2002 Magistère Mariage 1318

Rédemption du corps, Espérance de victoire sur le péché

21 juillet 1982

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1. "Nous aussi qui possédons les prémices de l'Esprit, nous gémissons intérieurement et nous attendons ... la Rédemption de notre corps" Rm 8,23. Dans l'épître aux Romains, saint Paul voit cette Rédemption du corps dans une dimension anthropologique et en même temps cosmique ... La création "en effet est soumise à la caducité" Rm 8,20. Toute la création visible, tout le cosmos, porte en elle les effets du péché de l'homme. "Toute la création crie sa souffrance, elle passe par les douleurs d'un enfantement qui dure encore" Rm 8,22. Et en même temps, "la création entière ... aspire de toutes ses forces à voir la révélation des fils de Dieu" et "elle nourrit l'espérance d'être, elle aussi, libérée de l'esclavage de la dégradation inévitable pour entrer, elle aussi, dans la liberté, la gloire des enfants de Dieu" Rm 8,19-21.

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2. Selon Paul, la Rédemption de notre corps fait partie de notre espérance. En un certain sens, cette espérance a été greffée dans le coeur de l'homme aussitôt après le premier péché. Il suffit de penser aux paroles du livre de la Genèse qui forment ce que la tradition appelle le proto-évangile Gn 3,15 et qui sont donc, peut-on dire, comme le début de la Bonne Nouvelle, la première annonce du salut. La Rédemption de notre corps est liée, selon ce que dit l'épître aux Romains, justement à cette espérance selon laquelle - lisons- nous - "nous avons été sauvés" Rm 8,24. C'est dans cette espérance, qui remonte aux débuts de l'humanité, que la Rédemption de notre corps trouve sa dimension anthropologique

elle est la Rédemption de l'homme. En même temps elle

rayonne, en un certain sens, sur toute la création qui, depuis le début, est liée de façon particulière à l'homme et lui est subordonnée Gn 1,28-30. La Rédemption de notre corps est donc la Rédemption du monde: elle a une dimension cosmique.

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3. Quand, dans sa lettre aux Romains, Paul de Tarse dessine une image cosmique de la Rédemption, il met l'homme au centre, exactement comme au commencement celui-ci avait été mis au centre de l'image de la création. C'est justement cet homme, ce sont les hommes, qui possèdent les prémices de l'Esprit, qui gémissent intérieurement et qui attendent la Rédemption de leur corps Rm 8,23. Le Christ, qui est venu pour révéler pleinement l'homme à lui-même et lui découvrir la sublimité de sa vocation GS 22, parle dans l'Evangile à partir de la profondeur divine du mystère de la Rédemption qui trouve précisément en Lui son sujet historique spécifique. Par conséquent, le Christ parle au nom de cette espérance qui a été mise au coeur de l'homme dès le proto- évangile. Le Christ accomplit cette espérance, non seulement par son enseignement, mais surtout par le témoignage de sa mort et de sa résurrection. Ainsi donc, la Rédemption de notre corps est déjà accomplie dans le Christ. En Lui, cette espérance par laquelle nous sommes sauvés trouve sa confirmation. Et en même temps, cette espérance a été encore élargie vers son accomplissement eschatologique définitif. La révélation des enfants de Dieu dans le Christ a été définitivement orientée vers cette liberté et cette gloire auxquelles les fils de Dieu participeront définitivement.

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4. Pour comprendre tout ce que comporte la Rédemption du corps dans la lettre de Paul aux Romains, il faut une authentique théologie du corps. Nous avons essayé de l'édifier en partant avant tout des paroles du Christ. Les éléments constitutifs de la théologie du corps sont réunis dans ce que dit le Christ quand il parle de ce qui était "au commencement" pour répondre à la question qui lui est posée sur l'indissolubilité du mariage Mt 19,8; également dans ce qu'il dit de la concupiscence en parlant du coeur humain, dans le Sermon sur la montagne Mt 5,28, et également dans ce qu'il dit par rapport à la résurrection Mt 22,30. Chacun de ces passages renferme une grande richesse, aussi bien sur le plan anthropologique qu'au niveau éthique. Le Christ parle à l'homme, et il parle de l'homme: de l'homme qui est corps et qui a été créé homme et femme à l'image et à la ressemblance de Dieu; il parle de l'homme dont le coeur est sujet à la concupiscence et aussi de l'homme devant lequel s'ouvre la perspective eschatologique de la résurrection du corps.
Le corps, selon le livre de la Genèse, exprime l'aspect visible de l'homme et son appartenance au monde visible. Pour saint Paul, le corps n'exprime pas seulement cette appartenance mais aussi le fait que l'homme est comme étranger à l'action de l'Esprit de Dieu. Ces deux significations du corps sont, l'une et l'autre en relation avec la Rédemption du corps.

