Messages 1978


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17 octobre 1978

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LE PREMIER MESSAGE DE JEAN PAUL II A L'ÉGLISE ET AU MONDE


A l'issue de la messe en la chapelle Sixtine, le 17 octobre, qui concluait le Conclave, le pape Jean Paul II a tenu à adresser un message à l'Église et au monde. Il s'est exprimé en latin devant les cardinaux. Voici notre traduction et nous avons ajouté les sous-titres.



Messieurs les Cardinaux et vous, fils de la Sainte Église, et vous tous hommes de bonne volonté, qui nous écoutez.



Une parole seulement, parmi tant d'autres, nous vient tout de suite sur les lèvres au moment de nous présenter à vous après l'élection au siège de l'apôtre Pierre. C'est une parole qui fait ressortir, par l'évident contraste avec nos limites humaines et personnelles, l'immense responsabilité qui nous est confiée : « Oh profondeur de la sagesse et de la science de Dieu : que ses jugements sont insondables et ses voies impénétrables !» (Rm 11,33). Et, en effet, qui aurait pu prévoir, après la mort de l'inoubliable Paul VI, la disparition prématurée de son aimable successeur Jean Paul 1er ? Et comment aurions-nous pu prévoir que leur formidable héritage serait passé sur nos épaules ? C'est pour cette raison que nous devons méditer sur le mystérieux dessein du Dieu de providence et de bonté, non pas pour comprendre, mais plutôt pour adorer et prier. Nous avons conscience de devoir répéter l'invocation du psalmiste qui, tournant son regard vers les cieux s'exclamait : « D'où me viendra le secours ? Mon secours vient du Seigneur » (Ps 120,1-2).

Les mêmes événements imprévisibles qui se sont succédés en si peu de temps et la réponse inadéquate qui pourrait venir de notre part, nous conduisent non seulement à nous tourner vers le Seigneur et à mettre en lui toute notre confiance, mais également nous empêchent de tracer un programme qui soit le fruit d'une longue réflexion et d'une élaboration détaillée. Mais, pour remédier à cette carence, une sorte de compensation est prête, qui constitue en elle-même un signe de la présence réconfortante de Dieu.

II y a un peu plus d'un mois, nous avons tous écouté, à l'intérieur et à l'extérieur des voûtes historiques de cette chapelle, l'allocution prononcée, à l’aube de son ministère prometteur, par le pape Jean Paul. Nous ne pensons pas pouvoir nous en écarter, tant en raison du souvenir que chacun d'entre nous en conserve qu'en raison des sages indications et conseils qu'elle contenait.

La même allocution, prononcée en cette circonstance, en y ajoutant quelques éléments, semble toujours valable au début de ce nouveau ministère pontifical qui nous engage de manière directe et désormais inéluctable devant Dieu et l'Église.

Nous aimerions donc tracer quelques lignes directrices que nous estimons d'importance capitale et qui pour cette raison — comme c'est notre propos et comme nous l'espérons avec l'aide de Dieu — recevront de notre part attention et consentement mais également une impulsion cohérente, afin qu'elles soient accueillies dans la réalité ecclésiale.


Appliquer le Concile





Tout d'abord, nous désirons insister sur l'importance permanente du Concile oecuménique Vatican II et ceci signifie pour nous l'engagement formel de lui donner l'exécution voulue. Le Concile n'est-il pas la pierre militaire au sein de l'histoire bi-millénaire de l'Église et, par conséquent dans l'histoire religieuse et culturelle du monde ? Mais celui-ci, pas plus qu'il n'existe seulement dans des documents, ne se termine par les applications qui en ont été faites pendant ces dernières années qu'on appelle la période post-conciliaire. Nous considérons donc comme un devoir primordial de promouvoir l'exécution des normes et des orientations du Concile, grâce à une action prudente et en même temps stimulante, favorisant surtout l'acquisition d'une mentalité adéquate. Nous voulons dire qu'il faut d'abord nous mettre en syntonie avec le Concile pour en actualiser dans la vie ce qu'il énonce, et afin que ce qu'il implique — ou ce qui est habituellement appelé « implicite » — soit explicité, également à la lumière d'expériences successives et en relation aux exigences nées de nouvelles circonstances. Il faut, en somme, porter à maturité, dans le sens qui est propre au mouvement et à la vie, les semences que les Pères du Synode oecuménique, inspirés par la Parole de Dieu ont semé dans la bonne terre (cf. Mt Mt 13, 8, 23), c'est-à-dire leurs enseignements chargés d'autorité ainsi que leurs délibérations pastorales.

