Discours 1982 - Discours aux ouvriers de la Solvay à Livourne, 19 mars


AUX ÉVÊQUES DE FRANCE EN VISITE «AD LIMINA APOSTOLORUM»

Mardi, 23 mars 1982




Chers Frères dans l’Episcopat,

C’est une grande joie pour moi de vous accueillir pour la première fois en visite “ad limina”.

1. Pendant cette semaine, vécue près du successeur de Pierre et des Congrégations romaines qui l’assistent dans sa charge pastorale de l’Eglise universelle, vous portez dans vos esprits et vos coeurs toutes les réalités ecclésiales et les problèmes humains du Centre de la France. Vos travaux d’analyse et de synthèse, et aussi un regard sur la carte de votre région, m’ont aidé à mieux saisir le visage de vos Eglises locales qui se situent dans la Touraine, le Blésois, la Beauce, le Berry, le Bourbonnais, la Sologne, le Gâtinais, le Nivernais, l’Auxerrois et le Sénonais. Quel panorama de richesses historiques et artistiques! Quelle variété de sensibilités humaines et de tempéraments! Et aussi que de problèmes pour ces populations, en général sympathisantes à l’Eglise, mais assez éloignées d’une pratique religieuse régulière, même si beaucoup gardent des liens épisodiques avec les paroisses de vos diocèses.

2. Dans ce contexte précis, je voudrais affermir votre courage pastoral, qui est grand, je le sais. Vous avez raison de vivre de plus en plus proches de votre peuple. En un sens cette proximité, que je recommandais à vos confrères de l’ouest, m’apparaît encore plus urgente. L’évêque, parcourant sans cesse son diocèse, n’a pas à se substituer aux responsables locaux. Mais, au milieu de ses prêtres et de ses fidèles il est porteur d’une grâce spéciale pour resserrer, tisser ensemble toutes ces fibres humaines et chrétiennes, que des réunions même modestes font apparaître, pour qu’adviennent des communautés de croyants.

Mon vénéré prédécesseur Paul VI s’était appliqué, il y a cinq ans, à affermir vos convictions sur quelques points essentiels: les vocations sacerdotales, les assemblées dominicales, la catéchèse. Sans les développer aujourd’hui à nouveau devant vous, je vous assure du moins que j’y attache la même importance. Et le vieillissement du clergé, par exemple, est comme un appel encore plus pressant à travailler à l’éveil et au soutien des vocations pour le presbytérat et le diaconat. On pourrait évoquer avec autant d’insistance la place des religieuses dans la pastorale. Il y a là pour vous un souci lancinant, partagé dans la prière par les meilleurs de vos diocésains.

Aujourd’hui, j’arrête mon attention sur deux autres aspects complémentaires qui me semblent répondre à votre préoccupation de préparer l’avenir: la nécessité d’associer davantage encore les laïcs et celle d’assurer en particulier l’évangélisation des jeunes. Il m’apparaît en effet que votre tâche épiscopale fondamentale est actuellement d’aider vos prêtres à vivre leur ministère presbytéral de manière nouvelle, je veux dire en suscitant toujours davantage et toujours mieux la collaboration des laïcs, sans confusion des personnes et des fonctions. Ce soutien de vos prêtres sur un tel chemin suppose que vous leur facilitiez, à eux-mêmes d’abord, tous les ressourcements théologiques et spirituels indispensables.

3. Les laïcs: disons d’abord, par honnêteté et par gratitude, qu’ils ont apporté à l’Eglise, tout au long de son histoire, une contribution apostolique, parfois remarquable, sous des formes variées. Mais le Concile Vatican II, prenant une conscience plus vive de leur apport spécifique dans une vision ecclésiologique plus complète, et à la lumière des besoins actuels, a remis en honneur et stimulé l’“apostolat des laïcs” (Cfr. Lumen gentium, IV et Apostolicam Actuositatem ). Et les communautés chrétiennes en sont sûrement marquées. Cependant, il y aurait encore beaucoup à faire pour ouvrir à ces forces vives du laïcat chrétien tout le champ possible d’initiatives et d’action, pour les préparer et les former à leur rôle, pour articuler celui-ci avec le ministère des prêtres et le témoignage des religieux.

