2002 Magistère Mariage 736

L'ordre des Valeurs

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Les "valeurs de la personne" et la nécessité de les respecter sont un thème qui, depuis vingt ans, occupe toujours plus les écrivains. Dans beaucoup de leurs théories, même l'acte spécifiquement sexuel a sa place marquée pour le faire servir à la personne des époux. Le sens propre et le plus profond de l'exercice du droit conjugal devrait consister en ceci que l'union des corps est l'expression et la réalisation de l'union personnelle et affective.

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Articles, chapitres, livres entiers, conférences, spécialement même sur "la technique de l'amour", sont consacrés à répandre ces idées, à les commenter par des conseils aux jeunes époux, servant de guide dans le mariage, afin qu'ils ne négligent pas, par sottise ou par une pudeur mal comprise, ou par un scrupule sans fondement, ce que leur offre Dieu qui a créé aussi les inclinations naturelles. Si de ce don réciproque complet des époux naît une vie nouvelle, celle-ci est un résultat qui reste en dehors ou tout au plus comme à la périphérie des "valeurs de la personne"; résultat que l'on ne refuse pas, mais dont on ne veut pas qu'il soit comme au centre des rapports conjugaux.

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Selon ces théories, votre dévouement pour le bien de l'existence encore cachée dans le sein maternel et pour en favoriser l'heureuse naissance n'aurait plus qu'une importance moindre et passerait en seconde ligne.

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Si cette appréciation relative ne faisait que mettre l'accent sur la valeur de la personne des époux plutôt que sur celle, de l'enfant, on pourrait à la rigueur, laisser de côté ce problème; mais il s'agit ici au contraire, d'une grave inversion de l'ordre des valeurs et des fins fixées par le Créateur lui-même. Nous nous trouvons devant la propagation d'un ensemble d'idées et de sentiments directement opposés à la clarté, à la profondeur et au sérieux de la pensée chrétienne. Et voici qu'ici, de nouveau, doit intervenir votre apostolat. Il vous arrivera, en effet, de recevoir les confidences de la mère et de l'épouse et d'être interrogées sur les désirs les plus secrets et sur les intimités de la vie conjugale. Comment pourriez-vous alors conscientes de votre mission faire valoir la vérité et la rectitude de l'ordre dans les jugements et dans la conduite des époux, si vous n'en aviez pas vous-mêmes une exacte connaissance et si vous n'étiez pas munies de la fermeté de caractère nécessaire pour appuyer ce que vous savez être juste et vrai?

La fin première du mariage

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Or, la vérité est que le mariage comme institution naturelle, en vertu de la volonté du Créateur a pour fin première et intime non le perfectionnement personnel des époux, mais la procréation et l'éducation de la nouvelle vie. Les autres fins tout en étant également voulues par la nature, ne se trouvent pas sur le même rang que la première; et encore moins lui sont-elles supérieures, mais essentiellement subordonnées. Cela vaut pour tout mariage, même Infécond; comme de tout oeil on peut dire qu'il est destiné et formé pour voir, même si en des cas anormaux, par suite de conditions spéciales internes ou externes, il se trouve qu'il ne sera jamais en mesure de conduire à la perception visuelle.

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Précisément, pour couper court à toutes les incertitudes et déviations qui menaçaient de répandre des erreurs au sujet de la hiérarchie des fins du mariage et de leurs rapports réciproques, Nous avons rédigé Nous-mêmes, il y a quelques années (10 mars 1944), une déclaration sur l'ordre de ces fins, indiquant ce que révèle la structure interne de la disposition naturelle, ce qui est le patrimoine de la tradition chrétienne, ce que les Souverains Pontifes ont enseigné à plusieurs reprises, ce qui ensuite a été dans les formes requises fixé par le Code de Droit canonique CIS 1013 Par. 1. De plus, peu après, pour redresser les opinions contraires, le Saint-Siège, dans un décret public, a déclaré qu'on ne peut admettre la pensée de plusieurs auteurs récents qui nient que la fin première du mariage soit la procréation et l'éducation de l'enfant ou enseignent que les fins secondaires ne sont pas essentiellement subordonnées à la fin première, mais lui sont équivalentes et en sont indépendantes DS 3838.

