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RADIO ET TÉLÉVISION POUR LE PROGRÈS DE L'HOMME


Message du pape à l'UNDA

L'Association catholique internationale pour la radio et la télévision (UNDA) vient de célébrer à Cologne, avec la participation des délégués de cent neuf pays, le cinquantième anniversaire de sa fondation. A cette occasion, le Saint-Père Jean Paul II a adressé à ses dirigeants un message en langue anglaise. En voici la traduction :



Au Révérend Père Agnellus Andrew, ofm, Président de l'UNDA,



En ces premiers jours de notre ministère comme successeur de saint Pierre, nous sommes heureux d'adresser un message de félicitations et de bénédiction à l'Association catholique internationale pour la radio et la télévision et à ses représentants, réunis pour célébrer le cinquantième anniversaire de la fondation de l'oeuvre.

C'est une tâche agréable que nous accomplissons avec le plus grand empressement. Nous avons suivi de près les événements qui au cours des deux derniers mois ont intéressé le Saint-Siège et nous sommes parfaitement conscient du rôle que la radio et la télévision jouent dans la vie du monde et dans la vie de l'Église, ainsi que de leur capacité d'unir les peuples dans la célébration d'événements qui touchent profondément leur vie. Nous nous rendons compte de la bonté du Seigneur qui a daigné mettre à notre disposition ces moyens extraordinaires. En outre — et nous saisissons cette occasion avec joie pour vous le dire — nous sommes profondément reconnaissant envers les différents réseaux radio-télévisuels qui, au cours de ces journées, ont permis aux fils et aux filles de l'Église de connaître le visage de leur nouveau père, serviteur et pasteur, d'entendre sa voix et de faire immédiatement connaissance de sa personne, tel que ce fut le cas. Nous adressons de sincères remerciements à chacun des producteurs et des techniciens qui, de quelque manière, ont rendu possible que nous parlions directement à l'Église et au monde et que, de cette façon, nous donnions personnellement l'assurance de notre amour et de notre ferme engagement dans le service pastoral.

De manière tout spécialement affectueuse et reconnaissante, nous adressons nos félicitations à l'UNDA à l'occasion de son jubilé et nous désirons vivement que les représentants des cent neuf pays réunis à Cologne, hôtes de nos bien-aimés frères, le cardinal Joseph Höffner et les cardinaux de la Conférence épiscopale allemande sachent que le pape s'associe à eux dans leur joyeuse célébration. Avec eux, nous remercions le Seigneur pour ses grâces et ses dons durant les cinquante années écoulées et nous partageons leurs sentiments de gratitude envers les évêques allemands pour l'aide généreuse et l'appui qu'ils ont toujours accordés à l'UNDA depuis 1928, année de sa fondation à Cologne, jusqu'à ce jour.

Comme dans le livre de la Révélation, « Je connais vos oeuvres, votre amour et votre foi, vos services et votre patiente endurance et je sais que vos dernières oeuvres dépassent les premières » (Rév. 2, 19).

Et nous savons que la mention de « patiente endurance » vous fera penser avec émotion à tous ceux qui, associés à votre oeuvre, continuent, avec grand courage et abnégation, à travailler dans des conditions hérissées d'incertitudes, de souffrances et de difficultés. Soyez assurés que le pape s'unit à vous dans vos soucis pour eux, dans vos prières et dans votre fierté, dans votre admiration pour eux. Puissent-ils retremper leur courage dans la pensée que la Croix fournit l'indication la meilleure possible, que leur travail ne sera pas infructueux.

On ne saurait oublier la loyauté et le dévouement fidèle que l'UNDA a démontrés à l'égard du siège de Pierre au cours du demi-siècle écoulé : en fait, nos prédécesseurs y ont trouvé un réel support et un grand réconfort. Faisant preuve de confiance à l'égard de l'Association, nos prédécesseurs n'hésitèrent pas à faire appel à la compétence de ses membres pour élaborer les décrets et les règles qui guident actuellement les artisans de la communication sociale de l'Église dans les divers mass média.

Dans la partie des statuts où sont indiqués les buts de l'UNDA, figurent deux termes qui peuvent servir de point de départ pour l'activité future de votre Association. Ces ternies sont « apostolique » et  « professionnel ». Votre jubilé ne constitue pas seulement l'occasion de célébrer les réalisations du passé ; il est aussi — et vous le comprenez certainement — une occasion favorable au réexamen de votre disponibilité et de votre enthousiasme comme membres de cette association internationale. Il est aussi le moment qui permet d'approfondir ses motivations. Et la raison de base de votre travail est l’évangélisation du genre humain, ce qui exige une claire et explicite proclamation du salut en Jésus-Christ, la proclamation de son enseignement, de sa vie, de ses promesses, de son royaume et de son ministère comme Fils du Dieu vivant et Fils de Marie (cf. Evangelii nuntiandi EN 22,27). Cette évangélisation doit se faire par un recours compétent et professionnel à la radio, à la télévision et aux moyens audio-visuels. Et à l'évangélisation est nécessairement uni le progrès de toute la race humaine, le développement intégral de tous les hommes et femmes du monde. Ceci est un noble but, profondément chrétien et le pape partage votre conviction que ce but ne peut être atteint que par un professionnalisme qui n'admet ni superficialité ni improvisation. Cette exigence jaillit du respect dû à Dieu et de la considération due au public.

Si vous vous efforcez de promouvoir ce respect et cette considération parmi tous vos membres et d'encourager cette attitude chez tous ceux qui, sur le plan professionnel, vous sont liés, tant à l'intérieur qu'en dehors de votre Association, vous aurez travaillé pour réaliser un autre but important de l'UNDA, c'est-à-dire pour garantir un véritable esprit humain et chrétien dans toutes les activités rattachées aux moyens de la communication sociale.

