Discours 1981 - Lundi, 12 janvier 1981


AU NOUVEL AMBASSADEUR DU JAPON PRÈS LE SAINT-SIÈGE À L'OCCASION DE LA PRÉSENTATION DES LETTRES DE CRÉANCE

Dimanche, 8 janvier 1981




Monsieur l’Ambassadeur,



JE REMERCIE Votre Excellence des voeux fervents qu’Elle vient de m’exprimer et je Lui souhait la plus cordiale bienvenue en cette Maison.

Le Japon, que vous représentez désormais ici comme Ambassadeur Extraordinaire et Plénipotentiaire, a noué, depuis de longues années déjà, d’heureuses relations avec le Saint-Siège. Vous avez bien voulu souligner les efforts constants de celui-ci en faveur de la fraternité des peuples, dans la paix et le respect des droits de la personne humaine. Vous savez que cette attitude est affranchie de tout mobile économique et politique; elle se présente au Saint-Siège, à l’ensemble de l’Eglise catholique, comme un devoir lié à sa mission spirituelle, aux exigences du Message que nous proclamons: l’amour de tous les hommes et le service concret de chacun, comme un reflet de l’amour de Dieu dans lequel nous croyons.

De son côté le Saint-Siège regarde avec une grande estime la nation dont vous êtes le représentant. Il apprécie les qualités humaines de l’âme japonaise, les dons naturels que vos compatriotes ont grandement développés avec un courage tenace, au milieu des plus dures adversités, avec une forte discipline et avec un dynamisme qui les pousse à rechercher le contact avec les autres civilisations partout dans le monde, comme en témoignent, entre autres, les nombreux visiteurs qui font à Rome une halte culturelle. L’idéal de la coexistence des peuples dans la paix est devenu aussi un thème cher à votre Gouvernement, et le Saint-Siège ne peut que s’en réjouir dans la mesure où l’Asie a grand besoin, pour sa part, d’artisans de paix. Le Japon est conscient du rôle qu’il peut jouer dans cette partie si importante du monde, pour contribuer à ce que les foyers de tension ne dégénèrent pas en conflits ruineux et meurtriers, à ce que soient vraiment respectés la souveraineté des Etats, la liberté et le sentiment national des populations.

Oui, l’homme a besoin de la paix. Celle-ci sera d’autant mieux assurée que le problème de la faim sera pris en considération, afin que tous puissent disposer des biens nécessaires à leur subsistance: la solidarité internationale doit trouver là un terrain prioritaire d’application, et les pays les plus favorisés doivent être d’autant plus sensibles à cette entraide désintéressée. Enfin, l’homme ne vit pas seulement de pain. Il a besoin de liberté au milieu de ses semblables, pour se développer intégralement et vivre selon sa conscience et sa foi. Il a besoin de relations avec l’Invisible, avec Dieu qui seul peut donner un sens à sa vie, combler son espérance et son besoin d’amour. C’est sous tous ces aspects que l’Eglise catholique entend apporter sa contribution spécifique au progrès et elle espère rencontrer là-dessus un large assentiment et une authentique coopération des peuples.

Dans quelques semaines, j’aurai la joie d’entreprendre une brève visite dans votre beau pays. Je m’en réjouis. J’y rencontrerai mes frères japonais de la communauté catholique; elle est peu nombreuse, mais son rayonnement culturel reconnu s’intègre bien dans le service du pays et, par sa profondeur spirituelle, elle fait honneur à l’Eglise entière. J’y rencontrerai les Autorités civiles qui ont facilité ce voyage et que je salue respectueusement dès maintenant, en vous demandant de transmettre mes sentiments particulièrement déférents à Sa Majesté l’Empereur Hiro Hito. Je rencontrerai le peuple japonais auquel j’exprime ma cordiale sympathie, en priant Dieu de le combler de ses bienfaits.

Vous-même, Monsieur l’Ambassadeur, vous pouvez être assuré de trouver ici l’accueil et l’aide que mérite votre haute mission. Je vous exprime mes meilleurs souhaits pour son accomplissement.



