Discours 1979


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12 janvier 1979



LE BIEN COMMUN DE L’HUMANITÉ





Discours au Corps diplomatique

Les membres du Corps diplomatique accrédités près le Saint-Siège ont été reçus par le pape Jean Paul II le Vendredi 12 janvier dans la salle du Consistoire pour lui présenter leurs voeux. Le Doyen du Corps diplomatique, S. Exc M. Luis Valladares y Aycinena, ambassadeur du Guatemala a adressé au Souverain Pontife un discours chaleureux d’hommage et de voeux sur le thème « sympathie, solidarité, adhésion » en le précisant ainsi : « Assurément, Très Saint-Père, confirmation de la valeur, du poids du Saint-Siège dans le monde ainsi que le respect et l’admiration portés à Votre Sainteté. Respect et admiration qui, depuis lors à ce jour, ont grandi, s’y ajoutant — avec toute leur importance — l’amour et la vénération. » Le pape a répondu, en français.



Excellence, Mesdames, Messieurs,



Votre Doyen vient d’interpréter vos sentiments et vos voeux au seuil de la nouvelle année, d’une façon qui me touche profondément. Je le remercie et je vous remercie tous de ce témoignage réconfortant Soyez assurés, en retour, de mes souhaits fervents pour chacun d’entre vous, pour tous les membres de vos ambassades, pour vos familles, pour les pays que vous représentez. C’est devant Dieu que je forme ces voeux, en lui demandant d’éclairer votre route, comme celles des mages de l’Évangile, et de vous donner, au jour le jour, le courage et les joies qui vous sont nécessaires pour faire face à tous vos devoirs. Je le prie de vous bénir, c’est-à-dire de vous combler de ses biens.

Il est normal, en cette circonstance solennelle qui réunit auprès du pape toutes les Missions diplomatiques accréditées auprès du Saint-Siège, d’ajouter à ces souhaits cordiaux quelques considérations sur votre noble fonction et sur le cadre dans lequel elle s’inscrit : l’Église et le monde.



1. Je commencerai par regarder avec vous vers le passé tout récent, en renouvelant la gratitude du Siège Apostolique pour les nombreuses délégations qui ont honoré les funérailles du pape Paul VI et du pape Jean Paul Ier,, de sainte mémoire, ainsi que les cérémonies inaugurales du pontificat de mon prédécesseur et du mien.

Cherchons à en saisir la signification : cette participation aux événements les plus importants de la vie de l’Église des représentants de ceux qui ont en main les responsabilités politiques n’est-elle pas une façon de souligner la présence de l’Église au sein du monde contemporain et en particulier de reconnaître l’importance de sa mission — et spécialement de la mission du Siège Apostolique — laquelle, tout en étant strictement religieuse, s’inscrit aussi dans le cadre des principes de la morale qui lui sont liés de façon indissoluble ? Ceci nous reporte à l’ordre auquel aspire tellement le monde contemporain, ordre basé sur la justice et sur la paix ; l’Église, suivant, l’inspiration du concile Vatican II et se conformant à la tradition constante de la doctrine chrétienne, s’empresse d’y contribuer avec les moyens qui lui sont accessibles.



Le primat du spirituel





2. Naturellement, ces moyens sont des « moyens pauvres » que le Christ lui-même nous a appris à mettre en oeuvre et qui sont propres à la mission évangélique de l’Église. Cependant, en cette époque d’énorme progrès des « moyens riches » dont disposent les actuelles structures politiques, économiques et civiles, ces moyens propres à l’Église conservent tout leur sens, gardent leur finalité et acquièrent même un nouvel éclat. Les « moyens pauvres » sont strictement liés au primat du spirituel. Ce sont des signes certains de la présence de l’Esprit dans l’histoire de l’humanité. Beaucoup de contemporains semblent manifester une compréhension particulière pour cette échelle de valeurs : qu’il suffise d’évoquer, pour ne parler que de non-catholiques, le mahatma Gandhi, M. Dag Hammarskj­­­­­­­­­­­öld, le pasteur Martin Luther King. Le Christ demeure pour toujours l’expression la plus haute de cette pauvreté de moyens dans laquelle se révèle le primat de l’Esprit : la plénitude de la spiritualité dont est capable l’homme avec la grâce de Dieu et à laquelle il est appelé.



3. Qu’il me soit permis d’apprécier, dans cette perspective, tous les actes de bienveillance manifestés au début de mon pontificat, comme aussi cette rencontre d’aujourd’hui. Oui, considérons ce fait de la présence, auprès du Siège Apostolique, des représentants de tant d’États, si divers par leur profil historique, leur mode d’organisation, leur caractère confessionnel, de ceux qui représentent des peuples d’Europe ou d’Asie connus depuis l’antiquité, ou des États plus jeunes, comme la plupart de ceux d’Amérique dont l’histoire remonte à quelques siècles, et enfin les États les plus récents, nés au cours de ce siècle : une telle présence correspond en profondeur à cette vision que le Seigneur Jésus nous a un jour révélée, en parlant de « toutes les nations » du monde, au moment où il confiait aux Apôtres le mandat de porter la Bonne Nouvelle dans le monde entier (cf. Mt Mt 28,10 et Mc 16 Mc 15). Elle correspond aussi aux splendides analyses faites par le concile Vatican II (cf. Const. dogm. Lumen Gentium, chap. II, nn, 13-17 et Const. past. Gaudium et Spes GS 2, 41, 89, etc.).



4. En prenant des contacts — entre autres par le moyen des représentations diplomatiques — avec tant d’États au profil si divers, le Siège Apostolique désire avant tout exprimer sa tradition, sa culture, son progrès en tout domaine, comme je l’ai déjà dit dans les lettres adressées aux chefs d’État à l’occasion de mon élection au siège de Pierre. L’État, comme expression de l’autodétermination souveraine des peuples et nations, constitue une réalisation normale de l’ordre social. C’est en cela que consiste son autorité morale. Fils d’un peuple à la culture millénaire qui a été privé durant un temps considérable de son indépendance comme État, je sais, par expérience, la haute signification de ce principe.

