2002 Magistère Mariage 863

La Révélation et la découverte de la signification

conjugale du corps

Le 9 janvier 1980

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1. En lisant et analysant le second récit de la création, c'est-à-dire le texte yahviste, nous devons nous demander si, dans sa situation originelle, le premier "homme" (adam) "vivait" le monde vraiment comme un don, dans une attitude conforme à la condition effective de quelqu'un qui a reçu un don, comme il résulte du récit du premier chapitre. En fait, le second récit nous montre l'homme dans le jardin en Eden Gn 2,8; mais il faut noter que, même dans cette situation de félicité originelle, le Créateur lui-même (Dieu-Yahvé), puis l'homme également, au lieu de souligner l'aspect du monde comme don subjectivement béatifique, créé pour l'homme Gn 1,26-29, relèvent que l'homme est "seul". Nous avons déjà analysé la signification de la solitude originelle; il est toutefois nécessaire, à présent, de noter que pour la première fois se révèle clairement dans ce bien une certaine lacune: "Il n'est pas bon que l'homme (l'être masculin) soit seul" - dit Dieu-Yahvé -"Je veux lui faire une aide... " Gn 2,18 Le premier "homme" affirme la même chose; après avoir pris à fond conscience de sa propre solitude au milieu de tous les êtres vivant sur la terre, il attend lui aussi "une aide qui soit semblable à lui " Gn 2,20. En effet, aucun de ces êtres (animalia) n'offre à l'homme les conditions de base permettant d'exister avec lui dans un rapport de don réciproque.

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2. Ainsi donc, ces deux termes, l'adjectif "seul" et le substantif "aide", semblent constituer véritablement la clé pour comprendre, au niveau de l'homme, l'essence même du don comme élément existentiel inscrit dans la vérité de l'"image de Dieu". En effet, le don révèle pour ainsi dire une caractéristique particulière de l'existence personnelle ou, mieux, de l'essence même de la personne. Quand Dieu-Yahvé dit: "Il n'est pas bon que l'homme soit seul" Gn 2,18, il affirme que "seul", l'homme ne réalise pas entièrement cette essence. Il ne la réalise qu'en existant "avec quelqu'un" - et encore plus profondément, plus complètement, en existant "pour quelqu'un". Cette norme de l'existence comme personne est, dans le Livre de la Genèse, démontrée comme caractéristique de la création, précisément par la signification de ces deux termes: "seul " et "aide". Ce sont eux qui indiquent combien fondamentales et constitutives sont pour l'homme la relation et la communion des personnes. Communion des personnes signifie exister l'un "pour" l'autre, dans une relation de don naturel. Et cette relation est précisément la conclusion de la solitude originelle de l'"homme".

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3. Cette conclusion est béatifique dans son origine. Elle est, indubitablement, implicite dans la félicité originelle de l'homme et elle constitue précisément cette félicité qui appartient au mystère de la création faite par amour, c'est- à-dire qu'elle appartient à l'essence même du don créateur. Quand l'être humain "masculin", réveillé de son sommeil génésiaque, voit l'être humain "féminin" tiré de lui, il dit: "Cette fois, celle-ci est l'os de mes os et la chair de ma chair" Gn 2,23; en un certain sens, ces paroles expriment le début subjectivement béatifique de l'homme dans le monde. Le fait même que ceci soit advenu "à l'origine" confirme le processus d'individualisation de l'homme dans le monde et naît pour ainsi dire du fond même de la solitude humaine qu'il vit en tant que personne face à toutes les autres créatures et à tous les êtres vivants (animalia). Cette "origine" appartient donc, elle aussi, à une anthropologie adéquate et peut toujours être vérifiée sur la base de celle- ci. Cette vérification purement anthropologique nous conduit, en même temps, au thème de la "personne" et à celui du "corps-sexe".
Cette contemporanéité est essentielle. Si nous traitions en effet du sexe sans la personne, le caractère "adéquat" de l'anthropologie qui ressort du livre de la Genèse disparaîtrait entièrement. Et dans notre étude théologique se trouverait alors voilée la lumière essentielle de la révélation du corps qui, dans ces premières affirmations, transparaît si nettement.