Ce critère général de fidélité envers le Concile Vatican II et de son explicitation de notre part pour sa complète application, comprend divers aspects : le domaine missionnaire et oecuménique, la discipline et l'organisation ; mais il y a un aspect auquel des soins particuliers devront être consacrés, c'est celui du domaine ecclésiologique. Il est nécessaire, vénérés Frères et chers Fils du monde catholique, de reprendre en main la « magna carta » conciliaire qu'est la constitution Lumen Gentium, en vue d'une méditation renouvelée et affermie sur la nature et sur la fonction, sur la manière d'être et d'agir de l'Église, non seulement pour réaliser toujours mieux cette communion vitale, en Christ, de tous ceux qui croient et espèrent en lui, mais également en vue de contribuer à une plus ample et plus intime unité de la famille humaine tout entière. Ecclesia Christi lumen gentium : c'est ce qu'aimait répéter le pape Jean XXIII. L'Église — lui a répondu en écho le Concile — est sacrement universel de salut et d'unité pour le genre humain (cf. Constitution Lumen Gentium, LG 1,48 Décret Ad Géntes, N° AGD 1).

La collégialité





Le mystère du salut, qui est centré sur l'Église et s'actualise par l'Église, le dynamisme qui, en vertu de ce mystère lui-même, invite le Peuple de Dieu, la cohésion particulière, ou collégialité qui « cum Petro et sub Petro » unit les pasteurs entre eux, tenant compte des besoins tant permanents que contingents de l'humanité, afin de trouver les modes de présence et d'action de l'Église actuelle. C'est pour cela que l'adhésion qui doit être donnée à ce texte conciliaire, considéré à la lumière de la tradition et en lien d'intégration avec les formulations dogmatiques qui ont été élaborées, il y a un siècle, au Concile Vatican I, sera pour nous tous, pasteurs et fidèles, l'indication sûre de la voie à suivre ainsi qu'une constante stimulation pour marcher — nous le rappelons à nouveau — dans le sens de la vie et de l'histoire.

Nous recommandons en particulier d'approfondir, en vue d'une prise de conscience de plus en plus lucide et d'une responsabilité plus vigilante, ce que comporte le lien collégial. Il associe intimement les évêques au successeur de Pierre et entre eux tous pour l'accomplissement de ces hautes fonctions qui sont d'éclairer tout le Peuple de Dieu, à la lumière de l'Évangile, de sanctifier par les instruments de la grâce et de guider à l'aide de l'art pastoral. La collégialité signifiera également, bien sûr, le développement adéquat des organismes, en partie nouveaux et en partie mis à jour, qui peuvent garantir une meilleure unité des esprits, des intentions, des initiatives dans le travail d'édification du Corps du Christ, qu'est l'Église (cf. Ep Ep 4,12 Col 1,24). A ce propos, nous mentionnons tout d'abord le Synode des évêques, constitué dans le grand esprit de Paul VI avant même que se termine le Concile (cf. Motu proprio Apostolica sollicitudo : AAS L VII, 1965, p. 775-780), et nous repensons aux contributions qualifiées et précieuses que cette institution a déjà offertes.

L'éloge de la fidélité





Outre cette référence au Concile, reste le devoir de fidélité global à la mission que nous avons reçue et qui vaut avant tout autre pour nous-même. Appelé à la responsabilité suprême dans l'Église, nous sommes le premier à devoir en témoigner par l'exemple de volonté et d'action, en manifestant de toutes nos forces ce qu'est cette fidélité, en conservant intact le dépôt de la foi et en observant pleinement les consignes particulières du Christ à Pierre, qu'il a constitué rocher de l'Église et lui a confié les clés du Règne des cieux (Mt 16,18-19), lui a commandé de confirmer ses frères (cf. Le LE 22,32), et de paître les agneaux et les brebis de son troupeau, comme signe d'amour pour lui. Nous sommes profondément convaincus que toute enquête moderne concernant ce qu'on appelle le « misterium Pétri », faite pour préciser de mieux en mieux ce que ce ministère comprend de particulier et de spécifique, ne devra et ne pourra jamais faire abstraction de ces trois pôles évangéliques.