Et cela tout d’abord au niveau des convictions. Certes il y a une soif de participation active et de responsabilité de plus en plus répandue chez les hommes et les femmes de la société civile. Mais la société ecclésiale a par elle-même des motivations non moins grandes: le baptême et la confirmation constituent un appel, une députation à prendre sa part dans tous les secteurs de la vie communautaire: prière, témoignage, apostolat, services multiples. Il ne s’agit donc pas d’un besoin qui naîtrait seulement de la raréfaction des prêtres et des religieux, encore que cette raréfaction puisse en stimuler la prise de conscience. Il y a en toute communauté chrétienne, si restreinte soit-elle, des possibilités qui attendent d’être mises en oeuvre. L’apôtre Paul, dans les communautés qu’il fondait, savait merveilleusement susciter ou plutôt encourager cette diversité de dons ou de services qui sont aussi l’oeuvre de l’Esprit (Cfr 1Co 12,4-7). Puissent les laïcs montrer, en ce domaine, plus de conviction et de générosité! Et puissent aussi les prêtres accepter plus largement encore cette vision ecclésiologique, éveiller les laïcs à leur propre vocation, leur confier de réelles responsabilités! Beaucoup de prêtres souffrent d’êtres seuls, d’affronter des tâches qui dépassent leurs forces et on les comprend: mais ont-ils su, par leur confiance, créer le climat qui permet aux laïcs d’offrir leur concours? Il me semble que vous avez encore à aider vos prêtres, par ailleurs si méritants, à mieux comprendre leur rôle d’éveilleurs.

4. Au plan pratique, il importe aussi de concevoir avec plus d’imagination et d’audace les secteurs possibles de participation des laïcs, qui sont loin d’être tous explorés.

On pense tout naturellement au domaine de l’action catholique, générale et spécialisée, qui, par définition, est un apostolat propre aux laïcs pour travailler, comme de l’intérieur, à la sanctification des réalités temporelles, à l’évangélisation des mentalités, des milieux des cultures. Je sais que vous demeurez, à juste titre, soucieux de promouvoir un tel apostolat et de veiller à son authenticité, pour qu’il manifeste vraiment un esprit chrétien au coeur des réalités sociales. On pourrait ajouter beaucoup d’autres associations de laïcs chrétiens qui cherchent aussi à témoigner de la foi, à éduquer, à incarner la charité. Comme je le disais aux laïcs lors de mon voyage en France, le 31 mai 1980, il faut toujours promouvoir entre ces associations et mouvements une estime mutuelle, un dialogue, une concertation, une collaboration, car c’est bien l’évangélisation ou le témoignage qu’il faut rechercher sous différents aspects complémentaires.

Il y a aussi beaucoup d’autres laïcs chrétiens qui, sans ressentir une vocation spécifique à un apostolat organisé, tiennent du moins à bien remplir leur rôle de pères et mères de famille, c’est-à-dire d’éduquer leurs propres enfants à la foi, à la prière, aux gestes religieux, aux exigences morales et spirituelles de la vie. Si, hélas, les parents sont eux-mêmes peu croyants ou peu pratiquants, il ne s’agit pas - et vous en êtes bien convaincus - de les décharger d’un tel devoir, mais de les aider à l’accomplir, tout en le complétant. En ce sens, vous avez beaucoup développé la participation des parents à la catéchèse de leurs propres enfants, ou d’une équipe d’enfants voisins. Cette prise en charge, qui fait progresser les familles elles-mêmes, est un moyen et un signe de vitalité des laïcs, qui comporte évidemment d’autres exigences de formation pour ces catéchistes ou ces “accompagnateurs”, afin que l’initiation religieuse corresponde vraiment à la foi de l’Eglise.

Mais je voulais évoquer surtout les multiples secteurs de la vie des communautés chrétiennes où les laïcs peuvent découvrir leur responsabilité et apporter une part active: diverses tâches éducatives, gestion des budgets, soutien de la prière dans les réunions dominicales qui ne peuvent, hélas, toujours bénéficier de la présence du prêtre, animation des assemblées liturgiques présidées par le prêtre, coopération dans la préparation aux sacrement de baptême, de confirmation, de mariage, etc. Je ne veux pas continuer un inventaire que vous connaissez bien puisque vous y travaillez. Mais je souhaite profondément avec vous que la participation des laïcs - qu’il s’agisse de permanents ou de bénévoles - se développe et qu’elle se conjugue judicieusement avec l’action du prêtre et avec celle du diacre. Il est bien entendu que le prêtre doit garder parmi les laïcs son rôle d’éveilleur, de formateur, de coordinateur, sans parler des actes qui reviennent en propre à son sacerdoce ministériel et qui doivent être l’essentiel de sa vie: enseignement autorisé des vérités de la foi, formation des consciences, entraînement à la prière, don de la grâce de Dieu par les sacrements, notamment d’eucharistie et de réconciliation. Perspective stimulante pour les laïcs et pour les prêtres, à laquelle il vous revient de les préparer!

