2002 Magistère Mariage 1283

L'interprétation paulinienne de virginité et mariage

23 juin 1982

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1. Après avoir fait l'analyse des paroles du Christ se rapportant à Mt 19,10-12, il convient de passer à l'interprétation du thème: virginité et mariage.
Le Christ a parlé de manière concise et fondamentale de la continence pour le Royaume des Cieux. Comme nous en serons bientôt convaincus, dans l'enseignement de Paul nous pouvons relever une corrélation avec les paroles du Maître; la signification de son énoncé 1Co 7 doit être évaluée, dans l'ensemble, d'une manière différente. La grandeur de l'enseignement de Paul provient du fait qu'en présentant dans toute son authenticité et identité la vérité proclamée par le Christ, l'Apôtre lui donne son propre accent, en un certain sens sa propre interprétation personnelle, née toutefois des expériences de son activité apostolico-missionnaire, et peut- être même du besoin immédiat de répondre aux demandes concrètes des hommes qui étaient les destinataires de cette activité. Et c'est ainsi que nous trouvons dans saint Paul le problème du rapport entre mariage et célibat ou virginité, un sujet qui préoccupait les esprits de la première génération des confesseurs du Christ, la génération des disciples, des apôtres, des premières communautés chrétiennes. Cela se constatait davantage chez les convertis de l'hellénisme - c'est-à-dire donc du paganisme - que chez ceux du judaïsme; et cela peut expliquer pourquoi le sujet a été traité précisément dans une épître adressée à la communauté de Corinthe, la première épître.

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2. Tout l'énoncé a un ton indiscutablement magistral; mais ce ton, comme le langage, est également pastoral. Paul enseigne la doctrine transmise par le Maître aux apôtres et, en même temps, il poursuit comme un entretien sur le thème en question avec les destinataires de son épître. Il parle comme un classique maître de morale, affrontant et résolvant des problèmes de conscience; c'est pourquoi les moralistes se tournent plus volontiers vers les explications et les délibérations de 1Co 7. Il importe toutefois de rappeler que la base ultime de ces délibérations doit être cherchée dans la vie et dans l'enseignement du Christ lui-même.

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3. L'apôtre souligne de manière lumineuse que la virginité, c'est-à-dire la "continence volontaire", découle exclusivement d'un conseil et non d'un commandement: "Pour ce qui est des vierges, je n'ai pas de commandement du Seigneur, mais je donne un conseil ..."; ce conseil, Paul le donne "en homme qui, par la miséricorde du Seigneur, est digne de confiance" 1Co 7,25. Comme l'indiquent les paroles citées, l'apôtre établit, tout comme l'Evangile Mt 19,11-12 une distinction entre conseil et commandement. Paul veut conseiller sur la base de la règle doctrinale de son intelligence de l'enseignement proclamé; il désire donner des conseils personnels aux hommes qui s'adressent à lui. Ainsi donc, dans 1Co 7, le "conseil" a clairement deux significations différentes. L'auteur affirme que la virginité est un conseil et non pas un commandement et, en même temps, il donne des conseils soit aux gens déjà mariés, soit à ceux qui doivent encore se décider à cet égard et, enfin, à tous ceux qui se trouvent en état de veuvage. L'ensemble des problèmes est, en substance, semblable à celui que nous trouvons dans tout l'énoncé du Christ rapporté par Mt 19,2-12; d'abord au sujet du mariage et de son indissolubilité, puis sur la continence volontaire pour le Royaume des Cieux. Toutefois, le style de cet ensemble de problèmes est tout à fait caractéristique: il est proprement paulinien.

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4. "Si quelqu'un pense, étant en pleine ardeur juvénile, qu'il risque de mal se conduire vis-à-vis de sa fiancée, et que les choses doivent suivre leur cours, qu'il fasse ce qu'il veut: il ne pèche pas, qu'ils se marient! Mais celui qui a pris dans son coeur une ferme résolution, en dehors de toute contrainte, en gardant le plein contrôle de sa volonté et a ainsi décidé en lui-même de respecter sa fiancée, celui- là fait bien. Ainsi donc celui qui se marie avec sa fiancée fait bien, mais celui qui ne se marie pas fait mieux encore" 1Co 7,36-37.

