Discours 1981 - Jeudi, 19 novembre 1981


À L'ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE DE LA SACRÉE CONGRÉGATION POUR LES RELIGIEUX ET LES INSTITUTS SÉCULIERS

Vendredi, 20 novembre 1981




Chers Frères dans l’épiscopat,
Chers Fils et Filles,

C’est toujours une grande joie pour moi de savoir le travail suscité et accompli par votre Congrégation pour permettre à la vie religieuse de briller du plus vif éclat au sein de l’Église et d’apporter sa contribution spécifique à l’évangélisation. Précisément, pour cette Assemblée plénière, vous aviez choisi le thème: revoir la nature, le rôle et le fonctionnement des Conférences ou Unions de Supérieurs majeurs d’Instituts religieux, au plan national et supranational, à la lumière des documents conciliaires et aussi spécialement du document Mutuae Relationes sur les rapports entre les évêques et les religieux dans l’Église.



1. L’ample consultation qui a préparé cette réunion vous a apporté de précieuses indications sur le souci des religieux de vivre toujours mieux leur vocation et sur le désir des Pasteurs de promouvoir leur rénovation par une attitude d’encouragement bienveillant, d’intérêt compréhensif, d’appui moral et doctrinal sûr. Elle a montré en même temps les efforts mutuels entrepris depuis trois ans à la lumière du document Mutuae Relationes dont la publication a été accueillie par tous avec reconnaissance et disponibilité se manifestant par une étude sérieuse pour une meilleure mise en application. Bien volontiers, je vous encourage à poursuivre dans cette voie en approfondissant ce thème important.



2. La base de vos travaux et de vos échanges, vous l’avez compris, est le lien profond entre le Christ, l’Eglise et l’évangélisation. C’est l’Eglise comme telle qui a reçu du Christ la charge d’évangéliser; la diversité des ministères doit contribuer à la réalisation de cette mission qui ne peut s’accomplir en dehors d’elle: la rencontre avec Jésus-Christ est liée à la qualité de la vie ecclésiale.
Dans cette Eglise, les évêques, successeurs des Apôtres, assurent, en union avec le successeur de Pierre et sous son autorité, la pérennité de l’oeuvre du Christ, Pasteur éternel. Ce ministère des évêques est le fondement de tous les services ecclésiaux: “ Nul n’a le pouvoir d’exercer les fonctions de magistère, de sanctification ou de gouvernement, sinon en participation et en communion avec eux ” [1]. Pasteurs de tout le troupeau, ils sont pour tous des maîtres authentiques et des guides de perfection et donc aussi les gardiens de la fidélité à la vocation religieuse dans l’esprit de chaque Institut, des éducateurs de vocations et des tuteurs valables pour les familles religieuses selon leur caractère propre, aux plans spirituel et apostolique [2].

De son côté, l’état de vie constitué par la pratique des Conseils évangéliques, s’il ne concerne pas la structure hiérarchique, appartient cependant inséparablement à la vie et à la sainteté de l’Église [3]. Il est pour l’Église un trésor précieux, le témoignage évident du don total à l’amour et au service de Dieu. Comme le rappelle Paul VI dans l’Exhortation apostolique Evangelica Testificatio [4], “ sans ce signe concret, la charité de l’ensemble de l’Église risquerait de se refroidir, le paradoxe salvifique de l’Évangile de s’émousser, le “sel” de la foi de se diluer dans un monde en voie de sécularisation”.



3. A la lumière de ces principes et des orientations données par le Mutuae Relationes [5], vous avez examiné la situation actuelle des Unions et des Conférences de Supérieurs majeurs (de religieux, de religieuses ou mixtes), leurs rapports avec les diverses instances ecclésiales, les fruits déjà recueillis, les moyens de les multiplier ainsi que les difficultés ou les tensions se présentant ici ou là, avec les moyens d’y remédier.

Les évêques se montrent toujours plus conscients de la valeur de la vie religieuse et de leur responsabilité à cet égard. Leur souci d’une meilleure connaissance de l’état religieux comme tel et non seulement dans son action apostolique, se manifeste, entre autres, dans leurs efforts pour donner aux séminaristes et aux prêtres une information toujours plus profonde et plus complète.