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Veut-on par là nier ou diminuer tout ce qu'il y a de bon et de juste dans les valeurs personnelles qui résultent du mariage et de sa réalisation? Non, certes, puisque, à la procréation d'une nouvelle vie, dans le mariage, le Créateur a destiné des êtres humains, faits de chair et de sang, doués d'esprit et de coeur, et qui sont appelés en tant qu'hommes et non comme des animaux sans raison à être les auteurs de leur descendance. C'est dans ce but que le Seigneur a voulu l'union des époux. En effet, la Sainte Ecriture dit de Dieu qu'Il créa l'homme à son image et le créa homme et femme Gn 1,27 et qu'Il a voulu - comme il est affirmé à plusieurs reprises dans les Livres Saints - que "l'homme abandonne son père et sa mère et qu'il s'unisse à sa femme et qu'ils forment une seule chair" Gn 2,24 Mt 19,5 Ep 5,31.

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Tout cela est donc vrai et voulu de Dieu, mais ne doit pas être séparé de la fonction première du mariage, c'est-à-dire du service pour la vie nouvelle. Non seulement l'oeuvre commune de la vie extérieure, mais encore tout l'enrichissement personnel, même l'enrichissement intellectuel et spirituel, jusqu'à tout ce qu'il y a de plus spirituel et profond dans l'amour conjugal comme tel, a été mis par la volonté de la nature et du Créateur au service de la descendance. Par sa nature, la vie conjugale parfaite signifie aussi le don total des parents au profit des enfants; et l'amour conjugal, dans sa force et dans sa tendresse, est lui- même un postulat de la plus sincère sollicitude à l'égard des enfants et la garantie de sa réalisation III 29,2 (Suppl. 49, art 2, ad 1).


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Réduire la cohabitation des époux et l'acte conjugal à une pure fonction organique pour la transmission des germes serait comme convertir le foyer domestique, sanctuaire de la famille, en un simple laboratoire biologique. Aussi, dans Notre allocution du 29 septembre 1949, au Congrès international des médecins catholiques, Nous avons formellement exclu du mariage la fécondation artificielle . L'acte conjugal, dans sa structure naturelle, est une action personnelle, une coopération simultanée et immédiate des époux, laquelle, du fait même de la nature des agents et du caractère de l'acte, est l'expression du don réciproque, qui, selon la parole de l'Ecriture, réalise l'union "en une seule chair".

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C'est là beaucoup plus que l'union de deux germes, qui peut s'effectuer même artificiellement, c'est-à-dire sans l'action naturelle des deux époux. L'acte conjugal, ordonné et voulu par la nature, est une coopération personnelle, à laquelle les époux, en contractant mariage, échangent entre eux le droit.

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Par conséquent, lorsque cette prestation dans sa forme naturelle est, dès le début et d'une manière durable, impossible, l'objet du contrat matrimonial se trouve affecté d un vice essentiel. Et voici ce que Nous disions alors: "Qu'on n'oublie pas ceci: seule la procréation d'une nouvelle vie, selon la volonté et le plan du Créateur comporte, à un degré étonnant de perfection, la réalisation des fins poursuivies. Elle est en même temps conforme à la nature corporelle et spirituelle et à la dignité des époux, au développement normal et heureux de l'enfant".

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Dites-donc à la fiancée ou à la jeune épouse qui viendrait vous parler des valeurs de la vie conjugale, que ces valeurs personnelles, soit dans le domaine des corps ou des sens, soit dans celui de l'esprit, sont réellement authentiques, mais que le Créateur les a placées dans l'échelle des valeurs non au premier rang, mais au second.