Il est indubitable que vos activités et vos efforts sont nécessaires dans notre monde actuel. L'Église a besoin de vous, elle vous apprécie, elle vous fait confiance et elle compte sur votre apport spécifique au service de la foi catholique.

Et, à l'occasion de ce jubilé, le nouveau pasteur de l'Église vous embrasse, vous remercie pour tout ce que vous avez fait et vous renouvelle pour l'avenir sa confiance et ses espérances. Il vous bénit au nom du Père, du Fils et de l'Esprit-Saint.







31 octobre 1978

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MESSAGE DU PAPE A L'OCIC


A M. l'abbé Lucien Labelle, Président de l'Organisation Catholique Internationale du Cinéma



Au début de notre pontificat, nous sommes heureux de nous associer au jubilé d'or de l'Organisation Catholique Internationale du Cinéma, célébré à La Haye. La présence ecclésiale que cette institution essaie d'assurer au coeur de la vaste production cinématographique mérite en effet d'être encouragée, pour aider nos contemporains et toute la société à bénéficier vraiment, aux plans humain et spirituel, du développement de ce secteur important et à surmonter les risques qu'il comporte. Vous pouvez également aider l'Église à mieux comprendre et utiliser les ressources de ce « septième art » pour sa mission de salut.

C'est le mérite de vos devanciers d'en avoir compris l'enjeu et d'avoir su éveiller l'attention particulière des chrétiens sur la créativité cinématographique. Cette action ne tarda pas à recevoir les encouragements du Saint-Siège pour la situer au plan de l'Église universelle : Nous pensons notamment au pape Pie XII qui manifesta une grande sollicitude en ce domaine (cf. Discours aux représentants de l'industrie cinématographique italienne, 21 juin 1955, AAS 47,1955, p. 501-512). Et le Concile Vatican II est venu éclairer et stimuler cet apostolat des communications sociales, en posant les bases de l'instruction pastorale Communion et Progrès. Vous avez raison d'en tirer sans cesse le dynamisme et les orientations que requièrent vos responsabilités.

Certes, l'OCIC n'a pas une tâche facile pour être pleinement fidèle à sa vocation et les modalités de son action peuvent être parfois diversement appréciées, la sensibilité personnelle s'attachant à tel ou tel aspect. Or cette institution ecclésiale doit accueillir et promouvoir les essais du cinéma moderne avec la lucidité et la compréhension que demande cet art spécifique et en même temps témoigner librement des valeurs humaines et spirituelles exigées par l'éthique chrétienne, souvent rappelée par le Magistère. Nous tenons à vous exprimer la reconnaissance de l'Église pour le travail qui a été accompli en ce sens. Mais le jubilé de votre Organisation doit surtout provoquer un élan vers les tâches à venir. Nous espérons d'une part, que les différentes instances amélioreront encore la compétence et la qualité apostolique de leur service. Et nous souhaitons, d'autre part, qu'elles trouvent toujours davantage, entre elles et avec le Saint-Siège, précisément dans l'OCIC, la concertation qui donnera à leur action la force d'un engagement catholique de plus large envergure. Nous jugeons bon de confier à votre méditation quelques points fondamentaux.

Parler de cinéma, c'est d'abord évoquer le secteur très complexe de la créativité et de la production des films. C'est un vrai dialogue qui doit s'établir ici entre l'Église et le monde du cinéma : vous en êtes déjà et vous pourrez en être toujours davantage les artisans qualifiés et efficaces. Puissiez-vous contribuer à susciter une mentalité nouvelle qui accepte que les priorités soient posées sans ambiguïté ! Voici quelques thèmes qui pourraient faire l'objet d'une réflexion approfondie avec les réalisateurs et acteurs : cherchent-ils la promotion des authentiques valeurs humaines ? Donnent-ils la place qui convient aux valeurs religieuses et spécifiquement chrétiennes ? Vous pouvez au moins insister pour que celles-ci ne soient ni omises ni sous-estimées. Quelle responsabilité pour l'Église et aussi quelle espérance, d'encourager sans cesse le retour à une production cinématographique humainement digne de ce nom !

Une autre série de réflexions s'imposerait aujourd'hui, bien qu'elle touche un problème délicat, régi par la loi du commerce : les organes de distribution de films tiennent-ils compte suffisamment de la dignité et des convictions des destinataires ? En effet, des pays techniquement avancés diffusent trop souvent — et de jeunes nations semblent accueillir trop facilement — nombre de réalisations cinématographiques discutables, sans se soucier des diversités culturelles, ethniques et historiques des spectateurs.

Mais la pastorale de l'OCIC doit viser plus encore la formation des éducateurs et des usagers, pour leur permettre de bénéficier avec discernement des séquences qui leur sont proposées et d'intervenir à bon escient auprès des responsables.

Enfin, le défi de l'évangélisation, si bien mis en relief par les deux récents synodes d'évêques, devrait aussi susciter des initiatives plus nombreuses en ce domaine cinématographique. Il s'agit de créer des films, même modestes et de courte durée, pour témoigner directement de la foi de l'Église. Beaucoup de réalisations intéressantes ont déjà vu le jour — et nous en félicitons les auteurs — mais les communautés chrétiennes malgré la pauvreté de leurs moyens, ne devraient pas hésiter à investir davantage dans ce secteur si important, à l'heure de la « civilisation de l'image ». Dans le passé, nos sanctuaires se remplissaient de mosaïques, de peintures, de sculptures religieuses, pour enseigner la foi. Aurons-nous assez de vigueur spirituelle et de génie pour créer des « images mouvantes » et de grande qualité, aussi bien adaptées à la culture d'aujourd'hui ? Il y va, non seulement de la première annonce de la foi dans un monde souvent très sécularisé, ou de la catéchèse pour approfondir cette foi, mais de l’inculturation du message évangélique au niveau de chaque peuple, de chaque tradition culturelle.

