Sacra virginitas FR







ENCYCLIQUE SACRA VIRGINITAS

(25 mars 1954) 1






En un temps où, sous mille formes, la chasteté est attaquée, le Souverain Pontife estime devoir exalter cette vertu, dans un document solennel.

1 La sainte virginité, et cette parfaite chasteté 2 qui est consacrée au service de Dieu, sont, sans aucun doute, un des plus précieux trésors que son Fondateur a laissés comme héritage à la société qu'il a établie, l'Eglise.


La virginité intégrale et perpétuelle est propre au christianisme.

2 C'est assurément pourquoi les saints Pères ont souligné que la virginité perpétuelle est un don supérieur d'origine essentiellement chrétienne. Et c'est à bon droit qu'ils remarquent que, si les païens de l'antiquité demandaient aux vestales un tel genre de vie, ils ne l'imposaient que pour un certain temps1 ; et lorsque dans l'Ancien Testament on prescrivait de garder et de pratiquer la virginité, on l'ordonnait seulement comme une condition préliminaire au mariage (cf. Ex 22,16-17 Dt 22,23-29 Si 42,9) ; et par ailleurs — comme l'écrit saint Ambroise 2— « nous lisons qu'il y avait aussi des vierges au Temple de Jérusalem. Mais que dit l'Apôtre ? « Toutes ces choses leur sont arrivées en figure » (1Co 10,11) pour présagei les temps futurs ».

(1) Cf. S. Ambroise, De virginibus, lib. I, c. 4, n.15; De virginitate, c. 3, n.13; PL 16, 269.
(2) S. Ambroise, De virginibus, lib. I, c. 3, n.12; PL 16,192.

La virginité fleurit dès les origines de l'Eglise.

3 Et certainement depuis les temps apostoliques, cette vertu s'est développée et a fleuri dans le jardin de l'Eglise. Lorsque, dans les Actes des Apôtres (Ac 21,9) il est écrit que les quatre filles du diacre Philippe étaient vierges, c'est pour signifier assurément leur état de vie plus que leur jeunesse. Et, peu de temps après, Ignace d'Antioche, en saluant les vierges, rappelle 3 qu'elles constituaient déjà, avec les veuves, un élément important de la communauté de Smyrne. Au IIe siècle — comme en témoigne saint Justin ¦— « beaucoup des deux sexes, à l'âge de soixante et septante ans, persévèrent sans tache, formés depuis leur enfance à la discipline du Christ » 4. Peu à peu s'accrut le nombre des hommes et des femmes qui vouaient leur virginité à Dieu ; et de la même façon, l'importance de l'office dont ils s'acquittaient dans l'Eglise s'accentua grandement, comme Nous l'avons amplement exposé dans Notre Constitution apostolique Sponsa Christi5.

(3) Cf. S. Ignace d'Antioche, Ep. ad Smyrn., c.13; ed. Funk-Diekamp, Patres Apostolici, vol. I, p. 286.
(4) S. Justin., Apol. I, pro christ., c. l5 PG 6, 349.
(5) Const. Apost. Sponsa Christi; AAS 43(1951), pp. 5-8.

La virginité est exaltée par les Pères de l'Eglise.

4 Et, d'autre part, les saints Pères — comme Cyprien, Athanase, Ambroise, Jean Chrysostome, Jérôme, Augustin et bien d'autres — l'ont exaltée dans leurs écrits sur la virginité, avec les plus grandes louanges. Cette doctrine des saints Pères, enrichie au cours des siècles par les Docteurs de l'Eglise et les maîtres de l'ascèse chrétienne, a certainement une grande influence pour susciter et affermir la résolution une fois prise, de se vouer à Dieu dans la chasteté parfaite et d'y persévérer jusqu'à la mort.


De fait de très nombreux chrétiens ont vécu dans la virginité et la chasteté.

5 La multitude des fidèles qui, depuis le début de l'Eglise jusqu'à nos jours, ont consacré à Dieu leur chasteté, est incalculable : les uns en gardant intacte leur virginité ; d'autres en lui vouant, à la mort du conjoint, leur veuvage, d'autres, enfin, en regrettant leurs péchés par le choix d'une vie parfaitement chaste ; mais tous se distinguent par cette résolution commune de s'abstenir, pour Dieu, des plaisirs de la chair, et cela pour toujours. Que, par conséquent, ce que les saints Pères ont proclamé touchant le mérite et la gloire de la virginité, soit pour tous ceux-là une invitation, une aide et une force pour persévérer fermement dans l'offrande de leur sacrifice, à savoir de ne rien soustraire, si peu que ce soit, ni rien se réserver de l'holocauste qu'ils ont offert sur l'autel de Dieu.


