Discours 1982 - Angélus du 7 mars (2)

Angélus du 7 mars (2)


Il y a aussi une autre intention que je voudrais confier à vos prières, en m'adressant, dans une pensée de sympathie et de sollicitude, au cher peuple du Guatemala, si gravement éprouvé par des tensions croissantes et une lutte fratricide qui étouffe ses aspirations justes et légitimes à une vie civile pacifique et à un progrès dans l'ordre.

À plusieurs reprises, les évêques ont exprimé leur profonde inquiétude devant l'insécurité qui désole la vie de la nation, en élevant la voix contre les injustices sociales et les violences qui n'ont même pas épargné l'Église, avec l'assassinat ou la séquestration de prêtres, de religieux ou de religieuses.

« L'Église, ont déclaré récemment ses pasteurs, est en mesure de demander avec véhémence, au nom de Dieu, que cet horrible cauchemar de mort et de destruction prenne fin. [.] Et c'est aussi pourquoi l'Église conserve une attitude de dialogue franc et sincère, à la recherche de la paix, de la concorde et de l'union de tous les Guatémaltèques. [.] Les idées, en effet, ne s'imposent ni ne se vainquent par les armes, mais avec des idées et des concepts supérieurs, et la seule force qui détruise l'erreur est la vérité, de même que la seule force qui détruise la haine est l'amour (3).»

Nous prions pour que cette invitation chrétienne soit accueillie de tous nos frères du Guatemala et que le Seigneur accorde bien vite à ce pays en proie à la tourmente une paix stable et sûre, dans la liberté et la justice, pour le bien de tous.


(2) Texte italien dans l'Osservatore Romano des 8-9 mars. Traduction de la DC.
(3) « Messages de la Conférence épiscopale du Guatemala », DC, 1982, n° 1827, p. 369-370.




AUX PARTICIPANTS À L'ASSEMBLÉE INTERNATIONALE DU TIERS ORDRE RÉGULIER DE SAINT FRANÇOIS

Lundi, 8 mars 1982




Chères Filles et chers Fils!

1. Je remercie Soeur Elisabeth Delor, Présidente de votre Assemblée, pour ses paroles pleines d’émotion et de simplicité franciscaine. Et je suis heureux de vous saluer tous, Supérieures générales et Supérieurs généraux de près de deux cents Congrégations franciscaines; de saluer aussi celles et ceux qui vous accompagnent et vous assistent dans vos travaux. Un salut plus particulièrement chaleureux va évidemment aux deux Supérieures générales de Pologne, qui ont réussi à se joindre à vous en surmontant bien des difficultés.

Après vos deux rencontres de ces dernières années à Assise, vous avez voulu tenir la présente Assemblée à Rome, afin de souligner que, comme votre Père saint François, vous professez a fidélité et soumission à la sainte Mère l’Eglise et au Seigneur Pape”. Cette attitude est d’autant plus significative que votre objectif est de renouveler la Règle des Instituts du Tiers Ordre Régulier de saint François, conformément aux orientations du Concile Vatican II, et d’en soumettre le projet à l’approbation du Siège apostolique.

Pour rédiger ce projet de Règle, vous avez recours aux paroles mêmes de saint François; mais cette fidélité matérielle n’est que le signe et l’expression d’un retour aux sources vives du charisme franciscain, tel qu’il se manifeste dans la vie de saint François et de ses premiers frères, dans celle de nombreux saints et saintes du mouvement franciscain à travers les siècles, et tout particulièrement dans ceux et celles de la branche multiforme du Tiers Ordre Régulier. Les sources vives de votre charisme, c’est encore la vie intense de prière et de contemplation et la vigueur apostolique de vos Congrégations, avec le souci renouvelé d’une conversion évangélique permanente. La source vive est surtout l’action de l’Esprit Saint dans vos fraternités, action dont saint François vous a dit qu’il faut la désirer pardessus tout le reste (Cfr. Reg. B., 11, 8) et dont je me plais à voir un signe de votre assemblée même.

2. Car vous êtes venus de tous les continents; vous représentez une trentaine de pays, souvent différents par leur culture et leur mode de vie. En outre, vos Congrégations elles-mêmes se différencient profondément entre elles. Seul l’Esprit Saint, qui est Communion, est capable d’assurer votre unité à travers une telle diversité. Par là se trouve manifesté en même temps le caractère universel - et donc ecclésial - du charisme franciscain. Il est universel tout simplement parce qu’il s’enracine profondément dans l’Evangile et dans l’Eglise. C’est pourquoi il est tellement riche qu’il ne peut s’exprimer totalement qu’à travers plusieurs Ordres, Congrégations et Organisations. Dans ce vaste concert aux harmonies multiples, le Tiers Ordre Régulier, avec ses nombreux instituts, occupe une place de choix, à côté des branches du Premier Ordre, des Soeurs Clarisses et de l’Ordre Séculier de saint François.