Le Siège apostolique accueille avec joie tous les représentants diplomatiques, non seulement comme porte-parole de leurs propres gouvernements, régimes et structures politiques, mais aussi et surtout comme représentants des peuples et des nations qui, à travers ces structures, politiques, manifestent leur souveraineté, leur indépendance politique et la possibilité de décider de leur destinée de façon autonome. Et il le fait sans aucun préjugé quant à l’importance numérique de la population : ici, ce n’est pas le facteur numérique qui est décisif.



Le développement de l’oecuménisme





5. Le Siège apostolique se réjouit de la présence de si nombreux représentants ; il serait même heureux d’en voir beaucoup d’autres, spécialement des nations et populations qui avaient parfois à cet égard une tradition séculaire. Je pense surtout ici aux nations qu’on peut considérer comme catholiques. Mais aussi à d’autres. Car, actuellement, de même que se développe l’oecuménisme entre l’Église catholique et les autres Églises chrétiennes, de même qu’on tend à nouer des contacts avec tous les hommes en faisant appel à la bonne volonté, de même ce cercle s’élargit, comme en témoigne la présence ici de nombreux représentants de pays non-catholiques, et il trouve continuellement un motif d’extension dans la conscience qu’a l’Église de sa mission, comme l’a si bien exprimé mon vénéré prédécesseur Paul VI dans son encyclique Ecclesiam suam. De toutes parts — je l’ai noté spécialement dans les messages provenant des pays de l’« Est » — sont parvenus des voeux pour que le nouveau pontificat puisse servir la paix et le rapprochement des nations. Le Siège apostolique veut être, conformément à la mission de l’Église, au centre de ce rapprochement fraternel. Il désire servir la cause de la paix, non pas à travers une activité politique, mais en servant les valeurs et les principes qui conditionnent la paix et le rapprochement, et qui sont à la base du bien commun international.



6. Il y a en effet un bien commun de l’humanité, avec de très graves intérêts en jeu qui requièrent l’action concertée des gouvernements et de tous les hommes de bonne volonté : les droits humains à garantir, les problèmes de l’alimentation, de la santé, de la culture, la coopération économique internationale, la réduction des armements, l’élimination du racisme… Le bien commun de l’humanité ! Une « utopie », que la pensée chrétienne poursuit sans se lasser et qui consiste dans la recherche incessante de solutions justes et humaines, tenant compte à la fois du bien des personnes et du bien des États, des droits de chacun et des droits des autres, des intérêts particuliers et des nécessités générales.



Liban, Moyen Orient et Irlande du Nord





C’est du bien commun que s’inspirent, non seulement l’enseignement social du Siège apostolique, mais aussi les initiatives qui lui sont possibles, dans le cadre du domaine qui lui est propre. C’est le cas, très actuel du Liban. Dans un pays bouleversé par des haines et des destructions, avec des victimes innombrables, quelle possibilité reste-t-il de renouer encore des rapports de vie commune entre chrétiens de diverses tendances et musulmans, entre Libanais et Palestiniens, sinon dans un effort loyal et généreux qui respecte l’identité et les exigences vitales de tous, sans vexation de l’un ou de l’autre ? Et si l’on regarde l’ensemble du Moyen-Orient, tandis que certains hommes d’État essaient avec ténacité d’arriver à un accord et que d’autres hésitent à s’y engager, qui ne voit que le problème de fond est, tout autant que la sécurité militaire ou territoriale, une confiance réciproque effective, celle-ci pouvant seule aider à harmoniser les droits de tous, en répartissant de façon réaliste les avantages et les sacrifices ? Il n’en va pas autrement de l’Irlande du Nord : les évêques et les responsables de confessions non catholiques exhortent depuis des années à vaincre le virus de la violence sous sa forme de terrorisme ou de représailles ; ils invitent à répudier la haine, à respecter concrètement les droits humains, à s’engager dans un effort de compréhension et de rencontre. N’y a-t-il pas là un bien commun où la justice et le réalisme se rejoignent ?



La médiation entre l’Argentine et le Chili





La diplomatie et les négociations sont aussi pour le Saint-Siège un moyen qualifié de faire confiance aux ressources morales des peuples. C’est dans cet esprit que accueillant l’appel de l’Argentine et:du Chili, j’ai tenu à envoyer dans ces deux pays le cardinal Samorè, afin que, comme diplomate de grande expérience, il se fasse l’avocat de solutions acceptables pour les deux peuples qui sont chrétiens et voisins. Je suis heureux de constater que cette oeuvre patiente a déjà abouti à un précieux résultat positif et précieux.

Le drame de l’Iran





Ma pensée et ma prière se tournent aussi vers tant d’autres problèmes qui agitent gravement la vie du monde, ces jours-ci en particulier, et qui entraînent à nouveau tant de morts, de destructions, de rancoeurs, dans des pays qui comportent peu de catholiques mais qui sont également chers au Siège apostolique : nous suivons les dramatiques événements de l’Iran et nous sommes très attentifs aux nouvelles qui nous parviennent au sujet du pays khmer et de toutes les populations de ce sud-est asiatique déjà si éprouvées.



Les Droits de l’homme





7. Nous voyons bien que l’humanité est divisée de multiples façons. Il s’agit aussi, et peut-être par-dessus tout, de divisions idéologiques liées aux divers systèmes étatiques. La recherche de solutions permettant aux sociétés humaines d’accomplir leurs propres tâches, de vivre dans la justice, est peut-être le principal signe de notre temps. Il faut respecter tout ce qui peut servir cette grande cause, en quelque régime que ce soit. Il faut tirer avantage des expériences réciproques. Par contre, on ne saurait transformer cette recherche multiforme de solutions en un programme de lutte pour s’assurer le pouvoir sur le monde, quel que soit l’impérialisme que recouvre cette lutte. C’est seulement dans cette ligne que nous pouvons éviter la menace des armes modernes, notamment de l’armement nucléaire, qui demeure si préoccupante pour le monde moderne.

Le Siège apostolique, qui en a déjà donné la preuve, est toujours prêt à manifester son ouverture à l’égard de tout pays où régime, en cherchant le bien essentiel qui est le véritable bien de l’homme. On bon nombre d’exigences corrélatives à ce bien ont été exprimées dans la « Déclaration des droits de l’homme» et dans les pactes internationaux qui en permettent concrètement l’application. Là-dessus, on peut grandement louer l’Organisation des Nations unies comme plate-forme politique sur laquelle la recherche de la paix et de la détente, du rapprochement et de l’entente réciproque trouvent une base, un appui, une garantie.



