Discours 1982 - Discours aux membres du tribunal de la Rote, 28 janvier

La journée de solidarité avec la Pologne

Angélus du 31 janvier(1)



(1) Texte italien dans l'Osservatore Romano des ler-2 février. Traduction, titre et notes de la DC.


1. À l'occasion de la prière de l'Angelus, je désire aujourd'hui exprimer un salut particulier aux épiscopats qui, pendant l'année écoulée, sont venus à Rome pour visiter les « mémoires » des apôtres.

J'ai dans la pensée les épiscopats de Tanzanie et du Soudan en Afrique. Je désire saluer les Églises et aussi les nations, où ces Églises, guidées par leurs pasteurs, font pénétrer le levain évangélique de la justice et de la paix.

La Tanzanie compte 25 circonscriptions ecclésiastiques. L'archevêque du siège métropolitain de Dar es-Salam est le cardinal Laurean Rugambwa, le premier Africain élevé à la pourpre cardinalice par le Pape Jean XXIII en 1960. Les catholiques de la Tanzanie sont 3 600 000, ce qui équivaut à 21 % de la population.

Au Soudan il y a sept diocèses et les évêques rencontrent des difficultés, surtout en raison du manque de prêtres et de personnel. Dans tout le pays il n'y a qu'une cinquantaine de prêtres diocésains ; les missionnaires sont 130, et appartiennent en grande partie aux Comboniens (environ 60), auxquels j'exprime mes encouragements pour leur dévouement. Je les adresse également aux Salésiens et aux membres de la Congrégation des « Apostles of Jesus » qui travaillent dans cette chère nation.

2. Étant donné qu'en divers pays du monde, hier et aujourd'hui, on célèbre la Journée de solidarité avec la nation polonaise, je désire comme Évêque de Rome et en même temps comme fils de ma nation, exprimer ma vive reconnaissance pour tous les témoignages de cette solidarité.

Je remercie pour toute aide matérielle qui est envoyée en Pologne soit par des personnes en particulier soit par des institutions sociales et caritatives. L'épiscopat et l'Église en Pologne font tous leurs efforts afin que ces secours atteignent les plus nécessiteux.

Je remercie pour tout soutien spirituel, spécialement pour celui qui est exprimé sous forme de prière. Ceci montre bien que les problèmes qui regardent la Pologne n'ont pas seulement de l'importance pour ce pays en particulier et pour cette seule société. Le respect des droits de la nation et, dans le cadre de celle-ci, le respect des droits de l'homme comme citoyens, sont partout dans le monde la condition de la véritable justice sociale et de la paix. Parmi ces droits, au cours de ces dernières années, les droits fondamentaux des travailleurs et le droit de les défendre grâce aux syndicats autonomes, dirigés par eux-mêmes et connus sous le nom de « Solidarnosc », ont pris une importance particulière. Il s'agit d'hommes qui travaillent dans l'industrie, l'agriculture ou bien dans les différentes professions intellectuelles, ainsi se trouvent associés les droits venant du champ de la vie culturelle.

Les évêques polonais, dans leur dernière lettre, ont manifesté la pleine expression de leur sollicitude et de l'attente de toute la société, en demandant l'abolition de l'état de siège et de toutes les formes de limitation et de violation des droits civils, adoptés dans cet État (2).

Je remercie tous ceux qui, dans le monde entier, ont cette cause vraiment à coeur et dans leur conscience.

La solidarité avec la Pologne prend encore une plus grande signification éthique si l'on considère que cette nation a, dans une large mesure (on pourrait dire : excessive), porté sur ses épaules le poids de la dernière guerre et a affronté de terribles sacrifices pour la juste cause. Elle a combattu et elle a souffert pour garantir sa propre existence spécifique afin de pouvoir vivre d'une manière indépendante sur sa propre terre, qui est imprégnée du sang et de la sueur de ses fils et de ses filles.

En présentant ce problème à la conscience du monde, je ne cesse, en union avec des millions d'hommes, de le recommander à Dieu par l'intercession de Notre-Dame du Clair-Mont, Mère de ma patrie.

(2) Cf. infra, p. 227-228.





Février 1982



AUX REPRÉSENTANTS DE 12 CONFÉDÉRATIONS SYNDICALES INTERNATIONALES

Mardi, 9 février 1982


Le 9 février, le Pape a reçu en audience douze confédérations de syndicats parmi lesquelles se trouvaient des membres de la Confédération mondiale du travail et également des membres du syndicat polonais « Solidarité » qui se trouvaient en dehors de la Pologne au moment de la proclamation de l'état de siège du 13 décembre dernier. Voici le discours qu'il leur a adressé (1) :

(1) Texte français dans l'Osservatore Romano du 10 février.


