Haurietis aquas FR 24

c) Témoignages patristiques concernant l'existence d'affections sensibles chez le Verbe incarné.

24 Les Pères de l'Eglise, témoins véridiques de la doctrine révélée par Dieu, ont très bien vu, comme l'apôtre Paul l'avait déjà clairement affirmé, que le mystère de l'amour divin était comme le principe et le sommet de l'Incarnation et de la Rédemption. En de nombreux et lumineux passages de leurs écrits, ils ont affirmé que Jésus-Christ a assumé une nature humaine parfaite, et notre corps caduc et fragile, afin de pourvoir à notre salut éternel et nous témoigner clairement, même sur le plan sensible, son amour infini.

15 S. Thom., Sum. Theol,
III 15,4 III 18,6 ; ed. Leon., t. XI, 1903, pp. 189

25 Faisant écho à la voix de l'apôtre des Gentils, saint Justin écrit : « Nous adorons et nous aimons le Verbe né du Dieu inengendré et ineffable. Car il s'est fait homme pour nous, afin que, devenu participant de notre faiblesse, il y portât remède » 16. Saint Basile, le premier des trois Pères cappadociens, affirme que les sentiments du Christ ont été à la fois véritables et saints : « Il est clair, dit-il, que le Seigneur a pris les affections naturelles pour confirmer la vérité et la réalité de son Incarnation ; Il a rejeté cependant les affections désordonnées qui souillent la pureté de notre vie, comme indignes de la divinité sans tache 17. » De même, pour saint Jean Chrysostome, lumière de l'Eglise d'Antioche, les émotions sensibles auxquelles fut sujet le divin Rédempteur, ont prouvé clairement qu'il avait assumé une nature humaine tout à fait intègre : « s'il n'avait pas été de notre nature, Il n'aurait pas été par deux fois ému jusqu'aux larmes 18 ».

16 Apol., 2, 13 ; P. G., 6, 465.
17 Ep., CCLXI, 3 ; P. G., 32, 972.
18 In Joan., Homil. LXIII, 2 ; P. G., LIX, 350.




Parmi les Pères latins, Nous mentionnons volontiers ceux qu'aujourd'hui l'Eglise vénère comme ses plus grands docteurs. Ainsi, pour saint Ambroise, les affections et émotions sensibles que connut le Verbe de Dieu incarné naissent de l'union hypostatique comme de leur principe naturel : « C'est parce qu'il a pris une âme qu'il a pris aussi les passions de l'âme ; car ce n'est pas Dieu en tant que tel qui aurait pu être troublé ou mourir19. » Saint Jérôme tire de ces affections le principal argument pour prouver que le Christ a réellement assumé la nature humaine : il pense que c'est pour le montrer que Notre-Seigneur a été véritablement sujet à la tristesse 20. » Saint Augustin souligne d'une manière particulière l'harmonie qui existe entre les sentiments du Verbe incarné et le but de la Rédemption : « Si le Seigneur Jésus a assumé la frêle nature humaine, ses sentiments, sa chair et jusqu'à sa mort, ce n'est pas en raison d'une nécessité de sa condition, mais en harmonie avec son libre dessein de miséricorde : il voulait ainsi transfigurer en Lui son corps — l'Eglise dont II a daigné être la tête — c'est-à-dire transfigurer ses membres, qui sont ses saints et ses fidèles ; de la sorte, si l'un d'entre eux se trouvait durement éprouvé par les tentations humaines, il ne se croirait pas pour autant privé de sa grâce, et, comme le choeur se règle sur la voix qui lui donne le ton, ainsi le corps apprendrait de lui, la tête, à ne pas voir là de péché, mais l'indice de la faiblesse humaine »

De façon plus brève, mais non moins probante, les textes suivants de saint Jean Damascène font connaître la doctrine de l'Eglise : « (Dieu) tout entier m'a assumé tout entier ; Il s'est uni tout entier à l'homme tout entier, pour le sauver tout entier. Sinon, ce qui n'aurait pas été assumé n'aurait pas pu être sauvé 22. » « Il a donc tout assumé pour tout sanctifier 23. »

19 De fide ad Cratianum, 2, 7, 56 ; P. L., 16, 594.
20 Super Ualïh., 26, 37 ; P. L., 26, 205.
21 Enarr. in Ps. tXXXVII, 3 ; P. L., 37, 1111.
22 De me Orth., 3, 6 ; P. C, XCIV, 1006.
23 *» Ibid., 3, 20 ; P. C, XCIV,. 1081.


d) Le Symbolisme naturel du coeur de Jésus et son expression voilée dans la sainte Ecriture et chez les Pères.

