Mystici corporis FR 89


IL — EXHORTATION A AIMER L'ÉGLISE

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Après avoir, Vénérables Frères, dans l'explication de ce mystère qui embrasse notre union mystérieuse avec le Christ, éclairé les esprits de la lumière de la vérité, comme Docteur de l'Eglise universelle, Nous croyons conforme à Notre charge pastorale de stimuler aussi les âmes à aimer ce Corps mystique d'une charité si ardente qu'elle se traduise non seulement en pensées et en paroles, mais aussi en oeuvres. Si, en effet, les fidèles de l'Ancienne Loi ont pu chanter ceci de leur cité terrestre : « Si jamais je t'oublie, Jérusalem, que ma main droite soit livrée à l'oubli ; que ma langue se dessèche dans ma gorge si je ne me souviens plus de toi, si je ne fais pas de Jérusalem la première de mes joies » (
Ps 136,5-6), avec combien plus de fierté et d'allégresse ne devons-nous pas exulter d'habiter une Cité bâtie de pierres vivantes et élues, sur la montagne sainte, « avec le Christ Jésus comme pierre d'angle suprême » (Ep 2,20 1P 2,4-5).

On ne peut rien concevoir, en effet, de plus glorieux, de plus noble, de plus honorable que d'appartenir à l'Eglise sainte, catholique, apostolique et romaine, par laquelle nous devenons les membres d'un Corps si saint, nous sommes 'dirigés par un Chef si sublime, nous sommes pénétrés par un seul Esprit divin ; enfin, nous sommes nourris, en ce terrestre exil, d'une seule doctrine et d'un seul Pain céleste jusqu'à ce que finalement nous allions prendre part à une seule et éternelle béatitude dans les cieux.

... d'un amour total

91 Mais afin de n'être pas trompé par l'ange de ténèbres transfiguré en ange de lumière (cf. 2Co 11,14), que ceci soit la suprême loi de notre amour : aimer l'Epouse du Christ telle que le Christ l'a voulue et l'a acquise de son sang. Il faut donc que nous soient très chers, non seulement les sacrements dont nous sommes nourris par cette pieuse Mère, non seulement les solennités où elle nous console et nous réjouit, les chants sacrés et les rites liturgiques par lesquels elle élève nos âmes vers les choses du ciel, mais encore les sacramentaux et tous ces différents exercices de piété par lesquels elle pénètre suavement de l'Esprit du Christ et console l'âme des fidèles. Nous avons le devoir non seulement de répondre, en bons fils, à son affection maternelle, mais aussi de révérer en elle l'autorité reçue du Christ qui assujettit nos intelligences à l'obéissance du Christ (cf. 2Co 10,5) ; nous devons enfin obéir à ses lois et à ses préceptes moraux parfois assez pénibles à notre nature déchue de l'innocence première ; de même, dompter notre corps rebelle par une pénitence volontaire ; bien plus, il nous est recommandé de nous interdire parfois des plaisirs qui n'ont par ailleurs rien de coupable. Et il ne suffit pas d'aimer ce Corps mystique en raison du Chef divin et des célestes privilèges qui en font la gloire ; il faut l'aimer également, d'une ardeur efficace, tel qu'il se manifeste dans notre chair mortelle, constitué comme il l'est d'éléments humains et débiles, même si parfois ceux-ci sont indignes de la place qu'ils occupent dans ce Corps vénérable.

... qui nous fasse voir le Christ dans l'Eglise

92 Or, pour que cet amour entier et total réside en nos âmes et croisse de jour en jour, nous devons nous accoutumer à voir dans l'Eglise le Christ en personne. C'est le Christ, en effet, qui vit dans son Eglise, c'est lui qui par elle enseigne, gouverne et communique la sainteté ; c'est le Christ aussi qui se manifeste de façon diverse dans les divers membres de sa société. Dès lors donc que les chrétiens s'efforceront de vivre réellement de ce vivant esprit de foi, non seulement ils accorderont l'honneur et la soumission qui leur sont dus aux membres les plus élevés de ce Corps mystique, à ceux-là notamment qui par ordre du Chef divin auront un jour à rendre compte de nos âmes (cf. He 13,17), mais ils affectionneront aussi ceux pour lesquels notre Sauveur a éprouvé un amour très particulier : nous voulons dire les infirmes, les blessés, les malades, qui réclament des soins matériels ou spirituels ; les enfants dont l'innocence se trouve aujourd'hui si facilement en péril et dont l'âme délicate se modèle comme la cire ; les pauvres, enfin, en qui l'on doit, tandis qu'on les secourt, reconnaître avec une souveraine pitié la personne même de Jésus-Christ.

