Discours 1981 - Lundi, 23 novembre 1981


AUX ÉVÊQUES DU MALI EN VISITE "AD LIMINA APOSTOLORUM"

Jeudi, 26 novembre 1981




Chers frères dans l’épiscopat,

Votre visite me donne aujourd’hui la joie de vous exprimer la part que je prends à vos espoirs comme à vos soucis de pasteurs de l’Église au Mali.

Certes, les catholiques ne sont pas chez vous le grand nombre. Mais je sais que la qualité de leur vie chrétienne est bien réelle. D’ailleurs ils ont su gagner la sympathie de beaucoup grâce au climat d’amitié qu’ils ont créé et au témoignage qu’ils rendent à l’amour de Dieu. Ils participent fraternellement, avec tous leurs concitoyens, au développement du pays.

Et pour votre part, vous avez discerné avec justesse la nécessité de poursuivre dans cette voie, malgré de sérieuses difficultés. Je pense, en particulier, aux efforts consentis pour maintenir les écoles, pour entretenir les dispensaires, pour contribuer à l’amélioration des conditions de vie des populations les plus déshéritées, en ce qui concerne, par exemple, les moyens d’irrigation, et cela, grâce à l’aide d’organismes caritatifs. Je vous laisse le soin de dire à tous ceux, prêtres, religieuses ou laïcs, qui s’adonnent généreusement à ces diverses tâches, combien le Pape apprécie l’engagement courageux et réaliste que leur inspirent ainsi la solidarité et la charité.

Cet esprit de service désintéressé traduit le dynamisme même de la foi et de la prière. N’est-ce pas ce dont témoignent vos communautés, en cherchant à mieux comprendre et à mieux vivre ensemble l’Evangile, et à resserrer les liens entre tous les membres? Et lorsque vous invitez les chrétiens à entrer en conversation avec les musulmans – dont le sens de Dieu est grand! – comme avec des croyants d’autres horizons, vous les aidez encore à découvrir la raison la plus profonde de ces gestes concrets d’amitié évoqués plus haut: il s’agit d’apprendre – dans le respect de la conscience des autres – à rendre compte de l’espérance et de l’amour que la foi au Christ fait vibrer en eux. Et si ce type de relations amicales est nécessaire dans vos pays, il est précieux aussi dans le cadre de ce vaste dialogue entre chrétiens et musulmans – ou adeptes d’autres religions – qui s’ébauche un peu partout dans le monde et qu’il faut mener à bien. Il nécessite évidemment chez les chrétiens une formation spirituelle et doctrinale solide, que je vous encourage à poursuivre par tous les moyens.

Mais il manquerait à ce dialogue lui-même une dimension importante si l’on n’avait pas la possibilité de voir la démarche de celui qui, librement, demande le baptême. Je voudrais évoquer ici l’enthousiasme et la ténacité des catéchumènes. En se préparant à la nouvelle naissance dans l’Esprit Saint durant plusieurs années, ils montrent à leurs frères chrétiens comme aux non-chrétiens le prix qu’ils entendent mettre, en comptant sur la grâce de Dieu, pour vivre un style de vie vraiment évangélique, tant dans leur famille qu’au sein de la société, au village comme en ville. A eux aussi, dites combien ils sont proches du coeur du Père commun des fidèles!

En les nommant, comment ne pas saluer avec joie leurs catéchistes? Qui dira assez tout ce que leur doit la foi chrétienne en Afrique? A juste titre, vous vous efforcez d’associer intimement leur apostolat au ministère des prêtres et au vôtre. Ne sont-ils pas les éducateurs permanents de la foi et de la prière de ceux qui leur sont confiés, et même les guides spirituels de leurs petites communautés? Vous vous attachez également à leur faire acquérir toute la compétence doctrinale et humaine que requiert leur service qualifié. A travers vous, comme je l’ai fait lors de mon voyage en votre continent, je tiens à les remercier de tout ce qu’ils font pour Notre-Seigneur!