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5. Celui qui avait demandé conseil pouvait être un jeune qui se trouvait devant la décision de prendre femme ou peut être un nouvel époux qui, en présence des courants ascétiques existant à Corinthe, réfléchissait sur l'orientation à donner à son mariage; ce pouvait également être un père ou le tuteur d'une fille qui avait posé le problème du mariage de celle-ci. En ce cas il s'agirait directement de la décision qui découlait de ses droits de tuteur. Paul écrit, en effet, à une époque où les décisions de ce genre appartenaient plus aux parents ou aux tuteurs qu'aux jeunes gens eux-mêmes. Répondant donc à la demande qui lui a été faite de cette manière, il cherche à expliquer de façon très précise que la décision au sujet de la continence, c'est-à-dire au sujet de la "vie à passer dans la virginité", doit être volontaire et que seule une "telle" continence est meilleure que le mariage. Les expressions 'fait bien' et 'fait mieux' encore ne prêtent à aucune équivoque dans ce contexte.

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6. Eh bien, l'apôtre enseigne que la virginité, c'est-à- dire la continence volontaire, l'abstinence du mariage pour la jeune fille, découle exclusivement d'un conseil et que, dans d'opportunes conditions, elle est meilleure que le mariage. Il n'est ici nullement question de péché: "Es-tu lié à une femme? Ne cherche pas à rompre. N'es-tu pas lié à une femme? Ne cherche pas de femme. Si cependant tu te maries tu ne pèches pas; et si la jeune fille se marie elle ne pèche pas" 1Co 7,27-28. Si nous n'avons que ces paroles pour base, nous ne pouvons certes former un jugement sur ce que l'apôtre pensait et enseignait au sujet du mariage. Ce sujet sera déjà expliqué partiellement dans le contexte de 1Co 7, et de manière plus complète dans Ep 5,21-23. Dans notre cas, il s'agit probablement de la réponse à la question de savoir si le mariage est un péché; et on pourrait, à propos de cette question, penser à quelque influence de courants dualistes pré-gnotisques qui se tranformeront plus tard en encratisme et manichéisme. Paul répond que la question du péché n'est nullement en jeu. Il ne s'agit pas de discerner entre "bien" ou "mal", mais seulement entre "bien" ou "mieux". Par la suite il expliquera pourquoi celui qui choisit le mariage fait bien et pourquoi celui qui choisit la virginité ou continence volontaire fait mieux encore.
Durant notre prochaine réflexion nous nous occuperons de l'argumentation paulinienne.


Le Christ met en relief la grandeur de la virginité

30 juin 1982

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1. Expliquant 1Co 7 la question du mariage et de la virginité, c'est-à-dire de la continence pour le Royaume de Dieu, saint Paul cherche à expliquer pourquoi celui qui choisit le mariage fait bien et pourquoi celui qui, par contre, choisit la continence ou la virginité, fait mieux. Voici en effet, ce qu'il écrit: "Je vous le dis frères: le temps se fait court. Reste donc que ceux qui ont femme vivent comme s'ils n'en avaient pas ..."; et puis: "Ceux qui achètent, comme s'ils ne possédaient pas; ceux qui usent de ce monde, comme s'ils n'en usaient pas véritablement. Car elle passe la figure de ce monde! Je voudrais vous voir exempts de soucis" 1Co 7,29-32.

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2. Les dernières paroles du texte cité démontrent que dans son argumentation Paul se réfère également à sa propre expérience, ce qui rend cette argumentation plus personnelle. Non seulement il formule le principe et tâche de le motiver comme tel, mais il le relie à ses réflexions et convictions personnelles nées de la pratique du conseil évangélique du célibat. De leur force de persuasion témoignent les diverses expressions et locutions. L'Apôtre non seulement écrit à ses Corinthiens: "Je voudrais que tout le monde fût comme moi" 1Co 7,7, mais il va plus loin quand, se référant aux hommes qui contractent mariage, il écrit: "Mais ceux-là connaîtront des tourments dans leur chair, et moi je voudrais vous les épargner" 1Co 7,28. Du reste, cette conviction personnelle il l'avait déjà exprimée dès les premiers mots du chapitre 7 de cette épître, en rapportant, même si c'était pour la modifier, cette opinion des Corinthiens: "Je viens maintenant à ce que vous m'avez écrit. Il est bon pour l'homme de s'abstenir de la femme ..." 1Co 7,1.