Enfin, ce n’est pas par hasard que vous tenez ensemble cette assemblée importante - sans doute la première de ce genre dans toute l’histoire du mouvement franciscain - au cours du huitième centenaire de la naissance de saint François. Vous avez voulu signifier par là que ce centenaire n’est pas simplement l’occasion de fêter un glorieux passé, mais surtout celle de poser les jalons pour un nouvel élan et un nouveau progrès de vos Instituts.

C’est dans cet esprit que je voudrais vous adresser maintenant quelques paroles pour mieux assurer votre marche vers le renouveau tel qu’il a été voulu par le Concile Vatican II.

3. En avril mil deux cent vingt-six, François était à Sienne, où il se faisait soigner pour une grave maladie. Son état empira au point que les frères craignirent de le perdre. Alors François leur dicta brièvement sa dernière volonté: “Ecris comme je bénis tous mes frères, ceux qui sont dans notre religion et ceux qui y viendront jusqu’à la fin du siècle. - Puisque, à cause de la faiblesse et des douleurs de la maladie, je ne suis pas capable de parler, je fais connaître brièvement ma volonté à mes frères en ces trois mots, c’est-à-dire: qu’en signe et souvenir de ma bénédiction et de mon testament ils s’aiment toujours mutuellement; qu’ils aiment et observent toujours notre Dame la sainte Pauvreté; et qu’ils se montrent toujours fidèles et soumis aux prélats et à tous les clercs de la sainte Mère l’Eglise”.

Voilà donc les trois recommandations que vous a faites votre Père au moment où il se voyait proche de la mort. Méditons-les brièvement ensemble.

4. “Qu’ils s’aiment toujours d’un amour mutuel”. - Devant la perspective de sa mort prochaine, saint François a certainement médité tout ce que Jésus a dit et fait au cours des dernières heures qu’il vécut sur terre. Depuis des années il s’était conformé au Christ dans sa vie; il voulait lui devenir conforme jusque dans la mort. On peut donc penser que cette consigne est comme l’écho des paroles du Seigneur à ses disciples dans son discours d’adieu: “Je vous donne un commandement nouveau: c’est de vous aimer les uns les autres comme je vous ai aimés” (Jn 13,34). Que vous vous aimiez comme des frères et des soeurs, telle est bien la volonté de votre Père saint François, mais il faut ajouter que François n’avait plus d’autre volonté que celle de Jésus.

Filles et Fils très chers, vous avez certainement senti l’importance de cet amour mutuel pour votre Assemblée. Je vous disais à l’instant que seul l’Esprit Saint peut maintenir l’unité. J’ajoute maintenant que le ciment fondamental de cette unité est l’amour fraternel. Vous ne pouvez pas vous borner à former un groupe d’études et de recherches. Vous êtes d’abord des frères et des soeurs qui se rencontrent pour s’aimer d’un amour mutuel dans le Christ.

Notez que tel est aussi votre premier apostolat: vivre au milieu des hommes une vie évangélique dans l’amour fraternel. Puissent les hommes de notre temps, en vous voyant, retrouver l’admiration qu’on avait pour les premiers chrétiens: “Voyez comme ils s’aiment!”. Alors vous deviendrez, dans notre monde déchiré, des prophètes efficaces de son unité par la communion fraternelle.

5. La deuxième consigne que saint François vous a laissée est de “toujours aimer et observer notre Dame la sainte Pauvreté”. S’il appelle ici la pauvreté une “dame” (domina) et la proclame “sainte”, n’est-ce pas parce qu’il voit en elle l’Epouse du très “Saint Seigneur” (Dominus) Jésus-Christ? Elle fut sa compagne fidèle depuis sa naissance dans la crêche jusqu’à sa mort sur la croix. Et cela suffìt certainement pour que François ait aimé la pauvreté d’un amour éperdu.

Mais il y a plus. Si Jésus a épousé Dame Pauvreté, c’est à cause de nous: “Propter vos egenus factus est” écrivait saint Paul aux Corinthiens (2Co 8,9); c’est à cause de nous qu’Il s’est fait pauvre! Seule la pauvreté totale lui a permis de supprimer les barrières qui nous séparaient de Lui et de devenir notre Frère aîné, pour ainsi dire sur pied d’égalité. La pauvreté de Jésus, qui s’anéantit lui-même et prend forme d’esclave (Cfr. Ph 2,7), est la mesure de son amour pour nous.