26 Remarquons-le pourtant : bien que ces extraits de la sainte Ecriture et des Pères et beaucoup d'autres qui leur sont semblables et que Nous ne rapportons pas ici, attestent clairement que Jésus-Christ fut doté d'émotions, d'affections sensibles et de volonté, et qu'il a assumé une nature humaine pour pourvoir à notre salut éternel, ils n'ont toutefois jamais rattaché ses affections à son coeur physique, ni indiqué ouvertement le coeur comme symbole de son amour infini.

Les évangélistes et les autres écrivains sacrés ne décrivent pas explicitement le coeur de notre Rédempteur comme plein de vie, doté tout autant que le nôtre de la faculté de sentir, palpitant sous l'effet des divers mouvements et affections de son âme et de l'ardente charité de ses deux volontés ; ils n'en mettent pas moins souvent en lumière son divin amour et les émotions sensibles qui s'y rattachent : désir, joie, tristesse, crainte et colère, selon que les expriment son regard, ses paroles, son attitude. Le visage de notre adorable Sauveur fut surtout le signe et comme le miroir fidèle de ces sentiments ; ceux-ci impressionnaient son âme comme des ondes se réfléchissant sur des rives opposées, ils atteignaient son coeur très saint et l'animaient davantage. En effet, ici se vérifie également ce que le docteur angélique, riche des enseignements de l'expérience commune remarque à propos de la psychologie humaine et des phénomènes qu'elle conditionne : « le trouble de la colère s'étend jusqu'à l'extérieur du corps, là surtout où l'influence du coeur se fait le plus fortement sentir, comme les yeux, le visage et la langue 24. »


24 Sum. Théol.,
I-II 48,4 ; ed. Leon., t. VI, 1891, p. 306.




Le coeur de Jésus est le symbole du triple amour du Rédempteur pour son Père et pour tous les hommes.

27 C'est donc à juste titre que le coeur du Verbe incarné est considéré comme le signe et le symbole principal de ce triple amour dont le divin Rédempteur ne cesse d'aimer le Père éternel et tous les hommes. Il est le symbole de cet amour divin que le Verbe a en commun avec le Père et l'Esprit Saint, mais qui, en Lui seul, en tant que Verbe fait chair, se manifeste à nous à travers le corps fragile et caduc de l'homme : « en Lui, en effet, habite corporellement toute la plénitude de la divinité » (Col 2,9). Le coeur est en outre le symbole de cette ardente charité qui, infuse dans le Christ, anime sa volonté humaine et dont l'acte est éclairé et dirigé par les deux sciences toutes deux parfaites, la science de vision béatifique et la science infuse 25. Finalement — et ceci plus naturellement et plus directement — il est également le symbole des sentiments, puisque le corps de Jésus, formé par l'opération du Saint Esprit dans le sein de la Vierge Marie, est parfaitement capable de sentir et de percevoir, beaucoup plus que tous les autres coeurs humains 26.


25 Sum. Theol., III 9,1-3 ; ed Leon., t. XI, 1903, p. 142.
26 Ibid., 3, q. 33, a. 2, ad 3m ; q. 46, a. 6 ; ed. Leon., t. XI, 1003, pp. 342, 433.



