Discours 1980 - Samedi, 8 novembre 1980


À LA COUR EUROPÉENNE

Lundi, 10 novembre 1980




Messieurs les Présidents,
Excellences,
Mesdames, Messieurs,

1. Je mesure toute l'importance de cette rencontre avec les représentants du Mouvement international des Juristes catholiques, auxquels se sont jointes de hautes personnalités de l’Organisation des Nations Unies, de l’UNESCO, de la Cour européenne des droits de l’homme, du Conseil de l’Europe et du Corps diplomatique. Je suis très heureux de vous accueillir à l’occasion de votre Colloque romain organisé pour le trentième anniversaire de la signature de la Convention européenne des Droits de l’homme.

Cet anniversaire suscite en effet dans notre coeur une profonde et sincère reconnaissance envers les promoteurs de cet important document, et en même temps il nous stimule à reprendre conscience de tout ce qu’il contient et surtout à vérifier courageusement et sincèrement l’application effective qui a pu en être faite.

Le Colloque vous a permis de réfléchir sur les fondements doctrinaux de la Convention comme sur la jurisprudence qui s’est développée ces trente dernières années pour défendre la dignité de la personne et soutenir ses droits inviolables.

2. Et maintenant cette rencontre avec le Pape, qui se déroule dans le sillage d’une tradition de fécond dialogue entre les Papes et les Institutions européennes [1] et de collaboration entre le Saint-Siège et la communauté européenne, m’offre l’occasion de rappeler l’intérêt et l’engagement de l’Église pour la consolidation de la paix et de la justice entre les peuples européens.

Il faut tout d’abord noter que l’Église catholique, dans ses hommes les meilleurs et surtout dans ses saints, a offert une contribution décisive pour le développement et pour l’unité de l’Europe. Je le rappelais explicitement le 8 octobre, en inaugurant la chapelle hongroise dans les grottes vaticanes: “De l’oeuvre des saints est née une civilisation européenne fondée sur l’Évangile du Christ et a surgi un ferment pour un authentique humanisme, imprégné de valeurs éternelles, tandis que s’enracinait par ailleurs une oeuvre de promotion civile sous le signe et dans le respect du primat du spirituel. La perspective ouverte alors par la fermeté de ces témoins de la foi est toujours actuelle et constitue la route idéale pour continuer à construire une Europe pacifique, solidaire, vraiment humaine, et pour dépasser les oppositions et contradictions qui risquent de bouleverser la sérénité des individus et des nations” [2].

3. Il ne fait pas de doute qu’à la base de l’“Europe des hommes” il y a l’image de l’homme que la révélation chrétienne nous a laissée et que l’Église catholique continue à annoncer et à servir. Il s’agit de l’homme dans sa pleine vérité, dans toutes ses dimensions, de l’homme concret, historique, de chacun des hommes compris dans le mystère de la Rédemption, aimé par Dieu et destiné a la grâce, comme je l’ai longuement exposé dans l’encyclique “Redemptor Hominis” [3]. Cette image de l’homme a marqué de manière particulière la culture européenne et elle sera toujours pour nous le principe fondamental de toute dignité humaine. C’est sur cette base que se construit l’Europe des hommes et des peuples, et pas seulement celle du progrès matériel et technique.

A cette oeuvre gigantesque et jamais terminée, une contribution de qualité est apportée par la Convention européenne des droits de l’homme que les États membres du Conseil de l’Europe ont signée, “animés d’un même esprit et possédant un patrimoine commun d’idéal et de traditions politiques, de respect de la liberté et de prééminence du droit”, pour reprendre les mots du préambule. On a voulu, par cet acte solennel, assurer la garantie collective de l’exercice des droits énoncés dans la Déclaration universelle de 1948, et en même temps tous les Européens se sont engagés à travailler efficacement pour passer de l’égoïsme individuel ou nationaliste à une authentique solidarité entre les personnes et entre les nations.

4. Le chemin accompli par l’Europe au cours de ces trente années, après le bouleversement du dernier conflit mondial est d’une importance considérable et il est sûrement positif, si l’on pense par exemple à la façon de percevoir la hiérarchie des droits, au souci de les garantir au plan législatif et judiciaire, d’éduquer globalement au respect de l’autre et à la reconnaissance de ses droits de façon réciproque. Mais pour assurer à tout homme le droit de vivre dans le plein respect de la dignité due à son existence et à sa liberté, il faut donner encore davantage de place à l’affirmation de chacun des droits énumérés dans la Convention, parmi lesquels certains prennent un relief tout à fait particulier, tel le droit à la vie, dans toute son extension, et le droit à la liberté religieuse.

Le défenseur des droits de l’homme doit être, par sa nature même, l’État, tout État, auquel le droit naturel assigne précisément comme but le “bien commun temporel”. Mais, comme l’affirmait mon prédécesseur Jean XXIII dans son encyclique “Pacem in terris” le bien commun ne peut être conçu qu’en tenant compte de l’homme et de tout l’homme. Le bien commun n’est pas une idéologie ou une théorie, mais il est un engagement à créer des conditions de développement plénier pour tous ceux qui participent à un système social donné [4]. La reconnaissance des droits naturels de l’homme est une condition pour l’existence de l’état de droit: “Le bien de l’homme, ai-je dit dans l’encyclique “Redemptor Hominis”, comme facteur fondamental du bien commun, doit constituer le critère essentiel de tous les programmes, systèmes, régimes” [5]. Ce principe personnaliste se trouve aujourd’hui explicitement énoncé ou du moins implicitement accueilli dans les textes constitutionnels des États libres, et sa valeur a été proclamée dans la Déclaration universelle des droits de l’homme; il impose à l’État des obligations précises pour garantir les fins des personnes qui les composent [6]. A partir de là peuvent être déterminés les contenus du bien commun, lequel est le but de l’État et de là découlent pour l’État des obligations précises [7].

