Discours 1980 - Kinshasa (Zaïre), Samedi 3 mai 1980

AUX CHRÉTIENS DES AUTRES ÉGLISES

Kinshasa (Zaïre), Samedi 3 mai 1980




Chers amis dans le Christ,

1. Je suis heureux de pouvoir vous rencontrer ce soir et de vous saluer tous au nom de notre Seigneur Jésus-Christ. Merci de votre présence. Nous avons la joie de nous trouver ensemble, réunis par notre amour pour le Seigneur, lui qui a prié, le soir du Jeudi saint, pour que tous ceux qui croiront en lui soient un. Nous lui demanderons donc de faire que tous ceux qui se réclament de son nom soient pleinement fidèles aux appels de la grâce et se retrouvent un jour dans son unique Eglise.

2. Nous devons remercier le Seigneur de ce que les oppositions d’autrefois ont cédé la place à un effort de rencontre fondé sur l’estime mutuelle, la recherche de la vérité et la charité. Notre réunion de ce soir en est un signe. Pourtant, nous le savons, le but magnifique que nous recherchons pour obéir à l’ordre du Seigneur n’est pas atteint. Pour y parvenir, il y faut, avec la grâce de Dieu, “la conversion du coeur et la sainteté de vie” qui constituent, avec la prière pour l’unité, comme le deuxième Concile du Vatican l’a souligné, “l’âme du mouvement oecuménique” [1].

Toute initiative en vue de l’unité serait vaine si elle était privée de ceste assise, si elle n’était pas fondée sur la quête incessante et parfois douloureuse de la pleine vérité et de la sainteté. Cette quête, en effet, nous rapproche du Christ et, par lui, nous rapproche réellement les uns des autres.

Je sais, et je m’en réjouis, que diverses formes de collaboration au service de l’Évangile existent déjà entre les différentes Églises et Communautés chrétiennes de votre pays: un tel engagement est un signe du témoignage que tous ceux qui se réclament du Christ veulent rendre à l’action salvifique de Dieu, à l’oeuvre dans le monde; il est aussi un pas véritable vers l’unité que nous demandons dans notre prière.

3. Dès mon élection comme Évêque de Rome, j’ai plusieurs fois réaffirmé, vous le savez, mon désir ardent de voir l’Église catholique entrer pleinement dans l’oeuvre sainte qui a pour but la restauration de l’unité. J’espère que ma présence aujourd’hui parmi vous sera considérée comme un signe de cet engagement. Certes, les différents pays et les différentes régions ont chacun leur histoire religieuse, c’est pourquoi les modalités du mouvement oecuménique peuvent différer, mais son impératif essentiel demeure toujours identique: la recherche de la vérité dans son centre même, le Christ. C’est lui que nous cherchons avant tout, pour trouver en lui la véritable unité.

Chers amis dans le Seigneur, je vous remercie de nouveau de tout coeur d’avoir été présents avec moi aujourd’hui. Puisse notre rencontre de ce soir être un signe de notre désir que vienne le jour bienheureux que nous appelons dans notre prière, celui où, par l’oeuvre du Saint-Esprit, nous serons vraiment un “afin que le monde croie” [2]!

Priant ce soir pour l’unité, pour la réunion de tous ceux qui se réclament du Christ dans son unique Église, nous ne pouvons faire mieux que de reprendre les propres paroles du Seigneur, le soir du Jeudi saint, après qu’il eut prié spécialement pour ses apôtres: “Ce n’est pas seulement pour ceux-là que je prie, mais aussi pour ceux qui, grâce à leur parole, croiront en moi, afin que tous soient un. Comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi, qu’ils soient un en nous eux aussi, afin que le monde croie que c’est toi qui m’as envoyé” [3].

Ensemble, nous demandons au Père de notre Seigneur Jésus-Christ de nous donner de faire sa volonté:

Notre Père qui es aux cieux, / que ton nom soit sanctifié, / que ton règne vienne, / que ta volonté soit faite / sur la terre comme au ciel. / Donne-nous aujourd’hui / notre pain de ce jour. / Pardonne-nous nos offenses, / comme nous pardonnons aussi / à ceux qui nous ont offensés. / Et ne nous soumet pas à la tentation, / mais délivre-nous du Mal. / Amen.



 [1] (Unitatis Redintegratio UR 8).
 [2] (Jn 17,21).
 [3] (Jn 17,20-21).




AU CORPS DIPLOMATIQUE ACCRÉDITÉ AUPRÈS DU GOUVERNEMENT DU ZAÏRE

Kinshasa, Samedi 3 mai 1980




Excellences,
Mesdames, Messieurs,

1. Dans le cadre de la visite que j’effectue, en tant que Chef spiritual, au Zaïre et aux communautés catholiques qui vivent dans ce territoire, je me félicite de la possibilité qui m’est donnée de rencontrer et de saluer le Corps Diplomatique accrédité auprès du Gouvernement de Kinshasa. Et je voudrais commencer par remercier votre Doyen qui a su, avec tant de courtoisie, se faire votre interprète en m’adressant des paroles auxquelles j’ai été très sensible.

Le Saint-Siège lui-même, soucieux de favoriser un climat de dialogue avec les instances civiles responsables de la société, est heureux d’établir, avec les États qui le souhaitent, des relations stables, comme un instrument, fondé sur la compréhension et la confiance mutuelles, au service de l’avenir et du progrès de l’homme dans toutes ses dimensions. Tel a été et tel est le cas du Zaïre, et je me réjouis des contacts rendus possibles avec ses dirigeants par la présence en ce pays d’un Représentant pontifical. Ce dernier a un rôle particulier auprès des pasteurs des divers diocèses, mais, comme vous, il doit aussi chercher à mieux connaître la réalité intérieure de ce pays qui dispose de beaucoup de potentialités humaines et naturelles, à mieux découvrir les aspirations de ses citoyens, et à promouvoir un esprit d’entente et de coopération au plan international.