Si donc vous voulez suivre le Christ à la manière de saint François, il vous faut entrer dans cette exigence radicale de l’amour qui se dépouille de tout pour être entièrement accessible au frère le plus humble et le plus lointain. Seule la totale pauvreté peut disposer votre coeur à aimer Dieu et à aimer les hommes vos frères d’un amour semblable à celui de Jésus. Et réciproquement, seul le désir profond d’aimer Dieu et les hommes peut conduire à la pauvreté du coeur. La conversion à l’amour et la conversion à la pauvreté vont de pair.

Vivez votre pauvreté dans cette perspective de l’amour et vous la vivrez aussi dans la joie! Car elle vous empêchera de faire de vos fraternités des communautés repliées sur elles-mêmes; elle les ouvrira au contraire pour en rayonner la chaleur au-delà d’elles-mêmes.

6. Enfin saint François vous recommande de vous montrer toujours “fidèles et soumis aux prélats et à tous les clercs de la sainte Mère l’Eglise”. Sur ce point, comme sur tous les autres, votre Père a prêché d’exemple beaucoup plus que de parole. Il est resté sa vie entière en relations filiales et confiantes avec l’évêque d’Assise; il a toujours soumis ses projets à l’approbation du Saint-Siège; il a voulu avoir un Cardinal, chargé plus spécialement par le Pape de protéger et de corriger les frères; il révérait tout prêtre à cause du Corps et du Sang du Seigneur dont il est le ministre (Cfr. Testamentum S. Francisci).

Mais la réciproque est très vraie aussi. L’Eglise a été fidèle à François et au mouvement franciscain. C’est elle qui a contribué à lui donner le rayonnement qu’il a eu et a encore aujourd’hui dans le monde.

Etre fidèles aux prélats et aux clercs - c’est-à-dire aux évêques et aux prêtres - cela signifie d’abord leur être proches par le coeur dans les responsabilités qu’ils portent dans l’Eglise; les soutenir par votre prière et demeurer en communion avec eux dans la foi qu’ils ont le devoir de vous transmettre.

Etre fidèles et soumis, cela signifie aussi que vous devez mettre en oeuvre votre ingéniosité et votre créativité pour faire passer dans le concret de la vie les grandes orientations données par le Concile, par le Pape et par les évêques. L’obéissance qui vous est demandée est active et responsable (Cfr. Admon. 3). Engagez donc généreusement vos forces au service de l’Eglise locale et de l’Eglise universelle. Ne laissez pas vos Pasteurs seuls. Participez à leur apostolat selon votre charisme, comme d’ailleurs les disciples de saint François l’ont si bien fait, proches du peuple des villages et des villes et adaptés à lui. Le chantier de l’évangélisation est immense, dans les pays de vieille chrétienté, parfois déchristianisés, dans les jeunes Eglises et dans les territoires de mission!

Chères Filles et chers Fils, j’espère que ces quelques réflexions, inspirées par le Testament de Sienne, vous stimuleront et vous aideront à parachever votre projet de Règle renouvelée pour tous les Instituts du Tiers Ordre Régulier. Depuis plusieurs années vous avez étudié et médité les écrits de saint François, des maîtres spirituels franciscains, et l’histoire si variée du mouvement franciscain. Vous vous sentez désormais capables de ressaisir tout cet ensemble dans un texte, court sans doute, mais dynamique et profondément inspirateur pour vos formes de vie. Quand le moment sera venu de soumettre ce projet à l’examen et à l’approbation du Siège apostolique, soyez certains que c’est avec joie que j’accueillerai le fruit de tant de travaux.

Continuez donc ces travaux dans la joie et dans la paix, si chères à saint François. Soyez convaincus que l’Esprit Saint et l’Eglise attendent de vous ce témoignage d’une fidélité vivante au charisme et au message du Poverello d’Assise. Comme saint François, je vous bénis de tout coeur!



La pastorale universitaire à Rome

Message du Pape aux participants de la réunion de travail


Le lundi 8 mars, Jean-Paul II a participé à la rencontre traditionnelle avec le clergé romain, qui portait cette année sur la pastorale en milieu universitaire, et regroupait, avec les prêtres de Rome, des enseignants et des représentants des mouvements engagés dans la pastorale des étudiants. Après le rapport d'introduction du vice-gérant, Mgr Canestri, la rencontre s'est poursuivie par des interventions illustrant les divers aspects et les perspectives de la présence chrétienne à l'Université Le Pape n'a pas prononcé le message ci-après qu'il avait préparé, mais a adressé aux participants une allocution à l'issue des travaux. Nous la publions à la suite de ce premier document (1) :


(1) Texte italien dans l'Osservatore Romano du 10 mars 1982. Traduction, titre et sous-titres de la DC.


