2002 Magistère Mariage 922


deuxième série: Avril 1980 - Mai 1981


Le Christ fait appel à l'homme intérieur

16 avril 1980

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1. Comme thème de nos futures réflexions - dans le cadre de nos rencontres du mercredi - je désire développer l'affirmation suivante du Christ qui fait partie du discours sur la montagne: "Vous avez appris qu'il a été dit: tu ne commettras pas d'adultère. Et moi je vous dis: quiconque regarde une femme avec convoitise a déjà, dans son coeur, commis l'adultère avec elle" Mt 5,27-28. Il semble que ce passage, comme celui où le Christ s'est référé à "l'origine" et qui nous a servi de base pour nos analyses précédentes, ait une signification clé pour la théologie du corps. Nous avons alors pu nous rendre compte de l'ampleur du contexte d'une phrase, spécialement d'une parole prononcée par le Christ. Il s'agissait non seulement du contexte immédiat, tel qu'il ressort au cours de l'entretien avec les pharisiens mais aussi du contexte global que nous ne pouvions pas comprendre sans remonter au premier chapitre du livre de la Genèse (en négligeant là ceux qui se référaient aux autres livres de l'Ancien Testament). Nos précédentes analyses ont montré l'étendue du contenu qu'entraîne la référence du Christ à "l'origine".
L'énoncé auquel nous nous référons maintenant, Mt 5,27-28 nous introduira sûrement non seulement dans le contexte immédiat dans lequel il apparaît mais aussi dans son contexte plus large, dans son contexte global, par l'intermédiaire duquel la signification clé de la théologie du corps se révélera graduellement. Cet énoncé constitue un des passages du discours sur la montagne dans lequel Jésus-Christ opère une révision fondamentale de la manière de comprendre et d'accomplir la loi morale de l'Ancienne Alliance. Il se réfère, dans l'ordre, aux commandements suivants du décalogue: au cinquième "tu ne tueras pas" Mt 5,21-26; au sixième "tu ne commettras pas l'adultère" Mt 5,27-32 - il est significatif qu'à la fin de ce passage apparaisse aussi la question de "l'acte de répudiation" Mt 5,31-32 déjà esquissé dans le chapitre précèdent - et au huitième commandement du texte du livre de l'Exode Ex 20,7 "tu ne parjureras pas mais tu t'acquitteras envers le Seigneur de tes serments" Mt 5,33-37.
Dans le discours sur la montagne, ce sont surtout les paroles qui précèdent ces versets - et les suivants - qui sont significatives. Dans ces paroles, Jésus déclare: "Ne pensez pas que je sois venu pour abolir la loi et les prophètes; je ne suis pas venu pour abolir mais pour accomplir." Mt 5,17. Dans les phrases qui suivent, Jésus explique le sens de cette opposition et la nécessité de "l'accomplissement" de la loi pour réaliser le règne de Dieu

"Celui qui observera (ces commandements) et qui les

enseignera aux hommes sera considéré comme grand dans le royaume des cieux. Mt 5,19. "Règne des cieux" signifie règne de Dieu dans la dimension eschatologique. L'accomplissement de la loi conditionne ce règne, de manière fondamentale, dans la dimension temporelle de l'existence humaine. Il s'agit cependant d'un accomplissement qui correspond pleinement au sens de la loi, du décalogue, des commandements particuliers. Seul cet accomplissement construit cette justice que Dieu législateur a voulu. Le Christ Maître avertit de ne pas donner une telle interprétation humaine à toute la loi et à tous les commandements particuliers qu'elle contient, dans la mesure où elle ne construit pas la justice voulue par Dieu- Législateur: "Si votre justice ne dépasse pas celle des scribes et des pharisiens, vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux." Mt 5,20.

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2. Dans ce contexte apparaît l'énoncé du Christ tel qu'il est rapporté par Mt 5,27-28 et que nous entendons prendre comme base pour les présentes analyses en le considérant, en même temps que l'autre énoncé qui est rapporté dans Mt 19,3-9 et Mc 10,2-12, comme clef de la théologie du corps. Cet énoncé, comme l'autre, a un caractère explicitement normatif. Il confirme le principe de la morale humaine contenu dans le commandement "tu ne commettras pas d'adultère" et, en même temps, il détermine une compréhension appropriée et totale de ce principe, c'est-à-dire une compréhension du fondement et en même temps de la condition pour son "accomplissement" adéquat; ce principe se trouve précisément considéré à la lumière des paroles de Mt 5,17-20 déjà citées sur lesquelles nous avons attiré l'attention plus haut. Il s'agit ici, d'une part, d'adhérer à la signification mise par Dieu- Législateur dans le commandement "tu ne commettras pas d'adultère", et d'autre part, pour l'homme, d'accomplir cette "justice" qui doit "surabonder" en lui, c'est-à-dire atteindre en lui sa plénitude spécifique. Ce sont là pour ainsi dire les deux aspects de l'"accomplissement" au sens évangélique.