Il faut mentionner ensuite les institutions et les procédures internationales, telles que la Commission européenne des droits de l’homme - à laquelle toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou groupe de personnes privées peuvent recourir, dans le cas où ils seraient victimes d’une violation des droits reconnus dans la Convention - et la Cour européenne des droits de l’homme. A leur endroit, on peut reconnaître “l’activité méritoire et délicate (qui) vise à assurer le respect des garanties prévues par la Convention, en ouvrant aux personnes qui se plaignent d’avoir été victimes d’une violation des droits de l’homme l’accès à des instances supranationales” [8].

Les deux institutions ont étendu leur juridiction à des problèmes fondamentaux tels que la protection de la vie privée, la protection des droits des mineurs, la liberté d’association, le respect des droits de la famille et la promotion des valeurs positives nécessaires au développement intégral de l’homme et des communautés humaines. De la sorte, la Commission et la Cour se sont instituées défenseurs des droits de l’homme et des libertés fondamentales “qui constituent les bases mêmes de la justice et de la paix” en Europe et dans le monde.

5. Je voudrais vous proposer une ultime réflexion. La Déclaration des droits de l’homme comme la Convention européenne se réfèrent non seulement aux droits de l’homme, mais aussi au droit des sociétés, à commencer par la “société familiale”.

Le récent Synode des Évêques, vous le savez, a étudié de façon précise “les tâches de la famille chrétienne dans le monde d’aujourd’hui”. La Convention européenne offre, elle aussi, quelques indications précieuses sur ce thème, à commencer par l’article 2: “Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d’une sentence capitale prononcée par un tribunal, au cas où le délit est puni de cette peine par la loi”. Et l’article 8 ajoute: “Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance”, tandis que l’article 12 précise: “A partir de l’âge nubile, l’homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille selon les lois nationales régissant l’exercice de ce droit”. Ces trois articles expriment une attitude ferme en faveur de la vie ainsi que de l’autonomie et des droits de la famille, et ils assurent une rigoureuse défense juridique de ces droits.

Mais dans la ligne de l’affirmation de la priorité de la famille, il me semble important de souligner la disposition de l’article 2 du “Protocole additionnel” qui s’énonce ainsi: “Nul ne peut se voir refuser le droit à l’instruction. L’État, dans l’exercice des fonctions qu’il assumera dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement, respectera le droit des parents d’assurer cette éducation et cet enseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques”. Cette affirmation exclut toute restriction d’ordre juridique ou économique, ou toute pression idéologique qui empêcherait le droit sacro-saint des parents de s’exercer; et en même temps elle pousse la famille à assumer son rôle éducatif, en elle-même et dans la communauté civile qui doit lui reconnaître explicitement cette tâche originelle en tant que “société jouissant d’un droit propre et primordial” [9].

L’Église est convaincue que la famille se trouve insérée dans une société plus vaste sur laquelle elle est ouverte et envers laquelle elle est responsable. Mais l’Église réaffirme et soutient le droit qu’a tout homme de fonder une famille et de défendre sa vie privée, comme aussi le droit des époux à la procréation et à la décision concernant le nombre de leurs enfants, sans contrainte indue de l’autorité publique, et le droit d’éduquer leurs enfants au sein de la famille [10]. L’Église exhorte tous les hommes à veiller à ce que “il soit tenu compte, dans le gouvernement du pays, des exigences des familles concernant l’habitation, l’éducation des enfants, les conditions de travail, la sécurité sociale et les impôts et que dans les migrations la vie commune de la famille soit parfaitement respectée” [11].

La promotion de la famille comme cellule première et vitale de la société, et donc comme institution éducative de base, ou au contraire la diminution progressive de ses compétences et même des tâches des parents, dépend en très grande partie du projet social influencé par les idéologies et concrétisé dans certaines législations modernes, lesquelles en arrivent à être en contradiction évidente avec la lettre des droits de l’homme reconnus par les documents internationaux solennels comme la Convention européenne des droits de l’homme.

Alors s’impose nécessairement le devoir de soumettre les lois et les systèmes à une continuelle révision du point de vue des droits objectifs et inviolables de l’homme.

Il faut souhaiter en fin de compte que tout programme, tout plan de développement social, économique, politique, culturel de l’Europe mette toujours au premier plan l’homme avec sa dignité suprême et avec ses droits imprescriptibles, fondement indispensable de progrès authentique.

C’est dans cette esprit que je me réjouis des échanges approfondis que votre Colloque vous aura permis. Je forme les meilleurs voeux pour que cette rencontre aide désormais tous les participants à réaliser, chacun selon sa responsabilité, les objectifs qui ont été mis en lumière, qu’il s’agisse de l’homme, de la famille ou de l’État. Que Dieu vous assiste dans cette noble tâche, et moi, je vous bénis de tout coeur.



