Discours 1982 - Discours aux évêques italiens à Assise, 12 mars


AUX ÉVÊQUES DU BÉNIN EN VISITE «AD LIMINA APOSTOLORUM»

Samedi, 13 mars 1982


Chers Frères dans l’Episcopat,

1. Suivant la belle coutume africaine, vous me rendez la visite que je vous faisais à Cotonou il y a un mois! J’en suis très heureux. Soyez les bienvenus dans la maison du Pape! Vous aviez aussi des contacts importants à prendre avec les divers Dicastères de la Curie, sur des points précis de votre ministère épiscopal: j’espère que vous avez trouvé, dans ces échanges avec le centre de la catholicité, compréhension, appui et réconfort pour poursuivre la route de l’évangélisation dans votre pays. Enfin, la prière sur les tombes des Apôtres et des premiers martyrs chrétiens est toujours une grâce pour votre communion ecclésiale, votre force et votre espérance.

2. Notre rencontre est dominée par le souvenir commun de mon récent voyage au Bénin. Certes, l’escale fut malheureusement de courte durée, limitée à Cotonou, pour une rencontre globale avec le peuple chrétien. Mais ces quelques heures furent bien remplies, et j’en garde personnellement un souvenir ému et réconfortant. Je pense notamment à la qualité de la célébration liturgique au stade: participation active de tous, intense recueillement, joie de ces prêtres, de ces religieuses, de ces catéchistes, de ces jeunes et adultes, d’exprimer leur foi en toute sérénité, autour du Successeur de Pierre. Je prie le Seigneur de faire fructifier ces grâces, et je souhaite que le peuple chrétien du Bénin, en gardant dans son coeur la mémoire de cette fête religieuse, y puise le courage dont il a besoin, au jour le jour, dans sa vie ordinaire.

3. Je n’ai pas à développer devant vous une série d’encouragements ou de conseils que je vous ai déjà donnés, soit dans l’homélie de la messe à Cotonou, soit dans le texte que je vous ai remis à l’Archevêché.

Certes, l’épanouissement de la foi se fait maintenant chez vous dans des conditions difficiles, qui obligent toute la communauté catholique à réagir avec vigueur, contre tout matérialisme de l’idéologie ou des moeurs, tout en témoignant de son sens de l’honnêteté, de la justice, de la charité pour contribuer au développement authentique du pays.

Il est bon alors, comme les Apôtres lors de la Transfiguration que nous méditions dimanche dernier, de discerner déjà aussi la gloire du Seigneur, présent parmi vous, et les fruits de sa grâce, ou du moins les promesses de la moisson; vous m’en aviez fait part et j’ai tenu à souligner moi aussi la vitalité actuelle de l’Eglise au Bénin en bien des secteurs: sens renouvelé de la prière, de la participation aux offices, qualité de la liturgie et de la catéchèse, zèle des catéchistes, conversions, vocations, soif d’approfondir la foi et courage d’en témoigner. Il faut s’appuyer sur ces signes positifs pour affermir et progresser.

4. L’an dernier, Monseigneur Adimou avait indiqué, comme priorités pastorales pour l’Eglise au Bénin: les vocations sacerdotales et religieuses, la famille chrétienne, les jeunes, l’approfondissement de la foi et un renforcement de l’action évangélisatrice. Je pense que ce sont là des objectifs fondamentaux à poursuivre constamment. Il faut tout faire en effet pour que les chrétiens aient une foi bien éclairée, capable de résister au discours de l’athéisme, une foi nourrie de prière, car c’est l’Esprit Saint qui inspire la réponse profonde et donne la force, une foi dynamique qui témoigne et fait prendre des responsabilités.

Il faut aussi étendre l’évangélisation en vous entraidant entre le sud et le nord au plan des forces apostoliques. Et il faut surtout intensifier en qualité cette évangélisation: le discernement que vous exercerez par exemple vis-à-vis de vos coutumes, familiales ou autres, vous permettra de voir si elles se prêtent - et à quelles conditions - à une saine acculturation du message évangélique qui toucherait alors en profondeur l’âme béninoise et les réalités de la vie personnelle et communautaire. Je vous fais confiance pour progresser sur ce chemin, en tenant compte aussi des autres pays africains et en demeurant en dialogue avec le Saint-Siège. Les exigences évangéliques ne doivent pas être amoindries, mais elles doivent aussi apparaître comme une bonne nouvelle, un salut, et chacun doit sentir la possibilité de s’en approcher.

Enfin, vous vous souvenez de la consigne que je vous laissais à Cotonou: que l’union entre les pasteurs et entre tous les ouvriers apostoliques soit sans faille. C’est le testament du Christ et c’est le secret de votre force.

Que le Seigneur vous donne la paix et vous maintienne dans l’espérance! Je continue à porter dans la prière la sollicitude de l’Eglise au Bénin, je vous demeure très proche et je vous renouvelle de tout coeur ma Bénédiction.





AUX ÉVÊQUES DE FRANCE EN VISITE «AD LIMINA APOSTOLORUM»

Jeudi, 18 mars 1982


Chers Frères dans l’Episcopat,

1. Voilà que vous avez repris le chemin de Rome, pour la visite “ad limina Apostolorum”, comme tant d’Evêques de France et du monde entier qui vous ont précédés. Vous venez “voir Pierre”.

