2002 Magistère Mariage 1059

La rencontre de l'éthos et de l'Eros dans le coeur humain

5 novembre 1980

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1. Au cours de nos réflexions hebdomadaires sur l'énoncé du Christ dans le Discours sur la Montagne où, en se référant au commandement "Tu ne commettras pas d'adultère", il compare la "concupiscence" ("le regard concupiscent") à l'"adultère commis dans le coeur", nous cherchons à répondre à la question: Ces paroles sont-elles seulement une accusation du "coeur" humain ou sont-elles avant tout un appel qui lui est adressé? Un appel de caractère éthique, évidemment, un appel important et essentiel pour l'ethos de l'Evangile. Nous répondons que les paroles en question sont surtout un appel.
En même temps, nous cherchons à porter nos réflexions sur les "itinéraires" que parcourt, dans son milieu, la conscience des hommes d'aujourd'hui. Dans le cycle précédent de nos considérations, nous avons déjà fait allusion à l'"éros". Contrairement au mot "éthos", ce terme grec qui est passé de la mythologie à la philosophie, puis à la langue littéraire et enfin à la langue parlée, est étranger au langage biblique et inconnu de lui. Si, dans les présentes analyses des termes bibliques, nous utilisons le mot "éthos" que connaissent la Septante et le Nouveau Testament, c'est en raison de la signification générale qu'il a acquise dans la philosophie et dans la théologie, en embrassant dans son contenu les domaines complexes du bien et du mal qui dépendent de la volonté humaine et qui sont soumis aux lois de la conscience et de la sensibilité du "coeur" humain. Le terme "éros", qui est le nom propre d'un personnage mythologique, a, dans les écrits de Platon, (*) une signification philosophique qui semble être différente de la signification commune et également de celle qui lui est donnée habituellement dans la littérature.

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Note (*) -(Selon Platon, l'homme placé entre le monde des sens et le monde des idées a pour destin de passer du premier au second. Toutefois à lui seul, le monde des idées n'est pas en mesure de surmonter le monde des sens: l'éros, inné dans l'homme, peut le faire. Quand l'homme commence à pressentir l'existence des idées, grâce à la contemplation des objets existants dans le monde des sens, il reçoit l'impulsion d'éros ou du désir des idées pures. Eros en effet oriente l'homme "sensuel" ou "sensible" vers ce qui est transcendant: la force qui dirige l'âme vers le monde des idées. Dans le Banquet Platon décrit les étapes de cette influence d'éros: celui-ci élève l'âme de l'homme de la beauté d'un corps particulier à celle de tous les corps, donc à la beauté de la science et enfin à l'idée même du beau (cf. le Banquet 211, la République 514) -- Eros n'est ni purement humain ni divin: il est quelque chose d'intermédiaire (daimonion). Sa principale caractéristique est l'aspiration et le désir permanents. Même quand il semble donner, éros persiste comme "désir de posséder" et cependant il est différent de l'amour purement sensuel, étant l'amour qui tend au sublime. -- Selon Platon les dieux n'aiment pas parce qu'ils n'éprouvent aucun désir du fait que leurs désirs sont tous satisfaits. Ils ne peuvent donc être qu'objet et non sujet d'amour (le Banquet 200-201). Ils n'ont donc pas de rapports directs avec l'homme. Seule la médiation d'éros peut permettre l'établissement d'un rapport (le Banquet 203). Eros est donc la voie qui conduit l'homme à la divinité, mais non vice versa. -- L'aspiration à la transcendance est donc un élément constitutif de la conception platonicienne d'éros, conception qui surmonte le dualisme radical du monde des idées et du monde des sens. Eros permet de passer de l'un à l'autre. Il est donc une forme de fuite au-delà du monde matériel auquel l'âme est tenue de renoncer parce que la beauté du sujet sensible n'a de valeur que si elle porte à un plan plus élevé. -- Cependant, pour Platon, éros reste toujours l'amour égocentrique: il tend à conquérir et posséder l'objet qui représente une valeur pour l'homme. Aimer le bien signifie avoir le désir de le posséder à jamais. L'amour est donc toujours un désir d'immortalité et ceci démontre également le caractère égocentrique d'éros (cf. A. Nygren. Eros et Agapé. La Notion chrétienne de l'amour et ses transformations, I, Paris 1962, Aubier p. 180-200). -- Pour Platon, éros est passage de la science la plus élémentaire à la science la plus profonde; il est en même temps l'aspiration à passer de "ce qui n'est pas" - et c'est le mal - à ce qui "existe dans toute sa plénitude", et c'est le bien (cf M. Scheler, Amour et connaissance, dans "Le Sens de la souffrance, suivi de deux autres essais", Paris Aubier. s.a. p. 145)
Nous devons évidemment prendre en considération la vaste gamme de significations qui varient entre elles de façon nuancée en ce qui concerne aussi bien le personnage mythologique que le contenu philosophique ou surtout le point de vue "somatique" ou "sexuel". En tenant compte d'une aussi vaste gamme de significations, il convient d'évaluer de manière aussi nuancée que possible tout ce qui a trait à l"éros" (Cf. par ex. C.S. Lewis. Eros, dans: The four Loves, New York, 1960 (Harcourt. Brace) p. 131-133, 152, 159- 160; P. Chauchard, Vices des vertus, vertus des vices, Paris, 1965 (Mame), p 147) et qui est défini comme "érotique".