2. Investis dans cette grande capitale d’une mission s’inspirant des plus nobles idéaux de la fraternité humaine, il me semble que vous êtes tous conscients Mesdames et Messieurs, de l’ampleur de l’enjeu, qui dépasse le cadre immédiat. Vous vous trouvez, nous nous trouvons au coeur de l’Afrique. C’est pour moi l’occasion de vous faire part d’une conviction très forte, et en même temps d’une nécessité impérieuse. La conviction qu’aucune situation locale n’est aujourd’hui sans répercussion à une échelle plus vaste; j’en vois pour preuve les événements qui marquent, parfois douloureusement, une partie ou une autre du continent, et ne peuvent pas ne pas blesser la dignité de l’âme africaine ni même la conscience de l’humanité.

3. Faut-il évoquer les problèmes liés au racisme, que tant de voix à travers le monde ont dénoncé, et que l’Église catholique, pour sa part, réprouve de la manière la plus ferme? Mes prédécesseurs sur le Siège de l’Apôtre Pierre, le Concile Vatican II et les évêques directement concernés ont eu maintes occasions de proclamer le caractère antiévangélique de cette pratique [1].

Certains commentateurs ont également souligné mon souci de défendre en tous points les droits de l’homme, selon Dieu; je puis vous dire que, à mon sens, c’est bien en luttant contre ce fléau du racisme que j’entends aussi agir pour promouvoir leur respect. Fort heureusement, des signes sont donnés, comme au Zimbabwe, que des efforts patients peuvent parfaitement fonder des espoirs réalistes.

4. Faut-il évoquer encore le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, sans renier pour autant - car la sagesse ne doit pas être absente - ce qui est issu des vicissitudes de l’histoire? Comment ne pas désirer, en stricte justice, accéder à la maîtrise réelle, et dans tous les domaines, de son propre destin?

L’Afrique a connu, depuis vingt ans surtout, des modifications indéniables de sa structure politique et sociale. Il demeure cependant des motifs de grave préoccupation, soit que de jeunes nations aient éprouvé quelque difficulté à atteindre en une si brève période leur équilibre intérieur, soit que, malgré les initiatives des instances internationales, le processus vers la souveraineté s’avère trop long ou dépourvu de garanties suffisantes.

5. Parmi de nombreux sujets, j’ai voulu vous entretenir explicitement de ceux-ci en raison de leur importance primordiale, mais il est temps, pour ne pas abuser de votre bienveillance, d’en venir à la nécessité urgente à laquelle je faisais allusion. Elle naît d’une vision globale du monde. En la formulant, je ne prétends nullement rivaliser avec les stratèges de la communauté internationale. Ce n’est ni ma mission, ni mon propos, ni de ma compétence. Je viens ici, en Afrique, avec pour tout bagage la force de l’Évangile, celle de Dieu [2]. Je voudrais susciter en l’homme, mon frère, qui m’écoute peut-être’ le sens du respect véritable et de la dignité du frère africain.

C’est avec un étonnement empreint de tristesse que l’on constate que ce continent est lui aussi marqué par des influences dirigées de l’intérieur ou de l’extérieur, sous couvert d’aide économique souvent, en réalité dans la perspective d’un intérêt qui n’a de vraiment humanitaire qui son étiquette. Comme on souhaiterait que les diverses nations qui le composent puissent vivre et grandir dans la paix, à l’écart des conflits idéologiques ou politiques qui sont étrangers à sa mentalité profonde! Qu’elles ne soient pas amenées à consacrer aux armements, par exemple, une part démesurée des moyens parfois réduits dont elles disposent [3], ou que l’assistance qu’elles reçoivent ne soit pas subordonnée à une quelconque forme d’allégeance!

6. De tels facteurs ne peuvent engendrer à terme que la violence, ou même donner à celle-ci un caractère endémique: une violence ouverte, qui oppose entre eux des nations ou des groupes ethniques, et une violence plus sournoise parce que moins visible, qui affecte jusqu’aux moeurs, en devenant - c’est terrible à dire! - un moyen pratiquement normal de s’affirmer face à autrui.

Cela n’est pas digne de l’homme, et cela n’est pas digne en particulier de l’homme africain, qui a le sens de ce qu’on appelle, je crois, la palabre, c’est-à-dire de la confrontation loyale par la conversation et la négociation. On doit commencer par discuter pour se connaître, et non pas s’affronter. On doit commencer par aimer avant de juger. On doit rechercher inlassablement toutes les pistes pouvant mener à la paix et à l’entente, et, si le chemin semble encore long, entreprendre des efforts nouveaux.

Les luttes et les conflits n’ont jamais résolu aucun problème en profondeur. Lors de mon voyage en Irlande, l’an dernier, j’ai dit avec insistance et je répète ici “que la violence est un mal, que la violence est inacceptable comme solution aux problèmes, que la violence n’est pas digne de l’homme” [4]. Je me ferai, ici comme ailleurs, un messager inlassable d’un idéal excluant la violence, un idéal fondé sur la fraternité qui tire son origine de Dieu.

7. Oui, une observation et une “pratique” plus réelles de l’ensemble des droits de l’homme sont bien ces objectifs qui me conduisent à prendre fréquemment le bâton de pèlerin, pour éveiller ou réveiller la conscience de l’humanité. Il y va de la grandeur de l’homme. C’est par là que l’homme s’affirmera, et non par la course vers une puissance illusoire et fragile.