Comme je disais dans le message à la Plenaria précédente, il est essentiel qu’ils veillent à procurer aux religieuses une aide spirituelle de qualité grâce à des prêtres de valeur. Il est nécessaire également que le clergé diocésain respecte toujours le caractère propre des divers Instituts pour ce qui est de leur spiritualité, de leur finalité apostolique, de leur vie communautaire. Seuls des religieux authentiques peuvent collaborer avec fruit à une véritable évangélisation.

Gardiens de la doctrine et de la liturgie, les Pasteurs veilleront donc avec soin à donner à tout leur troupeau, mais spécialement à cette portion choisie que constituent les religieux et les religieuses, une nourriture spirituelle et doctrinale saine et riche, veillant à les préserver de déviations doctrinales et d’abus pratiques pouvant nuire à la fécondité apostolique et à l’existence même de la vie consacrée.

Bien que le thème de votre Assemblée ne concerne pas directement la vie contemplative, je veux redire ici toute la reconnaissance de l’Église pour l’aide inappréciable apportée dans l’évangélisation par les prières et les sacrifices des moines et des moniales. Je sais que les Pasteurs partagent tous ce point de vue et que chacun d’entre eux souhaite ardemment bénéficier dans son diocèse de la présence d’un ou de plusieurs monastères.

Je veux également apporter un encouragement particulier aux religieux laïcs et aux religieuses associées à l’oeuvre pastorale des évêques; leur collaboration est une richesse, spécialement pour l’éducation chrétienne et la catéchèse des jeunes.



4. Les religieux ne doivent jamais craindre de mettre en relief les éléments essentiels de leur vie: union à Dieu, dans la prière et la contemplation, pratique des conseils évangéliques, vie fraternelle. Le souci pastoral ne doit jamais prévaloir indûment pour eux sur ces valeurs fondamentales, mais se nourrir d’elles.

Ils doivent également développer leur sens ecclésial pour une meilleure insertion dans l’Église particulière et dans l’Église universelle. Par-dessus tout, il leur faut éviter un cloisonnement qui porterait à diviser l’Église en compartiments quasi incommunicables par une conception erronée de l’exemption. Celle-ci ne peut causer aucune difficulté dans les relations au sein des Églises particulières, car pour les oeuvres d’apostolat, les religieux, comme tous les fidèles, sont placés sous la juridiction des évêques.

Cette référence aux évêques est particulièrement nécessaire à l’heure actuelle où bon nombre d’Instituts souffrent de l’insuffisance des vocations, et où il s’agit pour eux de regrouper des maisons ou de restructurer des oeuvres. De telles mesures doivent toujours être envisagées en collaboration avec l’Ordinaire qui porte la responsabilité pastorale des orientations apostoliques.

5. Sur tous ces points, les Unions de Supérieurs Majeurs peuvent se révéler d’une grande utilité si elles répondent adéquatement à la finalité établie lors de leur érection. Aussi est-il souhaitable qu’elles révisent périodiquement leur action et leur fonctionnement selon les conditions posées dans les Statuts.

Le rôle des Conférences est de première importance pour l’accueil des orientations du Saint-Siège; il leur revient souvent de les faire connaître, de les diffuser, de les étudier en vue d’une meilleure application par les religieux.

Les thèmes choisis lors des Assemblées générales seront déterminés de préférence pour valoriser et promouvoir les valeurs propres de la vie religieuse.

Le rôle des Unions est particulièrement appréciable dans les rapports des Instituts entre eux et avec la Hiérarchie, pour ce qui touche à l’action pastorale. Il est hautement souhaitable que les questions relatives au regroupement des maisons et à la restructuration des oeuvres soient examinées au plan de l’Union pour que la concertation permette une meilleure répartition des ouvriers évangéliques.

Le dialogue avec l’Épiscopat est grandement facilité là où existent des commissions mixtes ou des organismes analogues d’évêques et de religieux et où ces derniers participent aux conseils de pastorale. Les formes de dialogue peuvent être multiples et variées; elles sont fructueuses quand elles reposent sur la charité et la confiance mutuelle.

En terminant, je souhaite de tout coeur que les Pasteurs, les Supérieurs religieux et leurs Unions collaborent étroitement pour aider les religieux et les religieuses à porter au monde actuel un témoignage fidèle, généreux et serein: ils constituent à un titre spécial l’image du Christ, en imitant de plus près et en représentant continuellement par leur état la forme de vie du Seigneur et de ses disciples[6].