Religieux, prêtres et laïcs observent ces vertus.

6 Mais si un des trois voeux qui constituent l'état religieux repose sur cette chasteté parfaite 6 et si elle est demandée aux clercs de l'Eglise latine ordonnés dans les Ordres majeurs 7, et si on l'exige des membres des instituts séculiers 8 cette vertu est également florissante chez de nombreux fidèles qui restent à l'état purement laïc ; car il y a des hommes et des femmes qui ne sont pas dans l'état public de perfection et qui cependant renoncent totalement au mariage et aux plaisirs de la chair de propos délibéré et même par voeu privé, afin de servir plus librement le prochain et d'unir leur âme à Dieu plus facilement et d'une manière plus intime.

(6) Cf. Code du droit canon,
CIS 487 ; ce canon dit : « L'état religieux, ou mode stable de vie en commun, par lequel les fidèles en plus des commandements communs
(7) Cf. CIC cân. CIS 132 § 1.
(8) Cf. Const. apost. Provida Mater, art. III, § 2; AAS 39( 1947), p.121.


Ces âmes privilégiées sont louées par le Souverain Pontife.

7 A chacun et à tous ces fils et filles très chers qui ont consacré leur corps et leur âme à Dieu, de quelque façon que ce soit, Nous Nous adressons d'un coeur paternel, et Nous les exhortons vivement à affermir la résolution qu'ils ont prise et à vouloir y rester fidèles avec soin.


Toutefois aujourd'hui des erreurs, des exagérations se faisant jour sur ce point, il est bon de préciser à nouveau la pensée de l'Eglise sur ce sujet.

8 Mais, parce qu'il y en a aujourd'hui un bon nombre qui, s'écartant de la voie droite sur ce point, exaltent tellement le mariage au point de le préférer même à la virginité, et déprécient à cause de cela la chasteté consacrée à Dieu et le célibat ecclésiastique, conscient des exigences de Notre charge apostolique, Nous devons proclamer et défendre, surtout à présent, l'excellence du don de la virginité, pour garder de ces erreurs la vérité catholique.


La doctrine de l'Eglise sur la virginité a été formulée par le Christ.

9 Tout d'abord, Nous pensons devoir rappeler que l'Eglise a reçu des lèvres mêmes de son divin Epoux l'essentiel de sa doctrine touchant la virginité.

10 Comme, en effet, les disciples trouvaient trop lourds les liens et les difficultés du mariage que leur Maître leur avait exposés dans son discours et comme ils lui disaient : « Si telle est la situation de l'homme à l'égard de la femme, mieux vaut ne pas se marier » (Mt 19,10), Jésus-Christ leur répondit que tous ne comprenaient pas cette parole, mais seulement ceux qui en avaient le don ; que certains étaient empêchés de se marier par un défaut naturel, d'autres par la violence et la malice des hommes, mais que d'autres s'en abstenaient spontanément, de leur propre volonté et le faisaient « pour le règne des cieux » ; et il conclut par ces paroles : « Comprenne qui peut comprendre. » (Mt 19,11-12)

11 Par ce mot donc, le divin Maître ne faisait pas allusion aux empêchements physiques de contracter mariage, mais à la résolution spirituelle d'une libre volonté de s'abstenir pour toujours du mariage et des plaisirs du corps. En faisant cette comparaison entre ceux qui ont décrété spontanément ce renoncement et ceux qui, du fait de la nature ou de la violence des hommes, sont forcés d'y renoncer, le divin Rédempteur ne nous enseigne-t-il pas qu'en vérité la chasteté, pour être réellement parfaite, doit être perpétuelle ?


La virginité est avant tout don total de soi à Dieu.

12 De plus — comme l'ont enseigné très clairement les saints Pères et Docteurs de l'Eglise, — la virginité ne peut être une vertu chrétienne si nous ne l'embrassons pas « pour le règne des cieux » (Mt 19,12); c'est-à-dire si nous ne prenons pas cette condition de vie pour pouvoir plus facilement nous appliquer aux choses divines ; pour arriver plus sûrement un jour à la béatitude éternelle ; pour pouvoir enfin, plus librement, conduire les autres aussi au règne des cieux en nous y appliquant avec soin.