L’homme a droit en particulier à la paix et à la sécurité. Il a droit à ce que l’État, responsable du bien commun, l’éduque à pratiquer les moyens de la paix. L’Église a toujours enseigné, écrivais-je dans mon encyclique “Redemptor Hominis”, que “le devoir fondamental du pouvoir est la sollicitude pour le bien commun de la société... Au nom de ces prémisses relatives à l’ordre éthique objectif, les droits du pouvoir ne peuvent être entendus que sur la base des droits objectifs et inviolables de l’homme... Autrement on arrive à la désagrégation de la société, à l’opposition des citoyens à l’autorité, ou alors à une situation d’oppression, d’intimidation, de violence, de terrorisme, dont les totalitarismes de notre siècle nous ont fourni de nombreux exemples” [5].

8. Tout cela, avec une distribution plus équitable des fruits du progrès, me paraît constituer autant de conditions d’une accélération d’un développement plus harmonieux de ceste terre que j’éprouve tant de joie à fouler en ces jours. Dieu veuille soutenir les efforts des responsables, aussi bien aux échelons nationaux qu’à l’échelon international, en particulier dans le cadre de l’Organisation de l’Unité Africaine, afin que l’Afrique puisse mûrir dans la sérénité, et trouver, dans le concert des nations, le rôle et le poids qui doivent être les siens. Ainsi elle sera mieux à même de faire bénéficier les autres peuples de son génie propre et de son patrimoine particulier.

Je vous renouvelle, Mesdames et Messieurs, ma profonde satisfaction d’avoir pu vous saluer et vous exprimer quelques-unes des pensées qui me tiennent le plus à coeur, et, en vous offrant mes voeux fervente pour les hautes fonctions que vous assumez, je demande au Tout-Puissant de vous assister ainsi que tous les vôtres.



 [1] Cfr. Pii XI Mit brennender Sorge, 2-3; Ioannis XXIII Pacem in Terris, (PT 86); Pauli VI Africae Terrarum, 17; Eiusdem Allocutio ad honorabiles Viros e publico Legumlatorum Coetu Reipublicae Ugandensis, die 1 aug. 1969: AAS 61 (1969) 580-586.
 [2] Cfr. (1Co 1,26-29).  
 [3] Cfr. Ioannis Pauli PP. II Allocutio ad Nationum Unitarum Legatos, 10, die 2 oct. 1979: Insegnamenti di Giovanni Paolo II, II, 2 (1979) 528-529.
 [4] Eiusdem Homilia in urbe "Drogheda" habita, 9, die 29 sept. 1979: Insegnamenti di Giovanni Paolo II, II, 2 (1979) 428.
 [5] Eiusdem (Redemptor Hominis RH 17).

 

AUX PROFESSEURS ET AUX ÉTUDIANTS UNIVERSITAIRES

Kinshasa (Zaïre), Dimanche 4 mai 1980




Monsieur le Recteur,
Messieurs et Mesdames les professeurs,
Chers étudiants et étudiantes,

1. Je suis profondément touché des paroles de bienvenue qui viennent de m’être adressées, et je vous en remercie vivement. Est-il besoin de vous dire ma joie de pouvoir prendre contact ce soir avec le monde universitaire africain? Dans l’hommage dont je suis l’objet de votre part, je ne vois pas seulement l’honneur rendu au premier Pasteur de l’Église catholique; je perçois aussi l’expression de reconnaissance envers l’Église, pour le rôle qu’elle a tenu au cours de l’histoire et qu’elle tient encore dans la promotion du savoir et de la science.

2. Historiquement, l’Eglise a été à l’origine des universités.

Durant des siècles, elle y a développé une conception du monde dans laquelle les connaissances de l’époque étaient situées dans la vision plus ample d’un monde créé par Dieu et racheté par notre Seigneur Jésus-Christ. Ainsi, nombre de ses fils se sont consacrés à l’enseignement et à la recherche pour initier des générations d’étudiants aux divers degrés du savoir dans une vision totale de l’homme, intégrant en particulier la considération des raisons dernières de son existence.

Cependant, l’idée même d’université, universelle par définition dans son projet, n’implique pas que celle-ci se situe en quelque sorte en dehors des réalités du pays dans lequel elle est implantée. Au contraire, l’histoire montre comment les universités ont été des instruments de formation et de diffusion d’une culture propre à leur pays, contribuant puissamment à forger la conscience de l’identité nationale. Par là, l’université fait naturellement partie du patrimoine culturel d’un peuple.

En ce sens, on pourrait dire qu’elle appartient au peuple.

Cette manière de voir l’université dans sa visée essentielle, le savoir le plus ample possible, et dans son enracinement concret au sein d’une nation, est d’une très grande importance. Elle manifeste en particulier la légitimité de la pluralité des cultures, reconnue par le deuxième Concile du Vatican [1], et elle permet de discerner les critères du pluralisme culturel authentique, lié à la manière dont chaque peuple chemine vers l’unique vérité. Elle montre aussi qu’une université fidèle à l’idéal d’une vérité totale sur l’homme ne peut faire l’économie, même sous prétexte de réalisme ou d’autonomie des sciences, de l’étude des réalités supérieures de l’éthique, de la métaphysique et de la religion. C’est sous cet angle que l’Eglise a pris un intérêt particulier au monde de la culture, et lui a apporté d’importantes contributions. Pour elle, la révélation divine sur l’homme, sur le sens de sa vie et de son effort pour la construction du monde, est essentielle pour une connaissance complète de l’homme et pour que le progrès soit toujours totalement humain. Tel est le but de l’activité missionnaire de l’Eglise: faire, comme le rappelle encore le Concile, que tout ce qu’il y a de bon dans le coeur des hommes, dans leur pensée, dans leur culture, soit élevé et parvienne à son achèvement pour la gloire de Dieu et le bonheur de l’homme [2].