Que la Vierge Marie, Mère de l’Église, modèle des âmes consacrées, vous aide tous dans l’accomplissement de cette tâche magnifique, telle est ma prière à votre intention tandis que je vous bénis de tout coeur, et que je bénis à travers vos personnes, tous ceux et celles qui vivent en religieux à travers le monde.

[1] Mutuae Relationes, 9 a.
[2] Cfr. ibid. 28.
[3] Lumen Gentium, LG 44.
[4] Pauli VI Evangelica Testificatio, 3.
[5] Mutuae Relationes, 60-65.
[6] Cfr. Lumen Gentium, LG 44.

 

AUX FRÈRES DES ÉCOLES CHRÉTIENNES

Samedi, 21 novembre 1981


Après avoir rencontré vos élèves venus du monde entier, après nous être retrouvés tous autour de l’autel dans une prière unanime et fervente, je ne veux pas terminer cette journée sans apporter une parole spéciale d’appréciation et d’encouragement à vous-mêmes, chers Frères des Écoles Chrétiennes, représentant les milliers de Frères répandus dans toutes les parties du monde.



1. La lettre que je vous adressais le 13 mai 1980, pour l’ouverture de l’année commémorant le tricentenaire de la fondation de votre Institut, exprimait l’essentiel de ma pensée. Durant plus d’un an, vous avez célébré çà et là ce jubilé, en méditant sur la fidélité au charisme de votre Fondateur. Ce charisme – faut-il le rappeler – est celui d’avoir conçu l’école, mise à la disposition de tous, et notamment des pauvres, comme une communauté éducative, selon la vision chrétienne, c’est-à-dire fondée sur l’amour, capable de former l’âme en même temps que l’esprit des enfants et des adolescents, grâce à des maîtres dûment préparés et compétents, eux-mêmes consacrés à Dieu, familiers de la prière et vivant comme des frères, à l’école de l’unique Maître, le Christ Jésus.

L’école catholique trouve ici son inspiration et son modèle.



2. Comme aux origines de votre Institut, cet apostolat demeure d’une importance primordiale et même d’une brûlante actualité, d’autant plus que l’insuffisance d’éducateurs dévoués, compétents et désintéressés se fait sentir partout, que le statut de l’école catholique a besoin d’être réaffirmé – avec des modalités diverses selon les pays – et son projet éducatif valorisé.

Je sais combien vous vous efforcez, dans votre action éducative, d’être à l’écoute des besoins réels des jeunes, par une pédagogie centrée sur les personnes; soyez-en félicités et remerciés. Je suis sûr aussi que vous avez à coeur de travailler avec les parents et leurs associations.

L’oeuvre que vous accomplissez, en union avec les autres Congrégations d’hommes et de femmes consacrées à la formation des jeunes et avec tant de maîtres laïcs, fait partie de l’ensemble d’une pastorale dont chaque évêque et les Conférences épiscopales sont responsables au premier chef.

Comme nous le disions hier avec les membres de l’Assemblée plénière de la Congrégation pour les Religieux et les Instituts séculiers, des rapports confiants, de compréhension et de collaboration, doivent s’approfondir mutuellement entre évêques et religieux et entre les Instituts religieux eux-mêmes, pour faire face aux besoins actuels, surtout lorsque se posent des problèmes de restructuration, dans le respect bien sûr de votre charisme et de votre vie religieuse.



3. Pour ce qui est du chemin spirituel que vous invitez les jeunes à parcourir avec vous, vous vous rappellerez votre saint fondateur: “ Les jeunes que Dieu vous confie sont des fils de Dieu; ils sont aussi bien que vous consacrés à la Trinité depuis leur baptême ”. Votre rôle est donc de développer les conséquences de leur appartenance spirituelle, dans un climat de confiance, de patience et de liberté bien comprise, ce qui suppose: éveiller leur foi, la fortifier ou la faire redécouvrir par une catéchèse vivante et renouvelée selon les orientations de la hiérarchie; les former à la prière, au besoin par des retraites appropriées, les aider à accueillir les exigences évangéliques, comme des chemins de libération, de vie et de don; leur apprendre à aimer l’Église et à y prendre une place active, à assumer leurs responsabilités d’hommes et de chrétiens dans leur milieu, en esprit de service; entretenir leur volonté d’entraide envers les pays moins favorisés; cultiver, comme il convient, leur souci missionnaire. Et pour vos élèves qui ne partagent pas la foi catholique, le témoignage de votre dévouement compétent, de votre respect des consciences, des valeurs spirituelles et morales que vous enseignez, est également capital: cela fait partie de la mission évangélisatrice de l’Église.