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4. Il y a un lien très fort entre le mystère de la création, en tant que don qui jaillit de l'Amour, et cette "origine" béatifique de l'existence de l'être humain comme homme et femme, dans toute la vérité de leur corps et de leur sexe, qui est simplement et purement la vérité d'une communion entre les personnes. Quand à la vue de la première femme le premier homme s'est écrié: "Elle est os de mes os et chair de ma chair" Gn 2,23, il affirmait simplement l'identité humaine des deux êtres. En s'exclamant ainsi, il semblait dire: voilà un corps qui exprime la "personne"! Selon un précédent passage du texte yahviste on peut également dire: "ce "corps" révèle l'âme vivante", que l'homme devint lorsque Dieu-Yahvé insuffla la vie en lui Gn 2,7 ce qui fut le début de sa solitude face à tous les autres êtres vivants. C'est précisément du fond de cette solitude originelle que l'homme émerge maintenant dans la dimension du don réciproque dont l'expression - qui pour cela même est expression de son existence comme personne - est le corps humain dans toute la vérité originelle de sa masculinité et féminité. Le corps, qui exprime la féminité "pour" la masculinité et, vice-versa, la masculinité "pour" la féminité, manifeste la réciprocité et la communion des personnes. Il l'exprime dans le don comme caractéristique fondamentale de l'existence personnelle. Voici ce qu'est le corps: un témoin de la création en tant que don fondamental, donc un témoin de l'Amour comme source dont est né le fait même de donner. La masculinité-féminité - c'est-à-dire le sexe - est le signe originel d'une donation créatrice d'une prise de conscience de la part de l'être humain, homme-femme, d'un don vécu, pour ainsi dire, de la manière originelle. C'est avec cette signification-là que le sexe prend place dans la théologie du corps.

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5. Cette "origine" béatifique de l'"être et exister" de l'homme comme homme et comme femme, est liée à la révélation et à la découverte de la signification du corps qu'il convient d'appeler "conjugale". Si nous parlons de révélation et, en même temps, de découverte, nous le faisons en relation avec la spécificité du texte yahviste, dans lequel le fil théologique est également anthropologique et même apparaît comme une certaine réalité consciemment vécue par l'homme. Nous avons déjà constaté que les paroles qui expriment la première joie de la venue de l'être humain à l'existence comme "homme et femme" Gn 2,23 sont suivies immédiatement par le verset qui établit leur unité conjugale Gn 2,24, puis par celui qui atteste la nudité de chacun d'eux qui "n'en ont aucune honte", l'un vis-à-vis de l'autre Gn 2,25. C'est précisément cette confrontation significative qui nous permet de parler de la révélation et en même temps de la découverte de la signification "conjugale" du corps dans le mystère même de la création. Cette signification (en tant que révélée et, également, consciente, "vécue" par l'homme) confirme à fond que le don créateur qui jaillit de l'Amour a pénétré la conscience originelle de l'homme, devenant expérience de don réciproque, comme on s'en aperçoit déjà dans le texte ancien. Cette nudité de nos premiers parents, dépourvue de toute honte, semble en témoigner également, peut-être même de manière spécifique.