5. Vous êtes, chers Frères, particulièrement soucieux de l’avenir religieux des jeunes.Vous avez d’ailleurs à coeur de les rencontrer sur place, dans leurs réunions, comme moi-même je le fais dans chacune de mes visites pastorales.

Ne croyez-vous pas, d’abord, qu’il faut en parler avec une grande confiance? Je le redisais récemment au stade de Libreville, comme dans tous les pays où je suis passé: notre monde a un avenir grâce à eux. Quel souvenir encourageant je garde, pour la France elle-même, de notre rencontre au Parc des Princes! Et je sais qu’à Lourdes, les dix mille jeunes du Congrès eucharistique ont manifesté une profondeur de foi, une qualité de prière, une ouverture de charité qui ont soulevé l’admiration. Bien sûr, il s’agit là de groupes fervents et restreints: j’imagine sans peine qu’ils se retrouvent souvent dispersés dans une masse de jeunes ignorant presque tout de la foi et en marge de l’Eglise. Mais il demeure que, malgré le climat actuel de sécularisation ou de permissivité, ces jeunes chrétiens convaincus et généreux existent et pourraient être plus nombreux. Comment les susciter, les fortifier, leur permettre d’avoir leur plein rayonnement?

Ne serait-ce pas d’abord une question posée à la vie même des adultes? Certes, malgré l’exemple d’adultes admirables bien des jeunes demeurent fragiles, très peu engagés, peu persévérants, tentés par les solutions faciles, et il convient d’éviter toute démagogie à leur égard. Il faut par ailleurs remarquer que beaucoup souffrent du chômage, d’autres handicaps sociaux, et plus encore d’un vide moral, d’un horizon rivé à un bien-être immédiat, ou de situations d’injustice dans le monde. Mais trouvent-ils suffisamment chez les adultes ce qui les affranchirait du désarroi, de la peur, du repliement sur soi, du doute, du matérialisme? En tout cas, lorsqu’ils rencontrent des adultes de trempe, convaincus, désintéressés, éducateurs, les jeunes acceptent plus facilement de se laisser entraîner par eux.

6. Au premier rang de ces adultes, il faut nommer les parents. Beaucoup d’entre eux, malgré leur bonne volonté, sont désemparés devant l’évolution de leurs jeunes. Ils sont même parfois culpabilisés de façon exagérée, car les multiples influences qui viennent de l’extérieur de la famille peuvent ruiner les efforts les plus valables. Cependant, l’oeuvre d’éducation des parents, depuis la petite enfance jusqu’à la grande adolescence, demeure capitale, et l’Eglise se doit d’aider les parents à faire face, avec courage, adresse pédagogique, patience et foi, à leur rôle difficile et si méritant.

Précisément une contribution de choix demeure celle de la catéchèse. L’Eglise en France, je l’ai noté, déploie un effort considérable pour les enfants, du moins pour ceux dont les parents demandent qu’ils soient catéchisés. Mais vous souffrez de voir que bien peu d’adolescents baptisés suivent une catéchèse régulière au cours de toutes leurs études secondaires, dans l’enseignement public, malgré les efforts des aumôniers, et même parfois dans l’enseignement catholique. Certes les adolescents veulent y venir librement, mais a-t-on consacré assez d’efforts à une proposition de qualité faite par des témoins convaincus?

De même, en général, l’école catholique est apte à fournir un milieu éducatif qui peut aider considérablement le jeune à approfondir sa foi au rythme de sa culture et à développer ses dons dans un climat de fraternité, de service et de liberté bien comprise. Je suis heureux de rendre cet hommage à l’enseignement catholique, en présence du Président de la Commission épiscopale de cet enseignement, dont je sais et approuve le zèle et la vigilance en ce domaine. C’est là qu’il importe de susciter des équipes attachées à un projet éducatif qui soit en cohérence avec l’Evangile.