28 L'Ecriture Sainte et les symboles de la foi catholique nous enseignent donc l'accord et l'harmonie parfaite de tous les éléments dans l'âme très sainte de Jésus-Christ, ils nous révèlent aussi qu'il a manifestement considéré notre Rédemption comme le but vers lequel doit tendre son triple amour ; il est clair, dès lors, que nous pouvons contempler à bon droit et vénérer le coeur du divin Rédempteur comme le signe de sa charité, le témoin de notre Rédemption et comme l'échelle mystique par laquelle nous montons jusqu'à l'embrassement du « Sauveur notre Dieu» (Tt 3,4). C'est pourquoi ses paroles, ses actions, ses préceptes, ses miracles doivent être considérés comme le témoignage de son triple amour ; et cela s'applique particulièrement aux oeuvres qui attestent plus lumineusement sa charité envers nous, comme la divine institution de l'Eucharistie, ses souffrances très violentes et sa mort, le don qu'il nous a fait de sa très sainte Mère, et enfin l'envoi du Saint-Esprit dans les apôtres et en nous. Nous devons donc contempler amoureusement les battements de son coeur sacré qui ont comme rythmé la durée de son pèlerinage terrestre, jusqu'au moment suprême où, selon les témoignages des évangélistes : « criant d'une voix forte, Il dit : „ Tout est consommé " et, ayant incliné la tête, Il rendit l'esprit» (Mt 27,50 Jn 19,30). Alors les battements de son coeur cessèrent, et son amour sensible s'interrompit jusqu'à ce qu'il ressuscitât du sépulcre, vainqueur de la mort. Mais depuis le moment où le corps glorifié du Rédempteur divin eut été de nouveau uni à son âme, son coeur très saint n'a plus cessé ni ne cessera de battre son rythme régulier et de signifier encore le triple amour par lequel le Fils de Dieu est uni à son Père céleste et avec toute la communauté des hommes dont Il est Lui-même, de plein droit, le chef mystique.



III. Part active et profonde du Sacré-Coeur de Jésus dans l'oeuvre salvifique du Rédempteur



a) Le coeur de Jésus, symbole d'amour parfait : sensible, spirituel (humain et divin), pendant sa vie terrestre.

29 Et maintenant, Vénérables Frères, pour retirer de ces réflexions des fruits abondants de salut, contemplons un moment toutes les affections divines et humaines que le coeur de notre Sauveur Jésus-Christ a éprouvées en participant à notre vie mortelle, qu'il éprouve maintenant et qu'il éprouvera à jamais. C'est de l'Evangile surtout que nous puiserons la lumière qui nous éclairera et fortifiera pour entrer dans le sanctuaire de ce coeur divin, et pour admirer, avec l'apôtre des Gentils, « les richesses abondantes de la grâce de Dieu dans sa bonté pour nous, dans le Christ Jésus » (Ep 2,7).

30 Le coeur adorable de Jésus-Christ bat à l'unisson de son amour humain et divin, dès que la Vierge Marie prononce son « fiât » magnanime, et que le Verbe de Dieu, selon l'apôtre, « entrant dans le monde, dit : tu n'as pas voulu de sacrifice et d'oblation et tu m'as fait un corps ; les holocaustes po le péché ne t'ont pas plu. Alors voici que je viens, car c'e de moi qu'il est question dans le rouleau du livre, pour faire ô Dieu, ta volonté... et c'est en vertu de cette volonté que nous sommes sanctifiés par l'oblation du corps du Christ une fois pour toutes » (He 10,5-7 He 10,10).

Il vibrait encore d'un amour en parfaite harmonie avec le affections de sa volonté humaine et de son amour divin, lorsque dans la maison de Nazareth, il s'entretenait de choses du cie' avec sa très douce Mère et avec Joseph son père putatif qu'il aidait, obéissant, dans son travail de charpentier. Il vivait encore le triple amour dont nous avons parlé, durant sa vie publique : longues pérégrinations apostoliques ; innombrables miracles qui ressuscitaient les morts et guérissaient toutes sortes de maladies ; fatigues, sueur, faim et soif ; nuits de veille, passées à prier le Père céleste ; discours, enfin, paraboles et leurs commentaires, celles en particulier qui portent sur la miséricorde, telle la drachme perdue, la brebis égarée, l'enfant prodigue. Dans ces paroles et ces actions, comme le remarque Grégoire le Grand, se manifeste le coeur de Dieu : « Connais le coeur de Dieu dans les paroles de Dieu, pour aspirer plus ardemment aux biens éternels » 27.

27 Registr. epist. lib. IV, Ep. XXXI, ad Theodorum medicum : P. L., LXXVII, 706.

31 Il ressentait une plus grande charité encore, lorsque de sa bouche sortaient des paroles inspirées par l'amour le plus ardent. Voyant, par exemple, les foules fatiguées et affamées, il s'écriait : « J'ai pitié de cette foule » (Mc 8,2) ; voyant Jérusalem, sa ville très aimée, aveuglée par ses fautes, et destinée dès lors à la ruine la plus complète, il prononçait ces paroles : « Jérusalem, toi qui tues les prophètes, et lapides ceux qui te sont envoyés, que de fois j'ai voulu rassembler tes fils, comme une poule rassemble ses poussins sous ses ailes et tu n'as pas voulu ! » (Mt 23,37). Son coeur brûlait d'amour envers son Père et frémissait d'une sainte indignation, à la vue du commerce sacrilège qui se faisait dans le temple ; et Il admonestait ainsi les profanateurs : « Il est écrit : ma maison est une maison de prières, vous, vous en avez fait une caverne de voleurs » (Mt 21,13).