Liberté religieuse et liberté de conscience





8. La mission de l’Église est, de par sa nature, religieuse, et par conséquent le terrain de rencontre de l’Église ou du Siège apostolique avec la vie multiforme et différenciée des communautés politiques du monde contemporain, est caractérisé d’une façon particulière par le principe, universellement reconnu, de la liberté religieuse et de la liberté de conscience. Ce principe ne rentre pas seulement dans la liste des droits de l’homme admis par tous, mais y occupe un poste-clef. Il s’agit, en effet, du respect d’un droit fondamental de l’esprit humain, dans lequel l’homme s’exprime peut-être le plus profondément comme homme.

Le concile Vatican II a élaboré la déclaration sur la liberté religieuse ; elle comprend aussi bien la motivation de ce droit que les principales applications pratiques, autrement dit l’ensemble des données qui confirment le réel fonctionnement du principe de la liberté religieuse dans la vie sociale et publique.

Respectant les droits analogues de toutes les autres communautés religieuses dans le monde, le Siège apostolique se sent poussé à entreprendre en ce domaine des démarches en faveur de toutes les Églises, rattachées à lui dans une pleine communion. Il cherche à le faire toujours en union avec les épiscopats respectifs, avec le clergé et les communautés de fidèles.

Ces initiatives donnent, pour la plupart, des résultats satisfaisants. Mais il est difficile de ne pas mentionner certaines Églises locales, certains rites, dont la situation, pour ce qui est de la liberté religieuse, laisse tant à désirer, quand elle n’est pas tout à fait déplorable. Il y a même des cris poignants demandant aide ou secours, que le Siège apostolique ne peut pas ne pas entendre. Et il doit en conséquence les présenter, en toute clarté, à la conscience des États, des régimes, de toute l’humanité. Il s’agit là d’un simple devoir qui coïncide avec les aspirations à la paix et à la justice dans le monde.

C’est dans ce sens que la délégation du Saint-Siège à été amenée à élever la voix à la réunion de Belgrade en octobre 1977 (cf. L’Osservatore Romano, 8 octobre 1977, p. 2), en se référant aux déclarations approuvées lors de la conférence d’Helsinki sur la sécurité et la coopération en Europe, en particulier sur le thème de la liberté religieuse.

Par ailleurs, le Siège apostolique est toujours prêt à tenir compte des transformations des réalités et des mentalités sociales qui surviennent dans les différents États ; et il est prêt, par exemple, à accepter de revoir les pactes solennels qui avaient été conclus à d’autres époques, en d’autres circonstances.



Le voyage au Mexique





9. Très prochainement, je, vais me rendre à Puebla pour rencontrer les représentants de tous les Épiscopats latino-américains, et inaugurer avec eux une réunion très importante. Cela fait partie de ma mission d’évêque de Rome et de chef du Collège des évêques. Je tiens à exprimer publiquement ma joie pour la compréhension et l’attitude bienveillante des autorités mexicaines en ce qui concerne ce; voyage. Le pape espère pouvoir réaliser cette mission également en d’autres nations, d’autant plus que beaucoup d’invitations semblables lui ont déjà été présentées.

Encore une fois je renouvelle mes voeux cordiaux de paix, de progrès pour le monde entier, de ce progrès qui correspond pleinement à la volonté du Créateur : « Soumettez la terre et dominez-la » (Gn 1,28). Ce commandement doit s’entendre de la maîtrise morale, et non pas de la seule domination économique. Oui, je souhaite à l’humanité toute sorte de bien, afin que tous vivent dans la vraie liberté, dans la vérité, dans la justice et dans l’amour.






13 janvier 1979



PROTÉGER L’ENFANCE POUR LE BIEN DE LA SOCIÉTÉ





A des journalistes européens

Dans la matinée du samedi 13 janvier, Jean Paul II a reçu en audience, salle du Trône, les membres du Comité des Journalistes européens pour les droits de l’enfant et ceux de la Commission italienne pour l’Année internationale de l’enfant qui participaient à une réunion de travail à Rome sur le thème : « Rôle des journalistes dans le cadre de l’Année internationale de l’enfant ». Le Saint-Père a répondu en français par le discours ci-dessous aux adresses que les responsables de la rencontre, MM. Lettieri et Waldemar Kedaj, ce dernier en polonais, ont prononcées à son intention.



Mesdames, Messieurs,



Je suis heureux de recevoir aujourd’hui le « Comité des Journalistes européens pour les droits de l’enfant », accompagné des représentants de la Commission nationale italienne pour l’Année internationale de l’enfant, sous le patronage de laquelle se déroule votre première rencontre, ici, à Rome. Je vous remercie de cette visite et de la confiance qu’elle témoigne. Dans le cadre de l’Année internationale de l’enfant, vous avez voulu prendre des initiatives pour étudier vous-mêmes la situation de certains groupes d’enfants défavorisés et, je le suppose, sensibiliser ensuite vos lecteurs aux problèmes de ces enfants.

Le Saint-Siège ne se contente pas de regarder avec intérêt et sympathie les actions valables qui seront entreprises cette année. Il est prêt à encourager tout ce qui sera projeté et réalisé pour le véritable bien des enfants, car il s’agit d’une population immense, une partie notable de l’humanité qui a besoin d’une protection et d’une promotion particulières étant donné la précarité de son sort.

L’Église, heureusement, n’est, pas la seule institution à faire face à ces besoins ; mais il est vrai qu’elle a toujours considéré comme une part importante de sa mission l’aide matérielle, affective, éducative et spirituelle à l’enfance. Et si elle a agi ainsi, c’est que, sans employer toujours le vocabulaire plus récent des « droits de l’enfant », elle considérait en fait l’enfant, non pas comme un individu à utiliser, non pas comme un objet, mais comme un sujet de droits inaliénables, une personnalité naissante à épanouir, ayant une valeur en soi, une destinée singulière. On n’en finirait pas d’énumérer les oeuvres que le christianisme a suscitées dans ce but. C’est bien normal, puisque le Christ lui-même a placé l’enfant au coeur du royaume de Dieu : « Laissez venir à moi, les petits enfants : le royaume des cieux est à ceux qui leur ressemblent » (Mt 19,14). Et ne valent-elles pas spécialement en faveur de l’enfant démuni, ces paroles du Christ prononcées au nom des humains nécessiteux et qui nous jugeront tous : « J’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger... ; j’étais nu, et vous m’avez vêtu... ; j’étais malade, et vous m’avez visité » (Mt 25,35-36). Faim de pain, faim d’affection, faim d’instruction... Oui, l’Église désire participer toujours davantage à cette action en faveur de l’enfance, et la susciter plus largement.