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5. Comme dans les textes que nous venons d'analyser, le Christ parle à partir de la profondeur divine du mystère de la Rédemption; ses paroles vont exactement dans le sens de cette espérance dont parle l'épître aux Romains. La Rédemption du corps selon l'Apôtre, est, en définitive, ce que nous attendons. Ainsi attendons-nous justement la victoire eschatologique sur la mort dont le Christ a témoigné surtout par sa résurrection. Ses paroles sur la résurrection des corps et sur la réalité de l'autre monde telles que les Synoptiques les ont retenues ont acquis, à la lumière du mystère pascal, tout leur sens. Le Christ aussi bien que Paul de Tarse ont proclamé l'appel à s'abstenir du mariage pour le Royaume des Cieux, justement au nom de cette réalité eschatologique.

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6. Cependant, la Rédemption du corps ne se manifeste pas seulement dans la résurrection en tant que victoire sur la mort. Elle est présente également dans les paroles que le Christ adresse à l'homme historique, soit lorsqu'il confirme le principe de l'indissolubilité du mariage, en tant que principe venant du Créateur lui-même, soit lorsque - dans le Sermon sur la montagne - il invite à vaincre la concupiscence jusque dans les mouvements les plus intérieurs du coeur humain. Que ce soit à propos de l'une ou de l'autre de ces affirmations de base, il faut dire qu'elles ont l'une et l'autre trait à la morale humaine, qu'elles ont une signification éthique. Ici, il ne s'agit pas de l'espérance eschatologique de la résurrection mais de l'espérance de la victoire sur le péché, de ce que l'on peut appeler l'espérance du quotidien.

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7. Pour sa vie de chaque jour, l'homme doit puiser au mystère de la Rédemption du corps l'inspiration et la force pour vaincre le mal qui dort en lui sous la forme de la triple concupiscence. L'homme et la femme qui sont liés dans le mariage doivent reprendre chaque jour l'actualisation de l'union indissoluble et de l'alliance qu'ils ont conclue entre eux. Mais l'homme ou la femme qui, volontairement, ont choisi la continence pour le Royaume des Cieux doivent aussi donner chaque jour le témoignage vivant de leur fidélité à leur choix en faisant leurs les directives du Christ dans l'Evangile et celles de l'apôtre Paul dans la première lettre aux Corinthiens. De toute façon, il s'agit de l'espérance du quotidien qui aide, dans les tâches normales et les difficultés de la vie humaine, à vaincre "le mal par le bien" Rm 12,21. De fait, c'est en espérance que nous sommes sauvés: l'espérance du quotidien manifeste sa puissance dans les oeuvres de l'homme et jusque dans les mouvements du coeur, traçant ainsi le chemin, en un certain sens, à la grande espérance eschatologique liée à la Rédemption du corps.

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8. En pénétrant dans la vie de tous les jours à travers la dimension de la morale humaine, la Rédemption du corps aide, avant tout, à découvrir tout le bien qui permet à l'homme de remporter la victoire sur le péché et sur la concupiscence. Les paroles du Christ qui viennent de la divine profondeur du mystère de la Rédemption permettent de découvrir et de renforcer le lien qui existe entre la dignité de l'être humain (de l'homme ou de la femme) et la dimension nuptiale de son corps. Elles permettent de comprendre et d'actualiser, sur la base de cette dimension, un don librement mûri qui s'exprime d'un côté dans le mariage indissoluble et de l'autre dans l'abstention du mariage pour le Royaume de Dieu. A travers ces voies différentes, le Christ manifeste pleinement l'homme à lui-même, et lui découvre la sublimité de sa vocation. Cette vocation est inscrite dans l'homme selon la ligne de tout son composé psychique et physique, justement à travers le mystère de la Rédemption du corps.
Et tout ce que nous avons essayé de faire au long de ces méditations pour comprendre les paroles du Christ trouve son fondement définitif dans le mystère de la Rédemption du corps.