Votre démarche constitue un exemple pour le peuple chrétien: lui aussi, et de plus en plus, il comprend le bienfait de venir se ressourcer, dans la prière, au lieu même où les apôtres Pierre et Paul, tant de martyrs, tant de saints ont donné leur témoignage au Christ, et la nécessité de resserrer concrètement les liens, spirituels et même affectifs, avec le successeur de Pierre, Vicaire du Christ, principe perpétuel et visible et fondement de l’unité (Cfr. Lumen Gentium LG 18 et 23).

Votre visite “ad limina” est également un geste efficace pour situer votre ministère épiscopal dans l’unité du collège des évêques, en le reliant non seulement à celui de l’Evêque de Rome, mais, par lui, à celui de tous les évêques qui travaillent dans le monde entier, afin que progressent toujours la convergence, la solidarité, la communion profonde. Cela se réalisera aussi dans les échanges que vous aurez avec les divers Dicastères qui aident constamment le Pape dans sa mission au service de l’Eglise universelle, pour sa fidélité, son unité et l’harmonie de ses efforts d’évangélisation. Je sais que vous désirez leur soumettre un nombre important de problèmes que vous rencontrez dans votre ministère. Pour moi, après avoir prié avec vous, après avoir écouté, tous et chacun, je me contenterai de quelques réflexions de fond.

2. Il y a cinq ans, mon très vénéré prédécesseur, Paul VI, avait reçu les évêques de France en visite “ad limina” avec une particulière sollicitude: vous vous rappelez quelle affection, quels encouragements il vous avait manifestés, et la lucidité dont il avait fait preuve. Les réflexions qu’il avait alors déployées devant vous, sur la plupart des aspects de la pastorale en France, avaient même attiré l’attention de bien d’autres Eglises locales et elles demeurent très valables, comme je le disais lors de mon voyage à Paris.

Depuis cinq ans, vos diocèses ont encore un peu changé de visage. Et je vous remercie de me mettre entre les mains, comme de confier aux Dicastères, de nouvelles analyses, très précises, des réalités humaines, sociales, culturelles, religieuses, pastorales. Elles constituent un vaste panorama d’ombres et de lumières. J’ai remarqué que vous êtes facilement enclins à souligner les aspects de la déchristianisation, qui s’étend et touche plus profondément une bonne partie de vos fidèles, surtout les jeunes générations, au niveau des convictions de foi, de la participation à l’eucharistie dominicale, du sens du sacrement de pénitence, du souci de faire baptiser ou catéchiser les enfants, de la conformité des moeurs, familiales ou autres, aux exigences évangéliques, du manque de vocations sacerdotales et religieuses, etc. Mais vous relevez aussi - et c’est très important - des signes d’espérance, le sérieux des efforts qui sont tentés et qu’il importe de développer.

3. Notre temps - que certains osent décrire comme caractérisé par l’absence de Dieu - est cependant toujours le temps de Dieu, qui ne saurait abandonner sa création, qui ne saurait à plus forte raison laisser son Eglise se débattre seule avec les difficultés du monde, alors qu’il lui a promis et donné son Esprit. Il faut en être bien persuadé; je dirais même que cela fait partie d’une vision réaliste des choses. L’homme moderne est comme emporté par les bonds de la science et de ses applications, ou par des expériences faites librement dans tous les domaines, qui le laissent tantôt ébloui, tantôt effrayé ou blasé, distrait et dispersé quant à la recherche de l’essentiel. Eh bien, ce temps peut être pour lui celui d’une redécouverte de Dieu et de la foi chrétienne. En tout cas, c’est le meilleur, puisque c’est le nôtre, celui qui nous est donné pour le vivre et le transformer au prix de luttes de toutes sortes et avec la grâce de Dieu.

Et même si la nostalgie d’un passé plus facile et plus florissant est bien compréhensible, il nous appartient à nous, Pasteurs, de communiquer aux chrétiens et aux hommes de bonne volonté, jeunes et moins jeunes, le goût de vivre aujourd’hui. Non pas, bien sûr, en bornant naïvement notre vision aux quelques îlots privilégiés, encore moins en considérant comme normal et chrétien ce qui ne l’est pas; mais en se montrant convaincu que ces hommes et ces femmes peuvent progresser, s’ouvrir aux valeurs morales et spirituelles et se montrer généreux. Il s’agit d’entretenir l’ardeur apostolique, celle qui animait saint Paul, tout au long de ses courses missionnaires et finalement ici-même, à Rome, alors qu’il saisissait à bras le corps tout ce monde païen en l’estimant capable d’accéder à la vie selon l’Evangile, moyennant la foi et la conversion. Cette ardeur, fondée sur la foi en Dieu et la confiance en l’homme, n’est pas une exaltation facile; elle sait être patiente, de la patience de Dieu; et désintéressée, car bien souvent autre est celui qui sème, autre celui qui moissonne (Cfr. Jn 4,37 cfr 1Co 3,6-9). Vous êtes, aujourd’hui, avec vos prêtres, vos diacres et vos laïcs, ceux qui préparent laborieusement l’Eglise de demain. Et vous savez, comme moi, à quel point les chemins de Jésus-Christ comportent la pauvreté personnelle et la pauvreté des moyens, l’humilité, parfois l’échec apparent, toujours la croix - je le rappelais vendredi dernier à Assise -, alors qu’ils sont en même temps des chemins de résurrection.