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2. Selon Platon, l'"éros" représente la force intérieure qui entraîne l'homme vers tout ce qui est bien, vrai et beau. Dans ce cas, cette "attraction" indique l'intensité d'un acte subjectif de l'esprit humain. Dans la signification ordinaire tout comme dans la littérature, cette "attraction" semble être avant tout de nature sensuelle. Elle suscite, chez l'homme et chez la femme, une attirance à l'approche, à l'union des corps, à cette union dont parle Gn 2,24. Il s'agit ici de savoir si l'"éros" a la même signification que dans le récit biblique (surtout dans Gn 2,23-25), qui atteste sans aucun doute l'attirance réciproque et l'appel éternel à travers la masculinité et la féminité à cette "unité de la chair" qui, pour un temps, doit réaliser l'union-communion des personnes. C'est précisément pour cette interprétation de l'"éros" (et en même temps celle de sa relation avec l'ethos) que la manière dont nous comprenons la "concupiscence" dont parle le Discours sur la Montagne, acquiert également une importance fondamentale.

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3. A ce qu'il paraît, le langage ordinaire prend en considération cette signification de la "concupiscence" que nous avons précédemment définie comme "psychologique" et que l'on pourrait appeler également "sexologique", et ceci sur la base des prémisses qui se limitent avant tout à l'interprétation naturaliste, "somatique" et sensualiste de l'érotisme humain. (Il ne s'agit en aucune manière de diminuer ici la valeur des recherches scientifiques dans ce domaine, mais de souligner le danger des théories réductrices ou exclusivistes.) Or, au sens psychologique et sexologique, la concupiscence montre l'intensité subjective de l'attirance vers l'objet en raison de son caractère sexuel (valeur sexuelle). Cette attirance a son intensité subjective à cause de l'"attirance" spécifique qui étend sa domination sur la sphère émotive de l'homme et engage sa corporéité (sa masculinité ou sa féminité somatique). Dans le Discours sur la Montagne, lorsque nous entendons parler de la "concupiscence" de l'homme qui "regarde la femme pour la désirer", ces paroles - comprises dans un sens "psychologique" (sexologique) - se réfèrent à la sphère des phénomènes qui se trouvent précisément qualifiés d'"érotiques" dans le langage ordinaire. Dans les limites de l'énoncé de Mt 5,27-28, il s'agit seulement de l'acte intérieur alors que l'on qualifie d'"érotiques" ces manières d'agir et de comportement réciproque de l'homme et de la femme et qui sont précisément la manifestation extérieure de ces actes intérieurs. Néanmoins, il semble hors de doute qu'en raisonnant ainsi, on doive presque mettre le signe d'égalité entre "érotique" et ce qui "découle du désir" (et qui sert à apaiser la convoitise même de la chair). S'il en était ainsi, les paroles du Christ, dans Matthieu 5,27-28, exprimeraient alors un jugement négatif sur ce qui est "érotique" et, adressées au coeur humain, elles constitueraient un avertissement sévère contre l'"éros".

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4. Nous avons cependant fait allusion au fait que le terme "éros" possède de nombreuses nuances sémantiques. C'est pourquoi, en voulant définir le rapport entre l'énoncé du Discours sur la Montagne Mt 5,27-28 et le vaste domaine des phénomènes "érotiques", c'est-à-dire de ces actions et de ces comportements réciproques par lesquels l'homme et la femme s'approchent l'un de l'autre et s'unissent de manière à devenir "une seule chair" Gn 2,24, il faut tenir compte de la multiplicité des nuances sémantiques de l'"éros". Il semble possible, en effet, que dans les limites du concept d'"éros", en tenant compte de sa signification platonicienne, l'on trouve la place de cet ethos en raison des contenus éthiques et, indirectement, des contenus théologiques également qui, au cours de nos analyses, ont été relevés à partir de l'appel du Christ au "coeur" humain dans le Discours sur la Montagne. La connaissance des multiples nuances sémantiques de l'"éros" et de ce qui, dans l'expérience et la description différenciée de l'homme aux différentes époques et dans les différents points de longitude et de latitude géographiques et culturelles, se trouve défini comme "érotique", peut aider à comprendre également la richesse spécifique et complexe du "coeur" auquel le Christ se réfère dans son énoncé de Matthieu 5,27- 28.

