Discours 1978 47

47

PRÉPAREZ-VOUS A LA VIE AVEC SÉRIEUX


Cette fois encore, il a fallu scinder l'audience générale en deux actes et une fois déplus l'enthousiasme des jeunes s'est déchaîné. Une seule nouveauté, mais combien sympathique, même si peu protocolaire. Les jeunes ont franchi la balustrade qui borde le couloir central de la basilique pour permettre au pape de gagner, sans trop de difficultés, l'autel d'où il parlera à son auditoire. Et, l'appelant par son nom, ils lui ont... demandé des autographes.



Chers Jeunes, garçons et filles,



Je vous trouve nombreux et exubérants comme toujours. Je suis heureux de me trouver avec vous aujourd'hui, tant pour ressentir votre chaleureuse communion avec le pape, qui est le successeur de saint Pierre, que pour vous dire qu'à votre égard je nourris une affection toute particulière, parce que je vois en vous les prometteuses espérances de l'Église et -du monde de demain. Rappelez-vous toujours que vous ne pourrez édifier quelque chose de vraiment grand et durable que si vous vous appuyez comme le dit saint Paul sur le seul fondement qu'est Jésus-Christ (l Co 3, 11).

Préparez-vous à la vie avec sérieux, avec coeur. En ce moment de la jeunesse, si importante pour mûrir votre personnalité, sachez donner toujours sa juste place à l'élément religieux de votre formation, celle qui permet à l'homme d'atteindre sa pleine dignité, celle d'être fils de Dieu.

Comme vous le savez bien, les chrétiens vivent ces jours-ci la période liturgique de l'Avent qui est la préparation immédiate à Noël. Déjà mercredi dernier j'ai parlé à de nombreux autres jeunes comme vous, leur expliquant que l'Avent signifie « venue », c'est-à-dire la venue de Dieu parmi les hommes pour partager leurs souffrances et promouvoir la joie dans leur vie. Aujourd'hui je voudrais vous dire de manière générale qui est l'homme, celui qui est appelé à la rencontre et à l'amitié du Seigneur.

Les premières pages de la Bible, que vous avez déjà lues, je pense, nous disent que « Dieu créa l'homme à son image » (Gn 1,27). Ce qui veut dire que l'homme, que tout être humain et donc également chacun de vous, a une parenté particulière avec Dieu. Tout en appartenant à la création visible, à la nature et au monde animal, chacun de nous diffère d'une certaine manière de toutes les autres créatures. Vous savez que quelques savants affirment la dépendance de l'homme de l'évolution de la nature et l'insèrent dans le devenir changeant, dans la mutation des espèces diverses. Dans la mesure où elles sont véritablement prouvées, ces affirmations sont très importantes parce qu'elles nous disent que nous devons respecter le monde naturel dont nous faisons partie. Mais, si nous pénétrons au plus intime de l'homme, nous constatons qu'il se différencie de la nature plus qu'il n'y ressemble. L'homme possède l'esprit, l'intelligence, la liberté, la conscience ; aussi ressemble-t-il plus à Dieu qu'au monde créé. C'est encore le premier livre de la Bible, la Genèse, qui nous dit qu'Adam donna un nom à toutes les bêtes du ciel et de la terre, démontrant ainsi sa propre supériorité sur elles ; mais parmi tous ces êtres « l'homme ne trouva jamais une aide qui lui fût semblable » (Gn 2,20). Il se rendit compte d'être différent de toute créature vivante, même si celles-ci étaient dotées comme lui de vie végétative et sensitive. On pourrait dire que ce premier homme fait ce que fait tout homme de n'importe quelle époque, c'est-à-dire réfléchir sur sa propre identité et se demander qui il est, lui. II résulte de cette attitude la constatation d'une différence fondamentale : je suis différent de tout le reste, je suis plus différent que semblable.

Tout ceci nous aide à mieux comprendre le mystère de l'Avent que nous sommes en train de vivre. Si, comme nous l'avons dit, Dieu « vient » à l'homme, il le fait parce que dans l'être humain il y a une faculté d'attente et une faculté d'accueil qui n'existent telles, en aucune autre créature. Dieu vient pour l'homme, mieux il vient dans l'homme et il établit avec lui une communion très particulière.

C'est pourquoi je vous invite, vous aussi, très chers jeunes, à lui faire place en vue de la Noël, à vous préparer à la rencontre avec lui, pour qu'en chacun il retrouve son image vraie, pure et fidèle.