Je pense encore à une difficulté assez répandue et que vous connaissez bien: parfois ces jeunes, tout en se disant ouverts au Christ, récusent l’institution ecclésiale. Un effort particulier doit être tenté, d’une part pour leur expliquer le sens de l’institution ecclésiale et sa nécessité, et d’autre part pour améliorer le visage de la communauté qui les accueille au nom de l’Eglise.

7. Enfin et surtout, si les jeunes ont besoin d’être aidés et entraînés par les adultes, dans le cadre de la famille, de la paroisse, de l’école ou de l’aumônerie, ils sont eux-mêmes, au premier chef, les apôtres des autres jeunes. Les mouvements, associations ou groupes catholiques de jeunes sont par excellence les lieux où ils trouvent un tremplin pour cet apostolat. Plus encore que les adultes, ils ont besoin d’une communauté chrétienne qui les touche, réveille l’idéal sommeillant en eux, leur en montre la possibilité pour leur âge, les invite eux-mêmes à approfondir leur foi et à la vivre en passant à l’action. Il nous faut donc favoriser ces rencontres de jeunes chrétiens en évitant les risques de ghettos, pour leur permettre de se ressourcer et de donner leur témoignage communautaire. Aux évêques de l’ouest, je parlais de points de repère et de communautés visibles capables de nourrir la foi et de lui permettre de s’exprimer.

8. Au terme de cet échange nécessairement limité, je voudrais que vous sentiez profondément combien je partage vos soucis pastoraux dans ces deux domaines - laïcs et jeunes - comme dans tous les autres. Je vous accompagnerai en esprit dans vos diocèses, et surtout par la prière: seule la prière nous obtient l’Esprit Saint qui vivifie nos communautés et suscite les artisans de l’évangélisation.

A quelques jours du Jeudi saint qui va rassembler vos prêtres autour de vous, portez-leur l’assurance de mon affection et de ma confiance. Ils sont capables de donner aux communautés chrétiennes un visage d’espérance en suscitant de plus larges collaborations. A ces prêtres, aux religieux et religieuses, à tous les laïcs chrétiens déjà engagés et à bien d’autres qui pourront apporter leur contribution à la vie et au rayonnement de ces communautés, j’adresse mes voeux fervents. Que tous, dans une société éclatée et au milieu de certaines tensions ecclésiales, s’appliquent à vivre et à travailler ensemble, dans une communion fraternelle! Avec vous, je les bénis de tout coeur.




AUX PARTICIPANTS AU CONGRÈS INTERNATIONAL DE PNEUMATOLOGIE

Vendredi, 26 mars 1982



1. “La grâce du Seigneur Jésus-Christ, l’amour de Dieu et la communion de l’Esprit Saint soient avec vous tous” (2Co 13,13).

Permettez-moi, chers frères et soeurs dans le Christ, de reprendre ces mots de l’apôtre Paul aux fidèles de Corinthe, pour vous saluer avec joie, au terme de cet important congrès international de pneumatologie: congrès important par la commémoration conciliaire qui lui a donné naissance, important aussi par les thèmes fondamentaux qu’il a abordés, important encore par la présence vraiment oecuménique de tant d’hommes éminents appartenant non seulement à l’Eglise catholique, mais aussi aux autres confessions chrétiennes, orthodoxe, luthérienne, réformée, anglicane et méthodiste, important enfin, parce que l’Esprit Saint qui en a été l’objet, en a été aussi, comme vient de le dire le Président du Comité préparatoire, le sujet, en ce sens que vous vous êtes mis à son écoute.

En venant rendre visite au lieu même de vos travaux, la salle du Synode des évêques, j’ai voulu vous manifester concrètement à tous, membres du comité promoteur et du comité scientifique du congrès, modérateurs, relateurs, directeurs des groupes d’études, ainsi que tous les intervenants, ma joie pour ces journées si riches consacrées au mystère de l’Esprit Saint, et ma confiance qu’elles porteront du fruit pour l’Eglise. Car notre Eglise est l’Eglise de l’Esprit Saint. Et la foi en l’Esprit Saint est au coeur de notre foi chrétienne, comme le professe le credo des saints conciles. C’est l’Esprit Saint qui est au coeur de la sanctification des disciples du Christ. C’est lui qui anime leur zèle missionnaire et leur prière oecuménique. C’est l’Esprit qui est la source et le moteur du renouveau de l’Eglise du Christ.