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3. Nous nous trouvons ainsi au coeur même de l'ethos ou dans ce qui peut être défini comme la forme intérieure, presque l'âme de la morale humaine. Les penseurs contemporains (par exemple SCHELER) voient dans le discours sur la montagne un grand tournant précisément dans le domaine de l'ethos (Je ne connais aucun autre témoignage d'une semblable re-création de tout un système de valeurs relativisant l'ancien Ethos que le Sermon sur la montagne qui se présente avant tout, y compris dans sa forme, comme le témoignage d'une telle re-création et d'une relativisation des anciennes valeurs de la "loi": "Mais moi je vous dis" (Max SCHELER, Der Formalismus in der Ethik und die materiale Wertethik, Halle a.d.s. Verlag M. Niemeyer, 1921, p.316 n. 1.). Une morale vivante, au sens existentiel, n'est pas seulement formée par des normes qui revêtent la forme de commandements, de préceptes et d'interdits, comme c'est le cas dans "tu ne commettras pas d'adultère". La morale dans laquelle se réalise le sens même de l'être humain - qui est en même temps accomplissement de la loi par l'intermédiaire de la "surabondance" de la justice à travers la vitalité subjective - se forme dans la perception intérieure des valeurs d'où naît le devoir comme expression de la conscience, comme réponse du "je" personnel. L'ethos nous fait en même temps entrer dans la profondeur de la norme elle-même et descendre à l'intérieur de l'homme sujet de la morale. La valeur morale est liée au processus dynamique de l'intimité de l'homme. Pour l'atteindre, il ne suffit pas de s'arrêter "aux apparences" de l'action humaine, mais il faut encore pénétrer à l'intérieur de ces actions.

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4 En plus du commandement "tu ne commettras pas d'adultère", le décalogue a aussi "tu ne désireras pas la femme du prochain" Ex 20,17 Dt 5,21. Dans l'énoncé du discours sur la montagne, le Christ les lie, dans un certain sens, l'un à l'autre: "Quiconque regarde une femme pour la désirer a déjà commis l'adultère dans son coeur." Cependant, il ne s'agit pas tant de distinguer la portée de ces deux commandements du décalogue que de relever la dimension de l'action intérieure à laquelle se réfère également les paroles: "tu ne commettras pas d'adultère". Cette action trouve son expression visible dans "l'acte du corps", acte auquel participent l'homme et la femme contre la loi de l'exclusivité dans le mariage. La casuistique des livres de l'Ancien Testament, dans le but de rechercher ce qui, selon des critères extérieurs, constituait cet "acte du corps", et, en même temps, dans le but de combattre l'adultère, lui ouvrait différentes "échappatoires" légales (Sur ce sujet, cf. la suite des présentes méditations). De cette manière, sur la base de multiples compromis "à cause de la dureté du coeur" Mt 19,8, le sens du commandement voulu par le législateur subissait une déformation. On se conformait à l'observance légaliste de la formule qui ne "surabondait" pas dans la justice intérieure des coeurs. Le Christ déplace l'essence du problème et lui donne une autre dimension quand il dit: "Quiconque regarde une femme pour la désirer a déjà commis l'adultère avec elle dans son coeur." D'après une ancienne traduction: "Il l'a déjà rendue coupable d'adultère dans son coeur" formule qui semble être plus exacte (*).
Ainsi donc le Christ fait appel à l'homme intérieur. Il le fait plusieurs fois et en différentes circonstances. Dans ce cas, cela apparaît particulièrement explicite et éloquent, non seulement par rapport à la configuration de l'ethos évangélique, mais aussi par rapport à la manière de voir l'homme. Ce n'est donc pas seulement la raison éthique, mais aussi la raison anthropologique qui nous pousse à nous arrêter plus longtemps sur le texte de Mt 5,27-28, qui contient les paroles prononcées par le Christ dans le discours sur la montagne.

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(*) Note - le "texte de la Vulgate offre une traduction fidèle de l'original: tam moechatus est eam in corde suo. En effet, le verbe grec moicheüo est transitif. Au contraire dans les langues européennes modernes, "commettre un adultère" est un verbe intransitif. D'où la version: Il a commis un adultère avec elle. "Il en est de même. - En italien:" ...ha gia commesso adulterio con lie nel suo cuore" (Edition de la Conférence épiscopale italienne, 1971; il en est de même pour l'édition de l'Institut biblique pontificale, 1961, et celle éditée par S. Garofalo 1966
- En français: "...a déjà commis, dans son coeur l'adultère avec elle" (Bible de Jérusalem, Parie, 1973; traduction oecuménique, Paris, 1972, Crampon): seul Fillon traduit: "A déjà commis l'adultère dans son coeur" - En anglais: "...has already commited adultery with her in his heart" (Douai Version 1582; de même la Revised Standard Version, de 1611 à 1966; R. Knox, New English Bible, Jérusalem Bible, 1966) - En allemand: "...hat in seinem Herzen scon Ehebruch mit ihr begangen (Traduction oecuménique demandée par les évêques de langue allemande, 1979). - En espagnol:"...ya cometio adultero con ella en su corazon" (Bibl. Societ. 1966) - En portugais: "...ja cometeu adulterio com ela no seu coraçao " (M. Soares Sao Paulo, 1933 - En polonais: traduction ancienne: juz ja scudzolozyl w sercu swoim"; traduction récente: "...juz sie w swoim sercu dopuscil z nia cudsolostwa" (Biblia Tysiaclecia).