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6. Gn 2,24 parle de la finalité de la masculinité et féminité de l'être humain dans la vie des époux-géniteurs. S'unissant l'un à l'autre si étroitement qu'ils deviennent "une seule chair", ceux-ci soumettent, en un certain sens, leur humanité à la bénédiction de la fécondité, c'est-à-dire de la procréation dont parle le premier récit Gn 1,28. L'homme pénètre pleinement dans "son être" quand il prend conscience de cette finalité de sa propre masculinité- féminité, c'est-à-dire de sa propre sexualité. En même temps les paroles de Gn 2,25: "Tous deux étaient nus et n'en avaient aucune honte" semblent ajouter à cette vérité fondamentale de la signification du corps humain, de sa masculinité et féminité, une autre vérité non moins essentielle et fondamentale. Conscient de la faculté créatrice de son propre corps et de son propre sexe, l'homme est en même temps libéré de la "contrainte" de son propre corps et sexe.
Cette nudité originelle, réciproque, et en même temps dépourvue de toute honte, exprime cette liberté intérieure de l'homme. Est-ce la liberté de l'instinct sexuel? Le concept d'"instinct" implique déjà une contrainte intérieure, analogue à l'instinct qui stimule la fécondité et la procréation dans tout le monde des êtres vivants (animalia). Il semble toutefois que les deux textes du Livre de la Genèse, le premier et le second récit de la création de l'homme, relient suffisamment la perspective de la procréation à la caractéristique fondamentale, dans un sens personnel, de l'existence humaine. Par conséquent l'analogie du corps humain et du sexe par rapport au monde des animaux - que nous pourrions appeler "analogie de la nature" - telle qu'elle ressort des deux récits (bien que de façon différente) est également élevée en un certain sens au niveau d'"image de Dieu" et au niveau de personne et de communion entre les personnes.
Il faudra encore consacrer d'autres analyses à ce problème fondamental. Pour la conscience de l'homme - pour l'homme contemporain également - il est important de savoir que dans les textes bibliques qui parlent de l'"origine" de l'homme se trouve la révélation de la "signification conjugale du corps". Mais il est encore plus important d'établir ce qu'exprime proprement cette signification.



Quand l'homme personne devient don

Le 16 janvier 1980

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1. Nous poursuivons aujourd'hui l'analyse des textes du Livre de la Genèse que nous avons entreprise en suivant la ligne de renseignement du Christ. Nous nous souvenons en effet que, dans son entretien au sujet du mariage, il a eu recours à "l'origine".
La révélation et, avec elle, la découverte originelle de la signification "conjugale" du corps consistent en la présentation de l'être humain, homme et femme, dans toute la réalité, la vérité de son corps et de son sexe ("ils étaient nus") et en même temps dans la pleine liberté de toute contrainte du corps et du sexe. La nudité de nos premiers parents, intérieurement dépourvus de toute honte, paraît en témoigner. On peut dire que, créés par l'Amour, c'est-à-dire dotés dans leur être de masculinité et de féminité, ils sont nus tous les deux parce qu'ils sont libres tous les deux de la liberté même du don. Cette liberté se trouve précisément à la base de la signification conjugale du corps. Le corps humain avec son sexe, sa masculinité et sa féminité, vu dans le mystère même de la création est non seulement une source de fécondité et de procréation, comme dans tout l'ordre naturel, mais il comprend dès "l'origine" l'attribut "conjugal", c'est-à-dire la faculté d'exprimer l'amour: précisément cet amour dans lequel l'homme-personne devient don et - par ce don - réalise le sens même de son "être" et son "exister". Rappelons-nous ici le texte du dernier Concile où il est déclaré que l'homme est, dans le monde visible, "l'unique créature que Dieu a voulue pour elle-même", ajoutant que cet homme "ne peut pleinement se trouver que par le don désintéressé de lui-même " (*).