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3. On pourrait se demander quels sont les tourments dans la chair que Paul avait dans l'esprit? Le Christ n'a parlé que des souffrances, ou tristesse, qu'éprouvait la femme quand elle devait mettre l'enfant au monde, mais il a aussi souligné la joie Jn 16,21 qui la payait de ses souffrances à la naissance de son enfant: la joie de la maternité. Paul, cependant, parle des tourments dans la chair, qui attendent les conjoints. Serait-ce là l'expression d'une aversion personnelle de l'apôtre à l'égard du mariage? Dans cette observation réaliste il faut voir un avertissement pour ceux qui - comme parfois les jeunes - croient que l'union et la coexsistence conjugales doivent leur donner uniquement du bonheur et de la joie. L'expérience de la vie démontre qu'il n'est pas rare de voir des époux déçus dans ce qu'ils espéraient le plus. La joie de l'union comporte également ces tourments dans la chair dont parle l'Apôtre dans son épître aux Corinthiens. Ces tourments sont souvent de nature morale. S'il entend dire par là que le véritable amour conjugal - précisément celui en vertu duquel "l'homme s'unira à sa femme et les deux ne seront qu'une seule chair" Gn 2,24 - est aussi un amour difficile, il est certain qu'il se maintient sur le terrain de la vérité évangélique, et il n'y a aucune raison d'y rechercher des symptômes de l'attitude qui, plus tard, allait caractériser le manichéisme.

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4. Par ses paroles concernant la continence pour le Royaume de Dieu, le Christ ne cherche d'aucune manière à guider ses auditeurs vers le célibat ou la virginité en leur indiquant les tourments du mariage. On comprend plutôt qu'il cherche à mettre en relief les divers aspects, humainement pénibles, du fait de se décider à la continence: soit la raison sociale, soit les raisons de nature subjective amènent le Christ à dire que l'homme qui prend une telle décision se fait eunuque, c'est-à-dire embrasse volontairement la continence. Mais c'est précisément pour cela que sautent clairement aux yeux toute la signification subjective, la grandeur et le caractère exceptionnels d'une semblable décision: elle signifie une réponse mûrie à un don particulier de l'Esprit.

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5. Dans son épître aux Corinthiens, saint Paul n'entendait pas différemment le conseil de continence, mais il l'exprimait d'une autre manière. Il écrit en effet: "Je vous le dis, frères: le temps se fait court ..." 1Co 7,31. Cette constatation de la caducité de l'existence humaine et du caractère transitoire du monde temporel, en un certain sens du caractère accidentel de tout ce qui est créé, doit faire en sorte que "ceux qui ont femme vivent comme s'ils n'en avaient pas" 1Co 7,29 1Co 7,31 et doit en même temps préparer le terrain pour l'enseignement de la continence. Paul, en effet, place au centre de son raisonnement la phrase clé qui peut être unie à l'énoncé du Christ, unique en son genre, sur le thème de la continence pour le Royaume de Dieu Mt 19,12.

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6. Tandis que le Christ met en relief la grandeur du renoncement, inséparable de cette décision, Paul indique surtout comment il faut entendre le Royaume de Dieu, dans la vie de l'homme qui a renoncé au mariage en vue de ce Royaume. Et, tandis que le triple parallélisme de l'énoncé du Christ atteint le point culminant dans la parole qui signifie la grandeur du renoncement assumé volontairement: "Et il en est d'autres qui se sont faits eunuques pour le Royaume des Cieux " Mt 19,12. Paul définit la situation d'un seul mot: agamos - qui n'est pas marié; plus loin, par contre, il traduit tout ce que contient l'expression Royaume des Cieux par une merveilleuse synthèse. Il dit, en effet: "L'homme qui n'est pas marié se préoccupe des affaires du Seigneur, des moyens de plaire au Seigneur" 1Co 7,32.
Chaque mot de cet énoncé mérite une analyse particulière.

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7. Le contexte du verbe se préoccuper ou chercher indique, dans l'évangile de Luc, disciple de Paul, qu'il faut "chercher" vraiment et uniquement "le Royaume de Dieu" Lc 12,31 ce qui constitue "la partie la meilleure", l'unum necessarium Lc 10,41. Et Paul lui-même parle de "son souci pour toutes les Eglises" 2Co 11,28, de la recherche du Christ moyennant sa sollicitude pour les problèmes des frères, pour les membres du Corps du Christ Ph 2,20-21 1Co 12,25 Déjà de ce contexte émerge tout l'immense champ des préoccupations auxquelles l'homme non marié peut consacrer entièrement ses pensées, ses fatigues et son coeur. L'homme en effet ne saurait se préoccuper que de ce qu'il a vraiment à coeur.