CHERS AMIS,

1. Comme les années précédentes, ce début de Carême me fournit l'agréable occasion d'une rencontre spéciale avec vous, vénérés frères dans le sacerdoce, pour obéir à une aimable tradition, à laquelle j'attribue une importance toute particulière. Il m'est en effet donné de vivre, en cette circonstance, une expérience significative de communion avec ceux qui collaborent de plus près avec moi dans l'accomplissement des tâches pastorales inhérentes à mon ministère d'évêque de cette Église de Rome si aimée.

Je salue donc avec une vive affection le cardinal vicaire, Mgr le vice-gérant et les évêques auxiliaires, préposés aux divers secteurs pastoraux du diocèse. Je salue les curés, qui ont la responsabilité des communautés entre lesquelles se répartit la population diocésaine et, avec eux, les prêtres qui exercent leur ministère dans les structures de la paroisse, cellule fondamentale de la vie chrétienne dans le cadre de la vie sociale actuelle. Et je salue enfin les religieux des diverses familles auxquels le diocèse doit tant, non seulement pour le travail qu'ils fournissent dans des domaines spécifiques, comme ceux de l'école, de l'assistance des pauvres, du soin des malades, etc., mais aussi pour l'élan qu'ils impriment à l'engagement commun de cohérence chrétienne, par leur généreux témoignage de prière, d'austérité, de détachement, auquel les lie la profession des Conseils évangéliques.

En rendant grâce au Seigneur pour la joie de votre présence, vénérés frères, je voudrais exprimer à tous ma reconnaissance pour la générosité avec laquelle vous menez à bien vos tâches respectives, « en servant le Seigneur en toute humilité » (Ac 20,19), et parfois aussi, comme l'apôtre Paul « dans les larmes et les épreuves » (ibid.). Que Dieu tout-puissant récompense votre dévouement et procure des fruits abondants à vos travaux apostoliques.

Le lien profond entre l'Église et l'Université

2. Nous avons écouté ensemble les intéressants rapports sur le problème pastoral qui sollicite cette année notre attention : c'est le problème de la pastorale en monde universitaire. Problème important et urgent en raison de l'ampleur du secteur humain que ce monde embrasse (Rome compte plus de 148 000 étudiants inscrits aux diverses facultés des différents centres universitaires), ou en raison des exigences spécifiques des personnes qui en font partie. Il s'agit d'une sorte de ville dans la ville, délimitée en quelque sorte par des frontières objectives d'intérêts, d'activités, de culture, de vie.

Les rapporteurs se sont efforcés, à juste titre, de souligner les grandes lignes qui devraient orienter l'engagement pastoral du diocèse, dans le but d'apporter une réponse appropriée aux attentes du monde universitaire. Ce sont là des suggestions qui méritent un examen attentif, et j'ai l'intention d'y revenir dans la deuxième partie de mon intervention.

Je voudrais, pour commencer, m'étendre quelque peu sur les raisons de fond qui justifient un engagement pastoral spécifiquement tourné vers le monde universitaire, envisagé surtout par rapport à sa partie la plus nombreuse numériquement, à savoir les étudiants. Mais je ne voudrais pas pour cela oublier l'existence, les exigences et les problèmes du « corps enseignant », qui partage assurément les soucis communs du monde universitaire, même si ces soucis peuvent concerner les jeunes au premier chef.

En passant, il m'est agréable de relever le lien profond qui subsiste entre l'Église et l'Université. Nul n'ignore que l'Église peut à bon droit affirmer qu'elle est, en un certain sens, à l'origine de cette institution : les noms de Bologne, de Padoue, de Prague, de Cracovie et de Paris le montrent assez. Une telle origine ecclésiale de l'Université ne saurait être le fait du hasard. Elle semble, au contraire, exprimer quelque chose de très profond. Mais pourquoi l'Église a-t- elle besoin de l'Université ? Et, de son côté, pourquoi l'Université a-t-elle besoin de l'Église ? Ce sont là des questions qui se présentent tout aussitôt à notre esprit.

Pourquoi l'Église a-t-elle besoin de l'Université ? Les raisons d'un tel besoin semblent devoir être recherchées dans la mission même de l'Église. La foi que l'Église annonce, en effet, est une « fides quaerens intellectum »: une foi qui exige de pénétrer dans l'intelligence de l'homme, d'être pensée par l'intelligence de l'homme. Non pas en se juxtaposant à tout ce que l'intelligence peut connaître grâce à la lumière naturelle, mais en imprégnant du dedans cette connaissance elle-même. C'est pourquoi, à la suite de mon prédécesseur Paul VI — surtout dans l'Exhortation apostolique Evangelii nuntiandi — j'ai, moi aussi, en diverses occasions, insisté sur l'exigence, pour la foi, de devenir culture.