Le mariage comme sacrement, selon Saint Paul aux Ephésiens

28 juillet 1982

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1. Nous entamons aujourd'hui un nouveau chapitre sur le thème du mariage, en lisant ce que dit saint Paul aux Ephésiens: "Que les femmes soient soumises à leur mari, comme au Seigneur Jésus; car, pour la femme, le mari est la tête, tout comme, pour l'Eglise, le Christ est à la tête, lui qui est le Sauveur de son corps. Eh bien! si l'Eglise se soumet au Christ, qu'il en soit toujours de même pour les femmes à l'égard de leur mari. Vous, les hommes, aimez votre femme, à l'exemple du Christ: il a aimé l'Eglise, il s'est livré pour elle; il voulait la rendre sainte en la purifiant par l'eau du baptême et la parole de vie; il voulait se la présenter à lui-même, cette Eglise, resplendissante, sans tache ni ride, ni aucun défaut; il la voulait sainte et immaculée. C'est comme cela que le mari doit aimer sa femme: comme son propre corps. Celui qui aime sa femme s'aime lui- même. Jamais personne n'a méprisé son propre corps: au contraire, on le nourrit, on en prend soin. C'est ce que fait le Christ pour l'Eglise, parce que nous sommes les membres de son corps A cause de cela, l'homme quittera son père et sa mère, il s'unira à sa femme et tous deux ne feront plus qu'un. Ce mystère est grand; je le dis en pensant au Christ et à l'Eglise! Bref, en ce qui vous concerne, que chacun aime sa femme comme lui-même, et que la femme respecte son mari" Ep 5,22-33.

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2. Il nous faut soumettre à une analyse approfondie ce texte de Ep 5, comme auparavant nous avons analysé toutes les paroles du Christ qui semblaient avoir une signification capitale pour la théologie du corps. Il s'agissait des paroles dans lesquelles le Christ se réfère au "commencement" Mt 19,4 Mc 10,6, au "coeur" humain, dans le Sermon sur la Montagne Mt 5,28 et à la résurrection future Mt 22,30 Mc 12,25 Lc 20,35 Ce qui est dit dans ce passage de l'épître aux Ephésiens constitue pour ainsi dire le couronnement de ces autres mots clés. Si, à partir de ceux-là on a pu dégager une théologie du corps dans ses grandes lignes évangéliques, à la fois simples et fondamentales, il faut, d'une certaine manière, présupposer cette théologie pour interpréter ce passage de l'épître aux Ephésiens. Par conséquent, si l'on veut interpréter ce passage, il faut le faire à la lumière de ce que le Christ nous a dit sur le corps humain. Il a parlé de la concupiscence (du coeur) à l'homme historique, et par conséquent à l'homme tout court. Et il a aussi fait ressortir, d'un côté, les perspectives du commencement, c'est-à-dire de l'innocence originelle et de la justice et, de l'autre, les perspectives eschatologiques de la résurrection des corps quand "on ne prendra plus femme ni mari" Lc 20,35. Tout cela fait partie de l'optique théologique de la "Rédemption de notre corps" Rm 8,23.

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3. Ce que dit l'auteur de la lettre aux Ephésiens (*) est également centré sur le corps; et cela aussi bien dans son sens métaphorique, c'est-à-dire à propos du corps du Christ qui est l'Eglise, que dans son sens propre, c'est-à-dire à propos du corps humain dans sa masculinité et sa féminité, dans son destin de s'unir dans le mariage, comme le dit Gn 2,24