La libre renonciation à la paternité

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Ajoutez une autre considération qui risque de tomber dans l'oubli: toutes ces valeurs secondaires de la sphère et de l'activité génératrice rentrent dans le cadre du rôle spécifique des époux, qui est d'être les auteurs et les éducateurs de la nouvelle existence. Sublime et noble rôle! lequel n'appartient pas cependant à l'essence d'un être humain complet, comme si, cette tendance naturelle à engendrer n'étant pas réalisée, il se produisait de quelque façon ou en quelque degré une diminution de la personne humaine. Renoncer à cette réalisation - spécialement si cela se fait pour les plus nobles motifs - ce n'est pas mutiler les valeurs personnelles et spirituelles. De cette libre renonciation faite pour l'amour du royaume de Dieu, le Seigneur a dit: "Non omnes capiunt verbum istud, sed quibus datum est. Tous ne comprennent pas cette doctrine, mais seulement ceux à qui cela est donné " Mt 19,11.

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Exalter outre mesure, comme on le fait souvent de nos jours, la fonction générative, même dans la forme juste et morale de la vie conjugale, n'est pas seulement une erreur et une aberration; elle comporte aussi le danger d'une déviation intellectuelle et affective, capable d'arrêter et d'étouffer des sentiments bons et élevés spécialement dans la jeunesse, encore dépourvue d'expérience et ignorante des désillusions de la vie. Car enfin, quel homme normal, sain de corps et d'esprit, accepterait d'appartenir à la catégorie des déficients de caractère et d'esprit?
Puisse votre apostolat, là où vous exercez votre profession, éclairer les esprits et inculquer ce juste ordre des valeurs, afin que les hommes y conforment leurs jugements et leur conduite

La dignité humaine dans l'acte conjugal

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Cependant, Notre exposé de l'exercice de votre apostolat professionnel serait incomplet, si Nous n'ajoutions encore un mot rapide au sujet de la dignité humaine dans l'usage de la tendance à donner la vie.
Le Créateur lui-même, qui, dans sa bonté et sa sagesse, a voulu, pour la conservation et la propagation du genre humain, se servir du concours de l'homme et de la femme, en les unissant dans le mariage, a établi aussi que dans cette fonction les époux éprouvassent un plaisir et une satisfaction du corps et de l'esprit. Donc, les époux ne font rien de mal en recherchant ce plaisir et en en jouissant. Ils acceptent ce que le Créateur leur a destiné.

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Néanmoins, là encore les époux doivent savoir se maintenir dans les limites d'une juste modération comme dans la gustation des aliments et des boissons ainsi, dans le plaisir sexuel, ils ne doivent pas s'abandonner sans frein à la poussée des sens. La juste règle est donc celle-ci: l'usage de la fonction génératrice naturelle n'est moralement permis que dans le mariage lui-même. Il en résulte que c'est encore seulement dans le mariage et en observant cette règle que le désir et la jouissance de ce plaisir et de cette satisfaction sont licites. Car la jouissance est soumise à la loi de l'action dont elle dérive, et non, vice versa, l'action à la loi de la jouissance. Et cette loi, si raisonnable, regarde non seulement la substance, mais encore les circonstances de l'action, de telle façon que tout en sauvegardant l'essentiel de l'acte, on peut pécher dans la façon de l'accomplir.

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La transgression de cette règle est aussi ancienne que le péché originel. Cependant, à notre époque, on court le risque de perdre de vue le principe fondamental. Actuellement, en effet, on s'habitue à soutenir, par la parole et par les écrits (même de la part de certains catholiques), l'autonomie nécessaire, la fin propre et la valeur propre de la sexualité et de son exercice, indépendamment du but de la procréation d'une nouvelle vie. On voudrait soumettre à un nouvel examen et à une nouvelle loi l'ordre même établi par Dieu. On ne voudrait admettre d'autre frein, dans la façon de satisfaire l'instinct, que celui de respecter l'essentiel de l'acte instinctif. Ainsi, à l'obligation morale de la domination des passions, on substituerait la licence d'obéir aveuglement et sans frein aux caprices et aux impulsions de la nature; ce qui ne pourra que tourner, tôt ou tard, au détriment de la morale, de la conscience et de la dignité humaine.