Il s'agit, en effet, de prestations typiques connexes à la nature même de l'Église pour la sauvegarde de son unité intérieure et pour garantir sa mission spirituelle, et confiée par conséquent à Pierre et après lui, également à ses successeurs légitimes. Et nous sommes convaincus, d'autre part, que ce ministère aussi particulier devra toujours trouver en l'amour — selon l'indéfinissable réponse au « m'aimes-tu » de Jésus — la source qui l'alimente et en même temps, le climat où il se développe. Nous répéterons donc avec saint Paul : « La charité du Christ nous presse » (2Co 5,14), car notre ministère veut être avant tout un service d'amour dans toutes ses manifestations et expressions.

En cela, nous nous efforcerons de suivre la grande école de nos prédécesseurs immédiats. Qui ne se rappelle les paroles de Paul VI, prédicateur de la « civilisation de l'amour », qui affirmait, le coeur animé de pressentiment, environ un mois avant sa mort, « Fidem servavi » (cf. Homélie pour la fête des saints Pierre et Paul, in AAS LXX, 1978, p. 395) non pas, certes, pour louer sa propre personne, mais comme résultat d'un examen rigoureux auquel il soumettait sa conscience profondément sensible, après quinze années de ministère ?

Et que dire de Jean Paul Ier ? Il semble être sorti hier même de nos rangs pour revêtir le poids du manteau papal : mais quelle chaleur, une véritable « vague d'amour » qu'il a répandue pendant les quelques jours de son ministère ! telle qu'il la souhaitait au monde à l'occasion de son dernier adieu à l'Angélus du dimanche. Nous en trouvons la confirmation dans les enseignements de sage catéchèse sur la foi, l'espérance et la charité, donnés pendant les audiences publiques.



Vénérables Frères et très chers Fils, il est évident que la fidélité signifie aussi l'adhésion convaincue au Magistère de Pierre, spécialement dans le domaine doctrinal, dont l'importance objective doit non seulement être présente à l'esprit mais, en outre, protégée en raison des périls qui se lèvent aujourd'hui de divers côtés contre certaines vérités de la foi catholique. La fidélité comprend aussi le respect des normes liturgiques qui émanent de l'autorité ecclésiastique et exclut donc, tant les innovations arbitraires et incontrôlées que le rejet obstiné de ce qui a été légitimement prévu et introduit dans les rites sacrés. La fidélité signifie encore le culte de la grande discipline de l'Église et cela aussi — vous vous le rappelez — a été indiqué par notre prédécesseur. La discipline, en effet, ne cherche pas à mortifier mais à garantir l'ordre voulu, propre au Corps mystique, comme pour assurer entré tous les membres qui le constituent, une articulation régulière et physiologique. La fidélité signifie, encore, la réponse généreuse aux exigences de la vocation sacerdotale et religieuse, de manière à maintenir et à développer, dans une perspective surnaturelle constante, ce qui a été librement promis devant Dieu.

Pour les fidèles enfin, comme la parole l'exprime, la fidélité doit être un devoir connaturel à leur être même de chrétien. Qu'ils la professent dans un esprit de disponibilité et de loyauté et la manifestent soit par l'obéissance envers les pasteurs que l’Esprit-Saint a établis pour paître l'Église (cf. Ac Ac 20,28), soit par la collaboration à ces initiatives et ces oeuvres, auxquelles ils sont appelés.

L'oecuménisme





A ce point, nous ne pouvons oublier les Frères des autres Églises et confessions chrétiennes. La cause oecuménique est, en effet, trop élevée et trop délicate pour pouvoir la priver de notre parole. Combien de fois avons-nous médité ensemble le testament du Christ qui demanda au Père le don de l'unité pour ses disciples (cf. Jn Jn 17,21-23) ? Et qui ne se rappelle l'insistance de saint Paul au sujet de la « communion de l'esprit », qui suscite « une même charité, une seule âme, une seule et même pensée », en imitation du Christ Seigneur (cf. Ph Ph 2, 2, 5-8) ? Il ne semble donc pas possible que demeure encore —cause de perplexité et peut-être même de scandale —le drame de la division entre les chrétiens. Nous entendons pour autant poursuivre le chemin déjà bien engagé pour favoriser les étapes capables de surmonter les obstacles, avec l'espoir que, grâce à un effort commun, on puisse arriver finalement à la pleine communion.