(*) Et même, quand le Seigneur Jésus prie le Père, pour "que tous soient un, comme toi et moi nous sommes un" Jn 17,21-22 en plaçant devant nous des horizons inaccessibles à la raison humaine, il nous suggère une certaine similitude entre l'union des personnes divines et l'union des enfants de Dieu dans la vérité et la charité. Cette vérité manifeste que l'homme, qui sur la terre est la seule créature que Dieu ait voulue pour elle-même, ne peut se trouver pleinement que par un don sincère de lui-même GS 24. L'analyse strictement théologique du Livre de la Genèse, en particulier Gn 2,23-25 nous permet de nous référer à ce texte. Ceci constitue un autre pas entre "anthropologie adéquate" et "théologie du corps", étroitement lié à la découverte des caractéristiques essentielles de l'existence personnelle dans la "préhistoire théologique" de l'homme. Même si ceci peut rencontrer de la résistance de la part des partisans de l'évolution (même chez des théologiens), il serait cependant difficile de ne pas se rendre compte que le texte analysé du Livre de la Genèse, spécialement de Gn 2,23-25 démontre la dimension non seulement "originelle" mais également "exemplaire" de l'existence de l'homme, en particulier de l'être humain "comme homme et femme".

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2. La racine de cette nudité originelle libre de toute honte, dont parle Gn 2,25 doit se chercher précisément dans cette vérité intégrale au sujet de l'homme. Homme et femme, dans le contexte de leur "origine" béatifique, sont libres de la liberté même du don. En effet, pour pouvoir demeurer dans le rapport du "don sincère de soi-même" et pour devenir un tel don l'un pour l'autre à travers toute leur humanité faite de masculinité et de féminité (également par rapport à cette perspective dont parle Gn 2,24) ils doivent être libres précisément de cette manière. Nous entendons ici la liberté comme maîtrise de soi. Sous cet aspect, elle est indispensable à l'homme pour qu'il puisse "se donner lui- même", pour qu'il puisse devenir don, pour que (nous référant aux paroles du Concile) il puisse "se retrouver pleinement" par "un don sincère de soi-même". Ainsi les paroles "Ils étaient nus et n'en avaient point honte" peuvent et doivent se comprendre comme révélation - et découverte en même temps - de la liberté qui rend possible et qualifie le sens "conjugal" du corps.

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3. Gn 2,25, en dit encore plus. Ce passage indique, en effet, la possibilité et la qualification de cette réciproque "expérience du corps". Il nous permet en outre d'identifier cette signification conjugale du corps 'in actus'. Quand nous lisons qu'ils "étaient nus et n'en avaient point honte", nous en touchons indirectement la racine et déjà directement les fruits. Intérieurement libres de toute contrainte de leur propre corps et sexe, libres de la liberté du don, homme et femme ils pouvaient jouir de toute la vérité, de toute l'évidence humaine, ainsi que Dieu-Yahvé le leur avait révélé dans le mystère de la création. Cette vérité au sujet de l'homme, que le texte conciliaire précise dans les termes précités, a deux accents principaux. Le premier affirme que l'homme est l'unique créature au monde que le Créateur ait voulue "pour elle-même"; le second consiste à dire que cet homme même que dès "l'origine" le Créateur a voulu ainsi peut se trouver uniquement par le "don désintéressé de soi-même". Or, cette vérité au sujet de l'homme, qui, notamment, semble tirer du mystère de la révélation la condition originelle liée à "l'origine" même de l'homme, peut - sur la base du texte conciliaire - être relue dans l'une et l'autre direction. Cette nouvelle lecture nous permet de comprendre encore mieux la signification conjugale du corps qui se révèle inscrite dans la condition originelle de l'homme et de la femme (suivant Gn 2,23-25 et, en particulier, dans la signification de leur nudité originelle.
Si, comme nous l'avons constaté, à la racine de la nudité il y a la liberté intérieure du don - le don désintéressé de soi-même - ce don précisément permet à tous deux, homme et femme, de se retrouver réciproquement, du fait que le Créateur a voulu chacun d'eux "pour eux-mêmes" GS 24. Et ainsi, dans la première rencontre béatifique, l'homme retrouve la femme, et la femme le retrouve, lui, l'homme. Et ainsi, celui-ci accueille intérieurement la femme; il l'accueille telle que le Créateur l'a voulue "pour elle- même", telle qu'elle a été, avec sa féminité constituée dans le mystère de l'image de Dieu; et, réciproquement la femme accueille de la même manière l'homme, tel que le Créateur l'a voulu "pour lui-même" et l'a constitué avec sa masculinité. C'est en cela que consistent la révélation et la découverte de la signification conjugale du corps. Le récit yahviste, et notamment Gn 2,25, nous permet de déduire que l'être humain, comme homme et femme, entre dans le monde en ayant conscience de ce que signifie son propre corps, sa masculinité et féminité.