 [1] Cfr., ex. gr., I Papi e l'Europa, Documenti, Torino 1978.
 [2] Ioannis Pauli PP. II Homilia occasione inaugurationis sacelli Hungarici in cryptis Vaticanis habita, die 8 oct. 1980: vide supra, pp. 803-804.
 [3] Eiusdem (Redemptor Hominis RH 13).
 [4] Cfr. (Gaudium et Spes GS 74).
 [5] Ioannis Pauli PP. II (Redemptor Hominis RH 17).
 [6] Cfr. ibid. (RH 17)
 [7] Cfr. ibid. (RH 17)
 [8] Cfr. Eiusdem Nuntius scripto datus: Insegnamenti di Giovanni Paolo II, II, 2 (1979) 1531 ss.
 [9] Cfr. Dignitatis Humanae, DH 5.
 [10] Cfr. Gaudium et Spes, GS 52 GS 87.
 [11] Apostolicam Actuositatem, AA 11.




AUX FAMILLES FRANÇAISES EN PÈLERINAGE NATIONAL

Lundi, 10 novembre 1980



Chères familles catholiques,
venues surtout de France, mais aussi d’Outre-Mer,

Avec l'appui du Cardinal Archevêque de Lyon, qu’il me plaît de saluer d’abord et très fraternellement, vous avez préparé de longue date ce beau pèlerinage. Responsables et participants, vous avez tous droit aux félicitations du Pape, si heureux de vous accueillir ici, comme vous-mêmes l’avez si bien reçu en France.

1. A ce rassemblement romain, vous avez tenu à donner un caractère familial complet. Bravo!

J’aperçois en effet de jeunes parents et d’autres qui atteignent l’étape des noces d’argent, cependant que je remarque d’heureux grands-parents. J’admire les jeunes enfants, et en particulier les soixante-dix qui auront le grand bonheur de faire ce soir leur première communion; je prierai pour leur fidélité au Christ. Je vois aussi des adolescents, qui me rappellent l’inoubliable soirée du Parc des Princes. Je sais enfin que des personnalités du monde parlementaire ont tenu à vous accompagner, que sont également présents des délégués des Associations Familiales Catholiques des lointains territoires français et quelques membres de familles réfugiées ou travaillant temporairement en France. A tous et à chacun, j’exprime mes sentiments d’affection et de confiance. Que le Christ et sa très sainte Mère - qui est aussi Mère de l’Eglise - nous assistent tous dans la réflexion que nous allons faire ensemble sur quelques aspects importants de la vocation conjugale et familiale!

Bénissons d’abord le Seigneur pour le Synode qui vient de s’achever! Les fruits en sont abondants. Par le travail intense des Evêques et des laïcs, c’est en quelque sorte toute l’Eglise qui vient d’approfondir sa fidélité au dessein de Dieu sur la famille, et de porter son regard attentif et miséricordieux sur les situations familiales concrètes, si diverses et parfois bien douloureuses. La synthèse en viendra en son temps, riche de lumière et porteuse d’espérance.

2. Aujourd’hui, la composition même de votre grand rassemblement inspire une réflexion particulière. Alors que la société moderne connaît un phénomène de concentration démographique et, paradoxalement, de multiples séparations par milieux ou par secteurs d’activité - monde du travail, de l’enseignement et même des loisirs - votre assemblée familiale, élargie et diversifiée, est en elle-même symbolique et, je dirais, éducative. Elle m’apparaît comme une apologie de la famille au grand complet, communauté de personnes.

Je voudrais vous encourager tous, parents et enfants, sur cette voie difficile mais prometteuse, d’autant plus que la civilisation contemporaine, mal maîtrisée, risque d’une part de niveler, banaliser la personne humaine, trop souvent déracinée, manipulée par des courants idéologiques, gavée d’objets sinon de gadgets, et d’autre part de développer l’agressivité et la violence. Plutôt que de gémir, il faut relever le défi!

Dans ce travail immense, les familles chrétiennes - avec humilité et ténacité - doivent être plus que jamais un lieu de rencontre interpersonnelle et personnalisante, où chacun n’est soi-même que pour l’autre et par l’autre. Mystère de la famille humaine, qui, seule, peut faire naître les personnes et leur imprimer une orientation de croissance qui les marquera pour la vie! Mystère aussi de chaque personne, qui est beaucoup plus qu’un visage, beaucoup plus qu’un corps! Qui est un esprit, une liberté, une histoire unique avec un passé, un milieu social, un avenir parfois difficile à discerner!

Vous le savez, la qualité des relations entre parents est déterminante pour le développement harmonieux des enfants. Une carence en ce domaine peut peser sur toute la vie d’un être humain. Les rapports des enfants avec leur papa et leur maman, des frères et des soeurs entre eux, auront aussi des répercussions au niveau de la camaraderie scolaire et de toute l’existence. Même les relations avec Dieu sont facilitées, ou contrariées, ou hélas annihilées par le style des relations parentales.

A ce sujet, vous avez sans doute entendu citer la réflexion de sainte Thérèse de Lisieux, lors, qu’elle était enfant: “Comme le Bon Dieu doit m’aimer puisque mon papa m’aime tant!”. A une époque où l’on exige des études et des diplômes pour tout, il est regrettable de constater que des réalités aussi fondamentales ne soient pas davantage considérées, en théorie et en pratique. L’information sexuelle, par exemple, est loin du compte, si elle n’est pas complétée par une pédagogie concrète et persévérante du développement harmonieux de toute la personne, de l’art d’être à la fois sujet et objet de l’amour.