Certes, la situation où vous travaillez, en occident, est grevée de handicaps. C’est vrai au plan humain et social, vous parlez souvent du désarroi des jeunes, notamment devant le chômage. C’est vrai surtout au plan moral et spirituel. Mais n’y a-t-il pas là un appel, une requête urgente de “spirituels”, d’hommes de Dieu qui, par leur vie, leur prière et leur message, aident à dénouer les difficultés qui enferment sur soi, à voir le sens des choses, à espérer, à se mettre debout et à marcher? De plus en plus on se rend compte des limites des analyses, et même des “techniques” apostoliques, si elles ne sont pas conduites par ces “spirituels”.

Si vos diocèses de l’ouest, notamment ceux de Bretagne, d’Anjou, de Vendée ont pu devenir et demeurer longtemps des “terres de chrétienté”, ce n’est pas seulement qu’ils étaient “protégés” d’influences étrangères à la foi chrétienne; c’est d’abord et surtout parce qu’ils ont connu de tels “spirituels”, missionnaires, comme saint Louis Marie Grignion de Montfort, le bienheureux Julien Maunoir, le vénérable Jean-Marie de Lamennais, le Père Michel Nobletz, et tant d’autres fondateurs et fondatrices de congrégations religieuses: comment ne pas penser à Jeanne Jugan et à Jeanne Delanoue que nous aurons la joie de béatifier ou de canoniser cette année?

C’est dans cet esprit qu’il nous faut embrasser avec confiance notre temps, comme un temps de grâce, et former nos fidèles à ce regard, à cette ardeur.

4. Et maintenant, sans entrer dans les détails de la pastorale nécessaire, je me permets de vous soumettre deux exhortations, répondant à la situation de vos diocésains que vous voyez changer d’année en année et abandonner souvent la pratique religieuse et leurs liens avec l’Eglise.

Maintenez contre vents et marées la visibilité des communautés chrétiennes et de leurs institutions nécessaires. Vous notiez vous-mêmes, en conclusion de votre rapport, la nécessité de “repères” aisément reconnaissables qui aident à maintenir ou à retrouver l’identité chrétienne, en ce qui concerne la foi, la pratique ou le comportement chrétien. Je pense que la catéchèse, les publications, les signes sacrés peuvent y contribuer. Vous parliez, dans le même sens, de “nouveaux réseaux de soutien” explicitement chrétiens, d’autant plus nécessaires que la sécularisation a enlevé bien des appuis traditionnels, qu’il s’agisse de moyens, de lieux, de communautés. La famille et la paroisse devraient continuer à tenir à cet égard une place privilégiée et indispensable. Mais en union avec elles, il faut certainement beaucoup d’autres relais adaptés, à condition qu’ils ne forment pas de groupes fermés, mais vraiment des “relais” pour Jésus-Christ et son unique Eglise. Il me semble que, lors de votre dernière assemblée de Lourdes, vous avez pris une conscience plus vive de la nécessité de cette face visible de la sacramentalité de l’Eglise. Les Eglises d’occident - qui ont leurs problèmes de sécularisation - pourraient profiter de l’expérience de certains pays où les libertés religieuses sont réduites ou étouffées et où l’Eglise essaie par tous les moyens d’avoir des repères, des lieux, des communautés capables de nourrir la foi des fidèles et de lui permettre de s’exprimer. Oui, l’Eglise a besoin de signes visibles, et de soutiens. Et ces soutiens, nécessaires à l’identité et à la fidélité des chrétiens, sont tout autant indispensables à leurs engagements apostoliques et missionnaires. Ce serait une erreur psychologique et pastorale de les mépriser ou de les faire disparaître.

5. Je vous encourage, en second lieu, à viser la qualité des communautés chrétiennes existantes. Elle importe sans doute plus que leur quantité. Les gens ont besoin d’y trouver d’abord un accueil de qualité, grâce à la présence, permanente ou du moins régulière, de personnes aimables et compétentes, qu’il s’agisse du prêtre, de religieuses ou de laïcs. Ils ont besoin de cérémonies liturgiques de qualité, qui aident la participation active à la prière avec un grand respect du mystère chrétien. Ils ont besoin, enfants, jeunes et adultes, d’un enseignement catéchétique et doctrinal de qualité. J’ai prêté grande attention à ce que vous me dites de la catéchèse où vous investissez beaucoup, et je souhaite avec vous que vos très nombreux catéchètes soient formés avec soin pour témoigner, non seulement de leur propre vie chrétienne, mais de toute la Tradition vivante de l’Eglise. Je pense encore aux multiples écoles catholiques auxquelles vous tenez avec raison, auxquelles les parents chrétiens tiennent avec force et auxquelles le Pape tient autant que vous tous: là encore, ce qui fait leur prix, c’est l’éducation de qualité qu’elles peuvent fournir, avec des enseignants chrétiens attachés à ce projet éducatif. Tous les autres secteurs de la vie des communautés - administration, action caritative, tâches éducatives, presse, présence au monde des jeunes, des malades et des vieillards - requièrent que des laïcs y soient associés, bien préparés, et aient l’occasion d’y réfléchir en chrétiens. Enfin, comment ne pas rendre hommage aux laïcs qui consacrent leur apostolat direct à leur voisinage ou à leurs milieux sociaux ou professionnels, dans la mesure où ils cherchent une véritable évangélisation? Je pense que malgré la crise dont parlent souvent vos rapports et qui est réelle, vous avez partout ou pouvez découvrir des personnes de qualité humaine et chrétienne susceptibles de prendre, avec vous et avec vos prêtres, des responsabilités à leur mesure, qui aideront les diverses communautés à être des lieux de soutien et de témoignage.