Une réflexion particulière nous est suggérée par le thème que les instances internationales ont choisi pour l'année qui vient : la promotion de l'enfant. Les enfants et les jeunes sont bien en effet les usagers privilégiés, et aussi les plus exposés, face aux méfaits de la production cinématographique. Le récent synode les a aussi considérés comme destinataires de la catéchèse, à un titre particulier. Vous saurez leur accorder une place spéciale dans votre sollicitude.

En ce cinquantième anniversaire, nous souhaitons à l’OCIC une fructueuse activité, en communion profonde avec les évêques et l'ensemble de l'Église. Et nous donnons de tout coeur, aux membres de cette Organisation et à tous ceux qui oeuvrent avec eux pour que le cinéma serve le progrès humain et spirituel de leurs frères, notre bénédiction apostolique.







2 décembre 1978



POUR LE XXXe ANNIVERSAIRE DE LA DÉCLARATION UNIVERSELLE DES DROITS DE L'HOMME



Message du pape au Secrétaire général des Nations Unies



A S. Exc. le Dr Kurt Waldheim,

Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies,



L'événement que représente le trentième anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme offre au Saint-Siège une occasion opportune pour proclamer, une fois encore, à l'intention des peuples et des nations, son intérêt constant et sa fervente sollicitude pour les droits fondamentaux de l'homme dont nous trouvons l'expression dans ce qui est clairement enseigné par le message évangélique lui-même.

C'est dans cette pensée que je désire vous saluer, Monsieur le Secrétaire général, et, par votre intermédiaire, le président et les membres de l'Assemblée générale des Nations Unies qui se sont rassemblés pour commémorer cet anniversaire. Je voudrais vous exprimer à tous mon ferme assentiment en ce qui concerne « l'engagement permanent de l'Organisation des Nations Unies en vue de promouvoir, d'une façon toujours plus évidente, plus autorisée et plus effective, le respect pour les droits fondamentaux de l'homme » (Paul VI, Message pour le XXVe anniversaire de la Déclaration des droits de l'homme, 10 décembre 1973, AAS 65, 1973, p. 674).

Au cours de ces trente années écoulées, des étapes significatives ont été parcourues et des efforts remarquables ont été faits pour créer et soutenir les moyens juridiques prévus pour protéger les idéaux exprimés dans cette Déclaration.

Il y a deux ans, la Convention internationale sur les Droits économiques, sociaux et culturels et la Convention internationale sur les Droits civils et politiques ont été mises en oeuvre. De ce fait, les Nations Unies ont fait un sensible pas en avant et ont rendu effectif l'un des principes de base qu'elles avaient adopté en propre comme véritable base de l'Organisation : à savoir l'institution juridique de moyens ayant force de loi pour promouvoir les droits des individus et pour protéger leurs libertés fondamentales.

Assurément, un objectif désirable serait qu'un nombre croissant d'États adoptent ces Conventions de manière à ce ce que le contenu de la Déclaration Universelle puisse devenir toujours plus opérationnel dans le monde. Ainsi la Déclaration trouverait un plus grand écho comme l'expression répandue partout de la ferme volonté des peuples de promouvoir, avec des garanties légales, les droits des hommes et des femmes sans discrimination de race, de sexe, de langue ou de religion.

Il serait à remarquer que le Saint-Siège — selon la logique de son identité propre et à différents niveaux — a toujours cherché à être un fidèle collaborateur des Nations Unies dans toutes ces initiatives susceptibles de faire progresser cette tâche noble mais difficile. Le Saint-Siège a toujours apprécié, loué et soutenu les efforts déployés par les Nations Unies pour garantir d'une façon toujours plus effective la pleine et juste protection des droits fondamentaux et des libertés de la personne humaine.

Si la considération des trente années écoulées nous donne tout lieu de nous montrer vraiment satisfait des nombreux progrès réalisés en ce domaine, nous ne pouvons cependant pas ignorer que le monde dans lequel nous vivons aujourd'hui présente de trop nombreux exemples de situation d'injustice et d'oppression. Force nous est de constater qu'il existe apparemment une croissante divergence entre les déclarations significatives des Nations Unies et l'accroissement parfois massif des violations des droits de l'homme dans toutes les parties de la société et du monde. Ceci ne peut que nous attrister et nous laisser dans un sentiment d'insatisfaction quant au déroulement actuel des événements.

Qui pourrait nier qu'aujourd'hui des personnes individuelles et des pouvoirs civils violent impunément les droits fondamentaux de la personne humaine : droits tels que le droit à la naissance, le droit à la vie, le droit à une procréation responsable, le droit au travail, à la paix, à la liberté et à la justice sociale, le droit de participer aux décisions qui concernent les peuples et les nations ?

Et que dire des différentes formes de violence collective comme la discrimination raciale dirigée contre des individus et des groupes, l'usage de la torture physique et psychologique perpétrée contre des prisonniers ou des opposants politiques ? Cette liste s'allonge si nous tournons notre regard vers les exemples de séquestration de personnes pour des raisons politiques et si nous considérons les actes d'enlèvements pour un profit matériel, actes qui frappent si dramatiquement la vie familiale et les structures sociales.