Cet amour requiert - est-il besoin de le souligner devant vous qui en êtes si convaincus? - la stabilité et l’indissolubilité du foyer. Les statistiques actuelles des unions brisées, parfois très tôt, sont une preuve de l’impasse où trop de nations se trouvent du fait de la déstabilisation de la famille et des conséquences terribles qui s’ensuivent, les lois ayant souvent ratifié et encouragé les moeurs au lieu d’en formuler les exigences.

3. Pour vous, chers parents, mais tout autant pour les jeunes qui aiment les choses concrètes, j’ouvre maintenant l’Evangile. Les rencontres du Christ sont en effet très éclairantes. Tantôt, c’est Lui qui a l’initiative des relations: pensez à l’appel des disciples. Tantôt, il se laisse rencontrer très simplement: c’est le cas avec Zachée, le publicain. Mais toujours, les rencontres, de Jésus sont des relations interpersonnelles, des temps de communion profonde à l’autre, où le Christ s’engage tout entier avec son visage humain, son affectivité, toute sa conscience d’homme et de Fils de Dieu.

Pensez aux malades qu’il touche et guérit, à la mort de Lazare qui l’émeut si profondément et provoque ses larmes, à sa longue conversation avec la Samaritaine, à l’accueil réservé à la femme adultère, à son dialogue avec le jeune homme riche, au chemin qu’il fait avec les disciples d’Emmaüs, etc. Les relations du Christ sont fondées sur le sens de la personne accueillie telle qu’elle est, avec ses limites et ses richesses, de son caractère unique, de son intériorité, de sa liberté. Il traite toujours la personne comme un sujet et jamais comme un objet. L’attitude personnaliste de Jésus, imprégnée d’humilité, de pauvreté, de confiance, fait qu’il a une connaissance aimante de chacun. Il attire à lui, parce qu’il croit en l’homme et veut sa promotion intégrale, l’acheminer jusqu’à découvrir ou retrouver sa dignité d’enfant de Dieu. Le Christ incarne parfaitement le mot bien connu de Mounier: “Etre, c’est aimer”. Tous sans exception, nous avons bien besoin de contempler souvent le Christ. C’est bien Lui, le Verbe de Dieu, l’image par nature, le parfait témoin du mystère trinitaire, qui peut révéler à tous ceux qui ont été créés à l’image de Dieu le secret d’une existence personnalisante. La pastorale des foyers chrétiens, tout en faisant une juste place aux sciences humaines, doit d’abord apprendre aux époux, à tous les membres de la petite Eglise domestique, à regarder comment Dieu aime.

4. C’est sur ce panorama de fond qu’il est possible de méditer sur la famille, source de vie, de vie indéfiniment reçue et indéfiniment transmise. Le 12 octobre dernier, dans le cadre de ce dimanche spécialement consacré à prier pour le Synode, des témoignages fort émouvants furent donnés par quelques familles d’Amérique, des Pays-Bas et d’Italie. Ces parents dirent les joies profondes que leurs nombreux enfants leur apportent. Elles surpassent de beaucoup les soucis et les contraintes.

Oui, si les époux s’aiment, ils désirent autant d’enfants qu’ils peuvent en éduquer. Car il ne faut procréer que pour bien éduquer. Ceci dit, les familles chrétiennes peuvent légitimement s’interroger sur le sens qu’elles donnent à la paternité et à la maternité responsables. Vivant dans des sociétés qui soutiennent la planification des naissances - hélas, par tous les moyens - ne sont-elles point contaminées par une conception de la responsabilité où entre en jeu une part importante, sinon prédominante, de recherche de vie libre et confortable? Les époux qui s’efforcent d’établir entre eux des rapports de personne à personne, et qui demeurent en communion avec Dieu qui les a appelés à cette noble vocation de l’amour conjugal et procréateur, doivent considérer tout ce qu’ils sont et tout ce qu’ils ont comme autant de dons reçus du Seigneur, et se souvenir de la parabole des talents.

Celui qui a reçu cinq talents se doit d’en rapporter cinq autres. Celui qui en a reçu un seul doit veiller à ne pas l’enfouir et à travailler avec ce talent. Bref, si les familles chrétiennes ont à se situer avec aisance dans leur époque, elles doivent tout autant, sans pharisaïsme, contester les idées et les moeurs qui conduisent à la décadence et même à la mort de l’homme et de la civilisation. Elles doivent contribuer à redonner au monde actuel le goût de la vie.

5. Les relations interpersonnelles au sein du sanctuaire familial doivent aussi connaître un rebondissement au dehors, sinon le foyer chrétien risquerait d’être un refuge, une tour d’ivoire. En décidant de s’aimer “selon le Christ”, tout jeune couple chrétien part à la conquête d’un style de vie conjugale et familiale qui consistera à s’ouvrir largement sur ses futurs enfants, sa famille, ses amis, ses voisins, ses compagnons de travail. Il entre dans le dynamisme d’un amour qui se veut de plus en plus universel. Parents et enfants recevront certainement beaucoup en apportant aux divers secteurs de la société ce qu’ils peuvent et doivent lui apporter, dans des engagements appropriés. Ils aménagent et ils humanisent l’immense chantier de la création, qui est toujours dans les douleurs de l’enfantement.

Agissant ainsi, l’Eglise domestique devient signe visible de Dieu parmi les hommes. Parents et jeunes donnent au monde non seulement l’espérance mais la certitude qu’avec Jésus-Christ, tout nous a été donné. En regardant vivre les couples chrétiens et leurs enfants, les hommes d’aujourd’hui doivent toucher du doigt quelque chose de l’amour universel de Dieu.