Les autres motifs pour rester chastes ne sont pas valables pour revendiquer le titre de vierge.

13 Ils ne peuvent donc revendiquer l'honneur de la virginité chrétienne, ces chrétiens ou chrétiennes qui renoncent au mariage par égoïsme démesuré ou pour en fuir les charges, comme l'observe saint Augustin 9, ou même à la manière des pharisiens, pour faire orgueilleusement parade de leur intégrité corporelle, ce que déjà le Concile de Gangres réprouvait, condamnant ceux qui, vierges ou continents, s'abstenaient du mariage comme d'une abomination et non pour la beauté et la sainteté même de la virginité 10.

(9) S. Augustin., De sancta virginitate, c. 22; PL 40, 407.
(10) Cf. can. 9; Mansi, Coll. concil., II,1096.


La tradition est unanime pour affirmer que la virginité est essentiellement la consécration du corps et de l'esprit à Dieu.

14 Et c'est pourquoi l'Apôtre des nations, inspiré de l'Es-prit-Saint, nous avertit : « L'homme qui n'est pas marié a souci des affaires du Seigneur, des moyens de plaire au Seigneur... Et la femme sans mari, comme la vierge, pense aux choses du Seigneur, pour être sainte de corps et d'esprit. » (1Co 7,32 1Co 7,34) Telle est donc la première intention, telle est la principale raison de la virginité chrétienne ; à savoir d'aspirer uniquement et de diriger son esprit et son coeur vers les choses divines ; de vouloir plaire à Dieu en toutes choses ; de penser à lui intensément et de lui consacrer totalement son esprit et son corps.

15 Les saints Pères ont toujours interprété de cette façon la parole de Jésus-Christ et la doctrine de l'Apôtre des nations ; depuis les premiers temps de l'Eglise, en effet, ils ont tenu la virginité pour l'offrande à Dieu de la consécration du corps et de l'esprit. Aussi saint Cyprien demande aux vierges « que s'étant consacrées au Christ, elles s'abstiennent de tout plaisir charnel, qu'elles se vouent à Dieu de corps et d'esprit... qu'elles ne recherchent point de parure ni à plaire à qui que ce soit, si ce n'est à Dieu » 11. L'évêque d'FIippone, avec plus de précision, déclare : « Ce n'est pas pour elle-même, parce que c'est la virginité, mais parce qu'elle est consacrée à Dieu qu'on l'honore... Et nous ne la louons pas dans les vierges parce qu'elles sont vierges, mais parce qu'elles sont des vierges consacrées à Dieu par une pieuse continence 12. » Les princes de la sacrée théologie, saint Thomas d'Aquin13 et saint Bonaventure14, se basant sur l'autorité de saint Augustin, enseignent que la virginité ne possède pas la fermeté de la vertu, si elle ne vient pas d'un voeu de la garder perpétuellement sans tache. Et, en effet, ceux-là réalisent le mieux et le plus parfaitement la parole du Christ touchant la perpétuelle abstinence du mariage qui s'obligent par un voeu perpétuel à la garder ; et on ne peut justement prétendre que soit meilleure et plus parfaite l'intention de ceux qui voudraient se réserver la possibilité de se libérer de son obligation.

11 S. Cyprien, De habitu virginum, 4 ; P. L„ IV, 443.
12 S. Augustin, De sancta virginitate, ?. VIII, 11 ; P. L., 40, 400, 401.
13 S. Thomas, Sum. theol.,
II-II 152,3.
14 S. Bonaventure, De perfectione evangelica, q. III, a. 3. col. 5.


La virginité trouve sa source dans la charité.

16 Les saints Pères ont considéré ce lien de la chasteté parfaite comme une espèce de mariage spirituel par lequel l'âme s'unit au Christ ; et c'est pourquoi certains se sont avancés jusqu'à comparer à l'adultère la violation d'un voeu en cette matière 15. C'est pourquoi saint Athanase écrit que l'Eglise catholique a la coutume d'appeler épouses du Christ celles qui se distinguent par la vertu de virginité 16. Et saint Ambroise, en écrivant sobrement sur la virginité, a ce mot : « Est vierge celle qui épouse Dieu17. » Bien mieux, comme il ressort des écrits du même évêque de Milan 18 dès le IVe siècle, le rite de la consécration des vierges était fort semblable à celui qu'emploie l'Eglise dans la bénédiction du Mariage jusqu'en notre temps 19.

