2002 Magistère Mariage 1232

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5. Il est extrêmement significatif que le Christ ne rattache pas directement ses paroles sur la continence pour le Royaume des Cieux à l'annonce de "l'autre monde .. où l'on ne prend ni femme ni mari" Mc 12,25. Par contre, comme nous l'avons déjà dit, ses paroles se situent dans le prolongement de l'entretien avec les pharisiens, au cours duquel Jésus s'est référé à l'origine, précisant que l'institution du mariage est due au Créateur et rappelant son caractère indissoluble qui, selon le dessein de Dieu, correspond à l'unité conjugale de l'homme et de la femme.
Le conseil, et donc le choix charismatique de la continence pour le Royaume des Cieux, sont donc liés, dans les paroles du Christ, à la reconnaissance la plus nette de l'ordre historique de l'existence humaine, relativement à l'âme et au corps. Sur la base du contexte immédiat des paroles concernant la continence pour le Royaume des Cieux pratiquée dans la vie terrestre de l'homme, il importe de considérer la vocation à cette continence comme une sorte d'exception à ce qui est plutôt une règle commune en cette vie. C'est surtout cela que le Christ relève. Qu'il y ait dans cette exception l'anticipation de la vie eschatologique privée de mariage qui est le propre de l'autre monde (c'est- à-dire du stade final du Royaume des Cieux), cela explique que le Christ n'en parle pas directement ici. Il s'agit, il est vrai, non pas de la continence dans le Royaume des Cieux, mais de la continence pour le Royaume des Cieux. L'idée de la virginité ou du célibat comme anticipation et signe eschatologiques (*) découle de l'association des paroles que Jésus prononce ici avec celles qu'il a dites en une autre circonstance, c'est-à-dire au cours de son entretien avec les sadducéens, lorsqu'il a proclamé la future résurrection des corps.
Nous reprendrons ce thème au cours de nos prochaines réflexions du mercredi.
Note (*) Cf. par exemple LG 44 PC 12.



Vocation à la chasteté dans la réalité de la vie terrestre

17 mars 1982

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1. Nous poursuivons notre réflexion sur la virginité ou célibat pour le Royaume des Cieux, thème également important pour une théologie du corps.
Dans le contexte immédiat des paroles sur la continence pour le Royaume des Cieux, le Christ fait une comparaison extrêmement significative; et cela ne fait que confirmer notre conviction qu'il veut enraciner profondément la vocation à cette continence dans la réalité de la vie terrestre, s'ouvrant ainsi une voie dans l'esprit de ses auditeurs. Il énonce, en effet, trois catégories d'eunuques.
Ce terme concerne les défauts physiques qui rendent impossible la procréation dans le mariage. Ce sont précisément ces défauts qui expliquent les deux premières catégories dont parle Jésus quand il fait état des défauts congénitaux Mt 19,12: "des eunuques qui sont nés ainsi du sein de leur mère" ou des défauts acquis, provoqués par une intervention humaine: "il y a des eunuques qui le sont devenus par l'action des hommes". Il s'agit dans les deux cas d'un état de coercition, parce que nullement volontaire. Si dans sa comparaison, le Christ parle ensuite des "eunuques qui se sont eux-mêmes rendus tels en vue du Royaume des Cieux" comme d'une troisième catégorie, il établit certainement cette distinction pour souligner encore plus nettement son caractère volontaire et surnaturel. Volontaire, car ceux qui appartiennent à cette catégorie se sont eux- mêmes rendus eunuques; surnaturel, parce qu'ils l'ont fait pour le Royaume des Cieux.

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2. La distinction est très claire et très forte. Non moins fort et éloquent est le rapprochement. Le Christ parle à des hommes auxquels la tradition de l'ancienne Alliance n'avait pas transmis l'idéal du célibat ou de la virginité. Le mariage était chose si habituelle que seule une impuissance physique pouvait constituer une exception. La réponse donnée aux disciples Mt 19,10-12 est en même temps adressée, en un certain sens, à toute la tradition de l'Ancien Testament. C'est ce que confirme un seul exemple tiré du livre des Juges; nous nous y référons ici moins en raison du déroulement du fait lui-même, que des paroles significatives qui l'accompagnent: "Qu'il me soit accordé ... de pleurer ma virginité" Jg 11,37, dit la fille de Jephté à son père quand celui-ci lui fait savoir qu'à la suite d'un voeu au Seigneur elle est destinée au sacrifice (nous trouvons les raisons de ce voeu dans le texte biblique). "Va; - lit-on ensuite - et il lui permit d'aller ... Elle alla donc, avec ses compagnes, et elle pleura sa virginité dans les montagnes. Au bout de deux mois, elle retourna chez son père et il accomplit à son égard le voeu qu'il avait formé. Or elle n'avait pas connu d'hommes" Jg 11,38-39.