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4. Le corps humain, orienté intérieurement par le "don sincère" de la personne, non seulement révèle la masculinité et féminité sur le plan physique mais il révèle aussi une valeur telle et une beauté telle que la dimension simplement physique de la sexualité est totalement dépassée. (*) De cette manière se complète en un certain sens la conscience de la signification "conjugale" du corps, liée à la masculinité- féminité de l'être humain. D'une part, cette signification indique une capacité particulière d'exprimer l'amour dans lequel l'être humain devient don. D'autre part y correspond sa profonde disponibilité à l'"affirmation de la personne". Cela revient à dire, littéralement, la capacité de vivre le fait que l'autre - la femme pour l'homme et l'homme pour la femme - est, par le moyen du corps, quelqu'un que le Créateur a voulu "pour lui-même", c'est-à-dire l'unique, l'impossible à répéter: quelqu'un choisi par l'éternel Amour.

(*) La tradition biblique rapporte un écho lointain de la perfection physique de l'homme. Le prophète Ezéchiel, comparant implicitement le roi de Tyr à Adam dans l'Eden écrit: "Tu étais le sceau d'une oeuvre exemplaire, / plein de sagesse / et parfait en beauté. Tu étais dans l'Eden, le jardin de Dieu..." Ez 28,12-13.

L'"affirmation de la personne" n'est rien d'autre que l'accueil du don: un don qui, par sa réciprocité, crée la communion des personnes. Celle-ci se construit du dedans et comprend même toute "l'extériorité" de l'être humain, c'est- à-dire tout ce qui constitue la nudité pure et simple du corps dans sa masculinité et féminité. Alors, comme nous le lisons dans Gn 2,25, l'homme et la femme "n'en avaient point honte". L'expression biblique "n'en avaient point honte" indique directement "l'expérience" comme dimension subjective.

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5. C'est précisément dans cette dimension objective que, comme deux "ego" humains déterminés par leur masculinité et féminité, ils apparaissent tous deux, homme et femme, dans le mystère de leur béatifique "origine" (nous nous trouvons dans l'état de l'innocence originelle et, simultanément, de la félicité originelle de l'homme.) S'ils apparaissent ainsi, ce n'est que brièvement, et de fait, le Livre de la Genèse n'y consacre que peu de versets; ce qui n'empêche que cette apparition est pleine d'un surprenant contenu en même temps théologique et anthropologique. La révélation et la découverte de la signification conjugale du corps expliquent la félicité originelle de l'homme et, en même temps, ouvrent la perspective de son histoire terrestre dans laquelle il ne se soustrait jamais à ce "thème" indispensable de sa propre existence.
Les versets suivants du Livre de la Genèse, selon le texte yahviste du chapitre 3, démontrent, il est vrai, que cette perspective "historique" se construira de manière différente de celle de l'"origine" béatifique (après le péché originel). Il faut donc pénétrer d'autant plus profondément la mystérieuse structure, en même temps théologique et anthropologique, de cette "origine". En effet, dans toute la perspective de sa propre histoire, l'homme ne manquera pas de conférer une signification conjugale à son propre corps. Même si cette signification subit et subira de nombreuses déformations, elle demeurera toujours le niveau le plus profond qui exige d'être révélé dans toute sa simplicité et pureté et de se manifester dans toute sa vérité en tant que signe de "l'image de Dieu". C'est également par là que passe la voie qui va du mystère de la création à la "Rédemption du corps" Rm 8,11.
Restant pour l'instant sur le seuil de cette perspective historique, nous nous rendons clairement compte, sur la base de Gn 2,23-25, du lien même qui existe entre la révélation et la découverte de la signification conjugale du corps et la félicité originelle du corps. Cette signification "conjugale" est également béatifique et, comme telle, elle manifeste en définitive toute la réalité de cette page du Livre de la Genèse. Sa lecture nous convainc du fait que la conscience de la signification du corps qui en découle - en particulier de sa signification "conjugale" - constitue l'élément fondamental de l'existence humaine.
Cette signification "conjugale" du corps humain ne peut se comprendre, uniquement, que dans le contexte de la personne. Le corps a une signification "conjugale" parce que l'homme- personne, comme dit le Concile, est une créature que Dieu a voulue "pour elle-même" et qui, par conséquent, ne peut se trouver complètement que par le don d'elle-même.
Si le Christ a révélé à l'homme et à la femme, au-delà de la vocation au mariage, une autre vocation - celle de renoncer au mariage en vue du Royaume des cieux - il a, par cette vocation, mis en relief la même vérité au sujet de la personne humaine. Si un homme et une femme sont capables de faire don de soi pour le Royaume des cieux, ceci prouve à son tour (et peut-être encore plus) ce qu'est la liberté du corps humain. Cela veut dire que ce corps possède une pleine signification "conjugale".