93 En effet, l'Apôtre a bien raison de nous en avertir : « Bien plutôt, les membres du corps qui paraissent les plus faibles sont les plus nécessaires, et ceux que nous tenons pour les moins honorables du corps sont ceux que nous entourons de plus de précautions » (1Co 12,22-23). Affirmation très grave que présentement, conscient de l'obligation impérieuse qui Nous incombe, Nous estimons devoir répéter, tandis qu'avec une profonde affliction Nous voyons les êtres difformes, déments ou affectés de maladies héréditaires, comme un fardeau importun pour la société, privés parfois de la vie ; et cette conduite est exaltée par certains comme s'il s'agissait d'une nouvelle invention du progrès humain, tout à fait conforme à l'utilité générale. Or, quel homme de coeur ne comprend pas qu'elle s'oppose violemment non seulement à la loi naturelle et divine61 inscrite au coeur de tous, mais aussi au sentiment de tout homme civilisé ? Le sang de ces êtres, plus chers à notre Rédempteur précisément parce qu'ils sont dignes de plus de commisération, « crie de la terre vers Dieu » (cf. Gen. Gn 4,10).

61 Cf. Décret Saint-Office, 2 dic. 1940 ; A. A. S., 1940, p. 553. Ce décret du Saint-Office dit qu'il est contraire au droit naturel et au droit divin positif de tuer, par ordre de l'autorité publique, les personnes innocentes de tout crime, mais qui sont malades moralement ou physiquement, et de ce chef, inutiles et à charge à la nation. C'est le nazisme allemand qui soutenait et appliquait la doctrine contraire. Voir Documents Pontificaux 1940, p. 394.

Imitons l'amour du Christ envers l'Eglise

94 Mais pour que ne s'affaiblisse point peu à peu cet amour sincère par lequel nous devons discerner notre Sauveur dans l'Eglise et ses membres, il est très opportun de considérer Jésus lui-même comme modèle suprême d'amour envers l'Eglise.

a) Amour universel.

95 Et d'abord imitons l'immensité de cet amour. Unique est assurément l'Epouse du Christ, l'Eglise ; cependant, l'amour du divin Epoux s'étend si largement que, sans exclure personne, il embrasse dans son Epouse le genre humain tout entier. Si notre Sauveur a répandu son sang, c'est afin de réconcilier avec Dieu sur la croix tous les hommes, fussent-ils séparés par la nation et le sang, et de les faire s'unir en un seul Corps. Le véritable amour de l'Eglise exige donc non seulement que nous soyons dans le Corps lui-même membres les uns des autres, pleins de mutuelle sollicitude (cf. Rom. Rm 12,5 1Co 12,25), membres qui doivent se réjouir quand un autre membre est à l'honneur et souffrir avec lui quand il souffre (cf. 1Co 12,26) ; mais il exige aussi que dans les autres hommes non encore unis avec nous dans le Corps de l'Eglise nous sachions reconnaître des frères du Christ selon la chair, appelés avec nous au même salut éternel. Sans doute, il ne manque pas de gens, hélas ! aujourd'hui surtout, qui vantent orgueilleusement la lutte, la haine et la jalousie comme moyens de soulever, d'exalter la dignité et la force de l'homme. Mais nous, qui discernons avec douleur les fruits lamentables de cette doctrine, suivons notre Roi pacifique, qui nous a enseigné non seulement à aimer ceux qui n'appartiennent pas à la même nation ou à la même origine (cf. Luc, Lc 10,33-37), mais à chérir nos ennemis eux-mêmes (cf. Luc, Lc 6,27-35 Mt 5,44-48). L'âme pénétrée de la suave doctrine de l'Apôtre des nations, célébrons avec lui la longueur, la largeur, la hauteur et la profondeur de l'amour du Christ (cf. Ep 3,18) ; amour que la diversité de peuples ou de moeurs ne peut briser, que l'immense étendue de l'océan ne peut diminuer, que les guerres, enfin, entreprises pour une cause juste ou injuste, ne peuvent désagréger.