Avec ces voeux, je vous bénis de tout coeur et, avec vous, je bénis vos parents, vos professeurs et tous ceux qui vous ont accompagnés ici.







7 décembre 1978

48

L'AMBASSADEUR DU NICARAGUA PRÉSENTE SES LETTRES DE CRÉANCE


Le Saint-Père a reçu en audience officielle le 7 décembre S. Exc. M. Alberto Salinas Muñoz, le nouvel ambassadeur du Nicaragua près le Saint-Siège venu lui présenter ses lettres de créance. Il était accompagné de M. José Gago de Medeiros, conseiller. Après l'échange des discours et l'entretien privé entre le pape et M. Salinas Munoz, le nouvel ambassadeur a été reçu par le cardinal Jean Villot, secrétaire d'État. Puis il s'est rendu à la basilique Saint-Pierre pour y adorer le Saint-Sacrement et prier à la chapelle de la Vierge Marie et au tombeau de saint Pierre.



Monsieur l'Ambassadeur,



C'est avec la plus vive satisfaction que je souhaite la bienvenue à Votre Excellence au moment où elle présente les Lettres qui l'accréditent comme ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire du Nicaragua près le Saint-Siège.

Je sais parfaitement — et les paroles que Votre Excellence vient de prononcer en sont le témoignage — que le peuple du Nicaragua est cordialement uni à ce Siège Apostolique par de profonds liens de proximité spirituelle découlant d'une présence déjà séculaire de l'Église dans ces terres, toujours solidaire de ses populations et de leur histoire. C'est pourquoi je désire exprimer ici mon estime et ma confiance envers votre noble pays dont je suis de prés, et non sans soucis, la marche quotidienne vers le développement.

Avec sa continuelle présence évangélisatrice l'Église, « sacrement de salut », ne fait rien d'autre qu'accomplir sa mission de service aux hommes pour édifier parmi eux le royaume de Dieu qui n'est pas seulement un royaume de paix, de justice et d'amour. De là, naissent sa sollicitude constante et ses sacrifices pour ranimer également dans les consciences le souci de perfectionner cette terre où croît la famille humaine (cf. Gaudium et Spes, GS 39). Des biens aussi précieux que la dignité humaine, la communion fraternelle, la liberté, tous ces fruits excellents de notre nature et de l'industrie humaine, sont à propager sur la terre selon le commandement du Seigneur et dans son Esprit (cf.ibid).

Promouvoir ces biens inaliénables de la personne, créer autour de celle-ci les conditions de vie spirituelle, sociale et culturelle, sans la moindre discrimination, afin que chacun assume d'une manière responsable les exigences multiformes de la coexistence humaine, et prenne part à l'édification toujours plus positive de la communauté : c'est tout cela qui constitue le moule indispensable d'une société ordonnée et pacifique.

De manière désintéressée, et avec les moyens qui lui sont propres, l'Église du Nicaragua entend poursuivre sa participation à cette recherche active du bien commun. Elle veut offrir sa collaboration pour le développement de tous, surtout sur le plan moral, conformément à sa vocation chrétienne, rendant chacun capable de satisfaire ses légitimes aspirations, non seulement individuelles mais également familiales et communautaires.

Monsieur l'Ambassadeur, priant le Seigneur, dispensateur de tout bien, pour qu'il aide à réaliser ces intentions afin qu'elles soient une source quotidienne de concorde et d'effective collaboration pacifique, j'invoque également l'abondance des faveurs divines sur la population du Nicaragua, sur ses dirigeants et, aujourd'hui de manière particulière, sur Votre Excellence, pour assurer le succès de votre haute et noble mission.







8 décembre 1978

49

L'ACCORD DE LA FOI ET DE LA SCIENCE


Jean Paul II à l'Université catholique du Sacré-Coeur

Le 8 décembre, le Saint-Père a reçu en audience les dirigeants, les professeurs et les élèves — quelque sept mille personnes — de l'Université catholique du Sacré-Coeur qui célèbre actuellement le centième anniversaire de la naissance de son fondateur, le R. P. Agostino Gemelli, franciscain. Aux assistants qu'accompagnait le cardinal Colombo, archevêque de Milan et Grand Chancelier de l'Université, Jean Paul II a adressé un discours en italien dont voici la traduction :



Monsieur le Recteur,



1. Les nobles expressions par lesquelles vous avez bien voulu, à l'occasion de cette première rencontre avec le nouveau successeur de Pierre, confirmer la fidèle adhésion au Christ en la personne de son vicaire et le zèle généreux au service de la vérité dans la charité qui anime les membres de la grande famille de l'Université catholique du Sacré-Coeur ont suscité dans mon âme des sentiments de vive émotion et de sincère appréciation. A vous donc, Monsieur le Recteur, aux représentants du Corps académique, aux chers étudiants, au personnel administratif et auxiliaire et à tous ceux qui se sont réunis ici, l'attestation de ma gratitude paternelle et de ma spéciale bienveillance.