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5. Si nous admettons que l'"éros" signifie la force intérieure qui "attire" l'homme vers le vrai, le bien et le beau, on voit alors aussi s'ouvrir dans le cadre de ce concept la voie vers ce que le Christ a voulu exprimer dans le Discours sur la Montagne. Si les paroles de Matthieu 5,27- 28, sont une "accusation" du coeur humain, elles sont en même temps et encore davantage un appel qui lui est adressé. Cet appel est la catégorie propre de l'ethos de la Rédemption. L'appel à ce qui est vrai, bien et beau signifie en même temps, dans l'ethos de la Rédemption, la nécessité de vaincre ce qui découle de la triple concupiscence. Il signifie aussi la possibilité et la nécessité de transformer ce qui a été alourdi par la concupiscence de la chair. En outre, si les paroles de Mt 5,27-28, représentent cet appel, elles signifient alors que, dans le domaine érotique, l'"éros" et l'"ethos" ne s'écartent pas l'un de l'autre, ne s'opposent pas l'un à l'autre mais sont appelés à se rencontrer dans le coeur humain et, dans cette rencontre, à fructifier. Il est bien digne du "coeur" humain que ce qui est la forme de ce qui est "érotique" soit en même temps la forme de l'ethos, c'est-à-dire de ce qui est "éthique".

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6. Cette affirmation est très importante pour l'ethos et en même temps pour l'éthique. En effet, on attache souvent une signification "négative" à ce dernier concept parce que l'éthique comporte des normes, des commandements et aussi des interdits. Nous sommes en général portés à considérer les paroles du Discours sur la Montagne concernant la concupiscence (concernant "le regard pour désirer") exclusivement comme un interdit, un interdit dans le domaine de l'"éros", c'est-à-dire dans le domaine "érotique". Très souvent, nous nous contentons seulement de cette manière de comprendre, sans chercher à dévoiler les valeurs vraiment profondes et essentielles que cet interdit couvre, c'est-à- dire assure. Non seulement il les protège, mais il les rend accessibles et il les libère si nous apprenons à leur ouvrir notre "coeur".
Le Christ nous l'enseigne dans le Discours sur la Montagne et il dirige le coeur de l'homme vers ces valeurs.



Les exigences du Christ dans le discours sur la montagne

12 novembre 1980

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1. Nous reprenons aujourd'hui notre analyse commencée la semaine dernière sur le rapport réciproque qui existe entre ce qui est "éthique" et ce qui est "érotique". Nos réflexions se déroulent sur la trame des paroles prononcées par le Christ dans le Discours sur la Montagne par lesquelles il se réfère au commandement "Tu ne commettras pas d'adultère" et par lesquelles, en même temps, il définit la "concupiscence" (le "regard concupiscent") comme "adultère commis dans le coeur". De ces réflexions, il résulte que l'"ethos" est lié à la découverte d'un nouvel ordre de valeurs. Il faut retrouver continuellement dans ce qui est "érotique" la signification sponsale du corps et la dignité authentique du don. C'est la tâche de l'esprit humain, une tache de nature éthique. Si l'on n'accomplit pas cette tâche, l'attirance même des sens et la passion du corps peuvent s'arrêter à la simple concupiscence privée de valeur éthique et l'être humain, homme et femme, n'expérimentent pas cette plénitude de l'"éros" qui signifie l'élan de l'esprit humain vers ce qui est vrai, bien et beau et par l'intermédiaire duquel également ce qui est "érotique" devient vrai, bien et beau. Il est donc indispensable que l'ethos devienne la forme constitutive de l'éros.

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2. Les réflexions précédentes sont étroitement liées au problème de la spontanéité. Bien souvent on pense que c'est précisément l'ethos qui dépouille de sa spontanéité ce qui est érotique dans la vie et dans le comportement de l'homme et, pour cette raison, on exige la séparation de l'ethos "à l'avantage" de l'éros. Les paroles du Discours sur la Montagne sembleraient également s'opposer à ce "bien". Mais cette opinion est erronée et en tout cas superficielle. En la soutenant avec obstination et en l'acceptant, nous n'arriverions jamais aux pleines dimensions de l'éros et cela se répercute inévitablement dans le domaine de la "praxis" qui s'y rapporte, c'est-à-dire sur notre comportement et aussi sur l'expérience concrète des valeurs. En effet, celui qui accepte l'ethos de l'énoncé de Mt 5,27-28, doit savoir qu'il est aussi appelé à la spontanéité pleine et mûre des rapports qui naissent de l'attirance éternelle de la masculinité et de la féminité. Une telle spontanéité est précisément le fruit graduel du discernement des impulsions du coeur.

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3. Les paroles du Christ sont sévères. Elles exigent de l'homme que, dans le cadre où se forment les rapports avec les personnes de l'autre sexe, il ait une pleine et profonde conscience de ses actes et surtout des actes intérieurs; qu'il ait conscience des impulsions internes de son "coeur" de sorte qu'il soit capable de les caractériser et de les définir avec maturité. Les paroles du Christ exigent que, dans ce domaine qui semble appartenir exclusivement au corps et aux sens, c'est-à-dire à l'homme extérieur, il sache être vraiment un homme intérieur; qu'il sache obéir à une conscience droite qu'il sache être le maître véritable de ses impulsions intimes, comme un gardien qui surveille une source cachée; et qu'il sache enfin tirer de toutes ces impulsions ce qui convient à la "pureté du coeur", en construisant avec conscience et cohérence ce sens personnel de la signification sponsale du corps qui ouvre l'espace intérieur de la liberté du don.