6. Si mon rôle est de confirmer mes Frères, le vôtre, en un sens analogue, est d’affermir ceux dont vous avez été institués les guides: il est de proclamer avec clarté ce qui découle de la foi et de l’Evangile. Il est d’aider vos diocésains au discernement, à l’authenticité, sans jamais permettre les abus. Il est de rassembler dans l’unité et d’entraîner le peuple de Dieu dans la merveilleuse mission de l’Eglise.

Cela suppose que vous viviez le plus possible avec vos communautés, proches d’elles. Vous savez comme moi l’importance du contact, fréquent, direct et prolongé; certes vous avez d’autres responsabilités au niveau des structures ecclésiales de la région, de la nation, parfois de l’Eglise universelle, qui vous obligent à de fréquents déplacements et à de longs travaux de préparation. Cette prise en charge collective a des côtés bénéfiques, voire nécessaires. Cependant, vous sentez bien aussi le danger qu’il y aurait à vous laisser accaparer à ce niveau, au point d’y user vos forces ou d’être moins présents à vos prêtres, à vos communautés diocésaines, paroissiales, etc. Non seulement l’élite, les responsables ont besoin de vous, mais le peuple chrétien veut légitimement vous voir, prier avec vous, recevoir vos orientations. Pour ma part, je le sentais très fort lorsque j’étais à Cracovie, et j’en suis aussi convaincu à Rome même, où les visites paroissiales font, au moins chaque semaine, partie de ma charge d’Evêque.

Soyez sûrs, chers Frères, que je demeure proche de vous et de votre ministère, dans la prière et à travers toutes les occasions que j’aurai de tisser de nouveaux liens avec vous. Nous travaillons ensemble, dans le même esprit. Je vous fais confiance et je souhaite que tous vos diocésains vous fassent également confiance, respectent votre ministère, le facilitent et y coopèrent.

Que l’Esprit Saint soit votre paix et votre force! De tout coeur, je vous bénis, et je bénis tous ceux qui collaborent avec vous, prêtres, diacres, religieux, religieuses et autres personnes consacrées, laïcs chrétiens, jeunes et adultes. Transmettez ma Bénédiction particulière à ceux qui sont dans l’épreuve. Et que tous s’acheminent vers le renouveau pascal!






Dignité du travail et dignité de l’homme

Discours aux ouvriers de la Solvay à Livourne, 19 mars


Le 19 mars, le Pape s'est rendu à Livourne.
Au cours de la matinée, il a visité les établissements Solvay dans lesquels il a prononcé le discours ci-après. L'après-midi, il a célébré une messe sur la place de la République avec les évêques de la Toscane (1) :

(1) Texte italien dans l'Osservatore Romano du 20 mars. Traduction, titre et sous-titres de la DC.

TRÈS CHERS FRÈRES ET SOEURS,

1. Me voici finalement parmi vous, en ce jour ou l'Église célèbre la fête de saint Joseph, exemple et protecteur du monde du travail : merci. Me voici ici maintenant pour vous témoigner quel intérêt, quelle sympathie et quelle affection l'Église a pour vous, travailleurs, qui, par votre travail quotidien, offrez une indispensable contribution au progrès de l'humanité.

Je considère donc cette rencontre comme particulièrement importante et significative. Je renouvelle ma salutation au président de la Société et aux membres de la direction générale qui m'ont accueilli avec une grande amabilité à mon arrivée dans l'établissement. Je la renouvelle aussi aux membres du conseil d'usine et aux secrétaires des syndicats de corporations de la zone que j'ai eu le plaisir de connaître au cours de la rencontre qui a eu lieu, il y a peu de temps, au terme de la visite au siège où vous travaillez. J'adresse ensuite ma salutation la plus chaleureuse à vous tous qui représentez le personnel, les ouvrières et les ouvriers des établissements Solvay, et qui avez voulu me manifester votre sympathie sincère en m'accueillant avec une cordialité spontanée et affectueuse. Je pense aux travailleurs des établissements Solvay des autres zones, en particulier ceux de la mine de Saint-Charles, auprès desquels je n'ai pas pu me rendre en personne en raison de la brièveté du temps dont je dispose, mais qui ont été les premiers à m'inviter. Je sais qu'ils ont voulu être présents ici par une importante délégation. J'éprouve le besoin de leur exprimer ma satisfaction pour ce geste affectueux et, en même temps, j'adresse également une salutation spéciale aux travailleurs de Ponte Ginori qui sont aussi avec nous par une délégation.

Les résultats et les inquiétudes

2. Très chers ouvriers, employés et dirigeants des établissements Solvay, j'ai écouté avec une grande attention les discours prononcés par les porte-parole des différentes catégories de votre complexe industriel. J'en ai retenu deux éléments qui apparaissent clairement : les résultats et les inquiétudes. Les résultats, vous les avez atteints par votre engagement unanime, votre dévouement généreux et la ferme espérance qui vous a soutenus. Mais, par ailleurs, vous êtes inquiets en raison de la conjoncture économique difficile et des répercussions qui en découlent pour l'emploi, aussi bien dans l'immédiat que pour l'avenir. Vous êtes inquiets à cause des tensions qui agitent le pays et des explosions de violence homicide. Enfin, vous êtes inquiets à cause des nuages menaçants qui obscurcissent l'horizon international, à cause de la violation flagrante et souvent sanglante des droits de l'homme, perpétrée dans différentes parties de l'un et l'autre hémisphère.