Je suis heureux, très chers fils, de vous souhaiter cordialement la bienvenue et de saluer en vous les représentants qualifiés d'une institution qui, désormais depuis de nombreuses années, joue en Italie un rôle de première importance pour l'animation chrétienne du monde de la culture. Par cette rencontre, que vous avez sollicitée et que j'ai accordée avec joie, vous avez voulu conclure de manière significative la célébration du centenaire de la naissance du Père Agostino Gemelli, l'illustre franciscain qui avec sagesse clairvoyante, charité apostolique et courage indomptable, a donné vie à ce splendide complexe de personnes et d'oeuvres, de vie et de pensée, d'étude et d'action qu'est votre Université.

Au cours de cette année, vous vous êtes astreints à réfléchir, avec une nouvelle intensité d'affection, sur la figure, sur la pensée et sur l'oeuvre de l'insigne religieux auquel sont si redevables la communauté des catholiques italiens et le monde lui-même de la culture et de la recherche scientifique. En effet, il vous a semblé évident qu'il ne saurait y avoir meilleur tribut de reconnaissance à lui offrir que de faire place à sa voix dont beaucoup parmi vous conservent encore l'écho dans le coeur, afin que « le Père » puisse aux actuels continuateurs de son oeuvre, parler à nouveau d'objectifs idéaux et de concrets projets d'action, d'engageantes perspectives et d'insidieux dangers, de craintes toujours pressantes et d'espérances jamais déçues.



2. Et en ce moment, notre pensée se tourne également vers lui, pour recueillir quelque aspect significatif de son message et en tirer réconfort et stimulant dans les graves difficultés de l'heure présente. Or, il y a une « constante » — à mon avis, tout au moins — qui oriente et soutient tout au long de son existence l'action du Père Gemelli : cette constante est son intérêt pour l'homme : l'homme concret, doté de certaines facultés physiques et psychiques, conditionné par certains facteurs ambiants, affaibli par certaines maladies, tendu vers la conquête de certains idéaux.

N'est-ce pas cet idéal qui a poussé le jeune étudiant vers la faculté de Médecine, c'est-à-dire vers cette science qui, du service à rendre à la vie humaine fait son propre programme et son propre étendard ? Et n'est-ce pas ce même intérêt qui lui a suggéré — désormais religieux — de se spécialiser en psychologie expérimentale, l'orientant ainsi vers la science qui, pour tout le reste de sa vie, va concentrer son attention et ses efforts de chercheur génial et inlassable ? Son intérêt pour l'homme le poussa à se consacrer, avec la passion la plus vive, aux situations les plus pénibles, les plus difficiles : celles du travail ouvrier pour étudier « le facteur humain du travail » et parvenir, après des expériences faites directement dans les soufrières de Sicile et dans les usines du Nord, à la conclusion — à l'époque celle d'un pionnier — que ce n'est pas l'homme qui doit être adapté à la machine, mais la machine qui doit être construite à la mesure de l'homme ; les situations des soldats exposés aux expériences bouleversantes de la violence belliqueuse, ou des aviateurs aux prises avec des appareils rudimentaires et pleins de risques, afin de mettre au point des remèdes spécifiques contre les traumatismes psychologiques toujours plus fréquents parmi les militaires des premières lignes ; les situations enfin, des forçats à un groupe desquels il offrit l'hospitalité dans les locaux du laboratoire de psychologie de l'Université catholique, afin d'étudier leurs réactions et en déduire les normes d'une efficace intervention rééducative.



3. Ces quelques notes biographiques nous montrent le genre d'intérêt que le Père Gemelli nourrissait pour l'homme ; non pas l'intérêt du savant éloigné de la réalité et qui considère l'homme comme pur objet d'analyse, mais la passion tourmentée de quelqu'un qui se sent intimement impliqué dans les problèmes dont sont victimes ses propres semblables. L'intérêt pour l'homme signifiait pour le Père Gemelli la volonté de servir l'homme.