(15) Cf. S. Cypr., De habitu virginum, c. 20; PL 4, 459.
(16) Cf. S. Athanas., Apol. ad Constant., 33; PG 25, 640.
(17) S. Ambros., De virginibus, lib. I, c. 8; n. 52; PL 16, 202.
(18) Cf. Ib., lib. III, cc. l-3, nn. l-14; PL 16, 219-224, De institutione virginis, c.17, nn.104-114; PL 16, 333-336.
(19) Cf. Sacramentarium Leonianum XXX; PL 55,129; Pontificale Romanum, De benedictione et consecratione virginum.


17 C'est pourquoi les saints Pères exhortent les vierges pour qu'elles aiment leur divin époux avec plus d'ardeur qu elles n'aimeraient celui qui aurait été leur conjoint, et de suivre toujours sa volonté dans leurs pensées et leurs actions 20. Saint Augustin leur écrit même : « Aimez de tout votre coeur le plus beau des enfants des hommes : cela vous est loisible ; votre coeur est libre des liens conjugaux... Si donc vous devriez un grand amour à vos conjoints, combien plus devez-vous aimer Celui pour qui vous n'avez pas voulu avoir de conjoints ? Qu'il soit fixé dans votre coeur profondément Celui qui pour vous a été attaché à la croix. 21» Ce qui d'ailleurs correspond aux sentiments et résolutions que l'Eglise elle-même demande aux vierges, dans le rite de leur consécration à Dieu, quand elle les invite à prononcer ces paroles : « J'ai méprisé le règne de ce monde et tout le faste du siècle pour l'amour de Notre-Seigneur Jésus-Christ, que j'ai vu, que j'ai aimé, en qui j'ai cru, que j'ai préféré.22 » Il n'y a donc rien d'autre qui incline avec suavité la vierge à consacrer totalement son corps et son âme au divin Rédempteur, sinon l'amour de Dieu, selon les très belles paroles que saint Méthode, évêque d'Olympe, met sur ses lèvres : « O Christ, tu es tout pour moi. Je me garde chaste pour toi, et tenant ma lampe resplendissante, je cours au-devant de toi. 23 » C'est donc l'amour du Christ qui conseille à la vierge de se réfugier dans l'enceinte d'un monastère, et d'y demeurer toujours pour contempler et aimer plus librement et plus facilement son Epoux céleste; c'est cet amour qui la stimule puissamment à entreprendre les oeuvres de miséricorde en faveur du prochain de toutes ses forces jusqu'à la mort.

(20) Cf. S. Cypr., De habitu virginum, 4 e 22; PL 4, 443-444 e 462; S. Ambros., De virginibus, lib. I, c. 7, n. 37; PL 16,199.
21 S. Augustin, De sancta virginitate, c. LIV-LV ; P. t., 40, 428.
22 Pontificale Romanum : « De benedictione et consecratione virginum ».
23 S. Méthode d'Olympe, Convivium decem virginum, or. XI, c. II ; P. G., 18, 209.