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Si la nature avait eu en vue exclusivement, ou du moins en premier lieu, un don et une possession réciproques des époux dans la joie et le plaisir, et si elle avait réglé cet acte uniquement dans le but de porter leur expérience personnelle au degré le plus élevé de la félicité, et non dans le but de les stimuler au service de la vie, alors le Créateur aurait adopté un autre plan dans la formation et la constitution de l'acte naturel. Au contraire, cet acte est, en somme, tout entier subordonné et ordonné à cette unique grande loi de la génération et de l'éducation de l'enfant, generatio et educatio prolis, c'est-à-dire à l'accomplissement de la fin première du mariage comme origine et source de la vie.

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Hélas! des vagues incessantes d'hédonisme envahissent le monde et menacent de submerger dans la marée croissante des pensées des désirs et des actes toute la vie conjugale, non sans créer de sérieux dangers et un grave dommage pour la fonction première des époux.

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Cet hédonisme antichrétien trop souvent on ne rougit pas de l'ériger en doctrine, en inculquant le désir de rendre toujours plus intense la jouissance dans la préparation et la réalisation de l'union conjugale; comme si, dans les rapports conjugaux, toute la loi morale se réduisait à l'accomplissement régulier de cet acte, et comme si tout le reste, de quelque façon qu'on le fasse, se trouvait justifié par l'effusion de l'amour mutuel, sanctifié par le sacrement de mariage, digne de louange et de récompense devant Dieu et la conscience. De la dignité de l'homme et de la dignité du chrétien, qui mettent un frein aux excès de la sensualité, on n'a nul souci.

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Eh bien! non. La gravité et la sainteté de la loi morale chrétienne n'admettent pas une satisfaction effrénée de l'instinct sexuel ni cette tendance exclusive au plaisir et à la jouissance: cette loi ne permet pas à l'homme raisonnable de se laisser dominer jusqu'à un tel point, ni en ce qui regarde la substance ni en ce qui concerne les circonstances de l'acte.

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Certains voudraient soutenir que la félicité dans le mariage est en raison directe de la jouissance réciproque dans les rapports conjugaux. Non; le bonheur dans le mariage est, au contraire, en raison directe du respect mutuel entre les époux, même dans leurs relations intimes; non pas qu'ils jugent immoral et repoussent ce qu'offre la nature et ce qu'a donné le Créateur, mais parce que ce respect et l'estime mutuelle qu'il engendre, sont un des éléments les plus solides d'un amour pur et, à cause de cela même, d'autant plus tendre.

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Dans votre activité professionnelle, opposez-vous, autant qu'il vous est possible, au déchaînement de cet hédonisme raffiné, vide de valeurs spirituelles et, par suite, indigne d'époux chrétiens. Faites voir comment la nature a donné, c'est vrai, le désir instinctif de la jouissance et l'approuve dans les noces légitimes, non comme fin en soi, mais bien, en somme, pour le service de la vie. Bannissez de votre esprit ce culte du plaisir et faites de votre mieux pour empêcher la diffusion d'une littérature qui se croit obligée de décrire en tous ses détails les intimités de la vie conjugale, sous le prétexte d'instruire, de diriger et de rassurer. Pour tranquilliser les consciences timorées des époux, il suffit, en général, du bon sens, de l'instinct naturel et d'une brève instruction sur les claires et simples maximes de la loi morale chrétienne. Si, en quelques circonstances spéciales, une fiancée ou une jeune épouse avait besoin de plus amples renseignements sur quelque point particulier, il vous appartiendrait de leur donner délicatement une explication conforme à la loi naturelle et à la saine conscience chrétienne.

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Notre enseignement n'a rien à faire avec le manichéisme et avec le jansénisme, comme certains veulent le faire croire pour se justifier. Il est seulement une défense de l'honneur du mariage chrétien et de la dignité personnelle des époux.

Conditions d'un fructueux apostolat pour les sages- femmes.