Le contenu éthique et anthropologique du commandement "Tu

ne commettras pas d'adultère"

23 avril 1980

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1. Rappelons-nous les paroles du Discours sur la Montagne auquel nous nous référons dans le présent cycle de nos réflexions du mercredi: Vous avez appris - dit le Seigneur - qu'il a été dit: tu ne commettras pas d'adultère; mais moi je vous dis: quiconque regarde une femme avec convoitise a déjà, dans son coeur, commis l'adultère avec elle." Mt 5,27-28

L'homme auquel Jésus se réfère ici, c'est précisément l'homme "historique", celui dont nous avons recherché "l'origine" et la "préhistoire théologique" dans la précédente série d'analyses. C'est précisément celui qui écoute le Discours sur la Montagne de ses propres oreilles. Mais, avec lui, c'est aussi tout autre homme mis en face de ce moment de l'histoire, que ce soit dans l'immense espace du passé, que ce soit dans celui, également vaste, du futur. En face du Discours sur la Montagne, notre présent, notre contemporanéité, appartient également à ce "futur". Dans un certain sens, cet homme, c'est "chaque" homme, "chacun" de nous. Que ce soit l'homme du passé ou l'homme du futur, il peut être celui qui connaît le commandement positif "tu ne commettras pas d'adultère" comme "contenu de la loi" Rm 2,22-23 mais il peut être également celui qui, selon la Lettre aux Romains, a seulement ce commandement "écrit dans (son) coeur" Rm 2,15.
Note - (De cette manière, le contenu de nos réflexions serait déplacé, dans un certain sens, sur le terrain de la "loi naturelle". Les paroles citées de Rm 2,5 ont toujours été considérées, dans la Révélation, comme la source de la preuve pour l'existence de la loi naturelle. Le concept de loi naturelle acquiert ainsi également une signification théologique. - Cf., entre autres, D, Composta, Teologia del diritto naturale, status quaestionis, Brescia 1972 (Ed. civiltà), n.7-22, 41-53; j. Fusch, S.J., Lex naturae, Zur Theologie des Naturrechts, Düsseldort 1955, p. 22-30; E. Hamel, S.J., Loi naturelle et loi du Christ, Bruges-Paris 1964 (DDB), p. 18; A. Sacchi, "la legge naturale nella Biblia" in: La legge naturale. Le relazioni del Convegno dei teologi moralisti dell'Italia settentrionale (11-13 septembre 1969), Bologna 1970 (Ed. Dehoniane), p. 53; F Böckle. "la legge naturale e la legge cristiana", ibid. p. 214-215; A. Feuillet, "Le fondement de la morale ancienne et chrétienne d'après l'Epître aux Romains", Revue Thomiste 78 (1970) 357- 386; Th. Herr, Naturrecht aus der kritischen Sicht des Neuen Testaments, München 1976 (Schöningh), p. 155-164.).
A la lumière des réflexions développées précédemment, c'est l'homme qui a acquis depuis son "origine" un sens précis de la signification du corps, déjà avant de franchir "le seuil" de ces expériences historiques, dans le mystère même de la création, étant donné qu'il en émerge "comme homme et femme" Gn 1,27. C'est l'homme historique qui à "l'origine" de son existence terrestre s'est trouvé "avec" la connaissance du bien et du mal, rompant l'alliance avec son Créateur. C'est l'être humain-homme qui "a connu (la femme) son épouse" et qui l'a "connue" plusieurs fois et elle, "elle a conçu et enfanté" Gn 4,1-2 en conformité avec le dessein du Créateur qui remontait à l'état de l'innocence originelle Gn 1,18 Gn 2,24.

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2. Dans son Discours sur la Montagne, c'est précisément à cet homme que le Christ s'adresse, en particulier avec les paroles de Mt 5,27-28. Il s'adresse à l'homme d'un moment déterminé de l'histoire et, en même temps, à tous les hommes qui appartiennent à la même histoire humaine. Comme nous l'avons déjà constaté, il s'adresse à l'homme "intérieur". Les paroles du Christ ont un contenu anthropologique explicite; elles touchent à ces significations éternelles par l'intermédiaire desquelles l'anthropologie "adéquate" se trouve constituée. Par leur contenu éthique, ces paroles constituent en même temps cette anthropologie et exigent, pour ainsi dire, que l'homme entre dans la plénitude de son image. L'homme qui est "chair" et qui comme être humain reste en rapport, à travers son corps et son sexe, avec la femme (c'est ce qu'indique en effet également l'expression "tu ne commettras pas d'adultère"), doit, à la lumière de ces paroles du Christ, se retrouver à l'intérieur de lui-même, dans son "coeur".
Note - (L'usage typiquement hébraïque, qui se reflète dans le Nouveau Testament, implique une Conception de l'homme comme unité pensée, de volonté et de sentiment... Il dépeint l'homme comme un tout, considéré à partir de son intentionnalité; le coeur, comme centre de l'homme, est envisagé comme source de volonté, d'émotion, de pensées et d'affections. -- Cette conception judaïque traditionnelle a été rapprochée par Paul de catégories hellénistiques telles que "esprit", "attitudes", "pensées" et "désirs". Une telle coordination entre les catégories judaïques et hellénistiques se retrouve dans Ph 1,7 Ph 4,7 Rm 1,21-24 où le "coeur" est envisagé comme un centre à partir duquel découlent toutes ces choses. (R. Jewett, Paul's Anthropological Terms. A Study of their Use in Conflict Settings, Leiden. 1971, Brill, p. 448.) -- "Le coeur... est le centre et la racine cachée et intérieure de l'homme et de son monde..., le fondement premier et la force vitale de toute expérience et de toute décision de l'être." (H. Schlier, Das Menschenherz nach dem Apostel Paulus, in: Lebendiges Zeugnis, 1965, p. 123.) -- Cf. aussi F. Baumgärtel - J. Behm, "Kardia", in: Theologisches Wörterbuch zum Newen Testament, II, Stuttgart l933 (Kohlhammer), p. 609-616.).
Le "coeur" est cette dimension de l'humanité à laquelle sont directement liés le sens de la signification du corps humain et l'ordre de ce sens. Il s'agit ici, soit de cette signification que nous avons appelée corps "sponsal" dans nos précédentes analyses, soit de celle que nous avons appelée "procréatrice". De quel ordre s'agit-il?