Mesdames et Messieurs,
Chers amis,

1. C’est avec plaisir que j’ai voulu accueillir la demande, dès qu’elle a été portée à mon attention, d’une rencontre avec vous, responsables de plusieurs syndicats rassemblés à Rome dans le but de faire part de votre sollicitude pour la Pologne en cette heure où beaucoup de vos collègues, les travailleurs et la population entière y subissent des épreuves très graves. Votre porte-parole a exprimé les sentiments de solidarité qui vous animent à l’égard de ma patrie. Je vous en suis reconnaissant. En vous, je salue tous les travailleurs qui, unis en leurs associations libres, cherchent à offrir leur contribution, non seulement à l’établissement de dignes conditions de travail, mais aussi à la réalisation d’une société juste, en fondant leur action sur une conception du travail humain qui corresponde à la vérité sur l’homme. Votre présence ici témoigne de votre engagement en faveur de la dignité du travail humain; elle témoigne aussi de la solidarité qui vous anime envers tous les travailleurs, et spécialement les travailleurs polonais qui cherchent un sort meilleur, respectueux de l’homme et de ses droits inaliénables. Ma pensée se tourne spécialement vers ceux et celles qui, en Pologne, ont été durement frappés à la suite des mesures officielles imposées depuis presque deux mois: ceux qui ont perdu la vie, ceux qui ont été blessés, ceux qui sont arrêtés et détenus, ceux qui sont jugés et sévèrement punis, ceux qui perdent leur emploi à cause de leurs convictions. Tous et toutes sont présents à nos esprits et à nos coeurs, comme sont présents aussi ceux et celles qui, au milieu de graves difficultés, gardent l’espoir et restent fidèles à la volonté de chercher pour la Pologne la voie de la justice, des droits de l’homme, de la paix et de la vérité.

2. Vous avez fait référence à votre participation, il y a quelques mois, au premier congrès de l’association “Solidarno” à Gdansk. Parmi vous, il y a d’ailleurs quelques membres de cette association. Et vous rappeliez aussi qu’il y a un an j’ai rencontré, ici même, M. Lech Walesa et d’autres représentants du syndicat indépendant et autonome “Solidarnosc”. A cette rencontre assistait le Chef de la Délégation du Gouvernement de la République Populaire de Pologne pour les contacts permanents de travail avec le Saint-Siège. J’ai exprimé alors ma joie de savoir que, le 10 novembre 1980, le statut du Syndicat libre “Solidarno” avait été approuvé et donc que la légitimité de l’existence et des activités spécifiques de ce syndicat était reconnue. En cette heureuse occasion, qui contenait en soi tant de promesses, j’ai pu affirmer que “la création du syndicat libre est un événement d’une grande importance. Elle manifeste la prompte disponibilité-de tous les hommes du travail en Pologne – lesquels exercent différentes professions comprenant celles qui ont trait au travail intellectuel et aussi les agriculteurs – à prendre une responsabilité solidaire auprès de différentes branches d’activité si nombreuses, pour la dignité et la rentabilité du travail accompli sur notre terre natale. Elle montre en outre qu’il n’y a pas – parce qu’il ne doit pas y en avoir – de contradiction entre une telle initiative autonome sociale prise par des hommes du travail et la structure du système qui fait appel au travail humain comme à la valeur fondamentale de la vie de la société et de l’Etat” (15 janvier 1981). Il n’a échappé à personne que le syndicat libre “Solidarno” est né, à un moment très difficile pour la Pologne, d’une part comme manifestation du sens de responsabilité des travailleurs et du désir d’assumer les responsabilités spécifiques qui découlent du travail, et, d’autre part, comme expression d’une sollicitude réelle pour le bien commun de toute la société. Les espoirs momentanément délues, les difficultés et obstacles qui leur sont créés, les dures restrictions de diverses libertés imposées non seulement aux membres de “Solidarno” mais à toute la population, ne peuvent pas faire oublier que ce syndicat a acquis, et possède toujours, le caractère d’une authentique représentation des travailleurs, reconnue et confirmée par les organes du pouvoir. Il est, et il reste, un syndicat autonome et indépendant, fidèle à son inspiration initiale, refusant la violence même aujourd’hui dans la situation difficile qu’il vit, soucieux d’être une force constructive pour la nation.

3. Personne n’est mieux placé que vous, Mesdames et Messieurs, pour voir comment les problèmes de “Solidarno” aujourd’hui ne sont pas une affaire uniquement polonaise, mais, dans ses sources et dans ses effets, l’affaire du monde du travail dans son ensemble. Vous tous, et particulièrement vous qui appartenez à des syndicats d’inspiration chrétienne, vous savez comment l’Eglise a toujours proclamé le droit de libre association au nom de la dignité du travail humain.