A tous les hommes, nos frères





Nous désirons encore nous adresser à tous les hommes qui, comme fils de l'unique Dieu tout-puissant, sont nos frères et qu'il faut aimer, pour leur dire sans présomption, mais avec humble sincérité, notre volonté de donner une contribution effective aux causes permanentes et prédominantes de la paix, du développement, de la justice internationale. Nous ne sommes animés d'aucune intention d'interférence politique ou de participation à la gestion des affaires temporelles : tout comme l'Église exclut d'être encadrée par des catégories terrestres. Ainsi notre engagement — en nous penchant sur ces problèmes brûlants des hommes et des peuples — est déterminé uniquement par des motivations religieuses et morales. Disciple de celui qui a donné aux siens la perspective de l'idéal « d'être le sel de la terre » et « lumière du monde » (Mt 5,13-16), nous voulons nous consacrer à consolider les bases spirituelles sur lesquelles la société humaine doit être fondée. Cela est d'autant plus urgent, et nous semble un tel devoir que nous sommes en présence des inégalités et des incompréhensions qui persistent et qui à leur tour deviennent cause de tension et de conflits dans de nombreuses parties du monde, avec la menace ultérieure des catastrophes les plus terribles. Notre sollicitude sera donc constante à l'égard de ces problèmes et en vue d'une action opportune, désintéressée et inspirée de l'Évangile.

A ceux qui souffrent





Qu'il nous soit permis à ce point de prendre à coeur le très grave problème que le collège des Cardinaux a mis en relief, durant la « sede vacante » et qui concerne la terre bien-aimée du Liban, ainsi que son peuple, auquel nous souhaitons tous avec ardeur la paix dans la liberté. En même temps, nous aimerions tendre les mains et ouvrir le coeur, en ce moment, à tous les peuples et tous ceux qui sont opprimés par n'importe quelle injustice ou discrimination, tant en ce qui concerne l'économie et la vie sociale ou la vie politique, que la liberté de conscience et la juste liberté religieuse. Nous devons tendre, par tous les moyens, à cette fin : que toutes les formes d'injustice qui se manifestent à notre époque soient soumises à la considération commune et qu'on y porte véritablement remède , afin que tous puissent mener une vie digne de l'homme. Ceci appartient à la mission de l'Église qui a été mise en lumière par le Concile Vatican II et non seulement dans la constitution dogmatique Lumen Gentium, mais aussi dans la constitution pastorale Gaudium et Spes.


Le chemin de l'humanité et le salut aux membres du peuple de Dieu





Très chers Frères et Fils, les récents événements de l'Église et du monde sont pour nous tous un avertissement salutaire : comment sera notre pontificat ? Et quel est le sort que le Seigneur réserve à son Église au cours des années qui viennent ? Et quel sera le chemin que l'humanité parcourra en ce laps de temps actuel qui nous rapproche de Tan 2000 ? Ce sont des questions hardies auxquelles on ne peut répondre que ce qui suit : « Deus scit » (cf. 2Co 12,2-3). Oh, bien sûr, notre cas personnel, qui nous a porté inopinément à la responsabilité la plus haute du service apostolique, présente peu d'intérêt. Notre personne — dirions-nous — doit disparaître devant la fonction onéreuse que nous devons remplir. Le discours, alors, se transforme nécessairement en un appel : après notre prière au Seigneur, nous ressentons le besoin de demander également votre prière, pour obtenir ce réconfort indispensable et supérieur, qui nous consent à reprendre l'oeuvre de nos prédécesseurs bien-aimés, au point où ils l'ont laissée.