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8. Selon l'énoncé de Paul, l'homme qui n'est pas marié se préoccupe des affaires du Seigneur (ta toû Kyriou). Par cette expression concise, Paul embrasse la réalité objective tout entière du Royaume de Dieu. "La terre est au Seigneur, et tout ce qu'elle contient" dira-t-il plus loin dans cette épître 1Co 10,26 Ps 24,1. Pour les chrétiens, c'est le monde entier qui est l'objet de leur sollicitude.
Quant à Paul, c'est avant tout à Jésus-Christ qu'il donne le nom de "Seigneur" Ph 2,11; et les affaires du Seigneur signifient donc en premier lieu le Royaume du Christ, son "Corps qui est l'Eglise" Col 1,18, et tout ce qui contribue à sa croissance. C'est de tout cela que se préoccupe l'homme non marié; c'est pourquoi Paul qui est, dans toute l'acception du terme, apôtre de Jésus-Christ 1Co 1,1 et ministre de l'Evangile Col 1,23, écrit aux Corinthiens: "Je voudrais que tout le monde fût comme moi" 1Co 7,7.

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9. Toutefois, le zèle apostolique et l'activité la plus fructueuse n'épuisent pas encore le contenu de la motivation paulinienne de la continence. On pourrait même dire que leur racine et leur source se trouvent dans la seconde partie de la phrase qui démontre la réalité subjective du Royaume de Dieu: "Qui n'est pas marié, se préoccupe ... des moyens de plaire au Seigneur". Cette constatation embrasse tout le domaine des relations personnelles de l'homme avec Dieu. Plaire à Dieu: l'expression se retrouve dans d'anciens livres de la Bible Dt 13,19; elle est synonyme de vie dans la grâce de Dieu, et elle exprime l'attitude de celui qui cherche Dieu, c'est-à-dire qui se comporte suivant sa volonté; afin de lui plaire. Dans un des derniers livres de la Sainte Ecriture, cette expression devient une synthèse de la sainteté. Saint Jean l'applique une seule fois au Christ: "Je fais toujours ce qui plaît" Jn 8,29. Dans Rm 15,3 saint Paul observe que le Christ "ne cherche pas à se plaire à lui-même".
Dans ces deux constatations, on retrouve tout ce qui constitue le contenu du plaire à Dieu que le Nouveau Testament entendait comme suivre les traces du Christ.

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10. Il semble que chacun des deux membres de l'expression paulinienne se superposent: en effet, d'une part, se préoccuper de ce qui appartient au Seigneur, des affaires du Seigneur doit plaire au Seigneur. D'autre part, celui qui plaît à Dieu ne peut se renfermer en lui-même; il s'ouvre au monde, à tout ce qui doit être ramené au Christ. Ce sont seulement, c'est évident, deux aspects de la même réalité de Dieu et de son Royaume. Paul devait toutefois les distinguer pour démontrer plus clairement la nature et la possibilité de la continence pour le Royaume des Cieux.
Nous tâcherons de revenir encore sur ce thème.



Dans la virginité ou le mariage concourir à la gloire de

Dieu

7 juillet 1982

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1. Durant la rencontre de mercredi dernier nous avons cherché à approfondir les arguments dont saint Paul se sert dans sa première épître aux Corinthiens pour convaincre ses destinataires que celui qui choisit le mariage fait bien et que, par contre, celui qui choisit la virginité, c'est-à-dire la continence selon l'esprit du conseil évangélique, fait mieux 1Co 7,38. Poursuivant aujourd'hui cette méditation, nous rappellerons que, suivant saint Paul, "l'homme qui n'est pas marié se préoccupe ... des moyens de plaire au Seigneur" 1Co 7,32.
Ce "plaire au Seigneur" a l'amour comme toile de fond. Cela nous est révélé par une ultime confrontation: qui n'est pas marié se préoccupe des moyens de plaire à Dieu, alors que l'homme marié doit avoir également le souci de plaire à sa femme. Ici apparaît, en un certain sens, le caractère conjugal de la continence pour le Royaume de Dieu. L'homme s'efforce toujours de plaire à la personne aimée. Ce "plaire à Dieu" ne manque donc pas de ce caractère qui distingue la relation interpersonnelle des époux. D'une part il est un effort de l'homme qui tend vers Dieu et cherche le moyen de lui plaire, c'est-à-dire d'exprimer activement son amour; d'autre part, à cette aspiration correspond une approbation de Dieu qui, agréant les efforts de l'homme, couronne son oeuvre en lui donnant une grâce nouvelle: en effet, dès le début, cette aspiration a été un don de Dieu. Se préoccuper des moyens de plaire à Dieu est donc une contribution de l'homme au continuel dialogue de salut commencé par Dieu. Il est évident que tout chrétien qui vit de la foi y prend part.