4. Pour vous, le service éducatif que vous rendez à la société et à l’Église est l’oeuvre de religieux. C’est dire que vous devez puiser dans la prière et la fidélité quotidienne à vos voeux l’âme de votre apostolat. Dans ma lettre, j’avais insisté sur la vie d’oraison, qui est capitale. Je voudrais souligner un autre élément fondamental de votre vie religieuse, pour lequel saint Jean-Baptiste de La Salle est non seulement un maître, mais un modèle: je pense à la vie communautaire.

La célébration du tricentenaire vous a remis devant les yeux les débuts laborieux de votre Institut, remplis de difficultés extérieures, mais aussi intérieures: les premiers disciples, contestés de tous côtés, sans assurance du lendemain, étaient assaillis de violentes tentations de découragement et d’abandon. C’est alors que Monsieur de La Salle, abandonnant ses privilèges de Chanoine, se mit à partager leur style de vie au milieu d’eux; il se dépouilla de son confort pour adopter leur insécurité matérielle. Tout étant dès lors mis en commun, les “ Maîtres d’école ”, devenus “ Frères des Écoles Chrétiennes ”, n’eurent plus qu’un coeur et qu’un esprit, à l’image de la première communauté chrétienne.

Quelle précieuse source de méditation pour vous, chers Frères, insérés dans un monde qui redécouvre le sens communautaire! Je vous invite bien cordialement à vivre intensément cette vie fraternelle. Les jeunes de notre époque sont particulièrement sensibles au témoignage d’une communauté unie dans la charité et le don de soi aux autres; ils y découvrent le Christ et cette présence les attire.



5. Quel champ merveilleux d’apostolat vous a été confié! Il suppose que chacun des Frères soit affermi lui-même dans son for intérieur, au contact de Jésus-Christ, qui lui redemande sans cesse comme à Pierre: “ M’aimes-tu vraiment? ”, fais-tu cela par amour?

Oui, que le Christ – que nous fêterons demain comme Roi de l’univers – règne en vos coeurs, et que son règne d’amour et de sainteté s’étende, grâce à tous les Frères des Écoles chrétiennes!

Qu’il soit votre joie et votre force! Qu’il appelle à travailler avec vous de nouveaux ouvriers évangéliques! Que la Vierge Marie vous garde à l’école du Christ! Que saint Jean-Baptiste de La Salle vous entraîne avec sûreté sur des chemins à la fois anciens et nouveaux! De tout coeur, je bénis les responsables de votre Congrégation et, avec eux, tous leurs Frères qui accomplissent humblement leur tâche à travers le monde.




AUX PÈLERINS FRANÇAIS

Samedi, 21 novembre 1981




Chers Frères et Soeurs,

Soyez les bienvenus! Vous faites ici, à Rome, la dernière escale de votre longue croisière “aux sources de la foi”. Dans les Actes des Apôtres, Rome est aussi l’ultime étape des voyages missionnaires de saint Paul. En l’an soixante, tout en étant prisonnier, il vient faire partager à la communauté romaine la foi qu’il avait reçue du Seigneur près de Damas, mûrie à Tarse et en Arabie, fait confirmer à Jérusalem auprès de Pierre, prêchée à Antioche et à Athènes, approfondie à Corinthe et à Ephèse. Il allait donner sa vie en fidélité à cette foi, presque, en même temps que saint Pierre, ici même.