Mais je sais aussi que vous êtes préoccupés pour l’avenir, devant une certaine diminution des effectifs apostoliques des prêtres et des religieuses. L’âge se fait sentir chez plusieurs, et la relève n’est pas aussi abondante qu’on le souhaiterait. Je prie avec vous le Seigneur de susciter des ouvriers pour sa moisson. Et cela, d’abord parmi vos fidèles africains. Cela ne vous empêche pas, bien sûr, d’inviter d’autres Eglises et divers Instituts à vous apporter une entraide toujours plus généreuse: comme on le voit dans les Actes des Apôtres, les premières communautés chrétiennes n’hésitaient pas à envoyer, pour le service de la mission, les meilleurs de leurs membres. Les nouveaux collaborateurs et collaboratrices qui viendront ainsi – et je les souhaite nombreux – stimuleront vos communautés, et pourront contribuer à l’éveil de nouvelles vocations en offrant aux jeunes le témoignage des façons riches et variées de vivre le même idéal sacerdotal ou religieux. Et je ne doute pas qu’ils seront eux-mêmes réconfortés par le bel exemple de ceux et celles qui portent depuis longtemps, chez vous, “ le poids du jour et de la chaleur ”.

Devant les Évêques d’Afrique, j’approfondis tour à tour tels ou tels aspects de la vie de leurs communautés chrétiennes. Pour aujourd’hui, je veux m’en tenir là avec vous. L’essentiel est de bien maintenir ces deux pôles de la vie de toute l’Église: la foi au Christ, indéfectible et communicative, et l’amour, traduit au jour le jour en oeuvres de justice et de charité, même avec des moyens très pauvres.

Quant à vous, chers frères, soyez assurés de toujours trouver auprès de moi la compréhension dont vous avez besoin, et l’aide que je puis éventuellement apporter. Que Dieu continue à vous donner sa force et sa lumière! Qu’il assiste tous vos collaborateurs, prêtres, religieux, religieuses et laïcs, que je bénis de grand coeur avec vous.



MESSAGE DE JEAN-PAUL II À DIMITRIOS Ier POUR LA FÊTE DE L'APÔTRE ANDRÉ

Lundi, 30 novembre 1981




A Sa Sainteté Dimitrios Ier
Archevêque de Constantinople, Patriarche oecuménique.



“La grâce du Seigneur Jésus-Christ, l’amour de Dieu, et la communion du Saint-Esprit soient avec vous” [1]. Et avec nous tous!

Notre délégation, présidée par notre cher frère le cardinal Jean Willebrands, président du Secrétariat pour l’Unité des Chrétiens, vous porte, Sainteté, à vous-même et à votre Église, le salut de l’Église de Rome[2] et manifeste par sa présence combien je vous suis uni par la prière en ce jour de la célébration de la fête de l’apôtre André.

Ces rencontres annuelles, au siège de votre Église et à Rome lors de la fête des apôtres Pierre et Paul, non seulement permettent une prière commune fervente e renouvelée, mais nous donnent aussi l’occasion d’intensifier régulièrement et d’harmoniser nos efforts dans la recherche de l’unité.

Par la célébration cette année du XVIe centenaire du IIe Concile oecuménique, le Ier Concile de Constantinople, nos Églises se sont efforcées de renouveler et d’approfondir, dans l’intelligence et le coeur des fidèles, les certitudes traditionnelles et toujours actuelles de notre foi commune dans l’Esprit Saint, en même temps qu’elles rappelaient avec insistance la nécessité d’une prière continuelle implorant l’action vivifiante de ce même Esprit et la disponibilité à l’accueillir avec docilité.

Cette nouvelle prise de conscience de la foi commune exprimée par ce Concile devrait nous aider, je l’espère de tout coeur, à surmonter les difficultés doctrinales qui se dressent encore sur le chemin qui mène à la pleine unité retrouvée. Il y a deux ans, lors de notre rencontre fraternelle inoubliable dans votre patriarcat, nous avions la joie d’annoncer ensemble la création de la commission mixte de dialogue théologique. Aujourd’hui, je me réjouis de constater que, grâce aux moyens que cette commission a mis en oeuvre, les objectifs qu’elle s’était fixés après sa première réunion ont pu être atteints avec empressement, avec compétence et avec un vif amour de l’Église et de l’unité voulue par le Seigneur.