Or, un des lieux privilégiés où cette rencontre doit se produire, est l'Université. Celle-ci, en effet, depuis ses origines et institutionnellement, vise à atteindre une connaissance scientifique de la vérité, de toute la vérité. Elle constitue l'un des instruments fondamentaux que l'homme a voulu pour répondre à son besoin essentiel de la connaissance.

L'homme est créé pour cela. Dans la Divine Comédie, Dante l'a bien souligné : « Regardez donc votre semence : vous ne fûtes pas créés pour vivre comme des bêtes, mais pour suivre vertu et connaissance. » (Inf. XXVI.)

Il en découle que l'absence de l'Église dans le monde de l'Université constitue un très grave dommage pour le destin de la religion dans le monde contemporain. Cette absence provoque un divorce pernicieux entre la foi et la culture. C'est à ce danger qu'on s'est efforcé de remédier par le moyen des Universités catholiques, dont la finalité spécifique est précisément d' « effectuer une présence pour ainsi dire publique, constante et universelle de la pensée chrétienne dans tout l'effort intellectuel vers la plus haute culture ». (Gravissimum educationis, GE 10)

Mais indépendamment du fait que, pour diverses raisons, ces institutions aussi nécessaires que méritantes ne peuvent atteindre l'ensemble du monde universitaire, il n'en reste pas moins que, partout où s'élabore une connaissance scientifique de la vérité, l'Église se doit d'être présente afin que son évangélisation ne reste étrangère à aucune élaboration culturelle.

Il ne s'agit pas, comme certains pourraient l'interpréter à tort, d'une volonté de domination. Il s'agit au contraire de la volonté de l'Église d'être fidèle à sa mission, qui est de servir l'homme. Ce que l'Église demande, c'est de pouvoir aider l'Université à atteindre entièrement sa propre finalité : le développement d'une culture, par le moyen de laquelle l'homme puisse accéder toujours plus profondément à l'entière mesure de son humanité.

L'Université a besoin de l'Église

3. Pourquoi, de son côté, l'Université, elle aussi, a-t-elle besoin de l'Église ?

Comme je l'ai déjà dit, l'objectif premier de l'institution universitaire est la recherche passionnée et désintéressée de la vérité. C'est celle-ci, en effet, qui, rendant libre la personne, la rend « humaine », sous l'unique forme appropriée à sa dignité, à sa précieuse valeur. Comment, dès lors, ne pas attirer l'attention avant tout sur la recherche de la vérité concernant l'homme, qui est au coeur du travail universitaire ?

Mais, comme le faisait remarquer à juste titre le Concile Vatican II, la situation dans laquelle se trouve aujourd'hui la recherche scientifique est telle que, « tandis que s'accroissent la masse et la diversité des éléments culturels, dans le même temps s'amenuise la faculté pour chaque homme de les percevoir et de les harmoniser entre eux, si bien que l'image de l'« homme universel » s'évanouit de plus en plus » (Gaudium et spes, GS 61).

De même, c'est encore une constatation du Concile, « le progrès actuel des sciences et des techniques qui, en vertu de leur méthode, ne saurait parvenir jusqu'aux profondeurs de la réalité, peut avantager un certain agnosticisme et un certain phénoménisme, lorsque les méthodes de recherche propres à ces disciplines sont prises, à tort, comme règle suprême pour la découverte de toute vérité (ibid.). Il y a donc là un risque d'obscurcissement de la connaissance sur l'homme, voire d'erreurs, dès lors qu'il est clair que la vérité sur l'homme transcende toute tentative de réduire cette vérité à un aspect particulier quelconque. Il y a même le risque que la personne humaine ne soit plus en mesure d'accéder à une vie sapien- tielle, véritable et ultime objectif de la recherche de la vérité propre à l'institution universitaire. Un chercheur vraiment complet ne peut faire abstraction, ni dans ses recherches ni dans les applications pratiques des recherches, de la dimension spirituelle et morale de l'homme et des valeurs qui en découlent. La personne humaine possède en elle-même une signification ultime, dont dépendent à la fois la valeur de l'existence personnelle et la vie dans la société.

La raison profonde pour laquelle on peut dire que l'Université a besoin de l'Église ne découle-t-elle pas précisément de ces considérations ? L'Église est en fait le témoin de cette vérité, de cette signification ultime de l'homme, parce c'est elle qui doit annoncer le Christ, dans le mystère duquel se dévoile complètement le mystère de toute personne humaine et de toute réalité. L'absence de l'Église dans l'Université peut empêcher celle-ci d'atteindre sa fin fondamentale : la connaissance de la vérité dans son entière dimension. Si donc on n'établit pas toujours plus profondément un lien entre l'Église et l'Université, c'est la personne humaine elle-même qui en fait les frais : ni la foi n'engendrera une culture, ni la culture ne sera pleinement humanisante. Au sein de la civilisation on ne reconstruira pas cette alliance avec la sagesse créatrice et rédemptrice, dont on constate aujourd'hui — consciemment ou non — un besoin urgent. On ne cheminera pas vers une civilisation de la Sagesse et de l'Amour.