Comme je l’ai souligné dans mon encyclique “Laborem Exercens”, “c’est en tant que personne que l’homme est sujet du travail. C’est en tant que personne qu’il travaille, qu’il accomplit diverses actions appartenant au processus du travail; et ces actions, indépendamment de leur contenu objectif, doivent toutes servir à réalisation de son humanité, à l’accomplissement de la vocation qui lui est propre en raison de son humanité même: celle d’être une personne” (LE 6). Le travail possède une valeur éthique liée au fait que celui qui l’exécute est une personne consciente et libre, un sujet qui décide de lui-même et pour soi-même. Par son travail, l’homme produit des choses, crée les moyens de production – le capital – et transforme les richesses de la nature, mais, en dernière analyse, il travaille toujours pour réaliser son humanité, pour devenir plus humain, pour être plus homme, conscient et maître de son destin. Il doit donc rester maître de son travail. Pour ce motif, l’homme a la responsabilité – et le droit – de protéger la dimension subjective du travail; il doit assurer qu’il pourra travailler “en propre”, c’est-à-dire pour soi, pour son humanité. Tel est son droit en raison de la nature même du travail, et ce droit devrait trouver une place centrale dans toute l’organisation du monde du travail, dans la sphère de la politique sociale et économique, comme parmi les objectifs poursuivis par les associations de travailleurs.

De cette vérité découle, entre autres, le droit des travailleurs de s’unir pour s’assurer qu’ils restent sujets du travail, pour sauvegarder tous les droits qui découlent du travail. L’homme au travail ne peut pas échapper à la nécessité de défendre lui-même la vraie dignité de son travail: il ne peut pas non plus être empêché d’exercer cette responsabilité. En s’unissant librement entre eux, les travailleurs assument la responsabilité, qui est la leur, de défendre non seulement leurs intérêts vitaux, mais aussi la dignité même du travail qui est liée à toutes les dimensions de la vie humaine.

Ainsi, les syndicats visent les justes droits des travailleurs selon les diverses professions tout en étant guidés également par le souci du bien commun. Dans la défense de la vérité du travail, les syndicats assument une fonction spécifique qui n’est pas politique dans le sens de la recherche du pouvoir politique dans la société, mais qui acquiert une importance sociale générale.

C’est sur la base de ces considérations que l’Eglise a revendiqué pour les travailleurs le droit de se constituer en associations indépendantes et auto-gérées, de “Rerum Novarum” (cf. n. 21), en passant par “Quadragesimo Anno” (cf. n. 11), jusqu’à ma récente lettre encyclique “Laborem Exercens” (cf. LE 20). L’enseignement de l’Eglise ne peut pas être différent, car il s’agit d’un droit inhérent au travail humain. Sa doctrine sociale se veut partout aussi consistante et aussi valable: ce qu’elle propose sur le travail humain, sur les droits de l’homme et en particulier de l’homme au travail, assume la même importance et la même valeur pour toutes les situations et pour tous les pays.

4. C’est dire toute la signification que revêtent les actes par lesquels les syndicats libres expriment leur solidarité avec les travailleurs polonais, ainsi que le geste que vous avez accompli en venant ici, en votre qualité de représentants de syndicats libres, pour exprimer votre appui au syndicat “Solidarno”. Avec vous, et avec tant d’autres, je vis moi-même la situation actuelle en Pologne comme un événement profondément triste. Avec vous, je partage la conviction que la restitution du respect effectif et total des droits des hommes du travail et spécialement de leur droit à un syndicat, déjà créé et légalisé, constitue la seule voie pour sortir de cette situation difficile. Sans ce respect des droits de l’homme, la normalisation de la vie en société, le développement de la vie économique et la sauvegarde de la culture dans toutes ses expressions restent impossibles. Oui, vraiment, le travail doit être reconnu comme la clef de la vie en société, le travail librement assumé et non imposé par la force, le travail avec sa fatigue, mais aussi avec sa capacité de rendre l’homme libre et d’en faire le vrai constructeur de la société.

Voilà, Mesdames et Messieurs, ce que votre visite aujourd’hui m’a inspiré de vous dire. Encore une fois, je vous remercie et je prie le Seigneur de bénir abondamment vos efforts, vos organisations, vos personnes et vos familles.



PÈLERINAGE APOSTOLIQUE AU NIGERIA, AU BÉNIN, AU GABON ET EN GUINÉE ÉQUATORIALE


LE VOYAGE AU NIGERIA

L'évangélisation du Nigeria


Discours au président de la République

Lagos 12 février 1982


Le Pape a terminé sa première journée au Nigeria en se rendant, après la messe célébrée au stade national de Lagos, à la résidence du président de la République nigériane à qui il a adressé le discours suivant (1):

(1) Texte anglais dans l'Osservatore Romano. Traduction, titre et sous- titres de la DC.