Il ne faut pas en effet que notre marche en avant se ralentisse ou se disperse. Tant les nécessités du monde chrétien que, plus généralement, les choix qui sont proposés aux hommes d’aujourd’hui et dont dépend leur existence future, demandent que le dialogue entre nos Églises ne s’éparpille pas dans des questions secondaires, mais se concentre sur l’essentiel afin d’atteindre au plus vite cette pleine unité qui pourra être une contribution importante à la réconciliation entre tous les hommes. Et l’essentiel, c’est l’unité dans la foi, dans cette foi enracinée dans la Parole de Dieu qui nous parvient dans les Saintes Écritures, qui a été prêchée par les apôtres, qui a été défendue contre toute altération et qui a été proclamée avec force par les conciles oecuméniques aux différentes époques.

Sainteté, je tiens à vous assurer de nouveau de la pleine disponibilité de l’Église catholique, dans un esprit de compréhension loyale et de solidarité fraternelle, pour toutes les initiatives qui seraient jugées possibles et opportunes, tant dans le domaine de l’étude que dans celui de l’action, et qui pourraient approfondir et renforcer la fraternité croissante entre nos Églises. Que l’intercession des saints apôtres frères André et Pierre nous obtienne une docilité vigilante et active à toutes les inspirations de l’Esprit Saint!

Dans ces sentiments, je vous redis, Frère très cher, ma profonde charité dans notre unique Seigneur.

IOANNES PAULUS PP. II


[1] 2Co 13,13.
[2] Cfr. Rm 16,16.

                            Décembre 1981




LORS DE LA CAMPAGNE DES "ÉTRENNES PONTIFICALES"

Mercredi, 2 décembre 1981


Mesdames, Messieurs,



Avant de relancer la prochaine campagne des “ Étrennes pontificales ”, vous tenez à me remettre le produit de la présente année, au nom de l’“ Association des journalistes catholiques de Belgique ” et de l’“ Union des journaux catholiques de Belgique ”.

Je suis heureux de vous exprimer de vive voix un grand merci. Ce merci s’adresse d’abord à vous-mêmes, pour cette démarche filiale. Il s’adresse à tous vos collègues journalistes qui continuent, d’année en année, non seulement à manifester leur générosité personnelle, mais à se servir de la presse pour inviter leurs compatriotes à donner un signe tangible de leur attachement au Saint-Siège. En témoignant ainsi de vos convictions, vous honorez votre profession, les moyens de communications qui sont entre vos mains et votre propre pays. Mais je n’oublie pas non plus les innombrables souscripteurs de Belgique qui n’ont pas hésité à répondre à votre appel, en prenant sur leurs revenus, parfois modestes. Vous serez auprès les interprètes de ma gratitude.

Une telle générosité montre que tous ont su comprendre les besoins du Saint-Siège et ont voulu permettre au Pape de faire face plus aisément à ses charges tout en répondant aussi aux multiples appels qui sont adressés à sa charité. Je devine les sentiments de confiance que de tels gestes supposent et j’y suis d’autant plus sensible que beaucoup les ont accompagnés de prières ferventes à mon intention, surtout aux heures d’épreuve que j’ai connues.

Je souhaite que, grâce à votre contribution, se poursuive ce profond courant de communion avec le Successeur de Pierre. Je forme aussi des souhaits fervents pour vos personnes et vos familles; pour l’accomplissement de votre exigeante profession au service de la vérité; pour votre chère nation, afin qu’elle mène à bien sa recherche laborieuse du bien commun à tous. Que Dieu bénisse vous et tous ceux qui sont, de quelque façon, associés à votre démarche!



… en flamand





À ZVONIMIR STENEK AMBASSADEUR DE LA RÉPUBLIQUE FÉDÉRATIVE DE YOUGOSLAVIE AUPRÈS DU SAINT-SIÈGE

Jeudi, 10 décembre 1981


  Monsieur l’Ambassadeur,



Je souhaite la bienvenue à Votre Excellence et je vous remercie des propos élevés que vous venez de tenir au moment où vous prenez officiellement vos fonctions d’Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la République Socialiste Fédérative de Yougoslavie auprès du Saint-Siège.

Vous avez exprimé l’attachement de votre pays à certains principes qui sont en effet bien nécessaires pour établir ou préserver la paix mondiale, en conformité d’ailleurs avec la Charte des Nations Unies: le plein respect de l’indépendance des peuples, dans l’égalité et sans tutelle abusive; la compréhension de leurs problèmes, de leurs particularités culturelles, de leurs justes revendications dans les rapports internationaux; leur droit d’organiser librement leur développement dans des conditions démocratiques, sans discrimination; le souci de régler les différends par la négociation; et, de pair avec toutes ces garanties, l’acceptation sincère et réciproque de limiter vraiment une course aux armements qui s’avère de plus en plus périlleuse et dispendieuse au regard de la pauvreté extrême de tant de populations du monde.