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4. Ainsi, si l'homme veut répondre à l'appel exprimé par Matthieu 5,27-28, il doit apprendre avec persévérance et cohérence ce qu'est la signification du corps, la signification de la féminité et de la masculinité. Il doit l'apprendre non seulement à travers une abstraction objectivante (bien que cela soit également nécessaire), mais surtout dans le domaine des réactions intérieures de son "coeur". C'est une "science" qui ne peut pas être vraiment apprise dans les livres car il s'agit ici en premier lieu de la "connaissance" profonde de l'intériorité humaine.
Dans le cadre de cette connaissance, l'homme apprend à discerner ce qui, d'une part, compose la richesse multiforme de la masculinité et de la féminité dans les signes qui proviennent de leur appel éternel et de leur attirance créatrice et ce qui, d'autre part, porte seul le signe de la concupiscence. Bien que ces variantes et ces nuances des raisons internes du "coeur" se confondent entre elles à l'intérieur d'une certaine limite, il est cependant dit que l'homme intérieur a été appelé par le Christ à acquérir pleinement et avec maturité un jugement qui le porte à discerner et à juger les différentes raisons de son coeur. Il faut ajouter que cette tâche peut être réalisée et qu'elle est vraiment digne de l'homme.
En effet, le discernement dont nous sommes en train de parler a une relation essentielle avec la spontanéité. La structure subjective de l'homme montre, dans ce domaine, une richesse spécifique et une différenciation claire. Par conséquent, la noble satisfaction est une chose, le désir sexuel, au contraire, en est une autre. Lorsque le désir sexuel est lié à une noble satisfaction, il est diffèrent d'un désir pur et simple. De manière analogique, pour ce qui est du domaine des réactions immédiates du "coeur", l'excitation sexuelle est bien différente de l'émotion profonde par laquelle non seulement la sensibilité intérieure mais la sexualité elle-même réagissent à l'expression intégrale de la féminité et de la masculinité. On ne peut pas développer ici plus longuement ce thème. Mais il est certain que si nous affirmons que les paroles du Christ dans Mt 5,27-28 sont sévères, elles le sont également dans le sens où elles contiennent en elles-mêmes les exigences profondes concernant la spontanéité humaine.

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5. Une telle spontanéité ne peut exister dans toutes les raisons et dans toutes les impulsions qui naissent de la pure concupiscence charnelle, étant donné qu'elle est dépourvue d'un choix et d'une hiérarchie adéquats. C'est précisément au prix de leur domination que l'homme arrive à cette spontanéité plus profonde et plus mûre par laquelle son "coeur", en maîtrisant les instincts, redécouvre la beauté spirituelle du signe constitué par le corps humain dans sa masculinité et dans sa féminité. Comme cette découverte se consolide dans la conscience comme conviction et dans la volonté comme orientation aussi bien des choix possibles que des simples désirs, le coeur humain devient participant, pour ainsi dire, d'une autre spontanéité dont "l'homme charnel" ne sait rien ou sait très peu de chose. Il n'y a, aucun doute, nous sommes appelés précisément à une telle spontanéité à travers les paroles du Christ dans Matthieu 5,27-28. Et peut- être le domaine le plus important de la "praxis" - celui qui se rapporte aux actes les plus "intérieurs" - est-il précisément celui qui trace graduellement la route vers une telle spontanéité.
C'est là un vaste sujet qu'il conviendra de reprendre encore une fois à l'avenir, lorsque nous nous emploierons à montrer quelle est la vraie nature de la "pureté évangélique du coeur". Pour aujourd'hui, nous terminons en disant que les paroles du Discours sur la Montagne, par lesquelles le Christ attire l'attention de ses auditeurs de son époque et d'aujourd'hui sur la "concupiscence" ("regard concupiscent"), montrent indirectement la voie vers la spontanéité mûre du "coeur" humain qui n'étouffe pas ses nobles désirs et ses aspirations, mais qui, au contraire, les libère et, d'une certaine manière, les aide.
Ce que nous avons dit sur le rapport réciproque entre ce qui est "éthique" et ce qui est "érotique", d'après l'ethos du Discours sur la Montagne, suffit pour aujourd'hui.