"L'homme quittera son père et sa mère, il s'unira à

sa femme et tous deux ne feront plus qu'un".
De quelle manière ces deux significations du corps apparaissent-elles et convergent-elles dans ce passage de l'épître aux Ephésiens. Et pourquoi y apparaissent-elles et convergent-elles? Voilà des questions qu'il faut se poser, et il ne faut pas l'attendre à avoir des réponses immédiates et directes, mais plutôt, autant que possible, il faut approfondir à longue échéance, ces réponses auxquelles nous ont préparés nos analyses précédentes. En effet, ce passage de l'épître aux Ephésiens ne peut être compris correctement que dans son large contexte biblique; il faut le voir comme le couronnement des thèmes et des vérités qui ponctuent la Parole de Dieu révélée dans l'Ecriture sainte, tels le flux et le reflux de larges vagues. Ce sont des thèmes centraux et des vérités essentielles. C'est pour cela que ce texte de l'épître aux Ephésiens est également un texte clé classique.
Note (*) - La question de savoir si l'épître aux Ephésiens est de saint Paul ou pas, paternité reconnue par certains exégètes et refusée par d'autres, peut trouver une solution dans une supposition qui se place entre les deux opinions et que nous ferons nôtre comme hypothèse de travail, à savoir que saint Paul confia à son secrétaire quelques idées et que celui-ci, par la suite, les développa et les rédigea. - C'est à cette solution provisoire de la question que nous pensons quand nous parlons de l'auteur de l'épître aux Ephésiens, de l'apôtre et de saint Paul.

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4. C'est un texte bien connu dans la liturgie qui l'utilise toujours en rapport avec le sacrement de mariage. La lex orandi de l'Eglise voit dans ce texte une référence explicite à ce sacrement: et la lex orandi annonce et en même temps exprime la lex credendi. Ceci étant admis, il nous faut tout de suite nous demander comment on voit, dans ce texte classique de l'épître aux Ephésiens, la vérité sur la sacramentalité du mariage. De quelle façon s'y exprime-t- elle, y est-elle confirmée? On va voir que la réponse à ces questions ne peut être immédiate et directe, mais progressive, et n'être donnée qu'à longue échéance. Cela se vérifie dès le premier coup d'oeil sur ce texte qui nous renvoie au livre de la Genèse, et donc au commencement, et qui, dans sa description des rapports entre le Christ et l'Eglise, reprend chez les prophètes de l'Ancien Testament leur analogie bien connue avec l'amour nuptial entre Dieu et le peuple élu. Il serait difficile de dire comment l'épître aux Ephésiens traite de la sacramentalité du mariage sans étudier ces rapports. On verra aussi comment cette réponse doit passer par toutes les dimensions des problèmes qu'on a déjà analysés, c'est-à-dire par la théologie du corps.

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5. Le sacrement ou la sacramentalité - au sens le plus général de ce terme - concerne les corps et présuppose une théologie du corps. Le sacrement, en effet, dans son sens généralement reçu, est un signe visible. Le corps signifie aussi ce qui est visible, le caractère visible du monde et de l'homme. Par conséquent, d'une certaine manière - bien qu'en un sens plus général -, le corps entre dans la définition du sacrement puisqu'il est le signe visible d'une réalité invisible, c'est-à-dire de la réalité spirituelle, transcendante, divine. C'est dans ce signe - et à travers ce signe - que Dieu se donne à l'homme dans sa vérité transcendante et dans son amour. Le sacrement est un signe de la grâce, et c'est un signe efficace. Non seulement il l'indique et l'exprime de façon visible, il en est le signe, mais il la produit et contribue efficacement à faire en sorte que la grâce fasse partie de l'homme et qu'en lui se réalise et s'accomplisse l'oeuvre du salut, l'oeuvre établie d'avance par Dieu de toute éternité et qui a été pleinement révélée en Jésus-Christ.

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6. Je dirais que déjà, dans ce premier coup d'oeil jeté sur ce texte classique de l'épître aux Ephésiens, nous voyons dans quelle direction devront se poursuivre nos analyses suivantes. Il est indispensable que ces analyses commencent par une compréhension préliminaire du texte en lui-même; cependant, elles doivent nous conduire ensuite, si l'on peut dire, par-delà les limites du texte, à comprendre, si possible jusqu'au fond, quelle richesse de vérité révélée par Dieu est contenue dans le cadre de cette merveilleuse page. En empruntant la célèbre expression de GS 22, on peut dire que ce passage que nous avons choisi dans l'épître aux Ephésiens "manifeste pleinement l'homme à lui-même et lui découvre la sublimité de sa vocation": en tant qu'il partage l'expérience de l'incarnation. En effet Dieu, en le créant à son image, dès le commencement le créa "homme et femme" Gn 1,27

Au cours de nos analyses suivantes nous chercherons - surtout à la lumière de ce texte de l'épître aux Ephésiens - à comprendre plus profondément le sacrement, en particulier le mariage en tant que sacrement: en premier lieu dans sa dimension de l'Alliance et de la grâce, et ensuite dans sa dimension de signe sacramentel.