32 Mais c'est d'un amour particulièrement intense et mêlé de frayeur, que son coeur fut ému, lorsqu'il pressentit l'heure imminente de la passion, et que, éprouvant une répugnance naturelle devant les douleurs et la mort, il s'écria : « Mon Père, s'il est possible, que ce calice s'éloigne de moi » (Mt 26,39) ; c'est toujours le même amour, avec un immense chagrin, qui lui fit prononcer ces paroles où résonne l'ultime appel adressé par son coeur très miséricordieux à l'ami prêt, dans un geste délibéré d'impiété et de trahison, à le livrer aux bourreaux : « Mon ami, c'est pour cela que tu viens ? C'est par un baiser que tu livres le Fils de l'homme ? » (Mt 26,50 Lc 22,48). C'est dans un élan d'ardent amour et de profonde compassion, qu'il dit, aux saintes femmes, pleurant sur lui, injustement condamné à la croix : « Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi, mais pleurez sur vous-mêmes et sur vos enfants... ; car, si l'on traite ainsi le bois vert, qu'en sera-t-il du sec ? » (Lc 23,28 Lc 23,31).

33 Mais c'est surtout sur la croix que le coeur du divin Rédempteur fut bouleversé par les sentiments les plus variés : amour brûlant, épouvante, miséricorde, désirs ardents, calme serein ; tout cela, fortement exprimé par ces paroles : « Père, pardonnez-leur : ils ne savent pas ce qu'ils font » (Lc 23,34) ; « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous abandonné ? » (Mt 27,46) ; « Je te le dis en vérité : aujourd'hui tu seras avec moi dans le Paradis » (Lc 23,43) ; « J'ai soif » (Jn 19,28) ; « Père, je remets mon esprit entre vos mains » (Lc 23,46).



b) L'Eucharistie, la Vierge Marie, le Sacerdoce : dons du Coeur très aimant de Jésus-Christ.

34 Qui pourrait dignement décrire les battements du coeur divin du Sauveur, signes de son amour infini, au moment où il accordait aux hommes ses dons les plus précieux : lui-même, dans le sacrement de l'Eucharistie, sa très sainte Mère, le Sacerdoce qu'il nous communique ?

35 Même avant de manger la dernière Cène avec ses disciples, pensant à l'institution du sacrement de son corps et de son sang — dont l'effusion scellerait la nouvelle Alliance — Jésus avait senti son coeur frémir d'une intense émotion qu'il confia aux apôtres par ces mots : « J'ai ardemment désiré manger cette Pâque avec vous avant de souffrir» (Lc 22,15). Mais son émotion dut atteindre son comble, lorsque « ayant pris du pain, après avoir rendu grâces, il le rompit et le leur donna en disant : ceci est mon corps, donné pour vous ; faites ceci mémoire de moi. Pareillement, pour la coupe, après qu'ils eurent soupe, en disant : cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang, répandu pour vous » (Lc 22,19-20).

36 L'on peut donc affirmer à bon droit que la divine Eucharistie — sacrement qu'il donne aux hommes et sacrifice qui le fait s'immoler perpétuellement « du lever du soleil à son coucher » (Ml 1,11) — et de même le Sacerdoce, sont bien des dons du Sacré-Coeur de Jésus.

37 Et celui-ci nous fit encore le don très précieux de Marie, auguste Mère de Dieu et notre Mère très aimante. Elle fut la mère selon la chair de notre Rédempteur et son associée dans la régénération des enfants d'Eve à la vie de la grâce : il était juste qu'elle fût proclamée par Jésus lui-même, Mère, selon l'esprit, du genre humain tout entier. Saint Augustin écrit à ce sujet : « Elle est vraiment notre mère, à nous qui sommes membres du Sauveur, puisqu'elle a contribué, par sa charité, à engendrer dans l'Eglise des fidèles qui sont les membres de son chef, le Christ » 28.