Comme Votre Excellence la relevé, le Saint-Siège apprécie de tels objectifs et il en encourage la mise en oeuvre, en y contribuant dans ses rapports bilatéraux ou ses interventions auprès des Organisations internationales, comme aussi dans tous ses messages adressés à la conscience des hommes de bonne volonté. Il le fait dans le cadre de sa mission spirituelle et avec le désintéressement que lui permet son ouverture universelle, prenant en considération la dignité de chaque peuple comme de chaque personne. Sur ce terrain international, les relations diplomatiques entre le Saint-Siège et votre Gouvernement, reprises après la signature du Protocole de Belgrade, sont de nature à favoriser la recherche loyale de meilleures conditions de paix et de collaboration entre les peuples, et je souhaite qu’elles soient toujours plus fructueuses.

Ces relations concernent évidemment aussi la présence active de la communauté catholique en Yougoslavie, comme j’avais l’honneur de le rappeler ici à Son Excellence Monsieur Cvijetin Mijatovic, alors Président de la Présidence de la République, lors de la visite appréciée qu’il voulut bien me faire l’an dernier. Les catholiques de votre pays, conformément à un droit fondamental désormais reconnu par tous, même au niveau des Nations Unies, veulent tout naturellement voir assuré leur espace de liberté spirituelle, au plan individuel et communautaire, et cela, pour tout ce que comportent les exigences et les caractéristiques du Message évangélique auquel ils adhèrent, telles que je les rappelais dans le document sur la liberté religieuse envoyé le 1er septembre 1980 à tous les Chefs d’État des pays signataires de l’Acte final d’Helsinki. Ces catholiques des diverses nationalités yougoslaves, loyaux envers leur pays et soucieux du bien commun, sont tout aussi désireux d’offrir leur propre contribution au progrès de la société civile, pour la promotion du bien de l’homme, comme ils l’ont largement manifesté. Dans l’esprit de la communion qui les relie au Successeur de l’Apôtre Pierre, je puis redire ici toute l’estime et la confiance profonde que je nourris pour eux et notamment pour les Évêques yougoslaves, si zélés dans leur oeuvre pastorale.

Il est certes possible que, entre l’État et l’Église, tous deux responsables du bien de l’homme à des titres divers et complémentaires, des difficultés surgissent sur des points concrets. Elles ne devraient jamais se durcir au détriment des droits légitimes, ni rester sans solution équitable. Il suffit, pour les surmonter, de manifester une compréhension réciproque et une bonne volonté active, dans le respect mutuel des autorités respectives. L’Église, dans de tels cas, est toujours prête au dialogue à tous les niveaux, et elle espère trouver les mêmes dispositions favorables de la part des différentes Autorités en Yougoslavie. Ce sera votre honneur à vous aussi, Monsieur l’Ambassadeur, de contribuer à faciliter ce chemin, dans l’intérêt de tous.

Je vous confie le soin de remercier Son Excellence Monsieur Sergej Kraigher, Président de la Présidence de la République Socialiste Fédérative de Yougoslavie, des voeux dont vous êtes l’interprète, et de lui transmettre ceux que je forme pour l’accomplissement de sa haute charge au service de tous. Mes souhaits voudraient aussi rejoindre toutes les populations yougoslaves, dont j’apprécie lest efforts, en prenant à coeur leurs épreuves, comme la catastrophe aérienne qui a endeuillé récemment tant de familles, et aussi leurs espoirs de bonheur, de progrès, de paix. Soyez vous-même assuré, Monsieur l’Ambassadeur, de l’accueil favorable que vous trouverez toujours ici et de mes meilleurs voeux pour la noble mission que vous inaugurez aujourd’hui.