Au souvenir plein d'émotion que nous vous portons, nous aimerions joindre un salut particulier de reconnaissance à chacun d'entre vous, Messieurs les Cardinaux, qui nous avez désigné pour cette tâche. Et ensuite, un salut de confiance et d'encouragement à tous nos Frères dans l’épiscopat qui, dans les diverses régions du monde, président à la charge pastorale de chaque Église, portions élues du peuple de Dieu (cf. Décret Christus Dominus, CD 11) et sont, par ailleurs, solidaires à l'égard de l'oeuvre universelle du salut. Après eux, nous portons notre regard vers l'ordre des prêtres, la multitude des missionnaires, les foules de religieux et religieuses. Alors que nous souhaitons vivement que leur nombre augmente, les paroles du Seigneur résonnent dans notre esprit : « la moisson est abondante, mais les ouvriers sont peu nombreux » (Mt 9,37-38 Lc 10,2). Nous nous tournons encore vers les familles et les communautés chrétiennes; les associations multiformes d'apostolat des fidèles qui, même si nous ne les connaissons pas individuellement, ne sont pas pour autant anonymes mais ni étrangers ni marginaux — cela jamais ! — ils feront partie de l'ensemble magnifique qu'est l'Église du Christ. Parmi eux nous apercevons, avec une attention préférentielle, les plus faibles, les pauvres, les malades, les affligés. C'est à eux que nous voulons spécialement ouvrir notre coeur — au premier instant de notre ministère pastoral. N'êtes-vous pas en effet — frères et soeurs — ceux qui participez par vos souffrances à la passion du Rédempteur lui-même, à laquelle vous donnez en quelque sorte plein accomplissement ? L'indigne successeur de Pierre qui se propose de scruter les insondables richesses du Christ (Ep 3,8), a le plus grand besoin de votre aide, de votre prière, de votre sacrifice et c'est à cette intention qu'il s'adresse humblement à vous.

Et permettez-nous d'ajouter, Frères et Fils qui nous écoutez, en raison de l'amour indestructible que nous portons à notre pays d'origine, un salut tout particulier à notre Pologne « semper fidelis », tant à nos prêtres qu'à nos fidèles de l'Église de Cracovie : c'est un salut où s'entrecroisent indissolublement les souvenirs et les affections, la nostalgie et l'espérance.

En cette heure, pour nous grave et angoissante, nous ne pouvons nous empêcher de tourner notre esprit avec dévotion filiale vers la Vierge Marie, qui vit toujours et agit comme Mère au sein du mystère du Christ et de l'Église, en répétant les douces paroles « totus tuus » que nous avons gravées il y a vingt ans dans notre coeur et dans nos armoiries, au moment de la consécration épiscopale. Et nous ne manquerons pas d'invoquer les saints apôtres Pierre et Paul, ainsi que, avec eux, tous les saints et les bienheureux de l'Église universelle. C'est ainsi que nous voulons vous saluer tous : les personnes âgées, les adultes, les jeunes, les enfants, les nouveaux-nés, sur l'onde de ce vif sentiment de paternité qui surgit de notre coeur.

A tous, nous adressons le souhait sincère pour une telle croissance « dans la grâce et dans la connaissance de n'être Seigneur et Sauveur Jésus-Christ » que le prince des Apôtres invoquait (2P 3,18).

A vous tous, nous donnons notre première bénédiction apostolique qui ne répandra pas seulement sur eux, mais sur l'humanité entière, une effusion abondante des dons du Père qui est dans les Cieux ! Ainsi soit-il.







23 octobre 1978

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SOYEZ FIDÈLES AU CHRIST, A SA CROIX, A L'ÉGLISE


Jean Paul II aux pèlerins polonais

Les quelques milliers de Polonais venus de la mère-patrie, mais aussi de divers pays d'Europe et des États-Unis pour assister à la prise officielle de sa charge par le pape Jean Paul II ont été reçus en audience par celui qui fut un des plus valeureux pasteurs de leur Église. Jean Paul II avait rédigé deux messages, l'un à l'adresse de toute la Pologne, l'autre pour le diocèse de Cracovie. Il les a confiés, le premier au cardinal Wyszynski, le second aux évêques polonais, leur demandant qu'ils soient lus, le premier dans toutes les églises de Pologne et dans celles où il y a, répandus dans le monde, des fidèles polonais ; le second dans toutes les églises du diocèse de Cracovie ; nous en publions la traduction ci-après.