J'ai écouté et apprécié la maturité de la conscience sociale qui se manifestait dans ces interventions. Ce qui m'a frappé en particulier, à côté de la franche dénonciation d'une société qui « rend l'homme toujours plus égoïste, toujours plus seul et toujours plus insatisfait », c'est la volonté réaffirmée de travailler pour la construction d'un monde différent dans lequel « il n'y aurait plus au centre de tout le profit et la soif de pouvoir mais l'homme avec ses exigences de paix, de démocratie et de liberté ».

Avec vous tous, je suis heureux que vous ayez su bien exprimer l'aspiration qui vous pousse dans votre engagement quotidien vers « une justice sociale effective et le respect de la dignité humaine dans le monde du travail ».

Ces choses, vous les avez dites en ouvrant presque un dialogue avec moi, dans une rencontre dont vous ne voulez pas qu'elle demeure « une fin en elle-même » mais que vous désirez qu'elle ait pour vous une suite dans la future grâce aussi à la contribution que vous comptez tirer de mes paroles : soit pour poursuivre avec un élan renouvelé les résultats obtenus et les espérances qui l'animent, soit pour dépasser avec courage les angoisses mentionnées.

Eh bien ! je suis ici pour répondre à votre attente, je suis ici pour vous offrir, dans l'accomplissement du ministère qui m'a été confié, une réponse à vos interrogations, je suis ici pour me faire l'écho de la voix de l'Église qui partage — selon les paroles du début de la constitution Gaudium et spes du récent Concile — « les joies et les espérances, les tristesses et les angoisses des hommes d'aujourd'hui, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent ». (Const. past. Gaudium et spes, GS 1)

L'expérience professionnelle du Pape

3. Dans vos interventions, vous avez fait référence à différentes reprises à l'encyclique Laborem exercens, montrant que vous appréciez les réflexions que j'y ai exposées. Je vous en suis reconnaissant. Comme vous le savez, par ce document, j'ai voulu rappeler le 90e anniversaire de Rerum novarum, la grande encyclique de Léon XIII qui a ouvert la série des déclarations du Siège apostolique, à l'époque moderne, sur les différents aspects de la question sociale, en réalisant comme une grande relation « itinérante » avec les hommes des générations au fur et à mesure qu'elles émergent.

Laborem exercens est en pleine continuité avec cette constante relation avec le monde du travail. Dans cette encyclique, j'ai également mis l'expérience directe que j'ai faite de ce monde qui est le vôtre et qui a été également le mien Que de souvenirs sont venus à ma mémoire alors que je visitais, il y a quelques instants, quelques services de ce grand complexe industriel qui est le vôtre, que je goûtais la joie de serrer la main de beaucoup d'entre vous, d'échanger quelques impressions, d'observer de près les lieux où s'accomplit votre travail quotidien. Je suis passé près du lieu de votre travail et il m'est revenu spontanément à la mémoire le temps où moi aussi après avoir laissé, à Cracovie, les carrières de pierre de Zakrzowek, je suis entré pour travailler à la Solvay, à Borek Falecki, comme employé aux chaudières.

Que de choses ont changé depuis lors. J'ai admiré la technologie avancée dont se sert aujourd'hui la société Solvay qui a progressivement affiné les procédés techniques au cours de ces années. J'ai vu tout ce qui s'est fait pour améliorer les conditions de vie de tous ceux qui apportent leur concours à ces procédés par la prestation de leur travail. D'autres pas restent certainement à faire sur cette route. C'est grâce à l'engagement de tous que ces pas pourront être faits. Ce que je désire réaffirmer ici, c'est que je me sens solidaire de vous car je sens que je participe à vos problèmes puisque je les ai partagés personnellement. Je considère comme une grâce du Seigneur d'avoir été ouvrier car cela m'a donné la possibilité de connaître de près l'homme au travail, dans le travail industriel, mais aussi dans tout autre genre de travail. J'ai pu connaître la réalité concrète de sa vie : une existence imprégnée d'humanité profonde même si elle n'est pas exempte de faiblesses, une vie simple, dure, difficile, digne de tous les respects.

Quand j'ai quitté l'usine pour suivre ma vocation vers le sacerdoce, j'ai apporté avec moi l'expérience irremplaçable de ce monde et la charge profonde d'une amitié humaine et d'une vibrante solidarité avec mes compagnons de travail, en les conservant dans mon esprit comme une chose précieuse.

L'ambivalence du travail

4. Chers frères et soeurs, en vertu de son mandat divin, l'Église est proche de vous, elle se trouve à votre côté, car elle est aux côtés de l'homme, de tout homme. Le caractère central et la dignité de la personne humaine poussent le Pape et les évêques à proclamer leur sollicitude pour le monde du travail. L'Église a beaucoup à dire à l'homme qui travaille : non pas sur les questions techniques, mais dans les questions fondamentales et la défense de la dignité et des droits des travailleurs. Elle proclame que la dignité du travail fait partie de la dignité de l'homme ; en protégeant la dignité du travail, elle sait qu'elle contribue positivement à la défense de la justice sociale. Et si les « résultats » atteints, qui sont la juste raison de votre fierté, ne lui échappent pas, elle connaît aussi trop bien les « angoisses » et les périls qu'ils coûtent.