18 Pour ces hommes « qui ne se sont pas souillés avec les femmes, car ils sont vierges » Ap 14,4, l'apôtre saint Jean assure : « Ceux-ci suivent l'Agneau partout où il va Ap 14,4.» Méditons donc cette exhortation que saint Augustin adresse à tous : « Suivez l'Agneau, parce que la vierge est assurément la chair de l'Agneau... A bon droit vous le suivez par la virginité du coeur et de la chair partout où il va. Qu'est-ce, en effet, que le suivre sinon l'imiter ? Car le Christ a souffert pour nous, nous laissant son exemple, comme dit l'apôtre Pierre, « pour que nous suivions ses traces » (1P 2,21) 24. Tous ces disciples et épouses du Christ ont donc embrassé l'état de virginité, comme le dit saint Bonaventure, « par conformité avec le Christ leur époux, à qui leur état rend semblables les vierges » 25. Il ne pouvait suffire, en effet, à leur ardente charité envers le Christ de lui être unie par les simples liens de l'affection ; mais il fallait absolument que cette même charité fût éprouvée par l'imitation de ses vertus, particulièrement par une conformité avec sa vie, toute consacrée au bien et au salut du genre humain. Si les prêtres, si les religieux, les religieuses, si enfin tous ceux qui, d'une manière ou d une autre, se sont voués au service de Dieu, observent la chasteté parfaite, c'est en définitive parce que leur Maître divin fut vierge jusqu'à la fin de sa vie. « C'est même le Fils unique de Dieu, s'écrie saint Fulgence, Fils également unique de la Vierge, unique Epoux de toutes les vierges saintes, fruit, ornement et récompense de la sainte virginité, lui que la sainte virginité a engendré, que la sainte virginité épouse spirituellement, lui qui féconde la sainte virginité pour qu'elle persévère sans tache, lui dont elle est ornée pour qu'elle reste belle, lui qui la couronne pour qu'elle règne éternellement glorieuse » 26.

24 S. Augustin, De sancta virginitate, c. XXVII ; P. L., 40, 411. 3«
25 S. Bonaventure, De perfectione evangelica, q. III, a. 3. 87
26 S. Fulgent. Epist., 3, c. IV. nO 6 ; P. L., LXV, 326.


La virginité favorise le service de Dieu.

19 Nous estimons ici opportun, Vénérables Frères, de développer davantage et d'expliquer avec un plus grand soin pour quelles raisons l'amour du Christ pousse les coeurs généreux à renoncer au mariage et quels liens secrets existent entre la virginité et la perfection de la charité chrétienne. La parole du Christ que Nous avons rapportée plus haut suggère déjà que le parfait renoncement au mariage libère les hommes de leurs lourds fardeaux et graves devoirs. Inspiré par l'Esprit divin, l'Apôtre des nations expose la raison de cette libération en ces termes : « Je veux vous voir exempts de soucis... Celui qui est avec une femme a souci des affaires de ce monde, des moyens de plaire à sa femme ; et le voilà partagé » 1Co 7,32-33. On doit pourtant, à cet égard, remarquer que l'Apôtre ne blâme pas les hommes de se préoccuper de leurs épouses, et il ne reproche pas aux épouses de chercher à plaire à leurs maris ; mais il assure plutôt que leurs coeurs sont partagés entre l'amour du conjoint et leur amour de Dieu, et qu'ils sont tiraillés par des soucis aigus, et qu'à cause des devoirs qu'ils ont contractés en se mariant, ils ne peuvent facilement se donner à la méditation des choses divines. Car le devoir de leur union qui les lie leur commande clairement : « Ils seront deux dans une seule chair » (Gn 2,24). Et, en effet, les conjoints sont tenus par des liens mutuels, tant dans les tristesses que dans les joies de tout ce qui arrive (cf. 1Co 7,39). On comprend dès lors facilement pourquoi ceux qui désirent s'adonner au service de Dieu embrassent l'état de vie virginale comme une libération, c'est-à-dire pour pouvoir plus pleinement servir Dieu et se dévouer de toutes leurs forces au bien du prochain. Comment, par exemple, un missionnaire de l'Evangile comme saint François-Xavier, un père des pauvres comme saint Vincent de Paul, un éducateur de la jeunesse comme saint Jean Bosco, une « mère des émigrés » comme sainte Françoise-Xavier Cabrini, auraient-ils pu accomplir des oeuvres aussi grandes et aussi pénibles s'ils avaient dû pourvoir aux besoins matériels et spirituels d'un conjoint et de plusieurs enfants ?


La virginité favorise la vie spirituelle.

20 Il y a encore une autre raison pour que tous ceux qui aspirent à se dévouer à Dieu et au salut du prochain embrassent l'état de virginité. C'est ce qu'affirment les saints Pères, quand ils traitent des avantages que peuvent trouver ceux qui s'abstiennent de ces plaisirs du corps pour mieux goûter les élévations de la vie spirituelle. Sans aucun doute — comme ils l'ont clairement observé, — une volupté de ce genre, comme celle qui vient légitimement du mariage, n'est pas condamnable en soi ; bien mieux, le chaste usage du mariage est ennobli et consacré par un sacrement spécial. Toutefois, il faut également reconnaître que les facultés inférieures de la nature humaine, après la chute misérable d'Adam, font obstacle à la droite raison et même parfois poussent l'homme à agir contre ses devoirs. Comme l'écrit le Docteur angélique, l'usage du mariage « occupe l'âme et l'empêche de s'adonner entièrement au service de Dieu » 27.