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3. A ce qu'il paraît, il n'y a pas place dans l'Ancien Testament pour cette signification du corps que le Christ, parlant de la continence pour le Royaume de Dieu, veut maintenant exposer et révéler à ses propres disciples. Parmi les personnages que nous connaissons comme conducteurs spirituels du peuple de l'Ancienne Alliance, il n'y en a aucun qui aurait proclamé cette continence en paroles et dans la conduite (*). Le mariage n'était pas seulement un état commun, à l'époque, mais en plus, il avait acquis dans cette tradition une signification consacrée par la promesse que le Seigneur avait faite à Abraham: "Voici que mon alliance est avec toi et que tu deviendras père d'une multitude de peuples ... Je te rendrai très fécond; je te ferai devenir nations, et des rois sortiront de toi. J'établirai mon alliance avec toi, et ta race après toi, de générations en générations, pour une alliance perpétuelle, afin que je devienne ton Dieu et Celui de ta race après toi" Gn 17,4-7. C'est pourquoi, dans la tradition de l'Ancien Testament, le mariage était un état religieusement privilégié comme source de fécondité et de procréation relative à la descendance: et privilégié par la révélation elle-même. Dans le cadre de cette tradition suivant laquelle le Messie serait "Fils de David" Mt 20,30, l'idéal de la continence était difficile à comprendre. Tout inclinait en faveur du mariage: non seulement les raisons de nature humaine, mais également celles du Royaume de Dieu (**).

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Note - (*) Il est vrai que, sur ordre explicite du Seigneur, Jérémie devait observer le célibat Jr 16,1-2; mais ceci fut un signe prophétique qui symbolisait un futur abandon et la destruction du pays et du peuple.
(**) Il est vrai, comme l'indiquent les sources extra- bibliques que, durant la période inter-testamentaire, le célibat était observé, dans les milieux juifs, par quelques membres de la secte des esséniens (cf. J. FLAVIEN, Bell. Jud. 11, 8, 2: 120-121; PHILON, Hypophet. 11, 14); mais cela se passait en marge du judaïsme officiel et probablement ne persista pas au-delà du début du IIème siècle. -- Dans la communauté de Qumran, le célibat n'obligeait pas tout le monde, mais quelques membres le maintenaient jusqu'à la mort, transférant sur le terrain de la coexistence pacifique la prescription deDt 23,10-14 sur la pureté qui obligeait durant la guerre sainte. Selon les croyances des Qumraniens, cette guerre durait depuis toujours "entre les fils de la lumière et les fils des ténèbres", pour eux, le célibat exprimait seulement "être prêts à la bataille" (1 Qm 7, 5-7).

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4. Les paroles du Christ déterminent dans ce milieu un tournant décisif. Quand, pour la première fois, il parla à ses disciples de la continence pour le Royaume des Cieux, Jésus se rendit parfaitement compte qu'ils devaient, comme fils de la Loi ancienne, associer le célibat et la virginité à la situation des individus, spécialement de sexe masculin, qui, à cause de défauts de nature physique, ne pouvaient se marier (les eunuques); c'est pourquoi il se réfère directement à ceux-là. Cette référence a un fond multiple: aussi bien historique que psychologique, éthique que religieux. Par cette référence Jésus touche - en un certain sens - tous ces fonds, comme s'il voulait dire: Je sais que ce que je vous dirai maintenant suscitera de grandes difficultés dans votre conscience, dans votre manière de comprendre la signification du corps; je vais en effet vous parler de la continence et vous ne manquerez certainement pas d'associer celle-ci à l'état de déficience physique, tant innée que provoquée par des causes humaines. Par contre, moi je veux vous dire que la continence peut également être volontaire et qu'un homme peut la choisir pour le Royaume des Cieux.