POUR LE CENTENAIRE DE LA NAISSANCE DU CARDINAL AUGUSTIN BEA

Samedi, 19 décembre 1981


  Eminences,
Excellences,
Messieurs,



Je vous suis reconnaissant pour votre visite et pour l’occasion qui m’est donnée de prendre connaissance des importants travaux qui vous ont réunis ici et qui visent à mettre en lumière la contribution que le Cardinal Augustin Bea a apportée aux grandes réalisations du deuxième Concile du Vatican. Il s’agit là d’un acte de fidélité à la vérité historique, d’un hommage de gratitude à Dieu pour ce qu’il nous a donné à travers celui qui a été son grand serviteur, d’un stimulant pour nous aider à développer toujours davantage les germes féconds nés du Concile, mais qui ont besoin de notre collaboration pour qu’ils puissent porter les fruits qui s’y trouvent en puissance.

Je pense entre autres à trois documents qui furent spécialement chers au Cardinal Bea et qui n’ont cessé d’inspirer de nombreuses initiatives de l’Église, grâce à l’entremise du Secrétariat pour l’unité des chrétiens et d’autres organismes du Saint-Siège; je veux parler du décret sur l’oecuménisme, de la déclaration Nostra Aetate sur les relations de l’Église avec les religions non chrétiennes – à commencer par le judaïsme –, de la déclaration sur la liberté religieuse. J’ai souvent l’occasion d’illustrer l’engagement de l’Église dans ces trois directions; aujourd’hui, je m’arrête plutôt à considérer comment la contribution du Cardinal Bea à l’action du Concile éclaire et stimule notre engagement afin que l’arbre planté par le Concile dans le sol de l’Église croisse et se développe toujours davantage. En effet, la vie du Cardinal nous donne à ce sujet plusieurs indications importantes.



1. La première indication concerne l’esprit qui alimentait son action oecuménique. Nous en trouvons le témoignage explicite dans ses notes spirituelles. En 1960, méditant sur la mission des apôtres soutenus par le Christ, il écrit: “ Je considère la tâche qui m’est confiée comme la “mission” essentielle dont le Sauveur me charge maintenant. Je veux la remplir avec le plus complet dévouement... Il faut avant tout manifester à mes frères mon amour: dans les rapports, les conversations, la correspondance et les négociations. Les frères séparés doivent reconnaître que j’agis uniquement par amour pour le Christ... L’oeuvre devra se faire en esprit intérieur et dans l’esprit de force, donc avec une force surnaturelle [1]. Chacun devra reconnaître qu’il n’y a là aucun désir de puissance, pas d’intérêt terrestre, pas de pur activisme, pas de routine, mais le véritable esprit du Christ ”[2].

Cependant, le Cardinal Bea ne se faisait pas d’illusions sur les difficultés de l’entreprise. Dans ses notes spirituelles de la retraite de 1962, nous lisons à ce sujet: “ Plus une âme est proche du Seigneur, plus aussi vaut pour elle l’allusion à la croix. Elle vaut donc aussi pour moi, surtout dans ma tâche particulière qui ne peut se faire sans beaucoup de fatigues, d’échecs et de malentendus. Il faut que je puise mon courage et ma force dans la “transfiguration”, dans cette transfiguration qui s’opère en moi par la prière ” [3].



2. Une deuxième indication qui nous vient du Cardinal Bea est sa profonde connaissance de la Parole de Dieu contenue dans l’Ancien et le Nouveau Testament, et son dévouement, non seulement pour l’approfondir, mais pour la communiquer et la faire largement pénétrer dans l’Église. C’est à cette tâche qu’il a consacré toute une vie de savant, à travers des publications et surtout à travers son enseignement. Pendant des décennies, il a fait partager à des milliers de futurs professeurs d’Écriture Sainte, disséminés par la suite dans toute l’Église, les richesses proposées par l’Institut pontifical biblique. Cette tâche s’est réalisée d’autant plus qu’il a même dirigé cet Institut durant dix-neuf années et qu’il a donc eu une responsabilité particulière dans l’enseignement, les publications, les recherches, et notamment les fouilles archéologiques que l’Institut a effectuées en Palestine. A cela il faut ajouter la collaboration dévouée et efficace aux travaux de la Commission Biblique. Comment ne pas noter ensuite son action de Père conciliaire?