96 En cette heure si grave, Vénérables Frères, où tant de douleurs déchirent les corps et tant de tristesses les âmes, il nous faut tous nous hausser à cet amour surnaturel afin que, les forces de tous les gens de bien une fois associées — et nous songeons spécialement à ceux qui travaillent dans les sociétés de secours de tout genre — l'on subvienne à de si grandes nécessités spirituelles et matérielles dans une admirable émulation d'affection et de miséricorde ; c'est ainsi que la libéralité généreuse et l'inépuisable fécondité du Corps mystique de Jésus-Christ resplendiront dans le monde entier.


b) Amour empressé.

97 Mais puisque à l'ampleur de l'amour dont le Christ a chéri l'Eglise répond la constance active de ce même amour, aimons, nous aussi, de la même volonté persévérante et empressée, le Corps mystique du Christ. Or, il n'est aucun moment dans la vie de notre Rédempteur où il n'ait travaillé jusqu'à s'épuiser de fatigue, encore qu'il fût le Fils de Dieu, pour fonder son Eglise et l'affermir : depuis son Incarnation, alors qu'il jetait les premières bases de l'Eglise, jusqu'au terme de sa course mortelle, par les exemples les plus resplendissants de sa sainteté, par sa prédication, ses conversations, ses appels, ses institutions. Nous désirons donc que tous ceux qui reconnaissent l'Eglise pour mère considèrent attentivement que non seulement les ministres des autels et ceux-là qui se sont consacrés au service de Dieu dans la vie religieuse, mais tous les autres membres du Corps mystique de Jésus-Christ, chacun pour sa part, ont le devoir de travailler avec énergie et diligence à l'édification et à l'accroissement de ce Corps. Nous souhaitons voir y prêter une attention particulière — ce que d'ailleurs ils font de manière louable — ceux qui, militant dans les rangs de l'Action catholique, collaborent avec les évêques et les prêtres dans l'apostolat ; et ceux-là aussi qui dans de pieuses associations apportent leur aide à la même fin. Qui ne voit, en effet, que l'industrieuse activité de tous ces chrétiens dans les circonstances présentes est du plus haut intérêt et de la plus grande importance ?

c) Amour qui prie.

98 Nous ne saurions non plus passer ici sous silence les pères et mères de famille à qui notre Sauveur a confié les membres les plus tendres de son Corps mystique ; Nous les pressons instamment pour l'amour du Christ et de l'Eglise de veiller avec le soin le plus diligent sur les enfants qui leur sont remis en dépôt et de les mettre en garde contre les embûches de tout genre dans lesquelles il est aujourd'hui si facile de tomber.

99 Notre Rédempteur a manifesté l'amour brûlant qu'il portait à son Eglise spécialement par les pieuses supplications qu'il adressa pour elle à son Père céleste. Tout le monde sait, Vénérables Frères — et Nous Nous contentons de le rappeler — que, peu avant de subir le supplice de la croix il adressa les prières les plus ardentes pour Pierre (cf. Lc 22,32), pour les autres apôtres (cf. Jn 17,9-19), pour tous ceux, enfin, qui devaient croire en lui grâce à la prédication de la parole de Dieu (cf. Jn 17,20-23). Nous aussi, à l'exemple du Christ, supplions chaque jour le Seigneur de la moisson d'envoyer des ouvriers dans son champ (cf. Mt 9,38 Lc 10,2) ; chaque jour, notre commune supplication doit s'élever vers le ciel et recommander tous les membres du Corps mystique : d'abord les évêques auxquels est confié le soin particulier de chaque diocèse ; ensuite les prêtres, les religieux et religieuses qui, appelés au service de Dieu dans leur propre pays ou dans les terres païennes, défendent, accroissent, dilatent le royaume du divin Rédempteur. Que cette commune supplication n'oublie aucun membre de ce Corps vénérable ; qu'elle se souvienne spécialement de ceux qu'accablent les douleurs et les angoisses de ce séjour terrestre ou que purifie après leur mort le feu expiatoire. Qu'elle n'omette point non plus ceux qui s'initient à la doctrine chrétienne afin qu'au plus tôt ils puissent être sanctifiés par l'eau du baptême.

