Haurietis aquas FR 53

Approbation pontificale de la fête du Sacré-Coeur de Jésus.

53 Que ce culte tire son origine des principes même de la doctrine chrétienne, on en a une preuve évidente dans le fait que l'approbation de la solennité liturgique par le Siège apostolique a précédé celle des écrits de sainte Marguerite-Marie. En effet, ce n'est pas précisément en raison de quelque révélation privée, mais pour répondre aux voeux des fidèles, que la Congrégation des Rites, par le décret du 25 janvier 1765, approuvé le 6 février de la même année par Notre prédécesseur Clément XIII, concéda aux évêques de Pologne et à l'Archi-confrérie romaine du Sacré-Coeur, la faculté de célébrer la fête liturgique ; par cet acte, le Saint-Siège voulut donner un nouveau développement à un culte déjà vivant et florissant, afin de « raviver par un symbole le souvenir de l'amour divin » 36, qui conduisit le Sauveur à s'offrir comme victime d'expiation pour les péchés des hommes.

36 Cf. A. Gardellini, Décréta authentica, 1857, n. 4579, t. III, p. 174.


54 Cette première approbation, accordée comme privilège et encore limitée, fut suivie près d'un siècle plus tard, par une autre de beaucoup plus grande portée, donnée sous forme solennelle. Nous voulons parler du décret, mentionné plus haut, et publié par la Congrégation des Rites le 23 août 1856 ; par ce décret, Notre prédécesseur Pie IX, d'immortelle mémoire, répondant aux prières des évêques de France et de presque tout le monde catholique, étendit à l'Eglise universelle la fête du Sacré-Coeur de Jésus, et prescrivit qu'elle fût célébrée dignement37.

Ce geste mérite d'être sans cesse rappelé aux fidèles, puisque comme nous le lisons dans la liturgie de cette fête « c'est à' partir de ce jour que le culte du Sacré-Coeur de Jésus, tel un fleuve débordant, emporta les obstacles et se répandit dans le monde entier ».

37 Cf. Décret. S. C. Rit. apud N. Nilles, De rationibus festorum Sacratissimi Cordis Iesu et purissimi Cordis Maris, 5e ed. Innsbruck, 1885, t. I, p. 167.


55 Après ce que Nous venons de dire, Vénérables Frères, il est bien clair que c'est à l'Ecriture, à la Tradition, et à la liturgie que les fidèles doivent remonter, comme à la source limpide et profonde de ce culte, s'ils veulent en pénétrer la nature intime et recevoir de sa méditation un aliment qui les nourrisse et augmente leur ferveur. Si l'âme fidèle s'adonne à ce culte, l'esprit l'éclairé par une méditation assidue, elle ne peut pas ne pas parvenir à la douce connaissance de la charité du Christ, sommet de la vie chrétienne, comme disait l'apôtre, parlant d'expérience : « c'est pourquoi je fléchis les genoux en présence du Père de notre Seigneur Jésus-Christ... qu'il daigne, selon la richesse de sa force éclatante, vous armer de puissance par son Esprit pour que se fortifie en vous l'homme intérieur, que le Christ habite en vos coeurs par la foi, et que l'amour soit la racine, la base de votre vie. Ainsi vous arriverez... à connaître cet amour qui surpasse toute connaissance, et vous entrerez par votre plénitude dans toute la plénitude de Dieu » (Ep 3,14 Ep 3,16-19). De cette plénitude de Dieu, contenant toute chose, le coeur même de Jésus-Christ est précisément l'image la plus belle : une plénitude de miséricorde, propre au Nouveau Testament, dans lequel « apparurent la bonté de Dieu notre Sauveur et son amour pour les hommes » (Tt 3,4), car « Dieu n'a pas envoyé son Fils dans le monde pour condamner le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui » (Jn 3,17).



d) Spiritualité et noblesse du culte envers le Sacré-Coeur.

56 L'Eglise, éducatrice de l'humanité, a toujours tenu pour certain, depuis la publication des premiers actes officiels sur le culte du Sacré-Coeur de Jésus, que les éléments essentiels de ce culte — les actes d'amour et de satisfaction, rendus a l'amour infini que Dieu témoigne au genre humain — ne sont d'aucune façon entachés de « matérialisme » ou de superstition ; c'est là, au contraire, une forme de piété qui répond parfaitement à ce culte spirituel, tout à fait authentique, que le Sauveur lui-même annonçait en parlant à la Samaritaine : « Mais l'heure vient — et nous y sommes — où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité, car ce sont là les adorateurs tels que les veut le Père. Dieu est esprit, et c'est en esprit et vérité que ceux qui adorent doivent adorer» (Jn 4,23-24).