28 De sancta virginitate, VI ; P. L., 40, 399.

38 Au don non sanglant qu'il nous fait de sa Personne, sous les espèces du pain et du vin, notre Sauveur Jésus-Christ, voulut ajouter, comme témoignage suprême de son infinie charité, le sacrifice sanglant de la croix. Ce faisant, il donnait l'exemple de cette charité sublime présentée par Lui à ses disciples comme le comble de l'amour : « Nul ne peut avoir de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis » (Jn 15,13). Ainsi donc, l'amour de Jésus-Christ, Fils de Dieu, nous révèle, dans le sacrifice du Golgotha, de la manière la plus éloquente, l'amour même de Dieu : « A ceci nous avons connu l'amour de Dieu, c'est que Lui a donné sa vie pour nous ; nous aussi, nous devons donner notre vie pour nos frères » (1Jn 3,16). Et, en réalité, notre divin Rédempteur a été attaché à la croix plus par son amour que par la violence des bourreaux ; son immolation volontaire est le don suprême qu'il fait à chacun des hommes, selon le mot saisissant de l'apôtre : « Il m'a aimé et s'est livré lui-même pour moi » (Ga 2,20).



c) L'Eglise et les sacrements sont aussi des dons du Sacré-Coeur.

39 Puisque le Sacré-Coeur de Jésus participa si intimement a la vie du Verbe incarné et fut assumé dès lors comme instrument de la divinité, au même titre que toutes les autres parties de la nature humaine, pour accomplir les oeuvres de la grâce et de la toute-puissance divines 29, il est, sans aucun doute, un symbole bien choisi de l'immense charité, qui poussa notre Sauveur à célébrer dans son sang son mariage mystique avec l'Eglise : « Il a accepté la passion en raison de l'ardent désir qu'il avait de s'unir l'Eglise comme épouse » 30. C'est donc du coeur blessé du Rédempteur qu'est née l'Eglise, dispensatrice du sang de la Rédemption ; c'est de ce coeur qu'a coulé abondamment la grâce des sacrements, où les fils de l'Eglise puisent la vie surnaturelle comme le rappelle la sainte liturgie : « Du coeur ouvert naît l'Eglise, unie au Christ... Vous qui, de votre coeur, répandez la grâce »". A propos de ce symbolisme, bien connu des Pères de l'Eglise et des écrivains ecclésiastiques, saint Thomas — se faisant d'ailleurs l'écho de la tradition — a écrit les lignes suivantes : « Du côté du Christ, jaillirent l'eau qui purifie et le sang qui rachète ; c'est pourquoi le sang se rapporte au sacrement de l'Eucharistie et l'eau au sacrement de Baptême, sacrement qui tire cependant sa puissance purificatrice de la vertu du sang du Christ » 32. Ce qui est dit ici du côté blessé de Jésus peut se dire également de son coeur qui fut certainement atteint par la lance que brandit le soldat romain pour s'assurer que le Christ crucifié était bien mort. C'est pourquoi la blessure du coeur sacré de Jésus, désormais mort, reste pour tous les siècles l'image vivante de cette charité librement manifestée, qui inspira à Dieu d'envoyer son Fils unique pour nous racheter, et au Christ de nous aimer tous au point de s'offrir en victime sanglante sur le Calvaire : « Le Christ nous a aimés et s'est livré pour nous, s'offrant à Dieu en sacrifice d'agréable odeur » (Ep 5,2).

229 S. Thom., Sum. TheoL, III 19,1 ; ed. Leon., t. XI, 1903, p. 329. Sum. Theol. Suppl., q. 42, a. 1, ad 3m ; ed. Leon., t. XII, 1906, p. Si. Hymn, ad Vesp. Festi Sacratissimi Cordis Jesu.
230 Sum. Theol., III 66,3, ad 3m ; ed. Leon., t. XII, 1906, p. 65.


d) Le coeur sacré de Jésus, symbole de son triple amour pour l'humanité, durant sa vie glorieuse dans le ciel.

40 Monté au ciel et assis à la droite du Père dans la splendeur de son humanité glorifiée, notre Sauveur n'a pas cessé de manifester à l'Eglise, son épouse, l'amour brûlant de son coeur.