6. En ces journées romaines, au cours de conférences magistrales, de célébrations liturgiques ferventes, d’échanges amicaux, de temps personnels de prière, vous avez respiré un air vivifiant.

L’air qui tonifie le montagnard s’oxygénant à pleins poumons à mesure qu’il grimpe et découvre de merveilleux panoramas, sans rien oublier cependant des réalités de l’existence quotidienne. Vous vous sentez rénovés. Dans l’éblouissement du coeur et de l’esprit, vous avez encore découvert combien le sacrement de mariage est grand! Il vous situe, si fragiles et pécheurs que vous êtes et que vous serez toujours, dans le voisinage de Dieu, que dis-je? dans son mystère trinitaire comme dans le mystère du Verbe Incarné.

Chères familles catholiques de France, poursuivez votre mission avec confiance! Dieu est avec vous, spécialement dans la Pâque de Jésus-Christ, toujours capable de vous aider à assumer les sacrifices quotidiens qui sont cette mort à vous-mêmes, pour une vie nouvelle avec l’autre et pour l’autre.

7. Quant aux modalités de votre action familiale, à l’intérieur de vos Associations familiales et en dehors, elles sont nombreuses, même si elles ne sont pas toutes réalisables immédiatement et partout: formation de couples-éducateurs, centres de préparation au mariage, colloques avec les parents, week-ends spirituels, élaboration d’un statut de la famille, action politique, etc. Faites, pour votre part, preuve de créativité et d’audace, de sagesse et de solidarité. Faites appel à de nouveaux foyers pour élargir et renouveler vos encadrements. N’oubliez pas non plus tous les autres mouvements qui oeuvrent pour la famille. L’action concertée est plus efficace que l’action dispersée. Demeurez en dialogue loyal et confiant avec vos Evêques et avec les instances de Pastorale familiale qu’ils ont établies. Un aspect important de mon ministère pontifical est de stimuler le Peuple de Dieu à l’unité dans la diversité des charismes et des services.

8. Avant de vous bénir, je vous invite à prier ensemble. Nous allons nous tourner vers Marie, notre Mère. Je suis sûr que les enfants ici présents la prient souvent. Et vous, parents, vous prenez très à coeur de les former à la prière, aux gestes religieux, à la Bonne Nouvelle de l’Evangile, dès le plus jeune âge. Mieux encore, vous approfondissez votre foi avec eux et vous priez avec eux.

Demandons à Marie de vous conduire à la pleine connaissance de son Fils Jésus, pour être ses disciples et ses apôtres.

Je vous salue, Marie, pleine de grâce, / le Seigneur est avec vous, / vous êtes bénie entre toutes les femmes / et Jésus, le fruit de vos entrailles, est béni. / Sainte Marie, Mère de Dieu, / priez pour nous, pauvres pécheurs, / maintenant, et à l’heure de notre mort.

Amen.


  MESSAGE DU PAPE JEAN-PAUL II AUX PAYS SIGNATAIRES DE L'ACTE FINAL D'HELSINKI

Vendredi, 14 novembre 1980




1. L’Église Catholique, en raison de sa mission religieuse de caractère universel, se sent profondément obligée à aider les hommes et les femmes de notre temps à faire progresser les grandes causes de la paix et de la justice sociale pour rendre le monde toujours plus accueillant et plus humain. Ce sont-là de nobles idéaux auxquels aspirent ardemment les peuples et qui sont tout particulièrement l’objet de la responsabilité des gouvernements des divers pays; et en même temps, à cause des mutations des situations historiques et sociales, leur réalisation a besoin, pour être toujours plus adaptée, de l’apport continuel de nouvelles réflexions et de nouvelles initiatives, qui auront d’autant plus de valeur qu’elles découleront d’un dialogue multilatéral et constructif.

Si l’on réfléchit sur les multiples facteurs qui concourent à la paix et à la justice dans le monde, on est frappé par l’importance toujours plus grande prise, sous cet aspect, par l’aspiration partout répandue à voir assurée l’égale dignité de tout homme et de toute femme dans la façon de se partager les biens matériels et dans la jouissance effective des biens spirituels, et donc des droits inaliénables correspondants.

Au thème des droits de l’homme, et en particulier à celui de la liberté de conscience et de religion, l’Église catholique a consacré, ces dernières décennies, une réflexion approfondie, stimulée par l’expérience quotidienne de vie de l’Église elle-même et des croyants de toute région et de tout milieu social. Sur ce thème, l’Église désire présenter aux hautes Autorités des pays signataires de l’Acte final d’Helsinki quelques considérations particulières en vue de favoriser un sérieux examen de la situation actuelle de cette liberté afin qu’elle puisse être assurée efficacement partout. Elle le fait en ayant conscience de répondre à l’engagement commun, contenu dans l’Acte final, de “promouvoir et d’encourager l’exercice effectif des libertés et droits civils, politiques, économiques, sociaux, culturels et autres qui découlent tous de la dignité inhérente à la personne humaine et qui sont essentiels à son épanouissement libre et intégral”; et elle entend ainsi s’inspirer du critère qui reconnaît “l’importance universelle des droits de l’homme et des libertés fondamentales, dont le respect est un facteur essentiel de la paix, de la justice et du bien-être nécessaires pour assurer le développement de relations amicales et de la coopération entre eux, comme entre tous les États”.