Mes chers compatriotes,



Je vous écris ces mots le jour où il est échu à un des fils de notre patrie d'assumer le ministère d'évêque sur la chaire de saint Pierre. Je ne puis manquer de m'adresser à vous tous, frères et soeurs, fils de la Pologne bien-aimée, précisément ce jour où, selon les desseins impénétrables de la Providence je me trouve, moi, jusqu'à présent archevêque métropolitain de Cracovie, obligé de quitter l'antique chaire de saint Stanislas pour assumer la chaire romaine de saint Pierre et avec elle, la sollicitude pour l'Église universelle tout entière. Il est difficile de penser et de parler de ceci sans éprouver une profonde émotion. Il semble que le coeur humain — et en particulier le coeur polonais — ne saurait suffire pour contenir une telle émotion. Manquent également les mots pour exprimer toutes les pensées qui, en cette circonstance, se pressent dans l'esprit. Mais ces pensées et ces sentiments ne se mêlent-ils pas à toute notre histoire ? N'embrassent-ils pas le millénaire durant lequel nous, fils de la Pologne, nous avons gardé la fidélité au Christ et à son Église, au Siège apostolique, au patrimoine des saints Pierre et Paul ?

Mais ces pensées et ces sentiments s'adressent de manière plus particulière à la dernière période de notre histoire : histoire de la patrie et histoire de l'Église. Comme ce fut difficile ! Et combien dur ! Symbole de cette période de coup de barre, l'est sans conteste la figure du bienheureux Maximilien Marie Kolbe qui a été, il y a quelques années, élevé à la gloire des autels par l'inoubliable Saint-Père Paul VI.

Et voici : un fait significatif, difficile à comprendre humainement parlant. C'est précisément au cours de ces dernières décennies que l'Église de Pologne a acquis une signification particulière dans le contexte de l'Église universelle et de la chrétienté. L'Église de Pologne est devenue l'objet d'un grand intérêt à cause de son système spécifique de rapports, système qui a tant d'importance dans les recherches que l'humanité d'aujourd'hui, les différents peuples et États entreprennent dans les domaines social, économique et culturel. L'Église de Pologne a acquis une voix nouvelle, elle est devenue l'Église d'un témoignage particulier vers lequel le monde entier tourne le regard. Dans cette Église vit et s'exprime notre peuple, la génération actuelle.

Si l'on n'accepte pas ce fait, on ne saurait même pas comprendre qu'aujourd'hui vous parle un pape  « polonais » : il est difficile de comprendre comment un Conclave qui avait, le 26 août, fête de la Vierge de Czestochowa, fait à l'Église un don magnifique en la personne du Saint-Père Jean Paul Ier ait pu, après sa mort inoubliable intervenue après à peine trente-trois jours de pontificat, appeler à la chaire de Pierre un cardinal polonais. Il est difficile de comprendre que ce choix ait rencontré, non pas des oppositions, mais de la compréhension et même une bienveillante acceptation.

Vénérable et bien-aimé Cardinal Primat, permets que je te dise simplement ce que je pense. Il n'y aurait pas aujourd'hui sur la chaire de Pierre ce pape polonais qui, rempli de la crainte de Dieu mais également de confiance, commence aujourd'hui un nouveau pontificat s'il n'y avait pas eu ta foi qui n'a pas reculé devant la prison et la souffrance ; s'il n'y avait pas eu ton espérance héroïque, ta confiance sans limite en la Mère de l'Église ; s'il n'y avait pas eu Jasna Gora et toute la période de l'histoire de l'Église dans notre Patrie, unie à ton ministère d'évêque et de primat. En te le disant à toi, je le dis également à tous mes frères dans l'épiscopat : à eux tous ensemble et à chacun d'eux. A tous les prêtres, les religieux et les religieuses et à chacun en particulier. Et de même à tous et à chacun de mes compatriotes bien-aimés, frères et soeurs dans la patrie et hors de la patrie. Je le dis également à toi, cher cardinal de Philadelphie aux États-Unis et à tous les évêques d'origine polonaise de partout dans le monde. Je le dis à tous mes compatriotes sans exception, en respectant leur credo et leurs convictions. L'amour de la patrie nous unit et doit nous unir au-delà de toute divergence. Ceci n'a rien de commun avec un étroit nationalisme ou chauvinisme, mais jaillit de la loi naturelle du coeur humain. C'est la mesure de la noblesse de l'homme. Mesure mise à l'épreuve de nombreuses fois au cours de notre peu facile histoire.