57 Il n'est pas permis de prétendre que la contemplation du coeur physique de Jésus empêche de parvenir à l'amour intérieur de Dieu, et qu'elle arrête l'âme dans son ascension vers les plus hautes vertus. L'Eglise condamne absolument cette fausse doctrine mystique, comme elle rejeta, par les paroles de Notre prédécesseur d'heureuse mémoire Innocent XI, les erreurs de ceux qui soutenaient les propositions suivantes : les âmes qui suivent cette voie intérieure « ne doivent pas accomplir d'actes d'amour envers la bienheureuse Vierge, les saints ou l'humanité du Christ, parce que, ces objets étant d'ordre sensible, l'amour envers eux l'est également. Aucune créature, pas même la Vierge Marie, ne doit avoir place dans notre coeur, parce que Dieu veut être le seul à l'occuper et à le posséder » 38. Ceux qui pensent de la sorte s'imaginent évidemment que l'image du coeur du Christ ne représente que son amour sensible, et qu'il n'y a donc en elle rien sur quoi puisse s'appuyer, comme sur un fondement nouveau le culte de latrie uniquement réservé à la nature divine. Mais qui ne voit que cette façon d'interpréter le symbolisme des images sacrées est tout à fait erronée, puisqu'elle en limite, bien à tort, la signification transcendante. Tout différents sont la pensée et l'enseignement des théologiens catholiques, notamment saint Thomas, qui écrit : « Le culte de religion ne s'adresse point aux images en elles-mêmes, comme à des réalités, mais les regarde sous leur aspect propre d'images, nous menant à Dieu fait chair. Dès lors, on ne s'arrête point à l'image ; et se tourner vers elle, c'est aller à celui qu'elle représente. Rendre un culte religieux aux images du Christ n'exige donc point un motif nouveau, ni non plus une espèce distincte de religion » 39. C'est donc à la Personne du Verbe, comme à sa fin, que s'adresse le culte, justement compris, qui est rendu, soit aux reliques de la passion que le Sauveur endura pour nous, soit à l'image qui l'emporte sur toute autre par sa signification, celle du coeur transpercé du Christ crucifié.

38 Innocentius XI, Constit. Ap. Coelestis Pastor, 19 novembris 1687 ; Bullartum Komfln, Roms, 1734, t. VIII, p. 443.
39 Sum. Theol.,
II-II 81,3 ad 3m ; ed. Léon., t. IX, 1897, p. 180.

58 Ainsi donc, à partir de cet élément corporel qu'est le coeur de Jésus-Christ, et de son symbolisme naturel, nous pouvons et nous devons, soutenus par la foi, nous élever non pas seulement jusqu'à la contemplation de son amour sensible, mais plus haut encore jusqu'à la considération et à l'adoration de son suprême amour infini ; et enfin dans un élan de l'âme à la fois doux et sublime, jusqu'à la méditation et à l'adoration de l'amour divin du Verbe incarné. En effet, à la lumière de la foi, qui nous fait croire à l'union, dans la personne du Christ^ de l'humanité et de la divinité, nous pouvons concevoir les liens très étroits qui existent entre l'amour sensible du coeur physique de Jésus et son double amour spirituel, l'humain et le divin. En réalité, ces deux amours ne doivent pas seulement être considérés comme coexistants dans l'adorable Personne du divin Rédempteur, mais comme unis entre eux par un lien naturel selon lequel l'amour sensible et l'amour humain sont subordonnés à l'amour divin et présentent l'un et l'autre quelque analogie avec ce dernier. Nous ne prétendons pas pour autant qu'il faille contempler et adorer dans le Coeur de Jésus ce qu'on appelle l'image formelle, c'est-à-dire le symbole propre et parfait de son amour divin, car aucune image créée ne peut rendre adéquatement la nature profonde de cet amour ; mais en vénérant le Coeur de Jésus, le fidèle adore avec l'Eglise le symbole et comme le mémorial de la charité divine, qui est allée jusqu'à aimer par le coeur du Verbe incarné l'humanité souillée par tant de fautes.