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3. Cette partie de nos considérations doit précisément donner une réponse à cette question une réponse qui arrive non seulement aux raisons éthiques, mais aussi aux raisons anthropologiques en effet, elles sont et restent dans un rapport réciproque. Actuellement, il faut établir au préalable la signification du texte de Mt 5,27-28, la signification des expressions qui y sont employées et leur rapport réciproque. L'adultère auquel se réfère expressément le commandement cité signifie la rupture de l'unité par laquelle l'homme et la femme, seulement comme conjoints, peuvent s'unir si étroitement pour être "une seule chair" Gn 2,24 L'homme, s'il s'unit de cette manière à une femme qui n'est pas son épouse, commet l'adultère. La femme aussi, si elle s'unit de cette manière à un homme qui n'est pas son mari, commet l'adultère. Il faut en déduire que "l'adultère dans le coeur", commis par l'homme lorsqu'il "regarde une femme pour la désirer", signifie un acte intérieur bien défini. Il s'agit d'un désir qui va, dans ce cas, de l'homme vers une femme qui n'est pas son épouse afin de s'unir à elle comme si elle était son épouse, c'est-à-dire - pour utiliser encore une fois les paroles de Gn 2,24 - pour faire en sorte que "les deux soient une seule chair". Ce désir comme acte intérieur s'exprime par l'intermédiaire de la vue, c'est-à-dire avec le regard, comme dans le cas de David et de Bethsabée, pour prendre un exemple utilisé dans la Bible 2S 11,2 c'est peut-être l'exemple le plus connu mais, dans la Bible, on peut trouver d'autres exemples semblables Gn 34,2 Jg 14,1 Jg 16,1 i. Le rapport entre le désir et le regard a été particulièrement mis en relief dans les paroles du Christ.

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4. Ces paroles ne disent pas clairement si la femme - objet du désir - est la femme d'un autre ou simplement la femme de l'homme qui la regarde de cette manière.
Elle peut être la femme d'un autre ou aussi une femme non liée par le mariage. Il faut plutôt le deviner en nous fondant spécialement sur l'expression qui précisément définit l'adultère comme ce que l'homme a commis "dans son coeur" par le regard. Il faut en déduire correctement que ce regard de désir tourné vers son épouse n'est pas adultère "dans le coeur", précisément parce que l'acte intérieur correspondant de l'homme s'adresse à la femme qui est son épouse par rapport à laquelle l'adultère ne peut pas se vérifier. Si l'acte conjugal comme acte extérieur où "tous les deux s'unissent pour devenir une seule chair" est permis dans le rapport de l'homme en question avec la femme qui est son épouse, de manière analogue, l'acte intérieur est, également dans la même relation, conforme à l'éthique.

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5. Néanmoins, ce désir indiqué par l'expression "quiconque regarde une femme pour la désirer" a sa dimension biblique et théologique que nous ne pouvons pas ne pas éclaircir. Même si cette dimension ne se manifeste pas directement dans cette expression unique et concrète de Mt 5,27-28, elle est cependant profondément enracinée dans le contexte global qui se rapporte à la révélation du corps. Nous devons remonter à ce contexte afin que la référence du Christ "au coeur", à l'homme intérieur, résonne dans toute la plénitude de sa vérité. L'énoncé cité du Discours sur la Montagne Mt 5,27-28 a fondamentalement un caractère indicatif. Que le Christ s'adresse directement à l'homme comme à celui qui "regarde une femme pour la désirer" ne veut pas dire que ses paroles, dans leur sens éthique, ne s'adressent pas aussi à la femme. Le Christ s'exprime ainsi pour illustrer par un exemple concret comment il faut comprendre "l'accomplissement de la loi", selon la signification que lui a donnée Dieu- législateur, et, en outre, comment il faut entendre cette "surabondance de la justice" dans l'homme que mentionne le sixième commandement du Décalogue. En parlant de cette manière, le Christ veut que nous ne nous arrêtions pas sur l'exemple lui-même mais que nous pénétrions dans le sens pleinement éthique et anthropologique de l'énoncé. Celui-ci a un caractère indicatif et il signifie qu'en suivant ses traces nous pouvons arriver à comprendre la vérité générale sur l'homme "historique", valable également pour la théologie du corps. Les étapes ultérieures de nos réflexions auront pour but d'essayer de comprendre cette vérité.