JEAN PAUL II


ENSEIGNEMENT SUR LE MARIAGE

à l'occasion des audiences générales du mercredi


première série - Septembre 1979 - Avril 1980


A l'écoute du Christ sur "l'origine" de la famille

Le 5 septembre 1979

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1. Depuis un certain temps des préparations sont en cours en vue de la prochaine assemblée ordinaire du Synode des évêques qui se déroulera à Rome à l'automne de l'année prochaine. Le thème de ce Synode: "De muneribus familiae christianae" (Fonctions de la Famille chrétienne) focalise notre attention sur cette communauté de vie humaine et chrétienne qui est fondamentale dès l'origine. Nous voulons nous demander ce que signifie cette expression: "l'origine". Nous voulons en outre mettre au clair la raison pour laquelle le Christ se réclame de "l'origine" précisément dans cette circonstance et, pour cela, nous nous proposons une analyse plus précise du message correspondant de l'Ecriture sainte.

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2. Deux fois, au cours de son dialogue avec les pharisiens qui l'interrogeaient sur l'indissolubilité du mariage. Jésus Christ fait mention de "l'origine". Voici comment s'est déroulé l'entretien: "... Des pharisiens s'approchèrent de lui et lui dirent pour le mettre à l'épreuve: "Est-il permis de répudier sa femme pour n'importe quel motif?" Il répondit: "N'avez-vous pas lu que le Créateur, dès l'origine, les fit homme et femme et qu'il dit: Ainsi donc l'homme quittera son père et sa mère pour s'attacher à sa femme et les deux ne feront qu'une seule chair? Ainsi ils ne sont plus deux, mais une seule chair. Eh bien! ce que Dieu a uni, l'homme ne doit point le séparer." "Pourquoi donc, lui disent-ils, Moïse a-t- il prescrit de donner un acte de divorce quand on répudie?" Jésus leur répondit: "C'est en raison de la dureté de votre coeur que Moïse vous a permis de répudier vos femmes, mais à l'origine il n'en a pas été ainsi"" Mt 19,3 Mc 10,2.
Le Christ n'accepte pas la discussion au niveau où ses interlocuteurs cherchent à la situer; d'une certaine manière il n'approuve pas la dimension que ceux-ci cherchent à donner à la question. Il évite de se laisser entraîner dans une controverse de casuistique juridique; et par contre, il se réclame à deux reprises de "l'origine". Il fait ainsi une référence explicite aux expressions correspondantes du Livre de la Genèse que ses interlocuteurs eux aussi connaissent par coeur. C'est sur ces mots de la révélation antique que le Christ appuie sa conclusion et que se termine l'entretien.

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3. "Origine" signifie donc ce dont parle Gn 1,27 que cite le Christ, en le résumant: "Le Créateur, dès l'origine, les fit homme et femme", alors que le texte original complet déclare explicitement ceci: "Dieu créa l'homme à son image, à l'image de Dieu il le créa; homme et femme il les créa". Puis le Maître se réclame de Gn 2,24: "C'est pourquoi l'homme quittera son père et sa mère et s'unira à sa femme et ils deviendront une seule chair". En citant ces paroles en entier, pour ainsi dire in extenso, le Christ leur donne un sens normatif encore plus explicite (on pourrait en effet supposer une valeur d'affirmation de fait aux termes du Livre de la Genèse; "quittera... s'unira... ils deviendront une seule chair"). Le sens normatif est plausible parce que le Christ ne se limite pas seulement à la citation elle-même mais ajoute: "Ainsi ils ne sont plus deux, mais une seule chair. Ce que Dieu a uni, que l'homme ne le sépare pas". Ce "qu'il ne le sépare pas" est déterminant. A la lumière de ces paroles du Christ, Gn 2,24 énonce le principe de l'unité et de l'indissolubilité du mariage comme le contenu même de la parole de Dieu, exprimé dans la révélation la plus ancienne.