Chers compatriotes, il n'est pas facile de renoncer au retour dans sa patrie « à ces champs riches des fleurs les plus variées, argentés de froment et dorés de seigle » comme l'a écrit Mickiewicz. A ces monts et vallées aux lacs et aux rivières, aux hommes tant aimés, à cette ville royale. Mais si telle est la volonté du Christ, il faut l'accepter et c'est pourquoi je l'accepte. Je prie seulement que cet éloignement nous unisse plus encore et nous consolide dans la véritable charité réciproque. Ne m'oubliez pas dans la prière à Jasna Gora et dans tout le pays afin que ce pape qui est sang de votre sang et coeur de vos coeurs serve bien l'Église et le monde dans les temps difficiles qui précèdent la fin de ce second millénaire. Je vous prie encore.; gardez votre fidélité au Christ, à sa Croix, à l'Église et à ses pasteurs. Et encore : opposez-vous de toutes vos forces à tout ce qui est en contradiction avec la dignité humaine et qui dégrade les moeurs d'une société saine, qui peut même parfois menacer jusqu'à son existence et le bien commun, qui peut réduire notre contribution au patrimoine commun de l'humanité, des nations chrétiennes, de l'Église du Christ. Permettez-moi de vous citer les paroles de saint Paul : « Au cas où je vienne vous voir... » (cf. Ph Ph 1,27). J'aimerais tant venir chez vous pour le neuf centième anniversaire de saint Stanislas auquel nous nous sommes préparés avec tant de ferveur dans l'archidiocèse métropolitain de Cracovie et dans toute la Pologne, parce que ce jubilé est celui de son plus ancien Patron. J'espère que ce jubilé apportera le renouveau de notre foi et de notre morale chrétienne, car en saint Stanislas nous voyons un patron de l'ordre moral comme en saint Adalbert nous voyons depuis près de mille ans le patron de l'ordre hiérarchique.

Je désire vous bénir et je le fais non seulement en vertu de ma mission d'évêque et de pape mais aussi pour répondre à un profond besoin du coeur. Et vous, chers compatriotes, aujourd'hui, comme toutes les fois que vous accueillerez la bénédiction du pape Jean Paul II, rappelez-vous qu'il est venu de chez vous et qu'il a un droit tout particulier à votre affection et à votre estime.


Message au diocèse de Cracovie





Au bien-aimé archidiocèse de Cracovie, à tout le peuple de Dieu, à mes frères en l'épiscopat, aux prêtres, aux familles religieuses masculines et féminines, à tous !

Je vous écris ces mots, très chers frères et soeurs, en ce moment exceptionnel et inattendu où, par la volonté de Nôtre-Seigneur Jésus-Christ, exprimée par le Conclave des cardinaux, après la mort du pape Jean Paul Ier, d'inoubliable mémoire — je quitte l'Église de Cracovie, la chaire épiscopale de saint Stanislas, pour assumer la chaire de saint Pierre à Rome. Je ne puis m'empêcher, en cette circonstance, de penser à vous et de m'adresser à vous, à qui pendant vingt ans m'a uni mon ministère pastoral et, avant cela, également le travail pastoral et celui de professeur, puis les expériences de l'activité physique et, enfui, toute ma vie depuis ma naissance. Croyez-moi, en venant à Rome pour le Conclave, je n'avais d'autre désir que de retourner parmi vous, à mon très cher archidiocèse et dans ma patrie. Mais la volonté du Christ était autre ; c'est pourquoi je reste ici et entreprends la nouvelle mission qu'il m'a confiée. Mission si élevée, mais aussi si difficile et de très grande responsabilité. Si nous pensons et raisonnons avec notre esprit, cette mission dépasse les forces humaines. Saint Pierre n'a-t-il pas eu, lui le premier, peur de cette mission quand il a dit au Christ : « Seigneur, éloigne-toi de moi qui suis un pécheur »? (LE 5,8). Et de même après la résurrection, quand, indiquant l'apôtre Jean, il demanda        « Seigneur, et lui ? » Mais le Christ lui avait déjà répété : « Que t'importe ? Toi, suis-moi » (Jn 21,21-22).