L'Église a une parole spécifique à dire à l'Université

4. Il y a encore une deuxième raison, non moins importante, pour que nous nous engagions dans la reconstitution d'un rapport profond entre l'Église et l'Université.

L'Université a une finalité éducative ; en général c'est même à l'Université que le jeune vit le moment culminant de son éducation, non seulement chronologiquement, mais même dans l'ordre de l'importance. À coup sûr, l'Université joue son rôle pédagogique en guidant l'étudiant vers l'acquisition d'un savoir rigoureux qui lui permette, plus tard, d'exercer comme il convient sa profession dans la société. Tout étudiant a le droit de demander à l'Université cette rigoureuse et complète formation scientifique : toute forme de laxisme à cet égard, non seulement porte tort au jeune, mais lèse gravement la société.

La tâche éducative de l'institution universitaire ne peut, toutefois, se limiter à cet aspect, pour ainsi dire « intellectualiste » de la formation ; elle doit s'étendre aux graves problèmes posés par la sphère éthique du jeune qui est en marche vers sa pleine maturité humaine. Une telle maturité suppose l'intégration harmonieuse des diverses énergies intérieures dont est riche la nature humaine (volonté, affectivité, instincts, etc), dans un équilibre supérieur qui couronne le moi personnel. L'entreprise n'est pas aisée, car « c'est en l'homme lui-même que de nombreux éléments se combattent. Sollicité de tant de façons, il est sans cesse contraint de choisir et de renoncer. Pire : faible et pécheur, il accomplit souvent ce qu'il ne veut pas et n'accomplit pas ce qu'il voudrait (Rm 7,14 et s.). En somme, c'est en lui-même qu'il souffre division et c'est de là que naissent au sein de la société tant et de si grandes divisions et discordes. » (Gaudium et spes, GS 10)

Or, c'est précisément dans le cadre de cette tâche d'éducation unitaire et intégrale de la personne que l'Église peut dire sa parole spécifique et apporter une contribution irremplaçable. En elle, en effet, est présent le Christ, mort et ressuscité pour tous, qui « offre à l'homme, par son Esprit, lumière et force pour lui permettre de répondre à sa très haute vocation ». (Ibid. GS 10)

En particulier, l'action de l'Église, en suscitant chez le jeune la capacité nécessaire et appropriée de discernement, l'encourage à éviter le danger de faire passivement confiance aux « recettes toutes faites », fournies par les idéologies qui le séduisent, et le pousse au contraire à s'engager dans la réflexion personnelle sur les problèmes fondamentaux, pour pouvoir ainsi mûrir des choix responsables et constructifs.

Telle est aujourd'hui l'indispensable exigence d'une présence éducative de l'Église dans le monde universitaire : conduire l'intelligence vers le vrai, afin qu'elle ne succombe pas à la maladie mortelle du relativisme ; conduire la volonté vers le bien, en la soustrayant aux suggestions d'une vision libertaire, vide et débouchant sur le néant ; convertir l'homme tout entier à l'objectivité des valeurs, contre toute forme de subjectivisme, ce qui, malgré les apparences, est tout différent de l'affirmation de la dignité de l'homme : « Non pertinet ad perfectionem intellectus mei quid tu velis vel quid tu intelligas congnoscere, sed solum quid rei veritas ha- beat », écrivait le maître éminent de l'Université qu'était saint Thomas d'Aquin (De coelo I, 107, 2).

Un effort plus décidé en faveur de la pastorale universitaire

5. Bien que l'Université soit par définition universelle, cela n'exclut pas qu'elle soit profondément insérée dans la nation et la cité où elle se trouve. Toute la réflexion qui précède doit servir de fondement à l'action visant à rétablir un rapport plus profond entre l'université de cette ville et l'Église de Rome.

Je suis conscient des difficultés que rencontre la pastorale universitaire dans une ville comme la nôtre : le grand nombre d'étudiants, leur va-et-vient, l'insuffisance des structures d'accueil, la désorientation des étudiants au sein de la mégalopole, l'indifférence religieuse du milieu, l'émergence d'une culture laïciste, telles sont quelques-unes des « voix » à partir desquelles on peut se faire une idée de la complexité des problèmes.