Mais l’Église désire tout autant contribuer à former la conscience des hommes, à sensibiliser l’opinion publique aux droits essentiels de l’enfant que vous cherchez à promouvoir. Déjà la « Déclaration des droits de l’enfant », adoptée par l’assemblée de l’Organisation des Nations Unies voilà vingt ans, exprime un consensus appréciable sur un certain nombre de principes très importants, qui sont encore loin de trouver partout leur application.

Le Saint-Siège pense qu’on peut aussi parler des droits de l’enfant dès sa conception, et notamment du droit à la vie, car l’expérience montre de plus en plus que l’enfant aurait besoin d’une protection spéciale, en fait et en droit, dès avant sa naissance.

On pourrait aussi insister sur le droit de l’enfant à naître dans une véritable famille, car il est capital qu’il bénéficie dès le début de l’apport conjoint du père et de la mère unis dans un mariage indissoluble.

L’enfant doit être également élevé, éduqué dans sa famille, les parents demeurant, ses « premiers et principaux éducateurs », rôle qui, « en cas de défaillance de leur part, peut difficilement être suppléé » (Déclaration conciliaire sur l’éducation Gravissimum educationis GE 3). Ceci est exigé par l’atmosphère d’affection et de sécurité morale et matérielle que requiert la psychologie de l’enfant ; il faut ajouter que la procréation fonde ce droit naturel, qui est aussi « une grave obligation » (ibid.). Et même l’existence de liens familiaux plus larges, avec les frères et soeurs, avec les grands-parents, d’autres proches parents, est un élément important — qu’on a tendance aujourd’hui à négliger — pour l’équilibre harmonieux de l’enfant.

Dans l’éducation à laquelle contribuent, avec les parents, l’école et d’autres organismes de la société, l’enfant doit trouver les possibilités « de se développer d’une façon saine et normale sur le plan physique, intellectuel, moral, spirituel et social, dans des conditions de liberté et de dignité », comme l’affirme le deuxième principe de la Déclaration des droits de l’enfant. A ce sujet, l’enfant a droit également à la vérité, dans un enseignement qui tienne compte des valeurs éthiques fondamentales et qui rende possible une éducation spirituelle, conformément à l’appartenance religieuse de l’enfant, à l’orientation voulue légitimement par ses parents et aux exigences d’une liberté de conscience bien comprise, à laquelle le jeune doit être préparé et formé tout au long de l’enfance et de l’adolescence. Sur ce point, il est normal que l’Église puisse faire valoir ses propres responsabilités.

A vrai dire, parler des droits de l’enfant, c’est parler des devoirs des parents et des éducateurs, qui demeurent au service de l’enfant, de son intérêt supérieur ; mais l’enfant qui grandit doit participer lui-même à son propre développement, avec des responsabilités qui correspondent à ses capacités ; et on ne doit pas négliger non plus de lui parler de ses propres devoirs envers les autres et envers la société.

Telles sont les quelques réflexions que vous me donnez l’occasion d’exprimer, au regard des objectifs que vous, vous proposez. Tel est l’idéal vers lequel il faut tendre, pour le bien le plus profond des enfants, pour l’honneur de notre civilisation. Je sais que vous accordez une attention prioritaire aux enfants dont tes droits élémentaires ne sont même pas satisfaits, dans vos pays comme dans ceux des autres continents. Journalistes européens, n’hésitez donc pas à porter également vos regards vers les régions du globe moins favorisées que l’Europe ! Je prie Dieu d’éclairer et dé fortifier votre intérêt pour ces enfants.






8 février 1979



LA DIGNITÉ DE LA PERSONNE, FONDEMENT DE LA PAIX





Aux membres de l’O.T.A.N.

Le 8 février, le Saint-Père a reçu en audience les dirigeants et les élèves du collège de Défense de l’O.T.A.N. et leurs familles. Il a adressé à ses visiteurs un discours en langue anglaise dont voici la traduction :



Chers amis,



Mon prédécesseur Paul VI était heureux de recevoir la visite, qui s’est répétée pendant des années, de la faculté, des dirigeants et des membres du collège de Défense de l’O.T.A.N. Et moi, aujourd’hui, je désire vous souhaiter personnellement et cordialement la bienvenue au Vatican. C’est un plaisir de vous saluer pour la première fois, vous et vos familles, de jouir de la présence des enfants et de considérer brièvement avec vous, le rôle que vous avez le pouvoir d’exercer au bénéfice de la paix dans le monde.

Dans mon message pour la Journée mondiale de la Paix 1979, je me suis efforcé d’attirer l’attention sur l’étroite relation existant entre l’éducation et la paix. Précisément parce que vous appartenez à une institution créée pour l’éducation, vous avez de toutes spéciales possibilités de réfléchir sur la paix, des possibilités toutes particulières d’étudier les conditions préalables de la paix, les éléments de la paix, les exigences de la paix.

Vivant et étudiant dans un climat de solidarité internationale, vous êtes en mesure de méditer les principes de la paix : de consolider les idées et de renforcer les attitudes qui peuvent la promouvoir. Oui, l’état de l’édifice de la paix dépend de la fermeté avec laquelle les principes de sa fondation sont acceptés. Et ainsi, j’aime croire qu’il y a au centre de vos activités une réflexion sur les grands principes relatifs à la paix et de votre part un zèle toujours nouveau pour assurer leur application.

A cet égard, combien nécessaire est pour tous les individus et tous les peuples de cultiver cette confiance mutuelle, une obligation découlant des liens qui nous unissent tous en tant que fils de Dieu ! L’ouverture aux immenses besoins de l’humanité entraîne avec soi un refus spontané de la course aux armements, si peu compatible avec toute lutte extérieure contre la faim, la maladie, le sous-développement, l’ignorance. Réfléchir au caractère sacré de la vie humaine, aux impératifs de la justice, à l’inadmissibilité de la violence sous toutes ses formes — réfléchir à ces thèmes est vraiment nécessaire si l’on veut garantir les bases de la paix. En résumé, la cause de la paix mondiale est vraiment favorisée quand la dignité de la personne humaine est soutenue. L’inviolable dignité de chaque individu et de tous les peuples dans la pleine réalité de leur origine, leur existence et leur destin est un élément capital du maintien de la paix mondiale.