59 Pour traiter d'un sujet si important et délicat, il faut donc toujours se rappeler que le lien symbolique naturel, qui existe entre le coeur de Jésus et la Personne du Verbe, repose tout entier sur la vérité première de l'union hypostatique ; ne pas admettre cela serait renouveler les erreurs plus d'une fois condamnées par l'Eglise, comme niant l'unité de personne dans le Christ, dans la distinction et l'intégrité des deux natures.

60 Cette vérité fondamentale nous fait comprendre comment le coeur du Christ est le coeur d'une Personne divine, celle du Verbe incarné, et que ce coeur résume et nous met sous les yeux, pour ainsi dire, tout l'amour dont nous avons été et sommes encore aujourd'hui l'objet. C'est la raison pour laquelle on doit tellement estimer le culte du Sacré-Coeur qu'on voie dans sa pratique l'expression parfaite de la religion chrétienne-


Celle-ci, en effet, est la religion de Jésus, fondée tout entière sur le Médiateur, homme et Dieu à la fois ; de sorte que l'on ne peut aller au coeur de Dieu si ce n'est par le coeur du Christ, qui a dit lui-même : « Je suis la voie, la vérité et la vie. Personne ne peut venir au Père, si ce n'est par moi» (
Jn 14,6).

Il est facile d'en conclure que le culte du Sacré-Coeur de Jésus, dans sa nature intime, est le culte de l'amour dont Dieu nous a aimés par Jésus, en même temps qu'il est l'exercice de l'amour que nous portons nous-mêmes à Dieu et aux autres hommes ; il consiste, en d'autres termes, à honorer l'amour de Dieu pour nous et a ce Dieu pour objet, afin de l'adorer, de lui rendre grâces, de vivre à son imitation ; et il tend à amener à son absolue perfection l'amour qui nous unit à Dieu et aux autres hommes, en nous faisant mieux pratiquer de jour en jour le commandement nouveau que le divin Maître laissa comme héritage sacré à ses disciples par ces mots : « Je vous donne un commandement nouveau, c'est que vous vous aimiez les uns les autres comme je vous ai aimés... C'est mon commandement, que vous vous aimiez les uns les autres comme je vous ai aimés » (Jn 13,34 Jn 15,12). Ce commandement est vraiment nouveau et propre au Christ, car, selon les paroles de saint Thomas : « La différence entre l'Ancien et le Nouveau Testament tient en peu de mots : comme le dit Jérémie, „ je conclurai avec la maison d'Israël un nouveau pacte " » (Jr 31,31). Si ce commandement existait dans l'Ancien Testament, inspiré par une crainte et un amour sacrés, c'était par référence au Nouveau Testament : car il était dans l'ancienne loi, non comme étant propre à celle-ci, mais comme préparatoire à la nouvelle loi » 40.

40 Comment, in Evang. S. Joan., c. XIII, lect. VII, 3 ; ed Parmoe, 1860, t. X, p. 541.


V. Exhortations en vue d'une pratique plus éclairée et de la diffusion du culte au Sacré-Coeur de Jésus


a) Invitation à mieux comprendre et pratiquer les différentes formes dévotion en l'honneur du Sacré-Coeur de Jésus.

61 Avant d'achever ces considérations — si belles assurément, et si consolantes — sur la nature véritable et la valeur chrétienne de ce culte, Nous estimons opportun, dans la conscience de Notre charge apostolique, confiée pour la première fois au bienheureux Pierre après une triple profession d'amour envers le Christ Seigneur, de vous exhorter à nouveau, Vénérables Frères — et par vous tous Nos chers fils dans le Christ — à promouvoir avec un zèle toujours plus ardent cette très douce forme de dévotion, dont Nous attendons, même pour notre temps, de nombreux avantages.

