972 à l'occasion de votre Congrès consacré à la « Défense du droit à la naissance ».

Et la parole du pape ne saurait vous manquer aujourd'hui, à l'occasion de votre Congrès qui a pour thème : « La liberté de l'assistance ».

Un tel sujet — si délicat et si vif — doit, sans aucun doute, être examiné par le juriste dans l'ensemble complexe des problèmes juridiques qu'il soulève (constitutionnel, technico-législatifs, philosophiez juridiques), mais il ne saurait être approfondi de manière appropriée sans mettre en cause le projet de société qu'on veut réaliser et, encore en premier lieu, la vision de la personne humaine — de ses droits et de ses libertés — qui qualifie le projet de société lui-même.

La société est faite pour l'homme « hominis causa omne jus constitutum est ». La société avec ses lois est mise au service de l'homme. Et c'est pour le salut de l'homme que Jésus a fondé l'Église (cf. Const. Dogm. Lumen Gentium. LG 48 Const. Past. Gaudium et Spes, GS 45). C'est pour ces raisons que l'Église, elle aussi, a son mot à dire à ce sujet.

Et elle doit, avant tout, dire que le problème de « la liberté d'assistance » dans un État moderne qui veut être démocratique s'insère dans le plus ample discours des droits de l'homme, des libertés civiles et de la liberté religieuse elle-même.

. L'homme est un être intelligent et libre, ordonné, par destination 'naturelle, à réaliser dans la société toute la potentialité de sa personne. Les manifestations de sa socialité innée sont la société naturelle fondée sur le mariage un et indissoluble telle qu'est la famille, les libres formations intermédiaires, la communauté politique dont l'État dans ses diverses subdivisions institutionnelles est la forme juridique. Celui-ci doit garantir à tous ses membres la possibilité d'un plein développement de leur personne. D'où découle l'exigence que soient offerts à toute personne en état de nécessité ou de besoin causé par la maladie, la pauvreté ou n'importe quelle infirmité, les services et l'assistance que requiert leur situation particulière. Avant même d'être un devoir de justice de l'État, c'est un devoir de solidarité de chaque citoyen.

Puis, pour le chrétien, c'est un devoir inéluctable de sa for en Dieu le Père qui appelle tous les hommes à constituer une communauté de frères en Jésus-Christ (cf. Mt Mt 23,8-9) ; c'est une joyeuse obéissance au commandement biblique : « Deus mandavit Mis unicuique de proximo suo » (cf. Sir. 17, 12) ; c'est la pleine réalisation du désir de découvrir, de rencontrer le Christ dans le prochain qui  souffre : «... dans la mesure où vous l'avez fait à l'un de ces plus petits de mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait » (Mt 25,34-40).

C'est sur tout cela que se fonde le devoir de l'assistance, mais aussi sa liberté inaliénable. Le citoyen — individuellement ou associé — doit être libre d'offrir ses services d'assistance de manière correspondant à ses propres capacités et à l'idéal qui l'inspire.

L'Église doit être libre, elle qui en ses débuts, en joignant « l'agapè » à la Cène eucharistique, se manifestait tout entière réunie autour du Christ par le lien de la charité. Ainsi, en tout temps elle se fait reconnaître à ce signe d'amour. Tout en se réjouissant des initiatives d'autrui, elle revendique les oeuvres charitables « comme une partie de sa ,mission et comme un droit inaliénable » (Décret Apostolicam actuositatem, AA 8).

Cette liberté ne serait respectée ni dans la lettre ni dans l'esprit, si devait prévaloir la tendance à attribuer à l'État ou à d'autres expressions territoriales du pouvoir public une fonction centralisatrice et exclusive d'organisation et de gestion directe des services ou de contrôle rigide qui finirait pas dénaturer leur propre et légitime fonction de promotion, de propulsion, d'intégration et aussi — en cas de nécessité — de substitution de l'initiative des libres formations sociales, en vertu du principe de suppléance subsidiaire.

Comme on le sait, l'épiscopat italien, a fait connaître, récemment encore, ses préoccupations devant le danger réel que soient restreints les espaces effectifs de liberté, que soit réduite et toujours plus limitée l'action libre des personnes, des familles, des corps intermédiaires, des associations civiles et religieuses elles-mêmes, en faveur des pouvoirs publics avec comme résultat de diluer les responsabilités et de préparer dangereusement le terrain à une collectivité qui ruine l'homme en supprimant ses droits fondamentaux et ses libres facultés d'expression (cf. Communiqué de la Conférence épiscopale italienne de janvier 1978).

De même, l'épiscopat italien a exprimé sa crainte de voir supprimées ou insuffisamment garanties des oeuvres méritoires. Pendant des siècles, sous l'impulsion de la charité chrétienne, elles ont pris soin des orphelins, des aveugles, des sourds-muets, des vieillards, de tous genres de nécessiteux, grâce à la générosité des bienfaiteurs et au sacrifice personnel, parfois héroïque, de religieux et religieuses et qui, en vertu de dispositions législatives ont dû, bon gré, mal gré, assumer la figure juridique d'Instituts publics d'Assistance et de Bienfaisance, avec toutefois une certaine garantie pour leurs fins institutionnelles.

Le pape ne saurait demeurer étranger à ces préoccupations. Elles concernent la possibilité même pour l'Église d'accomplir sa mission de charité et, tout autant, la liberté des catholiques et de tous les citoyens, individuellement ou associés, de donner la vie à des oeuvres répondant à leur idéal, dans le respect des lois justes et au service du prochain indigent.

C'est pourquoi je forme des voeux pour que votre Congrès connaisse un heureux succès dans l'étude d'un thème qui implique la nature même de l'Église dans son engagement originaire de donation à autrui ; pour que votre très méritante Union continue à offrir à la société italienne un fécond apport d'idées, de propositions, mais surtout un témoignage d'inspiration et de vie chrétienne, spécialement dans le domaine professionnel.

Avec ces voeux, bien volontiers et de grand coeur, je vous donne la bénédiction apostolique que je désire étendre à tous les juristes catholiques et aux personnes qui vous sont chères.







25 novembre 1978


Discours 1978 36