Oui, la foi que nous professons depuis vingt siècles nous vient substantiellement des Apôtres, grâce à la fidélité de l’Eglise, dans l’Esprit Saint “ qui est Seigneur et qui donne la vie ”. Mais les étapes de l’expression de cette foi restent liées à des lieux très chers, à des communautés prestigieuses, à des moments importants de clarification et d’unanimité comme le Concile de Constantinople commémoré cette année. Vous avez eu raison de parcourir ces étapes en pèlerins, fraternels et priants, non seulement pour évoquer près des ruines les événements et les communautés du passé, mais pour y rencontrer les communautés-témoin d’aujourd’hui, avec leurs Pasteurs. Je me réjouis en particulier de votre visite au Patriarcat de Constantinople.

De même que l’Eglise est riche de la diversité de ces témoignages qui convergent dans le même Credo, je souhaite que votre foi, puisée aux sources, jaillisse plus pure, plus complète, plus vigoureuse; et que les liens de l’unité se resserrent entre tous ceux qui la professent. Je le disais à Paris: l’Eglise doit respirer avec deux poumons, l’un oriental et l’autre occidental.

Pour ma part, ma mission, vous le savez, est, comme celle de Pierre, de professer hautement la foi au Christ, de confirmer mes frères dans cette foi, afin que l’Eglise soit unie en s’appuyant sur le Roc de la foi et en vivant dans la même charité. Et avec moi, c’est toute l’Eglise qui est à Rome qui doit en donner le témoignage. Je recommande mon ministère à votre prière.

Quant à vous qui avez été privilégiés durant quelques semaines, faites-en profiter vos frères. Rome est aussi une escale d’où l’annonce de l’Evangile reprend son élan, jusqu’aux extrémités de la terre. Et que vous accompagne la Bénédiction de Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit.





AU CONSEIL PONTIFICAL "COR UNUM"

Lundi, 23 novembre 1981




Chers amis,

Il m'est particulièrement agréable de vous accueillir ce matin, alors que se déroule la dixième Assemblée plénière du Conseil pontifical “ Cor Unum ”, auquel vous apportez votre précieuse collaboration. Je remercie le Cardinal Bernardin Gantin des sentiments qu’il vient de m’exprimer en votre nom et je forme des voeux cordiaux pour le bon rétablissement du Père Roger du Noyer, actuellement à la Clinique Gemelli où j’ai moi-même bénéficié de soins si compétents et attentifs. Je voudrais, en cette rencontre familiale, vous encourager à rendre grâce au Seigneur pour la première et fructueuse décennie de “ Cor Unum ”, à renouveler et diffuser vos convictions fondamentales sur la nécessité de ce grand service ecclésial, et à avancer sur les chemins concrets des objectifs fixés dès le point de départ et toujours d’actualité.

Dieu soit loué d’avoir inspiré au Pape Paul VI la création de cette diaconie moderne de la charité, au centre même de l’Eglise! La lettre par laquelle il l’instituait le 15 juillet 1971, comme son soutien souvent réitéré par la suite, demeurent des références sûres et lumineuses, justement rappelées dans le document qui récapitule l’histoire des dix années écoulées. C’est également un devoir de rendre grâce pour l’appui éclairé du premier Président de “ Cor Unum”, le cher et regretté Cardinal Jean Villot, pour le dévouement sans limites de son premier secrétaire, le Père Henri de Riedmatten, pour le labeur souvent surchargé des collaborateurs actuellement en fonction, pour la coopération appréciée des membres et des consulteurs. Sans donner dans l’autosatisfaction, nous ne pouvons – vous et moi – qu’être impressionnés et émerveillés par la somme d’activités déployées depuis dix ans avec des moyens humains bien modestes, qu’il s’agisse du travail des Assemblées plénières avec leurs discussions thématiques ou des groupes de réflexion organisés en cours d’année, ou qu’il s’agisse des réunions dites “ ad hoc ” en vue d’interventions caritatives importantes ou encore des voyages et missions effectuées par les responsables. Oui, bénissons le Seigneur pour tant d’efforts convergents: ils ont certainement fait progresser les Églises locales dans la compréhension et l’actualisation du mystère de l’Église, qui est par essence et par vocation une vaste communion de communautés de charité.

Cette reconnaissance envers Dieu et envers les serviteurs de “ Cor Unum ”, comme notre admiration pour la vitalité des organismes caritatifs internationaux, nationaux et diocésains, rejoignent en vérité toute l’histoire passée et présente de l’Église, constamment tissée d’activités et même d’épopées de charité. Or, actuellement – et parfois à l’intérieur de groupes chrétiens – on a tendance à faire croire que la justice doit remplacer la charité. J’ai tenu moi-même à relever ce défit dans l’encyclique Dives in Misericordia [1]. Mais je vous encourage vivement à contribuer, vous aussi, à la réhabilitation de la charité évangélique.