Février 1981

AUX PARTICIPANTS A RÉUNION DE L' "UNION INTERNATIONALE DES PRODUCTEURS ET DISTRIBUTEURS D'ENERGIE ELECTRIQUE"

Lundi, 9 février 1981




Messieurs,



VOUS AVEZ MANIFESTÉ le désir de rencontrer le Pape à l’occasion de la réunion annuelle du Comité de Direction de votre Union internationale. Je vous remercie de votre sympathie et de votre confiance. Vous êtes les bienvenus.

Sans entrer bien sûr – vous le comprendrez aisément – dans les questions techniques fort complexes qui sont l’objet de vos débats, il est facile de constater l’importance de votre fonction de Producteurs et de Distributeurs d’énergie électrique. Aujourd’hui l’activité de presque tous les secteurs de la vie humaine est tributaire de l’énergie que vous leur apportez, y compris dans cette Maison: non seulement pour l’éclairage, mais pour la marche de tant d’appareils dont l’homme moderne ne peut plus se passer dans sa vie et dans son travail. La moindre interruption pose des problèmes de gêne, parfois aigus, surtout si c’est à une grande échelle, comme en certains délestages devenus nécessaires. C’est un des points où les hommes d’aujourd’hui prennent le plus conscience de leur commune dépendance! Je sais que vous veillez à en éviter les inconvénients.

Les usagers vous font confiance. Mais vous, vous avez de difficiles problèmes à résoudre, avec une augmentation de la consommation qui s’est développée aussi vite, et des ressources énergétiques qui, au regard des besoins, connaissent des développements insuffisants, voire des crises. Dans tous les cas, on ne saurait se permettre de gaspiller l’énergie dont le Créateur nous permet de disposer, quant on connaît les manques dont souffre notre monde. Et pour vous comme pour les responsables des pays, vous êtes appelés à prévoir les besoins et les vicissitudes de l’avenir, à prévenir les à-coups, à chercher, avec beaucoup d’imagination, de résolution et de prudence, de nouvelles sources d’énergie électrique, à collaborer comme l’exige la solidarité, au plan national et international, entre pays européens et avec les institutions de la communauté internationale, pour que la répartition soit régulière et ne connaisse pas de crises préjudiciables.

Ces simples mots voudraient vous dire que le Pape comprend l’enjeu de votre profession et entend vous aider à puiser les énergies spirituelles et morales dont vous avez manifesté le désir en demandant cette audience. Vous les trouverez en particulier dans la conscience d’avoir un grand service public à assurer, avec régularité et prévoyance, dans la conscience de contribuer au bien commun de tous vos compatriotes, et peut-être même à l’éducation de leur responsabilité dans la façon de consommer l’énergie. Je prie Dieu de fortifier en vous cette conscience de vos devoirs, qui vous fera chercher des solutions justes, courageuses, profitables à tous.

Le besoin de l’énergie qui vous est familière me fait penser à cette énergie morale dont les membres de la société ont aussi besoin pour résoudre dans la dignité et dans l’équité les graves problèmes humains qu’ils affrontent dans tous les domaines; mais cette énergie ne jaillit que du coeur des personnes bien formées et elle ne se propage que par le rayonnement de telles personnalités et l’accueil qui leur est fait librement. Je prie pour que cette énergie ne fasse pas défaut à notre temps, à nos pays. Pour les chrétiens, si l’on voulait poursuivre la comparaison, l’Eglise apparaît aussi comme un immense réseau irrigué secrètement par la vie du Christ ressuscité, comme les membres d’un même Corps. Je souhaite aussi que beaucoup s’alimentent à cette Vie mystérieuse, qui est le grand don de Dieu.

Au terme de ces réflexions, je vous offre mes meilleurs souhaits pour les responsabilités qui sont les vôtres et je prie Dieu de bénir vos personnes, vos épouses que je suis heureux de saluer avec vous, et vos familles.



                                   Mars 1981




AU "GROUPE DE SPIRITUALITÉ" DU PARLEMENT FRANÇAIS

Mardi, 3 mars 1981


  Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,



Laissez-moi d’abord Vous remercier des sentiments de déférence et de confiance que vous venez de m’exprimer, avec tant de délicatesse, au nom de tous les participants, et aussi de la présentation succincte que vous avez faite de votre groupe distingué. J’apprécie vivement la démarche de pèlerins qui vous a conduits si nombreux à Rome et auprès du Pape.



