B. Paul VI Homélies 10672

16 septembre 1972

HOMELIE DU SAINT-PERE A LA MESSE DU CONGRES EUCHARISTIQUE D’UDINE

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Frères vénérés et Fils très chers,


Nous devons avant tout vous exprimer nos salutations. Cela fait partie du mystère qu’ensemble nous voulons célébrer, mystère de charité et d’unité (cf. saint augustin, In Joannem, tract, 26, 13 ; PL 35, 16, 13).

A l’Eglise du Christ, vivant à Udine, quia organisé et accueilli ce XVIII° Congrès eucharistique italien, s’adresse notre premier salut, avec nos acclamations et l’expression de notre joie; aux Eglises de la région des Trois Vénéties ici réunies, avec leurs Pasteurs et la foule considérable de leur clergé et de leurs fidèles ; à l’Eglise d’Italie qui, tout entière, se trouve ici représentée, de façon, hautement qualifiée et par un nombre si important de frères ; à tous ceux enfin qui, de régions proches ou lointaines sont venus ici comme, pèlerins, appelés par la même foi, rivalisant de dévotion: à tous, Nous souhaitons grâce, joie et paix. Nous le faisons en tant qu’Evêque de l’Eglise de Rome, au nom du Dieu vivant, Père du Seigneur Jésus-Christ et le nôtre, dans l’Esprit Saint vivificateur et unificateur.

Nos salutations respectueuses et nos voeux s’adressent également aux Autorités civiles ici présentes et à ceux qui, par leur réflexion et par leur travail, ont favorisé l’heureuse réalisation de ce Congrès, Que nul de ceux qui souffrent, travaillent, prient, ou que nul de ceux qui sont petits, éprouvés, ou qui ont besoin de miséricorde, d’assistance ou de réconfort, ne se croie oublié de Nous et exclu de notre affectueuse bénédiction. Que notre salutation particulière vous rejoigne, émigrants de la Vénétie et du Frioul, rassemblés ici pour cette heureuse circonstance ; et vous aussi, Slovènes, que tant de liens historiques et ethniques unissent à cette région et qui avez tenu, par votre présence ici, à souder de façon spéciale les liens spirituels, qui vous font fraterniser avec la population d’ici. Tous, Nous vous assurons de notre souvenir au cours de cette célébration eucharistique de la présence réelle et sacrificielle du Christ, notre Maître et notre Sauveur.

Il nous faut maintenant vous dire pourquoi Nous sommes venu, et ce sera tout le thème de notre bref discours.

Nous sommes venu pour adorer avec vous ce mystère eucharistique que nous voulons célébrer maintenant avec cette intensité de réflexion intérieure et de solennité extérieure qui doit remuer notre foi et nous faire mieux comprendre, et goûter dans une certaine mesure, “ l’abîme de la richesse, de la sagesse et de la science de Dieu ” (cf.
Rm 11,33). Cet abîme, manifeste quant au signe, caché quant à la réalité, est contenu dans l’Eucharistie, que l’on ne saura jamais assez explorer, honorer, recevoir.

L’effort, qui a conduit ici les catholiques d’une Nation entière, dans laquelle Nous sommes localement, historiquement et spirituellement inséré, à célébrer le mystère eucharistique avec coeur et dans une adhésion unanime, ne pouvait pas Nous laisser personnellement étranger, même si le vénéré Cardinal Président de la Conférence épiscopale italienne, qui était notre Envoyé spécial à ce Congrès, vous manifestait déjà notre pleine adhésion. Nous devions venir.

Nous devions venir malgré les obstacles que peut imaginer celui qui connaît un peu notre vie de chaque jour, ne serait-ce que celui de ne pas faire tort à d’autres appels semblables et pleins d’attraits mais auxquels, à notre grand regret, Nous ne pouvons matériellement répondre. Il ne Nous était cependant pas possible, chers Fils d’Udine de repousser votre invitation. Au mérite de votre Eglise, en effet, et à l’affection que Nous lui portons, s’ajoutait le thème choisi, parmi tant d’autres possibles pour la méditation et la célébration de ce Congrès. C’est un thème de théologie ecclésiologique qui concerne non seulement l’actualité des études et des discussions postconciliaires, mais qui touche un aspect de notre ministère apostolique, c’est-à-dire le rapport de l’Eglise locale avec l’Eucharistie, qui, à son tour, touche à l’unité de l’Eglise. Or, là où est mise en jeu l’unité dans l’Eglise et de l’Eglise, est mise en cause la charge apostolique confiée à Pierre et par là aussi au dernier de ses successeurs quant au mérite (cf. Lumen Gentium, LG 23).