Je vous prie de réfléchir au fait que les idées de paix engendrent de nouvelles attitudes de paix dans les jeunes générations et créent de manière effective et persévérante les conditions qui mènent à la paix. Que Dieu vous donne la paix, dans les coeurs et dans les foyers — aujourd’hui et toujours !






17 février 1979



LA FONCTION JUDICIAIRE DE L’ÉGLISE AU SERVICE DE LA VÉRITÉ ET DE LA CHARITÉ





Discours à la Sacrée Rote romaine.

Le 17 février, à l’occasion de l’ouverture de l’année judiciaire, le Saint-Père a reçu en audience les membres du tribunal de la Sacrée Rote romaine et les auditeurs, les promoteurs du Lien, les avocats Consistoriaux, les procurateurs des Saints Palais, les avocats rotaliens et les membres de la Chancellerie. Jean Paul II a prononcé un discours en italien dont voici la traduction :



Je vous suis reconnaissant pour cette visite et je remercie particulièrement le vénéré Mgr le Doyen qui s’est fait l’interprète de vos sentiments.

Je vous salue tous du fond du coeur, et je suis heureux de pouvoir rencontrer pour la première fois ceux qui incarnent par excellence la fonction judiciaire de l’Église au service de la vérité et de la charité, pour l’édification du Corps du Christ, et de reconnaître en eux, comme d’ailleurs en tous ceux qui administrent la justice, ou cultivent le droit canonique, les artisans d’une tâche vitale dans l’Église, les témoins inlassables d’une justice supérieure dans un monde marqué par l’injustice et par la violence et, pour cette raison, les précieux collaborateurs de l’activité pastorale de l’Église elle-même.



1. Comme vous le savez il entre dans la vocation de l’Église l’engagement et l’effort d’être l’interprète de la soif de justice et de dignité que les hommes et les femmes éprouvent vivement à notre époque. Et dans cette fonction d’annoncer et de soutenir les droits fondamentaux de l’homme à tous les stades de la vie, l’Église a l’appui de la communauté internationale qui a récemment célébré, avec des initiatives particulières, le trentième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme et qui a proclamé 1979 année internationale de l’enfant.

Le XXe siècle qualifiera peut-être l’Église de dernier rempart de défense de la personne humaine tout au long de sa vie terrestre, à partir du moment même de sa conception. Dans l’évolution de la conscience de soi de l’Église, la personne humano-chrétienne trouve non seulement une reconnaissance mais encore et surtout une protection ouverte, active, harmonieuse de ses droits fondamentaux en accord avec ceux de la communauté ecclésiale. Ceci également est une tâche inéluctable de l’Église qui sur le plan des relations entre la personne et la communauté offre un modèle d’intégration entre le développement ordonné de la société et la réalisation de la personnalité du chrétien dans une communauté de foi, d’espérance et de charité (Lumen Gentium, LG 8).

Le droit canonique remplit une fonction suprêmement éducative, individuelle et sociale, dans le but de créer une coexistence ordonnée et féconde, dans laquelle puisse germer et, mûrir le développement intégral de la personne humaine-chrétienne. Celle-ci, en effet, ne peut se réaliser que dans la mesure où elle refuse de se considérer exclusivement comme une individualité, sa vocation étant simultanément personnelle et communautaire. Le droit canonique admet et favorise ce perfectionnement caractéristique car il mène au dépassement de l’individualisme : de la négation de soi comme individualité exclusive il conduit à l’affirmation de soi comme chargé d’une pure sociabilité, moyennant la reconnaissance et le respect de l’autre comme « personne » dotée de droits universels, inviolables et inaliénables, et revêtue d’une dignité transcendante.

Mais la tâche de l’Église — et son mérite historique — de proclamer et défendre en tout lieu et en tout temps les droits fondamentaux de l’homme ne l’exempte pas et même l’oblige d’être devant le monde un miroir de la justice (speculum justitiae). L’Église a une responsabilité propre et spécifique à cet égard.

Cette option fondamentale qui représente une prise de conscience de la part du « peuple de Dieu » ne cesse d’interpeller et de stimuler tous les hommes de l’Église — et particulièrement ceux qui ont, comme vous, une tâche spéciale à cet égard — pour qu’ils « aiment la justice et le droit » (Ps 33,5). Et même elle s’adresse surtout aux membres des tribunaux ecclésiastiques, c’est-à-dire à ceux qui doivent « juger avec justice » (Ps 7,9 Ps 9,8 Ps 67,5 Ps 96,10 et Ps 13 Ps 98, 9, etc. ). Comme l’affirmait Paul VI, mon vénéré prédécesseur, vous qui vous consacrez au service de la noble vertu de la justice, vous pouvez être appelés du très beau nom, déjà utilisé par Ulpien de Sacerdotes justitiae, car il s’agit en effet d’« un ministère noble et élevé dont la dignité reflète la lumière même de Dieu, Justice primordiale et absolue, source très pure de toute justice terrestre. C’est dans cette lumière divine qu’il faut considérer votre ministerium justitiae qui doit être toujours fidèle et, irrépréhensible ; et l’on comprend que sous cette lumière divine, il doit avoir horreur de la moindre souillure d’injustice afin de conserver à ce ministère son caractère de pureté cristalline » (Insegnamenti di Paolo VI, III, 1965, 29-30 et ORLF n. 4-1965, p. 2).



2. Le grand respect dû aux droits de la personne humaine — qui doivent être protégés avec le plus grand soin — doit inciter le juge à observer scrupuleusement les règles de la procédure qui constituent précisément la garantie des droits de la personne.

Puis, le juge ecclésiastique doit non seulement avoir présent à l’esprit que « la justice exige en tout premier lieu le respect des personnes » (cf. L. Bouyer, L’Eglise de Dieu, Corps du Christ et temple de l’Esprit, Paris 1970, p. 599), mais aussi qu’au-delà de la justice il devra tendre à l’équité et au-delà de celle-ci à la charité (cf. P. Andrieu-Guitrancourt, Introduction sommaire à l’étude du droit en général et du droit canonique en particulier, Paris 1963, 22).