Vos interventions qualifiées l’ont souligné avec l’autorité qui est la vôtre, de savants spécialistes de l’Ecriture Sainte, de la patristique, de la liturgie, de la théologie dogmatique et spirituelle, de l’histoire, de l’oecuménisme. Et je me réjouis avec vous de la signification que revêt ce congrès, et de la portée qu’il prend pour la vie de tous les chrétiens, au seuil du troisième millénaire de l’Eglise.

2. J’ai moi-même vivement désiré qu’un tel congrès se tienne, cette année, à Rome. Et vous savez pourquoi: il était opportun et même nécessaire, d’approfondir la connaissance de ce mystère de notre foi, celle de nos Pères dans la foi, telle qu’ils l’ont exposée dans les grands Conciles dont nous avons célébré la mémoire, lors de la dernière Pentecôte, 1600 ans après le premier Concile de Constantinople, et 1550 ans après celui d’Ephèse.

Ce jour-là, en présence de nombreux évêques, des vénérables délégués du Patriarcat oecuménique de Constantinople et des représentants des autres Eglises et communautés ecclésiales, j’ai redit ma conviction, que j’avais exprimée dans la Lettre apostolique du 25 mars 1981: “Mon intention est que ces événements soient vécus dans leur profond contexte ecclésiologique. Nous ne devons pas seulement rappeler ces grands anniversaires comme des faits du passé; il nous faut leur redonner vie en notre siècle et les relier intimement à la vie et aux tâches de l’Eglise de notre époque, telles qu’elles ont été exprimées dans l’ensemble du message du Concile de notre époque, le deuxième Concile du Vatican” (IOANNIS PAULI PP. II A Concilio Constantinopolitano I, 6, die 25 mar. 1981 : Insegnamenti di Giovanni Paolo II, IV, 1 (1981) 821).

C’est ce que vous avez fait, et je m’en réjouis. Après avoir étudié la pneumatologie du premier Concile de Constantinople, la tradition sur l’Esprit Saint dans les Eglises de l’Orient et de l’Occident, et les divers aspects de la pneumatologie biblique, tant dans l’ancien que dans le nouveau Testament, vous avez poursuivi vos travaux sur l’Esprit Saint par la réflexion théologique et en examinant l’expérience de l’Eglise aujourd’hui. Et vous les avez conclus de manière significative sur “l’Esprit Saint, principe d’unité de l’Eglise”, et sur “l’Esprit Saint et le renouvellement du monde”: vaste programme, enraciné dans la foi du credo: “Je crois en l’Esprit Saint qui est Seigneur et qui donne la vie... qui, avec le Père et le Fils, reçoit même adoration et même gloire. Je crois en Jésus-Christ qui a été conçu du Saint-Esprit, est né de la Vierge Marie”.

Cette foi qui est la nôtre aujourd’hui, c’est la foi des saints Conciles de Constantinople et d’Ephèse. C’est la foi qui n’a cessé d’être professée et vécue au cours des siècles écoulés, avec la grâce de Dieu. Cette foi est donc comme un arc solidement tendu sur tout le déroulement de l’histoire de l’Eglise. Certes, au long des temps et au gré des lieux, l’unité de l’Eglise a connu de douloureuses vicissitudes. Mais toujours cette foi des grands Conciles à continué, malgré les scissions et les divisions, de rendre témoignage à l’unité originelle, comme je le disais à l’homélie de la dernière Pentecôte. Et, ce faisant, cette même foi est un puissant appel à retrouver, à partir de ce que nous avons de plus fondamental et de plus cher en commun, la plénitude de notre unité, enfin reconstituée, par la force de l’Esprit. Cette foi prend d’ailleurs un relief d’autant plus significatif qu’elle est la clé de l’oeuvre du Concile oecuménique Vatican II. Sous l’impulsion de mes prédécesseurs Jean XXIII et Paul VI, avec le concours de tous les évêques de l’Eglise catholique, et en dialogue avec nombre de frères des Eglises et communautés ecclésiales, ce Concile n’a-t-il pas voulu exprimer, en notre temps, ce que l’Esprit Saint dit aux Eglises? Car «cet Esprit, qui est unique et identique dans le Chef et dans les membres, vivifie, unifie et meut tout le corps... Il rajeunit l’Eglise par la force de l’Evangile, il la rénove perpétuellement et la conduit enfin à l’union parfaite avec son Epoux. Car l’Esprit et l’Epouse disent au Seigneur Jésus: “Viens” (Cfr. Ap 22,17). Ainsi l’Eglise universelle apparaît-elle comme “un peuple rassemblé dans l’unité du Père, du Fils et de l’Esprit Saint” (S. CYPRIANI, De Orat. Dom., 23: PL 4, 553)» (Lumen Gentium LG 7 et 4).