Comment ? L'expérience apprit à l'audacieux religieux que le service le plus nécessaire et le plus urgent à offrir au prochain était celui de l'aider « à bien penser », pour le dire comme Pascal (Pensées, n. 347), car « la pensée fait la grandeur de l'homme » (ibid, n. 346). Le « bien penser » est la condition nécessaire du « bien agir » ; et dans le « bien agir » se situe l'espérance de la solution durable des maux qui troublent l'humanité.

« C'est des idées que le monde a le plus besoin » : telle était sa conviction (cf. A. Gemelli, L'Université pour la paix sociale, dans Vita et Pensiero, janvier 1950). Et comme les idées s'élaborent et se communiquent à l'école, voici l'audacieux projet d'un Institut qui réunit des savants de valeur, soutenus par l'idéal de la recherche scientifique sérieuse et désintéressée, et des jeunes de bonne volonté, animés du désir de marcher avec les enseignants à la recherche de la vérité, pour y adhérer avec passion et en transmettre ensuite généreusement à d'autres les richesses devenues désormais Substance de leur propre vie (cf. A. Gemelli, Le progrès des études scientifiques parmi les catholiques italiens, dans Studium, juin 1907).

Mais la raison humaine est-elle capable, à elle seule, de réussir une approche satisfaisante de la vérité ? Les douloureux tourments des années de jeunesse, qui n'ont pris fin qu'avec la pacificatrice expérience de la conversion, avaient fait toucher du doigt au Père Gemelli la nécessité de la foi pour donner une réponse pleinement satisfaisante aux problèmes fondamentaux de l'existence humaine. Il ne craignit donc pas de déclarer : « La solution de ces problèmes, nous ne devons pas la demander aux sciences, ni pures ni appliquées, nous devons la demander non pas à la philosophie, mais à la religion. » Et avec la clarté d'un programme, il affirmera : « Nous devons remonter à Dieu, non pas un Dieu présenté par une religion naturelle, mais à un Dieu vivant, à Jésus-Christ, notre suprême raison de vivre, suprême beauté à admirer, suprême beauté à contempler, suprême bonté à imiter, suprême récompense à conquérir » (A. Gemelli, La fonction religieuse de la culture, dans yita e Pensiero, avril 1919).



4. L'Université catholique est née pour répondre à ces exigences. C'était l'intention de son fondateur qui voulait en faire « un véritable et efficace foyer de culture catholique », comme il le déclara lorsque le grand projet fut sur le point d'être réalisé (cf. A. Gemelli, Pourquoi les catholiques italiens doivent avoir leur université, dans Vita e Pensiero, juillet 1919), et comme il le confirma immédiatement après son envol officiel : « L'Université catholique, rappela-t-il, est née du rêve audacieux de faire connaître, aimer, suivre le catholicisme en Italie » (Bollettino degli Amici, n. 1, janvier 1922).

Il ne s'agissait en aucune manière de remettre en cause la méthode et la liberté qui reviennent aux diverses disciplines scientifiques : le Père Gemelli en décrivit la nature et en assura la défense en diverses occasions. Il s'agissait plutôt de réaliser, au niveau universitaire, « l'accord de la foi et de la science » auquel faisait allusion dans une lettre adressée au Père Gemelli le Nonce Apostolique en Pologne, à l'époque Mgr Achille Ratti (cf. Lettre au Père Gemelli du 28 mars 1921) et que le Magistère officiel, en particulier celui du Concile Vatican II, a déclaré à de nombreuses reprises possible, souhaitable et fécond (cf. Déclaration Gravissimum Educationis, GE 8 et 10 elles précédents documents du Magistère qui y sont cités).

En effet, dans la foi comprise et vécue, le progrès trouve, au lieu d'un obstacle, une aide incomparable pour résoudre et surmonter les antinomies auxquelles il est aujourd'hui dramatiquement exposé : que l'on pense, par exemple, à l'impérieuse nécessité de promouvoir le dynamisme et l'expansion de la culture sans risques pour la sagesse ancestrale des peuples ; que l'on pense également au pressant besoin de sauvegarder la nécessaire synthèse malgré le fractionnement des diverses disciplines ; que l'on pense enfin au problème de reconnaître, d'une part, la légitime autonomie de la culture, en évitant toutefois, d'autre part, le risque d'un humanisme clos, circonscrit par un horizon purement terrestre et, en conséquence, exposé à des développements nettement inhumains (cf. H. de Lubac, Le drame de l'humanisme athée, Paris 1945).