1. Votre assemblée offre une particularité peu commune. Vous assumez ou avez assumé de hautes fonctions, de graves responsabilités – au service de votre pays, au sein de la Chambre des députés, du Sénat, du Conseil économique et social, et d’autres instances. Partageant la même foi catholique, vous vous retrouvez dans ce “ groupe de spiritualité ” pour approfondir cette foi et mieux vous en inspirer dans votre vie d’hommes politiques.

Je suis heureux de savoir les temps forts qui marquent la vie de votre groupe: les soirées de méditation et d’échanges, autour de la Parole de Dieu ou des grands documents du Magistère, des témoignages sur les problèmes majeurs de l’Eglise; les célébrations eucharistiques et, entre autres, la messe plus solennelle de rentrée avec l’Archevêque de Paris; les pèlerinages auxquels vous prenez part; votre retraite annuelle: ces moments plus longs de contemplation vous sont bien nécessaires pour retrouver en profondeur votre identité chrétienne et vous situer dans le dessein de Dieu que la société sécularisée estompe. Je souhaite que vos autres collègues catholiques des Assemblées parlementaires, notamment les jeunes, aient largement accès, comme vous-mêmes, à de telles activités, s’y sentent à l’aise; est-il besoin d’ajouter qu’elles porteront d’autant plus de fruits qu’elles correspondront à un engagement régulier? Je félicite aussi les prêtres qui vous assistent.

Certes, vous multiples responsabilités vous imposent un rythme de travail très intense et, au plan ecclésial, vous avez encore votre place à tenir dans vos communautés chrétiennes habituelles, paroisses ou autres associations. Mais du moment que vous avez un champ d’action spécifique, il est normal que vous ayez également un lieu de réflexion chrétienne à ce niveau. Et j’en viens maintenant à ce qui vous caractérise.



2. Je reçois moi-même ici, vous le savez, les groupes les plus variés. Les rencontres avec les hommes politiques de tous horizons y tiennent leur place. J’estime en effet qu’ils ont droit à un dialogue particulier avec l’Eglise, vu leurs lourdes responsabilités: c’est dans l’intérêt de leur vie de croyants pour ceux qui, comme vous, se présentent comme tels; et chez tous, ce peut être fructueux pour la qualité de leur service dans la société, nationale et internationale. Les Pasteurs ont à la fois à les écouter pour mieux saisir la complexité de leurs problèmes, et à témoigner auprès d’eux de la lumière et de la force de l’Evangile.

En ce qui vous concerne, la fonction de parlementaire demeure, parmi les institutions d’un régime démocratique, une fonction clef pour assurer la bonne marche de la vie sociale et la conduite des affaires nationales, dans un climat loyal de libres débats permettant à ceux qui ont été élus à cette haute charge d’apporter leur concours, leurs avis et leurs décisions avec un grand sens de responsabilité. Je sais que vous y joignez souvent d’autres charges locales, mais celle-là, au plan national, semble devoir requérir en priorité vos études, votre compétence, votre présence. Car les moindres textes de lois méritent le maximum de vigilance, de sagesse et d’équité, et cela à chaque étape de leur élaboration: préparation en commissions, proposition, introduction des amendements, discussion et vote. Il y va du bien commun de toute la nation, et les répercussions, à brève échéance ou à long terme, seront d’un grand poids, qu’il s’agisse d’une juste répartition des avantages ou des charges, des projets éducatifs, ou des moeurs elles-mêmes pour tout ce qui touche à la conduite morale: vous le constatez vous-mêmes, ce qui est légalement permis tout en étant moralement un mal entraîne vite une confusion dans les consciences et une dégradation des moeurs. Je souhaite que vous méritiez toujours l’estime et la reconnaissance de vos compatriotes pour l’accomplissement de ce service qualifié dont je tenais à souligner l’importance, et je prie Dieu de vous y assister.