3. Aussi, très chers frères et soeurs dans le Christ, voudrais-je vous remercier, et de tout coeur, d’avoir répondu à l’invitation fraternelle qui vous était faite, et d’avoir donné généreusement une part de votre temps et de vos travaux, et cela de manière exemplaire, vu le caractère oecuménique et interdisciplinaire de vos recherches, conduites dans un souci d’intelligence de la foi. Car l’homme de foi n’est en rien limité par ce qu’il croit. Bien au contraire, notre foi élargit nos horizons de pensée et sollicite notre réflexion exigeante. Et je voudrais, quant à moi, que de telles rencontres se multiplient, tant leur besoin est grand aujourd’hui. De nos jours en effet, sessions de recherches, travaux de séminaires, congrès d’études sont devenus plus indispensables que par le passé, tant s’est élargi le champ des investigations et se sont précisées les méthodes de recherches, tant est forte l’aspiration à communiquer avec les autres chercheurs et enseignants de tous les continents. Oui, je le dis avec conviction, le travail théologique sérieux et compétent est plus que jamais nécessaire à l’Eglise et à tous les fidèles, pour soutenir leur foi.

Déjà mon prédécesseur Paul VI le disait, à l’occasion du cinquième anniversaire de la clôture du Concile OEcuménique Vatican II: “Au lendemain d’un concile qui fut préparé par les meilleures acquisitions du savoir biblique et théologique, un travail considérable reste à faire, notamment pour approfondir la théologie de l’Eglise, et pour élaborer une anthropologie chrétienne à la mesure du développement des sciences humaines et des questions qu’elles posent à l’intelligence croyante” (PAULI VI, Iam Quinque Annos). Trop de vulgarisations superficielles et insuffisamment fondées sont de nature à ébranler la foi du peuple chrétien, cette foi des saints conciles, transmise par la tradition vivante de l’Eglise, authentifiée par son magistère, qui a reçu à cette fin, selon saint Irénée, “un charisme certain de vérité” (S. IRENAEI, Adversus Haereses, IV, 26, 2: ).

La foi n’a rien à craindre du travail de l’intelligence théologique, elle l’appelle au contraire, pourvu qu’il soit mené avec la rigueur qui s’impose à des chercheurs et l’esprit de foi sans lequel il n’est pas de théologie digne de ce nom. Les échanges qui stimulent vos travaux ne sont-ils pas, du reste, la meilleure garantie de leur qualité, comme le souci que vous avez d’en faire profiter avec discernement tout le peuple de Dieu? L’Apôtre le disait à ses chers Corinthiens: “A chacun la manifestation de l’Esprit est donnée en vue du bien commun” (1Co 12,7). C’est en effet, selon l’expression du Concile OEcuménique Vatican II, “dans ce sens de la foi éveillé et nourri par l’Esprit de vérité que le peuple de Dieu, fidèlement soumis à la conduite du magistère sacré, accueille vraiment, non pas une parole humaine, mais la parole de Dieu (cf. 1Th 2,13), qu’il adhère indéfectiblement à la foi qui fut une fois pour toutes transmise aux saints (cf. Iud Jdt 3), qu’il approfondit correctement cette même foi et la met plus pleinement en oeuvre” (Lumen Gentium LG 12).

4. Je souhaite donc de tout coeur que vos travaux profitent largement aux chrétiens, aussi bien au plan de la recherche désintéressée de la vérité que de sa mise en pratique quotidienne dans la vie de l’Eglise à travers le monde. Vos études ont contribué à mettre en relief cette action multiforme de l’Esprit Saint, à l’oeuvre depuis les origines jusqu’à la fin des temps, “remplissant l’univers” (Sg 1,7), comme aussi cet univers intérieur de nos âmes dont il est l’hôte invisible, en même temps qu’il vivifie l’ensemble de l’Eglise. Evoqué par les symboles les plus expressifs de l’eau, du souffle et de feu, source de vie, force d’animation, et principe de purification, il est cet Esprit de vérité que le monde ne peut recevoir, parce qu’il ne le voit pas ni ne le reconnaît, mais que vous connaissez, nous dit saint Jean, parce qu’il demeure en vous (Cfr. Jn 14,17).