Vous savez déjà tout sur ce thème. Des maîtres éminents et pleins de piété vous ont déjà développé ce chapitre immense et essentiel de la doctrine eucharistique. Nous vous exhortons à fixer votre attention et, ensuite votre mémoire, sur la grâce spécifique de l’Eucharistie, sur la “ res ” de ce sacrement, Comme disent les théologiens, c’est-à-dire sur l’intention fondamentale du Christ lorsqu’il l’institua dans l’excès de son amour pour nous ; la grâce spécifique qu’il nous apporte, est, vous le savez, l’unité de son corps mystique (cf. St. TH., III 73,3). La parole de saint Paul, choisie comme point focal de la méditation et de la célébration de ce Congrès, le dit avec une simplicité lapidaire et une profondeur insondable : à un unique et même Pain, c’est-à-dire au Christ qui s’est fait notre nourriture, doit correspondre un unique et même Corps, son corps mystique, l’Eglise. Oui, à l’Eucharistie correspond l’Eglise ; au Corps personnel et réel du Christ — présent sous les espèces du pain et du vin pour figurer et perpétuer son sacrifice salvifique dans le dessein d’amour de se communiquer par le moyen d’une nourriture, d’un aliment sacrificiel, à ceux qui croient en lui — correspond son corps social et mystique, que sont les catholiques, c’est-à-dire l’humanité réunie dans l’unité d’un organisme qui s’appelle l’Eglise. La tête, le Christ, diffuse sa vie dans les membres de son corps mystique. L’Eucharistie est signe et cause de cette nouvelle structure humaine, historique, universelle, vivant de l’Esprit du Christ, parce qu’elle est appelée par le Christ, parce qu’elle lui est unie et intimement associée, et qu’elle est donc sanctifiée dans toutes les expressions de son existence : celui qui me mange, vivra par moi (Jn 6,57) ; elle est soutenue par l’espérance qui ne déçoit pas (Rm 5,5) de la résurrection finale (Jn 6,51-58).

Avec une grande attention, rappelez-vous, en souvenir de ce Congrès, le sens de l’unité, révélation suprême du coeur du Seigneur (cf. Jn 17,21-22) et expression caractéristique de la foi catholique. Nous devons tous former un seul être, nous devons tous constituer une société unanime, qui ne soit pas seulement assemblée en vertu d’une même manière de penser qui est la foi, et d’une affection communautaire qui est la charité, mais qui soit vivante et surnaturelle, en vertu d’un principe existentiel identique, la grâce unifiante qui émane du Christ eucharistique. Ainsi, nous devons tous former le “ corps ” du “ Christ total ” lui, le Christ de l’évangile, étant la tête, et nous, dispersés à travers le monde et à travers l’histoire, les membres (cf. S. augustin, Enarr. in psalm. 17, 51 ; PL 36, 154).

Nous n’oublierons pas, non plu,; comment l’Eucharistie assure la perfection de chaque fidèle qui se nourrit de ce pain divin et combien celui-ci apporte à chacun de nous une plénitude de joie : “ omne delectamentum ut se habentem ”. Mais ce don n’est pas le terme achevé et définitif de la nourriture eucharistique. En effet, il ne s’agit pais seulement d’un don personnel et individuel ; c’est Un don qui déborde de chaque fidèle et se répand sur ses frères dans la foi, car il est destiné à faire d’eux un organisme spirituel unifié qui est, redisons-le, le Corps mystique du Christ, l’Eglise.

Ce que Nous dirons de chaque fidèle, Nous pourrons le dire, de manière analogue, de chaque partie de l’unique Eglise que nous appelons Eglise locale et sur laquelle s’est concentrée l’attention de votre Congrès. En elle, la célébration sacramentelle et liturgique de l’Eucharistie offre la vision unitaire de l’Eglise, et présente un double aspect, l’un et l’autre du plus grand intérêt. Dans l’Eglise locale — et notre pensée, au-delà du cadre diocésain qui définit par excellence le caractère propre d’une Eglise locale — reconnue constitutionnellement comme telle, s’élargit jusqu’aux multiples ramifications des expressions paroissiales et des autres expressions particulières et légitimes — nous pouvons reconnaître le point de contact effectif où l’homme rencontre le Christ et où lui est ouvert l’accès au plan concret du salut : là il trouve le ministère, la foi, la communauté, la parole, la grâce, là il trouve le Christ lui-même qui s’offre au fidèle inséré dans l’Eglise universelle. L’Eglise locale est ainsi, dans l’économie religieuse catholique, le point de départ et le point d’arrivée ; elle est comme le fruit par rapport aux racines, à l’arbre, aux branches, c’est-à-dire la phase de la plénitude spirituelle offerte à tous. Jésus lui-même semble en décrire la beauté et la fécondité lorsqu’il dit : “ Je suis la vigne, et vous, vous êtes les sarments ” (Jn 15,5). C’est là qu’aboutit la structure de son dessein et que commence la maturation promise du règne de Dieu. Ecoutez le Concile : “ Le diocèse, c’est-à-dire, l’Eglise locale, est une portion du Peuple de Dieu confiée à un évêque pour qu’avec l’aide le son presbytérium, il en soit le pasteur : ainsi le diocèse, lié à son pasteur et par lui rassemblé dans le Saint-Esprit grâce à l’Evangile et à l’Eucharistie, constitue une Eglise particulière en laquelle est vraiment présente et agissante l’Eglise du Christ une, sainte, catholique et apostolique ” (Décr. Christus Dominus, CD 11 et Const. dogm . Lumen Gentium, LG 26).