Mystère du Christ dans l'Eglise et invitation à imiter Dieu

4 août 1982

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1. Durant notre entretien de mercredi dernier j'ai cité Ep 5,22-33. Maintenant, après ce regard introductif, il convient d'examiner comment ce passage - si important, soit pour le mystère de l'Eglise, soit pour le caractère sacramentel du mariage - s'encadre dans le contexte immédiat de l'épître entière.
Tout en sachant qu'il existe une série de problèmes discutés par les biblistes concernant les destinataires, la paternité et même la date de composition de l'épître aux Ephésiens, il faut constater que celle-ci a une structure très significative. L'auteur la commence en présentant l'éternel plan du salut de l'homme en Jésus-Christ.
"... Dieu, Père de notre Seigneur Jésus-Christ ... qui nous a élus en lui pour être saints et immaculés en sa présence, dans l'amour, déterminant d'avance que nous serions pour lui des fils adoptifs par Jésus-Christ. Tel fut le bon plaisir de sa volonté à la louange de gloire de sa grâce, dont il nous a gratifiés dans le Bien-aimé. En lui nous trouvons la Rédemption par son sang, la rémission des péchés selon la richesse de sa grâce ... pour réaliser ce dessein quand les temps seront accomplis: ramener toutes choses sous un seul chef, le Christ" Ep 1,3-10.
Après avoir présenté, avec des paroles pleine de gratitude, le plan qui est en Dieu de toute éternité et, en même temps, se réalise déjà dans la vie de l'humanité, l'auteur de l'épître prie le Seigneur pour que les hommes (et principalement les destinataires de la missive) connaissent le Christ en tant que Chef: "Il l'a constitué au sommet de tout, tête pour l'Eglise qui est son corps, la plénitude de celui qui se réalise entièrement en toute chose" Ep 1,22-23 L'humanité pécheresse est appelée à une vie nouvelle dans le Christ en qui les païens et les juifs doivent s'unir comme dans un temple Ep 2,11-21. L'apôtre est le propagateur du mystère du Christ parmi les païens, les principaux destinataires de son épître, où il écrit que "fléchissant les genoux en présence du Père, il demande qu'il daigne, selon la richesse de sa gloire, (les) armer de puissance par son Esprit pour que se fortifie en eux l'homme intérieur" Ep 3,14-16


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2. Après une si profonde et suggestive révélation du mystère du Christ dans l'Eglise, l'auteur passe, dans la seconde partie de son épître, à des directives plus détaillées qui visent à définir la vie chrétienne comme vocation jaillissant du plan divin, dont nous avons parlé précédemment, c'est-à-dire du mystère du Christ dans l'Eglise. Ici également l'auteur aborde différentes questions qui ont gardé toute leur importance pour la vie chrétienne. Il exhorte à conserver l'unité, soulignant en même temps qu'une telle unité se construit sur la multiplicité et la diversité des dons du Christ. Chacun reçoit un don différent, mais tous les chrétiens doivent, comme tels, "revêtir l'homme nouveau, qui a été créé selon Dieu, dans la justice et la sainteté de la vérité" Ep 4,24. A cela se rattache un rappel catégorique à surmonter les vices et à acquérir les vertus correspondant à la vocation que tous les hommes ont reçue dans le Christ Ep 4,25-32. L'auteur écrit: "Cherchez à imiter Dieu, comme des enfants bien-aimés et suivez la voie de l'amour, à l'exemple du Christ qui nous a aimés et s'est offert pour nous ... en sacrifice" Ep 5,1-2.