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2. Paul note toutefois que l'homme lié par les liens du mariage "se trouve partagé" 1Co 7,34. Il résulte de cette constatation que la personne non mariée devrait se caractériser par une intégration intérieure, une unification, qui lui permettrait de se consacrer entièrement au service du Royaume de Dieu dans toutes ses dimensions. Cette attitude suppose l'abstention du mariage, voulue exclusivement pour le Royaume de Dieu, et une vie orientée uniquement vers ce but. D'une manière différente, le partage peut entrer également dans la vie du célibataire qui, privé d'une part de la vie conjugale et d'autre part d'un but bien défini pour lequel il devrait y renoncer, pourrait se trouver devant un certain vide.

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3. L'Apôtre semble être parfaitement conscient de tout cela et il a soin de spécifier qu'il entend, non pas tendre un piège à celui auquel il conseille de ne pas se marier, mais le "porter à ce qui est digne et qui attache sans partage au Seigneur" 1Co 7,35. Ces paroles font venir à l'esprit celles que, selon l'évangile de Luc, le Christ adressa à ses apôtres au cours de la dernière Cène: "Vous êtes, vous, ceux qui sont demeurés constamment avec moi dans mes épreuves (littéralement: dans les tentations); et moi je dispose pour vous du Royaume, comme mon Père en a disposé pour moi" Lc 22,28-29. Celui qui n'est pas marié, étant uni au Seigneur, peut être certain que ses difficultés trouveront compréhension: "Car nous n'avons pas un grand prêtre impuissant à compatir à nos faiblesses, lui qui a été éprouvé en tout, d'une manière semblable, à l'exception du péché" He 4,15 Ce qui permet à la personne non mariée, non pas tant de se plonger exclusivement dans ses éventuels problèmes personnels, mais plutôt de les inclure dans le grand courant des souffrances du Christ et de son Corps qui est l'Eglise.

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4. L'apôtre indique de quelle manière on peut être uni au Seigneur: demeurer sans cesse avec Lui, jouir de sa présence (eupâredron), sans se laisser distraire par des choses non essentielles (aperispastôs) 1Co 7,35.
Paul précise encore plus clairement cette pensée quand il parle de la situation de la femme mariée et de celle de la femme qui a opté pour la virginité ou qui n'a plus de mari. Alors que la femme mariée doit chercher "les moyens de plaire à son mari", la femme sans mari "a souci des affaires du Seigneur; elle cherche à être sainte de corps et d'esprit" 1Co 7,34.

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5. Pour saisir plus parfaitement toute la profondeur de la pensée de Paul, il importe de savoir que, selon la conception biblique, la sainteté est moins une action qu'un état; elle a surtout un caractère ontologique, puis également moral. Dans l'Ancien Testament on trouve souvent un éloignement de ce qui n'est pas sujet à l'influence de Dieu, de ce qui est le pro-fanum, pour appartenir exclusivement à Dieu. La sainteté du corps et de l'esprit signifie donc également le caractère sacré de la virginité ou du célibat, acceptés pour le Royaume de Dieu. Et en même temps, ce qui est offert à Dieu doit se caractériser par la pureté morale et suppose donc un comportement "sans tache ni ride" mais "saint et immaculé" selon le modèle virginal que l'Eglise présente au Christ Ep 5,27.
Dans ce chapitre de l'épître aux Corinthiens, l'apôtre touche les problèmes du mariage et du célibat (ou de la virginité) de manière profondément humaine et réaliste, se rendant compte de la mentalité de ses destinataires. Dans une certaine mesure, les arguments de Paul sont des arguments ad hominem. Le monde nouveau, le nouvel ordre des valeurs qu'il annonce doivent, dans le milieu de ses lecteurs de Corinthe, se rencontrer avec un autre monde, un autre ordre de valeurs, différent également de celui où les paroles prononcées par le Christ avaient été entendues pour la première fois.