La Rédemption du corps

3 décembre 1980

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1. Au début de nos considérations sur les paroles du Christ dans le Discours sur la Montagne Mt 5,27-28, nous avons constaté que ces paroles contiennent une profonde signification éthique et anthropologique. Il s'agit ici du passage où le Christ rappelle le commandement: "Tu ne commettras pas d'adultère" et il ajoute: "Quiconque regarde une femme pour la désirer a déjà commis l'adultère avec elle (ou à son égard) dans son coeur". Nous parlons de la signification éthique et anthropologique de ces paroles parce qu'elles font allusion aux deux dimensions qui sont étroitement liées entre elles: l'ethos et l'homme "historique". Au cours de nos précédentes analyses, nous avons cherché à suivre ces deux dimensions, en ayant toujours présent à l'esprit que les paroles du Christ sont adressées au "coeur" c'est-à-dire à l'homme intérieur. L'homme intérieur est le sujet spécifique de l'ethos du corps et c'est de cet ethos que le Christ veut imprégner la conscience et la volonté de ses auditeurs et de ses disciples. C'est incontestablement un "nouvel" ethos. Il est "nouveau" par rapport à l'ethos des hommes de l'Ancien Testament, comme nous avons déjà cherché à le montrer dans des analyses plus particulières. Il est également "nouveau" par rapport à l'état de l'homme "historique", postérieur au péché originel, c'est-à-dire par rapport à l'"homme de la concupiscence".
C'est donc un "nouvel" ethos dans un sens et avec une portée universels. Il est "nouveau" par rapport à tout homme, indépendamment de n'importe quelle longitude et de n'importe quelle latitude géographique et historique.

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2. Ce "nouvel" ethos qui ressort de la perspective des paroles prononcées par le Christ dans le Discours sur la Montagne, nous l'avons déjà plusieurs fois appelé "ethos de la Rédemption" et, plus précisément, ethos de la Rédemption du corps. Ici, nous avons suivi saint Paul qui, dans la lettre aux Romains, oppose "l'esclavage de la corruption" Rm 8,21 et la soumission "au pouvoir du néant" Rm 8,20 - auquel participe toute la création à cause du péché - au désir de la "Rédemption de notre corps" Rm 8,23. Dans ce contexte, l'apôtre parle des gémissements de "toute la création" qui "garde l'espérance d'être, elle aussi, libérée de l'esclavage de la corruption pour avoir part à la liberté et à la gloire des enfants de Dieu" Rm 8,20-21. De cette manière, saint Paul dévoile la situation de toute la création et, en particulier, celle de l'homme après le péché. L'aspiration qui - avec la nouvelle "adoption comme fils" Rm 8,23 - tend précisément à la "Rédemption du corps", présentée comme la fin, le fruit eschatologique et accompli du mystère de la Rédemption de l'homme et du monde accomplie dans le Christ, est significative pour cette situation.

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3. En quel sens donc pouvons-nous parler de l'ethos de la Rédemption et spécialement de la Rédemption du corps? Nous devons reconnaître que dans le contexte des paroles du Discours sur la Montagne Mt 5,27-28 que nous avons analysées, cette signification n'apparaît pas encore dans toute sa plénitude. Elle se manifestera plus complètement lorsque nous aurons examiné d'autres paroles du Christ, celles par exemple où il se réfère à la résurrection Mt 22,30 Mc 12,25 Lc 20,35-36

Cependant, il ne fait aucun doute que, dans le Discours sur la Montagne également, le Christ parle dans la perspective de la Rédemption de l'homme et du monde (et donc précisément de la "Rédemption du corps"). Elle est de fait la perspective de l'Evangile tout entier, de l'enseignement tout entier et même de toute la mission du Christ. Bien que le contexte immédiat du Discours sur la Montagne indique la loi et les prophètes comme le point de référence historique, celui précisément du Peuple de Dieu de l'ancienne alliance, nous ne pouvons cependant jamais oublier que, dans l'enseignement du Christ, la référence fondamentale à la question du mariage et aux problèmes des relations entre l'homme et la femme se réfère à l'"origine". Une telle référence ne peut être justifiée que par la réalité de la Rédemption. En dehors d'elle, il ne demeurerait en effet que la triple concupiscence ou cet "esclavage de la corruption" dont parle l'apôtre Paul Rm 8,21. Ce qui justifie la référence à l'"origine", c'est seulement la perspective de la Rédemption ou la perspective du mystère de la création dans la totalité de l'enseignement du Christ au sujet des problèmes du mariage, de l'homme et de la femme et de leur rapport mutuel. Les paroles de Mt 5,27-28 se situent, en définitive, dans la même perspective théologique.

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4. Dans le Discours sur la Montagne, le Christ n'invite pas l'homme à revenir à l'état de l'innocence originelle puisque l'humanité l'a laissé irrévocablement derrière elle mais il l'appelle à retrouver - sur le fondement des significations éternelles et, pour ainsi dire, indestructibles de ce qui est "humain" - les formes vives de l'"homme nouveau". De cette manière, se noue un lien et il y a même une continuité entre l'"origine" et la perspective de la Rédemption. L'ethos originel de la création devra de nouveau être repris dans l'ethos de la Rédemption du corps. Le Christ ne change pas la loi mais il confirme le commandement: "Tu ne commettras pas d'adultère". Mais, en même temps, il conduit l'intelligence et le coeur de ses auditeurs vers cette "plénitude de la justice" voulue par Dieu créateur et législateur que ce commandement contient en lui. Cette plénitude est découverte d'abord par une vision intérieure du "coeur" et ensuite par une manière adéquate d'être et d'agir. La forme de l'"homme nouveau" peut émerger de cette manière d'être et d'agir dans la mesure où l'ethos de la Rédemption du corps domine la concupiscence de la chair et l'homme de la concupiscence tout entier. Le Christ indique clairement que la voie pour y parvenir doit être la voie de la tempérance et du contrôle des désirs et cela à la racine même, déjà dans la sphère purement intérieure ("quiconque regarde pour désirer... "). L'ethos de la Rédemption contient dans chaque domaine - et directement dans la sphère de la concupiscence de la chair - l'obligation de la domination de soi, la nécessité d'une continence immédiate et d'une tempérance habituelle.