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5. Mt 19 ne signale aucune réaction immédiate des disciples à ces paroles. Nous la trouvons seulement plus tard dans les épîtres des Apôtres, principalement chez saint Paul (*). Cela confirme que ces paroles s'étaient gravées dans la conscience des disciples du Christ de la première génération, puis qu'elles fructifièrent sans cesse et se multiplièrent dans toutes les générations de ses confesseurs dans l'Eglise (et peut-être aussi en dehors de l'Eglise). Donc, du point de vue de la théologie - c'est-à-dire de la révélation de la signification du corps, totalement nouvelle par rapport à la tradition de l'Ancien Testament - ces paroles marquent un tournant. Leur analyse démontre combien elles sont précises et substantielles malgré leur concision (nous le constaterons mieux encore quand nous analyserons le texte paulinien de 1Co 7. Le Christ parle de la continence pour le Royaume des Cieux. Il veut souligner de cette manière que cet état, que l'homme choisit consciemment dans la vie temporelle alors que d'habitude on y prend femme et mari, a une finalité surnaturelle bien précise. Sans cette finalité, la continence, même choisie consciemment et décidée personnellement, n'aurait aucun rapport avec l'énoncé du Christ. Parlant de ceux qui ont choisi consciemment le célibat ou la virginité pour le Royaume des Cieux (c'est-à- dire qui se sont faits eunuques), le Christ relève - au moins de manière indirecte - que, dans la vie terrestre, ce choix est uni au renoncement comme aussi à un effort spirituel déterminé.
Note (*) Cf. 1Co 7,25-40 Ap 14,4.

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6. La finalité surnaturelle - pour le Royaume des Cieux - admet une série d'interprétations plus détaillées que le Christ n'énumère pas dans ce passage. On peut toutefois affirmer que la formule lapidaire dont il se sert indique indirectement tout ce qui a été dit sur ce thème dans la révélation, dans la Bible et dans la tradition; tout ce qui est devenu richesse spirituelle de l'expérience de l'Eglise, dans laquelle le célibat et la virginité pour le Royaume des Cieux ont fructifié de manière multiple dans les diverses générations des disciples du Christ.



Rapport entre continence pour le "Royaume des Cieux" et

fécondité spirituelle d

24 mars 1982

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1. Nous poursuivons nos réflexions sur le célibat et sur la virginité pour le Royaume des Cieux.
La continence pour le Royaume des Cieux a certainement un lien avec la révélation du fait que dans le Royaume des Cieux "on ne prend ni femme ni mari" Mt 22,30. C'est un signe charismatique. L'être humain vivant, homme et femme, - qui dans la situation terrestre où d'habitude "les enfants de ce monde prennent femme et mari" Lc 20,34, choisit, de sa libre volonté, la continence pour le Royaume des Cieux, indique que dans ce Royaume qui est "l'autre monde" de la résurrection "on ne prend ni femme ni mari" Mc 12,25 parce que Dieu sera "tout en tous" 1Co 15,28. Cet être humain, homme et femme, indique donc la virginité eschatologique de l'homme ressuscité, en qui se révélera, dirais-je, la signification conjugale, absolue et éternelle, du corps glorifié dans l'union avec Dieu lui-même, grâce à la vision de Dieu face à face; et glorifié, également, grâce à l'union d'une parfaite intersubjectivité, qui unira tous ceux qui prennent part à l'autre monde, hommes et femmes, dans le mystère de la communion des saints. La continence terrestre pour le Royaume des Cieux est certainement un signe qui indique cette vérité et cette réalité. C'est le signe que le corps, dont la fin n'est pas la mort, tend à la glorification, et pour cela même est déjà parmi les hommes, dirais-je, un témoignage qui anticipe la future résurrection. Toutefois, ce signe charismatique de l'autre monde exprime la force et la dynamique les plus authentiques du mystère de la Rédemption du corps: un mystère que le Christ a écrit dans l'histoire terrestre de l'homme et a profondément enraciné dans cette histoire. Ainsi donc, la continence pour le Royaume des Cieux porte surtout l'empreinte de la ressemblance avec le Christ qui, dans l'oeuvre de la Rédemption, a fait lui-même ce choix pour le Royaume des Cieux.