Le Mystère de la Création et de l'innocence originelle

Le 30 janvier 1980

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1. La réalité du don et de l'acte de donner que les premiers chapitres de la Genèse nous présentent comme élément constitutif du mystère de la création confirme que le rayonnement de l'Amour est partie intégrante de ce mystère même. L'Amour seul crée le bien et lui seul peut, en définitive, être perçu dans toutes ses dimensions et sous tous ses profils dans les choses créées et surtout dans l'homme. Sa présence est quasi le résultat final de cette herméneutique du don à laquelle nous nous livrons. La félicité originelle, le "commencement" de l'être humain que Dieu "créa homme et femme" (Gn 1,27), la signification conjugale du corps dans sa nudité originelle: tout cela exprime l'enracinement dans l'Amour.
Ce "donner" cohérent qui remonte jusqu'aux racines les plus profondes de la conscience et du subconscient, aux couches ultimes de l'existence subjective de tous deux, homme et femme, et qui se reflète dans leur réciproque expérience du corps témoigne l'enracinement dans l'Amour. Les premiers versets en parlent tellement qu'ils éliminent le moindre doute. Ils parlent non seulement de la création du monde et de l'homme dans le monde, mais aussi de la grâce, c'est-à- dire de la communication mutuelle de la sainteté, du rayonnement de l'Esprit qui produit un certain état de "spiritualisation" dans cet homme qui, en fait, fut le premier. Dans le langage biblique, c'est-à-dire dans le langage de la Révélation, la qualification de "premier" signifie précisément "de Dieu": "Adam, fils de Dieu" Lc 3,38


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2. La félicité est l'enracinement dans l'Amour. La félicité originelle nous parle du "commencement" de l'homme qui est issu de l'Amour et a donné son commencement à l'amour. Et ceci s'est passé de manière irrévocable, malgré le péché qui a suivi, et malgré la mort. A son heure, Jésus sera témoin de cet amour irréversible du Créateur et Père qui était déjà exprimé dans le mystère de la création et dans la grâce de l'innocence originelle. Et c'est également pourquoi le "commencement" de l'homme et de la femme, c'est-à-dire la vérité originelle de leur corps dans la masculinité et dans la féminité sur laquelle Gn 2,25 attire notre attention, ne connaît pas la honte. On peut également définir ce "commencement" comme immunisation contre la honte par effet de l'amour.