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5. Cependant, la tempérance et la continence ne signifie pas - s'il est possible de s'exprimer ainsi - une suspension dans le vide: ni une suspension dans le vide des valeurs ni dans le vide du sujet. L'ethos de la Rédemption se réalise dans la maîtrise de soi par la tempérance, c'est-à-dire la continence des désirs. Dans ce comportement, le coeur humain reste lié à la valeur dont, à travers le désir, il serait autrement éloigné, en s'orientant vers la pure concupiscence privée de valeur éthique (comme nous l'avons montré dans la précédente analyse). Sur le terrain de l'ethos de la Rédemption, l'union à cette valeur par un acte de domination se trouve confirmée ou rétablie avec une force et une fermeté encore plus profonde. Il s'agit ici de la valeur de la signification sponsale du corps, de la valeur d'un signe transparent par lequel le Créateur - avec l'attirance éternelle et réciproque de l'homme et de la femme à travers la masculinité et la féminité - a écrit dans le coeur des deux le don de la communion, c'est-à-dire la mystérieuse réalité de son image et de sa ressemblance. C'est de cette valeur qu'il s'agit dans l'acte de domination de soi et de la tempérance auxquelles le Christ se réfère dans le Discours sur la Montagne Mt 5,27-28.

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6. Cet acte peut donner l'impression d'une suspension "du sujet dans le vide". Il peut donner cette impression en particulier lorsqu'il est nécessaire de se décider à l'accomplir pour la première fois ou, encore plus, lorsque l'habitude contraire est créée, lorsque l'homme s'est habitué à céder à la concupiscence de la chair. Cependant, même la première fois et encore plus s'il en acquiert ensuite la capacité, l'homme fait l'expérience progressive de sa dignité et, par la tempérance, il atteste sa propre domination sur lui-même et il prouve qu'il accomplit ce qui est essentiellement personnel en lui. En outre, il expérimente progressivement la liberté du don et, d'un autre côté, il est la réponse du sujet à la valeur sponsale du corps humain dans sa féminité et dans sa masculinité. Ainsi donc, l'ethos de la Rédemption du corps se réalise à travers la domination de soi, à travers la tempérance des "désirs", quand le coeur humain fait alliance avec cet ethos ou plutôt il la confirme par l'intégralité de sa subjectivité: lorsque se manifestent les possibilités et les dispositions les plus profondes et néanmoins les plus réelles de la personne, lorsque peuvent s'exprimer les aspects les plus profonds de sa puissance auxquelles la concupiscence de la chair ne permettraient pas, pour ainsi dire, de se manifester. Ces aspects ne peuvent pas non plus émerger lorsque le coeur humain est enfermé dans un soupçon permanent comme il résulte de l'herméneutique freudienne. Elles ne peuvent pas non plus se manifester lorsque l'"antivaleur" manichéenne domine dans la conscience. Au contraire, l'ethos de la Rédemption se base sur l'étroite alliance avec ces aspects.

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7. Des réflexions ultérieures nous en donneront d'autres preuves. En terminant nos analyses sur l'énoncé si significatif du Christ dans Mt 5,27-28, nous voyons qu'en lui le "coeur" humain est surtout l'objet d'un appel et non d'une accusation. En même temps, nous devons admettre que la conscience du péché est dans l'homme historique non seulement un point de départ nécessaire mais aussi une indispensable condition de son aspiration à la vertu, à la "pureté de coeur", à la perfection. L'ethos de la Rédemption du corps demeure profondément enraciné dans le réalisme anthropologique et axiologique de la révélation. En se référant, dans ce cas, au "coeur", le Christ formule ses paroles de la manière la plus concrète: en effet, l'homme est unique et singulier surtout à cause de son "coeur" qui décide "à partir de l'intérieur". La catégorie du "coeur" est, dans un certain sens, l'équivalent de la subjectivité personnelle. La voie de l'appel à la pureté du coeur, comme l'exprime le Discours sur la Montagne, est dans chaque cas une réminiscence de la solitude originelle dont l'homme a été libéré par l'ouverture à l'autre être humain, à la femme. En fin de compte, la pureté de coeur s'exprime par le regard vers l'autre sujet qui est originellement et éternellement "co-appelé".
La pureté est une exigence de l'amour. C'est la dimension de sa vérité intérieure dans le "coeur" de l'homme.