3. L’Université à Kinshasa prend place de manière remarquable dans cette collaboration historique entre l’Église et le monde de la culture. Le centenaire de l’évangélisation du Zaïre coïncide en effet avec le vingt-cinquième anniversaire de l’Université nationale du pays.

Comment ne pas se féliciter ensemble de la clairvoyance de ceux qui ont fondé cette Université?

Elle manifeste bien la place que la promotion culturelle et spirituelle de l’homme tient dans l’évangélisation. Elle est la preuve que l’Eglise, et particulièrement la prestigieuse Université Catholique de Louvain, avaient vu juste et avaient confiance dans l’avenir de votre peuple et de votre pays! Maintenant encore, l’importance de la communauté catholique dans votre pays fait souhaiter que l’Université y demeure ouverte à des rapports confiants avec l’Eglise!

Aussi bien, en rendant hommage aujourd’hui, devant vous, à l’Université nationale du Zaïre et à la communauté universitaire zaïroise, je le fais en portant mon regard aussi vers le monde universitaire africain tout entier: il joue et il jouera toujours davantage un rôle de premier plan, irremplaçable et essentiel, pour que votre continent développe pleinement toutes les promesses dont il est porteur pour lui-même et pour l’ensemble du monde.

4. Vous permettrez, j’en suis sûr, à un ancien professeur d’université, qui a consacré de longues et heureuses années à l’enseignement universitaire dans sa terre natale, de vous entretenir pendant quelques instants de ce que je considère comme les deux objectifs essentiels de toute formation universitaire complète et authentique: science et conscience, autrement dit l’accès au savoir et la formation de la conscience, comme il est exprimé clairement dans la devise même de l’Université Nationale du Zaïre: Scientia splendet et conscientia.

Le premier rôle d’une université est l’enseignement du savoir et la recherche scientifique. De ce vaste domaine, je n’aborderai ici qu’un point: qui dit science dit vérité. Il n’y aurait donc point de véritable esprit universitaire là où il n’y aurait pas la joie de chercher et de connaître, inspirée par un amour ardent de la vérité. Cette recherche de la vérité fait la grandeur du savoir scientifique, comme je le rappelais le 10 novembre dernier en m’adressant à l’Académie pontificale des sciences: “La science pure est un bien, digne d’être aimé, car elle est connaissance et donc perfection de l’homme dans son intelligence. Avant même ses applications techniques, elle doit être honorée pour elle-même, comme une partie intégrante de la culture. La science fondamentale est un bien universel, que tout peuple doit pouvoir cultiver en pleine liberté par rapport à toute forme de servitude internationale ou de colonialisme intellectuel” [3].

Ceux qui consacrent leur vie à la science peuvent donc éprouver une légitime fierté, et aussi ceux qui comme vous, étudiants et étudiantes, peuvent passer plusieurs années de leur vie à se former à une discipline scientifique, car rien n’est plus beau, malgré le travail, et la peine que cela demande, que de pouvoir se livrer à la recherche de la vérité sur la nature et sur l’homme.

5. Comment ne pas attirer ici brièvement votre attention sur l’amour de la vérité sur l’homme? Les sciences humaines tiennent, je l’ai déjà souligné plusieurs fois, une place toujours plus grande dans notre savoir. Elles sont indispensables pour parvenir à une organisation harmonieuse de la vie en commun dans un monde où les échanges se font toujours plus nombreux et plus complexes. Mais en même temps, ce n’est que dans un sens bien particulier, radicalement différent du sens habituel, que l’on peut parler de “sciences” de l’homme, précisément parce qu’il y a une vérité de l’homme qui transcende toute tentative de réduction à quelque aspect particulier que ce soit. En ce domaine, un chercheur vraiment complet ne peut faire abstraction, dans l’élaboration du savoir comme dans ses applications, des réalités spirituelles et morales qui sont essentielles à l’existence humaine, ni des valeurs qui en dérivent. Car la vérité fondamentale est que la vie de l’homme a un sens, dont dépend la valeur de l’existence personnelle comme une juste conception de la vie en société.

6. Ces rapides considérations sur l’amour de la vérité, que j’aimerais pouvoir développer longuement en dialoguant avec vous, vous auront déjà montré ce que j’entends en parlant du rôle de l’université et de vos études pour la formation de la conscience. L’université a d’abord, certes, un rôle pédagogique de formation de ses étudiants, afin que ceux-ci soient capables d’accéder au niveau de savoir requis et d’exercer plus tard efficacement leur profession dans le monde où ils seront appelés à travailler. Mais au-delà des différents savoirs qu’elle a pour fonction de transmettre, l’université ne peut pas non plus se désintéresser d’un autre devoir: celui de permettre et de faciliter l’insertion du savoir dans un contexte plus large, fondamental, dans une conception pleinement humaine de l’existence. Par là, l’étudiant réfléchi évitera de succomber à la tentation des idéologies, trompeuses parce que toujours simplificatrices, et sera rendu capable de rechercher à un degré supérieur la vérité sur lui-même.

7. Chers amis, professeurs et étudiants, je voudrais pouvoir dire personnellement à chacun de vous et à chacun de ceux que vous représentez, tout le monde étudiant, le monde de la culture et de la science au Zaïre et en Afrique, tous mes encouragements à accepter pleinement, chacun, ses responsabilités. Elles sont lourdes; elles demandent le meilleur de vous-même, car l’université n’a pas pour but d’abord la recherche de titres, de diplômes, ou de postes lucratifs: elle a un rôle important pour la formation de l’homme et le service du pays. C’est pourquoi elle comporte de grandes exigences vis-à-vis du travail à accomplir, vis-à-vis de soi-même et vis-à-vis de la société.