La concupiscence, rupture de l'alliance avec Dieu

30 avril 1980

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1. Dans notre dernière réflexion, nous avons dit que les paroles du Christ dans le Sermon sur la Montagne font directement allusion au "désir" qui naît immédiatement dans le coeur humain; mais, indirectement, ces paroles nous orientent vers la compréhension d'une vérité sur l'homme dont l'importance est universelle.
Cette vérité sur l'homme "historique", qui a une importance universelle et vers laquelle nous dirigent les paroles du Christ tirées de Mt 5,27-28, semble être exprimée dans la doctrine biblique sur la triple concupiscence. Nous nous référons ici au bref énoncé de la 1Jn 2,16-17: "Tout ce qui est dans le monde, la convoitise de la chair, la convoitise des yeux et la confiance orgueilleuse dans les biens, ne provient pas du Père mais provient du monde. Or le monde passe, lui et sa convoitise; mais celui qui fait la volonté de Dieu demeure à jamais." Il est évident que, pour comprendre ces paroles, il faut tenir énormément compte du contexte où elles sont insérées, c'est- à-dire le contexte de toute la "théologie johannique".
Note - (cf. par exemple: J. Bonsirven, Epîtres de saint Jean, Paris 1954 (Beauchesne), p. 113-119; E. Brooke, Critical and Exegetical Commentary on the Johannine Epistles, International critical Commentary, Edinburgh 1912 (Clark). p.17-49; P. De Ambroggi, Le Epistole Cattoliche, Torino 1947 (Marietti), p. 216-217; C. H. Dodd. The Johannine Epistles (Moffatt New Testament Commentary), London 1946. p.41-42; J. Houlden, A. Commentary on the Johannine Epistles, London 1973 (Black), p. 73-74; B. Prete. Lettere di Giovanni, Roma 1970 ( Ed. Paoline), p.61; R. Schnackenburg, Die Johannesbriefe, Freiburg 1953 (Herders Theologister Kommentar zum Neuen Testament), p. 112-115; J.R. W. Stott. Epistles of John (Tyndale New Testament Commentaries) London 1969, p. 99-101 - - Sur la théologie de saint Jean, cf. en particulier A. Feuillet, le Mystère de l'amour divin dans la théologie Johannique, Paris, 1972, Gabalda.).
Cependant, les mêmes paroles s'insèrent en même temps dans le contexte de toute la Bible: elles appartiennent à l'ensemble de la vérité révélée sur l'homme et elles sont importantes pour la théologie du corps. Elles n'expliquent pas la concupiscence dans sa triple forme car elles semblent présupposer que "la concupiscence du corps, la concupiscence des yeux et la confiance orgueilleuse dans les biens" sont, d'une certaine façon, un concept clair et connu. Elles expliquent au contraire la genèse de la triple concupiscence, en indiquant leur provenance, non pas "du Père" mais "du monde".

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2. La concupiscence de la chair et, avec elle, la concupiscence des yeux et la confiance orgueilleuse dans les biens sont dans "le monde" et, en même temps, "viennent du monde", non comme fruit du mystère de la création mais comme fruit de l'arbre de la connaissance du bien et du mal Gn 2,17 dans le coeur de l'homme. Ce qui fructifie dans la triple concupiscence, ce n'est pas le monde créé par Dieu pour l'homme et dont nous avons lu plusieurs fois dans Gn 1 qu'il était "bon". "Dieu vit que c'était bon... que c'était très bon." Dans la triple concupiscence, c'est au contraire la rupture de la première alliance avec le Créateur, avec Dieu-Elohim, avec Dieu-Yahvé qui fructifie. Il faudrait faire ici une analyse scrupuleuse des événements décrits dans Gn 3,1-6 Mais, nous nous référons seulement ici de manière générale au mystère du péché, aux débuts de l'histoire humaine. En effet, c'est seulement comme conséquence du péché, comme fruit de la rupture de l'alliance avec Dieu dans le coeur humain - dans l'intimité de l'homme - que le "monde" du livre de la Genèse est devenu le "monde" décrit par les paroles de saint Jean 1Jn 2,15-16: lieu et source de concupiscence.
Ainsi donc l'énoncé selon lequel la concupiscence ne vient pas du Père mais du monde semble nous diriger, encore une fois, vers l'"origine" biblique. La genèse de la triple concupiscence présentée par Jean trouve dans cette origine son explication première et fondamentale une explication qui est essentielle pour la théologie du corps. Pour comprendre cette vérité d'importance universelle sur l'homme "historique" contenue dans les paroles du Christ dans le Discours sur la Montagne Mt 5,27-28, nous devons encore une fois, retourner au livre de la Genèse, nous arrêter encore une fois "au seuil" de la révélation de l'homme "historique". Ceci est d'autant plus nécessaire que ce seuil de l'histoire du salut se révèle en même temps être le seuil d'authentiques expériences humaines, comme nous le constaterons dans les analyses qui vont suivre. Les mêmes significations fondamentales que nous avons tirées de nos précédentes analyses, comme les éléments constitutifs d'une anthropologie adéquate et profonde, fondement de la théologie du corps, y revivront.

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3. On peut se demander encore s'il est permis de transporter les contenus typiques de la "théologie johannique" inclus dans toute la première lettre (en particulier dans 1Jn 2,15-16) sur le terrain du Discours sur la Montagne selon Mathieu et, de manière précise, sur le terrain de l'affirmation du Christ tirée de Mt 5,27-28 ("Vous avez appris qu'il a été dit: Tu ne commettras pas d'adultère; mais moi je vous dis: quiconque regarde une femme pour la désirer a déjà commis l'adultère avec elle dans son coeur"). Nous reprendrons cet argument plusieurs fois: néanmoins, nous nous référons dès maintenant au contexte biblique général, à l'ensemble de la vérité sur l'homme telle qu'elle est révélée et exprimée. C'est précisément au nom de cette vérité que nous cherchons à comprendre jusqu'au fond l'homme que le Christ montre dans le texte de Mt 5,27-28: c'est-à-dire l'homme qui "regarde" la femme "pour la désirer". En définitive, un tel regard ne s'explique-t-il peut-être pas par le fait que l'homme est précisément un "homme de désir", dans le sens de la première lettre de saint Jean, au lieu que les deux, c'est-à-dire l'homme qui regarde pour désirer et la femme qui est l'objet de ce regard, se trouvent dans la dimension de la triple concupiscence, qui "ne vient pas du Père mais du monde"? Il faut donc comprendre ce que signifie cette concupiscence ou plutôt cet "homme du désir" dans la Bible pour découvrir la profondeur des paroles du Christ selon Mt 5,27-28, et ce que signifie leur référence au "coeur" humain, si importante pour la théologie du corps.