Efforcez-vous de promouvoir toujours davantage la véritable conception de l’Église, telle que le Christ l’a voulue et la veut, telle que le Concile Vatican II [2] a tenté de la faire comprendre aux chrétiens de ce temps, dans la fidélité aux sources mêmes de la Révélation et de la Tradition ecclésiale la plus riche, c’est-à-dire une Église qui soit une communauté de charité concrète, désintéressée, visant le développement humain et spirituel de tous. Sans ralentir vos tâches de réflexion, d’interventions, de coordination, je souhaite que vous aidiez les chrétiens d’aujourd’hui à rejoindre davantage les sources tonifiantes de leur mission individuelle et collective de charité.

La première de ces sources est certainement une connaissance renouvelée du mystère d’amour qu’est Dieu lui-même en sa vie trinitaire. Une catéchèse qui ne s’appuierait pas sur ce dogme fondamental en resterait à un niveau trop horizontal et se priverait de richesses de lumière et d’énergie absolument vitales. Aidez également les chrétiens à se familiariser avec les expériences communautaires et intercommunautaires des temps apostoliques et des premiers siècles. Elles provoquèrent l’admiration des non-chrétiens. Le “ voyez comme ils s’aiment ” nous interpelle encore. La société contemporaine, tentée et défigurée par le matérialisme pratique et multiforme, a un profond besoin de rencontrer des communautés croyantes qui vivent, avec autant d’humilité que de conviction, la vocation à laquelle tout homme est appelé: celle de la filiation divine et de la fraternité humaine.

A cette mission catéchétique de “ Cor Unum ”, je voudrais ajouter encore quelques encouragements pratiques. Le premier serait de vous faire connaître davantage, au moins des responsables. Bien des Églises locales ont encore besoin de découvrir, sinon l’existence de “ Cor Unum ”, du moins sa raison d’être et ses méthodes d’action. Avancez aussi sur le chemin de ce délicat et nécessaire travail de coordination entre les Églises ou les organismes qui donnent et les Églises ou les organismes qui reçoivent. Tous les cas individuels doivent être secourus. Pourtant, il est indispensable que les instances caritatives concernées déterminent les besoins réellement prioritaires, dont la solution aura des répercussions importantes sur le bien commun de toute une région, à échéance immédiate ou plus éloignée.

Par ailleurs, comme je le soulignais récemment à la réunion spéciale en faveur du Sahel, maintenez le cap sur une coopération croissante entre les partenaires de toute action caritative importante.

Non seulement il s’agit d’éviter, d’un côté, les reproches d’assistance paternaliste et de l’autre, les risques d’une passivité toujours possible, mais il faut aider ces partenaires à bien se situer dans leurs rôles de secoureurs désintéressés et de secourus coopérants, en vue d’un authentique développement humain et spirituel. Tous, d’ailleurs, dans un certain sens, sont bénéficiaires de cet échange qui s’instaure. Il est des signes encourageants pour vous en ce domaine. Je mentionne, entre autres, la récente rencontre des délégués d’Églises et d’organismes au service des populations du Sahel. Je songe encore à ce qui a été ébauché en juin dernier entre “ Cor Unum ”, le CELAM et le Secrétariat épiscopal d’Amérique Centrale et de Panama (SEDAL). Enfin, selon vos moyens, par esprit réaliste face aux immenses besoins et aux ressources limitées qui sont à votre disposition, développez les contacts et la collaboration avec les Organisations gouvernementales ou non gouvernementales qui veulent être au service des populations dans le besoin. Dans le respect mutuel, elles peuvent vous apporter beaucoup pour mieux organiser votre action caritative et vous pouvez, de votre côté, partager avec elles l’esprit qui vous anime.