Le Père Gemelli voyait dans l'Université catholique le lien privilégié où il serait possible de jeter un pont entre le passé et le futur, entre l'ancienne culture catholique et la nouvelle culture scientifique, entre les valeurs de la culture moderne et le message éternel de l'Evangile.

Il espérait ajuste titre que de ces fécondes synthèses découlerait une très efficace impulsion vers la réalisation d'un humanisme plein, dynamiquement ouvert sur les horizons sans limites de la divinisation auquel l'homme historique est appelé. Et ainsi allait se réaliser de la meilleure manière cette fin vers laquelle — comme je l'ai déjà dit — le Père Gemelli tendit sa vie tout entière, la fin donc, de servir l'homme. « J'estime — affirmait-il dans son discours d'inauguration de l'année académique 1957-1958, au terme de sa laborieuse existence —j'estime que l'Université contemporaine, si elle a le devoir de collaborer au progrès des sciences et de suivre la méthodologie requise pour chacune d'elles — ne doit cependant jamais mettre au deuxième plan ce qui exige d'être reconnu comme prioritaire, c'est-à-dire l'homme, la personne humaine, le monde de la spiritualité » (A. Gemelli, Les conquêtes de la science et les droits de l'esprit dans Vita e Pensiero, janvier 1958).



5. Ce furent là les convictions qui guidèrent et soutinrent le père Gemelli pour entreprendre et, au milieu de difficultés de tous genres, mener à bonne fin le gigantesque projet d'une Université libre et catholique en Italie. Ce sont là les convictions qui, encore aujourd'hui, doivent orienter l'effort de ceux qui ont librement choisi de faire partie, comme dirigeants, professeurs ou élèves, de l'Université catholique du Sacré-Coeur.

Je suis certain d'interpréter les sentiments du Père Gemelli en vous disant aujourd'hui : soyez fiers de la qualification de « catholique » qui caractérise votre université. Qu'elle n'affaiblisse pas votre zèle dévoué en faveur de la promotion de chaque valeur humaine authentique. S'il est vrai que « l'homme passe infiniment l'homme » comme Pascal en a eu l'intuition (cf. Pensées, n. 434), alors il est nécessaire de dire que la personne humaine ne saurait trouver sa pleine réalisation que par rapport avec celui qui constitue la raison fondamentale de tous nos jugements sur l'être, sur le bien, sur la vérité et sur la beauté.

Et comme la transcendance infinie de ce Dieu, que quelqu'un a indiqué comme le « totalement  Autre », s'est rapprochée de nous en le Christ Jésus qui s'est fait chair pour participer totalement à notre histoire, il faut conclure alors que la foi chrétienne nous habilite, nous chrétiens, à interpréter mieux que tous autres les exigences les plus profondes de l'être humain et à indiquer, avec sereine et tranquille sécurité, les voies et moyens d'une pleine satisfaction. Ceci est donc le témoignage que la communauté chrétienne et le monde de la culture lui-même attendent de vous, professeurs et élèves de l'Université qui tient son origine de la foi intrépide du Père Gemelli : montrer par les faits que l'intelligence, non seulement n'est pas débilitée, mais au contraire stimulée et fortifiée par cette incomparable source de compréhension de la réalité humaine qu'est la Parole de Dieu, montrer par les faits que sur cette Parole il est possible d'édifier une communauté d'hommes et de femmes (l'universitas personarum des origines) qui poursuivent leurs recherches dans tous les domaines, sans perdre contact avec les points de référence essentiels d'une vision chrétienne de la vie ; une communauté d'hommes et de femmes qui cherchent des réponses particulières à des problèmes particuliers mais sont soutenus par la joyeuse certitude de posséder, tous ensemble la réponse aux problèmes ultimes ; une communauté d'hommes et de femmes, surtout, qui s'efforcent d'incarner dans leur propre existence et dans leur milieu social l'annonce du salut qu'ils ont reçue de celui qui est « la vraie lumière qui illumine chaque homme » (Jn l,  9) ; une communauté d'hommes et de femmes qui — tout en respectant l'autonomie légitime des réalités terrestres, créées par Dieu, dépendantes de lui et ordonnées à lui — se sentent engagés à           « inscrire la loi divine dans la vie de la cité terrestre » (Gaudium et Spes, GS 43).