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2. Ainsi, depuis le début, la vie du Christ fut un discret mais net détachement de ce qui a si profondément déterminé la signification du corps dans l'Ancien Testament. Presque contre toutes les attentes de la tradition vétéro- testamentaire, le Christ est né de Marie qui déclara clairement: "Comment est-ce possible? je ne connais point d'homme" Lc 1,34, et professe donc ainsi sa virginité. Et bien qu'il naisse d'elle comme tout homme, comme un fils de sa mère, bien que sa venue au monde soit également accompagnée de la présence d'un homme qui est l'époux de Marie et, devant la loi et les hommes, son mari, la maternité de Marie est cependant virginale; et à cette maternité virginale de Marie correspond le mystère virginal de Joseph qui, obéissant à la voix venue d'en haut, n'hésita pas "à prendre Marie chez lui ... car ce qui a été engendré en elle vient du Saint-Esprit" Mt 1,20. Et donc, bien que la conception virginale et la naissance au monde de Jésus-Christ fussent cachées aux hommes, bien qu'aux yeux des citoyens de Nazareth il fut considéré comme "fils du charpentier" Mt 13,55 (ut putabatur filius Joseph: Lc 3,23), les réalité et vérité essentielles de sa conception et de sa naissance se détachent toutefois d'elles-mêmes de ce qui, dans l'Ancien Testament, était exclusivement en faveur du mariage et rendait la continence incompréhensible et socialement peu appréciée. Ainsi, comment pouvait-on comprendre la continence pour le Royaume des Cieux si le Messie attendu devait être un descendant de David et, estimait-on, de descendance royale selon la chair? Seuls Marie et Joseph qui ont vécu le mystère de sa conception devinrent les premiers témoins d'une fécondité différente de celle de la chair, c'est-à-dire de la fécondité de l'Esprit: "Ce qui a été engendré en elle vient de l'Esprit-Saint" Mt 1,20.

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3. L'histoire de la naissance de Jésus n'est certainement pas sans lien avec la révélation de cette continence pour le Royaume des Cieux, dont Jésus parlera un jour à ses disciples. Mais cet événement restera caché aux hommes de ce temps-là et même aux disciples. Il se dévoilera peu à peu aux yeux de l'Eglise, sur la base des témoignages et des textes évangéliques de Matthieu et de Luc. Le mariage de Marie avec Joseph, dans lequel l'Eglise honore Joseph comme époux de Marie et Marie comme son épouse, cache en même temps en soi le mystère de la parfaite communion des personnes, de l'homme et de la femme, dans le pacte conjugal, ainsi que le mystère de cette exceptionnelle continence pour le Royaume des Cieux; continence qui servait dans l'histoire du salut à la plus parfaite fécondité de l'Esprit-Saint. Mieux, elle sera, en un certain sens, la plénitude absolue de cette fécondité, étant donné que c'est précisément dans les conditions nazaréennes du pacte de Marie et Joseph, dans le mariage et la continence, que s'est réalisé le don de l'incarnation du Verbe éternel: le Fils de Dieu, consubstantiel au Père, conçu et né comme homme du sein de la Vierge Marie. La grâce de l'union hypostatique est, dirais-je, vraiment liée à cette plénitude absolue de la fécondité surnaturelle, fécondité dans l'Esprit à laquelle a pris part une créature humaine, Marie, dans l'ordre de la continence pour le Royaume des Cieux. La maternité divine de Marie est également, en un certain sens, une révélation surabondante de cette fécondité dans l'Esprit-Saint auquel l'homme soumet son esprit quand il choisit librement la continence dans le corps: précisément la continence pour le Royaume des Cieux.