Il faut aimer l’Eglise locale, comme doit l’être une mère. Il faut préférer son propre clocher, comme le plus beau de tous. Chacun doit se sentir heureux d’appartenir à son propre diocèse, à sa paroisse, et chacun peut dire de sa propre Eglise locale : ici le Christ m’a attendu et m’a aimé, c’est ici que je l’ai rencontré, c’est ici que j’appartiens à son Corps mystique. C’est ici que je suis dans son unité. Nous tous ici présents, nous devons être insérés dans le Christ, nous devons être, avec lui et entre nous, un seul et même être. Et c’est l’Eucharistie qui nous donne, qui doit nous donner ce sens de la communion. L’Eucharistie est la table du Seigneur : nous nous réunissons autour du même autel, commensaux du Christ et des autres fidèles, qu’il nous faut considérer comme des frères.

Pourquoi nous attardons-Nous à faire l’éloge de l’Eglise locale ? Parce que tel doit être le fruit de ce Congrès : un renouvellement et un accroissement de notre estime pour le diocèse qui est le nôtre, pour notre propre paroisse, ou pour notre communauté légitime, et, par voie de conséquence, pour toute forme de rapport humain honnête. Le Christ, dans l’Eucharistie, Prêtre, victime et nourriture de son repas sacrificiel, est aussi pour nous un maître de charité et d’unité. C’est à l’occasion de son. repas d’adieu qu’il nous a laissé, comme en testament, l’exemple de son humilité si déconcertante : lui, Seigneur et Maître, comme il s’appela lui-même alors, s’incline pour laver les pieds de ses disciples (cf. Jn 13). Il nous a laissé le commandement nouveau de nous aimer les uns les autres; et dans ce commandement, la nouveauté réside, nous semble-t-il, dans le “ comme ” il nous a aimés, un “ comme ” sans limite : “ Je vous donne un commandement nouveau, dit-il : aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés ”. Un commandement qui doit être un caractère distinctif : “ A ceci tous vous reconnaîtront pour mes disciples : à cet amour que vous aurez les uns pour les autres ” (Jn, ib.). Le signe, le gage, le stimulant, la source et la force de cette communion inimaginable entre nous, disciples et élèves, entre nous, chrétiens c’est la communion avec Lui, c’est l’Eucharistie.

Oui, une conscience renouvelée du caractère social de notre communauté ecclésiale : telle doit être la conséquence d’un Congrès eucharistique consacré au thème de la communauté locale. C’est une conséquence qui ne nous permet plus de vivre notre vie chrétienne dans la coquille fermée et confortable de notre propre individualisme, spirituel aussi bien que pratique, ni dans le désintéressement des besoins, des problèmes, des difficultés et des joies de notre propre communauté ; c’est une conséquence qui nous interdit de succomber aux tentations des cercles restreints : antipathies, jalousies, médisances, mépris, contestations, aversions et litiges qui fleurissent souvent même dans nos communautés ; c’est une conséquence qui, au contraire, met l’amour du prochain comme programme réel et universel de notre vie dans la communauté ecclésiale et qui l’applique avec générosité et humilité dans toutes les circonstances de notre vie quotidienne. Elle fait ressentir, à tous et à chacun, comme les siens propres les besoins de la communauté, ceux des pauvres, des personnes sans emploi, ou qui souffrent, ceux de l’enfance et de la jeunesse tout comme ceux de la vie religieuse et de la vie civique. Nous sommes heureux d’avoir aujourd’hui avec nous — et on peut voir là une confirmation de l’amitié dont est capable une Eglise locale à l’histoire et à la population bien déterminées comme celles d’Udine — et d’accueillir comme des hôtes et des frères, les foules de travailleurs qui incarnent les souffrances et les espérances sociales d’une si grande partie du peuple italien, et de leur exprimer notre solidarité chrétienne.

Unité dans l’Eglise locale, Ensuite, unité de l’Eglise, en commençant aussi sur ce point par une prise de conscience réaffirmée de la communion avec l’Eglise universelle et avec l’Eglise qui, par la volonté du Christ, en constitue la base et le centre : l’Eglise de Dieu, l’Eglise Romaine. Ce n’est point par orgueil ou pour notre avantage personnel que Nous parlons. Serviteur des serviteurs de Dieu, investi de la charge pastorale de veiller sur le troupeau du Christ tout entier, Nous parlons selon notre devoir et pour votre honneur, en citant cette parole bien connue de Saint Jean Chrysostome : “ Celui qui est à Rome sait que les habitants de l’Inde sont ses membres ” (In Jo Hom., 65, 1 ; ) ; Nous parlons dans l’intérêt des Eglises locales pour lesquelles il serait infiniment triste de perdre le sens de la catholicité de l’unique Peuple de Dieu et de céder à la tentation du séparatisme, de l’autosuffisance, du pluralisme arbitraire, du schisme, en oubliant que, pour jouir de l’authentique plénitude de l’Esprit du Christ, il est nécessaire d’être inséré organiquement dans le Corps du Christ (cf. 1Co 12 ss. ; 1 Col, 9 ; Ga 3,28 Rm 6,5 Rm 11,17 ss., etc. ; cf. saint Augustin). A partir de l’Eucharistie, l’unité communautaire et hiérarchique, après avoir convergé vers son foyer visible le ministère apostolique, comme vers son foyer invisible, le ministère de l’Esprit du Christ, s’élargit en éventail sans limite dans la catholicité de l’Eglise répandue par toute la terre, dans un élan d’amour missionnaire et oecuménique : tel est l’horizon qui s’ouvre tout grand au-dessus de nous, si du moins, dans l’intime cénacle de notre Eglise locale, nous célébrons le sacrifice eucharistique de Jésus offert “ pro mundi vita ”, pour la vie du monde (Jn 6,51),






29 octobre 1972

UN DISCIPLE, UN IMITATEUR, UN MODELE

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Le dimanche 29 octobre, le Pape a présidé, dans la Basilique Saint-Pierre, la cérémonie de béatification de Don Rua. Après la lecture de l’Evangile, le Saint-Père a adressé aux milliers de fidèles présents dans la Basilique l’homélie suivante :



Vénérables Frères et très chers Fils, Bénissons le Seigneur !