3. Et quand vous vous réunissez au niveau de ce groupe de spiritualité, avec un animateur, que cherchez-vous? Vous n’envisagez généralement pas une réponse concrète aux questions précises posées par vos débats politiques, d’autant plus que vous avez choisi d’appartenir à des formations politiques, différentes, selon un pluralisme légitime, en démocratie. Mais, avant tout, vous fortifiez votre être chrétien qui vous permettra d’agir en chrétiens; et le fait d’avoir un certain partage spirituel dans ces conditions constitue déjà un témoignage important dans une société où les oppositions ont tendance à se durcir et à se transposer dans toute la vie. Vous manifestez ainsi que vos opinions politiques personnelles, ou celles de votre parti – car la discipline du parti ne saurait jamais dispenser d’agir personnellement en conscience – ne sont pas le tout de votre vie, n’en sont pas le dernier mot; qu’au-delà de ces choix partiels, il y a votre vie de foi proprement dite, votre appartenance ecclésiale commune. Il y a le Christ vers lequel vous vous tournez tous pour recevoir de lui la Vie de Dieu; il y a sa Parole et les sacrements auxquels vous puisez tous; il y a la prière où s’exprime votre filiation divine commune et votre profonde fraternité; il y a la même doctrine de l’Eglise qui structure votre foi; il y a l’échange cordial et chaleureux entre frères et le témoignage que vous portez ensemble du primat des valeurs spirituelles et de la charité. Une telle expérience ecclésiale unit dans ce qui est fondamental, comme d’ailleurs en bien d’autres mouvements et lieux d’Eglise où se respectent, se rapprochent et fraternisent des gens d’horizons différents.



4. Mais je pense qu’au-delà de cette communion spirituelle, vous pouvez aussi affermir vos convictions sur des points essentiels d’éthique qui vous permettront de porter des jugements et d’orienter votre action selon une conscience éclairée et droite. C’est d’ailleurs le problème de tout homme et de tout chrétien quel que soit le domaine de son activité.

Certes, en dehors des points manifestement et directement requis par l’ordre moral [1], la foi ne détermine pas, de façon apodictique, l’attitude concrète qu’il convient de prendre en fonction de la singularité des situations ou des projets politiques, car bien des éléments entrent en jeu qui appartiennent à un autre ordre que celui de la foi et qui requièrent la prudence, au point qu’on peut parler d’une légitime autonomie du politique. Mais, pour peser ses décisions politiques, chaque chrétien, lui, doit prendre en considération, non seulement les impératifs inviolables de la morale fondamentale, dont tout homme ou toute autorité publique doit tenir compte, mais aussi un certain nombre d’objectifs qui font partie intégrante de l’Evangile ou qui sont cohérents avec lui. Car si l’Evangile n’a pas le monopole de ces attitudes communes aux croyants et aux hommes de bonne volonté, il en affine les exigences et leur donne une signification plus profonde et renouvelée. N’est-ce pas tout le sens de la constitution conciliaire sur l’Eglise dans le monde de ce temps, et des documents qui l’ont prolongée?



5. Permettez-moi de citer quelques exemples.

Le chrétien envisage d’abord son rôle politique comme un service des hommes et une recherche rigoureuse des conditions sociales de leur épanouissement à tous égards: service qui a des résonances très évangéliques de désintéressement, de loyauté, de justice, de lucidité, d’attention charitable aux personnes et aux situations.

Servir l’homme, c’est considérer toute “ la dignité de l’être humain, compris dans son intégralité, et non pas réduit à une seule dimension ”; c’est donc considérer l’ensemble de ses droits inaliénables, que j’évoquais devant l’Assemblée des Nations Unies [2]. Le respect de la vie humaine, à tous les stades de son développement, est le premier de ces droits, et donc le premier des devoirs de l’ensemble des citoyens, et particulièrement de ceux qui ont des responsabilités législatives.

Servir la société, c’est promouvoir ardemment le sens du bien commun, le bien de toute la nation, de tout le peuple; c’est faire que soient dépassés les égoïsmes des individus et des groupes particuliers préjudiciables à l’intérêt des autres. Mais c’est éviter en même temps que la juste liberté soit étouffée, c’est éviter que soit jamais sacrifiée la transcendance de la personne, qui, pour la foi chrétienne, n’est jamais un moyen, mais une fin.

Comme le récent Synode l’a souligné une fois de plus, le chrétien accorde une attention privilégiée à la famille, qui est la cellule première et fondamentale de la société et qui doit trouver dans les lois le maximum de protection et d’aide; il compte aussi sur l’apport des corps intermédiaires.

Le chrétien considère comme primordial le devoir de sauvegarder et de promouvoir les conditions d’une éducation morale et spirituelle: comment ne pas le rappeler quand s’accentue une vision purement matérialiste et hédoniste de la vie, quand s’obscurcissent les raisons de vivre?