Telles sont les quelques pensées que j’ai cru bon d’exprimer devant vous. Je souhaite qu’elles vous réconfortent au moment où vous entamez la deuxième décennie de “ Cor Unum ”. Ces paroles ne suffisent pas à résoudre vos problèmes. Mais le dynamisme de la Pâque du Christ et la force de l’Esprit de Pentecôte sont toujours à l’oeuvre. Faites-leur grande place dans vos activités caritatives! Et moi, au nom des trois Personnes divines, qui sont la source de tout Amour, je vous bénis de tout coeur.

[1] Cfr. Ioannis Pauli PP. II Dives in Misericordia, DM 12.
[2] Cfr. Lumen Gentium, LG 1.




AUX ÉVÊQUES NORD-AFRICAINS EN VISITE "AD LIMINA APOSTOLORUM"

Lundi, 23 novembre 1981




Chers Frères dans l’épiscopat,

Laissez-moi vous dire la joie que j’épreuve à vous recevoir de nouveau ensemble, réunis autour du cher et vénéré Cardinal Duval, lors de votre visite “ ad limina ”. Cette rencontre m’offre l’occasion de vous assurer que je me tiens proche de vos soucis et de la vie de vos diocèses. Surtout, mon désir est que vous sachiez que le Pape comprend et apprécie les engagements spirituels de l’Église au Maghreb.

Le nombre de vos fidèles est aujourd’hui bien réduit par rapport à ce qu’il était hier. Pour la plupart, ce sont des personnes, souvent jeunes, venues servir quelques années, au plus, dans vos pays, dans les administrations publiques ou le secteur privé. Si quelques familles se sont implantées, vous constituez cependant, avec les prêtres et les religieuses, l’élément permanent de ces communautés chrétiennes qui regroupent presque exclusivement des étrangers de toutes nationalités et venus d’horizons fort divers. Votre charge, est entre autres, d’assurer à chacun d’eux, grâce à l’aide de tous les prêtres dont c’est le ministère primordial, l’accompagnement pastoral nécessaire pour que leur temps de présence dans ces pays soit, autant que faire se peut, l’occasion de rendre un témoignage chrétien authentique parmi les habitants qui les accueillent. Nul doute que ce témoignage ne s’enrichisse de la découverte de l’environnement culturel et spirituel du monde musulman.

C’est en effet une des caractéristiques essentielles de la vie de l’Église au Maghreb que d’être invitée à entrer dans un dialogue islamo-chrétien constructif. Je tiens à vous encourager sur cette voie difficile, où les échecs peuvent survenir, mais où l’espérance est plus forte encore. Pour la maintenir, il faut des convictions chrétiennes bien trempées. Plus qu’ailleurs il est hautement souhaitable que les chrétiens participent, comme vous les y encouragez, à une catéchèse permanente qui intègre un ressourcement biblique, ou plus exactement une lecture de la Parole de Dieu en Église, avec l’aide de théologiens et de maîtres spirituels réellement compétents. Mais, on ne le dira jamais assez, un tel dialogue est d’abord affaire d’amitié; il faut savoir lui donner le temps des cheminements et du discernement. C’est pourquoi il s’entoure de discrétion par souci de ménager les lenteurs de l’évolution des mentalités. Le sérieux de l’engagement dans ce dialogue se mesure à celui du témoignage vécu, rendu aux valeurs auxquelles on croit, et pour le chrétien, à Celui qui en est le fondement, Jésus-Christ. C’est la raison pour laquelle il recèle une inéluctable tension entre le respect profond qui est dû à la personne et aux convictions de l’interlocuteur, et l’inébranlable attachement à sa propre foi. Ce dialogue sincère et ce témoignage exigeant comportent une part d’abnégation spirituelle: comment ne pas proclamer l’espérance que l’on a reçue de participer à ce festin de noces de l’Agneau où sera un jour réunie l’humanité entière?

Encore faut-il – afin, entre autres, de maintenir un tel dialogue dans sa vérité – qu’une telle espérance intime demeure ferme, sans céder à quelque pusillanimité née d’une doctrine incertaine. Un tel esprit s’incarne tout d’abord dans le service désintéressé en vue de participer fraternellement au développement de ces pays et de communier aux aspirations de leur peuple. Je tiens à souligner ici la qualité de l’oeuvre accomplie par tant de ces coopérants dans la discrétion et le dévouement, et par ceux qui les ont soutenus.