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6. Si, avec sa doctrine concernant le mariage et la continence, saint Paul se réfère également à la caducité du monde et de la vie humaine dans ce monde, il le fait certainement en se référant au milieu qui, en un certain sens, était orienté pour jouir du monde. Et combien est significatif, de ce point de vue, son appel "à ceux qui jouissent du monde", pour qu'ils fassent "comme s'ils n'en jouissaient pas véritablement" 1Co 7,31. Du contexte immédiat il résulte que, dans ce milieu même, le mariage était compris comme une manière de jouir du monde - contrairement à ce qu'il avait été tout au long de la tradition israélite (malgré quelques déviations que Jésus a indiquées dans son entretien avec les pharisiens ou dans le Sermon sur la montagne). Il est évident que tout cela explique le style de la réponse de Paul. L'apôtre se rendait bien compte que, s'il encourageait à s'abstenir du mariage, il devait en même temps mettre en lumière une manière de comprendre le mariage qui soit conforme à tout l'ordre évangélique des valeurs. Et il devait le faire avec le plus grand réalisme, c'est-à-dire en gardant les yeux ouverts sur le milieu auquel il s'adressait, sur les idées et la manière d'évaluer les valeurs qui y régnaient.

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7. Aux hommes qui vivaient dans un milieu où l'on considérait surtout le mariage comme une des manières de jouir du monde, Paul adressait donc des paroles significatives concernant soit la virginité ou le célibat (comme nous l'avons vu), soit le mariage même: "Je dis toutefois aux célibataires et aux veuves qu'il leur est bon de rester comme moi. Mais s'ils ne peuvent se contenir, qu'ils se marient: mieux vaut se marier que de brûler" 1Co 7,8-9 Déjà, auparavant, Paul avait exprimé une idée à peu près semblable: "J'en viens maintenant à ce que vous m'avez écrit. Il est bon pour l'homme de s'abstenir de la femme. Toutefois, en raison du péril d'impudicité, que chaque homme ait sa femme et chaque femme son mari" 1Co 7,1-2.

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8. Dans sa première épître aux Corinthiens, l'apôtre considérait-il le mariage exclusivement comme un remedium concupiscentiae (un remède contre la concupiscence), comme on l'exprime habituellement en langage théologique traditionnel? Les affirmations que nous venons de rappeler sembleraient en témoigner.
En attendant, nous lisons, dans le voisinage immédiat des formules rapportées, une phrase qui nous entraîne à voir de manière différente l'ensemble de l'enseignement de Paul que contient 1Co 7: "Je voudrais que tout le monde fût comme moi (il reprend son argument préféré en faveur de l'abstention du mariage); mais chacun reçoit de Dieu son don particulier, l'un celui-ci, l'autre celui-là" 1Co 7,7. Ainsi donc, même ceux qui choisissent le mariage et vivent la vie matrimoniale ont reçu un don de Dieu, don particulier, c'est-à-dire la grâce propre à ce choix, à cette manière de vivre, à cet état. Le don que reçoivent les personnes qui vivent dans le mariage est différent de celui que reçoivent les personnes qui vivent dans la virginité et choisissent la continence pour le Royaume de Dieu; celui-ci n'est pas moins un don de Dieu, un don particulier destiné à des personnes consacrées, un don spécifique, c'est-à-dire adapté à leur vocation de vie.

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9. Quand l'Apôtre caractérise le mariage du côté humain (et peut-être plus encore du côté de la situation dominant à Corinthe), il met vigoureusement en relief les motivations en ce qui concerne la concupiscence de la chair; il révèle aussi, en même temps et avec non moins de force de conviction, son caractère sacramentel et charismatique. Aussi clairement qu'il voit la situation de l'homme par rapport à la concupiscence de la chair, il voit aussi l'action de la grâce en chaque homme - en celui qui vit dans le mariage autant qu'en celui qui choisit volontairement la continence, tenant compte du fait que "la figure de ce monde passe" 1Co 7,31




La "concession" paulinienne de l'abstinence entre époux

dans la dynamique spiri

14 juillet 1982

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1. Durant nos précédentes considérations, analysant le chapitre 7 de la première épître aux Corinthiens, nous avons essayé de saisir le sens des enseignements et des conseils que saint Paul donne aux destinataires de son épître au sujet des questions concernant le mariage et la continence volontaire, ou abstention du mariage. Quand il affirme que celui qui choisit le mariage fait bien, et que celui qui choisit la virginité fait mieux, l'Apôtre se réfère à la caducité du monde - c'est-à-dire à tout ce qui est temporel.
Il est facile de comprendre que le motif de caducité et de fragilité de ce qui est temporel parle dans ce cas de manière bien plus vigoureuse qu'une référence à la réalité de l'autre monde. Bien que l'Apôtre s'exprime ici avec quelque difficulté, nous pouvons toutefois être d'accord qu'à la base de l'interprétation paulinienne du thème mariage-virginité se trouve moins la métaphysique même de l'être accidentel, donc passager, que plutôt la théologie d'une grande attente dont Paul a été un fervent avocat. Ce n'est pas le monde qui est le destin éternel de l'homme, mais bien le Royaume de Dieu. L'homme ne doit pas trop s'attacher aux biens qui sont à la mesure du monde périssable.