Les inégalités sociales préoccupent à un titre particulier le chrétien et spécialement le sort de ceux dont les conditions de logement, de salaire, de travail, ou malheureusement de chômage, ne permettent pas une vie décente, et causent de graves dommages à la vie familiale; et de même la situation précaire des handicapés, des immigrés.

Par ailleurs le chrétien refuse de se laisser enfermer dans les problèmes, même aigus, de son milieu ou de son pays, car il se sent solidaire des pays bien moins favorisés, des masses innombrables qui n’ont pas le minimum vital de nourriture, de soins, de liberté. Il n’acceptera pas tout ce qui peut entretenir ou attiser, directement ou indirectement, les oppositions et les guerres, même s’il y trouve son intérêt. Il considère avec une extrême gravité les menaces de destruction dont je viens de parles à Hiroshima. Positivement, il cherche à orienter vers le développement, vers la solution du problème de la faim, vers le progrès de la santé, les immenses ressources de la science et de la technique.

Au-delà des divergences légitimes dans les moyens politiques, le chrétien garde le souci de la vérité et du respect des personnes. Il mise sur la puissance de réconciliation et sur le progrès de l’unité. Il sait que, sans amour, une civilisation va à sa perte.

J’espère bien, Mesdames, Messieurs, que ces quelques principes chrétiens, très généraux du reste, vous sont familiers. Du moins confirment-ils, comme le rappelait le Concile Vatican II, que “ la foi éclaire toutes choses d’une lumière nouvelle et nous fait connaître la volonté divine sur la vocation intégrale de l’homme, orientant ainsi l’esprit vers des solutions pleinement humaines ”[3].

Je souhaite que votre groupe de spiritualité vous permette d’approfondir de tels principes, de les développer, pour qu’ils vous inspirent toujours davantage quand vous assumez vos importantes responsabilités, en particulier quand vous élaborez ou votez les lois dans vos Assemblées. Le témoignage et l’action des chrétiens doivent en effet s’y manifester en toute clarté et en cohérence avec l’Evangile. Mon propos était de vous y encourager, tout en sachant la complexité de votre tâche.

6. Je m’adresse à des chrétiens et à leurs familles, au moment où toute l’Eglise va entrer en Carême: je vous invite à vous tourner vers Dieu, à vous laisser interpeller par sa Parole – “ convertissez-vous, dira demain la liturgie, et croyez à l’Evangile ” –, pour purifier tout ce qui, dans vos choix personnels, familiaux, politiques, ne correspond pas à la vérité et à la charité du Christ. Et surtout que l’espérance vous habite, celle d’un monde renouvelé par l’Esprit du Christ!

Je vous remercie de votre visite et de tout coeur je bénis vos personnes, vos familles et tous les vôtres. Je prie Dieu de bénir aussi votre pays; il m’est devenu encore plus proche, l’an dernier, lors de ma visite à Paris et à Lisieux; je vous souhaite de contribuer vous-mêmes à son progrès et à son honneur.


[1] Cfr. Gaudium et Spes, GS 74 § 4.
[2] Ioannis Pauli PP. II Allocutio ad coetum Nationum Unitarum, die 2 oct. 1979, 13: Insegnamenti di Giovanni Paolo II, II, 2 (1979) 532.
[3] Gaudium et Spes, GS 11 § 1.






A LA COMMISSION POUR LES COMMUNICATIONS SOCIALES

Jeudi, 5 mars 1981


  Frères très chers,
chers membres, consulteurs et collaborateurs de la Commission pour les communications sociales,

Je suis très heureux de vous rencontrer à l’occasion d’une telle réunion. Les Assemblées plénières constituent un temps fort très appréciable pour les organismes de la Curie. A plus forte raison ont-elles leur place dans une Commission qui veut elle-même promouvoir les communications sociales. Il me semble important de recueillir les témoignages et les suggestions de ceux qui sont continuellement en dialogue, dans leurs pays, avec les multiples artisans des mass media et qui en perçoivent facilement les exigences.

Pour ma part, depuis le début de mon pontificat, j’ai cherché à saisir les occasions favorables pour m’adresser aux représentants de la presse, de la radio et de la télévision. Aujourd’hui, à travers vos personnes et votre apostolat, il m’est donné de mesurer un peu mieux combien la pastorale des communications se développe et trouve des réalisations adéquates, aussi bien au centre de l’Eglise que dans les Eglises particulières, en chaque pays ou continent.