La signification de la pureté

10 décembre 1980

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1. L'analyse de la pureté devra être un complément indispensable des paroles prononcées par le Christ dans le Discours sur la Montagne sur lesquelles nous avons centré le cycle de nos présentes réflexions. Lorsque le Christ, en expliquant la signification exacte du commandement: "Tu ne commettras pas d'adultère", fait appel à l'homme intérieur, il spécifie en même temps la dimension fondamentale de la pureté par laquelle se trouvent marqués les rapports réciproques entre l'homme et la femme dans le mariage et en dehors du mariage. Les paroles: "Mais moi je vous dis: quiconque regarde une femme pour la désirer a déjà commis l'adultère avec elle" Mt 5,27-28 expriment ce qui s'oppose à la pureté. En même temps, ces paroles exigent la pureté qui, dans le Discours sur la Montagne, est contenue dans l'énoncé des Béatitudes: "Bienheureux les coeurs purs car ils verront Dieu". De cette manière, le Christ adresse un appel au coeur humain: Il l'invite, il ne l'accuse pas, comme nous l'avons déjà précédemment montré.

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2. Le Christ voit dans le coeur, dans l'intimité de l'homme la source de la pureté - mais aussi de l'impureté morale - au sens fondamental et le plus général du mot. Cela est confirmé, par exemple, par la réponse faite aux Pharisiens qui sont scandalisés par le fait que les disciples "transgressent la tradition des anciens car ils ne se lavent pas les mains lorsqu'ils mangent" Mt 15,2. Jésus dit alors à ses auditeurs: "Ce n'est pas ce qui entre dans la bouche qui rend l'homme impur; ce qui sort de la bouche. Voilà ce qui rend l'homme impur". Mt 15,11. A ses disciples, au contraire, en répondant à la question de Pierre, il explique ainsi ces paroles " ...Ce qui sort de la bouche provient du coeur et c'est cela qui rend l'homme impur. Du coeur, en effet, proviennent intentions mauvaises, meurtres, adultères, inconduite, vols faux témoignages, injures. C'est là ce qui rend l'homme impur; mais manger sans s'être lavé les mains ne rend pas l'homme impur" Mt 15,18-20 Mc 7,20-23.
Lorsque nous parlons de "pureté", de "pur", au sens premier de ces termes, nous indiquons ce qui s'oppose à ce qui est sale. "Salir" signifie "rendre impur", "polluer". Cela se réfère aux différents domaines du monde physique. Par exemple, on parle d'une "route sale", d'une "pièce sale", on parle aussi de l'"air pollué". C'est ainsi également que l'homme peut être sale lorsque son corps n'est pas propre. Pour enlever les saletés du corps, il faut le laver. Dans la tradition de l'Ancien Testament, on attribuait une grande importance aux ablutions rituelles, par exemple au lavement des mains avant de manger, ce dont parle le texte cité. Il y avait des prescriptions nombreuses et particulières qui concernaient les ablutions du corps par rapport à l'impureté sexuelle, entendue au sens exclusivement physiologique, à laquelle nous avons fait précédemment allusion Lv 15. Selon l'état de la science médicale du temps, les différentes ablutions pouvaient correspondre à des prescriptions hygiéniques. Par le fait qu'elles étaient imposées au nom de Dieu et contenues dans les livres sacrés de la législation de l'Ancien Testament, leur observance acquérait indirectement une signification religieuse. C'était des ablutions rituelles et, dans la vie de l'homme de l'ancienne alliance, elles servaient à la "pureté" rituelle.

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3. En rapport avec cette tradition juridico-religieuse de l'ancienne alliance s'est formée une manière erronée de comprendre la pureté morale.
Note - (A côté d'un système complexe de prescriptions concernant la pureté rituelle et sur la base duquel s'est développée la casuistique légale, il existait cependant dans l'Ancien Testament le concept d'une pureté morale qui était transmis par deux courants: -- Les prophètes exigeaient un comportement conforme à la volonté de Dieu et ce comportement suppose la conversion du coeur, l'obéissance intérieure et la droiture totale devant lui Is 1,20-30 Jr 4,14 Jr 24,7 Ez 36,25 Un attachement semblable est également réclamé par le psalmiste "Qui gravira sur la montagne du Seigneur...? L'homme aux mains innocentes et au coeur pur ... Il obtiendra la bénédiction du Seigneur" Ps 24,3-5. -- D'après la tradition sacerdotale, l'homme qui est conscient de son profond état de pécheur en n'étant pas capable de se purifier par ses propres forces, supplie Dieu de réaliser cette transformation du coeur qui ne peut être que l'oeuvre de son acte créateur: "crée-moi, ô Dieu un coeur pur ... lave-moi et je serai plus blanc que neige ... Tu ne rejettes pas un coeur brisé et broyé" Ps 51,12 Ps 51,9 Ps 51,19 -- Les deux Courants de l'Ancien Testament se rencontrent dans la béatitude des "coeurs purs" Mt 5,8 même si la formulation de celle-ci semble être plus proche du Ps 24 (cf. J. Dupont, les béatitudes, vol. III les Evangélistes, Paris, 1973, Gabalda, p. 603-604).
Elle la comprenait souvent de manière exclusivement extérieure et "matérielle". En tout cas, une tendance explicite à une telle interprétation s'est répandue. Le Christ s'y oppose de manière radicale: rien venant "de l'extérieur" ne rend l'homme impur, aucune saleté "matérielle" ne rend l'homme impur au sens moral ou intérieur. Aucune ablution, même rituelle, ne peut par elle- même produire la pureté morale. Cette pureté a sa source exclusive à l'intérieur de l'homme: elle provient du coeur. Il est probable que les prescriptions respectives de l'Ancien Testament (celles, par exemple, que l'on trouve dans Lv 15,16-24 Lv 18,1 Lv 12,1-5 ont servi en plus des fins hygiéniques, à attribuer également une certaine dimension d'intériorité à ce qui, dans la personne humaine, est corporel et sexuel. En tout cas, le Christ s'est bien gardé de relier la pureté au sens moral (éthique) à la physiologie et au processus organique qui s'y rapporte. A la lumière des paroles de Mt 15,18-20, citées ci-dessus aucun des aspects de "l'impureté" sexuelle, dans le sens strictement corporel, biophysiologique, n'entre par lui- même dans la définition de la pureté ou de l'impureté au sens moral (éthique).