Vous l’avez vu à l’oeuvre dans l’Ancien Testament et dans le nouveau, à la source de la mission des prophètes et des apôtres, au point de départ de la Création, au principe de l’Incarnation, au coeur de la Rédemption. Vous avez étudié les Pères grecs et les Pères latins, les symboles et les professions de foi, la tradition orientale et la tradition occidentale. Vous avez fait connaître les divers enseignements en matière de pneumatologie, qu’elle soit catholique, orthodoxe, luthérienne, réformée, anglicane ou méthodiste. Vous avez contemplé avec émerveillement les richesses de la théologie et les trésors de la spiritualité chrétienne. Vous avez scruté le mystère des rapports du Père, du Fils et de l’Esprit à travers la difficile lecture des versions orientale et occidentale du symbole de la foi. Vous avez réfléchi à l’homme, tel que l’anthropologie biblique nous le révèle, sarx et pneuma.Vous avez vu l’Esprit au point de départ de la mission comme au coeur de la vie de l’Eglise. Vous l’avez contemplé à l’oeuvre, aussi bien pour soutenir les institutions ecclésiales que pour susciter les charismes dans les communautés chrétiennes, pour donner à l’Eglise les ministères dont elle a besoin pour soutenir sa vie de foi, au coeur du sens de la foi de tout le peuple de Dieu. Mystère trinitaire, mystère du Christ, mystère de l’Eglise! Partout, vous avez retrouvé avec émerveillement ce dynamisme de joie dont la source est l’Esprit et dont l’élan missionnaire emplit le temps et l’espace, pour former le nouveau peuple de Dieu et l’acheminer vers sa plénitude eschatologique: “A cette fin aussi, nous dit le Concile OEcuménique Vatican II, Dieu envoya l’Esprit de son Fils, Seigneur et Vivificateur, qui est, pour toute l’Eglise et pour chacun des croyants, principe de réunion et d’unité dans l’enseignement des Apôtres, dans la communion, dans la fraction du pain et les prières (Cfr. Ac 2,42)” (Lumen Gentium LG 13).

Agissant au coeur de la vie sacramentelle et liturgique, inspirateur de la loi nouvelle, promoteur de l’action missionnaire, artisan et restaurateur de l’unité, l’Esprit Saint est même mystérieusement présent dans les religions et les cultures non chrétiennes. Et cela aussi, vous avez cherché à l’expliciter. L’action de l’Esprit Saint peut susciter un progrès à partir des pierres d’attente qu’elles comportent et le Concile Vatican II invitait lui-même les fils de l’Eglise présents dans ces groupements humains à “être familiers avec leurs traditions nationales et religieuses, (à) découvrir avec joie les semences du Verbe qui s’y trouvent cachées” (Ad gentes AGD 11).

De l’Esprit Saint aussi, on pourrait dire: chacun en a sa part, et tous l’ont tout entier, tant sa générosité est inépuisable. Dans l’expérience des Eglises, il est le ferment invisible, que l’on reconnaît à ses fruits, tels qu’un saint Paul nous aide à les discerner dans la vie spirituelle des chrétiens: dans leur prière qui retrouve son sens de louange et de gratitude, en même temps que son audace confiante; dans les communautés vivantes, pleines de joie et de charité, que l’Esprit Saint suscite et transfigure; dans l’esprit de sacrifice; dans l’apostolat courageux et l’action fraternelle au service de la justice et de la paix. En tout, l’Esprit Saint stimule la recherche du sens de la vie, la poursuite obstinée du beau, du bien au-delà du mal; on le reconnaît à travers l’espérance de la vie qui jaillit plus forte que la mort, et à travers cette eau jaillissante qui murmure déjà en nous: “Viens vers le Père”.