Comme ouvriers du secteur industriel, vous êtes insérés dans l'engrenage du travail moderne que la force créatrice du genre humain a grandi démesurement. Mais, en même temps, vous êtes exposés autant aux conséquences les plus enthousiasmantes de ce processus qu'à celles qui sont les plus dangereuses, non seulement sous l'angle économique et social, mais aussi sous l'angle éthique et religieux.

Le développement de la technique repropose aujourd'hui d'une manière nouvelle le problème du travail humain. La technique, en effet, qui a été et qui est un coefficient de progrès économique, peut se transformer d'alliée en adversaire de l'homme. Elle se présente en effet comme marquée par une évidente ambivalence : d'un côté, elle a allégé le travail de l'homme et multiplié les biens économiques par une production massive ; mais, d'autre part, par la mécanisation des processus de production, elle tend de fait à dépersonnaliser celui qui « accomplit le travail », en lui enlevant toute satisfaction et tout stimulant à la créativité et à la responsabilité. Dans l'activité industrielle, il y a deux réalités qui se rencontrent : l'homme et la matière, la main et la machine, les structures d'entreprises et la vie de l'ouvrier. Qui aura la prééminence ? La machine deviendra-t-elle le prolongement de l'esprit et de la main créatrice de l'homme ou les soumettra- t-elle aux mécanismes impérieux de l'organisation, en le réduisant à agir comme un automate ? La matière sortira-t-elle ennoblie de l'usine et l'homme, au contraire, avili ? L'homme ne vaut-il pas davantage que la machine et ses produits ?

5. On sait combien l'ère technologique a apporté d'innovations profondes, de transformations radicales, dans la société. La présence de la machine dans le monde de l'entreprise a modifié non seulement les configurations traditionnelles du travail, mais elle a pesé de manière essentielle sur le genre de vie du travailleur, sur sa psychologie, sur sa mentalité, sur sa conscience et sur sa culture même, en donnant naissance à un nouveau type de société.

Ensuite, avec l'affirmation de l'organisation scientifique du travail et les chaînes de montages qui en découlent, la situation d'aliénation de l'homme et l'impossibilité pour lui de participer de manière responsable au travail qu'il exécute se sont davantage accentuées.

En outre, au cours de ces dernières décennies, l'automatisation, dont le caractère d'innovation, basé sur l'électronique et l'informatique, n'est pas toujours pleinement en faveur de l'homme, a fait son entrée dans le domaine de l'industrie.

La justice sociale

6. À l'époque moderne, la conscience que les êtres humains, en particulier les travailleurs et les travailleuses, sont en train de prendre de leur dignité, atteint des dimensions universelles. Ce phénomène a été exprimé sur le plan historique, non seulement par la proclamation progressive et la défense des droits de l'homme, mais aussi par le désir profond d'une justice sociale plus vive et plus concrète.

Il n'est pas difficile de relever combien de tous les coins de notre planète monte aujourd'hui l'aspiration à une plus grandejustice, en lien avec les nouvelles conditions de l'économie et avec les nouvelles possibilités de la technique, de la production et de la distribution des biens. La perception et le besoin de cette justice se font toujours plus insistants et plus ancrés dans la conscience humaine qui reconnaît d'une part les « résultats » obtenus, et souffre, d'autre part, avec une plus grande acuité, des « angoisses » causées par les discriminations et les carences qui peuvent léser les aspirations légitimes des travailleurs.

En effet, dans la vision chrétienne, la justice sociale constitue la base, la vertu clé et la valeur fondamentale de la convi- vence socio-politique. Elle dirige et règle les relations et les rapports des citoyens vers le bien commun, et donc dans une optique qui n'est pas purement contractuelle et individuelle, mais communautaire. Comme telle, elle représente un droit fondamental de tous les hommes qui leur est conféré par le Créateur et qui est confirmé par le message évangélique.

En dépassant les délimitations rigides de la justice distributive, la justice sociale cherche donc à subordonner les choses à l'homme, les biens individuels au bien commun, le droit de propriété au droit à la vie, en éliminant toutes les conditions d'existence et de travail qui seraient indignes de la personne humaine.

Nous voici alors, très chers frères et soeurs, au coeur du problème auquel est consacrée notre rencontre d'aujourd'hui.

Je ne me lasserai pas d'affirmer que l'économie et ses structures ne sont valables et acceptables que si elles sont humaines, c'est-à-dire faites par l'homme et pour l'homme. Et elles ne peuvent l'être si elles minent la dignité de tous ceux qui — ouvriers et dirigeants — y exercent leurs activités, si elles affaiblissent systématiquement en eux le sens de la responsabilité, si elles paralysent en eux toute forme d'initiative, si, en un mot, elles ne possèdent pas une logique et un sens humains.

Le droit au travail

7. Je désire maintenant faire allusion à quelques éléments que je considère comme essentiels pour que l'ordre social soit réellement inspiré par la justice à l'égard du travail humain.

Dans une société qui veut être juste et humaine, le profit et le lucre ne peuvent pas prévaloir sur l'homme : il est absolument nécessaire que l'homme demeure le sujet de l'économie et des différentes structures de production. J'ai écrit dans Redemptor hominis que « l'homme ne peut renoncer à lui-même ni à la place qui lui est propre dans le monde visible, il ne peut devenir esclave des choses, esclave des systèmes économiques, esclave de la production, esclave de ses propres produits » (RH 16). Dieu l'a créé pour qu'il soit le maître et non l'esclave du travail.