Nous pouvons dire qu’une telle pastorale est un héritage que nous avons reçu du Concile Vatican II, d’abord avec le Décret “ Inter Mirifica ” et ensuite avec l’Instruction pastorale “ Communio et Progressio ”, qui a été préparée par mandat du même Concile, solennellement approuvée par Paul VI et qui constitue le texte de référence de votre activité apostolique particulière.

Les récents Synodes des Evêques ont fourni l’occasion de recourir fréquemment à l’utilisation des moyens de communication sociale dans l’oeuvre d’évangélisation.

Rejoindre l’homme d’aujourd’hui, très conditionné par ces moyens, se faire écouter, se faire comprendre, se faire accepter, constitue une problématique pastorale nouvelle qui doit précisément savoir utiliser ces moyens. Il est alors nécessaire d’en accepter les exigences, d’en connaître les langages et les mécanismes. “ Celui qui sème peu, récolte peu ”. Mais nous, nous voulons recueillir pour le Christ une moisson abondante. Et nous y sommes poussés par l’attente de millions de fidèles de toute région du monde. Ils veulent entendre, comprendre et vivre l’idéal qui, depuis deux mille ans, éclaire et entraîne la civilisation qui a eu ici même son berceau.

Je souhaite vivement qu’on n’en reste pas aux voeux formels, mais qu’on trouve dans ces faits un stimulant pour un apostolat adapté de l’Eglise dans le monde moderne, apostolat auquel les épiscopats et le clergé, les associations et les organismes catholiques devraient consacrer encore davantage d’énergies et de temps.

Comme il est écrit dans l’Exhortation apostolique Evangelii Nuntiandi, il s’agit d’un véritable défi. Pour l’accomplissement de la mission de prêcher l’Evangile “ sur les toits ” par l’univers entier, “et à toute créature”, pour reprendre les mots mêmes du Seigneur, tâche primordiale qui revient à chaque Pasteur, on doit pouvoir compter sur les ressources des moyens de communication sociale, à la fois merveilleux instruments par leur efficacité et leur résonance, mais qui ont aussi leurs limites et qui demeurent délicats à bien utiliser pour que le message évangélique ou le témoignage de l’Eglise soient présentés dans leur profondeur.

Je vous souhaite une rencontre très fructueuse pour tous, et spécialement pour ce centre romain qui doit faire face à un gros travail, même durant les voyages pastoraux du Pape!

Je vous suis et vous resterai très proche dans ce travail difficile mais indispensable. Je ne me suis pas étendu sur les thèmes précis de votre Assemblée, que je n’ai pas eu l’occasion d’étudier. Je ne doute pas non plus de vos compétences et de vos convictions à ce sujet. Je vais plutôt en profiter pour prendre contact avec vous.

De tout coeur je vous accorde, à vous, à tous ceux qui sont membres des Commissions épiscopales pour les moyens de communication sociale oeuvrant dans les divers pays, et à tous vos collaborateurs, clercs et laïcs, une particulière Bénédiction Apostolique, en demandant à l’Esprit Saint, par Marie, les grâces nécessaires à votre apostolat important.



                          Avril 1981


AUX PARTICIPANTS À L'ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE DU SECRÉTARIAT POUR LES NON-CROYANTS

Jeudi, 2 avril 1981



Messieurs les Cardinaux,
chers Frères dans l’épiscopat,
chers amis,



1. C’EST UNE JOIE pour moi de rencontrer ce matin, pour la première fois, les participants à l’Assemblée plénière du Secrétariat pour les non-croyants, avec son nouveau Pro-Président et ses nouveaux membres. Il s’agit en effet de développer l’impulsion déjà donnée par le Pape Paul VI avec le cher Cardinal Franz König et le regretté Père Vincenzo Miano.

Le thème que vous étudiez présentement, “ Science et non-croyance ”, est d’une importance capitale, et le Saint-Siège est désireux depuis longtemps d’en promouvoir l’approfondissement. Il se situe bien dans la finalité de votre Secrétariat qui a reçu pour tâche à la fois l’étude de l’athéisme et le dialogue avec les non-croyants. Il est bien clair pour vous tous, je le sais, qu’il ne s’agit pas d’une étude poursuivie de façon académique, mais d’un travail de réflexion pastorale, ce qui n’exclue ni rigueur des méthodes ni recherche approfondie. Certes, vous ne pouvez dialoguer, comme les deux autres Secrétariats, avec des instances internationales adéquates; votre travail implique plutôt des rapports avec les Conférences épiscopales selon les diverses situations socio-culturelles.