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4. Cette image devait peu à peu se révéler à la conscience de l'Eglise dans la suite des générations toujours nouvelles des confesseurs du Christ, quand se consolida en eux - en même temps que l'Evangile de l'enfance - la certitude de la maternité divine de la Vierge qui avait conçu par l'opération du Saint-Esprit. Bien que de manière seulement indirecte - mais toutefois de façon essentielle et fondamentale - cette certitude devait aider à comprendre, d'une part, la sainteté du mariage et d'autre part, le désintéressement du mariage en vue du Royaume des Cieux, dont le Christ avait parlé à ses disciples. Néanmoins, quand il leur en avait parlé pour la première fois (comme l'atteste Mt 19,10-12, ce grand mystère de sa conception et de sa naissance, ne leur était pas connu, il leur était resté caché, à eux comme à tous les auditeurs et interlocuteurs de Jésus de Nazareth. Quand le Christ leur parlait de "ceux qui se sont faits eunuques pour le Royaume des Cieux" Mt 19,12, les disciples étaient capables de le comprendre seulement sur la base de son exemple personnel. Cette continence devait se graver dans leur conscience comme un trait particulier de ressemblance avec le Christ qui était resté lui-même célibataire pour le Royaume des Cieux. L'éloignement de la tradition de l'Ancienne Alliance où le mariage et la fécondité procréatrice dans le corps avaient été une condition religieusement privilégiée, devait s'effectuer principalement en se basant sur l'exemple du Christ lui-même. Progressivement, s'enracine dans la conscience la signification particulière du "pour le Royaume des Cieux": cette fécondité spirituelle et surnaturelle de l'homme dont la source est l'Esprit-Saint (Esprit de Dieu), et à laquelle, dans un sens spécifique et dans des cas déterminés, la continence est utile.
Cette continence est précisément la continence pour le Royaume des Cieux. Ces éléments de la conscience évangélique (c'est-à-dire la conscience propre à la Nouvelle Alliance dans le Christ), nous les trouvons plus ou moins tous chez saint Paul. Nous chercherons à le montrer au moment opportun.
En résumé, nous pouvons dire que le thème principal de nos réflexions a été aujourd'hui le rapport entre la continence pour le Royaume des Cieux, proclamée par le Christ, et la fécondité surnaturelle de l'esprit humain qui provient de l'Esprit-Saint.



Mariage et chasteté dans le mystère de la création et de la

Rédemption

31 mars 1982

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1. Continuons à réfléchir sur le thème du célibat et de la virginité pour le Royaume des Cieux en nous fondant sur Mt 19,10-12

En parlant de la continence pour le Royaume des Cieux et en la fondant sur l'exemple de sa propre vie, le Christ désirait incontestablement que ses disciples sachent la comprendre surtout dans sa relation avec le Royaume qu'il était venu annoncer et dont il indiquait les véritables voies. La continence dont il parlait était précisément une de ces voies et, comme il résulte déjà du contexte de l'évangile de saint Matthieu, elle est une voie privilégiée, particulièrement valable. En effet, cette préférence donnée au célibat et à la virginité "pour le Royaume" était une nouveauté absolue par rapport à la tradition de l'Ancienne Alliance, et avait une signification déterminante tant pour l'éthos que pour la théologie du corps.

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2. Dans son énoncé, le Christ en relevait surtout la finalité. Il disait que la voie de la continence, dont sa propre vie était un témoignage, non seulement existe et non seulement est possible, mais qu'elle est particulièrement importante et valable pour le Royaume des Cieux. Et telle elle doit être, étant donné que le Christ l'a choisie pour lui-même. Et du moment que cette voie est si importante et si valable, la continence pour le Royaume des Cieux doit avoir une valeur toute particulière. Comme nous l'avons déjà souligné, le Christ n'affrontait pas le problème au même niveau ni suivant la même ligne de raisonnement que ses disciples quand ils disaient: "Si telle est la condition ... il n'est pas expédient de se marier" Mt 19,10. Au fond de ces paroles se cachait un certain utilitarisme. Au contraire, la réponse du Christ indique indirectement que si le mariage, conforme à l'institution originaire du Créateur - rappelons qu'à ce point le Maître se réfère à l'origine - si le mariage, donc, a pleine convenance et valeur pour le Royaume des Cieux, valeur fondamentale, universelle et ordinaire, la continence possède, quant à elle, une valeur particulière, exceptionnelle. Il s'agit évidemment de la continence choisie consciemment pour des motifs surnaturels.

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3. Si dans son énoncé le Christ relève avant tout la finalité surnaturelle de la continence, il le fait dans un sens non seulement objectif, mais aussi explicitement subjectif, c'est-à-dire qu'il indique la nécessité d'une motivation qui corresponde pleinement et de manière adéquate à la finalité objective déterminée par l'expression pour le Royaume des Cieux. Pour réaliser la finalité en question - c'est-à-dire redécouvrir dans la continence la particulière fécondité spirituelle qui provient de l'Esprit-Saint - il faut la vouloir et la choisir en vertu d'une foi profonde qui ne nous montre pas seulement le Royaume de Dieu dans son accomplissement futur, mais qui nous permette également et nous rende tout particulièrement possible de nous identifier avec la vérité et la réalité de ce Royaume, comme le Christ le révèle dans son message évangélique, et plus encore par l'exemple personnel de sa vie et de son comportement. C'est pour cela qu'on a pu dire que la continence pour le Royaume des Cieux - en tant que signe incontestable de l'autre monde - reflète surtout le dynamisme intérieur du mystère de la Rédemption du corps Lc 20,35 et qu'en ce sens elle se caractérise également par une particulière ressemblance avec le Christ. Qui choisit consciemment cette continence choisit, en un certain sens, une participation particulière au mystère de la Rédemption (du corps); et il veut, pour ainsi dire, la compléter de manière spéciale, dans sa propre chair Col 1,24 trouvant également en cela l'empreinte d'une ressemblance avec le Christ.