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3. En Ep 5, ces rappels se font encore plus circonstanciés. L'auteur condamne sévèrement les abus des païens. Il écrit: "Jadis vous étiez dans les ténèbres, mais à présent vous êtes lumière dans le Seigneur; conduisez-vous en enfants de lumière" Ep 5,8. Puis: "Ne vous montrez donc pas inconsidérés, mais sachez voir quelle est la volonté du Seigneur. Et ne vous enivrez pas de vin Pr 23,31 ... mais cherchez votre plénitude dans l'Esprit. Récitez entre vous des psaumes, des hymnes et des cantiques inspirés; chantez et célébrez le Seigneur de tout votre coeur" Ep 5,17-19. L'auteur de l'épître veut indiquer par ces paroles le climat de vie spirituelle qui devrait animer toute communauté chrétienne. A ce point, il passe à la communauté domestique, c'est-à-dire à la famille. Il écrit en effet: "Cherchez votre plénitude dans l'Esprit ... En tout temps et à tout propos, rendez grâce à Dieu le Père, au nom de notre Seigneur Jésus-Christ ... Soyez soumis les uns aux autres dans la crainte du Seigneur" Ep 5,20-21. Et ainsi nous abordons précisément ce passage de l'épître qui fera l'objet de notre particulière analyse. Il sera facile de constater que le contenu essentiel de ce texte classique se présente là où se croisent les deux principaux fils conducteurs de toute l'épître aux Ephésiens: - le premier, le mystère du Christ qui, en tant qu'expression du plan divin pour le salut de l'homme, se réalise dans l'Eglise; -- le second, la vocation chrétienne qui en tant que modèle de vie des baptisés, individuellement et en communautés, correspond au mystère du Christ, c'est-à-dire au plan divin pour le salut de l'homme.

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4. Dans le contexte immédiat du passage cité, l'auteur de l'épître s'efforce d'expliquer comment la vie chrétienne ainsi conçue doit se réaliser et se manifester dans les rapports entre tous les membres d'une famille; donc, non pas seulement dans les relations entre le mari et la femme (dont traite précisément Ep 5,22-33 que nous avons choisi) mais également celles entre parents et enfants. L'auteur écrit: "Enfants, obéissez à vos parents dans le Seigneur: cela est juste. Honore ton père et ta mère, tel est le premier commandement auquel soit attachée une promesse; pour que tu sois heureux et jouisses d'une longue vie sur la terre. Et vous, parents, n'exaspérez pas vos enfants, mais élevez-les dans l'éducation et la discipline du Seigneur" Ep 6,1-4. Il parle ensuite des devoirs des serviteurs à l'égard des maîtres et, vice versa, des maîtres à l'égard des serviteurs, c'est-à-dire des esclaves Ep 6,5-9, ce qui se réfère également aux directives concernant la famille au sens le plus large. La famille est constituée en effet non seulement par les parents et les enfants (dans l'ordre de succession des générations): y appartiennent aussi, au sens large, les serviteurs et les servantes, les esclaves de l'un et l'autre sexe.

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5. Ainsi donc le texte de l'épître aux Ephésiens que nous nous proposons d'analyser en profondeur est situé dans le contexte immédiat des enseignements sur les devoirs moraux de la société familiale (les Haustafeln ou codes domestiques suivant la définition de Luther). Nous trouvons de semblables instructions dans d'autres épîtres Col 3,18-4,1 1P 2,13-3,7 Du reste, ce contexte immédiat fait partie de notre passage en ce sens que le texte classique que nous avons choisi a également trait aux devoirs réciproques des maris et des femmes. Il faut cependant noter que Ep 5,22-33, considéré en soi, est centré exclusivement sur les époux et sur le mariage; et ce qui concerne la famille, également au sens le plus large, se trouve déjà dans le contexte. Mais avant de passer à une analyse approfondie du texte, il convient d'ajouter que l'épître se conclut par un merveilleux encouragement à la bataille spirituelle Ep 6,10-20, par de brèves recommandations Ep 6,21-22 et un voeu final Ep 6,23-24 Cette invitation à la bataille spirituelle semble se fonder logiquement sur l'argumentation de toute la lettre. Elle est, pour ainsi dire, l'explicite accomplissement de ses fils conducteurs principaux.
Ayant ainsi sous les yeux la structure globale de l'épître aux Ephésiens nous chercherons au cours de la prochaine analyse d'éclairer le sens des paroles: "Soyez soumis les uns aux autres dans la crainte du Christ" Ep 5,21, adressées aux maris et aux femmes.