2. Sous ce dernier aspect, votre thème de recherche est très riche, si l’on considère que la science est un fait de culture, comportant des conséquences importantes sur les mentalités, qu’il s’agisse des sciences de la nature ou des sciences humaines.

Chercher à comprendre la totalité du réel est une ambition légitime qui honore l’homme et que partage le croyant. Il n’y a donc pas d’opposition à ce niveau, mais plutôt à celui des mentalités, lorsque ces dernières sont dominées par une conception scientiste, selon laquelle le domaine du vrai s’identifierait à ce qui peut être connu et vérifié expérimentalement. Une telle mentalité positiviste marque en profondeur la culture moderne dérivée de la philosophie dite “ des lumières ”. C’est alors une certaine philosophie qui s’oppose de manière idéologique à la foi, mais non pas la science elle-même. Bien au contraire, la recherche passionnée des “ comment ” appelle une réponse aux “ pourquoi ”.

Il en va de même, en un certain sens, pour les sciences humaines, qui connaissent un essor croissant et dont le domaine est d’ailleurs plus difficile à définir. Ne succombent-elles pas à une prétention scientiste bien plus qu’elles ne font preuve de leur réelle scientificité, lorsque leurs promoteurs tendent à présenter comme modèle idéal de ce type de connaissance une conception réduisant l’homme – qui est sujet – à un objet d’études, de recherches et d’expérimentations, à l’exclusion de la réalité proprement spirituelle?



3. Le développement des sciences, par le surcroît de rationalité qu’il apporte, en appelle finalement à une visée de totalité qu’il ne fournit pas: le sens du sens. Car s’il est vrai que la science est la forme privilégiée de connaissance, il ne s’ensuit pas pour autant que le savoir scientifique soit la seule forme légitime de savoir. Dans cette perspective radicalement réductionniste, la foi n’apparaîtrait plus que comme une représentation naïve de la réalité, liée à une mentalité mythologique. Dans une perspective totalisante au contraire, il importe de bien discerner les ordres spécifiques, et, loin d’opposer les contenus, de proposer leur intégration dans une épiphanie du vrai.

Il est certain que la prise en considération de la totalité du réel est délicate et difficile. Parfois il y a réduction d’un ordre à l’autre; parfois au contraire on pense pouvoir faire fi de toute articulation. Il faut reconnaître là une double tentation pour les croyants: le rationalisme et le fidéisme.



4. Au reste, plus que d’une confrontation abstraite entre l’incroyance scientifique et la foi chrétienne, c’est d’un dialogue entre les hommes qu’il s’agit, où la dynamique de la rationalité ne s’oppose nullement à la transcendance de la foi dans sa spécificité, mais, en un sens, l’appelle. C’est dans l’expérience de la vie qu’il apparaît nécessaire de surmonter le vide intérieur apporté par l’effondrement du sens, lorsque la totalisation des activités des hommes se situe dans un univers clos et n’est plus assumée dans une perspective qui les dépasse, dans un supra-rationnel qui, loin d’être un non-rationnel, ou un infra-rationnel, est le fondement et la fin de la rationalité.



5. Il faut signaler aussi un risque inhérent à la méthode d’investigation scientifique elle-même. Elle a son objet et ses exigences propres. Mais, dans la mesure où elle imprègne toute la pensée, toute la manière de voir l’existence, elle peut entraîner dans le domaine de la foi la perte de la certitude propre à cette dernière, où le savoir est aussi amour. Ainsi, cet esprit de recherche perpétuelle peut amener à remettre en cause les données essentielles de la foi et, sans les nier, à suspendre le jugement et l’affirmation, tant qu’on n’a pas élucidé soi-même toutes les raisons de croire et tous les aspects du mystère chrétien, comme si on attendait d’autres découvertes touchant le credo lui-même. Certes il faut, comme disait l’apôtre Pierre, être toujours capable de rendre compte de l’espérance qui est en nous. Et il y a un véritable travail scientifique à poursuivre assidûment en théologie, en exégèse, en morale; mais en s’appuyant sur un donné révélé, et à l’intérieur d’une adhésion globale déjà donnée à Jésus-Christ et à son Eglise qui ne met pas provisoirement entre parenthèses les affirmations certaines du Magistère. C’est pour vous, bien sûr, une évidence; mais les esprits imbus de recherche scientifique peuvent y trouver une gêne ou un obstacle, faute de comprendre le spécifique et la transcendance de la foi, et ils risquent de demeurer sur le seuil de celle-ci.