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4. L'énoncé en question Mt 15,18-20 est surtout important pour des raisons sémantiques. En parlant de la pureté au sens moral, c'est-à-dire de la vertu de la pureté, nous nous servons d'une analogie selon laquelle le mal moral se trouve précisément comparé à l'impureté. Une telle analogie est certainement appelée à faire partie, depuis les temps les plus reculés, du domaine des concepts éthiques. Le Christ la reprend et la confirme dans toute son extension: "Ce qui sort de la bouche de l'homme provient du coeur. C'est ce qui rend l'homme impur". Ici le Christ parle de tout mal moral, de tout péché, c'est-à-dire des transgressions des différents commandements et il énumère "les intentions mauvaises, les meurtres, les adultères, les inconduites, les vols, les faux témoignages, les injures "sans se limiter à un genre spécifique de péché". Il en résulte que les concepts de "pureté" et "d'impureté" au sens moral est surtout un concept général, non spécifique: par ce concept, tout bien moral est une manifestation de la pureté et tout mal moral est une manifestation de l'impureté. L'énoncé de Mt 15,18-20 ne limite pas la pureté à un secteur unique de la morale ou aux commandements qui lui sont liés "tu ne commettras pas d'adultère" et "tu ne désireras pas la femme de ton prochain", c'est-à-dire à ceux qui concernent les rapports réciproques entre l'homme et la femme, rapports qui sont liés au corps et à la concupiscence qui s'y rattache. De manière analogique, nous pouvons également comprendre la béatitude du Discours sur la Montagne qui s'adresse aux "coeurs purs" soit dans un sens générique, soit dans un sens plus spécifique. Seuls les contextes éventuels permettront de délimiter et de préciser cette signification.

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5. Une signification plus vaste et plus générale de la pureté est également présente dans les lettres de saint Paul où nous caractériserons graduellement les contextes qui, de manière explicite, limitent la signification de la pureté au domaine "corporel" et "sexuel", c'est-à-dire à cette signification que nous pouvons retirer des paroles que le Christ a prononcées dans le Discours sur la Montagne au sujet de la concupiscence qui s'exprime dans le fait "de regarder la femme" et qui se trouve comparée à un "adultère commis dans le coeur" Mt 5,27-28
Saint Paul n'est pas l'auteur de paroles sur la triple concupiscence. Comme nous le savons, celles-ci se trouvent dans la première lettre de Jean. Cependant, on peut dire que, analogiquement à cette concupiscence qui pour Jean 1Jn 2,16-17 est en opposition à l'intérieur de l'homme entre Dieu et le monde (entre ce qui "vient du Père" et "ce qui vient du monde") - opposition "dans le coeur" et qui pénètre dans les actions de l'homme comme "concupiscence des yeux, concupiscence de la chair et confiance orgueilleuse dans les biens" - saint Paul relève dans le chrétien une autre contradiction: l'opposition et en même temps la tension entre la "chair" et "l'Esprit" (écrit avec une majuscule, c'est-à-dire l'"Esprit-Saint"): "Ecoutez-moi: marchez sous l'impulsion de l'Esprit et vous n'accomplirez plus ce que la chair désire. Car la chair en ses désirs s'oppose à l'esprit et l'esprit à la chair; entre eux c'est l'antagonisme; aussi ne faites-vous pas ce que vous voulez" Ga 5,16-17. Il en découle que la vie "selon la chair" est en opposition avec la vie "selon l'esprit". "En effet, sous l'empire de la chair, on tend à ce qui est charnel, et sous l'empire de l'esprit on tend à ce qui est spirituel". Rm 8,5
Dans nos analyses à venir nous chercherons à montrer que la pureté - la pureté de coeur dont a parlé le Christ dans le Discours sur la Montagne - se réalise précisément dans la vie "selon l'Esprit".



2002 Magistère Mariage 1059