Le Christ, Source et modèle des rapports entre les époux

11 Août 1982

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1. Nous entreprenons aujourd'hui une analyse plus détaillée du passage de Ep 5,21-33. S'adressant aux époux, l'auteur leur recommande d'être "soumis les uns aux autres dans la crainte du Christ" Ep 5,21.
Il s'agit ici d'un rapport à double dimension ou deux degrés: réciproque et communautaire. Ils se précisent et se caractérisent l'un l'autre. Les relations mutuelles du mari et de la femme doivent découler de leur rapport commun avec le Christ. L'auteur de l'épître parle de crainte du Christ dans le même sens que lorsqu'il parle de crainte de Dieu. Dans ce cas, il ne s'agit nullement de crainte ou de peur, qui sont une attitude de défense face à la menace d'un mal; il s'agit surtout de respect pour la sainteté, pour le sacrum; il s'agit de la pietas qui, dans le langage de l'Ancien Testament s'exprimait également par le terme "crainte de Dieu" Ps 103,11 Pr 1,7 Pr 23,17 Si 1,11-16. En effet, une telle pietas, issue de la profonde conscience du mystère du Christ, "doit constituer" la base des relations entre époux.

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2. Comme son contexte immédiat, le thème que nous avons choisi a, lui aussi, un caractère parénétique, c'est-à-dire d'instruction morale. L'auteur de l'épître veut indiquer aux époux comment établir leurs relations réciproques et tout leur comportement. Il déduit ses propres indications et directives à partir du mystère du Christ, présenté au début de l'épître. Ce mystère doit être spirituellement présent dans les rapports mutuels des époux. Pénétrant leurs coeurs, engendrant en eux cette sainte crainte de Dieu (c'est-à-dire exactement la pietas), le mystère du Christ doit les entraîner à être soumis les uns aux autres: le mystère du Christ, c'est-à-dire le mystère du choix, de toute éternité, de chacun d'eux pour être, dans le Christ, enfants adoptifs de Dieu.

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3. L'expression qui ouvre Ep 5,21-23, dont nous nous sommes approchés grâce à l'analyse passée et immédiate, a une éloquence toute particulière. L'auteur parle de la soumission l'un à l'autre des époux, mari et femme; et de cette manière il fait entendre comment comprendre les paroles qu'il écrira par la suite sur la soumission de la femme au mari. Nous lisons, en effet: "Que les femmes soient soumises à leur mari comme au Seigneur" Ep 5,22. En s'exprimant ainsi l'auteur n'entend pas dire que le mari est maître de la femme et que le pacte interpersonnel propre au mariage est un pacte de domination du mari sur la femme. Il exprime, au contraire, un autre concept: c'est-à-dire que la femme peut et doit trouver dans ses rapports avec le Christ - qui est pour l'un et l'autre des époux l'unique Seigneur - la motivation de ces rapports avec le mari qui découlent de l'essence même du mariage et de la famille. Ces rapports ne sont pas toutefois des rapports de soumission unilatérale. Selon la doctrine de l'épître aux Ephésiens, le mariage exclut cet élément du pacte qui pesait et, parfois, ne cesse de peser sur cette institution. Le mari et la femme sont en effet soumis l'un à l'autre, subordonnés l'un à l'autre. La source de cette réciproque soumission se trouve dans la pietas chrétienne; son expression est l'amour.

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4. L'auteur de l'épître souligne cet amour de manière particulière en s'adressant aux maris. Il écrit en effet: "Et vous, maris, aimez vos femmes ... " et, par cette manière de s'exprimer, il empêche toute crainte qu'aurait pu faire naître (vu la sensibilité contemporaine) la phrase précédente

"Les femmes sont soumises aux maris". L'amour exclut toute

espèce de soumission qui ferait de la femme la servante ou l'esclave du mari, un objet de soumission unilatérale. L'amour fait que, en même temps, le mari est soumis lui aussi à sa femme, et en cela soumis au Seigneur lui-même, tout comme la femme au mari. La communauté ou unité qu'ils doivent constituer en raison de leur mariage se réalise dans une donation réciproque qui est aussi une soumission réciproque. Le Christ est à la fois source et modèle de cette soumission qui, étant réciproque dans la crainte du Seigneur, confère un caractère mûr et profond à l'union conjugale. De multiples facteurs de nature psychologique ou tenant compte des coutumes se trouvent, dans cette source et en présence de ce modèle, tellement transformés qu'ils font émerger, dirais-je, une nouvelle et précieuse fusion de comportements et des rapports bilatéraux.