MONSIEUR LE PRÉSIDENT,

1. Je vous suis profondément reconnaissant des paroles bienveillantes que vous m'avez adressées et par lesquelles vous m'offrez, au nom de tous les citoyens du Nigeria, une chaleureuse bienvenue dans votre pays. Vous me permettrez d'exprimer les sentiments qui emplissent mon coeur en ce moment en citant votre propre poème : « Wakar Nigeriya » et « Merci à Dieu de m'avoir fait naître au Nigeria! » Ces paroles, que tant de vos citoyens ont récitées, sont maintenant de circonstance pour décrire le lien étroit qui m'unit à toute la nation. Comme vous, je veux remercier le Dieu tout-puissant pour m'avoir permis d'être au Nigeria aujourd'hui et pour m'avoir accordé cette visite si ardemment désirée au peuple de cette grande nation.

Je vous remercie également, monsieur le Président, pour votre bienveillante invitation. Que, ce faisant, vous ayez parlé au nom du Nigeria tout entier, on en a la preuve dans l'accueil enthousiaste que me réserve son peuple. Je voudrais vous demander, aujourd'hui encore plus qu'auparavant, de me considérer comme l'un des vôtres, car je suis vraiment venu sur cette terre comme un ami et un frère pour tous ses habitants.

2. À l'occasion de ma seconde visite en Afrique, je voudrais souligner le caractère essentiellement religieux de mon voyage, qui commence on ne peut plus opportunément par le Nigeria. Je viens pour confirmer mes frères évêques — qui m'ont aussi envoyé une cordiale invitation — dans leurs charges pastorales ; je viens pour partager avec mes frères catholiques des moments de prière et de célébration commune. Je viens pour proclamer avec d'autres frères chrétiens et avec mes frères et soeurs d'autres confessions notre foi commune dans la bonté et la miséricorde de Dieu tout-puissant. Mon message est un message de paix et d'amour, de fraternité et de foi. De foi en Dieu assurément, mais aussi de foi dans l'humanité, de confiance dans les merveilleuses possibilités de chaque homme, de chaque femme et de chaque enfant.

C'est pourquoi ma rencontre ici avec vous, monsieur le Président et messieurs les Membres du gouvernement, représente plus que l'observance d'un simple geste de courtoisie où l'on remercie ses hôtes comme ils le méritent de leur généreuse hospitalité et de la bonne volonté mise par tous les responsables à répondre aux difficiles exigences de l'organisation de cette visite. J'attache aussi une grande importance à l'occasion qui m'est offerte de dialoguer avec ceux qui détiennent le pouvoir civil sur notre souci commun de l'humanité. Dans tous les domaines propres, la communauté politique et l'Église sont autonomes et indépendantes, mais leur préoccupation commune de l'homme les conduit et les invite à collaborer pour le bien de tous.

3. Il est donc naturel que je vous exprime, à vous-même, monsieur le Président, aux membres du gouvernement et en fait à l'ensemble du peuple qui compose ce grand pays, mon estime profonde pour tout ce que le peuple nigérian a réalisé, non sans souffrance et sacrifice parfois, depuis son indépendance il y a vingt ans. J'éprouve une profonde joie en voyant comment le Nigeria, avec de nombreuses autres nations d'Afrique, a accédé à la pleine souveraineté nationale et est capable d'assumer seul son avenir, d'une manière conforme à la richesse de son propre génie, dans le respect de sa propre culture et en accord avec son propre sens de Dieu et des valeurs spirituelles. J'ai la conviction que l'Afrique tout entière, une fois qu'elle aura pu prendre en main ses propres affaires, sans être soumise à l'interférence et aux pressions de pouvoirs ou groupes extérieurs, de quelque nature qu'ils soient, non seulement étonnera le reste du monde par ses réalisations, mais sera capable de partager sa sagesse, son sens de la vie, sa piété envers Dieu, avec d'autres continents et d'autres nations, établissant ainsi, dans le respect mutuel, cet échange et cette collaboration qu'exige le véritable progrès de toute l'humanité.