6. Cette difficulté, comme celles plus radicales que je signalais plus haut, il importe de les éclairer et d’aider nos générations à les surmonter.

Comme je le disais le 11 octobre dernier, à propos du thème que vous étudiez, “ une catéchèse insuffisamment informée de la problématique des sciences exactes comme des sciences humaines, dans leur diversité, peut accumuler les obstacles dans une intelligence, au lieu d’y frayer le chemin à l’affirmation de Dieu ”. C’est le cas lorsqu’il s’agit d’un véritable décalage entre l’image actuelle du monde véhiculé par les sciences – et surtout par la vulgarisation des sciences dans le grand public – et les expressions traditionnelles de la foi, répétées parfois sans souci des mentalités réelles.



7. Enfin, comment oublier que des savants eux-mêmes reconnaissent que l’objectivité et la rationalité, si importantes soient-elles, ne comblent pas le besoin qu’a l’homme de l’intelligence de son destin? Mais cela ne suffit pas à les conduire à reconnaître un Dieu personnel et transcendant. Et certains se tournent vers une sorte de panthéisme à coloration mystique. Répudiant le scientisme, cette science égarée au-delà de ses frontières, ils rejettent tout autant les Eglises instituées, en raison d’une revendication d’autonomie humaine et de critiques d’ordre socio-politique, conjuguées avec le relativisme qu’engendrent la découverte des diverses religions et le foisonnement des sectes.

La rencontre entre la science et la foi pose des problèmes que le croyant peut résoudre raisonnablement. Mais le mystère de la foi ne peut se vivre que de manière existentielle. Et la rencontre multiforme de l’athéisme, de l’incroyance, de l’indifférence requiert l’existence de croyants aux convictions bien charpentées et vivant une expérience chrétienne, autrement dit possédant une formation solide, qui ne soit pas séparée de la prière et du témoignage évangélique. La foi est un don de Dieu, une grâce, et encore une fois, elle suppose l’amour.



8. Les universités catholiques, les philosophes et les théologiens, les penseurs et les écrivains, pour leur part, ont un rôle considérable à remplir: présenter une anthropologie vraie et crédible, à travers les diverses cultures, ce terrain fondamental de rencontre. Comme je l’ai dit à l’UNESCO le 2 juin dernier: “ L’homme vit d’une vie vraiment humaine grâce à la culture ”, Il s’agit de montrer comment l’homme – et aujourd’hui l’homme marqué par les sciences et l’esprit scientifique – devient pleinement homme en s’ouvrant à la plénitude du Verbe Incarné: “ Voici l’homme ”.

C’est dire l’importance pour l’Eglise d’une pastorale de l’intelligence. Et le Secrétariat pour les non-croyants se doit d’y jouer un rôle important d’incitation, d’approfondissement, de suggestions, de proposition, au sein de la Curie romaine et au service des Eglises locales affrontées au défi de l’athéisme et au drame de l’incroyance, en liaison bien sûr avec les compétences universitaires. Il pourra ainsi aider de nombreux croyants à témoigner des valeurs qui constituent leurs raisons de vivre, à trouver les mots pour les faire partager, et à ne pas craindre de s’affirmer comme témoins de Dieu au nom même de la quête obstinée de la Vérité qui, à travers des siècles de recherche scientifique, fait la grandeur de l’humanité.

Ces réflexions n’épuisent évidemment pas ce vaste sujet. Nous y reviendrons. Je souhaite que vous y trouviez aujourd’hui un encouragement à poursuivre votre travail. Continuez à frayer un chemin à l’Evangile, à jeter des ponts. Que l’Esprit Saint vous éclaire et vous fortifie! Avec mon affectueuse Bénédiction Apostolique.

 


Discours 1981 - Lundi, 12 janvier 1981