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5. L'auteur de l'épître aux Ephésiens ne craint pas d'accueillir ces concepts qui étaient propres à la mentalité et aux moeurs de ce temps-là; il ne craint pas de parler de la soumission de la femme au mari; il ne craint pas, ensuite (même dans le dernier verset du texte que nous avons cité), de recommander à la femme de "révérer son mari" Ep 5,22.
En effet, il est certain que, lorsque le mari et la femme seront soumis l'un à l'autre dans la crainte du Christ, tout trouvera un juste équilibre, un équilibre qui corresponde à leur vocation chrétienne dans le mystère du Christ.

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6. Notre sensibilité contemporaine est différente comme sont différentes la mentalité et les moeurs, comme est différente la situation sociale de la femme à l'égard de l'homme. Néanmoins, le principe parénétique fondamental que nous trouvons dans l'épître aux Ephésiens reste le même et porte les mêmes fruits. La soumission réciproque dans la crainte du Christ - soumission née sur la base de la pietas chrétienne - constitue toujours cette profonde et solide structure portante de la communauté des conjoints où se réalise la vraie communion des personnes.

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7. L'auteur du texte aux Ephésiens qui a commencé son épître par une magnifique description du plan éternel de Dieu à l'égard de l'humanité, ne se limite pas à mettre en relief les aspects traditionnels des moeurs ou les aspects éthiques du mariage; il déborde du cadre de l'enseignement et, en écrivant sur les relations réciproques des conjoints, il découvre en eux la dimension même du mystère du Christ dont il est l'annonciateur et l'apôtre. "Que les femmes soient soumises à leur mari comme au Seigneur; le mari en effet est chef de sa femme, comme le Christ est chef de l'Eglise, lui le Sauveur du corps; or l'Eglise se soumet au Christ; les femmes doivent donc, et de la même manière, se soumettre en tout à leur mari. Et vous, maris, aimez vos femmes comme le Christ a aimé l'Eglise et s'est livré pour elle ... " Ep 5,22-25 De cette manière, l'enseignement propre à cette partie parénétique de l'épître se trouve en un certain sens inséré dans la réalité même du mystère caché de toute éternité en Dieu et révélé à l'humanité en Jésus-Christ. Dans l'épître aux Ephésiens, nous sommes témoins, dirais-je, d'une rencontre particulière de ce mystère avec l'essence même de la vocation au mariage. Comment faut-il entendre cette rencontre?

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8. Dans le texte de l'épître aux Ephésiens, elle se présente avant tout comme une grande analogie. Nous y lisons

"Que les femmes soient soumises à leurs maris comme au

Seigneur ... ": voilà le premier terme de l'analogie. "En effet, le mari est chef de sa femme comme le Christ est chef de l'Eglise ... " voilà le second terme qui constitue l'explication et la motivation du premier. De la même manière que l'Eglise est soumise au Christ, les femmes aussi sont soumises à leur mari ...: les rapports du Christ avec l'Eglise, présentés précédemment, sont maintenant exprimés en tant que rapports de l'Eglise avec le Christ, et le terme suivant de l'analogie est compris ici. Enfin: Et vous, maris, aimez vos femmes comme le Christ a aimé l'Eglise et s'est livré pour elle ... ": voilà le dernier terme de l'analogie. La suite du texte de l'épître développe la pensée fondamentale contenue dans le passage qui vient d'être cité; et le texte entier de Ep 5,21-33, est intégralement imprégné de la même analogie; c'est-à-dire que les relations réciproques entre époux, mari et femme, les chrétiens doivent les comprendre à l'image de la relation entre le Christ et l'Eglise.



L'Epitre aux Ephésiens conduit à la base de la

sacramentalité du mariage

18 Août 1982


2002 Magistère Mariage 1318