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4. On pourrait estimer qu'ici la question est épuisée, et dire que les paroles de Jésus Christ confirment la loi éternelle qui a été formulée et instituée par Dieu dès "l'origine" comme la création de l'homme. Il pourrait aussi sembler que le Maître, dans sa confirmation de la loi primordiale du Créateur, ne fasse rien d'autre que d'établir exclusivement son propre sens normatif, en se réclamant de l'autorité même du premier législateur.
Cependant cette expression significative "dès l'origine", deux fois répétée, conduit clairement les interlocuteurs à réfléchir sur la façon selon laquelle dans le mystère de la création l'homme a été formé précisément, comme "homme et femme", pour comprendre correctement le sens normatif des mots de la Genèse. Et ceci n'est pas moins valable pour les interlocuteurs d'aujourd'hui que pour ceux d'autrefois. C'est pourquoi, dans cette étude, en raison de ce fait, nous devons bien nous mettre dans la situation des interlocuteurs actuels du Christ.

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5. Au cours des réflexions des mercredis à venir, pendant les audiences générales, nous chercherons, en qualité d'interlocuteurs actuels du Christ, à nous arrêter plus longuement sur les paroles de Mt 19,3. Pour répondre à l'indication que le Christ y a incluse, nous chercherons à pénétrer vers cette "origine" à laquelle il s'est référé d'une manière tellement significative et, ainsi, nous suivrons de loin le grand travail qu'entreprennent dès maintenant les participants au prochain Synode des évêques. Avec eux y participent de nombreux groupes de pasteurs et de laïcs qui se sentent une responsabilité particulière en ce qui concerne les fonctions que le Christ propose au mariage et à la famille chrétienne: fonctions qu'il a toujours proposées et qu'il propose encore aujourd'hui au monde contemporain.
Le cycle de réflexions que nous commençons aujourd'hui avec l'intention de le poursuivre pendant les prochaines rencontres du mercredi, a également, par ailleurs, le but d'accompagner pour ainsi dire de loin les travaux de préparation au Synode, sans en toucher directement le thème, mais en tournant notre attention vers les racines profondes d'où il jaillit.



Dès l'origine le créateur les fit homme et femme

Le 12 septembre 1979

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1. Mercredi dernier nous avons entamé le cycle de réflexions sur la réponse que le Christ Seigneur fit à ses interlocuteurs qui l'interrogeaient au sujet de l'unité et de l'indissolubilité du mariage. Ses interlocuteurs, des pharisiens comme nous nous en souvenons, en ont appelé à la loi de Moïse; le Christ, par contre, s'est réclamé de "l'origine", citant les paroles du Livre de la Genèse.
Dans le cas présent, l'"origine", c'est ce qui se trouve dans l'une des premières pages du Livre de la Genèse. Si nous voulons analyser cette réalité, il nous faut évidemment nous tourner avant tout vers le texte. En effet les paroles que prononce le Christ dans son colloque avec les pharisiens et que nous rapportent les évangiles de Mt 19,4 et Mc 10,2 constituent un passage qui à son tour s'encadre dans un contexte bien défini, sans quoi on ne saurait ni les comprendre ni les interpréter correctement. Ce contexte est déterminé par les paroles: "N'avez-vous pas lu que, dès l'origine, le Créateur les fit homme et femme...? Mt 19,4, et se réfère à ce qu'on appelle le récit de la création de l'homme, inséré dans le cycle des sept jours de la création du monde Gn 1,1-2,4. D'autre part, le contexte dont se rapprochent le plus les autres paroles de Jésus, tirées de Gn 2,24 est ce qu'on appelle le second récit de la création de l'homme Gn 2,5-25, mais, indirectement, c'est tout le troisième chapitre de la Genèse. Dans sa conception et dans son style le deuxième récit de la création de l'homme forme un tout avec la description de l'innocence originelle, de la félicité de l'homme et, également, de sa première chute.
Etant donné le caractère spécifique du contenu qui s'exprime dans les paroles du Christ, tirées de Gn 2,24, on pourrait également inclure, dans le contexte au moins, Gn 4,1 qui traite de la conception et de la naissance de l'homme dues à des parents terrestres. C'est ce que nous entendons faire dans la présente analyse.