Voici : nous venons de déclarer Don Rua “ bienheureux ! ”. Encore une fois, la merveille est accomplie : au-dessus de la foule humaine, soulevé par les bras de l’Eglise, cet homme envahi par une lévitation de grâce reçue et secondée dans un coeur héroïquement fidèle, émerge à un niveau supérieur et lumineux, où convergent sur lui l’admiration et le culte dus à ceux de nos frères qui sont déjà parvenus à la béatitude du royaume des cieux.

Ce profil émacié, cette figure de prêtre tout douceur et bonté, tout devoir et sacrifice, qui se dessine maintenant et pour toujours sur l’horizon de l’histoire, c’est Don Michel Rua, “ bienheureux ! ”.

Etes-vous contents ? Point n’est besoin de le demander à La triple Famille Salésienne, qui exulte avec nous ici et dans de monde, et communique sa joie à l’Eglise entière. Partout où se trouvent des Fils de Don Bosco, aujourd’hui, c’est fête. C’est fête spécialement pour l’Eglise de Turin, patrie, terrestre du nouveau Bienheureux, laquelle voit insérée dans la phalange moderne de ses élus une nouvelle silhouette sacerdotale, qui illustre les vertus civiles et chrétiennes de sa race et lui promet une nouvelle fécondité.

Don Rua, “ bienheureux ”. Nous ne retracerons pas maintenant sa biographie, nous ne ferons pas non plus son panégyrique : cette histoire est désormais bien connue de tous. Les excellents Salésiens ne laissent assurément pas leurs héros manquer de célébrité. Car cet hommage est dû à leurs vertus, il élargit en les rendant populaires, le rayonnement de leur exemple et en multiplie l’efficacité bienfaisante : il crée l’épopée pour l’édification de notre temps.

Puis, en ce moment où tant de joyeuse émotion remplit nos coeurs, nous préférons méditer plutôt qu’écouter. Eh bien ! méditons un instant sur l’aspect caractéristique de Don Rua, l’aspect qui le définit, nous le fait comprendre et nous le dit tout entier. Qui est Don Rua ?

C’est le premier successeur de Don Bosco, le saint Fondateur des Salésiens. Et pourquoi maintenant Don Rua est-il béatifié ? c’est-à-dire glorifié ? Il est béatifié et glorifié justement parce qu’il a été vraiment le successeur de Don Bosco, c’est-à-dire son continuateur : son fils, son disciple, son imitateur. Avec d’autres, comme l’on sait, mais le premier entre tous, il a fait de l’exemple du saint Fondateur une école ; de son oeuvre personnelle, une institution qui s’étend, peut-on dire, à toute la terre ; de sa vie, une histoire ; de sa Règle, un esprit ; de sa sainteté, un type, un modèle ; de la source il a fait un courant, un fleuve. Rappelez-vous la parabole de l’Evangile : “ Le royaume des cieux est semblable à uni grain de sénevé, qu’un homme a pris et a semé dans son champ. C’est la plus petite de toutes les semences ; mais, lorsqu’il a poussé, il est plus grand que les plantes potagères et il devient un arbre, de sorte que les oiseaux du ciel viennent nicher dans ses branches ” (
Mt 13,31-32). La fécondité prodigieuse de la Famille Salésienne, qui est l’un des phénomènes les plus grands et les plus significatifs de la perpétuelle vitalité de l’Eglise au siècle dernier et dans le nôtre, a eu son origine en Don Bosco, et sa continuité en Don Rua. C’est ce disciple qui a servi l’oeuvre Salésienne dans sa virtualité d’expansion depuis ses humbles débuts de Valdocco ; il a compris le bonheur de la formule, et il l’a développée d’une manière cohérente avec ses origines, et cependant avec une nouveauté géniale. Don Rua a été le plus fidèle des disciples de Don Bosco parce que le plus humble, et en même temps, le plus valeureux.

Tout cela est bien connu; nous ne citerons pas ce que la documentation de la vie du Bienheureux nous offre avec une abondance exubérante ; nous ferons seulement une réflexion que nous croyons très importante, surtout de nos jours, et qui concerne l’une des valeurs les plus discutées, en bien et en mal, de la culture moderne : la tradition.