La fierté d'être qualifiée de « catholique » contient également en soi, pour l'Université, l'engagement d'une totale fidélité à l'Église, au pape et aux évêques auxquels elle fut et est toujours très chère, ainsi qu'à la communauté ecclésiale italienne qui la soutient avec de grands sacrifices et la considère avec affection mais aussi avec une exigeante espérance. Cette fidélité — que le Père Gemelli a inculquée à tous avec insistance et qu'il a vécue avec tant de cohérence — est la garantie de cette unité et de cette charité fraternelle qui caractérisent votre institution comme toutes les autres, destinées au service du Peuple de Dieu.

Voilà votre tâche, très chers fils, voilà la consigne que vous donne le pape et voilà aussi son voeu. Un voeu qu'il adresse de manière toute particulière aux jeunes qui tiennent entre leurs mains non seulement les destinées futures de la glorieuse Université catholique, mais encore et surtout les espérances d'animation chrétienne de la société de demain. Qu'ils écoutent de la bouche du pape, un avertissement que le recteur Magnifique leur lançait à une heure difficile de l'histoire italienne et mondiale : « Ce n'est pas le moment des vains bavardages et des attitudes épouvantées, disait-il. C'est le moment des grandes tâches. Vous êtes, vous spécialement ô jeunes, ceux à qui incombe la construction du futur, la construction de la nouvelle époque de l'histoire. Ou que vous soyez, montrez-vous conscients de cette mission qui est la vôtre. Soyez des flammes ardentes, qui illuminent, qui guident, qui réconfortent. La noblesse du sentiment, la pureté de la vie, la haine pour tout ce qui est vulgaire, pour tout ce qui abaisse, sont aujourd'hui plus que jamais un devoir » (10 octobre 1940).

Et maintenant, au moment de me séparer de vous, très chers fils, ma pensée s'élève, implorante, vers celle que nous vénérons aujourd'hui dans le privilège de son Immaculée Conception. Le Père Gemelli aimait la Vierge avec filiale dévotion et il la défendit contre ceux qui la dénigraient, avec une passion si ardente qu'il mérita, prés de ses amis, le titre de « Chevalier de la Vierge ». Daigne Marie réserver un regard de maternelle prédilection à l'Université catholique du Sacré-Coeur pour laquelle son généreux fils a tant travaillé, souffert et prié. Qu'elle daigne, elle que l'Église invoque comme la Sedes Sapientiae, accorder généreusement lumière et réconfort à ceux qui poursuivent aujourd'hui une oeuvre que le Saint-Siège et toute l'Église italienne considèrent avec une immuable affection, une constante confiance et une espérance toujours vive.

Avec ces voeux, je suis heureux de vous donner à vous tous, à vos familles et à tous les amis de l'Université catholique ma paternelle bénédiction apostolique propitiatoire.



Je sais qu'à cette rencontre sont également présents les membres de l'Association des Parents des écoles catholiques qui tient actuellement à Rome le premier congrès de ses délégués régionaux.

A eux aussi, j'élargis mon salut et ma bénédiction, souhaitant que le Seigneur les assiste dans leur généreux engagement en faveur d'une convenable formation culturelle, morale et religieuse de la jeunesse.







9 décembre 1978

50

S'ENGAGER A FOND POUR QUE TOUS AIENT UN TRAVAIL


Jean Paul II à un groupe de travailleurs chrétiens

Le 9 décembre, le Saint-Père a reçu en audience les travailleurs chrétiens de diverses grandes organisations industrielles italiennes, appartenant aux « Groupes d'engagement et de présence chrétienne ». Aux deux mille travailleurs rassemblés dans la grande salle des Bénédictions, le Saint-Père a adressé un discours dont voici la traduction :



Chers Frères et Soeurs, ouvriers et ouvrières de la Montedison, de la Société Alfa Romeo, de la Pirelli, du Carrière délia Sera et d'autres sociétés encore, appartenant aux « Gruppi di impegno e presenza cristiana », soyez les bienvenus dans la maison du Père commun !



1. Je sais que depuis pas mal de temps vous attendez cette audience du pape. Vous aviez déjà voulu être reçus par le pape Jean Paul Ier, de vénérée mémoire, qui d'après ce qu'on m'a dit était un peu chez lui dans le grand établissement de Porto Marghera. Le Seigneur l'a appelé près de lui, après un pontificat si bref, mais tellement intense qu'il a produit une immense émotion dans le monde. Et voici à vous le nouveau pape qui est particulièrement heureux de recevoir aujourd'hui cette nombreuse représentation de l'industrie italienne qualifiée et bien connue dans le monde entier. Je vous salue de grand coeur et vous remercie pour la joie que vous me donnez avec votre visite.