Mais c'est précisément de l'examen de ces « voix » que doit également jaillir une plus vive conscience de l'urgence avec laquelle il est nécessaire de faire face à cet aspect de la pastorale. Je sais qu'il existe déjà de nombreuses personnes, ecclésiastiques et laïcs, qui se consacrent avec un généreux dévouement à ce secteur de la vie de l'Église. En leur exprimant ma sincère estime, je voudrais lancer une chaleureuse invitation aux autres membres de la communauté diocésaine et en particulier au clergé, afin que, grâce à l'apport de tous, un effort plus décidé se réalise dans cette direction.

Unir les efforts

6. C'est à un engagement pastoral concret que se réfèrent les propositions présentées dans la première phase de cette rencontre. Laissant aux bureaux compétents du Vicariat le soin d'en évaluer les divers aspects, dans le but d'élaborer un plan organique d'action, je voudrais exposer ici quelques critères pratiques et d'orientation, dont il semble nécessaire de s'inspirer dans la prévision des choix d'action en cette matière.

Je note avant tout que la pastorale universitaire, en tant que telle, déborde le cadre de l'habituelle pastorale paroissiale, même si elle se rencontre avec celle-ci sur certains points et si, en d'autres, elle pourrait mieux s'articuler à l'avenir. Une telle rencontre, bien entendu, sera améliorée, soit par le moyen d'initiatives opportunes visant à informer les pasteurs sur les problèmes spécifiques des universitaires, soit par le moyen de la recherche et du développement de voies nouvelles qui s'ébauchent déjà çà et là (formation de groupes universitaires dans les paroisses, catéchèse confiée aux universitaires, animation culturelle dirigée par eux, etc.).

Il faut de plus relever que la vie catholique, tout en conservant son unité substantielle, connaît en son propre sein des courants distincts entre eux qui se relient à des organisations et à des mouvements. Il sera important de définir de tels mouvements et d'en assurer l'authentique orientation catholique qui constitue la nécessaire condition pour la reconnaissance de leur droit de citoyenneté dans l'Église. L'apostolat et la pastorale universitaires doivent être vus dans cette optique.

En conséquence, tenant compte du fait que chacun des mouvements est jusqu'à un certain point autonome (autrement dit qu'ils « font Église » à leur manière), il est nécessaire de chercher des voies concrètes qui rendent possible leur rencontre dans l'Église diocésaine. Une telle rencontre devra, entre autres, permettre l'échange d'expériences et l'harmonie des tâches apostoliques spécifiques. Comment ne pas relever, à cet égard, au sein même de la pastorale universitaire déjà en cours, un certain manque de coordination, ce qui, en plus de l'inévitable dispersion des énergies, risque d'obscurcir ce témoignage d'authenticité chrétienne qui a une telle incidence sur l'esprit des jeunes ?

Il ne s'agit pas — il importe de le noter expressément — de préconiser une sorte de monopole pastoral du centre diocésain. Autrement dit, cela ne veut pas dire que le Vicariat doive, pour ainsi dire, « prendre possession » de ce que ces organisations ou mouvements considèrent comme propre. Ce qui s'impose, c'est que le diocèse, soutenant leur activité spécifique, s'engage en même temps à l'insérer dans la conscience et dans la vie elle-même.

Il faut ensuite avoir présent devant les yeux le fait que ces mouvements et organisations sont bien loin d'embrasser la totalité des étudiants. Ceux qui en font partie sont en général une minorité. Et c'est pourquoi il s'avère indispensable de prévoir des initiatives pastorales s'adressant à l'ensemble de la population universitaire.

La mise en oeuvre de ces initiatives concernera avant tout les assistants spirituels universitaires, dont il sera opportun de définir les fonctions avec toute la clarté possible, en établissant notamment dans quelle mesure ils doivent se sentir liés à la paroisse et aux autres structures paroissiales, et dans quelle mesure ils doivent se considérer comme un gremium spécialisé, ayant leur propre centre à la chapelle universitaire.

De même, les membres des mouvements mentionnés devront se sentir interpellés au premier chef : cela signifie qu'il faut aller vers les étudiants à travers les étudiants. Et cela, tout en assurant la vitalité de leur dynamisme apostolique, les mettra en même temps à l'abri du risque de se stériliser en se refermant sur eux-mêmes.

La pastorale universitaire devra, enfin, trouver la compréhension et la collaboration plus ou moins directe de tous les membres de la communauté diocésaine, car c'est seulement grâce à l'apport responsable de tous que pourra naître ce renouveau de mordant apostolique que l'on souhaite de tous côtés avec insistance.