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4. Tout cela se réfère à la motivation du choix, c'est-à- dire à sa finalité au sens objectif: en choisissant la continence pour le Royaume des Cieux, l'homme doit se laisser strictement guider par cette motivation. Dans le cas en question, le Christ ne dit pas que l'homme y est obligé (en tout cas, il ne s'agit certainement pas d'un devoir découlant d'un commandement); il est toutefois incontestable que ces paroles concises sur la continence "pour le Royaume des Cieux" mettent précisément la motivation en vigoureux relief. Et elles la mettent en relief (c'est-à-dire indiquent la finalité dont le sujet est conscient), tant dans la première partie de tout l'énoncé que dans la seconde, en soulignant qu'il s'agit d'un choix particulier, précisément le choix d'une vocation plus exceptionnelle qu'universelle et ordinaire. Au début, dans la première partie de son énoncé, le Christ parle de compréhension. "Tous ne comprennent pas ce langage, mais ceux-là seulement à qui c'est donné" Mt 19,11; et il s'agit non pas d'une compréhension telle qu'elle influence la décision, le choix personnel, dans lesquels le don, c'est-à-dire la grâce, doivent trouver une résonance appropriée dans la volonté humaine. Cette compréhension implique donc la motivation. Par la suite, la motivation influence le choix de la continence, acceptée après qu'on a compris ce que signifie "pour le Royaume des Cieux". Dans la deuxième partie de son énoncé le Christ déclare donc que l'homme se fait eunuque quand il choisit la continence pour le Royaume des Cieux et en fait la situation fondamentale ou le statut de sa vie terrestre tout entière. Dans une décision si solide subsiste la motivation surnaturelle, qui est à l'origine même de la décision. Elle subsiste, dirais-je, en se renouvelant constamment.

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5. Précédemment nous avons déjà fixé l'attention sur la signification particulière de cette dernière affirmation. Si, dans le cas cité, le Christ parle de se faire eunuque, il ne met pas seulement en relief le poids spécifique de cette décision qui s'explique par la motivation d'une foi profonde, mais il laisse aussi clairement entendre le tourment que peuvent provoquer cette décision et ses persistantes conséquences pour l'homme, en raison des inclinations normales (nobles d'ailleurs) de sa nature.
Nous réclamer de l'origine dans le problème du mariage nous a permis de découvrir toute la beauté originelle de cette vocation de l'être humain, homme et femme: vocation qui provient de Dieu, qui correspond à la double constitution de l'homme et de même à l'appel à la communion des personnes. En prêchant la continence pour le Royaume des Cieux, le Christ ne se prononce pas seulement contre toute la tradition de l'Ancienne Alliance selon laquelle le mariage et la procréation étaient, comme nous l'avons dit, religieusement privilégiés; mais il se prononce également, en un certain sens, d'une manière qui contraste avec ce principe auquel il s'est lui-même référé; et c'est peut-être pour cela qu'il atténue ses propres paroles par cette règle de compréhension que nous avons signalée. L'analyse de l'origine (spécialement sur la base du texte jahviste) avait en effet démontré que bien qu'il soit possible de concevoir l'homme comme solitaire en face de Dieu, c'est Dieu lui-même qui l'avait tiré de cette solitude quand il dit: "Il n'est pas bon que l'homme soit seul. Je veux lui faire une aide qui soit semblable à lui" Gn 2,18.

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6. Ainsi donc, la double nature homme-femme, propre à la constitution même de l'humanité, et l'unité des deux êtres qui se base sur elle restent depuis l'origine, c'est-à-dire jusque dans leur profondeur ontologique même, une oeuvre de Dieu. En parlant de la continence pour le Royaume des Cieux, le Christ pense à cette réalité. Non sans raison, il en parle (selon Matthieu) dans le contexte le plus immédiat, là où il se réfère précisément à l'origine, c'est-à-dire au principe divin du mariage dans la constitution même de l'homme.
Sur la base des paroles du Christ, on peut affirmer que non seulement le mariage nous aide à comprendre la continence pour le Royaume des Cieux, mais aussi que la continence elle- même projette une lumière particulière sur le mariage considéré dans le mystère de la Création et de la Rédemption.