Le rô1e du Nigeria en Afrique

4. Je désire donc rendre hommage à la contribution de premier plan que la nation nigériane a apportée et apporte au continent africain. Vous vous engagez avec force pour la liberté politique et le droit de tous dans le continent africain. Vous n'épargnez aucun effort pour mettre un terme à toute discrimination contre les hommes en raison de leur couleur, de leur race, de leur langue ou de leur statut social. Vous avez offert votre aide aux pays plus démunis que le vôtre et vous vous faites le champion des relations fraternelles et de la collaboration économique entre les nations africaines. On attend du Nigeria qu'il tienne la tête d'une politique magnanime dans l'accueil et l'assistance des réfugiés, en les aidant à se réinsérer par un rapatriement humain ou par des programmes destinés à améliorer leur sort. Et vous avez montré à d'autres pays comment des frères qui ont eu de graves malentendus peuvent se réconcilier. En consolidant l'unité nationale à l'intérieur de votre propre nation, vous renforcez l'unité de l'Afrique, à son tour cette activité constitue la pierre angulaire de l'engagement du Nigeria envers l'Afrique et envers le monde. En agissant collectivement au nom d'une collaboration panafricaine, vous ne contribuez pas seulement à ce que la voix de l'Afrique soit de plus en plus écoutée par l'ensemble des nations, mais vous promouvez efficacement la solidarité internationale parmi tous les peuples du monde.

La personne humaine, mesure suprême de l'action sociale et économique

5. Le Créateur a doté le Nigeria d'un riche potentiel humain et de richesses naturelles. De tels dons reçus avec une humble gratitude, sont aussi un défi permanent car les biens de ce monde sont donnés par le Créateur pour qu'ils servent au profit de tous. Les autorités publiques sont investies de l'obligation sacrée de répartir ces richesses dans le plus grand intérêt des hommes, c'est-à-dire pour l'amélioration de tous et pour l'avenir de tous. Il est de même nécessaire d'assurer la protection de la terre, de la mer, des eaux et de l'air contre la pollution et les ravages causés par le développement industriel, afin justement de protéger la dignité et la prééminence de l'homme. J'ai aussi appris, monsieur le Président, que votre gouvernement fédéral et les autorités de l'État accordaient une grande priorité au logement, à l'agriculture, a l'éducation et aux services sociaux.

Que ces splendides objectifs tournent vraiment à l'avantage d'innombrables individus et de la société dans son ensemble. J'encourage de tout coeur ceux qui ont pour mission d'assurer le bien-être de leurs frères humains, pour faire de la personne humaine le véritable critère de tous les projets de développement. Ceux-ci doivent toujours avoir un visage humain. Il ne peuvent se réduire à une simple tâche matérielle ou économique. La personne humaine doit toujours être la mesure suprême de ce qui est réalisable et la pierre de touche du succès d'un programme social ou économique. Le progrès ne peut donc être séparé de la dignité de la personne humaine ni du respect de ses droits fondamentaux. Dans la recherche du progrès, du progrès total, tout ce qui nuit à la liberté et aux droits de l'homme, de l'individu et du peuple dans son ensemble doit être rejeté. C'est pourquoi sont à rejeter des éléments tels que la corruption, le détournement des fonds publics, l'exploitation des faibles, la dureté à l'égard du pauvre et du handicapé. Participation à la vie politique du pays, liberté de religion, d'expression, d'association, protection d'un système judiciaire bien organisé, respect et promotion de tout ce qui touche au spirituel et au culturel, amour de la vérité : telles sont les composantes d'un progrès véritablement et complètement humain. Je suis sûr que les autorités et le peuple du Nigeria sont pleinement conscients de ces défis et de ces valeurs. J'ai confiance qu'ils travailleront toujours ensemble à la recherche du véritable développement social et économique du pays, lequel est étroitement lié à la question de la dignité humaine.

6. Monsieur le Président, votre pays est une terre de promesse, une terre d'espoir. Dans ses efforts pour se développer, il ne peut manquer de subir les pressions qui naissent si souvent d'exigences contradictoires et tout simplement de l'ampleur de la tâche. Parmi les problèmes auxquels se heurtent les pays en voie de développement, il y a celui d'une urbanisation disproportionnée qui risque de créer des bidonvilles, de rejeter les déshérités et les plus défavorisés en marge de la société et, à cause de leurs besoins et de leur pauvreté, de les pousser au crime et à la perte des valeurs morales. Seuls les efforts conjoints de tous les citoyens, guidés avec discernement, peuvent venir à bout de telles difficultés. Seule la maîtrise de toutes les ressources en vue du bien commun, dans le véritable respect des valeurs suprêmes de l'esprit, peut assurer la grandeur d'une nation et offrir une demeure agréable à ses habitants. La gloire du gouvernement est le bien-être, la paix et la joie des gouvernés. Telle est la vision d'espoir que je partage avec vous aujourd'hui. C'est le voeu que je formule pour vous, monsieur le Président, pour vous, respectés membres du gouvernement. C'est la prière que je formule pour chacun d'entre vous, cher peuple du Nigeria. C'est la prière que j'élève vers le Dieu tout-puissant et miséricordieux.