Si toute recherche universitaire demande une vraie liberté, sans laquelle elle ne peut exister, elle requiert aussi de la part des universitaires l’acharnement au travail, les qualités d’objectivité, de méthode et de discipline, bref, la compétence. Ceci, que vous connaissez bien, ouvre sur les deux autres aspects. Une des caractéristiques du travail universitaire et du monde intellectuel est que, plus qu’ailleurs peut-être, chacun se trouve constamment renvoyé à sa propre responsabilité dans l’orientation qu’il donne à son travail. Sur ce dernier point, je suis heureux de vous redire la grandeur de votre rôle et de vous encourager à y faire face de toute votre âme. Vous ne travaillez pas seulement pour vous, pour votre promotion. Vous participez, par le fait même que vous êtes universitaires, à une recherche de la vérité sur l’homme, à une recherche de son bien, avec le souci de coopérer à la mise en valeur de la nature pour un vrai service de l’homme, à la promotion des valeurs culturelles et spirituelles de l’humanité. Concrètement, cette participation au bien de l’humanité se réalise à travers les services que vous rendez et que vous serez appelés à rendre à votre pays: à la santé physique et morale de vos concitoyens, au mieux-être économique et social de votre nation. Car l’éducation privilégiée que vous offre la communauté ne vous est pas donnée d’abord pour votre gain personnel. Demain, c’est la communauté tout entière, avec ses besoins matériels et spirituels, qui aura le droit de se tourner vers vous, qui aura besoin de vous. Vous saurez être sensibles aux appels de vos concitoyens. Tâche difficile mais exaltante, digne du sentiment, que vous possédez si fort, de votre solidarité: vous aurez à servir l’homme, à servir l’homme africain dans ce qu’il a de plus profond et de plus précieux: son humanité.

8. Les perspectives que je ne fais qu’esquisser devant vous ce soir, chers amis, impliquent comme réalité fondamentale, que l’éthique, la morale, les réalités spirituelles, soient perçues comme des éléments constitutifs de l’homme intégral, compris aussi bien dans sa vie personnelle que dans le rôle qu’il doit jouer dans la société, et donc comme des éléments essentiels de toute société. Primat de la vérité et primat de l’homme, bien loin de s’opposer, s’unissent et se coordonnent harmonieusement pour un esprit soucieux d’atteindre et de respecter le réel dans toute son ampleur.

Il en découle encore que, de même qu’il y a une manière erronée de concevoir le progrès technique en en faisant le tout de l’homme, en le faisant servir tout à la satisfaction de ses désirs les plus superficiels faussement identifiés à la réussite et au bonheur, il y a aussi une manière erronée de concevoir le progrès de notre pensée sur la vérité de l’homme. Dans ce domaine, vous le sentez bien, le progrès se fait par approfondissement, par intégration. Des erreurs sont corrigées, mais elles ont toujours été des erreurs, tandis qu’il n’y a pas de vérité sur l’homme, sur le sens de sa vie personnelle et communautaire, qui puisse être “dépassée” ou devenir erreur. Ceci est important pour vous qui, dans une société en pleine mutation, devez travailler à son progrès humain et social en intégrant la vérité qui vous vient du passé à celle qui vous permettra de faire face à des perspectives nouvelles.

9. C’est en fonction, en effet, de la vérité de l’homme que le matérialisme, sous toutes ses formes, doit être rejeté, car il est toujours source d’asservissement: soit asservissement à une recherche sans âme des biens matériels, soit asservissement bien pire encore de l’homme, corps et âme, à des idéologies athées, toujours, en définitive, asservissement de l’homme à l’homme. C’est pourquoi l’Église catholique a voulu reconnaître et proclamer solennellement le droit à la liberté religieuse dans la recherche loyale des valeurs spirituelles et religieuses; c’est pourquoi aussi, elle prie pour que tous les hommes trouvent, dans la fidélité au sens religieux que Dieu a mis dans leur coeur, le chemin de la vérité tout entière.

10. Je voudrais ajouter ici une brève parole à l’intention particulière de mes frères et soeurs en notre Seigneur Jésus-Christ. Vous croyez dans le message de l’Évangile, vous voulez en vivre. Pour nous, le Seigneur Jésus-Christ est notre route, notre vérité, et notre vie [4]. J’ai déjà développé, particulièrement dans la première encyclique, “Redemptor Hominis”, que j’ai adressé au monde au début de mon ministère pontifical, et aussi dans mon message du premier janvier dernier sur “la vérité force de la paix”, comment, pour nous chrétiens, le Christ notre Seigneur, par son incarnation, c’est-à-dire par la réalité de notre humanité qu’il a prise pour notre salut, nous a révélé la vérité la plus totale qui soit sur l’homme, sur nous-mêmes, sur notre existence. Il est, en toute vérité, la route de l’homme, la vôtre. C’est pourquoi l’évangélisation, qui répond à un ordre du Seigneur, trouve aussi sa place dans votre collaboration à l’avenir de votre peuple, car elle est collaboration dans la foi aux projets divins sur le monde et sur l’humanité, et en définitive collaboration à l’histoire du salut.

11. Au moment où on célèbre au Zaïre le centenaire de l’annonce de la Parole de Dieu, et au moment où se forme un monde africain nouveau au service d’une humanité plus riche pour l’Afrique, vous êtes appelés à y participer pleinement en étant en même temps les témoins du Christ dans votre vie universitaire et professionnelle.