La tradition, qui trouve des culteurs et des admirateurs dans le domaine de l’humanisme, comme l’histoire et le devenir philosophique, est au contraire peu en honneur dans le domaine de l’action, où la rupture — révolution, transformations précipitées, originalité intolérante d’autres écoles, indépendance du passé, affranchissement de tout lien — paraît être la norme de la modernité et de la condition du progrès. Nous ne contestons pas ce qu’il y a de salutaire et d’inévitable dans cette attitude de la vie tendue en avant, qui progresse dans le temps, dans l’expérience et la conquête des réalités environnantes ; mais nous mettons en garde contre le danger et le dommage d’une répudiation aveugle de l’héritage que le passé transmet aux nouvelles générations à travers une tradition sage et sélective. En ne tenant pas compte de ce processus de transmission, nous pourrions perdre le trésor accumulé par la civilisation, et nous voir obligés de nous reconnaître rétrogrades, de recommencer de fond en comble un travail exténuant. Nous pourrions perdre le trésor de la foi, qui a ses racines humaines en des moments déterminés de l’histoire, et nous retrouver naufragés en haute mer, n’ayant plus la notion du chemin à parcourir ni la capacité de le faire. Discours immense, qui débute aux premières pages de la pédagogie humaine et pour le moins nous avertit du mérite que recèle encore le culte de la sagesse des anciens, nous rappelle à nous fils de l’Eglise, le devoir et le besoin que nous avons de puiser dans la tradition la lumière amie et inextinguible du passé proche ou lointain qui projette ses rayons sur nos sentiers montants. Devant Don Rua, le discours se fait simple et élémentaire, mais non pour cela moins digne de considération. Que nous enseigne Don Rua ? Comment a-t-il pu s’élever jusqu’à la gloire du Paradis et à l’exaltation de l’Eglise en ce jour ? Comme nous l’avons dit, Don Rua nous enseigne à être des continuateurs, c’est-à-dire des disciples, des élèves, — des maîtres, si vous voulez, pourvu que disciples d’un maître plus grand. Amplifions la leçon qui nous vient de lui. Il enseigne aux Salésiens à rester Salésiens, Fils toujours fidèles de leur Fondateur. A nous tous, il enseigne le respect du Magistère qui préside à la pensée et à l’économie de la vie chrétienne. Le Christ Lui-même, comme Verbe procédant du Père, comme Messie exécuteur et interprète de la Révélation qui le concerne, a dit de lui-même : “ Ma doctrine n’est pas de moi, mais de Celui qui m’a envoyé ” (Jn 7,16).

La dignité du disciple dépend de la sagesse du maître. Dans le disciple, l’imitation n’est plus passivité ni servilité : elle est ferment, elle est perfection (cf. 1Co 4,16). La capacité qu’a l’élève de développer sa personnalité dérive en effet de cet art extractif, qui est le propre du précepteur et qui s’appelle justement éducation, cet art qui guide l’expansion logique, mais libre et originale, des qualités virtuelles du disciple. Nous voulons dire que les vertus desquelles Don Rua est le modèle, et dont l’Eglise a fait la raison de sa béatification, ce sont les vertus évangéliques des humbles adhérents à l’école prophétique de la sainteté, des humbles auxquels sont découverts les plus hauts mystères de la divinité et de l’humanité (cf. Mt 11,25).

Si vraiment Don Rua s’est qualifié comme le premier continuateur de l’exemple et de l’oeuvre de Don Bosco, nous aimerons repenser à lui, le vénérer sous cet aspect ascétique d’humilité et de dépendance ; mais nous ne pourrons jamais oublier le côté actif de cet humble grand homme, et d’autant moins que nous ne sommes pas opposé à la mentalité de notre temps enclin à mesurer la stature des hommes sur leur capacité d’action. Nous avons conscience de nous trouver en présence d’un athlète de l’activité apostolique, ce qui confère à Don Rua, dans le style de Don Bosco mais avec sa mesure propre et croissante, les dimensions spirituelles et humaines de la grandeur. Grande en effet est sa mission. Biographes et critiques ont reconnu en lui l’héroïsme des vertus que l’Eglise exige pour l’issue positive des causes de béatification et de canonisation, et qui suppose et atteste une abondance extraordinaire de la grâce divine, cause première et suprême de la sainteté.

La mission qui fait la grandeur de Don Rua s’oriente sur deux directions extérieures distinctes, mais qui dans le coeur de ce gigantesque ouvrier apostolique s’entrelacent et se fondent, ainsi qu’il advient généralement dans la forme d’apostolat que la Providence lui assigna : la Congrégation des Salésiens et l’Oratoire, c’est-à-dire les oeuvres pour la jeunesse et tout ce qui en découle. Ici nos éloges devraient s’adresser à la triple Famille religieuse fondée par Don Bosco et développée par Don Rua dans une succession linéaire : Prêtres Salésiens, Filles de Marie Auxiliatrice, Coopérateurs Salésiens, qui prirent un merveilleux essor sous l’impulsion méthodique et inlassable de notre Bienheureux. Qu’il nous suffise de rappeler que pendant les vingt années de gouvernement de Don Rua le nombre des maisons est passé de 64, à la mort de Don Bosco, à 314. On ne peut que dire avec la Bible, et dans un sens positif : “ Le doigt de Dieu est là ! ” (Ex 8,19). En exaltant Don Rua nous rendons gloire au Seigneur qui a voulu manifester par le nombre croissant de ses Confrères et par le développement rapide de l’oeuvre salésienne, sa bonté et sa puissance, capables de susciter, même de nos jours, l’inépuisable et admirable vitalité de l’Eglise ; qui a voulu offrir à son labeur apostolique les nouveaux champs de travail pastoral qu’un développement social impétueux et désordonné a ouverts à la civilisation chrétienne. Et nous saluons, exultant avec eux dans la joie et l’espérance, tous les Fils de cette jeune et florissante Famille salésienne qui, sous le regard bienveillant du nouveau Bienheureux, affermissent leur pas sur la voie droite et rude de la sûre tradition de Don Bosco.