Suivant cette ligne, historiquement affermie et expérimentalement vécue, le concile Vatican II a déclaré que « à l’égard de tous il faut agir avec justice et humanité » (Dignitatis humanae, DH 7) et, même pour la société civile, il a parlé d’« un statut de droit positif qui organise une répartition convenable des fonctions et des organes du pouvoir ainsi qu’une promotion efficace des droits, indépendante de quiconque » (Gaudium et Spes GS 75). Pour satisfaire à de telles conditions, la constitution Regimini Ecclesiae Universae a établi, à l’occasion de la réforme de la Curie, que soit créée, dans le cadre du tribunal suprême de la Signature apostolique, une seconde section qui aurait pour compétence d’annuler « les différends nés d’un acte du pouvoir administratif ecclésial qui lui sont déférés en appel ou en recours contre la décision d’un dicastère compétent, chaque fois que l’on argue de ce que l’acte lui-même a violé une loi quelconque » (AAS 59,1967,921-22).

Pour rappeler enfin l’image incomparable qu’en a tracé le pape Paul VI : « le juge ecclésiastique est, par essence, cette quaedam justitia animata dont parle saint Thomas en citant Aristote ; il doit donc entendre et accomplir sa mission avec un esprit sacerdotal, acquérant, en même temps que la science (juridique, théologique, psychologique, sociale, etc.) une grande et profonde maîtrise de soi et, grâce à une: étude réfléchie, grandir dans la vertu, afin de ne pas obscurcir éventuellement avec l’écran d’une personnalité défectueuse et déformée, les divins rayons de justice que le Seigneur lui a donnés pour qu’il exerce correctement son ministère. Et ainsi, même en prononçant un jugement, il sera un prêtre et un pasteur d’âmes, solum Deum prae oculis habens » (Enseignement de Paul VI, 1971, p. 202).



3. Je désire m’arrêter à un problème qui se présente immédiatement à un observateur de la phénoménologie de la société civile et de l’Église : le problème des rapports qui existent entre la protection des droits et la communion ecclésiale. Il est incontestable que raffermissement et la sauvegarde de la communion ecclésiale sont une tâche fondamentale qui donne de la consistance à tout le système canonique et guide l’activité de tous ses membres. La vie juridique de l’Église (et donc également l’activité judiciaire) est en soi, de par sa nature même, pastorale : « un secours pastoral dont l’Église se sert pour assurer continuellement la paix et la protéger » (Enseignements de Paul VI, 1977, p. 168). Il faut donc que, dans son exercice, elle soit toujours animée profondément par l’Esprit à la voix duquel doivent s’ouvrir les esprits et les coeurs.

D’autre part, la protection des droits et le contrôle relatif des actes de l’administration publique constituent une garantie d’indiscutable valeur pour les pouvoirs publics eux-mêmes. En même temps que les diverses institutions préliminaires (comme l’acquitas, la tolerantia, l’arbitrage, la transaction, etc.), la faculté d’engager une procédure est, dans le contexte de la rupture de la communion ecclésiale et de l’exigence inéluctable de sa recomposition, un fait d’Église en tant qu’instrument permettant de surmonter et de résoudre les conflits. Mieux, dans la vision d’une Église qui protège les droits des fidèles pris individuellement, mais qui veut tout autant promouvoir et défendre le bien commun comme condition indispensable du développement intégral de la personne humaine et chrétienne, la discipline pénale s’insère également de manière positive : de même la peine infligée par l’autorité ecclésiastique (qui ne fait en réalité que reconnaître une situation dans laquelle le sujet s’est placé lui-même), doit en fait être considérée comme un instrument de communion, c’est-à-dire comme moyen de récupération de ces carences de bien individuel et de bien commun que révèle le comportement anti-ecclésial, délictueux et scandaleux, des membres du peuple de Dieu.

Le pape Paul VI nous éclaire encore : « Mais les droits fondamentaux des baptisés ne sont efficaces et ne peuvent s’exercer sans que la personne reconnaisse les devoirs qui sont liés au baptême lui-même, et surtout sans que cette personne soit convaincue que ces droits sont à exercer dans la communion ecclésiale ; bien plus, que ces droits, touchent à l’édification du Corps du Christ qui est l’Église et que, pour cela, l’exercice qu’on en fait doit concourir à l’ordre et à la paix et qu’on ne doit pas permettre qu’ils causent du tort » (ibidem, p. 163).

S’il reconnaît ensuite, sous l’influence de l’Esprit, la nécessité d’une profonde conversion ecclésiologique, le fidèle transformera l’affirmation et l’exercice de ses droits en une prise en charge de ses devoirs d’unité et de solidarité à l’égard de la réalisation des valeurs supérieures du bien commun. Je l’ai rappelé de manière explicite dans le message au Secrétaire général de l’O.N.U. à l’occasion du XXX° anniversaire de la Déclaration des droits de l’homme : « En même temps que l’on insiste — et à bon droit — sur la revendication des droits de l’homme, on ne devrait pas perdre de vue les obligations, les devoirs qui sont associés à ces droits. Chaque individu a l’obligation d’exercer ces droits fondamentaux d’une manière responsable et moralement justifiée. Chaque homme et chaque femme a le devoir de respecter chez les autres les droits qu’il ou elle réclame pour soi. En outre, nous devons tous contribuer pour notre part à la construction d’une société qui rende possible et praticable la jouissance des droits et l’accomplissement des devoirs inhérents à ces droits » (cf. ORLF, n 51, 19-12-78, p. 11).

Dans l’expérience vécue de l’Église, les termes « droit », « jugement » et « justice » évoquent, même au milieu des imperfections et des difficultés de tout système humain, le modèle d’une justice supérieure, la Justice de Dieu, qui se présente comme objectif et comme ferme de comparaison inéluctable. Ceci comporte un engagement formidable de la part de tous ceux qui « exercent la justice ».

Dans la tension historique vers une intégration équilibrée des valeurs, on a parfois voulu souligner plus fortement « l’ordre social » au détriment de l’autonomie de la personne, mais l’Église n’a jamais cessé de proclamer la dignité de la personne humaine « telle que l’a fait connaître la Parole de Dieu et la raison elle-même » (Dignitatis Humanae, DH 2). Elle a toujours lutté pour libérer de toutes formes d’oppression les miserabiles personas en dénonçant les situations injustes, lorsque les droits fondamentaux de l’homme et son salut même l’exigeaient et en demandant — avec respect, mais avec clarté — qu’il soit porté remède à de telles situation qui portent atteinte à la justice.