Dans cette exigence de justice, il faut placer le droit au travail et les autres droits des travailleurs.

Le travail constitue en effet un des grands droits fondamentaux et inaliénables de l'homme pour qu'il lui donne vie, sérénité et signification. Par le travail, l'homme devient plus pleinement homme et collaborateur de Dieu pour le perfectionnement de la nature. Il est à souhaiter que ce droit représente véritablement une réalité concrète pour tout citoyen, un droit qui est promu et protégé par la société.

Procurer du travail ou un emploi n'est pas une tâche facile. Il est cependant nécessaire d'affirmer qu'il y a en cela un aspect central et un engagement fondamental de l'ordre politique et économique.

Le droit à un juste salaire

8. J'ai écrit dans Laborem exercens que « la vérification concrète de la justice de tout le système socio-économique et de son fonctionnement correct est représentée par le juste salaire ». En effet, la manière la plus adéquate de réaliser la justice dans les rapports de travail entre l'ouvrier et le patron, indépendamment du type de système économique où s'exerce l'activité humaine, est celle de la juste rémunération.

Par le salaire se trouve généralement ouverte la voie concrète de l'accès aux biens destinés à l'usage commun. Proportionner le salaire dans ses modalités multiples et complémentaires, de sorte que l'on puisse affirmer que le travailleur partage réellement et équitablement la richesse qu'il contribue à procurer de manière solidaire, aussi bien dans l'entreprise privée que dans l'économie nationalisée, est un postulat et une exigence d'une économie saine au service d'une justice sociale effective.

La réalisation des propositions avancées dans le domaine catholique, dans le but de faire en sorte que l'ouvrier puisse se considérer comme copropriétaire des moyens de travail, est un élément de base de cette vérification à laquelle j'ai fait allusion plus haut : non seulement pour que le travailleur trouve une pleine satisfaction dans son aspiration à la juste rémunération, mais aussi et surtout pour que soit sauvegardée la justice dans toutes les structures du processus économique (cf. Laborem exercens, LE 14).

Le droit de se syndiquer

9. Je désire encore attirer votre attention sur un autre aspect essentiel de la justice sociale : c'est la libertéd'associa- tion par laquelle doit être reconnue aux travailleurs la possibilité effective de participer librement et activement à l'élaboration et au contrôle des décisions qui les concernent, à tous les niveaux. L'expérience historique démontre — comme je l'ai déjà affirmé en d'autres occasions — que ses associations ou syndicats sont un élément indispensable de la vie sociale, spécialement dans les sociétés industrialisées modernes. Nés pour défendre les justes droits des travailleurs par rapport aux propriétaires des moyens de production, les syndicats, particulièrement ceux du secteur industriel, ont grandi à travers les luttes. Cependant, dans leur attitude d'opposition sociale, ils doivent donner un relief essentiel aux valeurs positives qui les animent, au désir du juste bien, dans le contexte du bien commun, à la soif de justice sociale et jamais à la lutte « contre » les autres car la première caractéristique du travail est celle d'être « pour » les autres, d'unir les hommes. C'est là que se trouve sa grande force sociale. C'est précisément à travers l'union et la solidarité que les syndicats ont pu protéger les intérêts des ouvriers en obtenant un salaire juste, des conditions de travail dignes, la sécurité pour le travailleur et sa famille.

Les pouvoirs publics, appelés à servir le bien commun, doivent donc considérer que leur tâche est de protéger, dans le cadre de l'État, ces associations par des lois sages. Pour leur part, les syndicats doivent toujours tenir convenablement compte des limitations que la situation économique concrète et générale peut parfois demander dans le cadre du bien commun de la nation tout entière.

Justice et charité

10. Vous tous, chers frères et soeurs, vous êtes justement désireux que sur vos chantiers, dans vos usines, règne la justice comme dimension fondamentale de vos activités de travail. N'en est-il pas ainsi ? Cela vous fait honneur mais cela ne suffit certes pas ! Du monde de votre travail doit aussi jaillir la solution pour réaliser la justice sociale : il faut toujours de nouveaux mouvements de solidarité entre les travailleurs et avec les travailleurs pour créer l'union des coeurs, une union constructive, sincère, animée par la formation morale et par un esprit de responsabilité.

« L'expérience du passé et de notre temps démontre que la justice ne suffit pas à elle seule, et même qu'elle peut conduire à sa propre négation et à sa propre ruine si on ne permet pas à cette force plus profonde qu'est l'amour de façonner la vie humaine dans ses diverses dimensions. Cette affirmation ne dévalue pas la justice et n'atténue pas la signification de l'ordre qui se fonde sur elle ; mais elle indique seulement, sous un autre aspect, la nécessité de recourir à ces forces encore plus profondes de l'esprit qui conditionnent l'ordre même de la justice. » (Dives in misericordia, DM 12)

Vous savez, en effet, que l'amour chrétien anime la justice, l'inspire, la dévoile, la perfectionne, la rend possible, la respecte, l'élève, la dépasse. Elle ne l'exclut pas, ne l'absorbe pas, ne la remplace pas. Au contraire, elle la présuppose et l'exige car il n'existe pas de véritable amour, de véritable charité sans justice. La justice n'est-elle pas la mesure minimale de la charité ?