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4. Revenons au récit yahviste où le même être humain, homme et femme, apparaît au début dans l'état d'innocence originelle - avant le péché originel - et ensuite comme celui qui a perdu cette innocence en violant l'alliance originelle avec son Créateur. Nous n'entendons pas faire ici une analyse complète de la tentation et du péché selon le même texte de Gn 3,1-5 ni établir la doctrine de l'Eglise ou la théologie qui s'y rapportent. Il convient seulement d'observer que la même description biblique semble mettre particulièrement en évidence le moment Clé où le don est mis en doute dans le coeur de l'homme. L'homme qui cueille le fruit de l'"arbre de la connaissance du bien et du mal" fait, en même temps, un choix fondamental et le réalise contre le vouloir du Créateur, Dieu-Yahvé, en acceptant les raisons qui lui sont suggérées par le tentateur: "Non, vous ne mourrez pas! Mais Dieu sait que le jour où vous en mangerez, vos yeux s'ouvriront et vous deviendrez comme Dieu, connaissant le bien et le mal"; selon une ancienne traduction: "Vous serez comme des dieux qui connaissent le bien et le mal".
Note - (le texte hébraïque peut avoir les deux significations puisqu'il se traduit: "Dieu (Elohim) sait que le jour où vous en mangerez (le fruit de l'arbre de la Connaissance du bien et du mal) vos yeux s'ouvriront et vous deviendrez comme Elohim, qui connaissent le bien et le mal." Le terme elohim est le pluriel de eloah ("pluralis excellentiae"). - Se rapportant à Yahvé, il est au singulier; mais il peut être au pluriel quand il se rapporte aux autres divinités célestes ou aux divinités païennes Ps 8,6 Ex 12,12 Jg 10,16 Os 31,1 et d'autres). -- Mentionnons quelques traductions: - Italien: " diverreste come Dio, Conoscendo il bene e il male " (Pont. Istit. Biblico, 1961). - Français: "...vous serez comme des dieux. Qui connaissent le bien et le mal" (Bible de Jérusalem, 1973). - Anglais: "you will be like God, knowing good and evil" (Revised Standard Version, 1966). - Espagnol "series como dioses, conocedores del bien y del mal " (S. Ausejo. Barcelona 1964); "seréis como Dios en el conocimiento del bien y el mal" (A. Alonso-Schökel. Madrid 1970).).
Dans cette motivation, se trouve contenue la mise en doute du don et de l'amour dont la création comme don tire son origine. Pour ce qui est de l'homme, il reçoit en don "le monde" et, en même temps, l'"image de Dieu", c'est-à-dire l'humanité elle-même dans toute la vérité de sa dualité masculine et féminine. Il suffit de lire avec soin tout le passage de Gn 3,1-5 pour y repérer le mystère de l'homme qui tourne le dos au "Père" (même si nous ne trouvons pas ce qualificatif de Dieu dans le récit). En mettant en doute, dans son coeur, la signification la plus profonde du don, c'est-à-dire l'amour comme raison spécifique de la création et de l'alliance originelle (cf. en particulier Gn 3,5, l'homme tourne le dos, au Dieu-Amour, au "Père". Dans un certain sens, il le rejette de son coeur. En même temps donc, il détache son coeur et il le coupe presque de ce qui "vient du Père": ainsi, il reste en lui ce qui "vient du monde".

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5. "Leurs yeux à tous deux s'ouvrirent alors et ils surent qu'ils étaient nus. Ayant cousu des feuilles de figuier, ils s'en firent des pagnes." Gn 3,7 C'est la première phrase du récit yahviste que se réfère à la "situation de l'homme après le péché et qui montre le nouvel état de la nature humaine. Cette phrase ne suggère-t-elle peut-être pas aussi le début de la "concupiscence" dans le coeur de l'homme? Pour donner une réponse plus approfondie à cette question, nous ne pouvons pas nous arrêter à cette première phrase mais il faut relire le texte dans son intégralité. Cependant, il vaut la peine de rappeler ce qui a été dit au sujet de la honte comme expérience "de la limite" dans les premières analyses Audience générale du 12.12.1979 . Le livre de la Genèse se réfère à cette expérience pour montrer "la limite" qui existe entre l'état d'innocence originelle (cf. en particulier Gn 2,25 auquel nous avons consacré beaucoup d'attention dans nos précédentes analyses) et l'état de péché de l'homme à la même "origine". Tandis que Gn 2,25 souligne qu'ils "étaient nus... mais qu'ils n'en éprouvaient pas de honte", Gn 3,6 parle explicitement de la naissance de la honte en relation avec le péché. Cette honte est presque la première source de la manifestation dans l'être humain - dans les deux, l'homme et la femme - de ce qui "ne vient pas du Père mais du monde".