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2. Le mariage lui-même est lié à la figure de ce monde qui passe; et nous sommes ici très proches, en un certain sens, de la perspective ouverte par le Christ dans son énoncé sur la résurrection future Mt 22,23-32 Mc 12,18-27 Lc 20,27-40 C'est pourquoi, comme l'enseigne saint Paul, le chrétien doit vivre le mariage en le considérant selon sa vocation définitive. Et tandis que le mariage est lié à la figure de ce monde qui passe, et qu'il impose, en un certain sens, la nécessité de "se renfermer" dans cette caducité; par l'abstention du mariage, au contraire, il libère de cette nécessité. C'est précisément pour cela que l'Apôtre déclare que celui qui choisit la continence fait mieux. Et bien que son argumentation progresse sur cette voie, c'est décidément le problème de plaire au Seigneur et de se préoccuper des affaires du Seigneur qui passe au premier plan.

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3. On peut admettre que les mêmes raisons parlent en faveur de ce que l'Apôtre conseille aux veuves: "La femme demeure liée à son mari aussi longtemps qu'il vit, mais si le mari meurt, elle est libre d'épouser qui elle veut, mais seulement dans le Seigneur. Pourtant, elle sera plus heureuse, à mon sens, si elle demeure comme elle est. Et je pense bien, moi aussi, avec l'Esprit de Dieu" 1Co 7,39-40. Donc: il vaut mieux rester veuve que contracter un nouveau mariage.

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4. Ce que nous découvrons grâce à une lecture attentive de l'épître aux Corinthiens, principalement du chapitre 7, nous révèle tout le réalisme de la théologie paulinienne du corps. Si, dans son épître, l'apôtre proclame que "votre corps est un temple du Saint-Esprit qui est en vous" 1Co 6,19, il est en même temps pleinement conscient du caractère faible et porté au péché auquel l'homme est soumis précisément en raison de la convoitise de la chair.
Toutefois, cette conviction ne l'empêche nullement de voir la réalité du don que Dieu offre tant à ceux qui s'abstiennent du mariage qu'à ceux qui prennent femme ou mari. En 1Co 7, nous trouvons un net encouragement à l'abstention au mariage et l'affirmation que celui qui s'y décide fait mieux; toutefois, nous n'y trouvons rien qui puisse faire considérer comme charnels ceux qui vivent le mariage et comme spirituels ceux qui choisissent la continence pour des motifs religieux. En fait, dans l'une et l'autre manière de vivre - dans l'une et l'autre vocation, comme on le dit aujourd'hui - opère le don que chacun reçoit de Dieu, C'est-à-dire la grâce qui fait du corps "un temple de l'Esprit-Saint" et qui reste tel dans la virginité (ou continence) comme dans le mariage.

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5. Dans l'enseignement que Paul expose principalement en 1Co 7, il n'y a pas la moindre base pour ce qui, plus tard, sera appelé manichéisme. L'Apôtre sait parfaitement que si la continence pour le Royaume des Cieux est toujours à recommander, la grâce - c'est-à-dire le propre don de Dieu - aide aussi et en même temps les époux qui vivent unis si étroitement que, comme le dit Gn 2,24, ils ne sont plus qu'"une seule chair". Cette coexistence charnelle est donc soumise à la puissance de leur propre don de Dieu. A ce propos, l'Apôtre écrit avec le réalisme qui caractérise tout son raisonnement dans le chapitre 7 de son épître: "Que le mari s'acquitte de son devoir envers sa femme et pareillement la femme envers son mari. La femme ne dispose pas de son corps, mais le mari. Pareillement le mari ne dispose pas de son corps, mais la femme" 1Co 7,3-4.

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6. On peut dire que ces affirmations constituent, de la part du Nouveau Testament, un lumineux commentaire de Gn 2,24 que nous venons d'évoquer. Toutefois, les termes utilisés ici, en particulier les expressions "son devoir" et "ne dispose pas" ne sauraient s'expliquer si l'on fait abstraction de la dimension exacte de l'alliance nuptiale, comme nous avons essayé de le montrer par l'analyse des textes du livre de la Genèse; nous essayerons de le faire encore plus pleinement quand nous parlerons de la nature sacramentelle du mariage en nous basant sur Ep 5,22-33. Le moment venu, il conviendra de revenir encore à ces expressions significatives qui, du vocabulaire de saint Paul, sont passées à toute la théologie du mariage.