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3. Une telle immunité nous oriente vers le mystère de l'innocence originelle de l'homme. Elle est un mystère de son existence, antérieure à la connaissance du bien et du mal et pour ainsi dire "à l'extérieur" de celle-ci. Le fait que l'homme existe de cette manière, antérieurement à la rupture de sa première Alliance avec son Créateur, appartient à la plénitude du mystère de la création. Si, comme nous l'avons déjà dit, la création est un don fait à l'homme, alors sa plénitude, sa dimension la plus profonde, sont déterminées par la grâce, c'est-à-dire par la participation à la vie intérieure de Dieu lui-même, à sa sainteté. Elle est également, dans l'homme, le fondement intérieur et la source de son innocence originelle. C'est par ce concept - et plus précisément par celui de "justice originelle" - que la théologie définit l'état de l'homme avant le péché originel. Dans la présente analyse de l'"origine", qui nous aplanit les chemins indispensables pour comprendre la théologie du corps, nous devons nous pencher un moment sur le mystère de l'état originel de l'homme. En effet, cette conscience du corps - ou mieux, la conscience de la signification du corps - que nous cherchons à mettre en lumière par l'analyse de "l'origine", c'est elle précisément qui révèle la caractéristique de l'innocence originelle.
Ce qui se révèle probablement le plus, et de manière directe, dans Gn 2,25, c'est justement le mystère de cette innocence que tant l'homme que la femme des origines portent chacun en soi. Leur propre corps est en un certain sens le témoin oculaire de cette caractéristique. Un fait significatif est que l'affirmation contenue en Gn 2,25 - "ils étaient nus tous deux et n'en avaient point honte" (*) - est une information unique en son genre dans toute la Bible et elle ne sera jamais répétée. Par contre, nous pouvons citer de nombreux textes où la nudité sera liée à la honte ou, dans un sens encore plus fort, directement à l'"ignominie". Dans cet ample contexte apparaissent d'autant plus visibles les raisons pour découvrir dans Gn 2,25 une trace particulière du mystère de l'innocence originelle et un facteur particulier de son rayonnement dans le sujet humain. Une telle innocence appartient à la dimension de la grâce contenue dans le mystère de la création, c'est-à-dire à ce don mystérieux fait au plus intime de l'homme - au "coeur" humain - qui permet à tous deux, homme et femme, d'exister, dès l'origine, dans la relation réciproque du don désintéressé de soi. En ceci sont contenues, ensemble, la révélation et la découverte de la signification "conjugale" du corps dans sa masculinité et féminité. On comprend pourquoi nous parlons dans ce cas de révélation et en même temps de découverte. Au point de vue de notre analyse, il est essentiel que la découverte de la signification conjugale que nous relevons dans le témoignage du Livre de la Genèse se réalise à travers l'innocence originelle; et même, c'est cette découverte qui la révèle et la met en évidence.
(*) - La " nudité " dans le sens de "absence de vêtement" signifiait, dans le Moyen-Orient ancien, l'état d'abjection de l'homme privé de liberté: celui des esclaves, des prisonniers de guerre ou des condamnés, de ceux qui ne jouissent pas de la protection de la loi. La nudité des femmes était considérée comme déshonneur (cf. par ex. les menaces des prophètes: Os 1,2 Ez 23,26-29. L'homme libre, soucieux de sa dignité, devait s'habiller somptueusement: plus ses vêtements étaient ornés et plus haute était sa dignité (cf. par ex. les vêtements de Joseph qui excitaient la jalousie de ses frères, ou des pharisiens qui allongeaient leurs franges). La deuxième signification de "la nudité", au sens euphémiste, concernait l'acte sexuel. Le terme hébreu cerwat signifie un vide spatial (par exemple du paysage), une absence de vêtements, la spoliation, mais elle n'avait en soi rien d'ignominieux.