Discours aux prêtres et aux séminaristes

Enugu, 13 février 1982


Le 13 février, au début de l'après-midi, le Pape a rencontré les jeunes d'Onitsha puis il s'est rendu à l'hôpital de la ville. A 16 h 45, il s'est rendu en hélicoptère à Enugu où il a rencontré, au grand séminaire, les prêtres et les séminaristes. Voici le discours qu'il leur a adressé (1) :

(1) Texte anglais dans l'Osservatore Romano des 15-16 février. Traduction, titre et sous-titres de la DC.


CHERS FRÈRES PRÊTRES,
MES CHERS SÉMINARISTES,

« Que règne en vos coeurs la paix du Christ. » (Col 3,15)

Je suis particulièrement heureux de vous rencontrer aujourd'hui, prêtres et séminaristes du Nigeria. Vous êtes appelés à être les collaborateurs immédiats de vos évêques. C'est de vous, dans une large mesure, que dépend l'évangélisation de ce pays. Permettez-moi de partager avec vous quelques réflexions sur le saint ministère du sacerdoce.

1. Le prêtre est envoyé par le Christ et son Église pour proclamer l'Évangile du salut, surtout dans la célébration de l'Eucharistie. Le prêtre est ordonné pour offrir le sacrifice de la messe et pour renouveler ainsi le mystère pascal de Notre-Seigneur Jésus-Christ. En tant que ministre du Christ, le prêtre est appelé à sanctifier le peuple de Dieu par la parole et les sacrements. Il partage la sollicitude du Bon Pasteur, qui s'exprime sans cesse dans la prière pour son troupeau. En tant que prêtres, vous et moi sommes appelés à enseigner la parole de Dieu avec clarté, avec une foi ardente et dans un engagement personnel, avec orthodoxie et amour. Nous sommes appelés à rassembler le peuple de Dieu, à construire le Corps de l'Église. Conformément à la volonté du Christ, le prêtre exerce son apostolat sous la direction de l'évêque et en union avec ses frères prêtres.

Une Église dynamique

2. Votre jeune Église du Nigeria est pleine de vie et de vigueur. Avec un dynamisme apostolique, vos prêtres missionnaires ont établi de solides fondations par la prière, le zèle, la chasteté et le dévouement dans la charité. Les prêtres et les évêques du pays ont pris en main la mission et l'ont consolidée. D'ores et déjà, vous avez lancé de nombreuses initiatives pour que l'Église soit de plus en plus insérée dans votre culture. Je vous félicite de l'harmonie avec laquelle les prêtres diocésains du Nigeria, les prêtres missionnaires et les prêtres religieux nigérians travaillent ensemble pour faire avancer le royaume du Christ.

3. Je comprends bien que la plupart d'entre vous ploient sous des fardeaux très lourds. Certains de vos prêtres de paroisse ont la charge de 10000 catholiques ; d'autres en ont bien plus encore. Il peut même arriver qu'un seul prêtre doive desservir 15 postes différents. La plupart d'entre vous célèbrent deux ou trois messes chaque dimanche dans des endroits éloignés, enseignent la doctrine chrétienne et donnent le salut du Saint-Sacrement.

Vos fidèles viennent en foule demander le sacrement de la réconciliation. Avec patience et amour, vous exercez ce ministère. Je comprends qu'à certains endroits tous les prêtres de paroisses voisines unissent leurs efforts pour que ce sacrement soit accessible au plus grand nombre. C'est ce que vous faites quand vous vous rendez par groupes de dix ou vingt dans les paroisses voisines à Noël et à Pâques, périodes où les confessions sont les plus nombreuses. C'est là, mes chers frères dans le sacerdoce, une excellente manière d'accomplir la volonté du Christ de servir son peuple. Vous offrez ainsi à vos paroissiens un bon choix de confesseurs et portez un témoignage silencieux à l'unique sacerdoce du Christ et à votre solidarité fraternelle. Le Pape se réjouit de votre fidélité à ce ministère sacramentel extrêmement important, où le pouvoir de guérison et de pardon du Christ touche le coeur humain.

Les catéchistes

4. Vous accordez aussi une grande attention à la préparation des candidats aux autres sacrements et à la promotion de la catéchèse en général. Vous animez et coordonnez le travail des catéchistes, des enseignants catholiques et des professeurs de reiigion. Votre Conférence épiscopale a récemment mis l'accent sur l'importance du catéchuménat et publié des directives et des lettres pour que soient dûment administrés les sacrements de l'initiation. Loué soit Jésus- Christ qui, à travers vous-mêmes et vos catéchistes, continue d'enraciner toujours plus profondément l'Église dans la force de la parole de Dieu.