Dans ses nombreuses interventions, il insistait sur la nécessité de faire apparaître clairement dans les textes conciliaires les bases bibliques de la doctrine proposée. Et lorsqu’il développait la théologie du baptême et ses conséquences pour les relations entre les chrétiens séparés entre eux, il mettait en relief le fondement biblique essentiel d’une telle doctrine. De façon plus générale, il répétait sans cesse que l’Écriture Sainte constitue l’héritage et le trésor communs de tous les chrétiens et par là une base essentielle pour se retrouver au-delà des divisions. C’est encore cette conviction qui l’inspirait lorsqu’il mit en oeuvre la collaboration avec les “Sociétés bibliques” pour préparer des “traductions oecuméniques” de la Bible. Dans le même esprit, il assuma la tâche délicate de présenter au Concile la déclaration Nostra Aetate, en mettant en lumière les relations entre le peuple élu de l’Ancien Testament et celui du Nouveau.



3. Un troisième témoignage précieux du Cardinal Bea concerne ses liens avec l’Église. Ce sens de l’Église animée par le Christ accompagne en effet toutes les activités que je viens d’évoquer, comme l’expriment deux mots tirés de ses notes spirituelles: “ L’Église n’est donc pas simplement une pieuse association, elle est le Christ qui continue à vivre avec tous ses dons et ses grâces [4]”[5]. D’où cette conséquence: “ Mon travail doit toujours procéder dans le souci de participation à la vie de l’Église et à son sort. C’est elle qui doit donner la forme ” [6]. En fait tout son travail à l’Institut Biblique était dirigé vers le service de l’Église qui le lui avait confié et de tant d’Églises locales où ses élèves de l’Institut continueraient à semer ce qu’ils y avaient appris. Mais il fut appelé à servir l’Église à la Curie et dans la personne même du Successeur de Pierre. Chacun sait la confiance profonde que lui ont réservée successivement – et chacun à sa manière – les Papes Pie XII, Jean XXIII et Paul VI, qui ont tant apprécié ses services de qualité. Qu’il suffise de citer le fait de l’avoir appelé au Cardinalat et nommé premier Président du nouveau Secrétariat pour l’Unité des Chrétiens.

A l’Église, il apporta aussi son travail de consulteur des Dicastères de la Curie romaine, et en particulier sa collaboration avec celui qui était alors le Saint-Office comme avec la Congrégation des Rites pour la réforme liturgique. C’est toujours pour le service de l’Eglise qu’il a travaillé comme premier Président à soutenir les débuts de la Commission pour la Néo-Vulgate, c’est-à-dire la révision de la Vulgate latine, afin de la rendre fidèle aux textes originaux de la Sainte Écriture. Cette tâche est désormais terminée.



4. La profondeur de tels liens avec l’Église – le “ sentire cum Ecclesia ” au sens le plus profond du mot – l’ouvrait en même temps aux besoins du monde, lui faisant observer et interpréter les signes des temps, pour comprendre ce qu’aujourd’hui l’Esprit dit aux Églises [7]. Ainsi la profonde union avec le Christ dont il se sentait l’envoyé, l’étude et la méditation de la Parole de Dieu, le lien profond avec l’Église, et sa sensibilité aux besoins spirituels du monde, visaient en dernière analyse un but très élevé: que l’Église devienne toujours davantage comme “ le sacrement, c’est-à-dire à la fois le signe et le moyen de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain ” [8]. En d’autres termes, tout se plaçait dans la perspective que le Seigneur nous a ouverte dans la prophétie de Sophonie: “ Oui, je ferais alors aux peuples des lèvres pures pour qu’ils puissent tous invoquer le nom de Yahvé et le servir sous un même joug ” [9]. Mon souhait est que vos travaux puissent constituer une contribution précieuse à la réalisation de ce dessein divin, et c’est pour cela que j’invoque sur eux et sur vous la bénédiction du Dieu tout-puissant, notre Père.
[1] Cfr. 1Th 1,51Co 4,20
[2] Augustin Bea, Ma vie pour mes frères, Paris 1971, p.109.
[3] Ibid., pp. 179 ss.
[4] Cfr. 1Co 12,12 1Co 12,27.
[5] Augustin Bea, Ma vie pour mes frères, Paris 1971, p.211.
[6] Ibid., pp. 288 ss.
[7] Cfr. Ap 2,7.
[8] Lumen Gentium, LG 1.
[9] So 3,9.





Discours 1981 - Lundi, 23 novembre 1981