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4. L'innocence originelle appartient au mystère de l'"origine" humaine dont l'homme "historique" s'est ensuite séparé en commettant le péché originel. Ce qui ne veut pas dire toutefois qu'il ne soit pas en mesure de s'approcher de ce mystère grâce à sa connaissance théologique. L'homme "historique" cherche à comprendre le mystère de l'innocence originelle comme à travers un contraste, c'est-à-dire en remontant également à l'expérience de sa propre faute et de son propre état de pécheur (*). Il cherche à comprendre l'innocence originelle comme caractéristique essentielle pour la théologie du corps, en partant de l'expérience de la honte; en effet le texte biblique lui-même l'oriente ainsi.
L'innocence originelle est donc ce qui exclut radicalement - c'est-à-dire à sa racine même - la honte du corps dans le rapport homme-femme, en élimine la nécessité dans l'homme, dans son coeur, c'est-à-dire dans sa conscience. Bien que l'innocence originelle parle surtout du don du Créateur, de la grâce qui a permis à l'homme de vivre le sens de la donation primaire du monde, et en particulier, dans ce monde, le sens de la donation réciproque de l'un à l'autre par la masculinité et féminité, cette innocence semble toutefois se référer avant tout à l'état intérieur du "coeur" humain, de la volonté humaine. Y sont incluses, au moins indirectement, la révélation et la découverte de la conscience morale humaine, la révélation et la découverte de la totale dimension de la conscience - évidemment avant la connaissance du bien et du mal. Il faut, en un certain sens, l'entendre comme rectitude originelle.
(*) "En effet, nous savons que la loi est spirituelle; mais moi je suis un être de chair, vendu au pouvoir du péché. Vraiment, ce que je fais, je ne le comprends pas: car je ne fais pas ce que je veux, mais je fais ce que je hais ... En réalité ce n'est plus moi qui accomplis l'action, mais le péché qui habite en moi. Car je sais que nul bien n'habite en moi, je veux dire dans ma chair; en effet, vouloir le bien est à ma portée, mais non pas l'accomplir; puisque je ne fais pas le bien que je veux et commets le mal que je ne veux pas. Or si je fais ce que je ne veux pas, ce n'est plus moi qui accomplis l'action mais le péché qui habite en moi. Je découvre donc cette loi: quand je veux faire le bien, c'est le mal qui se présente à moi. Car je me complais dans la loi de Dieu du point de vue de l'homme intérieur; mais j'aperçois une autre loi dans mes membres qui lutte contre la loi de ma raison et m'entraîne à la loi du péché qui est dans mes membres. Malheureux homme que je suis! Qui me délivrera de ce corps qui me voue à la mort? Rm 7,14-15 Rm 7,17-24. Cf. "Vidéo meliora proboque, détériora sequor" Ovide, Métamorphoses, VII, 20.

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5. Dans le prisme de notre "a posteriori historique", nous cherchons donc à reconstruire d'une certaine manière la caractéristique de l'innocence originelle entendue, en tant qu'élément de la connaissance réciproque du corps, comme expérience de sa signification conjugale (suivant le témoignage de Gn 2,23-25. Etant donné que la félicité et l'innocence sont inscrites dans le cadre de la communion des personnes comme si, dans le mystère de la création, il s'agissait de deux fils convergents de l'existence de l'homme, la conscience béatifique de la signification du corps - c'est-à-dire de la signification conjugale de la masculinité et de la féminité - est conditionnée par l'innocence originelle. Il semble qu'ici rien n'empêche de voir dans cette innocence originelle une certaine "pureté de coeur" qui conserve une fidélité intérieure au don selon la signification conjugale du corps. Par conséquent, ainsi comprise, l'innocence originelle se manifeste comme un tranquille témoignage de la conscience qui, dans ce cas, précède n'importe quelle expérience du bien et du mal; et ce témoignage serein de la conscience est toutefois quelque chose d'autant plus béatifique. On peut dire, en effet, que la conscience de la signification conjugale du corps dans sa masculinité et féminité devient "humainement" béatifique uniquement grâce à ce témoignage.
Nous consacrerons notre prochaine méditation à ce sujet, c'est-à-dire au lien qui, dans l'analyse de l'"origine" de l'homme, se trace entre son innocence (pureté du coeur) et sa félicité.




2002 Magistère Mariage 863