2. Comme vous le savez, moi aussi j'ai été ouvrier : pendant une brève période de ma vie, durant le dernier conflit mondial, j'ai fait moi aussi l'expérience directe du travail en usine. Je sais donc ce que signifie l'engagement de l'effort quotidien sous les ordres d'autrui, j'en connais la pesanteur et la monotonie ; je connais les besoins des travailleurs et leurs justes exigences, leurs légitimes aspirations. Et je sais combien il est nécessaire que le travail ne soit jamais cause d'aliénation ou de frustration, mais toujours respectueux de la suprême dignité spirituelle de l'homme.



3. Vous savez également que l'Église, suivant l'exemple du Divin Maître, a toujours estimé, protégé et défendu l'homme et son travail contre la condamnation de l'esclavage pour en arriver à l'exposé systématique de la « Doctrine sociale chrétienne », depuis l'enseignement de la charité évangélique comme précepte suprême jusqu'aux grandes encycliques sociales, comme Rerum Novarum de Léon XIII, Quadragesimo Anno de Pie XI, Mater et Magistra de Jean XXIII, Populorum Progressio de Paul VI. Au milieu des troubles et des tribulations de l'histoire humaine, dans le dramatique processus de l'organisation sociale et politique des peuples, l'Église a toujours défendu le travailleur, luttant pour la promotion urgente d'une authentique justice sociale, unie à la charité chrétienne, dans un climat de liberté, de respect réciproque, de fraternité. A ce propos, je voudrais simplement rappeler le radio-message du pape Jean XXIII aux travailleurs polonais le 26 mai 1963, quelques jours avant de mourir : « Nous n'épargnerons aucun effort, aussi longtemps que nous vivrons, pour que vous trouviez sollicitude et soins. Ayez confiance dans l'amour de l'Église et confiez-vous tranquillement à elle, dans la certitude que ses pensées sont des pensées de paix et non d'affliction. »



4. Et maintenant, chers travailleurs chrétiens, que vais-je vous dire, que vais-je dire, en particulier, qui puisse vous servir comme souvenir de notre rencontre ?

Avant tout, je souhaite vivement que le travail soit un droit réel pouf chaque personne humaine. La situation nationale et internationale est aujourd'hui tellement difficile et compliquée que l'on ne peut se contenter d'être simpliste. Mais comme nous savons que le travail est vie, sérénité, engagement, intérêt, signification, nous devons le souhaiter à tous.

Celui qui a un travail a le sentiment d'être utile, valide, engagé dans quelque chose qui donne de la valeur à sa propre vie. Le manque de travail est psychologiquement négatif et dangereux et, d'autant plus, pour les jeunes et pour ceux qui ont une famille à entretenir. C'est pourquoi, tandis que nous devons remercier le Seigneur si nous avons un travail, nous devons aussi ressentir la peine et l'angoisse des chômeurs et nous demander comment venir le plus possible en aide à ces douloureuses situations. Mais les paroles ne suffisent pas ! Il faut les aider de manière concrète, chrétiennement ! Et tandis que je fais appel aux responsables de la société, je m'adresse également à chacun de vous : engagez-vous à fond, vous aussi, pour que tout le monde puisse avoir un travail !

En second lieu, j'exhorte à la réalisation de la justice sociale. Ici également les problèmes sont nombreux et ils sont énormes ; mais je fais appel à la conscience de tous, aux employeurs et aux travailleurs. Chacune de ces deux catégories a des droits et des devoirs et, pour que la société puisse se maintenir dans l'équilibre de la paix et du bien-être commun, l'engagement de tous est nécessaire pour combattre et vaincre l’égoïsme. Une entreprise certainement difficile, mais le chrétien doit se faire un devoir d'être juste en tout et avec tous, tant en rémunérant et protégeant le travail qu'en dépensant ses propres forces. Il doit, en effet, être partout un témoin du Christ et donc, également au travail.

Enfin, je vous invite à la sanctification du travail. Le travail n'est pas toujours facile, agréable, satisfaisant ; parfois il peut être très lourd, peu apprécié, pas bien rémunéré, et même dangereux. Il faut alors se rappeler que tout travail constitue une collaboration avec Dieu pour perfectionner la nature que, lui, a créée et que c'est un service rendu à nos frères. Il faut donc travailler avec amour et par amour ! Alors, on sera toujours content et serein et, même si le travail fatigue, on prend la croix avec le Christ Jésus et l'on supporte la fatigue avec courage.