27 S. Thomas, Sum. theol,
II-II 186,4.


Pour être plus « libres spirituellement », les prêtres de l'Eglise latine voeu de chasteté.

21 C'est précisément pour que ses ministres sacrés arrivent à cette liberté spirituelle de l'esprit et du corps et qu'ils ne soient pas embarrassés dans des affaires terrestres, que l'Eglise latine leur demande d'assumer volontairement et de bon gré l'obligation de la chasteté parfaite 28.
« Si cette même loi ne lie pas dans toute sa rigueur — comme le rappelait Notre Prédécesseur d'immortelle mémoire, Pie XI — les clercs de l'Eglise orientale, chez eux aussi pourtant, le célibat ecclésiastique est en honneur : et en certains cas — quand il s'agit des plus hauts degrés de la hiérarchie, — c'est une condition nécessaire et obligatoire. 29 »

28 Cf. Code de droit canon,
CIS 132, § 1.
29 Lettre Enc. Ad catholici sacerdotii fastigium, A. A. S., 28, 1936, pp. 24-25.


La continence des prêtres est réclamée par leur service de l'autel autant que par les exigences apostoliques.

22 Il faut de plus, observer que les ministres sacrés s'abstiennent complètement du mariage, non seulement pour qu'ils s'acquittent de leur charge apostolique, mais également parce qu'ils servent à l'autel. Car, si déjà, dans l'Ancien Testament, les prêtres s'abstenaient de l'usage du mariage lorsqu'ils s'acquittaient du service du Temple, pour ne pas contracter l'impureté légale comme les autres hommes (cf. Lv 15,16-17 Lv 22,4 1S 21,5-7 30 combien plus il convient que les ministres de Jésus-Christ, qui offrent chaque jour le Sacrifice eucharistique, se distinguent par une chasteté perpétuelle ? Pour ce qui regarde cette continence parfaite des prêtres, saint Pierre Damien observe sous une forme interrogative : « Si donc notre Rédempteur a tant aimé cette fleur de la chasteté parfaite, au point non seulement de naître du sein d'une Vierge, mais encore de recevoir les soins d'un nourricier vierge, et cela alors que tout enfant il vagissait dans la crèche, à qui, dites-moi, veut-il confier son corps, maintenant qu'il règne, immense, dans les cieux ? » 31

30 S. Sirice, Pape, Ep. ad Himer., P. t., LVI, 558-559-
31 S. Pierre Damien, De ccelibatu sacerdotum, c. III ; P. t., CXLV, 384.


De soi l'état de virginité est plus parfait que l'état de mariage.

23 Pour ce motif surtout, il faut affirmer — ce que l'Eglise enseigne clairemennt — que la sainte virginité l'emporte par son excellence sur le mariage. Le divin Rédempteur l'avait déjà suggéré à ses disciples, comme un conseil de vie plus parfaite (Mt 19,10-11) et l'apôtre Paul, après avoir dit du père qui donne sa fille en mariage : « Il fait bien », ajoute aussitôt : « Et celui qui ne la donne pas en mariage fait mieux » (1Co 7,38). Ce même apôtre, tout en comparant le mariage avec la virginité, plus d'une fois expose sa pensée, surtout lorsqu'il dit : « Je veux, en effet, que vous soyez tous comme moi... Aux célibataires et aux veuves, je dis donc : qu'il est bon de demeurer comme moi. » (1Co 7,7-8 cf. Lc 26) Si donc, comme Nous l'avons écrit, la virginité l'emporte sur le mariage, cela vient surtout, sans doute, de ce qu'elle tend à réaliser une fin plus excellente 32 ; et que, de plus, elle offre un moyen très efficace de s'adonner totalement au service de Dieu ; alors qu'au contraire, l'âme de celui qui est engagé dans les liens et affaires du mariage est plus ou moins « partagée ». (1Co 7,33)

(32) Cf. S. Thom., Summa Theol., II-II 152,3-4


24 Mais si nous considérons l'abondance de fruits qui en proviennent, alors, sans aucun doute, son excellence est mise encore en plus grande lumière : car « on connaît l'arbre à ses fruits ». (Mt 12,33)



L'histoire de l'Eglise prouve la fécondité spirituelle de la virginité.