Puis, les oeuvres Salésiennes, dont l’éclat reçu du saint Fondateur s’allume d’une splendeur nouvelle sous l’action de Don Rua, son continuateur. C’est vers vous que nous nous tournons, jeunes de la grande école salésienne. Nous voyons reflété sur vos visages et resplendissant dans vos yeux l’amour dont saint Jean Bosco, et avec lui Don Rua et tous leurs fils d’hier, d’aujourd’hui, de demain aussi, soyez-en sûrs, vous enveloppe magnifiquement. Que vous nous êtes chers ! et, pour nous, que vous êtes beaux! et combien volontiers nous vous voyons : gais, vifs, modernes, vous qui avez grandi et grandissez dans cette oeuvre salésienne providentielle et multiforme. L’émotion nous étreint le coeur devant cette extraordinaire chose que le génie de charité de Don Bosco, du Bienheureux Rua et de leurs mille et mille disciples a su produire pour vous : pour vous, spécialement, fils du peuple ; pour vous, si vous aviez besoin d’assistance et d’aide, d’instruction et d’éducation, de formation au travail et à la prière ; pour vous, si vous étiez fils du malheur, ou relégués en des terres lointaines, attendant que quelqu’un vous approche avec la sage pédagogie préventive de l’amitié, de la bonté, de la joie; quelqu’un qui sût jouer et dialoguer avec vous, qui vous rendît bons et forts en vous faisant sereins et purs, courageux et fidèles ; qui vous découvrît le sens et les devoirs de la vie ; qui vous enseignât à trouver dans le Christ l’harmonie de toutes choses ! Vous aussi, nous vous saluons aujourd’hui; nous voudrions vous appeler tous, petits et grands de la joyeuse et laborieuse et studieuse palestre salésienne: vous et tant de vos camarades des villes et des campagnes ; vous, des écoles et des terrains de sport ; vous, engagés dans le travail, et vous, cloués par la souffrance ; vous de nos salles de catéchisme et de nos églises. Oui, nous voudrions vous appeler tous, un instant, au “ garde à vous ! ” et vous inviter à tourner vos regards vers le Bienheureux Michel Rua, qui vous a tant aimés, et qui en ce moment, par notre main, au nom du Christ, un à un, et tous ensemble vous bénit.






12 novembre 1972

béatification de Soeur Agostina Pietrantoni

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UNE VOCATION ET UNE MARTYRE AU SERVICE DE CEUX QUI SOUFFRENT



Le Saint-Père a présidé, le dimanche 12 novembre, dans la Basilique Saint-Pierre, le rite solennel de la béatification de Soeur Agostina Pietrantoni. Après le chant de l’Evangile, le Pape a adressé aux milliers de fidèles présents l’homélie suivante :



Frères, Soeurs !

Notre discours devrait être poésie ! Parole qui cède au silence la plénitude ineffable de son sens.

Puisque l’acte liturgique que nous avons accompli maintenant, celui d’autoriser la Famille religieuse des Soeurs de la Charité, et avec elle l’Eglise Romaine et l’Eglise de Dieu, à célébrer comme Bienheureuse l’humble Soeur Agostina Pietrantoni, nous remplit d’une admiration et d’une émotion qui dépassent la capacité expressive du langage ordinaire, et en racontant une histoire qui paraît être une légende, tant elle est simple, limpide, pure, affectueuse et, à la fin, tant elle est douloureuse et tragique et même encore plus, tant elle est symbolique, la parole voudrait se faire chant, comme celle qui laisse entrevoir le profil d’une jeune fille innocente, d’une vierge candide et parlant peu, d’une épouse vouée à l’Amour absolu, d’une femme forte qui fait don de sa propre vie à la charité pour les pauvres et les malades, d’une victime sans défense de son service héroïque quotidien, qui accomplit, à trente ans seulement, son voeu intime de faire de sa propre vie un martyre pour Jésus, témoignage pour tous ceux qui ont des yeux pour voir, un coeur pour comprendre, pour nous donc, pour nous tous.

Mais nous ne sommes pas poète. Chacun de nous qui connaît le profil biographique de la nouvelle Bienheureuse et chacune de vous, ses Soeurs, spécialement, qui, à tant de titres, en suivez les exemples et en partagez les expériences, peut composer ce pieux et doux cantique.

La première strophe est un rythme géorgique. Il y avait une fois, et il y a encore avec un visage nouveau, un village appelé Pozzaglia, dans les collines de la Sabine, entouré de pauvres champs et d’oliviers d’argent ; il y avait une paroisse, aujourd’hui glorieuse, qui donnait à ce bon peuple la foi et la prière, une âme chrétienne ; et il y avait là une maison bénie, nid plein de voix d’enfants parmi lesquelles, précocement sage, celle d’Olive, appelée ensuite Livia, qui changera son nom familial en son nom religieux d’Agostina, notre Bienheureuse ; une maison où, suivant un témoignage rustique mais expressif, “ tous s’appliquaient à faire bien et où on priait souvent ”. Ici on aurait plaisir à s’arrêter et à écouter la leçon du paysage et celle du foyer et à la rencontrer, à la voir, à la connaître à l’école de la vie vécue ; cadre idyllique si nous ne savions pas combien il était chargé de soins familiaux et de" lourd travail.