Pour les membres de l'Eglise.

100 Et Nous désirons instamment que ces prières communes visent aussi dans un ardent amour ceux qui ne seraient pas encore éclairés de la vérité de l'Evangile ni entrés dans le bercail de l'Eglise, ou qui, pour avoir malheureusement brisé l'unité de la foi, se trouvent séparés de Nous, qui malgré Notre indignité représentons ici-bas la personne de Jésus-Christ. Aussi répétons-Nous la divine prière de notre Sauveur à son Père céleste : « Qu'ils soient un, comme toi, mon Père, tu es en moi et moi en toi, afin qu'eux aussi soient un en nous ; pour que le monde croie que tu m'as envoyé » (Jn 17,21).


Pour ceux qui ne sont pas encore ses membres.

101 Pour ceux-là mêmes qui n'appartiennent pas à l'organisme visible de l'Eglise, vous savez bien, Vénérables Frères, que, dès le début de Notre pontificat Nous les avons confiés à la protection et à la conduite du Seigneur, affirmant solennellement qu'à l'exemple du Bon Pasteur Nous n'avions qu'un seul désir : qu'ils aient la vie et qu'ils l'aient en abondance (cf. Jn 10,10) 62. Cette assurance solennelle Nous désirons la renouveler, après avoir imploré les prières de toute l'Eglise dans cette lettre encyclique où Nous avons célébré la louange du « grand et glorieux Corps du Christ » 63, les invitant tous et chacun de toute Notre affection à céder librement et de bon coeur aux impulsions intimes de la grâce divine et à s'efforcer de sortir d'un état où nul ne peut être sûr de son salut éternel 64 ; car, même si par un certain désir et souhait inconscient ils se trouvent ordonnés au Corps mystique du Rédempteur, ils sont privés de tant et de si grands secours et faveurs célestes, dont on ne peut jouir que dans l'Eglise catholique. Qu'ils entrent donc dans l'unité catholique et que, réunis avec Nous dans le seul organisme du Corps de Jésus-Christ, ils accourent tous vers le Chef unique en une très glorieuse société d'amour 65. Sans jamais interrompre Nos prières à l'Esprit d'amour et de vérité, Nous les attendons les bras grands ouverts, comme des hommes qui se présentent à la porte, non d'une maison étrangère, mais de leur propre maison paternelle.

62 Cf. Pie XII Encycl. Summi Pontificatus du 20 octobre 1939 ; A. A. S., 1939, p. 419, Documents Pontificaux 1939, p. 271.
63 S. Irénée, Adv. Haer., 4, XXXIII, 7 ; Migne, P. C, 7, 1076.
64 Cf. Bx. Pie IX, Iam vos omnes, 13 septembre 1868 ; Actes Concile du Vatican ; C. L., 7, 10.
65 Cf. S. Gélase Ier, Epist. XIV ; Migne, P. L., L1X, 89.