En conformité avec sa mission transcendante, le « ministère de la justice » qui vous est confié, vous avez spécialement la responsabilité de rendre toujours plus transparent le visage de l’Église speculum justitiae, incarnation permanente du Prince de la Justice, pour entraîner le monde vers une ère bénie de justice et de paix.

Je suis certain que tous ceux qui prennent part à l’activité judiciaire dans l’Église et spécialement les prélats auditeurs, les officiels et tout le personnel du tribunal apostolique, ainsi que MM. les avocats et procureurs sont pleinement conscients de la mission pastorale à laquelle ils participent et heureux de l’accomplir avec zèle et dévouement, suivant l’exemple de tous les éminents juristes et dévoués prêtres qui ont, avec une admirable sollicitude, consacré à ce tribunal leurs qualités d’esprit et de coeur.

J’aime rappeler en ce moment le cardinal Boleslaw Filipiak, rappelé l’an dernier dans la patrie céleste ; et je désire également rendre hommage à l’exemplaire diligence et abnégation du vénéré Mgr Charles Lefebvre qui continue à faire bénéficier le Saint-Siège de sa précieuse expérience après les services que, jusqu’à il y a peu de mois, il a prêtés à la Sacrée Rote romaine.

Je veux également exprimer ma reconnaissance aux prélats auditeurs qui n’ont pu continuer leur service en raison de leur état de santé.

A vous tous, ma vive gratitude et ma sincère satisfaction, avec l’assurance de ma prière : que le Seigneur vous accompagne de son aide et que vous soutiennent mes encouragements et ma bénédiction !






24 février 1979



LE PAPE AUX UNIVERSITAIRES CATHOLIQUES





Le 24 février, le pape a reçu en audience les membres de la Fédération internationale des Universités catholiques et les recteurs européens de ces universités. Il leur a adressé, en français, le discours suivant :



Chers frères et fils,



Est-il besoin de dire combien je suis heureux de me retrouver quelques instants avec vous, membres du Conseil de la Fédération internationale des Universités catholiques ou recteurs des universités catholiques d’Europe ? L’annuaire pontifical de 1978 me nommait encore parmi les membres de la congrégation pour l’Éducation catholique, où je me suis familiarisé avec vos problèmes. J’ai gardé aussi un excellent souvenir de ma participation à cette rencontre de Lublin que vous venez d’évoquer si aimablement. Quant au travail de professeur d’université, je mesure tout naturellement son intérêt et son importance, après les années que j’ai passées à enseigner moi-même à la faculté théologique de Cracovie, la plus ancienne de Pologne, et à l’université catholique de Lublin.



1. Vous en êtes certes bien convaincus, mais je tiens à souligner de nouveau que les universités catholiques ont une place de choix dans le coeur du pape, comme elles doivent en avoir une dans toute l’Église et dans les préoccupations de ses pasteurs, au milieu des multiples activités de leur ministère. Vouées à un travail de recherche et d’enseignement, elles ont aussi par là un rôle de témoignage et un apostolat, sans lesquels l’Église ne saurait évangéliser pleinement et durablement le vaste monde de la culture, ni tout simplement les générations qui montent, de plus en plus instruites, et qui seront aussi de plus en plus exigeantes pour faire face, dans la foi, aux multiples questions posées par les sciences et les divers systèmes de pensée. Dès les premiers siècles, l’Église a senti l’importance d’une pastorale de l’intelligence — qu’il suffise d’évoquer saint Justin, saint Augustin — et innombrables ont été ses initiatives en ce domaine. Je n’ai pas besoin de citer les textes du récent concile que vous savez par coeur. Depuis, quelque temps, l’attention des responsables d’Église a été, à juste titre, attirée par les besoins spirituels de milieux sociaux, assez déchristianisés ou peu christianisés : ouvriers, ruraux, migrants, pauvres de toute sorte. C’est bien nécessaire et l’Évangile nous en fait un devoir. Mais le monde universitaire lui aussi a plus que jamais besoin d’une présence d’Église. Et, dans le cadre spécifique qui est le vôtre, vous contribuez à l’assurer.



2. M’adressant récemment aux professeurs et étudiants du Mexique, j’indiquais trois objectifs pour les instituts universitaires catholiques : apporter une contribution spécifique à l’Église et à la société, grâce à une étude vraiment complète des différents problèmes, avec le souci de dégager la pleine signification de l’homme régénéré dans le Christ et de permettre ainsi son développement intégral ; former pédagogiquement des hommes qui, ayant réalisé une synthèse personnelle entre foi et culture, soient capables à la fois de tenir leur place dans la société et d’y témoigner de leur foi ; constituer, entre professeurs et étudiants, une véritable communauté qui témoigne déjà visiblement d’un christianisme vivant.



3. J’insiste ici sur quelques points fondamentaux. La recherche au niveau universitaire suppose toute la loyauté, le sérieux et, par là-même, la liberté de l’investigation scientifique. C’est à ce prix que vous rendez témoignage à la vérité, que vous servez l’Église et la société, que vous méritez l’estime du monde universitaire, et-ceci dans toutes les branches du savoir.

Mais il faut ajouter ceci lorsqu’il s’agit de l’homme, du domaine des sciences humaines : s’il est juste de tirer profit de l’apport des diverses méthodologies, il ne suffit point d’en choisir une, ni même de faire la synthèse de plusieurs, pour déterminer ce qu’est l’homme en profondeur. Le chrétien ne saurait s’y laisser enfermer, d’autant plus qu’il n’est pas dupe, éventuellement, de leurs présupposés. Il sait qu’il doit dépasser la perspective purement naturelle ; sa foi lui fait aborder l’anthropologie dans la perspective de la vocation et du salut pléniers de l’homme ; elle est la lumière sous laquelle il travaille, l’axe qui guide sa recherche. Autrement dit, une université catholique n’est pas seulement un champ de recherches religieuses ouvert à tous les sens. Elle suppose, chez ses professeurs, une anthropologie éclairée par la foi, cohérente avec la foi, en particulier avec la Création et avec la Rédemption du Christ. Au milieu du foisonnement des approches actuelles qui aboutissent d’ailleurs trop souvent à une réduction de l’homme, les chrétiens ont un rôle original à jouer, au sein même de la recherche et de l’enseignement, précisément parce qu’ils refusent toute vision partielle de l’homme.