Donnez la preuve de votre compétence, de votre sagesse africaine, mais soyez en même temps des hommes et des femmes qui apportent le témoignage de votre conception chrétienne du monde et de l’homme. Que toute votre vie soit pour ceux qui vous entourent, et au-delà pour votre pays tout entier, une annonce de la vérité sur l’homme renouvelé dans le Christ, un message de salut dans le Seigneur ressuscité. Je compte sur vous, universitaires catholiques, chers fils et chères filles, je compte sur votre engagement fidèle au service de votre pays, de l’Église, de toute l’humanité, et je vous en remercie.

12. Chers amis, professeurs, étudiants et étudiantes, au début de son existence, votre université avait comme devise: “Lumen requirunt lumine”: à sa lumière, ils cherchent la lumière! Je souhaite que vos études, vos recherches, votre sagesse soient pour vous tous; un chemin vers la Lumière suprême, le Dieu de vérité, que je prie de vous bénir.

 [1] Cf. (Gaudium et Spes GS 53).
 [2] Cf. (Lumen Gentium LG 17).
 [3] Cf. AAS 71 (1979), 1462 n. 2.
 [4] Cf. (Jn 4,6).

 

AUX PRÊTRES

Kinshasa (Zaïre) Dimanche, 4 mai 1980




Chers frères prêtres,

1. J’ai vivement désiré cette rencontre avec vous. Les prêtres, vous le savez, ont une place spéciale dans mon coeur et dans ma prière. C’est normal: avec vous, je suis prêtre. Celui qui a été constitué Pasteur de tout le troupeau a d’abord les yeux fixés sur ceux qui partagent son pastorat - qui est le pastorat du Christ -, sur ceux qui supportent quotidiennement le poids du jour et de la chaleur”. Et votre mission est tellement importante pour l’Église!


L’an dernier, pour le Jeudi saint, j’ai tenu à adresser une lettre spéciale à tous les prêtres du monde, par l’intermédiaire de leurs évêques. Au nom de toute l’Église, je vous exprimais mes sentiments de gratitude et de confiance. Je vous rappelais votre identité sacerdotale, par rapport au Christ Prêtre, au Bon Pasteur; je situais votre ministère dans l’Église. Je montrais aussi le sens des exigences attachées à votre état sacerdotal. J’espère que vous avez lu cette lettre, que vous la relirez. Je ne peux pas en reprendre ici tous les thèmes, même brièvement. Je donnerai plutôt quelques pensées qui la prolongent. Je tenais surtout à vous parler personnellement à vous, prêtres en Afrique, prêtres au Zaïre. C’est l’une de mes premières rencontres sur le sol africain, une rencontre privilégiée avec mes frères prêtres.

2. Au-delà de vos personnes, je pense à tous les prêtres du continent africain. A ceux qui sont venus de loin pour les débuts de l’évangélisation et qui continuent à apporter leur aide précieuse et indispensable. Je n’ose pas trop dire missionnaires”, car tous doivent être missionnaires. Et je pense aussi - et tout spécialement dans l’entretien présent - aux prêtres qui sont issus des peuples africains: ils constituent déjà une réponse riche de promesses consolantes; ils sont la démonstration la plus convaincante de la maturité que vos jeunes Églises ont acquise; ils sont déjà, et ils sont appelés de plus en plus, à en être les animateurs. Ils sont particulièrement nombreux dans ce pays. C’est une grande grâce dont nous remercions Dieu, en ce centenaire de l’évangélisation. C’est aussi une grande responsabilité.

3. Parmi tant de pensées qui se pressent en ce moment dans mon âme, laquelle choisirai-je pour thème de cette rencontre? Il me semble que l’exorde la meilleure nous est fournie par l’Apôtre Paul, quand il exhorte son disciple Timothée à raviver le don que Dieu a déposé en lui par l’imposition des mains [1], et à puiser, dans une conscience renouvelée de cette grâce, le courage de poursuivre avec générosité le chemin entrepris, parce que ce n’est pas un esprit de crainte que Dieu nous a donné, mais un esprit de force, d’amour et de maîtrise de soi” [2].

Notre méditation d’aujourd’hui doit donc commencer par rappeler les traits fondamentaux du sacerdoce. Etre prêtre signifie être médiateur entre Dieu et les hommes, dans le Médiateur par excellence qui est le Christ.

Jésus a pu accomplir sa mission grâce à son union totale avec le Père, parce qu’Il ne faisait qu’un avec Lui: dans sa condition de pèlerin sur les routes de notre terre (viator), Il était déjà en possession du but (comprehensor)auquel il devait conduire les autres.

Pour pouvoir continuer efficacement la mission du Christ, le prêtre doit en quelque façon être lui aussi déjà arrivé là où il veut conduire les autres: il y parvient par la contemplation assidue du mystère de Dieu, nourrie par l’étude de l’Écriture, une étude qui s’épanouit en prière. La fidélité aux moments et aux moyens de prière personnelle, la prière plus officielle des heures, mais aussi l’accomplissement digne et généreux des actes sacrés du ministère contribuent à sanctifier le prêtre et à le conduire à une expérience de la présence mystérieuse et fascinante du Dieu vivant, en lui permettant d’agir avec force sur le milieu humain qui l’entoure.

4. Le Christ a surtout exercé son office de médiateur par l’immolation de sa vie dans le sacrifice de la croix, accepté par obéissance au Père. La croix reste la route “obligée” de la rencontre avec Dieu. C’est une route sur laquelle le prêtre au premier chef doit s’élancer avec courage.

Comme je le rappelais dans ma récente lettre sur l’Eucharistie, n’est-il pas appelé à renouveler in persona Christi, dans la célébration eucharistique, le sacrifice de la croix? Selon la belle expression de l’Africain Augustin d’Hippone, le Christ au calvaire fut “prêtre et sacrifice, et donc prêtre parce que sacrifice” [3].