102 Mais si Nous désirons que monte vers Dieu la commune supplication de tout le Corps mystique afin que toutes les brebis errantes rejoignent au plus tôt l'unique bercail de Jésus-Christ, Nous déclarons pourtant qu'il est absolument nécessaire que cela se fasse librement et de plein gré, puisque personne ne croit sans le vouloir 66. C'est pourquoi, s'il en est qui, sans croire, sont en réalité contraints à entrer dans l'édifice de l'Eglise, à s'approcher de l'autel et à recevoir les sacrements, ceux-là, sans aucun doute, ne deviennent pas de vrais chrétiens 67 ; car la foi « sans laquelle on ne peut plaire à Dieu » (He 11,6) doit être un « libre hommage de l'intelligence et de la volonté » 68. Si donc il arrive parfois que, contrairement à la doctrine constante du Siège apostolique 69, quelqu'un soit amené malgré lui à embrasser la foi catholique, Nous ne pouvons Nous empêcher, conscient de Notre devoir, de réprouver un tel procédé. Car, étant donné que les hommes jouissent d'une volonté libre et peuvent, sous l'impulsion des passions et des convoitises mauvaises abuser de leur liberté, il est nécessaire que le Père des lumières, par l'Esprit de son Fils bien-aimé, les attire efficacement à la vérité. Que si beaucoup, hélas ! errent encore loin de la vérité catholique et ne veulent pas céder au souffle de la grâce divine, la raison en est que non seulement eux-mêmes70, mais les chrétiens également, n'adressent pas à Dieu à cette fin des prières plus ferventes. Nous exhortons donc instamment tous ceux qui brûlent d'amour pour l'Eglise à s'y appliquer sans cesse, à l'exemple du divin Rédempteur.

66 Cf. S. Augustin, In loan. Ev. tract. XXVI, 2 ; Migne, P. L., 30, 1607.
67 S. Augustin, ibid.
68 Concile du Vatican, Const. de fide cath., sess. III, c. III. DS 1790.
69 Cf. Léon XIII, Lettre encyclique Immortale Dei, du 1" novembre 1885 ; A. S. S., vol. XVIII, pp. 174-175. Code Droit Can., c. CIS 1351.
70 Cf. S. Augustin, In loan. Ev. tract. XXVI, 2 ; Migne, P. L., 30, 1607.


Pour les chefs.

103 Bien plus, surtout dans les conjonctures présentes, il semble non seulement opportun, mais nécessaire, d'adresser à Dieu des prières ardentes pour les rois et les princes et pour tous ceux qui, préposés au gouvernement des peuples, peuvent aider l'Eglise en lui accordant la protection extérieure, afin que tout rentrant dans l'ordre, «la paix oeuvre de la justice» (Is 32,17), au souffle de l'amour divin, surgisse pour le genre humain fatigué des flots affreux de cette tempête, et que notre Mère la sainte Eglise puisse mener une vie paisible et tranquille en toute piété et honnêteté (cf. 1Tm 2,2). Il faut demander à Dieu que tous ceux qui commandent aux peuples aiment la sagesse (cf. Sg 6,23), de telle façon que ce grave verdict du Saint-Esprit ne les atteigne jamais : « Le Très-Haut examinera vos coeurs et sondera vos pensées, parce que, étant les ministres de sa royauté, vous n'avez pas jugé avec droiture, ni observé la loi de la justice ni marché selon la volonté de Dieu. D'une façon terrible et soudaine vous comprendrez qu'un jugement très sévère s'exercera sur ceux qui commandent. Car aux petits on pardonne par pitié, mais les puissants sont puissamment châtiés. Dieu, en effet, ne cédera devant personne et ne respectera nulle grandeur, parce qu'il a créé lui-même le petit et le grand et prend également soin de tous ; mais aux plus puissants est réservé un tourment plus rigoureux. C'est donc à vous, ô rois, que s'adressent mes discours, afin que vous appreniez la sagesse et ne veniez à tomber » (Sg 6,4-10).


d) Amour qui souffre et qui répare.