Dans le monde tel que nous le découvrons aujourd'hui, quels critères pouvons-nous utiliser pour voir protéger les droits de toutes les personnes ? Quelle base pouvons-nous offrir comme terrain sur lequel les droits individuels et sociaux puissent croître ? Indiscutablement cette base est la dignité de la personne humaine. Le pape Jean XXIII expliquait cela dans Pacem in Terris : « Toute association bien ordonnée et féconde des hommes dans la société exige l'acceptation d'un principe fondamental : à savoir que chaque individu est vraiment une personne. Comme tel il a des droits et des devoirs qui découlent ensemble de sa nature comme une conséquence directe. Ces droits et ces devoirs sont universels et inviolables et par conséquent absolument inaliénables » (n. 9).

Le préambule de la Déclaration Universelle elle-même est tout à fait semblable quand il dit : « La reconnaissance de la dignité personnelle et de l'égalité des droits inaliénables de tous les membres de la famille humaine est le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde. »

C'est dans cette dignité de la personne que les droits de l'homme trouvent leur source immédiate. Et c'est le respect de cette dignité qui donne naissance à la protection de ces droits. La personne humaine, même quand elle se trompe, conserve toujours sa dignité intrinsèque et ne perd jamais cette dignité personnelle (Pacem in Terris, PT 158).

Pour les croyants, permettre à Dieu ,de parler à l'homme est le moyen de mieux contribuer en vérité au renforcement de la conscience que tout être humain, homme ou femme, a de sa destinée, et à la prise de conscience du fait que tous les droits dérivent de la dignité de la personne qui est solidement enracinée en Dieu.

Je voudrais maintenant parler de ces droits eux-mêmes tels qu'ils sont sanctionnés par la Déclaration et en particulier de l'un d'entre eux qui occupe sans aucun doute une place centrale : le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion (cf. Art 18).

Permettez-moi d'attirer l'attention de l'Assemblée sur l'importance et sur la gravité d'une question qui, aujourd'hui encore, est vivement et douloureusement ressentie. Je veux parler de la question de la liberté religieuse qui est la base de toutes les autres libertés et qui est inséparablement liée à elles toutes en raison précisément de cette dignité qu'est la personne humaine.

La véritable liberté est la caractéristique prédominante de l'humanité : c'est la source d'où découle la dignité humaine ; c'est « le signe exceptionnel de l'image de Dieu dans l'homme » (Gaudium et Spes, GS 17). Elle nous est offerte et nous est conférée comme notre mission propre.

Les hommes et les femmes d'aujourd'hui ont une conscience accrue de la dimension sociale de la vie et il en résulte qu'ils sont devenus toujours plus sensibles au principe de la liberté de pensée, de conscience et de religion. Cependant, avec tristesse et un regret profondément ressenti, nous avons aussi à admettre que, malheureusement, selon les termes du Concile Vatican II, dans la Déclaration sur la liberté religieuse, « il existe des régimes où, bien que la liberté de culte religieux soit reconnue dans la Constitution, les pouvoirs publics eux-mêmes s'efforcent de détourner les citoyens de professer la religion et de rendre la vie des communautés religieuses difficile et précaire » (Dignitatis Humanae, DH 15).

L'Église s'efforce d'être l'interprète de la soif de dignité des hommes et des femmes modernes. Aussi voudrais-je demander solennellement que, partout et de la part de tous, la liberté religieuse soit respectée pour chaque personne et pour tous les peuples. Je suis poussé à faire cet appel solennel par la conviction profonde que, même indépendamment du désir de servir Dieu, le bien commun de la société elle-même « pourrait profiter des biens de la justice et de la paix qui découlent de la fidélité des hommes envers Dieu et sa sainte volonté » (ibid. 6). La libre pratique de la religion est à l'avantage aussi bien des individus que des gouvernements. Par conséquent, l'obligation de respecter la liberté religieuse incombe à tous, à la fois aux citoyens privés et à l'autorité civile légitime.

Pourquoi alors y a-t-il des actes de répression et de discrimination exercés contre de grands nombres de citoyens qui ont eu à souffrir toute sorte d'oppression, et même la mort, pour sauvegarder leurs valeurs spirituelles, alors qu'en dépit de tout cela ils n'avaient jamais cessé de coopérer en tout ce qui pouvait servir le véritable progrès civil et social de leurs pays ? Ne devraient-ils pas être des sujets d'admiration et de louange au lieu d'être considérés comme des suspects et des criminels ?

Mon prédécesseur Paul VI a soulevé cette question : « Un État peut-il demander avec fruit une entière confiance et une pleine collaboration alors qu'en une espèce de "confessionnalisme négatif" il se proclame athée et que tout en déclarant qu'il respecte, dans un certain cadre, les croyances individuelles, il prend des positions qui vont à l'encontre de la foi d'une partie de ses citoyens ? » (Paul VI, discours au Corps Diplomatique, 14 janvier 1978. AAS 70,1978, p. 170).

La justice, la sagesse et le réalisme demandent tous que les opinions destructrices du sécularisme soient dépassées, en particulier la réduction erronée du fait religieux à une sphère purement privée. Chaque personne doit avoir la possibilité dans le contexte de notre vie commune de professer sa foi et sa croyance, seule ou avec d'autres, en privé et en public.

Un dernier point mérite attention. En même temps que l'on insiste — et à bon droit — sur la revendication des droits de l'homme on ne devrait pas perdre de vue les obligations et les devoirs qui sont associés à ces droits. Chaque individu a l'obligation d'exercer ces droits fondamentaux d'une manière responsable et moralement justifiée. Chaque homme et chaque femme a le devoir de respecter chez les autres les droits qu'il ou elle réclame pour soi. En outre, nous devons tous contribuer pour notre part à la construction d'une société qui rende possible et praticable la jouissance des droits et l'accomplissement des devoirs inhérents à ces droits.