Mes très chers frères et soeurs, permettez-moi de vous remercier pour toutes les années de ma vie, années d'études, années de sacerdoce, années d'épiscopat. Comment pouvais-je savoir que toutes ces années allaient me préparer pour l'appel qui me fut adressé par le Christ le 16 octobre dernier en la chapelle Sixtine ? Mais dans la perspective de cette journée, je me dois de regarder vers tous ceux qui, sans le savoir, m'ont préparé à cette journée. C'est-à-dire mes très chers parents qui ne vivent plus depuis bien longtemps ; ma paroisse de Wadowice, dédiée à la Présentation au Temple delà Vierge Marie ; les écoles élémentaires et moyennes ; l'Université Jaghellonica, la faculté de Théologie, le séminaire ecclésiastique. Que devrais-je dire de mon prédécesseur sur la chaire de saint Stanislas, le cardinal Adam Stefan Sapieha et du grand exilé Eugeniusz Baziak, des évêques, des prêtres et de tous ces fervents pasteurs, ces profonds et excellents professeurs, ces religieux et religieuses exemplaires, et tous les laïcs de milieux divers que j'ai rencontrés dans ma vie ? Que dire aussi de mes anciens compagnons d'école, d'université, de séminaire ; des ouvriers de « Solway » ; des intellectuels, écrivains, artistes, gens de professions diverses ; et encore de tant d'époux, d'universitaires, de groupes apostoliques, d'oasis, de garçons et filles en recherche du sens de la vie, l'Évangile en main, et qui parfois trouvent la voie de la vocation sacerdotale ou religieuse ?

Tout ceci je le porte dans mon coeur et de certaine manière je le tiens avec moi : toute mon Église bien-aimée de Cracovie, remarquable partie de l'Église du Christ en Pologne et remarquable partie de l'histoire de notre patrie. La Cracovie ancienne et nouvelle, les nouveaux quartiers, les hommes nouveaux, les nouvelles bourgades, Nowa Huta ; la sollicitude à l'égard de l'urgent besoin de nouvelles églises et de nouvelles paroisses ; les besoins nouveaux pour l'évangélisation, la catéchèse et la pastorale. Tout ceci me suit sur la chaire de Pierre. Tout ceci constitue une part de mon âme que je ne saurais laisser : le terreau qui a nourri mon expérience et ma foi, mon amour qui s'élargit et embrasse tous les lieux qui me sont chers, tous les sanctuaires du Christ et de sa Mère, comme Mogila, Ludzmierz, Mysleni-ce, Staniatki ou Ryehwald, et particulièrement Kalwaria Zebrzydowka avec ses sentiers que je parcourais avec tant de plaisir. Je garde dans les yeux et dans le coeur le panorama de la terre de Cracovie, de Zywiec, de Slask, de Podhale, de Beskidy et de Tatra. J'offre au Seigneur cette terre tant aimée et le paysage tout entier de Pologne, mais surtout tous les hommes.

Encore une fois, je remercie les évêques : Julien, Jean, Stanislas, Albin, le Chapitre métropolitain, les attachés à la Curie, le Conseil presbytéral, les doyens, les curés et les vicaires, parce que la plus grande partie d'entre vous, chers Frères, a reçu l'ordination de mon ministère épiscopal.

En écrivant ces mots, je désire vous assurer de mon fidèle souvenir et de mes prières constantes.

Je désire que vous acceptiez, comme adressées à vous-mêmes, les pensées que j'ai exprimées dans ma lettre à tous mes compatriotes.

J'ai dû quitter Cracovie la veille des préparatifs au grand Jubilé de saint Stanislas. Peut-être Dieu me permettra-t-il d'y prendre part. J'espère que le travail de sept années en l'honneur de saint Stanislas, ce travail que nous avions commencé ensemble en 1972, mûrira et s'exprimera par les décisions du Synode pastoral et par tout ce qui tend au renouvellement de l'Église de Cracovie selon l'esprit du Concile Vatican II.

Que Dieu vous bénisse tous dans cette oeuvre. Qu'il bénisse le nouveau métropolitain de Cracovie, celui à qui sera assignée, après moi, la chaire de saint Stanislas ; qu'il bénisse tout le peuple de Dieu de cette Église.

Encore une fois, je vous confie au Christ, par les mains et le coeur de la Mère de Dieu.







25 octobre 1978


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