2. On relève avec satisfaction que, au cours des dernières décennies, la Communauté internationale, qui manifeste un intérêt croissant pour la sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, a pris attentivement en considération le respect de la liberté de conscience et de religion dans certains documents bien connus, parmi lesquels:

a) la Déclaration universelle de l’ONU sur les droits de l’homme, du 10 décembre 1948 (article 18);

b) le Pacte international sur les droits civils et politiques, approuvé par les Nations Unies le 16 décembre 1966 (article 18);

c) l’Acte final de la Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe, signé le 1er août 1975 (“Questions relatives à la sécurité en Europe, 1 a); Déclaration sur les principes qui régissent les relations mutuelles des États participants: VII. Respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, y compris la liberté de pensée, de conscience, de religion ou de conviction”).

En outre, dans cet Acte final, dans le secteur de la coopération relatif aux “contacts entre personnes”, il y a un paragraphe en vertu duquel les Etats participants “confirment que les cultes religieux et les institutions et organisations religieuses, agissant dans le cadre constitutionnel des États participants, et leurs représentants peuvent, dans le domaine de leur activité, avoir entre eux des contacts et des rencontres et échanger des informations”.

Ces documents internationaux reflètent, du reste, la conviction qui s’est manifestée de plus in plus dans le monde avec l’évolution progressive de la problématique concernant les droits de l’homme dans la doctrine juridique et dans l’opinion publique des divers pays, si bien que le principe du respect de la liberté de conscience et de religion est aujourd’hui reconnu, dans sa formulation fondamentale, en même temps que le principe de l’égalité entre les citoyens, dans la plupart des Constitutions des États.

D’après l’ensemble des formulations que l’on trouve dans les instruments juridiques, nationaux et internationaux, mentionnés ci-dessus, il est possible de mettre en évidence les éléments qui donnent à la liberté religieuse un cadre et une dimension adaptés à son plein exercice.

En premier lieu, il apparaît clairement que le point de départ pour la reconnaissance et le respect de cette liberté est la dignité de la personne humaine, qui ressent l’exigence intérieure, indestructible, d’agir librement “selon les impératifs de sa propre conscience” [1]. L’homme est amené, en se fondant sur ses propres convictions, à reconnaître et à suivre une conception religieuse ou métaphysique dans laquelle est impliquée toute sa vie en ce qui concerne les choix et les comportements fondamentaux. Cette réflexion intime, même si elle n’aboutit pas à une affirmation de foi en Dieu explicite et positive, ne peut pas ne pas être tout de même objet de respect au nom de la dignité de la conscience de chacun, dont le mystérieux travail de recherche ne saurait être jugé par d’autres hommes. Ainsi, d’une part, tout homme a le droit et le devoir de s’engager dans la recherche de la vérité, et, d’autre part, les autres hommes et la société civile sont tenus de respecter le libre épanouissement spirituel des personnes.

Cette liberté concrète se fonde sur la nature même de l’homme dont le propre est d’être libre, et elle demeure - selon les termes de la Déclaration du Concile Vatican II - “même chez ceux qui ne satisfont pas à l’obligation de chercher la vérité et d’y adhérer; son exercice ne peut être entravé, dès lors que demeure sauf un ordre public juste” [2].

Un deuxième élément, non moins fondamental, est constitué par le fait que la liberté religieuse s’exprime par des actes qui ne sont pas seulement intérieurs ni exclusivement individuels, puisque l’être humain pense, agit et communique en relation avec les autres; la “profession” et la “pratique” de la foi religieuse s’expriment par une série d’actes visibles, qu’ils soient personnels ou collectifs, privés ou publics, qui donnent naissance à une communion avec des personnes de même foi, établissant un lien d’appartenance du croyant avec une communauté religieuse organique; ce lien peut avoir différents degrés, diverses intensités, selon la nature et les préceptes de la foi ou conviction à laquelle on adhère.

 [1] Cf. texte de l'Acte final cité ci-dessus à la lettre c.
 [2] Dignitatis Humanae, n. DH 2.

3. L’Église catholique a synthétisé le fruit de sa réflexion sur ce sujet dans la Déclaration “Dignitatis Humanae” du Concile oecuménique Vatican II, promulguée le 7 décembre 1965, document qui a pour le Siège Apostolique une valeur particulière d’obligation.

Cette déclaration a été précédée de l’encyclique “Pacem in Terris”, du Pape Jean XXIII, datée du 11 avril 1963, qui insistait solennellement sur le fait que “chacun a le droit d’honorer Dieu suivant la juste règle de sa conscience”.

La même déclaration du Concile Vatican II a été reprise ensuite par divers documents du Pape Paul VI, par le message du Synode des Évêques de 1974 et, plus récemment, par le message adressé à l’Assemblée de l’Organisation des Nations Unies à l’occasion de la visite papale du 2 octobre 1979, et qui en rappelait le contenu essentiel:

“En vertu de leur dignité, tous les hommes, parce qu’ils sont des personnes, c’est-à-dire doués de raison et de volonté libre, et, par suite, pourvus d’une responsabilité personnelle, sont pressés, par leur nature même, et tenus, par obligation morale, à chercher la vérité, celle tout d’abord qui concerne la religion. Ils sont tenus aussi à adhérer à la vérité dès qu’ils la connaissent et à régler toute leur vie selon les exigences de cette vérité” [3].