Pour conclure ce message, je désire étendre à vous-même, Monsieur le Secrétaire général, et à tous ceux qui, à quelque degré que ce soit, sont au service de votre Organisation, mes souhaits très cordiaux dans l'espoir que les Nations Unies puissent poursuivre sans relâche la promotion, en tout lieu, de la défense de la personne humaine et de sa dignité dans l'esprit de la Déclaration Universelle.







8 décembre 1978

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« POUR PARVENIR A LA PAIX, ÉDUQUER A LA PAIX »


Message de Jean Paul II pour la « Journée de la Paix »



A vous tous qui désirez la paix !



La grande cause de la paix entre les peuples a besoin de toutes les énergies de paix présentes au coeur de l'homme. C'est à les libérer et à les cultiver — à les éduquer — que mon prédécesseur Paul VI a voulu, peu avant sa mort, que soit consacrée la Journée mondiale 1979 : Pour parvenir à la paix, éduquer à la paix.

Tout au long de son pontificat, Paul VI a marché avec tous sur les chemins difficiles de la paix. Il partageait vos angoisses quand elle était menacée. Il souffrait avec ceux que submergeaient les malheurs de la guerre. Il encourageait tous les efforts pour restaurer la paix. Il entretenait en toutes circonstances l'espérance, avec une indomptable énergie.

Convaincu que la paix est l'oeuvre de tous, il avait lancé en'1967 l'idée d'une Journée mondiale de la Paix, en souhaitant que vous vous en empariez comme d'une initiative qui vous serait propre. Chaque année, depuis lors, son Message offrait aux responsables des nations et des organisations internationales l'occasion de renouveler et d'exprimer publiquement ce qui légitime leur autorité : faire progresser et cohabiter dans la paix des hommes libres, justes et fraternels. Les communautés les plus diverses se rencontraient pour fêter le bien inestimable de la paix et pour affirmer leur volonté de la défendre et de la servir.

Je recueille des mains de mon vénéré prédécesseur le bâton de pèlerin de la paix. Je suis sur la route, à vos côtés, avec l'Évangile de la paix. « Bienheureux les artisans de paix. » Je vous invite à célébrer au début de l'année 1979 la Journée mondiale en la plaçant, selon les ultimes désirs de Paul VI, sous le signe de l'éducation à la paix.

Une rude tâche





Parvenir à la paix : c'est le résumé et le couronnement de toutes nos aspirations. La paix, nous le pressentons, est plénitude et elle est joie. Pour la réaliser entre les pays, on multiplie les tentatives dans les échanges bilatéraux, ou multilatéraux, dans les conférences internationales; et certains prennent personnellement de courageuses initiatives pour établir la paix ou écarter la menace d'une nouvelle guerre.

Mais en même temps, on observe que les personnes comme les groupes n'en finissent pas de régler leurs conflits secrets ou publics. La paix serait-elle donc un idéal hors de nos prises ? Le spectacle quotidien des guerres, des tensions, des divisions sème le doute et le découragement. Des foyers de discorde et de haine semblent même attisés artificiellement par certains qui n'en font pas les frais. Et trop souvent les gestes de paix sont dérisoirement impuissants à changer le cours des choses, quand ils ne sont pas emportés et finalement récupérés par la logique dominante de l'exploitation et de la violence.

Ici, la timidité et la difficulté des réformes nécessaires empoisonnent les relations entre les groupes humains pourtant unis par une longue ou exemplaire histoire commune; de nouvelles volontés de puissance inclinent à recourir à la contrainte du nombre ou à la force brutale pour dénouer la situation, sous le regard impuissant, parfois intéressé et complice d'autres pays, proches ou lointains ; les plus forts comme les plus faibles ne font plus confiance aux patientes procédures de la paix.

Ailleurs, la crainte d'une paix mal assurée, des impératifs militaires et politiques, des intérêts économiques et commerciaux entraînent la constitution d'arsenaux ou la vente d'armes d'une capacité effrayante de destruction : la course aux armements prévaut alors sur les grandes tâches pacifiques qui devraient unir les peuples dans une solidarité nouvelle, nourrit des conflits sporadiques mais meurtriers et accumule les menaces les plus graves. C'est vrai : à première vue, la cause de la paix souffre d'un handicap désespérant

Et pourtant, dans presque tous les discours publics, au niveau des nations ou des instances internationales, on a rarement parlé de paix, de détente, d'entente, de solutions raisonnables des conflits, conformes à la justice. La paix est devenue le slogan qui rassure ou veut séduire. C'est, en un sens, un fait positif: l'opinion publique des nations ne souffrirait plus que l'on fasse l'apologie de la guerre ni même que l'on prenne le risque d'une guerre offensive.

Mais pour relever le défi qui s'impose à toute l'humanité, face à la rude tâche de la paix, il faut plus que des paroles, sincères ou démagogiques. Notamment au niveau des hommes politiques, des milieux ou des centres dont dépendent plus ou moins directement, plus ou moins secrètement, les pas décisifs pour la paix ou au contraire le prolongement des guerres ou des situations de violence, il faut que pénètre le véritable esprit de paix. Il faut, au minimum, que l'on consente à s'appuyer sur quelques principes élémentaires mais fermes, tels que ceux-ci. Les affaires des hommes doivent être traitées avec humanité, et non par la violence. Les tensions, les contentieux et les conflits doivent être réglés par des négociations raisonnables et non par la force. Les .oppositions idéologiques doivent se confronter dans un climat de dialogue et de libre discussion. Les intérêts légitimes de groupes déterminés doivent aussi tenir compte des intérêts légitimes des autres groupes concernés et des exigences du bien commun supérieur. Le recours aux armes ne saurait être considéré comme l'instrument propre à solutionner les conflits. Les droits humains imprescriptibles doivent être sauvegardés en toute circonstance. Il n'est pas permis de tuer pour imposer une solution.