25 Nous ne pouvons Nous empêcher d'éprouver une immense et très douce joie à la pensée de cette innombrable phalange de vierges et d'apôtres qui, dès les débuts de l'Eglise, jusqu'en nos temps, ont renoncé au mariage pour se consacrer plus facilement et plus pleinement au salut du prochain, par amour pour le Christ, et ont déployé de si admirables initiatives, sur le plan de la religion et de la charité. Car, même si Nous ne voulons, comme il convient, rien enlever de leurs mérites et des fruits de leur apostolat à ceux qui militent dans les rangs de l'Action catholique et peuvent, dans leur activité salutaire, atteindre ceux que des prêtres et des religieux et religieuses ne peuvent approcher ; néanmoins, Nous savons que c'est à ceux-ci, pour la plus grande part, qu'il faut attribuer les oeuvres de cette charité. Ceux-là, en effet, suivent et dirigent la vie des hommes de tout âge et de toute condition, d'un coeur généreux : et quand ils succombent à la fatigue ou à l'infirmité, ils confient aux autres la continuation de leur mission sacrée, comme un héritage. Aussi, il arrive souvent que l'enfant à peine né soit accueilli en des mains virginales et que rien ne lui manque de ce que la mère elle-même pourrait, en son amour intense, lui donner ; de même, lorsqu'il a grandi et s'est ouvert à la raison, on le confie pour l'élever à ceux qui pourront donner à son âme l'enseignement de la doctrine chrétienne, orner son esprit des sciences profitables, et formeront comme il faut ses facultés et son caractère. Si quelqu'un souffre d'une maladie ou est affligé d'épuisement, il est entouré de ceux qui, animés par la charité du Christ, s'efforcent de lui rendre la santé par leurs soins vigilants et les remèdes convenables. Qu'il s'agisse de celui qui est privé de ses parents ou qui se trouve accablé de misères spirituelles ou par la pauvreté, qu'il ait été mis en prison, il ne sera pas sans réconfort et sans secours ; mais les ministres sacrés, les religieux, les vierges consacrées verront avec pitié, en lui, comme un membre souffrant du Corps mystique de Jésus-Christ, se souvenant de la parole du divin Rédempteur lui-même : « J'ai eu faim, en effet, et vous m'avez donné à manger ; j'ai eu soif, et vous m'avez donné à boire ; j'étais un étranger et vous m'avez recueilli ; nu, et vous m'avez vêtu ; infirme, et vous m'avez visité ; en prison, et vous êtes venus à moi... En vérité, je vous le dis, ce que vous avez fait à l'un des moindres d'entre mes frères que voici, c'est à moi que vous l'avez fait » (Mt 25,35-36 Mt 25,40). Que dirions-Nous pour louer en tout point les hérauts de la parole de Dieu, qui, loin de leur patrie, supportent les plus accablants labeurs pour convertir des multitudes d'infidèles à la foi chrétienne ? Que dire des épouses sacrées du Christ qui leur donnent le secours de leur collaboration très précieuse ? Pour chacun et pour tous, Nous répétons ces mots que nous écrivions dans Notre Exhortation apostolique Menti Nostrae : « ... Par cette obligation du célibat, bien loin de perdre entièrement le privilège de la paternité, le prêtre l'accroît à l'infini, car la postérité qu'il ne suscite pas à cette vie terrestre, il l'engendre à la vie céleste et éternelle. »33

(33) AAS 42 (1950), p. 663; Documents Pontificaux 1950, p. 401.


26 D'autre part, la virginité n'est pas seulement féconde par les initiatives et les oeuvres extérieures auxquelles peuvent se dévouer plus facilement et plus pleinement tous ceux qui l'embrassent, mais encore en raison des formes de charité parfaite à l'égard du prochain, comme le sont leurs ardentes prières appliquées à son intention et les lourdes privations supportées spontanément et volontiers pour la même raison. A tout cela, les serviteurs de Dieu et les épouses de Jésus-Christ — ceux et celles surtout qui passent leur vie dans l'enceinte du cloître — ont consacré leur vie.