A ses mains, ses pieds et son côté, les marques éclatantes d ses blessures : elles représentent la triple victoire qu'il a rem portée, sur le démon, sur le péché et sur la mort ; il porte placés dans son coeur comme dans un écrin de grand prix d'immenses trésors de mérites, fruits de son triple triomphe et il les distribue généreusement au genre humain racheté. C'est cette très consolante vérité que l'apôtre des nations exprime en ces termes : « Montant dans les hauteurs, il a emmené des captifs, il a fait des dons aux hommes... Celui qui est descendu c'est le même qui est aussi monté au-dessus de tous les cieux, afin d'embrasser tout l'univers » (
Ep 4,8 Ep 4,10).


e) Les dons du Saint-Esprit sont aussi des dons du Coeur de Jésus.

41 L'envoi de l'Esprit-Saint aux disciples est le premier signe manifeste de la munificence de sa charité, après sa glorieuse ascension à la droite du Père. Dix jours après, en effet, l'Esprit Consolateur, don du Père, est descendu sur eux, réunis au Cénacle, comme Jésus le leur avait promis durant la dernière Cène : « Je prierai le Père et il vous enverra un autre Consolateur qui restera à jamais parmi vous » (Jn 14,16).

Cet Esprit Consolateur, personne divine qui est l'amour réciproque du Père et du Fils, est envoyé par l'un et l'autre ; apparu sous la forme de langues de feu, il remplit leurs âmes de la charité divine et des autres charismes. Cette effusion de l'amour divin a aussi pour origine le coeur de notre Sauveur, « en qui se trouvent, cachés, tous les trésors de la sagesse et de la science » (Col 2,3). Car cette charité est un don à la fois du coeur de Jésus et de son esprit ; et cet esprit lui-même est celui du Père et du Fils : c'est de lui que l'Eglise a pris naissance pour se répandre ensuite merveilleusement dans tout l'univers païen souillé par l'idolâtrie, la haine du prochain, la corruption et la violence des moeurs. C'est cette charité divine, don très précieux du coeur du Christ et de son esprit, qui communiqua aux apôtres et aux martyrs la force qui leur permit de lutter jusqu'à une mort héroïque pour annoncer la vérité de l'Evangile et la sceller de leur propre sang ; elle donna aux docteurs de l'Eglise un zèle enflammé pour exposer et défendre la foi catholique ; elle nourrit les vertus des confesseurs et leur suggéra de fructueuses et admirables entreprises pour leur propre sanctification et le bien spirituel et corporel de leur prochain ; elle inspira enfin aux vierges de renoncer d'elles-mêmes et avec joie aux plaisirs sensibles pour se consacrer tout entières à l'amour de leur Epoux divin. Voulant chanter cette divine charité qui, jaillie du coeur du Verbe incarné, se répand dans l'âme de tous les croyants, par la puissance du Saint-Esprit, l'apôtre des nations proclame dans un hymne de victoire le triomphe de Jésus-Christ, chef du Corps mystique, et de ses membres sur tout ce qui s'opposerait de quelque manière à l'établissement du royaume de l'amour divin parmi les hommes : « Qui nous séparera de l'amour du Christ ? La tribulation, l'angoisse, la persécution, la faim, la nudité, les périls, le glaive ?... Mais en tout cela nous n'avons aucune peine à triompher par Celui qui nous a aimés. Oui, j'en ai l'assurance, ni la mort ni la vie, ni les anges ni les principautés, ni le présent ni l'avenir, ni les puissances, ni la hauteur ni la profondeur, ni aucune autre créature ne pourra nous séparer de l'amour de Dieu manifesté dans le Christ Jésus Notre-Seigneur » (Rm 8,35 Rm 8,37-39).

f) Le culte du Sacré-Coeur de Jésus et le culte de la Personne du Verbe incarné.

42 Rien ne nous empêche donc d'adorer le coeur sacré de Jésus-Christ, puisqu'il participe à l'inépuisable charité de notre divin Rédempteur et qu'il est le symbole naturel le plus expressif de la charité que Celui-ci continue de ressentir pour le genre humain. Bien qu'il ne soit plus soumis aux vicissitudes de notre vie mortelle, le coeur du Christ vit, cependant, et bat, indissolublement uni à la Personne du Verbe de Dieu et uni, en elle et par elle, à la volonté divine. Il déborde d'un amour divin et humain, il est riche de tous les trésors de grâces que notre Rédempteur a acquis par sa vie, ses souffrances et sa mort ; et c'est pourquoi il est vraiment la source intarissable de l'amour que son esprit répand dans tous les membres de son Corps mystique.