Ces principes d'humanité, chaque homme de bonne volonté peut les retrouver dans sa propre conscience. Ils correspondent à la volonté de Dieu sur les hommes. Pour qu'ils deviennent des convictions chez les puissants et chez les faibles et qu'ils imprègnent toute l'action, il faut leur redonner toute leur force. Il y faut, à tous les niveaux, une patiente et longue éducation.

L'éducation à la paix





Pour vaincre ce sentiment spontané d'impuissance, la tâche et le bienfait premier d'une éducation digne de ce nom est de porter le regard au-delà des tristes évidences immédiates, ou plutôt, d'apprendre à reconnaître, au coeur même des déferlements de la violence qui tue, le cheminement discret de la paix qui jamais ne renonce, qui inlassablement guérit les blessures, qui maintient et fait progresser la vie. La marche vers la paix apparaîtra dès lors possible et désirable, forte et déjà victorieuse.

Apprenons d'abord à relire l'histoire des peuples et de l'humanité selon des schémas plus vrais que ceux de l'enchaînement des guerres et des révolutions. Assurément le bruit des batailles domine l'histoire. Mais ce sont les répits de la violence qui ont permis de réaliser ces oeuvres culturelles durables dont s'honore l'humanité. Bien plus, si l'on a pu trouver, dans les guerres et les révolutions elles-mêmes, des facteurs de vie et de progrès, ceux-ci venaient d'aspirations d'un autre ordre que la violence : des aspirations de nature spirituelle, telles que la volonté de voir reconnue une dignité commune à toute l'humanité de sauver l'âme et la liberté d'un peuple. Là où de telles aspirations étaient présentes, elles opéraient comme un régulateur au sein même des conflits, elles empêchaient des cassures irrémédiables, elles maintenaient une espérance, elles préparaient une chance nouvelle pour la paix. Là où elles faisaient défaut ou s'altéraient dans l'exaltation de la violence, elles laissaient le champ à la logique de la destruction qui a conduit à des régressions économiques et culturelles durables et à la mort de civilisations entières. Responsables des peuples, sachez vous éduquer vous-mêmes à l'amour de la paix, en discernant et en faisant ressortir dans les grandes pages de l'histoire nationale l'exemple de vos prédécesseurs dont la gloire a été de faire germer des fruits de paix. « Bienheureux les artisans de paix... »

Aujourd'hui, vous contribuerez à l'éducation de la paix en donnant le plus de relief possible aux grandes tâches pacifiques qui s'imposent à la famille humaine. Dans vos efforts pour parvenir à une gestion raisonnable et solidaire de l'environnement et du patrimoine communs de l'humanité, à l’éradication de la misère qui écrase des millions d'hommes, à l'affermissement d'institutions susceptibles d'exprimer et de faire grandir l'unité de la famille humaine au niveau régional et mondial, les hommes découvriront l'appel fascinant de la paix qui est réconciliation entre eux et réconciliation avec leur univers naturel. En encourageant contre toutes les démagogies ambiantes la recherche de modes de vie plus simples, moins livrés aux poussées tyranniques des instincts de possession, de consommation, de domination, plus accueillants aux rythmes profonds de la créativité personnelle et de l'amitié, vous ouvrirez pour vous-mêmes et pour tous un espace immense aux possibilités insoupçonnées de la paix.

Autant est inhibant pour l'individu le sentiment que les efforts modestes en faveur de la paix, dans la zone restreinte des responsabilités de chacun, sont rendus vains par les grands débats politiques mondiaux prisonniers d'une logique de simples rapports de forces et de course aux armements, autant est libérateur le spectacle d'instances internationales convaincues des possibilités de la paix et attachées passionnément à construire la paix. L'éducation à la paix peut alors bénéficier aussi d'un intérêt renouvelé pour les exemples quotidiens des simples artisans de paix à tous les niveaux : ces individus et ces foyers qui, par la maîtrise de leurs passions, par l'acceptation et le respect mutuels, conquièrent leur propre paix intérieure et la rayonnent ; ces peuples, souvent pauvres et éprouvés, dont la sagesse millénaire s'est forgée autour du bien suprême de la paix, qui ont pu résister souvent aux séductions trompeuses de progrès rapides acquis par la violence, convaincus que de tels gains porteraient les germes empoisonnés de nouveaux conflits.

Oui, sans ignorer le drame des violences, remplissons nos regards et ceux des jeunes générations de ces visions de paix : elles exerceront une attraction décisive. Surtout, elles libéreront l'aspiration à la paix qui est constitutive de l'homme. Ces énergies neuves feront inventer un nouveau langage de paix et de nouveaux gestes de paix.

Le langage est fait pour exprimer les pensées du coeur et pour unir. Mais quand il est prisonnier de schémas préfabriqués, il entraîne à son tour le coeur sur ses propres pentes. Il faut donc agir sur le langage pour agir sur le coeur et déjouer les pièges du langage.

Il est facile de relever à quel point l'ironie acerbe et la dureté dans les jugements, dans la crique des autres et surtout de l’« étranger », la contestation et la revendication systématiques envahissent les relations parlées et étouffent avec la charité sociale la justice elle-même. A force de tout exprimer en termes de rapports de forces, de luttes de groupes et de classes, d'amis et d'ennemis, on crée le terrain propice aux barrières sociales, au mépris, voire à la haine et au terrorisme et à leur apologie sournoise ou ouverte. D'un coeur acquis à la valeur supérieure de la paix surgissent au contraire le souci d'écouter et de comprendre, le respect de l'autre, la douceur qui est force véritable, la confiance. Un tel langage met sur la voie de l'objectivité, de la vérité, de la paix. Grande est sur ce point la tâche éducative des moyens de communication sociale. Et influente aussi la façon dont on s'exprime dans les échanges et les débats des confrontations politiques, nationales et internationales. Responsables des nations et responsables des organisations internationales, sachez trouver un langage neuf, un langage de paix : il ouvre par lui-même un nouvel espace à la paix.