Je voudrais maintenant m’arrêter sur trois aspects de la vie de vos communautés. Le séjour temporaire dans vos pays, chez les jeunes surtout, peut être essentiel pour l’avenir de leur foi et l’attitude qu’ils auront ensuite, de retour dans leur patrie. Je sais combien de prêtres se dévouent pour leur apporter une aide pastorale adaptée, en les guidant dans leur compréhension de l’Islam et des habitants de ces pays, tout en suscitant en eux une conscience renouvelée des engagements de la vie baptismale dans le choix d’un style de vie évangélique. Il est vrai, comme ce fut le cas chez Raymond Lulle, plus récemment chez Charles de Foucauld et Albert Peyriguère, et plusieurs autres, que la rencontre de l’Islam peut favoriser une intériorisation plus intime de la foi. Il n’est pas rare qu’une grâce de prière et de contemplation soit attachée à la vie dans ces pays. Et que vos prêtres, même s’ils sont souvent las du renouvellement quasi permanent des effectifs de leurs communautés, puissent avancer avec la certitude que la grâce de Dieu ne manquera pas de faire lever ce qu’ils auront semé!

Je sais aussi qu’à plusieurs reprises, dans votre Conférence épiscopale, vous avez abordé la situation spirituelle de ces femmes chrétiennes, dont le nombre va croissant, qui ont choisi de s’unir avec des musulmans pour fonder leur foyer. Si, pour des raisons diverses, la plupart d’entre elles n’ont pas scellée cette union dans l’Église, il n’est cependant pas rare qu’une fois insérées dans le contexte familial et social musulman, elles connaissent une sorte de revirement intérieur causé par l’éducation de leurs enfants et l’attitude à prendre devant un art de vivre tout imprégné par des usages religieux islamiques. Cela pose, surtout lorsqu’il s’agit des sacrements, des questions délicates que vous vous efforcez de résoudre, avec l’aide de vos prêtres, dans un esprit de loyauté vis-à-vis des règles morales et canoniques. Eventuellement, vous le savez, les organismes de la Curie romaine sont là pour vous apporter l’aide de leur compétence. Il faut que ces personnes sachent que la sollicitude de l’Église leur est acquise, et que les communautés chrétiennes en soient également persuadées. Leur présence, au sein de familles musulmanes, marquée par la fidélité et la droiture, constitue malgré les incompréhensions qui peuvent naître, une contribution, qu’on ne saurait sous-estimer, au développement du dialogue que j’évoquais plus haut. Dites-leur que le Pape prie spécialement pour elles!

Je voudrais enfin dire un mot de la vie des religieuses. Pour de nombreux musulmans, l’Église c’est elles: heureux soient-ils de voir la sainte Église sous leurs traits! Souvent âgées, et inquiètes d’une relève problématique – qui semble se ressaisir ici ou là – elles sont parfois disséminées, dans tout le pays, loin les unes des autres, et adonnées au service des écoles ou de dispensaires pauvrement équipés. Pourtant, elles gardent le sourire, par amour de ceux auxquels elles ont consacré leur existence. Vous les entourez de votre affection, à bon droit: elles ont besoin en effet d’un soutien pastoral régulier et de qualité. En particulier, elles doivent pouvoir participer le plus fréquemment possible, malgré leur isolement, à l’Eucharistie. Célébrer ainsi la messe, pour deux ou trois religieuses, seules chrétiennes dans un lieu retiré, permet au prêtre de mieux mesurer dans ce mystère renouvelant celui de Nazareth, la richesse d’espérance de la Rédemption! A elles aussi, dites que le Pape prie avec elles et pour elles!

Enfin, avant de nous séparer, je veux vous encourager encore dans la poursuite de votre tâche. A plusieurs reprises, j’ai prononcé le mot espérance. En effet, si faibles que soient vos communautés en moyens humains, et si précaire que puisse paraître – en raison des circonstances – leur avenir, elles sont cependant fortes de la liberté spirituelle qui les anime, du dévouement de leurs membres et surtout de leur rôle privilégié d’ambassadeurs du Christ et de l’Église universelle auprès des peuples musulmans au sein desquels la Divine Providence les a placées.

Je tiens, en invoquant le nom du Seigneur, à vous bénir, et, à travers vous, tous les membres de vos Églises!




Discours 1981 - Jeudi, 19 novembre 1981