La signification de la nudité originelle

14 mai 1980

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1. Nous avons déjà parlé de la honte qui surgit dans le coeur du premier être humain, homme et femme, au moment même du péché. La première phrase du récit biblique nous informe à ce sujet qu' "alors leurs yeux s'ouvrirent à tous deux, et ils s'aperçurent qu'ils étaient nus. Ils entrelacèrent donc des feuilles de figuier et se firent des ceintures" Gn 3,7. Ce passage qui parle de la honte réciproque de l'homme et de la femme en tant que signe de la chute (status naturae lapsae), doit être considéré dans son contexte. En ce moment, la honte atteint son degré le plus profond et semble bouleverser les bases même de leur existence. "Ensuite ils entendirent la voix du Seigneur Dieu qui se promenait dans le jardin, à la brise du jour, et l'homme et la femme se cachèrent devant le Seigneur Dieu, au milieu des arbres du jardin" Gn 3,8. Leur besoin de se cacher indique qu'au fond de la honte qu'ils éprouvent réciproquement, comme fruit immédiat de l'arbre de la connaissance du bien et du mal, a mûri un sentiment de peur en présence de Dieu: une peur ignorée auparavant. "Le Seigneur Dieu appela l'homme et lui dit: " Où es-tu? ". Il répondit, j'ai entendu ton pas dans le jardin, j'ai eu peur, parce que je suis nu, et je me suis caché." Gn 3,9-10. Une certaine peur appartient toujours à l'essence même de la honte; néanmoins la honte originelle révèle un caractère tout particulier: "J'ai eu peur, parce que je suis nu." Ici, nous nous rendons compte qu'il y a en jeu quelque chose de plus profond que la simple honte du corps, liée à une récente prise de conscience de la propre nudité. L'homme essaye de cacher par la honte de sa nudité l'origine authentique de la peur, et plutôt que d'appeler la cause de cette nudité par son nom, il en indique l'effet. C'est alors que le Seigneur Dieu le fait à sa place: "Qui t'a révélé que tu étais nu? Est-ce que tu as mangé de l'arbre dont je t'avais défendu de manger?" Gn 3,11.

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2. la précision de ce dialogue est bouleversante, comme est bouleversante la précision de tout le récit. Elle manifeste l'étendue des émotions de l'homme qui vit ces événements en même temps qu'elle en dévoile la profondeur. En tout ceci, la "nudité" n'a pas seulement un sens littéral, elle ne se réfère pas seulement au corps, elle n'est pas une honte qui se réfère exclusivement au corps. En réalité, à travers la nudité se révèle l'homme privé de la participation au Don, l'homme dépouillé de cet Amour qui avait été la source du don originel, la source de la plénitude du bien destiné à la créature. Selon les formules de l'enseignement théologique de l'Eglise (*), cet homme fut privé des dons surnaturels et préternaturels qui, avant le péché, faisaient partie de "ce qu'il avait reçu": de plus, il fut endommagé dans tout ce qui appartient à sa nature même, à son humanité dans la plénitude originelle "de l'image de Dieu". La triple concupiscence correspond non pas à la plénitude de cette image, mais précisément aux dommages, aux déficiences, aux limites qui se révélèrent avec le péché. La concupiscence s'explique comme carence dont les racines s'enfoncent dans la profondeur originelle de l'esprit humain. Si nous voulons étudier ce phénomène à ses origines, c'est-à-dire au seuil des expériences de l'homme "historique", nous devons prendre en considération toutes les paroles que Dieu-Yahvé adressa à la femme Gn 3,1 et à l'homme Gn 3,17-19, nous devons, en outre, examiner l'état de la conscience de chacun d'eux; et c'est précisément le texte yahviste qui le rend plus facile. Nous avons déjà attiré l'attention sur la spécificité littéraire du texte à cet égard.

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Note - (*) Le magistère de l'Eglise a considéré ces problèmes de plus prés à trois moments différents, suivant les besoins de l'époque. -- Du temps des controverses avec les pélagiens (Ve-VIe siècle). Il affirme dans ses déclarations qu'en vertu de la grâce divine, le premier homme possédait "naturalem possibilitatem et innocentiam" DS 239 appelée également "liberté" (libertas) (libertas arbitrii) DS 371 DS 242 DS 383 DS 622. Il demeurait en permanence dans un état que le Synode d'Orange appela "integritas" DS 529. -- "Natura humana, etiamsi in illa integritate, in qua condita est, permaneret nullo modo se ipsam, creatore suo non adjuvante, serveret..." DS 389 -- Le concept d'"integritas" et, en particulier, celui de "libertas" supposent la liberté par rapport à la concupiscence, bien que les documents ecclésiastiques de l'époque ne mentionnent pas explicitement cette liberté. -- En outre, le premier homme était libre par rapport à la nécessité de la mort DS 222 DS 372 DS 1511. -- L'état du premier homme avant le péché est défini par le concile de Trente "sainteté et justice" ("sanctitas et justitia" - DS 1511 DS 1512 ou bien comme "innocence" ("innocentia" DS 1521). -- Les déclarations suivantes à ce sujet défendent le caractère absolument gratuit du don originaire de la grâce, contrairement aux affirmations des jansénistes. La "integritas primae creationis" était une élévation de la nature humaine non méritée "indebita humanae naturae exaltatio) et non "l'état qui lui était dû naturellement" (naturalis ejus condicio - DS 1926. Dieu aurait donc pu créer l'homme sans ces grâces et sans ces dons DS 1955; ceci n'aurait nullement violé l'essence de la nature humaine pas plus qu'elle ne l'aurait privée de ses privilèges fondamentaux DS 1903-1907 DS 1909 DS 1921 DS 1923-1924 DS 1926 DS 1955 DS 2434 DS 2437 DS 2616 DS 2617 -- Comme les synodes antipélagiens, le concile de Trente traite surtout du dogme du péché originel, insérant dans son enseignement les déclarations précédentes en la matière. Ici, il fut toutefois introduit une certaine précision qui changeait partiellement le contenu du concept de "liberum arbitrium". La "liberté" ou "liberté de la volonté" des documents antipélagiens ne signifiaient pas la possibilité de choix liée à la nature humaine, donc constante; mais la liberté qui jaillit de la grâce et que l'homme peut perdre se référait seulement à la possibilité d'accomplir les actes méritoires. -- Or, à cause du péché, Adam a perdu ce qui n'appartenait pas à la nature humaine au sens strict du terme, c'est-à-dire "integritas", "sanctitas", "innocentia", "justitia". Le "liberum arbitrium", la liberté de la volonté ne lui a pas été enlevée, mais elle s'est affaiblie: - "Liberum arbitrium minime extinctum... viribus licet attenuatum et inclinatum..." DS 1521. -- Avec le péché apparaissent la concupiscence et le caractère inéluctable de la mort: - "Primum hominem... cum mandatum Dei... fuisset transgressus statim sanctitatem et justitiam in qua constitutus fuerat, amisisse incurrisseque per offensam praevaricationis hujus modi iram et indignationem Dei atque ideo mortem... et cum morte captivitatem sub ejus potestate. qui "mortis" deinde habuit imperium" ... "totumque Adam per illam praevaricationis offensam secundum corpus et animam in deterius commutatem fuisse... " DS 1511. (Cf Mysterium Salutis II Einsiedeln - Zurich - Cologne 1967. p. 827-828: W SEIBEL. " Der Mensch und der Ubernatürliches Ebenbild und der Urstand des Menschen")