104 Mais ce n'est pas seulement par son travail incessant et sa prière constante que le Christ Notre-Seigneur a manifesté son amour envers son Epouse immaculée, c'est aussi par les douleurs et les angoisses qu'il voulut de plein gré et amoureusement endurer pour elle. « Comme il avait aimé les siens... Il les aima jusqu'à la fin » (Jn 13,1). Et il ne s'est acquis l'Eglise que par son propre sang -(cf. Ac 20,28). Acceptons donc de marcher sur les traces sanglantes de notre Roi, comme le réclame la sécurité de notre salut : « Si, en effet, nous lui avons été unis pour croître avec lui en reproduisant sa mort, nous le serons aussi pour reproduire sa résurrection » (Rm 6,5), et « si nous sommes morts avec lui, nous vivrons avec lui » (2Tm 2,11). C'est ce que requiert également la véritable et active charité envers l'Eglise comme envers les âmes qu'elle enfante au Christ. En effet, quoique notre Sauveur, par ses cruels tourments et sa mort douloureuse, ait mérité à son Eglise un trésor de grâces absolument infini, cependant par un dessein de la Providence divine, ces grâces ne nous sont communiquées que par degrés, et leur abondance plus ou moins grande dépend largement de nos bonnes actions, qui obtiennent spontanément de Dieu pour les hommes la rosée des faveurs célestes. Or, cette pluie de grâces célestes sera certainement très abondante si non contents d'offrir à Dieu d'ardentes prières, notamment en participant pieusement, même chaque jour s'il est possible, au Sacrifice eucharistique, non contents de nous efforcer par les devoirs de la charité chrétienne de soulager les infortunes de tant d'indigents, nous préférons aux intérêts passagers du monde les biens impérissables, si nous maîtrisons ce corps mortel par la pénitence volontaire en lui refusant les plaisirs défendus, en le traitant même avec sévérité et austérité ; si, enfin, nous acceptons humblement comme de la main de Dieu les travaux et souffrances de la vie présente. Ainsi, selon l'Apôtre, « nous com-pléterons ce qui manque à la passion du Christ dans notre chair pour son Corps qui est l'Eglise » (cf. Col 1,24).

105 Tandis que Nous écrivons, Nous avons sous les yeux la multitude, hélas ! presque infinie des malheureux, sur qui Nous pleurons douloureusement : les infirmes, les pauvres, les mutilés, et tant de gens qu'à cause de leurs propres souffrances ou de celles des leurs il n'est pas rare de voir s'épuiser jusqu'à mourir. Nous invitons donc paternellement tous ceux qui pour quelque motif que ce soit se trouvent dans la tristesse et l'angoisse à regarder le ciel avec confiance et à offrir leurs peines à Celui qui un jour 'leur accordera en retour une abondante récompense. Que tous se souviennent que leur souffrance n'est point vaine, mais qu'elle leur sera très avantageuse à eux-mêmes et à l'Eglise si, les regards tournés vers le but, ils la supportent avec patience. A réaliser efficacement ce dessein concourt très particulièrement l'offrande quotidienne de soi-même à Dieu telle que la pratiquent les membres de la pieuse association appelée Apostolat de la Prière, association que Nous avons à coeur de recommander spécialement ici comme très agréable à Dieu.

106 Si à toute époque nous devons associer nos souffrances à celles du divin Rédempteur pour procurer le salut des âmes, que tous aujourd'hui plus que jamais s'en fassent un devoir, tandis que la gigantesque conflagration de la guerre embrase la terre presque entière et engendre tant de morts, tant de misères, tant de détresses ; que tous aujourd'hui se fassent un devoir de renoncer aux vices, aux séductions du monde, aux plaisirs effrénés du corps, ainsi qu'à la vanité et à la futilité des biens de la terre qui ne servent de rien pour la formation chrétienne de l'esprit, de rien pour la conquête du ciel. Nous devons bien plutôt graver en nos intelligences les paroles si autorisées de Notre immortel prédécesseur Léon le Grand quand il affirmait que par le baptême nous étions devenus la chair du Crucifié 71 et la splendide prière de saint Ambroise : « Porte-moi, ô Christ, sur la croix qui est le salut des égarés, en laquelle seule se trouvent le repos de ceux qui sont fatigués et la vie de ceux qui meurent » 72.

71 Cf. S. LÉON LE GRAND, Serm. LXIII, 6 ; LXVI, 3 ; Migne, P. L., LIV, 357 et 366.
72 S. AMBROISE, In Ps. CXVIII, 22, 30 ; Migne, P. L., 15, 1521.