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2. Du point de vue de la critique biblique, il faut rappeler tout de suite que le premier récit de la naissance de l'homme est chronologiquement postérieur au second. Celui- ci a une origine bien plus lointaine. Ce texte plus ancien est appelé "yahviste" parce que, pour nommer Dieu, il se sert du terme "Yahvé". On ne saurait que difficilement rester impassible devant le fait que l'image de Dieu ici présentée a des traits anthropomorphiques assez remarquables (en effet nous lisons notamment que "... le Seigneur Dieu modela l'homme avec la glaise du sol et insuffla dans ses narines une haleine de vie" Gn 2,7. En comparaison avec cette description, le premier récit, celui donc que l'on tient pour le plus récent, est beaucoup plus mûr tant en ce qui regarde l'image de Dieu que dans la formulation des vérités essentielles sur l'homme. Ce récit provient de la tradition sacerdotale et, en même temps "élohiste", de Elohim, terme utilisé pour désigner Dieu.

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3. Etant donné que, dans ce récit, la création de l'être humain comme homme et comme femme à laquelle se réfère Jésus dans sa réponse selon Mt 19,4 est insérée dans le rythme des sept jours de la création du monde, on pourrait lui attribuer un caractère surtout cosmologique: l'homme et le monde visible viennent à être créés ensemble; mais en même temps le Créateur ordonne à l'homme de maîtriser et dominer la terre Gn 1,28: il est donc placé au-dessus du monde. Bien que l'homme soit ainsi lié si étroitement au monde visible, le récit biblique ne lui attribue cependant aucune ressemblance avec les autres créatures, mais seulement avec Dieu: "Dieu créa l'homme à son image; à son image Dieu le créa..." Gn 1,27. Dans le cycle des sept jours de la création se révèle à l'évidence une gradation très précise, (*) l'homme par contre n'est pas créé suivant une succession naturelle; il semble que le Créateur se soit arrêté avant de rappeler à l'existence, comme s'il avait voulu réfléchir avant de prendre une décision: "Faisons l'homme à notre image, à notre ressemblance..." Gn 1,26.

(*) Parlant de la matière non vivifiée, l'auteur biblique adopte différents termes comme "sépara", "appela", "fit", "plaça". Parlant au contraire d'êtres dotés de la vie, il emploie les termes "créa" et "bénit". Dieu leur ordonna "soyez féconds et multipliez-vous". Cet ordre se réfère tant aux animaux qu'à l'homme, indiquant que la corporéité leur est commune Gn 1,22 Gn 1,28. Toutefois, dans la description biblique, la création de l'homme se distingue essentiellement des précédentes oeuvres de Dieu. Non seulement elle est précédée d'une solennelle introduction, comme s'il s'agissait d'une délibération de Dieu avant cet acte important, mais surtout l'exceptionnelle dignité de l'homme est mise en relief par la "ressemblance" avec Dieu, dont il est l'image. En créant la matière non vivante Dieu "séparait"; aux animaux il ordonna d'être féconds et de se multiplier, mais c'est seulement au sujet de l'homme que la différence de sexe est soulignée ("homme et femme les créa"), bénissant en même temps leur fécondité, c'est-à-dire le lien des personnes Gn 1,27-28

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4. Le niveau du premier récit de la création de l'homme, même s'il est chronologiquement postérieur, est surtout de caractère théologique. L'indice en est dans la définition de l'homme basée sur sa relation avec Dieu ("à l'image de Dieu le créa"), ce qui contient en même temps l'affirmation qu'il est absolument impossible de réduire l'homme au "monde". Déjà à la lumière des premières pages de la Bible, on constate que l'homme ne saurait être compris ni expliqué à fond selon les catégories empruntées au "monde", c'est-à-dire au complexe visible des corps. Malgré cela l'homme est cependant un corps. Gn 1,27 constate que cette vérité essentielle au sujet de l'homme se réfère autant à l'homme qu'à la femme: " Dieu créa l'homme, il les créa" (*). Il faut reconnaître que le premier récit est concis, dépourvu de toute apparence de subjectivisme: il contient seulement le fait objectif et définit la réalité objective, soit lorsqu'il parle de la création de l'homme - homme et femme - à l'image de Dieu, soit lorsque, un peu plus loin, il ajoute: "Dieu les bénit et leur dit: "Soyez féconds, multipliez-vous, emplissez la terre et soumettez-la"" Gn 2,28.