Très chers ouvriers et ouvrières, sachez que le pape vous aime, qu'il vous suit dans vos usines et dans vos ateliers, qu'il vous porte dans son coeur ! Tenez bien haut, sur les lieux de votre travail, votre nom de « chrétien » en même temps que celui de votre, ou mieux, de notre Italie !

Avec ma bénédiction apostolique !







9 décembre 1978



LA LUMIÈRE DE LA CHARITÉ FONDÉE SUR LA FOI



Le Saint-Père au Mouvement apostolique des aveugles

Le 9 décembre, le Saint-Père a reçu en audience les dirigeants, assistants et membres du                  « Mouvement apostolique des Aveugles » qui célèbre le cinquantième anniversaire de sa fondation.

Jean Paul II a adressé à ses visiteurs un discours dont voici la traduction :



Très chers Fils,



J'exprime avant tout ma joie sincère pour cette rencontre avec vous, consulteurs ecclésiastiques, conseillers nationaux, délégués missionnaires des quelque soixante groupes diocésains du « Movimento Apostolico Ciechi » qui célèbre actuellement le cinquantième anniversaire de sa fondation.

A ma joie s'ajoute une vive satisfaction pour les mérites que le Mouvement s'est acquis durant ces longues années, rythmées par le sacrifice silencieux, par l'engagement sérieux, par le dévouement constant pour encourager et aider nos frères privés de la vue — enfants, jeunes, vieillards — à s'insérer d'une manière personnelle et responsable dans la vie de l'Église et de la société civile, à mûrir intérieurement leur propre itinéraire avec le Christ, à offrir un témoignage externe, cohérent et limpide, de leur propre profession de foi dans le message évangélique.

Et la bonté et la fécondité de votre activité multiforme ont été confirmées par l'impérieuse et inéluctable nécessité d'élargir et développer vos initiatives en faveur des non-voyants du Tiers Monde. Votre Mouvement, en effet, a implanté, pouvons-nous dire, depuis quelque dix ans, de petites stations missionnaires au Brésil, en Guinée-Bissau, dans l'Empire Centrafricain, au Kenya, au Soudan, en Tanzanie, en Ouganda, c'est-à-dire particulièrement dans la grande Afrique. Bien ! C'est très bien, vraiment ! C'est avec une profonde émotion que j'ai lu les rapports contenus dans votre belle revue.

Ce coup d'oeil que vous et moi jetons sur le passé est certainement un motif de grande satisfaction ; mais il faut aussi, et surtout, regarder vers l'avenir : des millions de frères et de soeurs non-voyants du monde entier attendent de nous, sinon le prodige de la guérison, au moins la compréhension, la solidarité, l'affection, l'aide : en un mot notre authentique charité, fondée sur la foi. Et c'est précisément cette foi qui doit opérer en nous par la charité, comme nous en prévient saint Paul. Tenez bien compte de la recommandation de Jésus : « Votre lumière doit briller aux yeux des hommes pour que, voyant vos bonnes oeuvres, ils en rendent gloire à votre Père qui est dans les cieux » (Mt5, 16).

Poursuivez avec enthousiasme, avec dévouement votre travail apostolique. Ne vous laissez pas abattre par les difficultés ou par le découragement. Il me plaît de vous rappeler les paroles, si actuelles, que saint Ignace, évêque d'Antioche, martyrisé à Rome vers l'an 107 adressait aux chrétiens d'Éphèse : « Comme l'arbre se reconnaît à ses fruits de même ceux qui se disent disciples du Christ se reconnaissent à leurs oeuvres. Aujourd'hui, il n'est pas question de professer la foi avec des mots, mais ce qui est nécessaire, c'est la force intime de là foi vive et .active pour être trouvés fidèles jusqu'à la   fin » (Lettre aux Éphésiens, 14, 2).

Sur vous, sur tous les membres du mouvement, sur tous les non-voyants, j'invoque la grâce, la force et le réconfort du Christ « lumière du monde », (cf. Jn Jn 1, 5, 9 ; 3, 19 ; 8, 12 ; 9, 5 ; 12, 46), et vous donne de grand coeur une spéciale bénédiction apostolique.







9 décembre 1978


Discours 1978 47