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3. Quel est l'état de conscience que peuvent manifester ces paroles: "J'ai eu peur parce que je suis nu, et je me suis caché"? A quelle vérité intérieure correspondent-elles? De quelle signification du corps témoignent-elles? Il est certain que cet état nouveau diffère grandement de l'état originel. Les paroles de Gn 3,10 attestent directement un changement radical de la signification de la nudité originelle. Comme nous l'avons observé précédemment, la nudité n'exprimait pas une carence dans l'état de l'innocence originelle, mais représentait la pleine acceptation du corps dans toute sa vérité humaine et donc personnelle. Comme expression de la personne, le corps était le premier signe de la présence de l'homme dans le monde visible. Dès le début, l'homme était capable de se distinguer lui-même dans ce monde, de "s'individualiser" pour ainsi dire - c'est-à-dire de se confirmer en tant que personne - même par son propre corps. Celui-ci, en effet, a eu dès le début sa marque de facteur visible de la transcendance en vertu de laquelle l'homme, en tant que personne, dépasse le monde des êtres vivants (animalia). En ce sens, le corps humain a été, dès le début, un témoin fidèle et une "vérification" sensible de la "solitude" originaire de l'homme dans le monde, devenant en même temps, par sa masculinité et sa féminité, un élément limpide du don réciproque dans la communion des personnes. Ainsi, le corps humain portait en lui, dans le mystère de la création, un signe indubitable de "l'image de Dieu" et constituait également la source spécifique de la certitude que cette image est présente dans tout l'être humain. L'acceptation originelle du corps était, en un certain sens, la base de l'acceptation de tout le monde visible. Et, à son tour, elle était pour l'homme la garantie de sa domination sur le monde, sur la terre qu'il allait devoir soumettre Gn 1,28


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4. Les paroles "J'ai eu peur parce que je suis nu, et je me suis caché Gn 3,10 témoignent d'un changement radical de ce rapport. En quelque sorte, l'homme perd la certitude originelle de l'"image de Dieu" exprimée dans son corps. Et, d'une certaine manière, il perd également le sens de son droit de participation à la perception du monde dont il jouissait dans le mystère de la création. Ce droit trouvait son fondement au plus intime de l'homme, dans le fait qu'il participait lui-même à la vision divine du monde et de sa propre humanité; ce qui lui assurait une paix profonde et la joie de vivre dans la vérité et la valeur de son propre corps, dans toute sa simplicité, telle que le Seigneur la lui avait transmise: "Dieu vit ce qu'il avait fait, et voici que c'était très bien." Gn 1,31. Les paroles de Gn 3,10: "J'ai eu peur parce que je suis nu, et je me suis caché" confirment l'écroulement de l'acceptation originelle du corps comme signe de la personne dans le monde visible. Et il semble que vacille en même temps l'acceptation du monde matériel dans sa relation à l'homme. Les paroles de Dieu- Yahvé sont presque l'annonce de l'hostilité du monde, la résistance de la nature à l'égard de l'homme et de ses tâches; elles annoncent la fatigue qu'allait subir le corps humain au contact de cette terre qu'il avait soumise: " Maudite soit la terre à cause de toi! C'est dans la douleur que tu en tireras ta nourriture tous les jours de ta vie. Elle produira pour toi épines et ronces et tu mangeras l'herbe des champs. A la sueur de ton front tu mangeras ton pain, jusqu'à ton retour à la terre car c'est d'elle que tu as été tiré" Gn 3,17-19. Le terme de cette fatigue, de cette lutte de l'homme contre la terre, c'est la mort: "Tu es poussière et tu retourneras en poussière " Gn 3,19.
Dans ce contexte, ou plutôt dans cette perspective, les paroles d'Adam dans Gn 3,10, "J'ai eu peur parce que je suis nu, et je me suis caché" semblent exprimer la conscience d'être sans défense et le sens d'insécurité de sa structure somatique en présence des processus de la nature soumise à un inévitable déterminisme. Dans ce déconcertant énoncé figure peut-être implicitement une certaine "honte cosmique" dans laquelle s'exprime l'être créé à "l'image de Dieu" et appelé à soumettre la terre, à la dominer Gn 1,28, justement alors qu'au début de ses expériences historiques et de manière si explicite, il en arrive à être soumis à la terre, particulièrement dans la "partie" transcendante de sa constitution représentée précisément par le corps.
Nous devons interrompre ici nos réflexions sur la signification, dans le livre de la Genèse, de la honte originelle. Nous les poursuivrons la semaine prochaine.




2002 Magistère Mariage 922