Les trois tâches de la pastorale universitaire

7. Ce n'est pas ici le lieu de s'attarder sur la description des choix concrets possibles. La discussion a déjà permis de faire apparaître des propositions intéressantes qui devront être examinées. Pour le moment, il me suffit de relever que de tels choix devront s'articuler autour des trois tâches fondamentales de la communauté chrétienne.

La tâche de l'annonce, avant tout : à côté des formes ordinaires de catéchèse, il sera nécessaire de développer des formes qui répondent plus directement aux exigences spécifiques du monde étudiant (conférences, débats, séminaires, journées d'étude, rencontres de spiritualité, etc.). Il est clair que les enseignants catholiques auront ici un rôle particulier à jouer, qu'il s'agisse des diverses institutions culturelles liées à l'autorité ecclésiastique, comme l'Université catholique du Sacré-Coeur, ou des prêtres qui unissent à la compétence une plus profonde connaissance de la mentalité des jeunes et de la problématique universitaire.

La tâche de la liturgie et de la prière : l'Église s'édifie dans la célébration des sacrements et en particulier dans la célébration eucharistique. Tout en invitant les universitaires à participer activement à la messe de la communauté pastorale, en évitant ainsi de verser dans des tentations « élitistes », il n'en sera pas moins nécessaire de prévoir pour eux des occasions spécifiques de réflexion sur la parole de Dieu, ainsi que de célébrations particulières dans les « temps forts » de l'Année liturgique. Il va de soi que cela exigera, pour être mis en oeuvre comme il convient, une programmation au niveau diocésain avec des initiatives prévues à temps et dûment diffusées.

La tâche du service : la « diakonia » de l'Église doit trouver dans ce domaine des formes appropriées d'explication. Je pense en particulier au service fondamental de l'accueil. Il existe plusieurs dizaines de milliers d'étudiants de l'Université qui sont en dehors de leur famille, et plus de 3 500 sont des jeunes inscrits au facultés romaines. L'Église, à travers ses structures, doit se charger de répondre concrètement à la demande d'hébergement qui provient de cette masse de personnes, dont l'attente ne concerne pas seulement la possibilité du logement, mais porte sur tout un ensemble de valeurs humaines, comme la sympathie, la compréhension, le dialogue, toutes choses qui peuvent faciliter une insertion sereine dans le nouveau milieu social.

Il importera, dans ce but, de renforcer l'organisation des foyers universitaires et de valoriser les contacts avec eux, en les engageant dans la pastorale diocésaine, de manière qu'ils puissent apparaître aux étudiants, non seulement comme des expressions de communautés religieuses, mais aussi comme des articulations de services offerts par l'Église locale.

Il importera, par ailleurs, de faire prendre une plus vive conscience aux communautés paroissiales de leur responsabilité au plan de l'accueil à l'égard de cette catégorie de frères. Il est nécessaire que les étudiants vivant en dehors de leur famille et les étrangers ne se sentent pas ignorés et, encore moins, écartés du milieu communautaire, où ils sont venus s'implanter. À ce propos, un rôle important pourra être joué par les familles chrétiennes qui les hébergent et qui ont avec eux, de ce fait, un rapport direct et quotidien. La paroisse comme telle devra, de son côté, s'employer, soit à fournir des occasions de rencontre et de dialogue qui favorisent la nécessaire synthèse entre la foi, la culture et la vie, soit à demander aux universitaires un apport spécifique en vue de la croissance religieuse de la communauté paroissiale elle-même.

8. Très chers frères, ce ne sont là que quelques indications sur les nombreuses initiatives que, dans ce secteur délicat, on peut et doit prendre. Leur but est avant tout de témoigner de mon vif intérêt et de ma vive estime pour ce domaine de la pastorale diocésaine et pour tous ceux qui y consacrent leurs énergies avec un zèle généreux.

Je souhaite que, grâce aux paroles que je viens de prononcer, chacun se sente poussé à se demander ce qu'il pourrait faire, dans son propre secteur de compétence, pour contribuer à une présence plus efficace de l'Église locale dans le monde universitaire, où tant d'êtres humains, précisément parce qu'ils se consacrent à la recherche de la vérité, sont orientés, dans un engagement d'une singulière intensité, même sans le savoir, vers la vérité absolue, qui est le Christ.

C'est à lui que je confie nos communs soucis pastoraux et les espoirs que nous partageons tout autant. Qu'il accorde à chacun, par l'intercession de sa Mère que nous aimons invoquer sous le beau vocable de « Mère de la sagesse », la lumière nécessaire pour éclairer les démarches qui s'imposent et la générosité qu'exigeront les réalisations concrètes et successives.

Avec ces voeux, de tout coeur, je vous accorde à tous, ainsi qu'aux prêtres qui n'ont pu être présents, la bénédiction apostolique.


Discours 1982 - Angélus du 7 mars (2)