62 Si l'on pèse bien, en effet, les arguments sur lesquels se fonde le culte du coeur transpercé de Jésus, il apparaît à l'évidence qu'il ne s'agit pas là d'une forme quelconque de piété, qu'il est loisible à chacun de sous-estimer et de faire passer au second rang, mais bien d'un acte religieux apte entre tous à conduire à la perfection chrétienne. Car si la dévotion, selon la traditionnelle définition théologique proposée par le docteur angélique, « n'est rien d'autre, semble-t-il, qu'une volonté de se donner avec empressement à ce qui regarde le service de Dieu » 41, peut-on concevoir un service de Dieu plus convenable et plus nécessaire, plus noble aussi et plus doux, que celui qui s'adresse à son amour ? Et quoi de plus agréable à Dieu que ce service voué à la divine charité, et par un motif d'amour ? Car tout service spontanément offert est un don, et l'amour « est le premier de tous, celui par lequel tous les autres dons gratuits sont donnés » 42. Il faut donc faire le plus grand cas de cette forme de culte, par laquelle l'homme honore et aime Dieu davantage et se donne plus facilement et plus librement à la divine charité ; culte que notre Rédempteur a daigné proposer et recommander lui-même au peuple chrétien, et que les Souverains Pontifes ont défendu dans des documents mémorables et comblé d'éloges. Ce serait faire chose téméraire et nuisible, et offenser Dieu lui-même, que de compter pour peu de chose cet insigne bienfait donné par Jésus-Christ à son Eglise.

41 Sum. Theol,
II-II 82,1 ; ed. Léon., t. IX, 1897, p. 187.
42 Ibid., I 38,2 ; ed. Léon., t. IV, 1888, p. 393.

63 Ainsi il est hors de doute que les fidèles qui rendent hommage au coeur sacré du Rédempteur s'acquittent par là du très grave devoir qui les astreint au service de Dieu, et en même temps, par la consécration totale d'eux-mêmes et de tout ce qui leur appartient à leur Créateur et Rédempteur — qu'il s'agisse de leurs sentiments intimes ou de leurs actions extérieures — ils obéissent au divin commandement : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme, de tout ton esprit, de toutes tes forces » (Mc 12,30 Mt 22,37). Ils ont en outre la ferme certitude d'être poussés à honorer Dieu non pas principalement par un motif d'intérêt personnel concernant le corps ou l'âme, la vie présente ou la vie éternelle, mais bien à raison de la bonté de Dieu lui-même, auquel ils s'efforcent de rendre hommage en l'aimant, en l'adorant, en lui rendant grâces. Entendu autrement, le culte du Sacré-Coeur de Jésus ne répondrait pas au caractère authentique de la religion chrétienne, car l'homme n'aurait plus alors principalement en vue par cet hommage l'amour divin ; et il arrive parfois qu'on doive à juste titre reprocher un amour et un souci excessifs de soi-même à ceux qui comprennent mal cette très noble dévotion ou ne la mettent pas convenablement en pratique. Que tous se persuadent donc bien que dans la dévotion au Sacré-Coeur de Jésus, ce n'est pas aux oeuvres extérieures de piété que revient la première place ; et l'essentiel n'est pas dans les bienfaits à obtenir : car si le Christ Seigneur a voulu les garantir par des promesses privées, c'est afin de pousser les hommes à remplir avec plus de ferveur les grands devoirs de la religion catholique, à savoir l'amour et l'expiation, et à pourvoir également au mieux, par là même, à leur avantage spirituel.

65 Nous invitons donc à embrasser avec empressement cette dévotion tous Nos chers fils dans le Christ, soit ceux qui ont déjà coutume de puiser aux eaux salutaires qui jaillissent du coeur du Rédempteur, soit surtout ceux qui, comme des spectateurs, regardent de loin, l'âme partagée entre la curiosité et le doute. Qu'ils considèrent attentivement que le culte dont il s'agit est, Nous l'avons dit, établi depuis longtemps dans l'Eglise et solidement fondé dans les Evangiles ; que la doctrine traditionnelle et la sainte liturgie lui sont manifestement favorables ; que les Souverains Pontifes eux-mêmes l'ont exalté par d'innombrables et très amples louanges ; qu'ils n'ont pas seulement institué une fête en l'honneur du coeur sacré du Rédempteur, en l'étendant à l'Eglise universelle, mais qu'ils ont voulu consacrer solennellement le genre humain tout entier à ce même coeur sacré 43. Qu'on ajoute à cela les fruits abondants qui ont découlé de cette dévotion et sont venus réjouir l'Eglise : les innombrables retours à la religion chrétienne, le renouvellement de la foi chez un grand nombre, l'union plus étroite des fidèles avec notre Rédempteur très aimant : toutes choses qui en ces dernières décades surtout, se sont manifestées avec une fréquence et une évidence accrues.