Ce que libèrent des visions de paix, ce que sert un langage de paix doit s'exprimer dans des gestes de paix. Faute de quoi les convictions naissantes s'évaporent et le langage de paix devient une rhétorique vite discréditée. Très nombreux peuvent être les artisans de paix s'ils prennent conscience de leurs possibilités et de leurs responsabilités.

C'est la pratique de la paix qui entraîne à la paix. Elle apprend à ceux qui cherchent le trésor de la paix que le trésor se révèle et s'offre à ceux qui réalisent modestement, au jour le jour, toutes les paix dont ils sont capables.

Parents et éducateurs, aidez les enfants et les jeunes à faire l'expérience de la paix dans les mille actions quotidiennes qui sont à leur portée, en famille, à l'école, dans le jeu, la camaraderie, le travail en équipé, la compétition sportive, les multiples conciliations et réconciliations nécessaires.

L'Année internationale de l'Enfant, que les Nations Unies ont proclamée pour 1979, devrait attirer l'attention de tous sur la contribution originale des enfants eux-mêmes à la paix.

Jeunes, soyez des bâtisseurs de paix. Vous êtes des artisans à part entière de cette grande oeuvre commune. Résistez aux facilités qui endorment dans la médiocrité triste, et aux violences stériles où veulent vous utiliser parfois des adultes qui ne sont pas en paix avec eux-mêmes. Suivez les voies où vous pousse votre sens de la gratuité, de la joie de vivre, du partage. Vous aimez investir vos énergies neuves — qui échappent aux a priori discriminatoires — dans des rencontres fraternelles par-delà les frontières, dans l'apprentissage des langues étrangères qui facilitent la communication, dans le service désintéressé des pays les plus démunis. Vous êtes les premières victimes de la guerre qui brise votre élan. Vous êtes la chance de la paix.

Partenaires de la vie professionnelle et sociale, la paix est souvent pour vous laborieuse à réaliser. Il n'y a pas de paix sans justice et sans liberté, sans un engagement courageux pour promouvoir l'une et l'autre. La force alors exigée doit être patiente sans résignation ni démission, ferme sans provocation, prudente pour préparer activement les progrès souhaitables sans dissiper les énergies en flambées d'indignation violente vite retombées. Contre les injustices et les oppressions, la paix est amenée à se frayer un chemin dans l'adoption d'une action résolue. Mais cette action doit déjà porter la marque du but qu'elle vise, à savoir une meilleure acceptation mutuelle des personnes et des groupes. Elle trouvera une régulation dans la volonté de paix qui vient du plus profond de l'homme, dans les aspirations et la législation des peuples. C'est cette capacité de paix, cultivée, disciplinée, qui rend lucide pour trouver aux tensions et aux conflits eux-mêmes les répits nécessaires pour développer sa logique féconde et constructive. Ce qui se passe dans la vie sociale interne des pays a une répercussion considérable — pour le meilleur et pour le pire — sur la paix entre les nations.

Mais, il faut y insister à nouveau, ces multiples gestes de paix risquent d'être découragés et en partie annihilés par une politique internationale qui ne trouverait pas, à son niveau, la même dynamique de paix. Hommes politiques, responsables des peuples et des organisations internationales, je vous exprime mon estime sincère et j'apporte mon entier soutien à vos efforts souvent harassants pour maintenir ou établir la paix. Bien plus, conscient qu'il y va du bonheur et même de la survie de l'humanité, et persuadé de la grave responsabilité qui m'incombe de donner l'écho à l'appel capital du Christ : « Bienheureux les artisans de paix », j'ose vous encourager à aller plus loin. Ouvrez de nouvelles portes à la paix. Faites tout ce qui est en votre pouvoir pour faire prévaloir la voie du dialogue sur celle de la force. Que cela trouve d'abord une application au plan intérieur : comment des peuples peuvent-ils promouvoir vraiment la paix internationale s'ils sont eux-mêmes prisonniers d'idéologies selon lesquelles la justice et la paix ne s'obtiennent qu'en réduisant à l'impuissance ceux qui, déjà d'avance, sont considérés comme indignes d'être des artisans de leur propre sort ou des coopérateurs valables du bien commun ? Dans les pourparlers avec les parties adverses, soyez persuadés que l'honneur et l'efficience ne se mesurent pas au degré d'inflexibilité dans la défense des intérêts, mais à la capacité de respect, de vérité, de bienveillance et de fraternité des partenaires, disons, à leur humanité. Posez des gestes de paix, même audacieux, qui rompent avec les enchaînements fatals et avec le poids des passions héritées de l'histoire ; puis tissez patiemment la trame politique, économique et culturelle de la paix. Créez — l'heure est propice et le temps presse — des zones toujours plus larges de désarmement. Ayez le courage de réexaminer en profondeur la troublante question du commerce des armes. Sachez détecter à temps et régler dans la sérénité les conflits latents avant qu'ils ne réveillent les passions. Donnez des cadres institutionnels appropriés aux solidarités régionales et mondiales. Renoncez à utiliser, au service des conflits d'intérêts, des valeurs légitimes, voire spirituelles, qui s'y dégradent en les durcissant Veillez à ce que la légitime passion communicative des idées s'exerce par la voie de la persuasion et non sous la pression des menaces et des armes.