5. Je voudrais exprimer mon estime pour l'apostolat de ces prêtres qui, en collaboration avec leurs évêques, travaillent dans les centres diocésains, les centres de pastorale et de catéchèse, les grands et petits séminaires, les services sociaux, le Secrétariat catholique de Lagos, les écoles, les collèges, les universités, les moyens de communication sociale, les missions extérieures au diocèse, que ce soit au Nigeria ou à l'étranger, et toutes les tâches de ce genre. Ces prêtres servent aussi le Christ dans des domaines vitaux. L'Église a besoin de leur contribution particulière pour sa mission pastorale ; le but de toutes ces activités est d'évan- géliser, de faire connaître le Christ.

Les séminaristes

6. Dieu a pourvu en abondance le Nigeria de petits et grands séminaristes. En effet, votre « Bigard Memorial Seminary » à Enugu et à Ikot Ekpene est l'un des plus importants du monde. Vos professeurs de séminaire se sont distingués par leur zèle dans l'enseignement de la parole de Dieu et par leur travail assidu. Que le Seigneur récompense tous ceux — laïcs, religieux, prêtres et évêques — qui rendent cela possible. Qu'il bénisse la S. Congrégation pour l'Évangélisation des peuples qui vous apporte un soutien moral, financier et technique.

Le nombre élevé de vos séminaristes ne doit jamais servir d'excuse pour accepter un amoindrissement dans la qualité. Au séminaire, l'intimité avec le Christ, centrée sur l'Eucharistie et nourrie particulièrement par la prière et la méditation de la parole de Dieu, est de la plus haute importance. L'intimité avec le Christ s'exprime d'une manière authentique par le sacrifice, l'amour du prochain, la chasteté et le zèle apostolique. Elle exige de même la fidélité à l'étude et le détachement des choses de ce monde. Vos séminaristes ont besoin d'un plus grand nombre de directeurs spirituels.

Un prêtre nommé à cette fonction dans un séminaire doit se réjouir d'une telle affectation. Il doit s'efforcer par la parole et l'exemple, d'offrir aux séminaristes l'idéal le plus élevé du sacerdoce. Quel plus grand privilège que d'aider les jeunes à accéder à une plus grande connaissance et à un plus grand amour de Jésus-Christ, le Bon Pasteur? Quant aux séminaristes qui manifestement sont inaptes à l'ordination, il faut leur conseiller, avec fermeté et charité, de suivre une autre voie.

En union avec le Christ

7. Aucun prêtre ne peut exercer son ministère s'il ne vit pas en union avec le Christ. Sa vie, comme celle du Christ, doit être marquée par le sacrifice de soi, le zèle du Royaume de Dieu, une chasteté sans tâche, une charité sans limite. Tout cela n'est possible que si le prêtre est un homme de prière et de piété eucharistique. Récitant la liturgie des Heures, en union avec l'Église, il trouvera force et joie pour son apostolat. Dans la prière silencieuse devant le Saint-Sacrement, il se renouvellera sans cesse dans sa consécration à Jésus- Christ et se confirmera dans son engagement permanent pour le sacerdoce et le célibat. En invoquant Marie, Mère de Jésus, le prêtre sera soutenu dans son service généreux pour tous les frères et soeurs du Chnst qui sont dans le monde. Oui, le prêtre ne doit pas permettre que les nécessités passagères de l'action apostolique empiètent sur sa vie de prière ou la dévorent. Il ne doit pas être absorbé par le travail qu'il fait pour Dieu au point de risquer d'oublier Dieu lui-même. Il doit se rappeler que Notre-Seigneur nous a averti que sans lui nous ne pouvions rien faire. Sans lui, nous pouvons pêcher toute la nuit et pourtant ne rien prendre.

La collaboration avec les autres prêtres

8. Aucun prêtre ne peut travailler tout seul. Il travaille avec ses frères prêtres et sous la direction de l'évêque, qui est son père, son frère, son collaborateur et son ami. Le prêtre authentique maintiendra l'amour et l'unité du presbyterium. Il respectera son évêque et lui obéira, comme il l'a solennellement promis le jour de son ordination. Le presbyterium de l'évêque, avec tous ses prêtres, diocésains et religieux, doit être comme une famille, une équipe apostolique marquée par la joie, la compréhension mutuelle et l'amour fraternel. Le presbyterium existe de manière que, par le sacrifice renouvelé du Christ, le mystère de l'amour du Christ sauveur puisse pénétrer dans la vie du Peuple de Dieu. Les prêtres ne doivent pas oublier d'aider leurs frères prêtres qui sont en difficulté : morale, spirituelle, financière ou d'un autre ordre. Et que les prêtres vieux et malades trouvent dans la chaleur de votre charité fraternelle, soulagement et soutien.