43 Cf. Léo XIII, Enc. Annum Sacrum, Acta Leonis, vol. XIX, 1900, p. 71 sq. ; Decr. • C. Rituum, 28 Juni. 1899, in Decr. Auth., III. n. 3712 ; Pius XI, Enc. Miserentissimus Re-demptor, A. A. S., 20, 1928, p. 177 sq ; Decr. S. C. Rit., 29 Jan. 1929, A. A. S., 21, 1929, p. 77.

66 Aussi, quand, regardant autour de Nous, Nous considéron l'admirable spectacle que Nous offre la piété envers le Sacré-Coeur de Jésus si largement répandue et allumée dans l'âme des fidèles de toutes conditions, Nous sommes pénétré de joie et de consolation ; et après avoir dûment rendu grâces à notre Rédempteur, trésor infini de bonté, Nous ne pouvons Nous empêcher de féliciter paternellement tous ceux, clercs et laïcs, qui ont activement travaillé à répandre cette dévotion.



b) Souveraine utilité du culte du Sacré-Coeur de Jésus dans les nécessités actuelles de l'Eglise.

67 Mais bien que la piété envers le Sacré-Coeur de Jésus ait produit partout des fruits salutaires de vie chrétienne, il n'échappe à personne, Vénérables Frères, que l'Eglise militante de la terre, et notamment la société civile, n'a pas encore atteint la pleine et absolue perfection qui répondrait aux désirs de Jésus-Christ, mystique époux de l'Eglise et Rédempteur du genre humain. Bien des fils de l'Eglise, en effet, défigurent par trop de taches et de rides le visage de cette Mère dont ils portent la ressemblance ; tous les fidèles ne brillent pas par la pureté de moeurs à laquelle ils sont divinement appelés ; les pécheurs, qui ont quitté à tort la maison du Père, n'y sont pas tous rentrés pour y revêtir à nouveau leur premier habit (Lc 15,22) et passer à leur doigt l'anneau, symbole de fidélité envers l'époux de leurs âmes ; tous les païens ne sont pas encore devenus membres du Corps mystique du Christ, il y a plus encore. Si c'est pour Nous une vive douleur de voir languir la foi des bons qui, trompés par l'appât fallacieux des biens terrestres, laissent décroître et peu à peu s'éteindre dans leurs âmes l'ardeur de la divine charité, combien plus Nous font souffrir les machinations entreprises par des hommes impies qui, maintenant surtout, excités, dirait-on, par l'ennemi infernal, brûlent d'une haine implacable et ouverte envers Dieu, envers l'Eglise, et principalement envers Celui qui tient sur terre la place du divin Rédempteur et personnifie son amour envers les hommes, suivant la célèbre sentence du Docteur de Milan : « C'est (Pierre) qu'on interroge, car c'est de lui qu'on doute ; mais le Seigneur ne doute pas, lui, qui interroge, non pour apprendre mais pour enseigner celui qu'avant de remonter au ciel, il nous laissait comme Vicaire de son amour » 44.

68 En vérité, la haine envers Dieu et ceux qui sont ses ministres légitimes est bien le plus grand crime que puisse jamais commettre l'homme, créé à l'image et à la ressemblance de Dieu et destiné à jouir au ciel de son amitié parfaite et éternelle ; la haine de Dieu, en effet, sépare au maximum l'homme du Souverain Bien et le pousse à rejeter de lui-même et de son prochain tout ce qui vient de Dieu, tout ce qui unit à Dieu, tout ce qui mène à jouir de Dieu, c'est-à-dire la vérité, la vertu, la paix, la justice 45.

69 Comme on voit hélas ! s'accroître en certains endroits le nombre de ceux qui se posent en ennemis de la divinité, et se répandre en même temps, par les faits et par la parole, les dogmes menteurs du matérialisme, tandis qu'on exalte, çà et là, la licence effrénée du plaisir, faut-il s'étonner que se refroidisse dans beaucoup d'âmes la charité, qui est la loi suprême de la religion chrétienne, le fondement solide de la vraie et parfaite justice, la principale source de la paix et des chastes joies ? Le Sauveur nous a avertis : « Par suite de l'iniquité croissante, l'amour se refroidira chez le grand nombre » (Mt 24,12).



c) Le culte du Sacré-Coeur de Jésus, étendard de salut, même pour nde moderne.