Ensuite le chant se fait à voix basse et ressemble à un souffle secret, à un monologue, à un dialogue d’amoureux. Nous devons l’atteindre dans la Sainte Ecriture pour en deviner quelques mots : “ La voix de mon bien-aimé ! Voici qu’il arrive, sautant sur les montagnes, bondissant sur les collines... Mon bien-aimé parle et il me dit : lève-toi, presse-toi, ma bien-aimée, ma belle, viens ! ” (
Ct 2,8 Ct 2,10). Le Cantique des Cantiques nous enseigne certains sentiers de la poésie lyrique de l’amour qui passent de l’horizon des sentiments humains à celui du colloque contemplatif. Livia “ réservée, timide et pudique, mais rendue audacieuse par la voix qui parle à l’intérieur, la vocation, se rend : le Christ sera son amour, le Christ sera son Epoux. Ici votre attention se fait plus avide et presque indiscrète ! Livia, Soeur Agostina, nous dit quelque chose de ce secret : Qu’est-ce qu’une vocation ? comment vient-elle, comment l’entend-on, comment une vocation peut-elle tout demander, tout donner ; et remplir le coeur d’une jeune fille pieuse, honnête, travailleuse, mais privée de la culture la plus élémentaire et sans autre assistance spirituelle que celle qui est ordinaire et commune à une fidèle paroissienne, comment la remplir de tant de sécurité, de tant de courage, de tant d’incompréhensible bonheur ?

L’intérêt de ce cas hagiographique éveille en nous celui de tout autre cas semblable, et non plus poétique, mais un intérêt psychologique et scientifique. La vocation religieuse que nous trouvons ici presque comme un pronunciamento spontané, comment s’explique-t-elle ? Enchantement dévot, favorisé par l’extrême simplicité de l’expérience extérieure ? Folie de jeunesse toujours prédisposée à un choix en dehors de la normale intuition de l’Amour absolu qui dépasse le langage inné de l’instinct, de la passion, de l’imitation, de l’intérêt et se pose comme nécessaire et suffisante ? D’où cette magie intérieure et qui pousse en dehors de toute peur, au risque et à l’aventure de l’héroïsme ? Quels sont les liens de l’amour, les funiculi caritatis (cf. Os 11,4) qui ont brisé les liens de la vanité, les funiculi vanitatis (Is 5,18) qui semblent impossibles à briser pour le coeur d’une jeune femme ? L’interrogation reste en suspens et attend une réponse érudite appropriée des maîtres de l’esprit ; mais en attendant nous reprendrons notre chant en mentionnant, ne serait-ce que par des notes trop rapides, deux facteurs d’une vocation virginale et généreuse telle que nous l’admirons chez la Bienheureuse Agostina : l’un extérieur, le milieu propice pour Livia Pietrantoni, archaïque et champêtre, dans lequel la tradition chrétienne avait une expression aussi dépouillée des aiguillons modernes qu’ornée des vertus humaines ; l’autre facteur est intérieur et mystérieux, c’est la grâce ; la grâce spécifique de la vocation, un charisme, une voix “ que tous ne savent pas accueillir ” (Mt 10,11 1Co 7,7).

Aujourd’hui ces deux facteurs s’accordent difficilement : milieu extérieur et voix intérieure ; et leur désaccord est une des causes qui font enregistrer la diminution des âmes courageuses qui offrent leur vie à Dieu et au service du prochain. Mais ne faut-il pas espérer que l’exemple de Soeur Agostina rende sensibles, même au milieu du fracas fébrile et des provocations profanes des coutumes modernes, des âmes neuves à l’appel incessant et incomparable du divin Maître d’une part, du frère nécessiteux de l’autre ?

Livia avait entendu et elle partit. Ici le chant mêle l’élégie au psaume. Livia embrasse la porte de sa maison, y trace un signe de croix et se sauve. Il semble que l’écho des paroles de Jésus résonne dans l’air : Si quelqu’un ne laisse pas “ son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses soeurs et jusqu’à sa propre vie, il ne peut être mon disciple ”. Ce premier moment est le plus profondément senti par qui veut suivre la vocation ; et la plaie de l’arrachement reste calme mais ouverte toute la vie. Et à tant de douleur il n’y a pas pour le moment de remède dans le genre d’existence qui commence et qui ne finira plus, la vie religieuse, avec l’habit impossible, avec l’horaire inflexible, avec l’obéissance implacable, avec la vie commune souvent intolérable, avec le travail humiliant et incessant. Et l’écho continue : “ celui qui ne porte pas sa croix et ne marche pas à ma suite ne peut pas être mon disciple ” (Lc 14,26-28).