43 Aussi le coeur de notre Sauveur nous donne-t-il en quelque sorte une image de la Personne divine du Verbe et de sa double nature, divine et humaine ; et nous pouvons considérer en lui, non seulement le symbole, mais comme un résumé de tout le mystère de notre Rédemption. Lorsque nous adorons le coeur sacré de Jésus-Christ, nous adorons à la fois, en lui et par lui, l'amour incréé du Verbe de Dieu et son amour humain, avec ses autres sentiments et ses vertus ; l'un et l'autre amours en effet, ont poussé le Rédempteur à s'immoler pour nous e pour toute l'Eglise, son épouse, selon le mot de l'apôtre • « Le Christ a aimé l'Eglise, il s'est livré pour elle, afin de la sanctifier, en la purifiant par le bain d'eau qu'une parole accompagna ; car il voulait se la présenter à lui-même toute resplendissante, sans tache ni ride, ni rien de tel, mais sainte e' immaculée » (Ep 5,25-27).

44 Comme le Christ a aimé l'Eglise, il l'aime encore maintenant intensément, de ce triple amour dont nous avons parlé ; el c'est cet amour qui le pousse à se faire notre avocat (1Jn 2,1), « toujours vivant pour intercéder pour nous » (He 7,25), afin de nous obtenir du Père grâce et miséricorde. La prière que son inépuisable amour fait monter vers le Père ne s'interrompt jamais. Et ainsi, au ciel où il triomphe, il adresse, comme « aux jours de sa vie mortelle » (He 5,7), des prières à son Père céleste, avec une égale efficacité ; celui-ci « a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique pour que tout homme qui croit en lui ne périsse pas, mais ait la vie éternelle » (Jn 3,16) : Jésus montre à ce Père son coeur vivant et blessé d'amour, bien plus profondément que lorsque, inanimé, il fut percé par la lance du soldat romain : « Si votre coeur fut blessé, c'est pour qu'à travers la plaie visible, nous voyions la blessure invisible de l'amour » 33.

33 s. Bonaventura, Opusc. X : Vifis mystica, c. III, n. 5 ; Opera Omnia. Ad Claras Aquas (Quaracchi) 1898, t. VIII, p. 164 ; cf. S. Thom. Sum. Theol., III 54,4 ; ed. Leon., t. XI, 1903, p. 513.

45 Il est dès lors bien certain qu'imploré par un tel avocat, avec un tel amour, le Père céleste « qui n'épargna pas son propre Fils mais le livra pour nous tous » (Rm 8,32), fera descendre sans cesse, par Lui, sur tous les hommes, une effusion de grâces.



IV. Naissance et développement progressif du culte au Sacré-Coeur de Jésus


a) Premiers indices du culte du Sacré-Coeur dans la dévotion aux plaies du Crucifié.

46 Nous avons voulu, Vénérables Frères, proposer dans ses grandes lignes la nature et les éternelles richesses du culte envers le Sacré-Coeur, en Nous référant à la doctrine révélée, comme à sa source première. Et Nous pensons que ces réflexions, éclairées par l'Evangile, auront montré d'une manière convaincante comment ce culte n'est rien d'autre en définitive que le culte de l'amour divin et humain du Verbe incarné, rien d'autre même que le culte de l'amour dont le Père et le Saint-Esprit comblent les hommes pécheurs ; en effet, comme l'enseigne le docteur angélique, la charité des trois personnes divines est le principe de la Rédemption ; elle influa, en effet, sur la volonté humaine de Jésus-Christ, et pénétra son coeur adorable, l'animant de cette même charité, au point qu'il voulut répandre son sang pour nous racheter de l'esclavage du péché 34 : « Je dois recevoir un baptême, et quelle n'est pas mon angoisse jusqu'à ce qu'il soit consommé » (Lc 12,50).

234 Sum. Theol., III 48,5 ; ed. Léon. t. XI, 1903, p. 467.

47 Et nous sommes, dès lors, certains que le culte rendu — sous le symbole du coeur transpercé du Christ en croix — à l'amour que Dieu et Jésus portent au genre humain, n'a jamais été complètement étranger à la piété des fidèles. Ce n'est que récemment, cependant, que ce culte a été pleinement mis en valeur, et il a été propagé d'une manière merveilleuse dans l'Eglise universelle, surtout depuis que le Seigneur Lui-même a révélé en privé ce mystère divin à quelques-uns de ces enfants, qu'il gratifia d'abondantes faveurs spirituelles, et dont il fit ses messagers et ses hérauts.