107 Avant de terminer, Nous ne pouvons Nous retenir d'exhorter à nouveau tous les chrétiens à chérir leur Mère la sainte Eglise d'un amour empressé et actif. Pour sa sécurité et son développement de plus en plus heureux, offrons chaque jour au Père éternel nos prières, nos travaux et nos angoisses, si vraiment nous avons à coeur le salut de l'universelle famille humaine rachetée par le sang divin. Et tandis que le ciel s'assombrit de nuages chargés d'éclairs et que de grands périls menacent la communauté humaine tout entière et l'Eglise elle-même, confions-nous, ainsi que tous nos intérêts, au Père des miséricordes en lui adressant cette prière : « Abaissez vos regards, nous vous en prions, Seigneur, sur votre famille pour laquelle Notre-Seigneur Jésus-Christ n'a pas hésité à se livrer aux mains des impies et à subir le supplice de la croix » 73.

73 Office de la semaine sainte.



ÉPILOGUE

LA BIENHEUREUSE VIERGE MARIE, MÈRE DES MEMBRES DU CHRIST

108 Puisse la Vierge, Mère de Dieu, Vénérables Frères, réaliser Nos voeux, qui sont assurément aussi les vôtres et nous obtenir à tous le véritable amour envers l'Eglise ! Puisse nous exaucer la Vierge Mère dont l'âme très sainte fut, plus que toutes les autres créatures de Dieu réunies, remplie du divin Esprit de Jésus-Christ ; elle qui accepta « à la place de la nature humaine tout entière » qu'« un mariage spirituel unît le Fils de Dieu et la nature humaine » 74. Ce fut elle qui, par un enfantement admirable, donna le jour au Christ Notre-Seigneur, source de toute vie céleste et déjà revêtu en son sein virginal de la dignité de Chef de l'Eglise ; ce fut elle qui le présenta nouveau-né aux premiers d'entre les Juifs et les païens qui étaient venus l'adorer comme Prophète, Roi et Prêtre. En outre, son Fils unique, cédant à ses maternelles prières, à Cana de Galilée, opéra le miracle merveilleux par lequel « ses disciples crurent en lui » (Jn 2,11). Ce fut elle qui, exempte de toute faute personnelle ou héréditaire, toujours très étroitement unie à son Fils, le présenta sur le Golgotha au Père éternel, en y joignant l'holocauste de ses droits et de son amour de mère, comme une nouvelle Eve, pour tous les fils d'Adam qui portent la souillure du péché originel ; ainsi Celle qui corporellement était la Mère de notre Chef devint spirituellement la Mère de tous ses membres, par un nouveau titre de souffrance et de gloire. Ce fut elle qui obtint par ses prières très puissantes que l'Esprit du divin Rédempteur, déjà donné sur la croix, fût communiqué le jour de la Pentecôte en dons miraculeux à l'Eglise qui venait de naître. Ce fut elle enfin, qui, en supportant ses immenses douleurs d'une âme pleine de force et de confiance, plus que tous les chrétiens, vraie Reine des martyrs, « compléta ce qui manquait aux souffrances du Christ... pour son Corps qui est l'Eglise » (Col 1,24) ; elle qui entoura le Corps mystique du Christ, né du Coeur percé de notre Sauveur75, de la même vigilance maternelle et du même amour empressé avec lesquels elle avait réchauffé et nourri de son lait l'Enfant Jésus de la crèche.

74 S. Thomas, III 30,1.
75 Office de la fête du Sacré-Coeur, hymne des Vêpres.

109 Supplions donc la très Sainte Mère de tous les membres du Christ 76, au Coeur immaculé de laquelle Nous avons consacré avec confiance tous les hommes et qui maintenant au ciel resplendit dans la gloire de son corps et de son âme et règne avec son Fils, de multiplier ses instances auprès de lui pour que les plus abondants ruisseaux de grâces découlent sans interruption de la Tête dans tous les membres du Corps mystique et que son patronage très efficace protège l'Eglise aujourd'hui comme jadis et lui obtienne enfin de Dieu ainsi qu'à l'universelle communauté humaine des temps plus tranquilles.

110 Forts de cet espoir d'en haut, comme gage des grâces célestes et témoignage de Notre particulière bienveillance, Nous accordons de tout Notre coeur, à chacun d'entre vous, Vénérables Frères, et aux troupeaux confiés à vos soins, la Bénédiction apostolique.

76 Cf. Saint Pie X, Ad diem illum, du 2 février 1904 ; A. S. S., vol. XXXVI, p. 453.

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