Le prêtre qui, dans la pauvreté radicale de l’obéissance à Dieu, à l’Église, à son évêque, aura su faire de sa vie une offrande pure à offrir, en union avec le Christ, au Père céleste, expérimentera dans son ministère la force victorieuse de la grâce du Christ mort et ressuscite.

Comme Médiateur, le Seigneur Jésus fut, dans toutes les dimensions de son être, l’homme pour Dieu et pour les frères. De même le prêtre; et c’est la raison pour laquelle il lui est demandé de consacrer toute sa vie à Dieu et à l’Église, dans les profondeurs de son être, de ses facultés, de ses sentiments.

Le prêtre qui, dans le choix du célibat, renonce à l’amour humain pour s’ouvrir totalement à celui de Dieu, se rend libre pour se donner aux hommes par un don n’excluant personne, mais les comprenant tous dans le flux de la charité, qui provient de Dieu [4] et conduit à Dieu. Le célibat, en liant le prêtre à Dieu, le libère pour toutes les oeuvres requises par le soin des âmes.

5. Voilà tracée en quelques traits la physionomie essentielle du prêtre, telle qu’elle nous a été léguée par la tradition vénérable de l’Église. Elle a une valeur permanente, hier, aujourd’hui, demain. Il ne s’agit pas d’ignorer les problèmes nouveaux que posent le monde contemporain, et aussi le contexte africain, car il importe de préparer des prêtres qui soient à la fois pleinement africains et authentiquement chrétiens. Les questions posées par la culture où s’insère le ministère sacerdotal demandent une réflexion mûrie. Mais c’est de toute façon à la lumière de la théologie fondamentale que j’ai rappelée qu’il faut les aborder et les résoudre.

6. Il n’est pas nécessaire maintenant que je m’étende sur les différentes fonctions du prêtre. Vous avez médité, vous devez souvent reprendre les textes du Concile Vatican II, la constitution “Lumen Gentium” [5] et tout le décret “Presbyterorum Ordinis”.

L’annonce de l’Évangile, de tout l’Évangile, à chaque catégorie de chrétiens et aussi aux non-chrétiens, doit prendre une grande place dans votre vie. Les fidèles y ont droit. De ce ministère de la Parole de Dieu relèvent notamment la catéchèse, qui doit pouvoir atteindre le coeur et l’esprit de vos compatriotes, et la formation des catéchistes, religieux et laïcs. Et soyez des éducateurs de la foi et de la vie chrétienne selon l’Église, dans les domaines personnel, familial, professionnel.

La digne célébration des sacrements, la dispensation des mystères de Dieu, est également centrale dans votre vie de prêtres. En ce domaine, veillez avec assiduité à préparer les fidèles à les recevoir, afin que, par exemple, les sacrements du baptême, de la Pénitence, de l’Eucharistie, du mariage portent tous leurs fruits. Car le Christ exerce la force de son action rédemptrice dans ces sacrements. Il le fait particulièrement dans l’Eucharistie et dans le sacrement de la Pénitence.

L’Apôtre Paul a dit: “Dieu... nous a confié le ministère de la réconciliation” [6]. Le peuple de Dieu est appelé à une conversion continuelle, à une réconciliation toujours renouvelée avec Dieu dans le Christ. Cette réconciliation s’opère dans le sacrement de la Pénitence, et c’est là que vous exercez, par excellence, votre ministère de réconciliation.

Oui, je connais vos difficultés: vous avez tant de tâches pastorales à accomplir et le temps vous fait toujours défaut. Mais chaque chrétien a un droit, oui, un droit à une rencontre personnelle avec le Christ crucifié qui pardonne. Et, comme je l’ai dit dans ma première encyclique, il est évident qu’il s’agit en même temps d’un droit du Christ lui-même à l’égard de chaque homme qu’il a racheté” [7].

C’est pourquoi je vous supplie: considérez toujours ce ministère de réconciliation dans le sacrement de Pénitence comme une des plus importantes de vos tâches.

Enfin, le “pouvoir spirituel” qui vous a été donné [8] l’a été pour construire l’Église, pour la conduire comme le Seigneur, le Bon Pasteur, avec un dévouement humble et désintéressé, toujours accueillant, avec une disponibilité à assumer les différents ministères et services qui sont nécessaires et complémentaires dans l’unité du presbyterium, avec un grand souci de collaboration entre vous, prêtres, et avec vos évêques. Le peuple chrétien doit être entraîné à l’unité en voyant l’amour fraternel et la cohésion que vous manifestez.

Votre autorité dans l’exercice de vos fonctions est liée à votre fidélité à l’Église qui vous les a confiées. Laissez les responsabilités politiques à ceux qui en sont chargés: vous, vous avez une autre part, une part magnifique, vous êtes “chefs” à un autre titre et d’une autre façon, participant au sacerdoce du Christ, comme ses ministres. Votre domaine d’interventions, et il est vaste, est celui de la foi et des moeurs, où l’on attend que vous prêchiez en même temps par une parole courageuse et par l’exemple de votre vie.

7. Chaque membre de l’Église y a un rôle irremplaçable. Le vôtre consiste aussi à aider tous ceux qui appartiennent à vos communautés à remplir le leur, religieux, religieuses, laïcs. Vous avez en particulier à mettre en valeur celui des laïcs: il ne faut jamais oublier, en effet, que le baptême et la confirmation confèrent une responsabilité spécifique dans l’Église.

J’approuve donc vivement votre souci de susciter des collaborateurs, de les former à leurs responsabilités. Oui, il faut savoir leur adresser, sans se lasser, des appels directs, concrets, précis. Il faut les former en leur faisant prendre conscience des richesses cachées qu’ils portent en eux. Il faut enfin savoir vraiment collaborer, sans accaparer toutes les tâches, toutes les initiatives ou toutes les décisions, quand il s’agit de ce qui est du domaine de leurs compétences et de leurs responsabilités.