70 En présence de tant de maux qui, aujourd'hui plus que jamais, troublent si amèrement les hommes, les familles, les nations, le monde tout entier, où chercher un remède, Vénérables Frères ? Peut-on trouver une forme de piété qui l'emporte sur le culte auguste du coeur de Jésus, qui réponde plus parfaitement au caractère propre de la foi catholique, qui soit plus apte à subvenir aux besoins actuels de l'Eglise et du genre humain ? Quelle dévotion plus noble, plus douce, plus salutaire que celle-là, dont l'objet est la charité divine elle-même ?46 Y a-t-il quelque chose de plus efficace que la charité du Christ — que la dévotion au Sacré-Coeur de Jésus entretient et accroît de jour en jour — pour décider les fidèles à faire passer dans leur vie la loi évangélique, laquelle, comme l'Esprit Saint nous en avertit solennellement par les mots : Opus justitise pax (1S 32,17), est la condition indispensable d'une vraie paix entre les hommes ?

44 Exposit. in Evang. sec. Eucam, 1. X, n. 175 ; P. L.r XV, 1942.
45 Cf. S. Thom., Sum. Théol., II-II 34,2 ; ed. Léon., t. VIII, 1895, p. 274.


71 Aussi, Nous plaît-il, à l'exemple de Notre plus récent prédécesseur, d'adresser à nouveau à tous Nos fils dans le Christ, l'avertissement qu'à la fin du siècle dernier Léon XIII, d'immortelle mémoire fit entendre à tous les fidèles en même temps qu'à tous les hommes sincèrement préoccupés de leur salut et de celui de la société civile : « Voici, offert à Nos yeux aujourd'hui, un autre très heureux et très divin emblème : le Sacré-Coeur de Jésus... brillant d'un splendide éclat au milieu des flammes. C'est en lui qu'il faut placer toutes les espérances, de lui qu'il faut implorer et attendre le salut des hommes » 47.

46 Cf. Enc. Miserentissimus Redcmptor, A. A. S., 20, 1928, p. 166.
47 Enc. Annum Sacrum, Ada Leonis, vol. XIX, 1900, p. 79 ; Enc. Miserentissimus Re' Aemvtor, A. A. S., 20, 1928, p. 167.



72 C'est aussi Notre désir le plus cher que le culte du coeur de Jésus soit considéré comme l'emblème et la source de l'unité, du salut et de la paix par tous ceux qui se glorifient du nom chrétien et qui combattent laborieusement pour l'établissement du règne du Christ dans le monde. Qu'on n'aille pas croire cependant que cette dévotion enlève quoi que ce soit aux autres formes de piété par lesquelles le peuple chrétien, sous la direction de l'Eglise, honore le divin Rédempteur. Bien au contraire, une vive dévotion au coeur de Jésus favorisera sans nul doute, en particulier le culte de la sainte croix et l'amour envers l'auguste sacrement de l'autel. On peut affirmer, en effet, — et les révélations faites par Jésus-Christ à sainte Gertrude et a sainte Marguerite-Marie le montrent admirablement — que nul ne peut vraiment bien comprendre Jésus crucifié s'il n'a d'abord pénétré dans le mystérieux sanctuaire de son coeur. Et on ne saisira bien la force de l'amour qui poussa le Christ à se donner à nous comme aliment spirituel, qu'en honorant d'un culte particulier le coeur eucharistique de Jésus, qui a pour but de nous rappeler, selon les termes de Notre prédécesseur d'heureuse mémoire Léon XIII, « l'acte d'amour suprême par lequel notre Rédempteur, répandant toutes les richesses de son coeur, afin de demeurer avec nous jusqu'à la fin des siècles, institua l'adorable sacrement de l'Eucharistie » 48. Et certes « ce n'est pas une part minime de son coeur que l'Eucharistie, qu'il a tirée pour nous de la si grande charité de son coeur » 49.