Quant à la recherche théologique proprement dite, par définition, elle ne peut exister sans chercher sa source et sa régulation dans l’Écriture et la Tradition, dans l’expérience et les décisions de l’Église consignées par le Magistère au cours des siècles. Ces brefs rappels marquent les exigences spécifiques de la responsabilité du corps enseignant dans les facultés catholiques. C’est dans ce sens que les universités catholiques doivent sauvegarder leur caractère propre. C’est dans ce cadre qu’elles témoignent non seulement auprès de leurs étudiants, mais aussi auprès des autres universités, du sérieux avec lequel l’Église aborde le monde de la pensée, et en même temps d’une véritable intelligence de la foi.



4. Face à cette grande et difficile mission, la collaboration entre universités catholiques du monde entier est hautement souhaitable, pour elles-mêmes et pour développer de façon opportune leurs rapports avec le monde de la culture. C’est dire toute l’importance de votre fédération. J’encourage de grand coeur ses initiatives, et notamment l’étude du thème de la prochaine assemblée sur les problèmes éthiques de la société technologique moderne. Thème capital, auquel je suis moi-même très sensible et sur lequel j’espère avoir l’occasion de revenir. Que l’Esprit-Saint vous guide de sa lumière et vous donne la force nécessaire ! Que l’intercession de Marie vous maintienne disponibles à son action, à la volonté de Dieu ! Vous savez que je demeure très proche de vos préoccupations et de votre travail. De tout coeur, je vous donne ma bénédiction apostolique.






27 février 1979



LA VIE TRIOMPHERA DE LA MORT





Le 27 février, Jean Paul II a reçu en audience les délégués des Mouvements européens pour la vie ayant participé à leur II° Congrès européen. Le Saint-Père leur a adressé un discours dont voici la traduction :



Mesdames et Messieurs,



Soyez les bienvenus dans la demeure du pape ! J’ai accueilli bien volontiers le désir d’une audience spéciale que vous avez exprimé à l’occasion de votre second Congrès européen. Cette rencontre m’offre en effet l’occasion de vous rendre hommage à vous et à tous ceux qui adhèrent aux Mouvements pour la vie et de vous encourager à persévérer dans la noble tâche que vous avez assumée pour la défense de l’homme et de ses droits fondamentaux. Vous luttez pour que soit reconnu à tout homme le droit de naître, de grandir, de développer harmonieusement ses propres capacités, de construire librement et dignement son propre destin transcendant.

Ce sont là des buts très élevés, et je me réjouis de voir que, pour les poursuivre, se sont unis non seulement les fils de l’Église catholique mais aussi des disciples d’autres confessions religieuses et des personnes venues de divers horizons idéologiques. Je considère en effet ceci comme une expression du « consentement à s’appuyer sur quelques principes élémentaires mais fermes », ces « principes d’humanité que chaque homme de bonne volonté peut retrouver dans sa propre conscience » auxquels je me référais dans mon récent message pour la Journée mondiale de la Paix.

Fidèle à la mission reçue de son divin Fondateur, l’Église a toujours affirmé — et de manière particulièrement vigoureuse durant le concile oecuménique Vatican II — le caractère sacré de la vie humaine. Qui ne se souvient de ces paroles solennelles : « Dieu, maître de la vie, a confié aux hommes le noble ministère de la vie et l’homme doit s’en acquitter d’une manière digne de lui. La vie doit être sauvegardée avec un soin extrême dès la conception » (Constitution apostolique Gaudium et Spes, GS 51).

Forts de cette conviction, les Pères conciliaires n’ont pas hésité à condamner sans équivoque « tout ce qui s’oppose à la vie elle-même, comme toute espèce d’homicide, le génocide, l’avortement, l’euthanasie et même le suicide délibéré ; tout ce qui constitue une violation de l’intégrité de la vie humaine, comme les mutilations, la torture physique ou morale, les contraintes psychologiques ; tout ce qui est offense à la dignité de l’homme, comme les conditions de vie sous-humaines, les emprisonnements arbitraires, les déportations, l’esclavage, la prostitution, le commerce des femmes et des jeunes ; ou encore les conditions de travail dégradantes qui réduisent les travailleurs au rang de purs instruments de rapport, sans égard pour leur personnalité libre et responsable » (Gaudium et Spes GS 27).

C’est dans ce contexte que prend place votre engagement. Il consiste en premier lieu en une action, intelligente et assidue, de sensibilisation des consciences au sujet de l’inviolabilité de la vie humaine à tous ses stades, de telle sorte que le droit à la vie soit efficacement reconnu, dans les moeurs et dans les lois, comme une valeur déterminante de toute coexistence qui prétend être civile ; il se manifeste ensuite dans une courageuse prise de position contre toute forme d’attentat contre la vie, sans considérer sa provenance ; il se traduit, enfin, dans l’offre, désintéressée et respectueuse, d’une aide concrète aux personnes qui éprouvent des difficultés à conformer leur propre comportement aux exigences de leur conscience.

Il s’agit d’une oeuvre de grande humanité et de généreuse charité qui ne peut que recueillir l’approbation de toute personne consciente des possibilités et des risques qui se présentent à notre société.

Ne vous laissez pas décourager par les difficultés, les oppositions, les insuccès que vous pouvez rencontrer sur votre route. C’est l’homme lui-même qui est en question et quand l’enjeu est tel, nul ne peut se renfermer dans une attitude de résignation passive sans du même coup s’abandonner à lui-même. Comme Vicaire du Christ, Verbe de Dieu incarné, je vous dis : Ayez la foi en Dieu, Créateur et Père de tout être humain ; ayez confiance en l’homme, créé à l’image et à la ressemblance de Dieu qui l’a appelé à être son fils en Jésus-Christ. La cause de l’homme a déjà eu son verdict définitif dans le Christ, mort et ressuscité. La vie triomphera de la mort !

Avec cette espérance dans le coeur, je vous donne bien volontiers à vous tous, en gage de l’assistance divine, ma bénédiction apostolique.





28 février 1979, Le pape s’adresse aux soeurs Camaldules

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Discours 1979