C’est ainsi que se forment des communautés vivantes, qui représentent vraiment une image de l’Église primitive, dans laquelle on voit apparaître, autour de l’Apôtre, les noms de ces nombreux auxiliaires, hommes et femmes, que saint Paul salue comme “ses collaborateurs dans le Christ Jésus” [9].


8. Dans tout ce travail pastoral, les difficultés inévitables ne doivent pas porter atteinte à notre confiance. Scimus Christum surrexisse a mortuis vere. La présence du Christ ressuscité est le fondement assuré d’une espérance “qui ne trompe pas” [10]. C’est pourquoi le prêtre doit être, toujours et partout, un homme d’espérance. Il est bien vrai que le monde est traversé de tensions profondes, qui bien souvent engendrent des difficultés dont la solution immédiate nous dépasse. Dans de telles circonstances, et en tout temps, il est nécessaire que le prêtre sache offrir à ses frères, par la parole et par l’exemple, des motifs convaincants d’espérance. Et il peut le faire parce que ses certitudes ne sont pas fondées sur des opinions humaines, mais sur le roc solide de la parole de Dieu.

9. Soutenu par elle, le prêtre doit se révéler un homme de discernement et un maître authentique de la foi.

Oui, il doit être, surtout à notre époque, un homme de discernement. Car, nous le savons tous, si le monde moderne a fait de grands progrès dans le domaine du savoir et de la promotion humaine, il est aussi pétri d’un grand nombre d’idéologies et de pseudo-valeurs qui, à travers un langage fallacieux, réussissent trop souvent à séduire et à tromper nombre de nos contemporains. Non seulement il faut savoir ne pas y succomber, c’est trop évident, mais la fonction des pasteurs est aussi de former le jugement chrétien des fidèles [11], afin qu’ils soient eux aussi capables de se soustraire à la fascination trompeuse de ces nouvelles “idoles”.

Par là, le prêtre se révélera aussi un maître authentique de la foi. Il amènera les chrétiens à mûrir dans leur foi, en leur communiquant une connaissance toujours plus approfondie du message évangélique - “non pas leur propre sagesse, mais la parole de Dieu” [12]- et en les aidant à juger à sa lumière les circonstances de la vie. Ainsi, grâce à vos efforts persévérants, aujourd’hui, en Afrique, les catholiques sauront découvrir les réponses qui, dans la pleine fidélité aux valeurs immuables de la Tradition, seront aussi capables de satisfaire de manière adéquate aux besoins et aux interrogations du présent.

10. J’ai rappelé le rôle de tous les fidèles dans l’Église. Mais, au terme de cet entretien, j’attire votre attention sur le devoir primordial que vous avez à l’égard des vocations. Le sens de toute vocation chrétienne est si intimement dépendant de celui de la vocation sacerdotale que, dans les communautés où ce dernier disparaît, ce serait l’authenticité même de la vie chrétienne qui serait atteinte.

Travaillez donc inlassablement, chers frères, à faire comprendre à tout le peuple de Dieu l’importance des vocations; priez et faites prier pour cela; veillez à ce que l’appel du Christ soit bien présenté aux jeunes; aidez ceux que le Seigneur appelle au sacerdoce ou à la vie religieuse à discerner les signes de leur vocation; soutenez-les tout au long de leur formation.

Vous êtes bien persuadés que l’avenir de l’Église dépendra de prêtres saints, parce que le sacerdoce appartient à la structure de l’Église telle que le Seigneur l’a voulue. Finalement, chers frères, ne croyez-vous pas que le Seigneur se servira d’abord de l’exemple de notre propre vie, généreuse et rayonnante, pour susciter d’autres vocations?

11. Frères très chers, ayez foi dans votre sacerdoce. Il est le sacerdoce de toujours, parce qu’il est une participation au sacerdoce éternel du Christ, qui est le même hier, aujourd’hui et à jamais” [13]. Oui, si les exigences du sacerdoce sont bien grandes, et si je n’ai pas hésité pourtant à vous en parler, c’est qu’elles ne sont que la conséquence de la proximité du Seigneur, de la confiance qu’il témoigne à ses prêtres. “Je ne vous appelle plus mes serviteurs, mais Je vous appelle mes amis” [14].

Ce chant du jour de notre ordination demeure pour chacun de vous, comme pour moi, une source permanente de joie et de confiance. C’est cette joie que je vous invite à renouveler aujourd’hui. Que la Vierge Marie soit toujours votre soutien sur la route, et qu’elle nous introduise tous chaque jour davantage dans l’intimité du Seigneur! Avec mon affectueuse Bénédiction Apostolique.


 [1] Cfr. (2Tm 1,6).
 [2] Ibid. (2Tm 1,7).
 [3] S.Augustini Confessiones, X, 43, 69.
 [4] Cfr. (Rm 5,5).
 [5] Cfr. (Lumen Gentium LG 28).
 [6] (2Co 5,18).
 [7] Ioannis Pauli PP. II (Redemptor Hominis RH 20).
 [8] Cfr. (Presbyterorum Ordinis PO 6).
 [9] (Rm 16,3).
 [10] Ibid. (Rm 5,5).
 [11] Cfr. (1Tm 5,21 1Jn 4,1).
 [12] Cfr. (Presbyterorum Ordinis PO 4).
 [13] (He 13,8 cfr. Ap 1,17) ss.
 [14] (Jn 15,15).





Discours 1980 - Kinshasa (Zaïre), Samedi 3 mai 1980