L’Esprit Saint agit dans les personnes - dans les plus simples comme dans celles qui tiennent un rang élevé - et dans les communautés, à commencer par ces petites Eglises domestiques que sont les familles. C’est à Lui que se relie le réveil des vocations dans l’Eglise - vocations de prêtres, de religieux, de personnes consacrées, de laïcs apôtres -, mais plus généralement le réveil de la vie chrétienne conçue comme une vocation. Oui, grâce à Dieu, on assiste aujourd’hui à un tel réveil, et on recourt plus volontiers à l’Esprit Saint! C’est dire la nécessité, à cet égard, d’une bonne théologie, d’une saine ecclésiologie, qui montre la place des charismes dans l’unité de l’Eglise, en lien avec les ministères institués aussi par l’Esprit, et d’une profonde théologie spirituelle.

Avec vous, j’espère que les études de ce Congrès contribueront à fortifier en tous sagesse, confiance, joie et espérance, dans la foi en cette présence de l’Esprit Saint, dont vous avez mis en valeur, certes, le contexte culturel, historique et théologique, mais aussi la portée oecuménique et la finalité salvifique. Je souhaite que les pasteurs en sortent renforcés dans l’exercice de leur ministère et de leur magistère, que les théologiens en soient encouragés dans la poursuite de leurs travaux, que tous les fidèles en soient affermis dans leur foi, et que tous ceux qui ne la partagent pas en ressentent comme un secret désir et une ardente attente.

5. Il y a une grâce spéciale que nous attendons de l’Esprit Saint et sur laquelle je me permets d’insister. Le Concile Vatican II reconnaît qu’en notre temps, l’Esprit Saint, “principe de l’unité de l’Eglise”, est en train de susciter chez les croyants des diverses confessions chrétiennes un mouvement croissant vers la pleine communion dans la même foi (Unitatis Redintegratio UR 1 UR 2 UR 4). L’oecuménisme est avant tout un “mouvement spirituel”, et c’est pourquoi il ne peut naître et se maintenir sans la “conversion intérieure” du a coeur”, c’est-à-dire sans le renouveau permanent auquel l’Eglise est appelée par le Christ (Cfr. ibid UR 6). Conversion à une “espérance contre toute espérance” (Cfr Rm 4,18) et à la charité fraternelle (Cfr. Unitatis Redintegratio UR 7 UR 12). La pleine unité des chrétiens n’est pas un événement que la raison humaine puisse prévoir: nous pouvons seulement l’espérer comme un don de l’Esprit du Christ. Il ne nous est même pas possible de connaître à l’avance les chemins concrets qui permettront d’atteindre l’unité future, si attendue, de toutes les Eglises chrétiennes. Ici encore, “l’Esprit vient au secours de notre faiblesse; car nous ne savons que demander pour prier comme il faut; mais l’Esprit lui-même intercède pour nous en des gémissements ineffables” (Rm 8,26). En ce qui nous concerne, nous n’avons donc qu’à nous confier sans réserve à la conduite mystérieuse de l’Esprit Saint.

6. Et je puis bien vous confier, en terminant, que le Pape lui aussi prie ardemment l’Esprit Saint: pour se mettre à son écoute dans l’accueil de la Parole de Dieu et de la tradition vivante de l’Eglise, mais aussi dans la prière personnelle, tout au fil des jours; pour être docile aux inspirations de l’Esprit Saint, pour le servir avec la plus grande disponibilité, afin de réaliser l’oeuvre qu’il confie au successeur de Pierre, pour le bien de toute l’Eglise, pour sa fidélité, son unité, son renouveau spirituel; et cela en union avec les pasteurs de l’Eglise. Priez aussi pour moi. Hier, en fêtant l’Annonciation du Seigneur, nous avons contemplé Marie, en qui le Verbe de Dieu s’est fait chair par l’opération du Saint-Esprit. Elle est comme l’Epouse de l’Esprit Saint, toute disponible pour accueillir et réaliser son oeuvre. Qu’elle nous obtienne de Dieu une disponibilité toujours plus grande à cet Esprit.

J’ai commencé avec saint Paul. Permettez-moi de terminer avec lui: “Ne contristez pas l’Esprit Saint de Dieu, qui vous a marqués de son sceau pour le jour de la rédemption” (Ep 5,30). “Puisque l’Esprit est notre vie, que l’Esprit nous fasse aussi agir” (Ga 5,25).

Avec ce souhait plein d’affection, j’implore sur vous les bénédictions de Dieu: que Dieu tout puissant vous bénisse, le Père, le Fils et le Saint-Esprit!



Avril 1982





Discours 1982 - Discours aux ouvriers de la Solvay à Livourne, 19 mars