J'ai écouté attentivement l'ouvrière qui a parlé au début de cette rencontre : eh bien ! elle a souligné la nécessité de chercher dans l'amour l'inspiration pour un engagement social plus total. Je considère cette intuition comme importante. Si, en effet, la justice sociale donne une physionomie humaine à l'entreprise, la charité lui inspire l'élan vital d'une véritable solidarité.

L'exemple du Christ

11. Très chers frères et soeurs ! J'ai confiance que cette rencontre d'aujourd'hui consolide en chacun de vous la sincère adhésion à l'Évangile du travail, proclamé par Celui qui, étant le Fils de Dieu fait homme, a voulu appartenir au monde du travail manuel auprès de l'établi du charpentier Joseph, l'époux de la Très Sainte Marie.

Jésus regarde avec amour notre travail, ses différentes manifestations, en voyant dans chacune d'entre elles un reflet de la ressemblance de l'homme au Dieu créateur. Le travail est voulu et béni par Dieu : il porte avec lui non plus le poids d'une condamnation, mais la noblesse d'une mission, celle de rendre l'homme le protagoniste de Dieu dans la construction de la convivence humaine et du dynamisme que reflète le mystère du Tout-Puissant.

L'Église, qui cherche à confirmer les « résultats » obtenus avec tous les hommes de bonne volonté, et à trouver la réponse aux « angoisses » qui troublent votre esprit, regarde votre travail. La foi chrétienne possède le mystérieux pouvoir de donner une âme au travail, de lui conférer une sérénité, la paix, la force et la rationalité en en faisant ainsi un moment de croissance humaine non seulement personnelle, familiale et communautaire, mais aussi religieuse.

La famille

12. Et maintenant, permettez-moi de m'adresser à vous tous qui participez à cette rencontre — à tous et à chacun en particulier. Ce faisant, je pense en même temps à vos familles, à vos enfants, à vos fils, à vos épouses, à vos mamans, à vos malades, à tous ceux qui vous sont chers : je sais quelle place ils ont dans votre coeur, je sais quelle grande valeur ils représentent pour vous. Pour eux, vous trouvez dans la fatigue et dans le travail de tous les jours la pleine expression et la mesure spontanée de votre amour.

Aimez vos familles ! Je vous le répète : aimez-les ! Soyez- en les guides joyeux, la lumière sûre, les protecteurs vigilants contre les germes de la désagrégation morale et sociale qui, malheureusement, conduisent inexorablement à la décomposition de tant de noyaux familiaux.

Ouvrez vos familles aux valeurs sociales, aux exigences de l'esprit ! La vie familiale doit être une expérience de communion et de participation. Loin de s'enfermer sur elle- même, la famille est appelée à s'ouvrir au domaine social pour devenir — poussée par le sentiment de la justice, de la sollicitude envers les autres et par le devoir de sa propre responsabilité envers la société tout entière — un instrument d'humanisation et de personnalisation, de service du prochain dans les expressions multiformes de l'aide fraternelle, de défense et de protection consciente de ses droits et devoirs.

Ouvrez vos familles au Christ et à son Église ! Ce n'est pas un hasard si la famille chrétienne a été définie « Église domestique », « petite Église ». Parmi ses tâches fondamentales, il y a aussi la tâche ecclésiale de témoigner du Christ dans le monde : « Elle est au service de l'édification du royaume de Dieu dans l'Histoire, moyennant la participation à la vie et à la mission de l'Église » (Familiaris consortio, FC 49) et elle est appelée à devenir tous les jours davantage une communauté croyante et évangélisatrice, en dépassant la tentation de vivre craintivement sa foi dans l'intimité familiale.

Maintenez vive et constante votre sensibilité pour le respect de la justice sociale dans le monde du travail en l'alimentant et en la soutenant par l'amour qui est « le lien de la perfection » (Col 3,14).

Que règne toujours dans vos usines, dans vos postes de travail, la sérénité du modeste atelier de Nazareth, la sérénité qui vient de la conscience d'avoir accompli quotidiennement son devoir, la sérénité qui rend le travail humain facteur de croissance et qui lui donne la dimension de vocation féconde. L'Église est vivement sensible à la valeur du milieu « usine », lieu où se réalise la vie du travailleur — votre vie — mais où vous devez aussi porter la foi à agir de manière constructive, vous devez la faire devenir opérante.

Le Seigneur est ici avec nous. Non seulement maintenant. Il est toujours avec vous sur le lieu de votre travail pour donner à tous la force régénératrice de son Évangile, de sa grâce et de son amour. Ne l'ignorez jamais ! Ne vous en éloignez jamais !

Ayez toujours, comme but de votre activité, celui de construire un monde plus humain, plus fraternel, plus chrétien, la volonté de créer des formes plus parfaites d'union, de solidarité, de sociabilité selon les exigences des temps l'idéal de croître en humanité, en mûrissant tous les jours davantage dans la justice et dans l'amour.

Pour cela, je vous bénis tous ! Ouvriers et ouvrières de la Solvay, je vous porte tous dans mon coeur ! Et je prierai toujours pour vous, pour vos familles, pour votre travail, en me rappelant avec émotion ce très beau jour ! Que saint Joseph vous protège, que Marie vous aide, que le Christ vous conserve dans sa grâce !

Et que Jésus-Christ soit loué !



Discours 1982 - Discours aux évêques italiens à Assise, 12 mars