(*) Le texte original dit: " Dieu créa l'homme (ha-adam- substantif collectif: l'humanité?) à son image; à l'image de Dieu il le créa; homme (zakar, mâle) et femme (une qebah, femelle) les créa" Gn 1,27.

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5. Le premier récit de la création de l'homme, comme nous l'avons constaté, est de nature théologique, et renferme en soi une puissante charge métaphysique. Il ne faut pas oublier que précisément ce texte du Livre de la Genèse est devenu la source des inspirations les plus profondes pour les penseurs qui ont cherché à comprendre "l'être" et "l'essence". Peut- être seul le chapitre 3 du Livre de l'Exode peut soutenir la comparaison avec ce texte (*). Malgré certaines expressions particularisées et plastiques du passage, l'homme y est défini avant tout dans les dimensions de l'être et de l'exister. Il est défini de manière plus métaphysique que physique. Au mystère de sa création ("à l'image de Dieu le créa") correspond la perspective de la procréation ("soyez féconds et multipliez-vous, emplissez la terre"), de ce "devenir" dans le monde et dans le temps, de ce fieri qui est nécessairement lié à la situation métaphysique de la création de l'être contingent (contingens). C'est précisément dans ce contexte métaphysique de la description de Genèse qu'il faut comprendre l'entité du bien, c'est-à-dire l'aspect des valeurs. Cet aspect, en effet, se retrouve dans le rythme d'à peu près tous les jours de la création et atteint son point culminant dans la création de l'homme: "Dieu vit tout ce qu'il avait fait: ela était très bon" Gn 1,31. Aussi peut-on dire avec certitude que le premier chapitre de la Genèse constitue un point de référence inattaquable et la base solide pour une métaphysique et, également, pour une anthropologie et une éthique, selon laquelle ens et bonum convertuntur. Tout ceci, évidemment, a également un sens pour la théologie et surtout pour la théologie du corps.

(*) Haec sublimis veritas: "Je suis celui qui suis" Ex 3,14 constitue un sujet de réflexion pour de nombreux philosophes, à commencer par saint Augustin qui estimait que Platon devait connaître ce texte parce qu'il lui semblait si proche de ses conceptions. La doctrine augustinienne de la essentialitas divine a exercé, grâce à saint Anselme, une profonde influence sur la théologie de Richard de SAINT- VICTOR, d'Alexandre de HAIES et de saint Bonaventure. "Pour passer de cette interprétation philosophique du texte de l'Exode à celle qu'allait proposer saint Thomas il fallait nécessairement franchir la distance qui sépare "l'être de l'essence" de "l'être de l'existence". Les preuves thomistes de l'existence de Dieu l'ont franchie". Différente est la position de Maître ECKHART qui, sur la base de ce texte, attribue à Dieu la puritas essendi: est aliquid altius ente ...; (cf. E. GILSON. Le Thomisme. Paris. Vrin. 1944. p. 122- 127; E. GILSON, History of Christian Philosophy in the Middle Ages, London 1955. Sheed and Ward. 810).

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6. Nous allons interrompre ici nos considérations. La semaine prochaine nous nous occuperons du second récit de la création, celui qui selon les biblistes est le plus ancien. L'expression "théologie du corps" que je viens d'employer mérite une explication plus nette, mais nous en parlerons à l'occasion d'une autre rencontre. Nous devons d'abord essayer d'approfondir ce passage du Livre de la Genèse auquel le Christ s'est référé.




2002 Magistère Mariage 736