27 Enfin, la virginité consacrée au Christ témoigne par elle-même d'une telle foi pour le royaume de Dieu, montre un tel amour à l'égard du divin Rédempteur, qu'il ne faut pas s'étonner qu'elle produise des fruits abondants de sainteté. Car ces vierges et tous ceux qui s'adonnent à l'apostolat et se vouent à la chasteté parfaite, par la sainteté élevée de leur vie, sont, en nombre presque incalculable, l'honneur de l'Eglise. Cette virginité donne, en effet, aux âmes une telle force spirituelle, qu'elle peut, s'il le faut, les pousser jusqu'au martyre ; et c'est ce qu'enseigne l'histoire très nettement, en proposant à l'admiration de tous, tant de phalanges de vierges, depuis Agnès la Romaine jusqu'à Maria Goretti,


L'état de virginité est en quelque sorte une anticipation de la vie leste.

28 Ainsi, ce n'est pas sans raison qu'on appelle la virginité la vertu angélique ; c'est ce qu'assure saint Cyprien, en écrivant à des vierges : « Ce que nous serons plus tard, vous commencez, vous, à l'être déjà. Vous jouissez déjà, en ce siècle, de la gloire de la résurrection ; vous passez dans le siècle sans en souffrir la contagion. En persévérant dans la chasteté et la virginité, vous êtes égales aux anges de Dieu. »34 A l'âme assoiffée de vie très pure et brûlante du désir d'arriver au règne de Dieu, la virginité est offerte « comme une pierre précieuse », pour laquelle un homme « a vendu tout ce qu'il avait et l'a achetée » (Mt 13,46). Quant à ceux qui sont mariés et même jusqu'à ceux qui se roulent dans la fange des vices, lorsqu'ils voient des vierges, souvent ils admirent la splendeur de leur pureté et ils se sentent poussés à la poursuite de ce qui doit surpasser les plaisirs des sens. Ce qu'assure saint Thomas d'Aquin, en écrivant : « A la virginité... on attribue une beauté plus sublime » °35, c'est, sans aucun doute, la raison du fait que les vierges attirent tout le monde à leur exemple. Et d'autre part, ces hommes et ces femmes ne démontrent-ils pas parfaitement, par leur parfaite chasteté, que cette maîtrise de l'âme sur les mouvements du corps est un effet du secours divin et un signe de puissante vertu ?

(34) S. Cypr., De habitu virginum, 22; PL 4, 462; cf. S. Ambros., De virginibus, lib. I, c. 8, n. 52; P1,16, 202.
(35) S. Thom., Summa Theol., II-II 152,5


29 Il Nous plaît encore de souligner ce qui est le fruit le plus suave de la virginité : c'est que les vierges manifestent et rendent comme publique la parfaite virginité de leur Mère l'Eglise elle-même et la sainteté de son étroite union avec le Christ. C'est pour cela que, très sagement, ont été écrites les paroles dont se sert le pontife en suivant le rite de la consécration des vierges et en suppliant Dieu en ces termes : « Afin qu'il y ait des âmes plus sublimes qui, méprisant dans le mariage les plaisirs de la chair, en cherchent la signification secrète, et au lieu d'imiter ce qui se pratique dans le mariage, aspirent à ce qu'il symbolise 36. »

(36) Pontificale Romanum : « De benedictione et consecratione virginum ».


30 C'est, pour les vierges, leur plus grande gloire, qu'elles soient les images vivantes de cette parfaite intégrité qui unit l'Eglise avec son divin Epoux. Elles offrent, en outre, un signe admirable de la sainteté florissante et de la fécondité spirituelle par lesquelles excelle la société fondée par Jésus-Christ et elles procurent à cette même société une joie aussi intense que débordante. C'est pourquoi saint Cyprien écrit, fort à propos : « C'est la fleur qui s'épanouit en l'Eglise, l'honneur et l'ornement de la grâce spirituelle, la joie de sa nature, une oeuvre parfaite et sans tache de louange et de gloire, l'image de Dieu correspondant à la sainteté du Seigneur, la part la plus illustre du troupeau du Christ. La glorieuse fécondité de l'Eglise, notre Mère, se réjouit par elles et en elles elle fleurit abondamment ; et plus l'essaim des vierges grandit en nombre, d'autant plus croît la joie de cette Mère. »37

(37) S. Cypr., De habitu virginum, 3; PL 4, 443.



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