En posant des gestes résolus de paix, vous libérerez les aspirations vraies des peuples et vous trouverez en elles des alliés puissants pour travailler au développement pacifique de tous. Vous vous éduquerez vous-mêmes à la paix, vous éveillerez en vous des convictions fermes et une nouvelle capacité d'initiative au service de la grande cause de la paix.


La contribution spécifique des chrétiens





Toute cette éducation à la paix — entre les peuples, dans son propre pays, dans son milieu, en soi-même — est proposée à tous les hommes de bonne volonté, comme le rappelle l'encyclique Pacem in terris du pape Jean XXIII. Elle est, à des degrés divers, à leur portée. Et comme « la paix sur la terre... ne peut se fonder ni s'affermir que dans le respect absolu de l'ordre établi par Dieu » (encyclique citée, AAS 55, 1963, p. 257), les croyants trouvent dans leur religion des lumières, des appels, des forces, pour oeuvrer à l'éducation de la paix. Le véritable sentiment religieux ne peut que promouvoir la vraie paix. Les pouvoirs publics, en reconnaissant comme il se doit la liberté religieuse, favorisent l'épanouissement de l'esprit de paix, au plus profond des coeurs et dans les institutions éducatives promues par les croyants. Les chrétiens, pour leur part, sont spécialement éduqués par le Christ et entraînés par lui à être des artisans de paix : « Bienheureux ceux qui font la paix, car ils seront appelés fils de Dieu » (Mt 5,9 cf. Lc Lc 10, 5, etc. ). Au terme de ce message, on comprendra que je porte une attention particulière aux fils de l'Église, pour encourager leur contribution à la paix et la situer dans le grand dessein de paix, révélé par Dieu en Jésus-Christ. L'apport spécifique des chrétiens et de l'Église à l'oeuvre commune sera d'autant plus assuré qu'il se nourrira à ses sources propres, à son espérance propre.

Chers Frères et Soeurs dans le Christ, l'aspiration à la paix que vous partagez avec tous les hommes correspond à un appel initial de Dieu à former une même famille de frères, créés à l'image du même Père. La Révélation insiste sur notre liberté et notre solidarité, Les difficultés que nous rencontrons dans la marche vers la paix sont liées en partie à notre faiblesse de créatures, dont les pas sont nécessaire-, ment lents et progressifs ; elles sont aggravées par nos égoïsmes, par nos péchés de toute sorte, depuis ce péché des origines qui a marqué une rupture avec Dieu, entraînant une rupture entre frères. L'image de la tour de Babel décrit bien la situation. Mais nous croyons que Jésus-Christ, par le don de sa vie sur la croix, est devenu notre Paix : il a renversé le mur de haine qui séparait les frères ennemis (Ep 2,14). Ressuscité et entré dans la gloire du Père, il nous associe mystérieusement à sa   vie : nous réconciliant avec Dieu, il répare les blessures du péché et de la division et nous rend capables d'inscrire dans nos sociétés une ébauche de l'unité qu'il rétablit en nous. Les plus fidèles disciples du Christ ont été des artisans de paix, jusqu'à pardonner à leurs ennemis, jusqu'à offrir parfois leur propre vie pour eux. Leur exemple trace la voie à une humanité nouvelle qui ne se contente plus de compromis provisoires, mais réalise la plus profonde des fraternités. Nous savons que notre marche vers la paix sur terre, sans perdre sa consistance naturelle ni ses propres difficultés, est englobée à l'intérieur d'une autre marche, celle du salut, qui s'achève dans une plénitude éternelle de paix, dans une communion totale avec Dieu. Ainsi le royaume de Dieu, royaume de paix, avec sa propre source, ses moyens et sa fin, pénètre déjà toute l'activité terrestre sans s'y diluer. Cette vision de foi a un impact profond sur l'action quotidienne des chrétiens.

Certes, nous avançons sur les chemins de la paix avec les faiblesses et les recherches tâtonnantes de tous nos compagnons de route. Nous souffrons avec eux des tragiques carences de paix. Nous nous sentons pressés d'y remédier plus résolument encore, pour l'honneur de Dieu et pour l'honneur de l'homme. Nous ne prétendons pas trouver dans la lecture de l'Évangile des formules toutes faites pour réaliser aujourd'hui tel ou tel progrès dans la paix. Mais nous trouvons, presque à chaque page de l'Évangile et de l'histoire de l'Église, un esprit, celui de l'amour fraternel, qui éduque puissamment à la paix. Nous trouvons, dans les dons de l'Esprit-Saint et dans les sacrements, une force alimentée à la source divine. Nous trouvons, dans le Christ, une espérance. Les échecs ne sauraient rendre vaine l'oeuvre de la paix, même si les résultats immédiats s'avèrent fragiles, même si nous sommes persécutés .pour notre, témoignage en faveur de la paix. Le Christ Sauveur associe à son destin tous ceux qui travaillent avec amour pour la paix.

La paix est notre oeuvre : elle demande notre action courageuse et solidaire. Mais elle est inséparablement et d'abord un don de Dieu : elle requiert notre prière. Les chrétiens doivent être au premier rang de ceux qui prient chaque jour pour la paix ; ils doivent aussi éduquer à prier pour la paix. Ils aimeront prier avec Marie, Reine de la paix.

A tous, chrétiens, croyants et hommes de bonne volonté, je dis : n'ayez pas peur de miser sur la paix, d'éduquer à la paix. L'aspiration à la paix ne sera pas à jamais déçue. Le travail pour la paix, inspiré par la charité qui ne passe pas, produira ses fruits. La paix sera le dernier mot de l'Histoire.







12 décembre 1978


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