“De par son caractère même, en effet, l’exercice de la religion consiste avant tout en des actes, intérieurs volontaires et libres par lesquels l’homme s’ordonne directement à Dieu: de tels actes ne peuvent être ni imposés ni interdits par aucun pouvoir purement humain. Mais la nature sociale de l’homme requiert elle-même qu’il exprime extérieurement ces actes internes de religion, qu’en matière religieuse il ait des échanges avec d’autres, qu’il professe sa religion sous une forme communautaire” [4].

“Ces paroles - était-il encore ajouté dans ce discours à l’ONU - touchent au fond même du problème. Elles prouvent également de quelle façon la confrontation entre la conception religieuse du monde et la conception agnostique ou même athée, qui est l’un des “signes des temps” de notre époque, pourrait conserver des dimensions humaines, loyales et respectueuses, sans porter atteinte aux droits essentiels de la conscience de tout homme ou toute femme qui vivent sur la terre” [5].

En cette même occasion était exprimée la conviction que le “respect de la dignité de la personne humaine semble requérir que, lorsque la teneur exacte de l’exercice de la liberté religieuse est discutée ou définie en vue de l’établissement de lois nationales ou de conventions internationales, les institutions qui par nature sont au service de la vie religieuse soient partie prenante”. Et cela parce que, lors-qu’il s’agit de donner corps au contenu de la liberté religieuse, si on omet la participation de ceux qui y sont le plus directement intéressés et qui en ont une expérience et une responsabilité particulières, on risque de déterminer des applications arbitraires et “d’imposer, dans un domaine aussi intime de la vie de l’homme, des normes ou des restrictions contraires à ses vrais besoins religieux” [6].

 [3] Ibid. DH 2
 [4] Ibid., n. DH 3.
 [5] Discours à la XXXIVe Assemblée Générale de l'ONU, n. 20.
 [6] Ibid.



4. A la lumière des prémisses et des principes indiqués ci-dessus, le Siège Apostolique estime que c’est son droit et son devoir d’envisager une analyse des éléments spécifiques qui correspondent au concept de “liberté religieuse” et qui en sont l’application, dans la mesure où ils découlent d’exigences des personnes et des communautés ou dans celle où ils sont requis par leurs activités concrètes. Dans l’expression et dans la pratique de la liberté religieuse, on relève en effet la présence d’aspects individuels et communautaires, privés et publics, étroitement liés entre eux, en sorte que la jouissance de la liberté religieuse englobe des dimensions connexes et complémentaires:

a) Sur le plan personnel, il faut tenir compte de:

- la liberté d’adhérer ou non à une foi déterminée et à la communauté confessionnelle correspondante;

- la liberté d’accomplir, individuellement et collectivement, en privé et en public, des actes de prière et de culte, et d’avoir des églises ou des lieux de culte autant que le requièrent les besoins des croyants;

- la liberté des parents d’éduquer leurs enfants dans les convictions religieuses qui inspirent leur propre vie, ainsi que la possibilité de faire fréquenter l’enseignement catéchétique et religieux donné par la communauté;

- la liberté des familles de choisir des écoles ou d’autres moyens qui assurent à leurs enfants cette éducation sans devoir subir, directement ou indirectement, des charges supplémentaires telles qu’elles empêchent en fait l’exercice de cette liberté;

- la liberté pour les personnes de bénéficier de l’assistance religieuse partout où elles se trouvent, notamment dans les lieux publics de soins (cliniques, hôpitaux), dans les casernes militaires et dans les services obligatoires de l’État, comme dans les lieux de détention;

- la liberté de ne pas être contraint, au plan personnel, civique ou social, d’accomplir des actes contraires à sa propre foi, ni de recevoir un type d’éducation, ou d’adhérer à des groupes ou associations, qui ont des principes en opposition avec ses propres convictions religieuses;

- la liberté de ne pas subir, pour des raisons de foi religieuse, des limitations et des discriminations, par rapport à d’autres citoyens, dans les diverses manifestations de la vie (pour tout ce qui concerne la carrière, qu’il s’agisse d’études, de travail, de profession; participation aux responsabilités civiques et sociales, etc.).

b) Sur le plan communautaire, il faut considérer que les confessions religieuses, réunissant les croyants d’une foi déterminée, existent et agissent comme corps sociaux qui s’organisent selon des principes doctrinaux et des fins institutionnelles qui leur sont propres.

L’Église, comme telle, et les communautés confessionnelles en général, ont besoin, pour leur vie et pour la poursuite de leurs propres fins, de jouir de libertés déterminées, parmi lesquelles il faut citer en particulier:

- la liberté d’avoir sa propre hiérarchie interne ou ses ministres correspondants librement choisis par elles, d’après leurs normes constitutionnelles;

- la liberté, pour les responsables de communautés religieuses - notamment, dans l’Église catholique, pour les évêques et les autres supérieurs ecclésiastiques - d’exercer librement leur propre ministère, de conférer les ordinations sacrées aux prêtres ou ministres, de nommer aux charges ecclésiastiques, de communiquer et d’avoir des contacts avec ceux qui adhèrent à leur confession religieuse;

- la liberté d’avoir ses propres instituts de formation religieuse et d’études théologiques, dans lesquels puissent être librement accueillis les candidats au sacerdoce et à la consécration religieuse;

- la liberté d’annoncer et de communiquer l’enseignement de la foi, par la parole et par l’écrit, même en dehors des lieux de culte,

- la liberté de recevoir et de publier des livres religieux touchant la foi et le culte, et d’en faire librement usage;

- la liberté d’annoncer et de communiquer l’enseignement de la foi, par la parole et par l’écrit, même en dehors des lieux de culte, et de faire connaître la doctrine morale concernant les activités humaines et l’organisation sociale: ceci, en conformité avec l’engagement contenu dans l’Acte final d’Helsinki, de faciliter la diffusion de l’information, de la culture et des échanges de connaissances et d’expériences dans le domaine de l’éducation, et qui correspond en outre, dans le domaine religieux, à la mission évangélisatrice de l’Église;

- la liberté d’utiliser dans le même but des moyens de communication sociale (presse, radio, télévision);

- la liberté d’accomplir des activités d’éducation, de bienfaisance, d’assistance qui permettent de mettre en pratique le précepte religieux de l’amour envers ses frères, spécialement envers ceux qui sont le plus dans le besoin.