Mais où est-elle arrivée cette naïve fugitive ? Oh ! qui ne le sait ? Elle est arrivée parmi les Soeurs de la Charité de sainte Jeanne Antide Thouret. Et là le chant résonne de vivacité, d’enthousiasme et de joie. Ce sont les Soeurs que nous connaissons bien, de la Charité, qui elles aussi, au nom de saint Vincent de Paul, émules et soeurs de Filles de la Charité, ont, comme on l’a bien dit, “ l’intelligence du Pauvre ! ”. Parole du Psaume : “ Bienheureux celui qui a l’intelligence du malheureux et du Pauvre ” (Ps 40,2). Vaticination qui précède les béatitudes de l’Evangile et en prolonge à travers les siècles la résonance, suscitant dans l’Eglise du Christ des oeuvres comme celle d’Antide Thouret éducatrice de ses Religieuses par le cri de “ Dieu seul ! ” à une proposition paradoxale : voler ! “ Les Soeurs — disait la sainte Fondatrice — voleront au secours de l’indigence de tout leur pouvoir ! ”.

Et voici que naît une des plus florissantes familles religieuses du catholicisme en ces derniers temps qui, avec le bien-être de la nouvelle société lui ont dévoilé et aussi ont produit d’innombrables souffrances, des malheureux, des délaissés, des petits et des vieillards à assister, à hospitaliser, à soigner, à aimer et, comme le déclare l’engagement des Soeurs de la Charité, à glorifier. Le programme n’était pas nouveau dans l’Eglise ; l’hôpital du Saint-Esprit, le premier dans son genre, l’atteste ; et ici, héritières d’une tradition séculaire, les Soeurs de la Charité trouvèrent un champ de travail extrêmement fécond de douleur humaine, d’habileté médicale et d’amour évangélique. Là, Agostina eut ce qu’elle désirait : se consumer dans le sacrifice de soi pour le bien du prochain souffrant; ici, elle partagea avec ses malades tuberculeux leur condamnation alors inguérissable ; ici, pendant sept ans, elle se prodigua, humble, gentille, inlassable, avec le pressentiment et même l’annonce par avance de sa fin perfide et tragique : le 13 Novembre 1894.

Vous connaissez la barbare histoire qui éteignit, sous un coup de couteau, sa jeune vie candide et tressa sur sa tête la double couronne de vierge et de martyre.

Il nous revient à l’esprit les paroles célèbres de saint Ambroise en l’honneur de sainte Agnès : “ (Aujourd’hui) est le jour de naissance d’une vierge : suivons-en la pureté. C’est le jour de naissance d’une martyre : offrons notre culte au Seigneur ” (De virginibus, 2). Rome alors s’émeut, retrouve sa ferveur épique et rend à l’inconnue Agostina, victime de son devoir, de son amour pour le Christ et pour la souffrance des autres, un triomphe inattendu. Aujourd’hui, l’Eglise le ratifie et le célèbre et, en autorisant le culte de l’humble et intrépide Agostina Pietrantoni, elle présente en elle ce qu’est la Soeur de Charité. Oui, c’est le jour de la Soeur de Charité, votre jour, suite de sainte Jeanne Antide, et avec vous de tant de Religieuses avec une égale piété religieuse, qui s’immolent avec un semblable coeur généreux jusqu’au sacrifice total de soi, pour la vie et pour la mort sur l’autel du Christ, avec sa propre formule évangélique : servir par amour, se sacrifier pour le bien d’autrui, ne rien demander pour soi, sinon ce centuple que seule la vie au-delà de celle-ci garantit pour l’éternité.

Honorons Agostina ! Saluons toutes ses Soeurs et tant de filles de la sainte Eglise qui, par une oblation analogue, font le sacrifice d’elles-mêmes pour le réconfort de la douleur humaine. Nous invitons le peuple à reconnaître en ces pauvres et grandes femmes, si souvent dépréciées et méprisées, les plus pures, les plus valables, les meilleures filles de notre terre rendue encore par leur “ piae hostiae castitatis ” (St. Ambroise, 94), l’autel de la foi et de la charité.


Au terme de l’Homélie, prononcée en langue italienne, Paul VI a adressé aux Religieuses, Filles de Sainte Jeanne Antide Thouret, présentes à la cérémonie, ce bref discours en langue française :

Aux Filles de sainte Jeanne Antide Thouret, qui se réjouissent aujourd’hui de voir l’une des leurs élevée sur les autels, sont venus se joindre aujourd’hui des religieuses de divers instituts — que nous encourageons avec affection à suivre la voie des conseils évangéliques — et de nombreux pèlerins que nous tenons également à saluer. Nous savons leur souci de fidélité à la foi catholique, à l’Eglise, au Siège de Pierre. Aussi est-ce de grand coeur que nous les invitons à rejoindre, parmi leurs frères et soeurs catholiques et en collaboration confiante avec leurs Evêques — qui gardent la responsabilité de l’ensemble de la pastorale — l’immense effort conciliaire auquel toute l’Eglise est invitée. Celui-ci doit s’accomplir dans la vérité et la charité, avec une volonté de ressourcement spirituel et de témoignage apostolique, pour redonner sans cesse à l’Eglise son authentique visage et lui permettre d’annoncer la Bonne Nouvelle du Sauveur à ceux qui sont proches d’elles comme à ceux qui sont loin (cf. Ac 2,39).









B. Paul VI Homélies 10672