48 Il y eut toujours, en effet, des hommes particulièrement pieux pour rendre, à l'exemple de la sainte Mère de Dieu, des apôtres, et des plus illustres des Pères de l'Eglise, un culte d'adoration, d'action de grâces à la très sainte humanité du Christ, spécialement aux plaies qui déchirèrent son corps durant sa passion.

49 Ces paroles « Mon Seigneur et mon Dieu » (Jn 20,28), prononcées par l'apôtre Thomas, et qui révèlent la foi de celui-ci, auparavant incrédule, ne contiennent-elles pas l'acte de foi, d'adoration et d'amour qui, de la nature humaine meurtrie du Seigneur, s'élève jusqu'à la majesté de la Personne divine ?



50 Le Coeur transpercé du Sauveur a toujours exercé un puissant attrait sur les hommes, suscitant leur culte pour l'amour infini qu'il a envers le genre humain ; c'est aux chrétiens de tous les temps d'ailleurs que s'adressent ces paroles du prophète Zacharie, appliquées à Jésus crucifié par Jean l'évangéliste : « Ils regarderont Celui qu'ils ont transpercé » (Jn 19,37 ; Za 12,10). Ce n'est que progressivement, pourtant il faut le reconnaître, que ce coeur est devenu l'objet d'un culte spécial, comme image de l'amour humain et divin du Verbe incarné.



b) Débuts et progrès du culte du Sacré-Coeur durant le moyen âge et les siècles suivants.

51 Une simple esquisse des étapes glorieuses de ce culte dans l'histoire de la piété chrétienne évoque aussitôt les noms de ceux qui en furent les premiers hérauts. Il se développa peu à peu, comme dévotion privée dans les congrégations religieuses. Citons, par exemple, comme ayant bien servi la cause du culte envers le Sacré-Coeur, saint Bonaventure, saint Albert le Grand, sainte Gertrude, sainte Catherine de Sienne, le bienheureux Henri Suso, saint Pierre Canisius, saint François de Sales et saint Jean Eudes, l'auteur du premier office liturgique en l'honneur du Sacré-Coeur de Jésus dont la fête fut célébrée pour la première fois, avec l'approbation de nombreux évêques de France, le 20 octobre 1672. Mais, parmi les promoteurs de cette noble dévotion, sainte Marguerite-Marie Alacoque mérite une place toute spéciale. C'est grâce au zèle ardent de cette sainte, aidée par son directeur spirituel, le bienheureux Claude de la Colombière, que ce culte connut, à l'admiration du peuple chrétien, de très grands développements, et qu'il se distingua par ses notes particulières d'amour et de réparation, des autres formes de la piété chrétienne35.

35 Cf. Litt. Enc. Miserentissimus Redemptor, A. A. S., 20, 1928, pp. 167-168.


52 Il suffit de rappeler l'époque où se répandit le culte du Sacré-Coeur de Jésus, pour comprendre clairement que son étonnant progrès vient de sa parfaite cohérence avec la nature même du christianisme qui est religion d'amour. On ne peut donc pas dire que ce culte soit venu d'une révélation privée de Dieu, ni qu'il soit soudainement apparu dans l'Eglise. Mais il a jailli spontanément de la foi vivante et fervente d'hommes comblés de dons surnaturels, qui adoraient le Rédempteur et ses plaies glorieuses, témoignage bouleversant de son amour infini.

Les révélations dont sainte Marguerite-Marie fut l'objet n'apportèrent donc rien de nouveau à la doctrine catholique. Elles tirent leur importance de ce que Notre-Seigneur Jésus-Christ, en montrant son Sacré-Coeur, voulut inviter les hommes avec une particulière insistance, à la contemplation et au culte de l'amour miséricordieux de Dieu pour le genre humain. En effet, par cette exceptionnelle manifestation, le Christ montra expressément à plusieurs reprises son coeur comme le symbole qui conduira à reconnaître son amour ; et en même temps, il fit de son coeur un signe et un gage de miséricorde et de grâce pour les besoins de l'Eglise à notre époque.




Haurietis aquas FR 24