Supériorité de la Continence ne signifie pas dévaluation du

mariage

7 avril 1982

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1. Le regard tourné vers le Christ-Rédempteur, nous allons poursuivre nos réflexions sur le célibat et sur la virginité pour le Royaume des Cieux, en suivant les paroles du Christ rapportées en Mt 19,10-12.
En proclamant la continence pour le Royaume des Cieux, le Christ accepta pleinement tout ce que le Créateur avait opéré et institué dès l'origine. En conséquence, d'une part, cette continence doit démontrer que, dans sa constitution la plus profonde l'homme est non seulement double mais aussi - dans cette dualité - seul devant Dieu, avec Dieu. D'autre part, toutefois, dans l'appel à la continence pour le Royaume des Cieux, ce qui est invitation à la solitude pour Dieu, respecte en même temps aussi bien la dualité de l'humanité (c'est-à-dire la masculinité et la féminité) que la dimension de communion de l'existence qui est propre à la personne. Celui qui, conformément aux paroles du Christ, comprend de manière adéquate l'appel à la continence pour le Royaume des Cieux, celui-là conserve ainsi la vérité intégrale de sa propre humanité, sans rien perdre chemin faisant des éléments essentiels de la vocation de la personne créée à l'image et ressemblance de Dieu. Cela est important pour l'idée de la continence, c'est-à-dire pour son contenu objectif qui, dans l'enseignement du Christ, apparaît comme une nouveauté absolue. Il est également important pour la réalisation de cette idée, c'est-à-dire pour que soit pleinement authentique dans sa motivation la décision concrète prise par l'homme de vivre dans le célibat ou la virginité pour le Royaume des Cieux (celui qui se fait eunuque, pour se servir du même terme que le Christ).

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2. Du contexte de Mt 19,10-12, il résulte de façon suffisamment claire qu'il ne s'agit pas ici de réduire la valeur du mariage au profit de la continence ni, non plus, de cacher une valeur sous l'autre. Il s'agit, au contraire, de sortir en pleine connaissance de cause de ce qui, par volonté même du Créateur, entraîne l'homme au mariage, et d'aller vers la continence qui se révèle à l'homme concret, homme ou femme, comme appel et don de particulière signification pour le Royaume des Cieux. Les paroles du Christ Mt 19,11-12 partent de tout le réalisme de la situation de l'homme et, avec le même réalisme, le conduisent en dehors, vers l'appel grâce auquel, de manière nouvelle, tout en demeurant par sa nature un être double (c'est-à-dire, comme homme tourné vers la femme et, comme femme vers l'homme), il est capable de découvrir dans cette solitude, qui ne cesse d'être une dimension personnelle de la dualité de chacun, une forme nouvelle et même encore plus pleine de communion intersubjective avec les autres. Cette orientation de l'appel explique clairement l'expression "pour le Royaume des Cieux"; en effet, la réalisation de ce Royaume doit s'opérer dans la ligne du développement authentique de l'image et ressemblance de Dieu dans sa signification trinitaire, c'est- à-dire précisément de communion. En choisissant la continence pour le Royaume des Cieux, l'homme a la conscience de pouvoir se réaliser de manière différente et, en un certain sens, plus que dans le mariage, en se faisant "don sincère pour les autres" GS 24.

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3. Par les paroles que rapporte Mt 19,11-12, le Christ fait comprendre clairement que ce mouvement vers la continence pour le Royaume des Cieux est associé à un renoncement volontaire au mariage, c'est-à-dire à l'état où l'homme et la femme (conformément à la signification qu'à l'origine le Créateur a donnée à leur unité) deviennent l'un pour l'autre un don à travers leur masculinité et féminité, même par leur union corporelle. Continence signifie renoncement conscient et volontaire à cette union et à tout ce qui s'y attache dans l'ample dimension de la vie et de la coexistence humaine. L'homme qui renonce au mariage renonce également à la génération comme fondement de la communauté familiale composée des parents et des enfants. Les paroles du Christ auxquelles nous nous référons indiquent sans le moindre doute toute cette sphère de renoncement, bien qu'elles ne s'arrêtent pas aux détails. Et la façon dont ces paroles ont été prononcées suppose que le Christ comprend l'importance d'un tel renoncement et qu'il la comprend non seulement dans le respect des opinions en vigueur à ce sujet dans la société juive de l'époque, mais, également, il comprend l'importance de ce renoncement par rapport au bien que le mariage et la famille constituent en raison de leur institution divine. C'est pourquoi, par sa manière de prononcer ces paroles, il fait comprendre que cette sortie du cercle du bien à laquelle il appelle lui-même pour le Royaume des Cieux est liée à un certain sacrifice de soi-même. Cette sortie devient aussi le début de renoncements successifs et de sacrifices volontaires de soi-même, indispensables, si l'on veut que le premier choix fondamental soit cohérent dans toute la dimension de la vie terrestre, et c'est seulement grâce à cette cohérence que le choix est intérieurement raisonnable et non contradictoire.