En outre:

- pour tout ce qui concerne les communautés religieuses qui, comme l’Église catholique, ont une Autorité suprême, possédant au plan universel, comme le prescrit leur foi, la responsabilité d’assurer, par le magistère et la juridiction, l’unité de la communion qui lie tous les Pasteurs et les croyants dans la même confession: la liberté d’avoir des rapports réciproques de communication entre cette Autorité et les Pasteurs et les communautés religieuses locales, la liberté de diffuser les actes et les textes du magistère (encycliques, instructions...);

- au plan international: la liberté d’échanges de communication, de coopération, de solidarité de caractère religieux, avec notamment la possibilité de rencontres et de réunions de caractère multinational ou universel;

- au plan international également, la liberté d’échanger, entre les communautés religieuses, des informations et des contributions de caractère théologique ou religieux.

5. La liberté de conscience et de religion, avec les éléments concrets indiqués ci-dessus, est, comme on l’a dit, un droit primaire et inaliénable de la personne; bien plus, dans la mesure où elle atteint la sphère la plus intime de l’esprit, on peut même dire qu’elle soutient la raison d’être, intimement ancrée dans chaque personne, des autres libertés. Naturellement, une telle liberté ne peut être exercée que d’une façon responsable, c’est-à-dire en accord avec les principes éthiques, et en respectant l’égalité et la justice, celles-ci pouvant être renforcées par le dialogue déjà mentionné avec les Institutions qui, par leur nature, servent la vie religieuse.

6. L’Eglise catholique - qui n’est pas limitée à un territoire déterminé et n’a pas de frontières, mais comprend des hommes et des femmes répandus dans toutes les régions de la terre - sait, par une expérience multiséculaire, que la suppression, la violation ou les limitations de la liberté religieuse ont provoqué des souffrances et des amertumes, des épreuves morales et matérielles, et qu’aujourd’hui même il y a des millions de personnes qui en souffrent; au contraire, sa reconnaissance, sa garantie et son respect apportent la sérénité aux personnes et la paix à la communauté sociale, et elles constituent un facteur non négligeable pour renforcer la cohésion morale d’un pays, pour accroître le bien commun du peuple et pour enrichir dans un climat de confiance la coopération entre les différentes nations.

En outre, une saine application du principe de la liberté religieuse servira aussi à favoriser la formation de citoyens qui, dans la pleine reconnaissance de l’ordre moral, “sachent obéir à l’autorité légitime et aient à coeur la liberté authentique; des hommes qui, à la lumière de la vérité, portent sur les choses un jugement personnel, agissent en esprit de responsabilité, et aspirent à tout ce qui est vrai et juste, en collaborant volontiers avec d’autres” [7].

La liberté religieuse bien comprise servira par ailleurs à assurer l’ordre et le bien commun de chaque pays, de chaque société, puisque les hommes, lorsqu’ils se sentent protégés dans leurs droits fondamentaux, sont mieux disposés à se consacrer au travail pour le bien commun.
Le respect de ce principe de la liberté religieuse servira encore au renforcement de la paix internationale, qui, comme on peut le lire dans le discours aux Nations Unies déjà cité, est au contraire menacée par n’importe quelle violation des droits de l’homme, en particulier par l’injuste distribution des biens matériels et par la violation des droits objectifs de l’esprit, de la conscience humaine, de la créativité humaine, y compris la relation de l’homme avec Dieu. Seule la plénitude des droits garantie effectivement à tout homme sans discrimination peut assurer la paix jusque dans ses fondements.

 [7] Dignitatis Humanae, n. DH 8.

7. Dans cette perspective, le Saint-Siège, par l’exposé qui précède, entend rendre service à la cause de la paix, en souhaitant que cela contribue à l’amélioration d’un secteur si significatif de la vie humaine et sociale, et, par contre-coup, de la vie internationale.

Est-il besoin de dire que le Siège Apostolique n’a aucunement l’idée ni l’intention de manquer d’égard envers les prérogatives souveraines des États? Au contraire, l’Église éprouve une profonde sollicitude pour la dignité et pour les droits de chacune des nations, au bien desquelles elle désire contribuer et s’engage à contribuer.

Le Saint-Siège veut ainsi inviter à la réflexion afin que les Autorités civiles responsables des divers pays voient dans quelle mesure les considérations exposées ci-dessus doivent faire l’objet d’un sérieux examen. Si la réflexion peut porter à reconnaître la possibilité d’une amélioration de la situation actuelle, le Saint-Siège se déclare tout disponible, avec un esprit ouvert et sincère, à entamer dans ce but un dialogue fructueux.

Du Vatican, le 1er septembre 1980.

IOANNES PAULUS II





Discours 1980 - Samedi, 8 novembre 1980