Les tentations

9. Aucun état de vie n'est à l'abri des tentations, et vous essayerez d'identifier celles qui sont les vôtres. Avec la grâce de Dieu et des efforts persévérants, vous devez essayer de résister, à toutes les tentations qui peuvent se présenter sur votre chemin : qu'il s'agisse du relâchement dans la dispersion, de la paresse, de l'instabilité, de l'indisponibilité, de l'excès de voyages ou de la discipline de l'énergie apostolique. Soutenus par la grâce, vous repousserez les tentations contre le célibat par le moyen de la vigilance, de la prière et de la mortification. Vous refuserez de céder à l'attrait des choses matérielles et refuserez de trouver votre plaisir dans l'argent, les grosses voitures et une position sociale élevée. La politique des partis n'est pas de votre domaine. C'est celui qui revient à l'apostolat des laïcs. Vous êtes plutôt les aumôniers des laïcs qui, dans les questions d'ordre politique, doivent assumer leur rôle propre. (Cf. Gaudium et spes, GS 43 Gaudium et spes, ) Pour vous fortifier contre la tentation, le sacrement de pénitence revêt une grande importance pour tout prêtre. C'est là que, pour notre vie, les ministres de la réconciliation que nous sommes trouvent la guérison et le soutien actif du Christ, son amour indulgent et miséricordieux.

Les études

10. Les Nigérians aiment l'étude et c'est là une bonne chose. On a besoin de prêtres instruits pour répondre aux besoins de l'Église et de la société. Tout prêtre doit continuer à progresser par l'étude personnelle de la théologie, de la catéchèse et des autres sciences sacrées. Efforcez-vous sans cesse de trouver du temps pour faire de telles études. Après l'ordination, en ce qui concerne la fréquentation des Universités ou autres Instituts d'enseignement supérieur, au Nigeria même ou à l'étranger, il s'agit là d'une affectation qui ne concerne qu'un certain nombre de prêtres, en fonction des besoins et des orientations du diocèse, et qui dépend en dernier lieu de la responsabilité des évêques. Ne faites rien sans votre évêque et, surtout, ne faites rien contre lui, particulièrement à ce sujet. Les prêtres qui se sont déjà placés dans une telle situation irrégulière peuvent maintenant revenir en arrière et retrouver la paix de leur conscience. De même, vous résisterez à la tentation de trouver une fonction, quelle qu'elle soit, sans ou contre l'assentiment de votre évêque. Nous partageons tous le sacerdoce du Christ. Préservons son unité et son amour. L'évangélisation de tous les secteurs

1l. Le prêtre doit être le levain de la communauté nigériane. Dans un pays où beaucoup sont obsédés par l'appât de l'argent, le prêtre, par la parole et l'exemple, doit attirer l'attention sur des valeurs plus élevées. L'homme ne vit pas seulement de pain. Le prêtre doit s'identifier au pauvre, de manière à lui apporter l'Évangile libérateur du Christ. Rappelez-vous que Jésus a appliqué ces paroles à sa propre vie : « L'Esprit du Seigneur est sur moi parce qu'il m'a conféré l'onction pour annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres. » (Lc 4,18)

Puisque « l'évangélisation ne serait pas complète si elle ne tenait pas compte des rapports concrets et permanents qui existent entre l'Évangile et la vie, personnelle et sociale, de l'homme » (Evangeli nuntiandi, 29), le prêtre se préoccupera au plus haut point d'apporter la lumière de l'Évangile et la force de la parole de Dieu, dans les multiples problèmes de la vie de la famille, des droits et des devoirs fondamentaux de l'homme, de la justice et de la paix, du développement et de la libération, de la culture et de la science. Il s'efforcera de rendre le Christ et l'Église présents dans les domaines des arts et des sciences, de la culture et des professions libérales. Je me réjouis tout particulièrement de l'inauguration par les évêques du Nigeria, du Ghana, de la Sierra Leone, du Liberia et de la Gambie, de l'Institut catholique d'Afrique occidentale à Port Harcourt, consacré aux études ecclésisastiques supérieures.

Les prêtres qui travaillent dans les moyens de communications sociales ont la chance extraordinaire de partager le Christ avec les autres, comme le font les directeurs spirituels des religieux et des laïcs, les aumôniers de tous les mouvements d'apostolat des laïcs et les prêtres qui recrutent des vocations au sacerdoce et à la vie religieuse. « Tout ce que vous pouvez dire ou faire, faites-le au nom du Seigneur Jésus, en rendant grâce par lui à Dieu le Père. » (Col 3,17)

Chers prêtres et futurs prêtres du Nigeria, en tant qu'évêque de Rome et votre frère prêtre, je vous bénis de tout coeur. J'embrasse chacun d'entre vous avec une profonde affection dans le Christ Jésus — votre unique Maître et votre ami le plus intime —, qui a aimé chacun d'entre vous d'un amour éternel. Je vous confie tous à Marie, la mère de Jésus, lui qui est notre suprême grand prêtre.



Discours 1982 - Discours aux membres du tribunal de la Rote, 28 janvier