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4. De cette manière, dans l'appel à la continence tel que le Christ l'a lancé, avec concision et, en même temps, grande précision, se dessinent le profil et le dynamisme du mystère de la Rédemption, comme nous l'avons déjà dit précédemment. C'est sous ce même profil que dans son Sermon sur la Montagne le Christ a prononcé les paroles concernant la nécessité de prendre garde à la concupiscence du corps, au désir qui commence par le "regarder" et devient, déjà à ce moment, "adultère dans le coeur". Sous Mt 19,11-12 et Mt 19,27-28 on retrouve la même anthropologie et le même éthos. Dans l'invitation à la continence volontaire pour le Royaume des Cieux, les perspectives de cet éthos se trouvent amplifiées: à l'horizon des paroles du Sermon sur la Montagne, il y a la continence volontaire; à l'horizon des paroles sur la continence volontaire, il y a encore la même anthropologie, mais illuminée par la perspective du Royaume des Cieux, c'est-à-dire, en même temps, de la future anthropologie de la résurrection. Néanmoins, sur les voies de cette continence volontaire dans la vie terrestre, l'anthropologie de la résurrection ne remplace pas l'anthropologie de l'homme historique. Et c'est précisément cet homme - en tout cas cet homme historique en qui subsiste, avec l'héritage de la triple concupiscence, l'héritage du péché, et en même temps l'héritage de la Rédemption - cet homme donc qui doit prendre la décision au sujet de la continence pour le Royaume des Cieux: il doit réaliser cette décision en soumettant son humanité pécheresse aux forces qui jaillissent du mystère de la Rédemption du corps. Il doit le faire comme tout autre homme qui ne prend pas cette décision et dont la voie reste le mariage. Seul diffère le genre de responsabilité pour le bien choisi, comme diffère le genre même du bien choisi.

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5. Dans son énoncé, le Christ souligne-t-il que la continence pour le Royaume des Cieux est supérieure au mariage? Il dit certainement qu'il s'agit d'une vocation exceptionnelle, qui sort de l'ordinaire. En outre, il affirme qu'elle est particulièrement importante et nécessaire pour le Royaume des Cieux. Si nous comprenons en ce sens sa supériorité sur le mariage, alors nous devons admettre que le Christ l'indique implicitement; toutefois il ne l'exprime pas de manière directe. De ceux qui choisissent le mariage, saint Paul dira qu'ils "font bien" et de ceux qui sont disposés à vivre la continence volontaire, il dira qu'ils "font mieux" 1Co 7,38.

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6. Telle est également l'opinion de toute la tradition, tant doctrinale que pastorale. Cette "supériorité" de la continence sur le mariage ne signifie jamais, dans la tradition authentique de l'Eglise, une dévaluation du mariage ou une réduction de sa valeur essentielle. Elle ne signifie pas non plus un glissement, même implicite, vers les positions manichéennes ou un soutien des manières de juger ou d'agir qui se fondent sur la signification manichéenne du corps et du sexe, du mariage et de la génération. La supériorité évangélique et authentiquement chrétienne de la virginité, de la continence, est dictée, en conséquence, par sa motivation qui est le Royaume des Cieux. Nous trouvons dans les paroles du Christ rapportées par Mt 19,11-12 une base solide qui permet d'admettre cette seule possibilité; par contre, nous n'y trouvons aucune base d'une quelconque dépréciation du mariage, qui aurait pu y être présente avec la reconnaissance de cette supériorité.
Dans nos prochaines réflexions nous reviendrons sur ce problème.




2002 Magistère Mariage 1232