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7. Pour l'instant nous continuerons à fixer l'attention sur les autres phrases de ce passage du chapitre 7 ou l'Apôtre s'adresse aux époux en ces termes: "Ne vous refusez pas l'un à l'autre; si ce n'est d'un commun accord, pour un temps, afin de vaquer à la prière; puis reprenez la vie commune de peur que Satan ne profite de votre incontinence pour vous tenter. Ce que je vous dis là est une concession, non un ordre" 1Co 7,5-6. C'est un texte très important auquel il conviendra de se référer encore dans le cadre des méditations sur les autres thèmes.
Est extrêmement significatif le fait que l'Apôtre qui, dans toute son argumentation au sujet du mariage et de la continence, établit, comme le Christ, une nette distinction entre commandement et conseil évangélique, éprouve le besoin de se référer également à la "concession" comme à une règle supplémentaire, et cela surtout quand il s'agit des époux et de leur coexistence mutuelle. Saint Paul dit clairement que tant la coexistence conjugale que la volontaire et périodique abstention des époux doivent être un fruit de ce don de Dieu qui leur est propre et que, coopérant en connaissance de cause avec lui, les époux eux-mêmes peuvent maintenir et renforcer ce lien personnel réciproque et en même temps affermir la dignité que le fait d'être "temple du Saint- Esprit qui est en eux" confère à leur corps 1Co 6,19.

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8. Il semble que la règle paulinienne de concession indique le besoin de prendre en considération tout ce qui correspond de quelque façon à la subjectivité si différenciée de l'homme et de la femme. Tout ce qui, dans cette subjectivité, est de nature non seulement spirituelle mais encore psychosomatique, toute la richesse subjective de l'homme qui, entre son être spirituel et son être corporel, s'exprime dans la sensibilité spécifique tant chez l'homme que chez la femme, tout cela doit être maintenu sous l'influence du don que chacun reçoit de Dieu, un don qui lui est vraiment personnel.
Comme on le voit, dans 1Co 7, saint Paul interprète l'enseignement du Christ sur la continence pour le Royaume des Cieux de la manière très pastorale qui est la sienne, sans épargner à cette occasion les accents qui lui sont entièrement personnels. L'enseignement au sujet de la continence et de la virginité, il l'interprète parallèlement à la doctrine concernant le mariage, en conservant le réalisme propre au pasteur et en même temps en assurant les proportions que nous trouvons dans l'Evangile, dans les paroles du Christ lui-même.

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9. On peut retrouver dans l'énoncé de Paul cette structure portante fondamentale de la doctrine révélée sur l'homme, c'est-à-dire qu'il est destiné - également avec son corps - à la vie future. Cette structure portante est à la base de tout l'enseignement évangélique sur la continence pour le Royaume de Dieu Mt 19,12; mais en même temps, sur elle repose également l'accomplissement - eschatologique - définitif de la doctrine évangélique concernant le mariage Mt 22,30 Mc 12,25 Lc 20,36 Ces deux dimensions de la vocation humaine ne s'opposent pas, elles sont complémentaires. Elles fournissent toutes deux une réponse complète à l'une des questions fondamentales au sujet de l'homme, la question qui concerne la signification du fait d'être corps, la question sur la signification de la masculinité et de la féminité: ce que signifie donc être dans le corps un homme ou une femme.

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10. Ce que nous définissons normalement comme théologie du corps se présente comme quelque chose de véritablement fondamental et constitutif pour toute l'herméneutique anthropologique - et en même temps quelque chose d'également fondamental pour l'éthique et pour la théologie de l'éthos humain. Dans chacun de ces deux domaines, il convient d'écouter attentivement non seulement les paroles du Christ, qui font appel "à l'origine" Mt 19,4 ou au coeur comme lieu intime et en même temps historique de la rencontre avec la "convoitise" de la chair Mt 5,28, mais aussi et non moins attentivement les paroles du Christ qui se réclame de la résurrection pour jeter dans le coeur inquiet de l'homme les premiers germes de la réponse à la question de savoir ce que signifie être chair, dans la perspective de l'autre monde.




2002 Magistère Mariage 1283