73 Vivement poussé par le désir d'opposer une solide barrière aux entreprises perverses des ennemis de Dieu et de l'Eglise, et de ramener la famille et la société à l'amour de Dieu et du prochain, Nous n'hésitons pas à déclarer que le culte du Sacré-Coeur de Jésus est une école très efficace de l'amour divin : cet amour divin sur lequel doit reposer le règne de Dieu à établir dans les âmes, dans les familles, dans les nations selon le sage avertissement de notre même prédécesseur, de pieuse mémoire : « Le règne de Jésus-Christ reçoit sa force et sa forme de l'amour divin : aimer saintement et dans l'ordre, voilà où il se fonde et se résume. Le reste en découle nécessairement : être inviolablement fidèle au devoir, n'attenter en rien au droit d'autrui, estimer les choses humaines inférieures aux choses divines, donner à l'amour de Dieu la priorité sur tout le reste » 50.

48 Litt. Apost. quibus Archisodalitas a Corde Eucharistico Jesu ad S. Joachim de Urbe Silur, 17 febr. 1005, Acta Leonis, vol. XXII, 1903, p. 307 sq. ; cf. Enc. Mirse caritatis, maii 1902, Acta Leonis, vol. XXII, 1903, p. 116.
49 S. Albertus M., De Eucharistia, dist. VI, tr. 1 ?. I, Opera Omnia, ed. Borgnet, XXXVIII, Parisiis, 1890, p. 358.
50 Enc. Tametsi, Acta Leonis, vol. XX, 1900, p. 303.


74 Et afin que ce culte envers l'auguste coeur de Jésus entraîne de plus grands avantages pour la famille chrétienne et pour le genre humain tout entier, les fidèles auront soin d'y associer étroitement celui du Coeur Immaculé de Marie. Dieu a voulu, en effet, que dans l'oeuvre de la Rédemption des hommes, la Très Sainte Vierge fût indissolublement unie au Christ, de sorte que le salut nous vînt de la charité et des souffrances de Jésus-Christ, intimement associées à l'amour et aux douleurs de sa Mère : il convient donc que le peuple chrétien, qui a reçu la vie divine du Christ par Marie, après avoir rendu au Sacré-Coeur de Jésus les hommages qui lui sont dus, offre au Coeur très aimant de la Mère céleste les témoignages conjoints de sa piété, de son amour, les élans d'un coeur disposé à la reconnaissance et à la réparation. A ce très sage et très doux dessein de la divine Providence s'accorde parfaitement l'acte de consécration par lequel Nous avons Nous-même solennellement dédié la sainte Eglise et le monde entier au Coeur Immaculé de la bienheureuse Vierge 51.



d) Le Saint-Père termine en exhortant les fidèles à célébrer avec ferveur le centenaire de la fête du Sacré-Coeur :

75 Il y aura un siècle cette année, comme Nous le disions plus haut, qu'en vertu d'une décision de Notre prédécesseur d'heureuse mémoire Pie IX, la fête du Sacré-Coeur de Jésus est célébrée dans l'Eglise universelle. Nous désirons vivement, Vénérables Frères, que le peuple chrétien fête partout solennellement ce centenaire en rendant au divin coeur de Jésus des hommages publics d'adoration, d'action de grâces et d'expiation. Ces fêtes de la joie et de la piété chrétiennes se célébreront avec une ferveur particulière — en union de charité et de prière avec les fidèles du monde entier — dans la nation où Dieu voulut que naquît la Vierge consacrée qui fut l'animatrice et l'infatigable promotrice de ce culte.

76 En attendant, réconforté par une douce espérance et pressentant déjà les fruits spirituels abondants qu'apportera à l'Eglise le culte du Sacré-Coeur de Jésus — s'il est compris comme Nous l'avons expliqué, et activement mis en pratique — Nous adressons à Dieu Nos ferventes prières pour qu'il daigne seconder Nos voeux ardents du puissant secours de ses grâces : et qu'ainsi, par la faveur divine, les célébrations de cette année aient pour heureux effet de faire croître de jour en jour la dévotion des fidèles envers le Sacré-Coeur de Jésus et d'étendre plus largement sur la terre son très doux empire et son règne : règne « de vérité et de vie ; règne de sainteté et de grâce ; règne de justice, d'amour et de paix » 52.

51 Cf. A. A. S.,. XXXIV, 1942, p. 345 sq.
52 Ex. Miss. Rom. Proef. Jesu Christi Régis.


77 En gage de ces dons, Nous vous accordons de grand coeur, Vénérables Frères, tant à vous-mêmes qu'au clergé et au peuple confiés à vos soins, et particulièrement à ceux qui travaillent à faire progresser le culte du Sacré-Coeur, la Bénédiction apostolique.



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